LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
VANCOUVER, le mercredi 7 septembre 2022
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui à 13 h 14 (HP) pour examiner les questions qui peuvent surgir de temps à autre concernant les droits de la personne en général.
La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vois que nous avons le quorum, et je déclare la séance ouverte.
Je suis Salma Ataullahjan, sénatrice de Toronto, et présidente de ce comité.
Nous tenons aujourd’hui une réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. J’aimerais profiter de cette occasion pour vous présenter les membres du comité qui participent à cette réunion. Nous avons le sénateur Arnot de la Saskatchewan, la sénatrice Busson de la Colombie-Britannique, la sénatrice Jaffer de la Colombie-Britannique et le sénateur Martin de la Colombie-Britannique. Je présume que je suis la seule à venir de l’Ontario.
Après avoir tenu deux réunions en juin à Ottawa, nous poursuivons aujourd’hui notre étude sur l’islamophobie au Canada. Selon notre ordre de renvoi général, notre étude portera, entre autres, sur le rôle que peut jouer l’islamophobie quant à la violence exercée en ligne et hors ligne à l’égard des musulmans, la discrimination fondée sur le sexe, ainsi que la discrimination en matière d’emploi, dont l’islamophobie dans la fonction publique.
Notre étude examinera également les sources de l’islamophobie, son incidence sur les personnes — y compris en ce qui a trait à la sécurité mentale et physique —, ainsi que les solutions possibles et les réponses des gouvernements. Nous sommes heureux d’être ici à Vancouver afin d’entendre des personnes qui nous parleront de l’islamophobie dans ce coin du pays. Il s’agit de la première de nos audiences publiques à l’extérieur d’Ottawa. Demain, nous serons à Edmonton et, dans deux semaines, nous serons à Québec et à Toronto.
Permettez-moi de vous donner quelques détails sur notre rencontre d’aujourd’hui. Cet après-midi, nous aurons deux groupes de discussion d’une heure chacun avec un certain nombre de témoins. Nous entendrons les témoins de chaque groupe, puis les sénateurs leur poseront des questions. Il y aura une courte pause vers 15 heures. Le comité a aussi prévu du temps en fin d’après-midi pour entendre de brèves interventions de cinq minutes de la part des membres du public, mais sans période de questions. Si vous souhaitez participer à cette partie de la réunion, vous devez vous inscrire à l’avance auprès du personnel du comité, qui est assis au fond de la salle.
Je vais maintenant présenter notre premier groupe de témoins. Chaque témoin a été invité à faire une déclaration liminaire de cinq minutes. Nous entendrons tous les témoins, puis nous passerons aux questions des sénateurs et sénatrices. Du Bureau du commissaire aux droits de la personne de la Colombie-Britannique, nous accueillons Mme Kasari Govender, commissaire aux droits de la personne. Nous accueillons aussi Mme Rachna Singh, qui est députée de Surrey-Green Timbers à l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique et secrétaire parlementaire pour les initiatives de lutte contre le racisme.
Je vais maintenant inviter la commissaire Govender à faire sa présentation.
Kasari Govender, commissaire aux droits de la personne, Bureau du commissaire aux droits de la personne de la Colombie-Britannique : Merci à la présidente et aux membres du comité. J’apprécie vraiment l’occasion qui m’est donnée de me présenter devant vous tous aujourd’hui. Je pense que le travail que vous faites ici est incroyablement important, et j’espère qu’il mènera à des changements concrets pour que les Canadiens musulmans soient aussi bien protégés que possible, sinon mieux, contre la discrimination et la haine dont ils font l’objet.
Je suis contente de ne pas avoir à utiliser Zoom pour vous parler pour une fois. Je suis reconnaissante de me joindre à vous sur les terres non cédées et traditionnelles peuple salish de la côte, notamment les nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh. Je suis reconnaissante envers les personnes qui ont pris soin de ces terres et de ces eaux afin que nous puissions tous être assis ici aujourd’hui pour faire ensemble cet important travail.
J’aimerais consacrer les quelques minutes qui me sont allouées pour vous parler de ce que je considère comme des statistiques clés en matière d’islamophobie. Je suis sûre qu’à ce stade, vous les connaissez bien, mais j’ai pensé qu’il y avait quelques éléments particuliers qu’il convenait de souligner. Je passerai ensuite à la réponse offerte par mon bureau, qui a lancé une enquête publique, à ce que nous faisons et à ce que cette enquête nous a appris.
Je voulais donc commencer par quelques statistiques clés sur l’islamophobie. L’islamophobie a gagné du terrain au Canada après le 11 septembre, avec une croissance de 253 % entre 2012 et 2015. Elle s’est poursuivie sous la forme d’une opposition à l’acceptation des réfugiés syriens par le Canada en 2015 et 2016, et elle a été exposée de manière brutale lors du meurtre de six personnes dans une mosquée de Québec en janvier 2017 et de l’attentat au camion de juin 2021 qui a fait quatre morts dans une famille et un blessé — un jeune garçon qui a dû être hospitalisé.
Un sondage Ipsos en 2019 a rapporté que près de la moitié des Canadiens admettent avoir des pensées racistes et que près d’un quart d’entre eux croient qu’il est plus acceptable d’avoir des préjugés contre les personnes musulmanes qu’à l’égard d’autres groupes. Comme l’a noté le Conseil national des musulmans canadiens en 2021, au cours des cinq dernières années, plus de musulmans ont été tués lors d’attaques motivées par la haine au Canada que dans tout autre pays du G7. Dans une optique intersectionnelle, on constate que cette violence vise souvent plus particulièrement les femmes musulmanes, les musulmans noirs et d’autres personnes marginalisées. C’est dans ce contexte et dans le contexte plus large de la montée de la haine que mon bureau, le Bureau du commissaire aux droits de la personne de la Colombie-Britannique, a entrepris cette enquête publique sur la haine pendant la pandémie.
Nous avons lancé cette enquête en août 2021. Depuis, nous avons reçu plus de 100 soumissions orales de plus de 60 organismes. Nous avons établi un partenariat avec cinq éminents universitaires, qui ont effectué des recherches sur les racines de la haine, ses origines, la haine en ligne et les réponses qui sont proposées, les répercussions de la pandémie sur la violence familiale et la haine fondée sur le sexe, ainsi que les réponses juridiques mises de l’avant par les Autochtones pour contrer la haine. Dans le cadre d’un sondage à l’échelle de la province, nous avons entendu plus de 2 500 personnes, et d’autres sondages à l’échelle de la province nous ont également appris beaucoup de choses sur les expériences que les gens ont vécues à cet égard.
Nous rédigeons actuellement le rapport et les recommandations qui portent sur la façon dont nous pouvons éliminer ou aborder la haine en temps de crise — comme durant la pandémie, mais dans d’autres cas aussi —, et nous prévoyons présenter ce rapport et ces recommandations en mars de l’année prochaine.
Ce que nous avons appris sur l’islamophobie au cours de l’enquête nous a ouvert les yeux. L’islamophobie est au cœur d’une grande partie de la mobilisation de l’extrême droite, mais elle est également légitimée et perpétuée par les acteurs politiques traditionnels. Il existe de multiples exemples de plateformes de nouvelles en ligne et de nouvelles alternatives basées au Canada qui diffusent de la désinformation islamophobe. Par exemple, entre 2016 et 2019, une page Facebook appelée National Conservative News Network Canada a communiqué de nombreuses fausses nouvelles islamophobes à ses adeptes — plus de 200 —, y compris de nombreuses théories du complot extrémistes.
Nous avons entendu M. Tanner Mirrlees, un expert au sujet de l’islamophobie dans les médias numériques, déclarer que Rebel News présente aussi régulièrement l’immigration musulmane comme étant le moteur du déclin démographique des Blancs. Il a indiqué que les mots-clics appelant explicitement à la mort, voire au génocide, étaient encore visibles sur Twitter au moment où il a présenté son rapport au comité chargé de l’enquête en avril 2022, et il a décrit l’islamophobie comme le principal moyen par lequel l’extrême droite recrute des adeptes et rallie des gens à sa cause.
Nous nous sommes demandé pourquoi la haine était en hausse — et je n’aborderai que très brièvement cet aspect de la question —; nous avons cherché à savoir si certains facteurs étaient directement liés à la pandémie. La haine découle de la peur de perdre le pouvoir en cette période de grande incertitude et prend racine dans le racisme, la misogynie et d’autres systèmes de croyances discriminatoires. De plus, l’isolement accroît la haine et la violence dans les espaces privés. Ce que nous avons également appris au cours de l’enquête, c’est qu’il est difficile de distinguer les facteurs liés à la pandémie des facteurs liés à la montée des mouvements populistes nationalistes blancs à travers le monde, en particulier pendant l’ère Trump. Ces deux facteurs ont eu une incidence clé et ils sont également mis en parallèle avec la croissance rapide et continue d’Internet dans notre vie quotidienne.
J’allais parler un peu de la direction que nous prenons quant à certaines des recommandations, en particulier en ce qui a trait à la réglementation de la haine en ligne, mais comme je ne veux pas prendre plus de temps que prévu, je vais m’arrêter là et laisser place aux questions. Merci.
La présidente : Merci beaucoup. Madame Singh, vous avez la parole.
Rachna Singh, députée, Surrey-Green Timbers, secrétaire parlementaire pour les initiatives de lutte contre le racisme, à titre personnel : Merci beaucoup. Je remercie sincèrement le comité de m’avoir invitée à témoigner à ce propos.
La présidente : Oh, pouvez-vous mettre votre microphone?
Mme Singh : Je ne le savais pas. D’accord, je vais recommencer.
Merci beaucoup, madame la présidente, et merci au comité. C’est un grand honneur pour moi d’être ici en tant que témoin dans le cadre de cette audience publique très importante pour lutter contre l’islamophobie, et je tiens à remercier également la commissaire Govender de son témoignage.
Je tiens à mon tour à reconnaître humblement que je me joins à vous sur les territoires non cédés et ancestraux des nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh.
La dernière décennie a été particulièrement difficile pour les musulmans du Canada, décennie qui a été ponctuée d’actes répétés de violence islamophobe. On pense notamment à l’attaque mortelle perpétrée contre une famille de cinq personnes à London, en Ontario, en 2021, et avant cela, à un drame similaire qui s’est produit dans la ville de Québec.
Cette année, Statistique Canada a signalé une hausse spectaculaire de la haine antimusulmane, avec une augmentation de 71 % des crimes haineux contre les musulmans en 2021 par rapport à 2020. Il ne s’agit pas de simples chiffres; c’est un signal d’alarme qui nous invite tous à faire davantage pour lutter contre la suprématie blanche. Les membres de la communauté musulmane font l’expérience de la haine et de la violence au quotidien, comme en témoignent les informations selon lesquelles des femmes ont été attaquées parce qu’elles portaient un hijab et les graphiques antimusulmans qu’ont a vu affichés à plusieurs endroits, y compris dans ma ville natale de Surrey. Je sais que mes amis et voisins musulmans se posent des questions sur leur sécurité, même lorsqu’il ne s’agit que de faire une marche.
La lutte contre la haine antimusulmane et le racisme systémique exige un engagement sans relâche de tous les ordres de gouvernement, et c’est un défi que nous sommes tous résolus à relever. Aujourd’hui, j’ai le privilège d’écouter un si grand nombre d’entre vous, et je suis à jamais reconnaissante de ce que fait la communauté musulmane aujourd’hui pour cerner et identifier les émotions qui sont en jeu afin de mieux nous éduquer.
Le gouvernement de la Colombie-Britannique soutient le gouvernement du Canada dans la création du poste de représentant spécial pour la lutte contre l’islamophobie, poste dont le titulaire agira à titre de conseiller et d’expert pour renforcer les efforts de lutte contre l’islamophobie et éliminer les obstacles auxquels les communautés musulmanes doivent faire face. En juin dernier, la Colombie-Britannique a adopté la Loi portant sur les données contre le racisme, un outil important qui nous permettra de recueillir des données intersectionnelles essentielles pour aider à exposer les lacunes et les inégalités qui existent dans la façon dont le gouvernement offre ses programmes et ses services. Cela nous aidera à bâtir une province équitable et inclusive où nous pourrons offrir de meilleurs résultats aux personnes qui dépendent de ces programmes et services. Par exemple, une fois que cette loi sera mise en œuvre, nous serons en mesure de cerner la façon dont les femmes musulmanes portant un hijab « vivent » notre système de santé, et d’établir si nos enfants musulmans se sentent en sécurité dans nos écoles. Je tiens vraiment à remercier la commissaire de ses conseils en la matière et du soutien qu’elle a témoigné à l’égard de notre Loi portant sur les données contre le racisme.
La province continuera de s’engager auprès des peuples autochtones, des communautés racisées et des groupes confessionnels afin d’étayer ces mesures législatives clés qui visent à éliminer les barrières structurelles rémanentes. Bien que nous nous efforcions de résoudre des problèmes systémiques de longue date, nous savons que les communautés victimes de haine et de violence raciale ne peuvent pas attendre. Actuellement, nous sondons certaines options qui pourraient nous permettre de dissuader les groupes haineux de s’enregistrer en tant que sociétés en Colombie-Britannique.
Nous avons financé la Foundation for a Path Forward, un organisme dirigé par des musulmans dont la fonction est d’interpeller les communautés religieuses de la province de la Colombie-Britannique. La Foundation for a Path Forward s’est efforcée de sensibiliser le public à l’islamophobie par l’éducation et la mobilisation, entre autres en procédant à des tournées-spectacles, des émissions et des échanges interconfessionnels dans plusieurs lieux de culte de la Colombie-Britannique afin de faciliter la compréhension. L’organisme invite également les membres des communautés confessionnelles et racisées à lutter contre l’exclusion et la discrimination.
Nous savons que l’éducation joue un rôle clé lorsqu’il s’agit d’enseigner à nos enfants l’histoire coloniale de la Colombie-Britannique et de braquer les projecteurs sur les histoires des musulmans locaux et les racines de l’islamophobie.
Bien que le programme scolaire actuel comprenne des sujets liés à l’islamophobie, nous reconnaissons la nécessité de mener un examen plus approfondi et une réforme du programme portant sur l’islam et les musulmans, et de développer des ressources qui fournissent des renseignements sur les identités musulmanes.
Le ministère de l’Éducation est également en train de créer un plan d’action contre le racisme qui ira de la maternelle à la 12e année afin de donner aux élèves et au personnel des conseils sur la façon de réagir aux manifestations de haine et de racisme.
Il est important que nous unissions nos voix pour être solidaires face à l’islamophobie et la haine antimusulmane sous toutes ses formes. Plus encore, il est de toute évidence nécessaire de relever les défis qui se présentent à nous. Nous poursuivrons notre travail pour créer une province où chacun est en sécurité et traité avec gentillesse, dignité et respect.
Je vous remercie encore une fois et j’ai hâte de répondre à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup.
Nous allons maintenant nous tourner vers les sénateurs pour leurs questions, en commençant par la sénatrice Jaffer.
La sénatrice Jaffer : Merci, madame la présidente. Et merci à vous deux de votre présentation, mais avant tout, il convient de souligner qu’il n’y a pas deux femmes plus occupées que vous deux. Merci beaucoup d’avoir pris le temps de venir ici. Je vous en suis très reconnaissante.
Madame la commissaire, ma première question s’adresse à vous. Lorsque j’ai lu vos recommandations, j’ai été interloquée par la deuxième, où on disait que certains peuvent craindre que la réglementation des espaces en ligne porte atteinte à la liberté d’expression, alors que les personnes marginalisées, elles, sont réduites au silence. Qu’une commissaire dise cela — une commissaire aux droits de la personne —, c’est très fort. Je ne parle pas de la partie technique, mais de ce qui, selon vous, devrait figurer dans la loi, car chaque fois qu’il est question de mesures législatives sur l’activité en ligne, on entend beaucoup de gens réclamer de ne pas leur enlever leurs droits. C’est pour cette raison que lorsque je vous ai lue, je me suis dit que c’était la bonne chose à dire. J’ai été contente que vous le disiez. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
Mme Govender : Je vous remercie de votre question.
Oui. Donc, l’élément que je n’ai pas abordé est ce que je pense être le point de départ de notre conversation sur la haine en ligne. Comme — je suis sûr que c’est évident —, notre enquête est publique, j’ai un mandat provincial à remplir en vertu de la loi provinciale. L’enquête publique sera donc principalement axée sur la formulation de recommandations provinciales. Mais je suis sûre que nous avons un intérêt commun en ce qui concerne la façon de bien réglementer l’espace cybernétique à tous les ordres de gouvernement, le cas échéant.
Je pense que le point de départ à cet égard consiste à comprendre que la liberté d’expression — et la mesure dans laquelle nous sommes justifiés de la circonscrire, compte tenu des limites prévues dans notre structure constitutionnelle — n’est pas le seul droit de la personne en jeu; il y a aussi d’autres questions importantes concernant les droits de la personne et, plus particulièrement, le droit d’expression qui sont en jeu.
Donc, s’il y a des espaces cybernétiques haineux, et c’est le cas, les plateformes de médias sociaux en général, mais certaines d’entre elles plus que d’autres ont la réputation de créer des milieux où la haine peut être partagée et parfois amplifiée. Cela réduit au silence de nombreuses personnes. Et cela signifie, en fait, que notre justification concernant la liberté d’expression — vous savez, selon laquelle si nous diffusons les discours, ils disparaîtront, le soleil étant le meilleur désinfectant — n’est pas tout à fait valide dans un contexte où il n’y a pas de débat sain, parce que l’autre moitié des intervenants, c’est-à-dire les personnes dont les droits sont bafoués, ne sont pas assez en sécurité pour s’exprimer librement et représenter la contrepartie. Je pense que c’est là un point de départ important pour réfléchir au contenu de la mesure législative.
J’espère que notre approche relative à la haine en ligne, quelle que soit la forme qu’elle prend et quel que soit l’ordre de gouvernement concerné, reconnaît explicitement les droits de la personne qui sont en jeu lorsque nous permettons aux discours haineux de se multiplier, lorsque nous n’exigeons pas de transparence de la part des entreprises de médias sociaux afin qu’elles indiquent la façon dont elles gèrent les commentaires haineux, les mesures qu’elles prennent réellement dans ces circonstances et la façon dont elles encouragent les opinions haineuses. L’autre fait que nous avons appris au cours de notre enquête et, en particulier, grâce au document sur la haine en ligne que nous avons commandé, c’est que ces espaces cybernétiques ne sont pas des espaces neutres où tous peuvent apporter une contribution. En fait, la haine est encouragée par l’utilisation d’algorithmes dans les espaces cybernétiques, ce qui signifie qu’un plus grand nombre de personnes sont exposées à cette haine et, par conséquent, un plus grand nombre de personnes sont réduites au silence dans le cadre de ce processus.
La sénatrice Jaffer : Merci, commissaire.
Je voulais vous poser une question, madame Singh. Mes collègues ont peut-être un autre point de vue à ce sujet, mais j’essaie de déchiffrer ce que nous avons entendu hier et aujourd’hui, et cela me ramène en quelque sorte à la question du racisme et de la discrimination. Vous savez, on peut appeler cela comme on veut. On peut qualifier cela de discours contre les femmes, contre ceci ou contre cela. En ce qui me concerne, cela se résume au racisme, et donc je me demandais — et il s’agit d’une grosse demande — si vous offrez un programme qui vise tous les types de racisme, puis un programme particulier qui cible l’islamophobie.
Mme Singh : Ce que nous observons, surtout à l’encontre de la communauté musulmane, ce sont [Difficultés techniques].
Quand nous parlons de racisme, c’est ce qu’affronte chaque communauté. N’est-ce pas? L’islamophobie n’est qu’une des formes de racisme que nous observons non seulement au Canada, mais aussi dans le monde entier. Mais ce que nous avons vu nos communautés asiatiques subir à la suite de la pandémie de COVID, c’était du racisme — quel que soit le nom que vous voulez donner à ce comportement.
En tant que membres du gouvernement, nous nous sommes engagés à lutter contre le racisme, et je pense qu’avec la création de mon poste de secrétaire parlementaire responsable de la lutte contre le racisme, nous nous attaquons de front à ce problème. Nous ne cherchons pas à le dissimuler en le qualifiant de multiculturalisme, car nous avons fait cela pendant trop longtemps. Nous avons toujours soutenu que le Canada était un pays tellement multiculturel et tellement diversifié. Notre pays est différent des États-Unis.
Mais ce que nous vivons ici — et j’ai eu l’occasion de parler à un si grand nombre de membres des communautés et d’entendre leurs histoires, en particulier dans le cadre de mon rôle de secrétaire parlementaire —, est lié au fait que nous avons tenté d’éviter d’aborder le problème profondément enraciné du racisme.
En ce qui concerne l’alimentation, je dis toujours qu’il faut manger du poulet au beurre et des samosas, participer à tous les rassemblements, comme l’Eid, Diwali, et cetera. C’est vraiment important, et les plats sont très bons. Je pense que le Canada — non seulement le Canada, mais aussi ma province — a très bien réussi dans ce domaine. Mais lorsqu’il s’agit de nous attaquer à la question profondément enracinée du racisme, nous tentons d’éviter de le faire.
Il est donc très important de prononcer le mot « racisme », d’en parler, puis d’élaborer des plans d’action concrets. C’est ce que le gouvernement s’est engagé à faire, par l’intermédiaire de mon poste et de la mesure législative que nous présentons. Nous inscrivons plus précisément dans ce texte le mot « antiracisme ». Et quand nous parlons d’antiracisme, nous considérons l’intersectionnalité. Nous examinons la question sous l’angle de l’intersectionnalité. Lorsque nous parlons de racisme, comme la façon dont les communautés les plus marginalisées, les plus vulnérables — qu’il s’agisse de femmes, de personnes handicapées, de personnes âgées, de personnes appartenant aux communautés LBGTQ+ —, vivent leurs expériences, nous prenons cela en considération, mais nous le faisons dans le contexte plus large du racisme.
La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup. Merci, madame la présidente. Passons à la deuxième série de questions.
La présidente : Merci.
La sénatrice Martin sera suivie de la sénatrice Busson.
La sénatrice Martin : Merci, madame la présidente. Je remercie également nos témoins des idées et des compétences dont ils nous font part aujourd’hui.
J’adresse ma question à Mme Singh, et j’ai pris note de vos propos en matière d’éducation. En tant qu’ancienne éducatrice, je sais que nous, les enseignants, avons un rôle vraiment important à jouer dans l’éducation actuelle de nos enfants en vue d’apporter des changements générationnels. Ainsi, lorsque vous avez parlé de la réforme des programmes d’études, qui, je le sais, exige beaucoup de volonté politique et de temps, vous avez mentionné le plan d’action visant les élèves allant de la maternelle à la 12e année. Je souhaitais que vous vous étendiez un peu plus sur ce sujet. J’aimerais savoir dans quelle mesure vos initiatives sont concrètes en ce qui concerne la réforme des programmes d’études, à quelle étape en est l’ajout de ces éléments aux programmes? J’aimerais en savoir davantage sur les sujets que vous avez abordés au cours de votre déclaration.
Mme Singh : Merci beaucoup.
Comme vous l’avez indiqué, cette tâche est très difficile, et la modification des programmes d’études est un long processus, mais je suis vraiment heureuse de la détermination de notre gouvernement à cet égard. J’aimerais que ma collègue, la ministre de l’Éducation, participe également à votre réunion. Elle est une alliée de poids dans notre travail.
Avant qu’elle n’entre en fonction, la ministre de l’Éducation et même le ministre précédent ont organisé régulièrement des tables rondes portant sur la lutte contre le racisme en collaboration avec les éducateurs de la Colombie-Britannique. Nous avons déjà eu deux tables rondes avec des éducateurs, des enseignants, des membres du personnel et des élèves, juste pour déterminer les expériences qu’ils ont vécues, ainsi que les recommandations qu’ils aimeraient que le gouvernement fasse et les changements qu’ils aimeraient que le gouvernement apporte.
Notre loi sur les données relatives à la lutte contre le racisme est également un moyen de lutter contre le racisme dans notre système d’éducation. À l’heure actuelle, nous ne sommes pas en mesure de recueillir des données sur les expériences que vivent les élèves, le personnel et les communautés racisées — qu’il s’agisse d’Autochtones, de Noirs ou d’autres communautés racisées — au sein du système d’éducation. L’éducation est l’un des secteurs clés sur lesquels nous concentrerons nos efforts dans le cadre de la mise en œuvre de notre loi sur les données relatives à la lutte contre le racisme. Avec un peu de chance, d’ici l’année prochaine, nous disposerons des chiffres nécessaires pour déterminer les types de racisme d’obstacles et de lacunes qui existent, et pour élaborer par la suite la politique requise — qui décrirait, par exemple, la façon de combler ces lacunes et d’éliminer ces obstacles.
Voilà le travail qui relève de mon portefeuille, mais le ministère de l’Éducation... Je ne connais pas les particularités des types de changements qui seront apportés aux programmes, mais les responsables travaillent très étroitement avec les partenaires du milieu de l’éducation en vue d’apporter ces changements.
La sénatrice Martin : Une sorte de question a découlé de ce que vous venez de dire.
La collecte de données est un peu un défi, n’est-ce pas? J’adresse peut-être ma question à la commissaire. Je m’interroge sur l’exactitude des données dont nous disposons à l’heure actuelle, et sur ce que nous pouvons faire pour nous assurer que nous disposons de données exactes?
Mme Govender : Je vous remercie de votre question. Comme vous l’avez entendu dire un peu au sujet...
La présidente : Veuillez porter votre microphone.
Mme Govender : Désolée.
C’est un dossier sur lequel le gouvernement provincial a beaucoup travaillé. Mais avant cela, mon bureau s’employait de façon plus générale à recueillir des données démographiques qui peuvent être utilisées pour créer des politiques qui favorisent l’atteinte d’objectifs en matière d’égalité réelle au lieu de la compromettre.
En réponse aux demandes de conseils à ce sujet présentées par le premier ministre, mon bureau a produit un rapport intitulé Disaggregated demographic data collection in British Columbia: The grandmother perspective. Le rapport, qui est fondé sur les recherches et les consultations que nous avons menées, expose les moyens de le faire, c’est-à-dire les façons de collecter des données démographiques qui ne perpétuent pas les préjudices, mais pas les questions à poser sur les formulaires ou des détails de ce genre.
La question de l’exactitude est très importante, et même avant d’atteindre cette exactitude, nous devons nous demander si nous causons du tort aux gens lorsque nous recueillons ces données. Je pense qu’en fin de compte, nous avons besoin de très bonnes données pour élaborer de bonnes politiques et de bonnes lois, mais nous recueillons parfois des données surtout du point de vue d’un grand frère. La notion de « perspective d’une grand-mère » nous a été proposée par une avocate de la nation Ktunaxa appelée Gwen Phillips. Elle a parlé du rôle que le gouvernement joue dans la collecte de données, non pas en tant que grand frère ou dans le but de recueillir des renseignements sur les citoyens, mais plutôt dans celui de prendre soin d’eux et de créer de bonnes politiques publiques qui amélioreraient réellement la vie des gens, de la même manière qu’une grand-mère collecterait des données ou des renseignements sur sa famille pour mieux en prendre soin.
Nous avons utilisé ce cadre pour élaborer les grandes lignes d’une structure législative que le gouvernement a finalement transformée en loi. Un élément clé de cette structure était la mise en place d’un comité consultatif communautaire solide et de partenariats avec les Premières Nations, afin que les données concernent précisément les Premières Nations. Ce n’est pas la conversation que nous avons en ce moment — c’est un peu différent —, mais dans le contexte de l’islamophobie, nous compterions, de manière significative, sur les personnes qui sont touchées par l’islamophobie — sur les dires des chefs de file musulmans et des membres des communautés en ce qui concerne la façon dont ils veulent que ces données soient collectées, stockées et utilisées. Et si nous divulguons ces données, nous ne le faisons pas d’une manière qui perpétue les préjudices. Par exemple, nous ne les divulguons pas d’une manière qui pourrait perpétuer les stéréotypes sur les musulmans, en tant que menaces pour la sécurité.
Comment pouvons-nous utiliser ces renseignements pour soutenir les gens et non pour leur nuire? Il est étonnamment facile, je pense, de publier des données de manière bien intentionnée, mais que ces données soient utilisées par la suite pour perpétuer des préjudices. Je pense donc que c’est le point de départ que nous devrions employer.
Nous disposons maintenant de bonnes données sur la croissance de l’islamophobie provenant de Statistique Canada, et nous venons d’en parler brièvement. Il y a une statistique que j’ai incluse dans mes notes d’allocution, bien que je n’aie pas eu l’occasion d’en parler directement, mais je pense qu’il s’agit d’un exemple important. Il n’est peut-être pas unique, mais c’est un élément particulier lié à l’islamophobie, aux personnes musulmanes qui sont perçues comme une menace pour la sécurité et au sondage de Radio-Canada de 2017 selon lequel 51 % des répondants canadiens estimaient que la présence de musulmans dans leur pays les rendait quelque peu ou très inquiets au sujet de la sécurité. Je pense que nous pouvons prendre de nombreuses mesures pour comprendre que cela fait partie du racisme qui existe au Canada. Ce n’est pas le cas pour toutes les formes de racisme, et je pense qu’il est important de comprendre ce contexte. Je crois que c’est l’une des façons dont des statistiques précises pourraient nous aider.
La sénatrice Martin : Merci.
Mme Govender : Merci.
La présidente : Merci. Sénatrice Busson, la parole est à vous.
La sénatrice Busson : Merci beaucoup, madame la présidente.
J’aimerais adresser mes commentaires et mes questions à la commissaire Govender et la députée Singh. Je tiens à vous remercier toutes les deux de tous les efforts que vous déployez, en vous employant à atteindre le genre d’objectifs et d’égalité que vous défendez ici, en Colombie-Britannique. Étant moi-même une Britanno-Colombienne, je vous suis doublement reconnaissante de votre travail acharné, de vos efforts et des défis que vous devez relever chaque jour.
Il est certain que l’islamophobie et le racisme, en général, sont un fléau dans ma province, tout comme ils sont un fléau au Canada qui doit être cerné à tous les niveaux. Il est intéressant de noter que vous vous êtes toutes deux jointes à nous pour parler des efforts que vous déployez dans les limites de la compétence provinciale, à savoir celle de la Colombie-Britannique, et j’aimerais savoir si chacune d’entre vous a une observation ou une recommandation à formuler au sujet du niveau d’intégration des efforts déployés à l’échelle provinciale et des efforts déployés l’échelle fédérale pour s’attaquer à ce terrible problème. Car qu’il s’agisse de la compétence du gouvernement provincial ou de celle du gouvernement fédéral, nous parlons des mêmes personnes. Ce sont les mêmes personnes qui sont persécutées, qui font l’objet de préjugés et qui vivent dans la peur. Que ce soit du point de vue provincial ou fédéral, les victimes sont les mêmes à un même moment donné.
Je me demande s’il existe un effort coordonné visant à intégrer les types d’interventions que nous avons prévus. Je crois que le multiculturalisme a évolué au fil des ans vers un concept différent et que nous nous dirigeons davantage vers le pluralisme et, espérons-le, vers une inclusion totale, ce qui, à mon sens, serait le but ultime. Je me demande si chacune de vous pourrait me dire ce que vous pensez de mes observations, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.
Mme Govender : Je vais répondre rapidement à cette question. Si je comprends bien votre question, elle porte sur les façons dont les gouvernements fédéral et provinciaux peuvent ou devraient collaborer ou travailler ensemble en matière de compétence.
Je pense que c’est vraiment important, et le domaine des droits de la personne dans les espaces cybernétiques est l’un de ceux dans lequel nous avons déployé quelques efforts. En raison des changements apportés il y a quelques années à la Loi canadienne sur les droits de la personne et de la suppression de l’article qui traitait directement de la haine en ligne et de l’espace cybernétique en particulier, il y a maintenant un certain vide juridique quant à savoir qui est responsable de ces problèmes. Est-ce le système fédéral des droits de la personne ou le système provincial des droits de la personne qui peut traiter des violations des droits de la personne qui se produisent en ligne? Je pense que nos lois doivent rattraper le niveau que nous avons atteint en tant que société. À l’heure actuelle, l’interaction entre nos vies en ligne et nos vies en temps réel est assez fluide.
L’idée d’inscrire la réglementation de toutes les activités en ligne, peu importe les circonstances, dans le champ de compétence fédérale en matière de télécommunications est à la fois dépassée et irréaliste. En fait, il est logique de se pencher davantage sur la substance de ce qui est en cause. S’agit-il d’un acteur fédéral? Si oui, alors il faut recourir à la loi fédérale, et s’il s’agit d’acteurs provinciaux, c’est du ressort provincial. Cependant, le tout devrait se faire sans heurts dans les deux cas. De cette façon, si quelqu’un dépose une plainte relative aux droits de la personne — et nous présenterons probablement cet argument devant le tribunal des droits de la personne à l’automne —, il se peut que la haine subie par cette personne ne soit pas un incident isolé, qu’elle ne se manifeste pas seulement en ligne ou en personne. Encore une fois, la frontière entre les deux est assez poreuse. On publie quelque chose, et on pourrait ensuite l’imprimer; ou encore, on dit quelque chose dans la vraie vie, et on réitère ce qu’on a vu sur les médias sociaux. Ainsi, si vous déposez une plainte, vous devriez être en mesure de régler le problème devant les instances compétentes, de toute façon.
À l’heure actuelle, il existe un véritable vide juridique. Il n’y a pas de loi qui couvre explicitement la haine en ligne. Et je ne parle pas du contexte pénal, mais bien du contexte des droits de la personne. Je pense qu’il s’agit d’un domaine clé que le gouvernement fédéral doit régir, tout en permettant aux provinces d’intervenir également, afin qu’il n’y ait pas d’obstacles pour les plaignants qui tentent de déposer une plainte pour atteinte aux droits de la personne. Je vous remercie.
Mme Singh : Merci beaucoup d’avoir posé cette question.
Il s’agit d’un problème qui ne se limite pas seulement aux provinces ou au gouvernement fédéral. Il faut des efforts menés en collaboration, au-delà des intérêts partisans, peu importe le gouvernement qui arrive au pouvoir. C’est un sujet dont nous devons discuter. Le Canada est un pays magnifique, et la Colombie-Britannique est une province magnifique; ce devrait être le cas pour tout le monde. Il n’y a pas de place pour la discrimination. Or, nous savons que la réalité est bien différente. Nous savons ce que vivent les gens au quotidien.
Je pense que le gouvernement fédéral a pris d’importantes initiatives, en collaboration avec les provinces. J’aimerais vraiment collaborer avec mes partenaires fédéraux et déterminer ce que nous pouvons améliorer en Colombie-Britannique. Cependant, à mon avis, il est important que le gouvernement fédéral se dote d’une loi. Très peu de provinces ont des lois relatives à la lutte contre le racisme. Je sais que l’Ontario en a une. La Nouvelle-Écosse vient d’en adopter une aussi. Pour notre part, nous nous apprêtons à présenter une telle loi l’année prochaine. Toutefois, dans le cas des provinces qui en sont dépourvues, il devrait y avoir une loi qui les sert bien ou qui les appuie et leur permet de travailler en collaboration. Je crois que c’est extrêmement important. Comme vous l’avez dit, cela nous concerne tous.
La sénatrice Busson : Je vous remercie.
La présidente : Sénateur Arnot, aviez-vous des questions à poser?
Le sénateur Arnot : Oui. Je vous remercie.
Cette discussion est fort instructive. J’en suis vraiment content. Je vais poser une question à la commissaire Govender sur les discours haineux, et je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que les discours ont toujours été réglementés, qu’il s’agisse de fraude, de calomnie ou de propos diffamatoires.
Nous devons nous poser une question. Pourquoi les gens ont-ils recours aux discours haineux? Quel en est le but? Quelle en est la motivation? De façon générale, je pense qu’il est très clair que la motivation est d’étouffer tout débat, de marginaliser des gens, de les empêcher de participer au débat. Je suis très curieux de savoir quelles seront les recommandations à ce sujet une fois qu’elles seront formulées, car les mots ont le pouvoir de blesser, de faire honte et de blâmer. Les mots sont puissants. Lorsque les gens utilisent des mots, ils doivent en assumer la responsabilité. C’est, selon moi, une façon d’établir un équilibre et, bien sûr, les gens veulent pouvoir s’exprimer aussi librement que possible, mais il faut vraiment examiner l’intention et le motif qui se cachent derrière les mots. Utiliser des propos haineux comme arme pour étouffer le débat est, en grande partie, contraire aux valeurs de notre société libre et démocratique.
De façon générale, j’aimerais attirer l’attention des deux témoins sur un ensemble de ressources élaborées par la Fondation d’éducation à la citoyenneté Concentus. Ces ressources ont été mises au point en Saskatchewan. Elles ont été adaptées au programme scolaire de la Saskatchewan et, maintenant, à celui de l’Ontario. À mon sens, il n’est pas nécessaire de modifier les programmes scolaires, en raison de leur vaste portée dans l’ensemble du Canada. À vrai dire, la plupart des provinces et des territoires offrent des programmes très similaires, mais ce sont les ressources contenues dans ces programmes qui sont vraiment importantes.
On a créé ces ressources en Saskatchewan pour répondre à la question suivante : que signifie être un citoyen canadien? Quels sont les droits inhérents à la citoyenneté? Mais plus important encore, quelles sont les responsabilités qui accompagnent ces droits, et comment instaurer et maintenir le respect pour tous les citoyens, sans exception? Pourquoi? Parce que chaque citoyen canadien mérite une considération morale égale. Nous sommes tous égaux, et nous devons être traités comme tels dans la pratique. Pourtant, ce n’est pas ce qui se passe. Ces ressources portent justement sur les droits, la responsabilité et le respect.
Voilà les piliers qu’il faut laisser intacts, et je pense que nous devons reconnaître le pouvoir de l’éducation et le fait que les enseignants sont des agents du changement. Ils ont la capacité de façonner la société de demain, de donner aux élèves les outils dont ils ont besoin pour créer la société dans laquelle ils souhaitent vivre. Ces ressources ne visent pas à leur apprendre quoi penser, mais plutôt comment penser. Il s’agit de compétences liées à la pensée critique. C’est ce qui est encouragé. Bref, sachez que ces ressources sont disponibles.
On y aborde également les cinq compétences essentielles de la citoyenneté canadienne, ce que j’appelle les « cinq E ». L’objectif est de faire en sorte que tous les élèves qui terminent leur 12e année puissent être éclairés, éthiques, engagés, efficaces et, surtout, empathiques afin de pouvoir comprendre le point de vue des autres et de voir comment cela peut aider à bâtir le genre de société à laquelle ils aspirent.
Dans ce contexte, je dirais que nous devons vraiment changer le paradigme en matière d’enseignement, c’est-à-dire la mentalité dans les salles de classe et dans les écoles, si nous tenons à voir un changement de mentalité au sein de la collectivité. C’est à cela qu’il faut consacrer une bonne partie de notre énergie. Je vous invite à consulter ces ressources, commissaire Govender, dans le cadre de vos fonctions à la commission des droits de la personne. Je voulais les porter à votre attention, surtout en ce qui vous concerne, madame Singh, puisque vous êtes une députée provinciale et une bonne amie de la ministre de l’Éducation. J’ai déjà participé de très près aux activités de Concentus. Je n’y participe plus, mais les représentants de cet organisme seraient tout à fait disposés à venir en Colombie-Britannique pour vous présenter le travail qui a été accompli dans leur région et pour voir s’il serait possible de l’adapter à la situation de la Colombie-Britannique.
Ces ressources sont conçues pour être transférables à d’autres provinces et territoires parce qu’elles portent sur ce que cela signifie que d’être canadien. C’est l’idée que nous vivons dans un Canada multiculturel et multiconfessionnel. Il s’agit d’un pays très pluraliste. Nous représentons le modèle de pluralisme le plus réussi que le monde ait jamais connu, mais il y a une fragilité inhérente qui est directement liée aux connaissances, à la compréhension et à l’engagement de tous les Canadiens à l’égard de notre société pluraliste.
Malheureusement, selon certains sondages menés par Ipsos, cet engagement n’est pas aussi fort qu’il devrait l’être. À mon avis, certaines des situations que nous observons témoignent de l’incapacité des éducateurs et des systèmes d’éducation au Canada à renforcer le pluralisme auquel nous adhérons. C’est certes un élément qui différencie le Canada de tous les autres pays du monde, mais nous ne parvenons pas à y investir comme nous le devrions.
Je vous recommande ces ressources et je vous invite à nous faire part de vos observations, car je crois que l’éducation est, tout compte fait, le domaine où vous en obtiendrez le plus pour votre argent et où vous aurez les meilleures chances d’apporter de véritables changements dans la collectivité, car les jeunes comprennent très bien l’équité. Il s’agit vraiment de cultiver le respect envers tous les citoyens, sans exception. Ce principe doit être enseigné de manière explicite, intentionnelle, ciblée et séquentielle, et c’est pourquoi un programme scolaire de la maternelle à la 12e année peut s’avérer efficace à cet égard.
Je vous invite donc à répondre à ma question.
Mme Singh : J’espère que cela fonctionne. D’accord. Merci beaucoup, sénateur. Je suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que l’éducation est la clé lorsque nous parlons de toute forme de ressources contre le racisme. L’éducation est le premier pilier que nous devrions envisager.
La présidente : Votre microphone.
Mme Singh : Il s’est éteint. C’est un peu différent à l’Assemblée législative. Le problème persiste.
J’en suis désolée.
C’est justement ce que nous cherchions à établir dans le cadre des tables rondes sur la lutte contre le racisme, dont j’ai parlé. De tels efforts sont déjà déployés dans certaines administrations. Il y a des éducateurs qui se tiennent au fait de ces questions, qui utilisent ces compétences, ces types de ressources pour essayer de guider leurs élèves, mais nous voulons vraiment améliorer le tout, et c’est le message qui est ressorti des tables rondes, en particulier grâce aux cours de perfectionnement professionnel qui sont élaborés par les districts scolaires. À l’instar du ministère de l’Éducation, nous encourageons les enseignants à suivre ces cours afin d’être en mesure de fournir ces ressources aux élèves.
Nous avons récemment annoncé — et nous en sommes très heureux, tout comme la commissaire Govender, j’en suis sûre — une nouvelle exigence pour l’obtention du diplôme. En effet, nous venons d’ajouter les études autochtones à nos exigences pour l’obtention du diplôme. Ainsi, à partir de l’année scolaire prochaine, les élèves devront satisfaire à cette exigence. Ils doivent suivre un cours sur les peuples autochtones et les terres sur lesquelles nous nous trouvons. Il est très important que nos enfants apprennent l’histoire des Autochtones et soient au courant des traumatismes que ceux-ci ont vécus et de tout ce qu’ils ont subi. Il faut absolument leur inculquer ces connaissances.
Par ailleurs, il est très important de leur faire connaître le vécu et l’histoire des autres communautés, qu’il s’agisse du Komagata Maru, de la taxe d’entrée imposée aux Chinois ou de l’internement des Japonais — bref, tous ces épisodes de l’histoire coloniale. Je pense que nos enfants devraient en être très conscients, et cette empathie que vous avez évoquée est essentielle pour devenir un bon citoyen du Canada et de la Colombie-Britannique et, en somme, un bon être humain.
Le sénateur Arnot : Je tiens seulement à dire que la Commission des droits de la personne de la Saskatchewan a fait un travail de sensibilisation auprès des élèves du secondaire de la province sur la question du racisme, et les réponses ont mis en évidence un thème très clair et concis : finies les excuses. Nous voulons des gestes concrets. Je veux donc qu’on agisse. Je suis sûr que c’est ce que vous voulez, vous aussi. Or, toute mesure doit s’appuyer sur des ressources efficaces et fiables afin qu’on puisse obtenir, au bout du compte, le résultat souhaité.
En tout cas, je vous remercie beaucoup de vos conseils. Merci.
Mme Govender : Je vous remercie de vos observations et de vos questions. Je voudrais simplement ajouter quelques points supplémentaires. Notre mandat législatif comprend un volet éducatif, mais c’est distinct des volets de la maternelle à la 12e année, dont on vient de parler. Nous avons élaboré un certain nombre de ressources sur les droits de la personne en général, ainsi que sur le racisme et les discours haineux en particulier. Nous avons publié un document de questions et réponses sur les différents recours juridiques contre les discours haineux, car nous avons remarqué qu’il y a souvent des malentendus entre les définitions de discours haineux en droit pénal et celles en matière de droits de la personne. Voilà qui peut influer grandement sur la façon dont les gens comprennent ces notions et en parlent, et même sur la couverture médiatique des discours et des crimes haineux, ce qui donne lieu à des discussions très générales. Nous avons donc produit certains de ces documents, mais je vous remercie de nous avoir fait part des autres ressources.
Je voulais mentionner un point, si vous le permettez, car cela rejoint une question posée tout à l’heure sur les champs de compétence. Il y a la loi sur les données, dont nous avons parlé, mais à l’heure actuelle, cette mesure législative génère plus de paroles que de gestes concrets. Toutefois, comme nous l’avons dit, il est nécessaire de poser des gestes concrets. À mon avis, il est vraiment important de coordonner ce genre de loi sur les données, et j’aimerais beaucoup que le gouvernement fédéral l’élabore en collaboration avec les provinces. De nombreuses provinces l’ont déjà fait. J’irais même jusqu’à dire que la Colombie-Britannique est probablement la province qui va le plus loin dans ce qu’elle prescrit et ce qu’elle exige, en particulier compte tenu de son approche axée sur la communauté, de sorte que les données soient encadrées d’une manière qui fonctionne à l’échelle communautaire. J’aimerais vraiment que le gouvernement fédéral intervienne également dans ce domaine.
Je reviens donc à votre première observation, à laquelle je souscris entièrement. Les discours haineux visent souvent à étouffer la parole des personnes marginalisées. Cela me rappelle également une question posée par la sénatrice Jaffer sur le même sujet, à savoir la nécessité de comprendre le principe d’égalité réelle. Si nous comprenons comment ces enjeux touchent tout le monde et que nous avons l’obligation constitutionnelle de protéger l’égalité réelle, j’estime, en ma qualité d’ancienne avocate de droit constitutionnel, que c’est là une exigence proactive. Il ne s’agit pas simplement d’empêcher l’inégalité de se produire, mais de promouvoir activement l’égalité réelle. Je pense que c’est là que nous pouvons en quelque sorte encadrer la discussion. La liberté d’expression est un droit protégé par la Constitution, avec des limites, et l’égalité réelle l’est aussi.
En tant que commissaire aux droits de la personne, j’examine tous nos droits sous cet angle. J’estime que le principe d’égalité réelle est au cœur même de ce que nous entendons par « dignité humaine » et « droit de la personne », et nous nous en servons comme point de départ. Merci.
Le sénateur Arnot : J’ai une question complémentaire. Dans le cadre de votre mandat de sensibilisation auprès de la population — et nous en avons déjà entendu parler un peu —, comment vous y prenez-vous pour sensibiliser la cohorte des adultes, et quels sont, selon vous, les meilleurs mécanismes, les meilleurs médias, les meilleurs outils, pour pouvoir atteindre ce groupe? Je me demande simplement ce que vous en pensez. Quels sont vos meilleurs conseils quant à une approche ou une recommandation que notre comité pourrait élaborer pour assurer une solide campagne de sensibilisation auprès des adultes?
Mme Govender : Permettez-moi de vous revenir au sujet des recommandations que pourrait faire le comité.
En ce qui a trait à notre approche en matière d’éducation des adultes, nous avons une équipe d’enseignants qui travaillent à notre bureau, mais nous allons encore plus loin. Nous avons préparé du matériel pédagogique spécifique, mais pour cela, il faut déjà avoir un certain niveau d’adhésion. Il faut visiter un site Web ou s’inscrire à un atelier. Il y a déjà un certain intérêt. Nous tentons de tenir une campagne annuelle... une campagne d’intérêt public ou de sensibilisation de la population. Nous en avons fait une et nous lancerons la deuxième sous peu. La première visait la lutte contre le racisme.
Nous avons posé une question en deux parties. Notre campagne était affichée sur les panneaux, les abribus et les autobus. La première question était : « Est-ce que je suis raciste? » C’était écrit en grands caractères gras. Quelques semaines plus tard, on posait une deuxième question — je ne me souviens pas des mots exacts utilisés — du genre : « Si je ne reconnais pas l’importance d’en apprendre plus au sujet de l’histoire du racisme, est-ce que je suis raciste? Si je dis que je ne vois pas les couleurs, est-ce que je suis raciste? » On remettait en question quelques présomptions présentes au sein de la population. C’était une façon de sensibiliser les gens qui ne le sont pas déjà, en présentant un message très direct.
Nous avons une imposante équipe de communications. Nous faisons un travail dans les médias et auprès de la population; il s’agit d’une décision stratégique en vue de réaliser notre mandat en matière d’éducation. Nous avons obtenu de bons résultats. Nous avons eu des milliers de mentions dans les médias au cours des trois dernières années. Nous sommes heureux de voir le niveau d’engagement de la population. Nous réalisons aussi des sondages annuels pour mesurer les progrès au fil du temps. Nous sommes en activité depuis seulement trois ans; nous n’en sommes donc pas encore à l’étape de suivre les progrès. Nous n’avons pas encore pu constater l’ampleur des changements, mais nous tentons d’effectuer un suivi pour voir ce qui est efficace et évaluer les stratégies.
Le sénateur Arnot : J’allais vous poser une question au sujet de la mesure de ces approches. Il serait bien de savoir si le programme est une réussite et si le recours aux médias est efficace pour changer les mentalités.
La présidente : Je demanderais à la témoin de répondre très rapidement; un autre sénateur souhaite poser des questions.
Mme Govender : L’évaluation est en cours et nous allons tenter de mesurer les effets au fil du temps. Nous réalisons un projet à cet égard.
Le projet examine le fondement des normes en matière des droits de la personne dans l’ensemble de la province afin de les mesurer au fil du temps. Nous réalisons des sondages annuels et avons aussi d’autres mécanismes d’évaluation.
Le sénateur Arnot : Merci.
La présidente : Merci. J’aimerais vous poser une question, rapidement.
Hier, nous avons visité une mosquée et nous avons appris que le taux d’incidents à caractère islamophobe de la Colombie-Britannique était le plus élevé au pays, ce qui m’a surprise. Pouvez-vous nous en parler? Nous avons été très impressionnés par les témoignages des femmes que nous avons entendues. Nous savons que lorsqu’il est question d’islamophobie, les femmes sont au premier plan parce qu’elles portent le hijab et sont plus visibles. Il y a eu des incidents à Edmonton et à Québec, partout. Avez-vous étudié la question de l’islamophobie fondée sur le sexe? J’aimerais aussi vous entendre au sujet de l’augmentation du nombre d’incidents à caractère islamophobe en Colombie-Britannique. Qu’est-ce qui explique une telle augmentation?
Mme Singh : Il est très difficile de déterminer la cause de cela, madame la sénatrice. C’est très difficile et c’est très triste de voir ces statistiques sur la Colombie-Britannique, de voir la montée de la violence, sous toutes ses formes. Pendant la pandémie de COVID, la haine envers les personnes asiatiques était très importante également. Nous savons que lorsqu’il y a une catastrophe ou une situation particulière, les communautés les plus vulnérables et les plus marginalisées deviennent toujours la cible.
C’est pourquoi nous nous sommes centrés sur l’intersectionnalité lorsque nous avons élaboré notre loi sur les données relatives à la lutte contre le racisme.
Je tiens à remercier la commissaire Govender pour ses commentaires et ses conseils. Dans le cadre de notre étude sur l’islamophobie axée sur le sexe et sur la discrimination des femmes qui portent le hijab — qui sont les plus ciblées par la haine, plus que la communauté musulmane de façon générale —, il est très important de tenir compte des facteurs intersectoriels.
Je crois que c’est parce que ces femmes se montrent au grand jour. En me regardant, vous ne pouvez pas savoir si je suis musulmane, quelle est ma religion. Mais les femmes qui portent le hijab ont un signe visible.
J’aimerais vous parler de l’une de nos fiertés. Lorsque nous avons tenu nos consultations au sujet de la Loi sur les données relatives à la lutte contre le racisme, nous avons pris en compte de nombreuses communautés, plusieurs communautés musulmanes, et surtout des groupes de femmes. Elles étaient nos partenaires dans le cadre de ces consultations et de l’élaboration de notre enquête au sujet de la loi. Pour la première fois de l’histoire de la Colombie-Britannique, nous avons réalisé une enquête sur les signes visibles de la religion — comme le hijab ou le turban — à titre de forme de discrimination. Nous n’avions jamais utilisé ces signes pour la collecte de données auparavant. C’est la première fois que nous l’avons fait.
Il est toutefois difficile de déterminer la cause profonde de cette forme de discrimination. La commissaire a peut-être une meilleure idée que moi à ce sujet?
Mme Govender : J’aimerais avoir une meilleure réponse à vous offrir. Je crois qu’il est utile de savoir que les problèmes en matière de droits de la personne que l’on connaît en Colombie-Britannique sont parmi les pires aux pays. Nous avons aussi des chiffres plus réjouissants, mais vous savez que nous avons le code postal le plus pauvre du pays. Nous affichons les plus hauts taux de femmes disparues et assassinées au pays également. Les problèmes en matière de droits de la personne sont imposants. Nous avons aussi les plus ardents défenseurs des droits de la personne au pays, avec l’Ontario. Je ne parle pas ici des cas portés devant la Commission des droits de la personne, mais bien de ceux qui font l’objet d’un litige dans le système judiciaire. Un nombre disproportionné de cas proviennent de la Colombie-Britannique. Nous avons donc les deux côtés de la médaille. J’espère que cela vous est utile.
Je voulais aussi vous parler de l’intersectionnalité que vous avez évoquée, et qui est très importante à mon avis. Je n’ai pas de statistiques à vous montrer, mais lorsque je me préparais à témoigner devant vous aujourd’hui, j’ai lu un article au sujet de la montée de la violence contre les femmes musulmanes noires en particulier au Canada. Ainsi, l’intersectionnalité ne se limite pas à la foi et au sexe; elle va au-delà de cela. Nous savons que la marginalisation et la violence ne sont pas seulement une addition de chaque facteur d’identité, mais la violence intersectionnelle est associée à un certain élément cumulatif. Il n’est donc pas surprenant que les signes de religions soient les plus évidents, mais les femmes sont victimes de harcèlement et de discrimination en fonction de leur genre.
Je vous encouragerais fortement, dans le cadre de vos recommandations — et je comprends d’après vos questions que vous y songez — à recueillir les données de manière à ne pas accorder la priorité aux initiatives de lutte contre le racisme plutôt qu’à celles qui luttent contre d’autres formes de discrimination, à pouvoir produire des données intersectionnelles et à pouvoir les utiliser de façon croisée. On peut poser ces questions, mais si l’on ne crée pas un système qui permet de voir ces intersections, alors on ne peut pas l’utiliser. On peut dire que l’on recueille des renseignements sur les incapacités, sur le sexe et sur la race, mais si l’on ne pense pas de manière proactive dès le début du processus à recueillir des données démographiques désagrégées d’un point de vue intersectionnel, alors on risque de renforcer une forme de discrimination associée aux hommes ou aux personnes blanches en bonne santé physique, ce qui peut être très problématique.
La présidente : Merci.
Sénatrice Jaffer, je vous cède la parole. Il nous reste quatre minutes. Je vous prie d’en tenir compte. Vous pouvez poser une question, et nous entendrons la réponse. Merci.
La sénatrice Jaffer : Ma question sera brève, mais il vous faudra peut-être y réfléchir. Vous pouvez le faire et transmettre votre réponse au greffier du comité.
Hier, nous avons entendu parler de l’islamophobie axée sur le sexe et je me demande si vous en êtes la cible — ou si vous êtes victimes d’islamophobie de manière générale — dans le cadre de votre travail. La raison pour laquelle je vous pose la question... Je n’ai pas besoin de vous le dire. Vous savez que ce n’est pas la même chose. Avez-vous des commentaires à faire à ce sujet? Madame la commissaire, pour commencer?
Mme Govender : Oui, tout à fait, les deux. En ce qui a trait aux mesures législatives sur les données, nous avons défendu l’approche intersectionnelle avec ardeur. Bien que je croie qu’il est très important de se centrer sur la lutte contre le racisme, nous avons recommandé que la loi sur les données relatives à la lutte contre la discrimination soit pleinement intersectionnelle. C’est là-dessus que nous nous sommes attardés.
L’enquête sur la haine est celle qui se centrait le plus sur l’islamophobie. Nous avons recueilli des renseignements qui nous permettent de comprendre les façons intersectionnelles dont les personnes vivent de la discrimination, surtout les femmes musulmanes. Plusieurs réponses à nos enquêtes établissaient un lien entre les signes évidents de religion et les incidents à caractère haineux.
La sénatrice Jaffer : Merci.
Mme Singh : J’abonde dans le même sens que la commissaire. C’est particulièrement le cas pour notre loi sur les données relatives à la lutte contre le racisme. Même avant le début des consultations, l’enquête visait à en apprendre plus sur les expériences de personnes. Il ne s’agissait pas de questions auxquelles on devait répondre par oui ou non. Nous avons donné aux gens la possibilité de parler de leurs expériences. De nombreuses personnes, surtout les femmes musulmanes, disaient ressentir de la haine à leur égard. Je crois que c’était la première fois qu’elles avaient l’occasion de le verbaliser de façon sûre, de parler de leur expérience.
Je suis très heureuse de savoir que nous avons de grands alliés au sein de la communauté musulmane, surtout les organisations de femmes. Je sais que la sénatrice Salma Ataullahjan connaît plusieurs de ces organisations. La société des femmes pakistanaises et de nombreuses autres ont participé à nos consultations et c’était un grand plaisir de voir tant de femmes musulmanes parler de leurs expériences et aussi mener les consultations. Je crois que c’est très important.
Les gouvernements et nous avons la responsabilité morale et éthique de lutter contre le racisme, mais nous ne pouvons pas le faire sans nos grands alliés. Il est donc très important que ces gens dans la communauté réalisent le travail avec nous.
La sénatrice Jaffer : Madame la présidente, si vous me le permettez, j’aimerais dire une chose au sujet de la commissaire. Sa mère travaillait pour la défense des droits des femmes. J’ai travaillé avec elle pendant de nombreuses années. Je vois que le travail de sa mère se poursuit, même si elle a pris sa retraite. Je tiens à les remercier toutes les deux.
La présidente : Merci beaucoup. Tandis que nous reconnaissons le travail de Mme Singh, je tiens à vous remercier pour votre soutien envers les musulmans de la Colombie-Britannique. J’ai rencontré les représentantes de l’organisation que vous avez mentionnée, la société des femmes pakistanaises, et elles ont fait votre éloge. Elles vous remerciaient pour votre soutien et votre franc-parler; je vous remercie également. Nous avons besoin d’alliés. Les musulmans ont besoin d’alliés. J’ai entendu dire que vous aviez été la cible de propos haineux en raison de votre prise de parole. Je vous remercie pour votre force et j’espère que nous pourrons entendre la Dre Babra Rana parce que la société fait un travail incroyable.
Je profite donc de l’occasion pour vous remercier toutes deux pour vos témoignages. Ils nous aideront à réaliser notre étude. N’hésitez pas à nous transmettre par écrit tout renseignement que vous avez pu oublier ou dont vous souhaiteriez nous faire part. Ces renseignements feront également partie de votre témoignage. Je vous remercie et je vous dis à la prochaine.
Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons suspendre la séance brièvement pour préparer le prochain groupe de témoins.
Honorables sénateurs, j’aimerais vous présenter notre prochain groupe de témoins. Nous avons demandé à chacun d’eux de faire une déclaration préliminaire de cinq minutes. Nous allons entendre tous les témoins, puis nous passerons aux questions des sénateurs. Nous allons d’abord entendre la représentante de l’Association des étudiants musulmans de l’Université de la Colombie-Britannique. Nous entendrons ensuite M. Karim, professeur de la Chancellerie à l’École de journalisme et de communication de l’Université Carleton. Enfin, nous entendrons le co-fondateur de la Foundation For A Path Forward, Tariq Tyab.
Abisola Kehinde, vous avez la parole. J’espère avoir bien prononcé votre nom. Merci.
Abisola Kehinde, vice-présidente et sœur, Association des étudiants musulmans de l'Université de la Colombie-Britannique : Merci beaucoup, madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité. Je tiens à souligner que je me trouve dans la ville de Vancouver, située sur les terres traditionnelles non cédées des nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh.
C’est un honneur pour l’Association des étudiants musulmans de l’Université de la Colombie-Britannique d’être invitée à témoigner devant le Sénat du Canada au sujet de l’étude sur l’islamophobie au Canada. Nous vous remercions de nous en donner l’occasion.
Les crimes haineux envers les musulmans du Canada continuent d’être nombreux, malgré l’adoption d’une motion par le Parlement du Canada pour dénoncer toutes les formes d’islamophobie, comme la tuerie de la mosquée de Québec en 2017 ou la plus récente attaque mortelle contre cinq membres d’une famille musulmane en 2021. Nous avons la preuve que l’islamophobie est toujours présente au Canada. Notre association a pour mission d’aider les étudiants musulmans sur le campus de l’Université de la Colombie-Britannique à être le meilleur d’eux-mêmes tout en répondant à leurs besoins spirituels, scolaires et sociaux. Après avoir reçu l’invitation à comparaître devant le comité, l’Association a réalisé un sondage dans les médias sociaux le 19 août 2022 et a demandé à ses membres de partager leur expérience de l’islamophobie au Canada. Leurs réponses ont été choquantes et nous ne pouvons qu’imaginer les traumatismes qu’ont subis ces personnes après de telles interactions. J’aimerais vous en lire quelques-unes.
Tout d’abord, un étudiant a dit qu’on lui avait demandé s’il tuait des gens lorsqu’une personne savait qu’il était musulman. Je ne peux qu’imaginer le traumatisme qu’il a dû ressentir. Un autre a dit : « Une fois, un garçon m’a demandé si j’avais l’intention de faire exploser le centre commercial.» Un autre a dit : « Des blagues terroristes et des avions en papier lancés sur moi en criant Allahu Akbar. » Un autre a dit : « Blagues terroristes et se moquer d’Allahu Akbar. » Celui-là a dit : « Devoir minorer certaines opinions sur différents sujets à cause des pressions libérales. » Un autre a dit : « Intimidé par deux types juste devant le Parlement canadien. » Et une personne a dit : « Je ne sais pas si c’est considéré comme de l’islamophobie, mais pourquoi les ressources sont-elles limitées pour le financement des musulmans. Je ne me soucie pas de la façon dont on me regarde en tant que musulman. Ce qui m’importe, c’est de pouvoir pratiquer mon culte dans un lieu qui prétend accepter et accueillir tout le monde. » Et la dernière réponse que je vous livre aujourd’hui est celle d’une personne qui dit : « L’islamophobie au quotidien, qui inclut les regards et le fait d’être traité différemment. »
En résumé, cela montre la nécessité pour le gouvernement canadien de mettre en place davantage de mesures contre l’islamophobie. Comme l’affirme le gouvernement :
La promotion et la protection des droits de la personne, y compris la liberté de religion ou de conviction, sont un volet important de l’engagement constructif du Canada dans le monde.
Les suggestions sur la façon d’enrayer l’islamophobie au Canada comprennent une plus grande représentation des musulmans « évidents » dans les différents postes gouvernementaux et la promotion de l’impact positif des musulmans dans les médias tout en informant continuellement le public des conséquences traumatisantes des discours haineux envers les musulmans.
Encore une fois, j’apprécie sincèrement cette tribune qui m’est donnée et j’espère que des efforts continus seront mis en place pour faire de l’islamophobie une chose du passé au Canada afin qu’il y ait une véritable liberté de culte dans la paix et la sécurité. Je vous remercie.
La présidente : Merci beaucoup.
Monsieur Karim, je me tourne vers vous maintenant.
Karim H. Karim, professeur de la Chancellerie, École de journalisme et de communication, Université Carleton, à titre personnel : Je vais commencer en exprimant ma profonde gratitude aux peuples Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh qui ont chéri, entretenu et protégé leurs territoires traditionnels pendant des milliers d’années. J’aimerais également remercier les membres du Comité sénatorial permanent des droits de la personne et le greffier du comité de m’avoir invité à présenter ce bref mémoire. Il a trois volets : la séparation présumée de la religion et de l’État, les sources de discrimination antimusulmane et, pour terminer, une recommandation que j’aimerais formuler à votre intention.
Un obstacle majeur à l’action gouvernementale contre la discrimination antimusulmane et ses conséquences dans la société canadienne est la présomption de séparation complète de la religion et de l’État. Au cours des 10 années que j’ai passées dans la fonction publique fédérale et de mon engagement ultérieur, j’ai constaté que les bureaucrates ne sont pas formés pour aborder les questions religieuses. En fait, beaucoup les condamnent. Cela a des répercussions importantes sur l’élaboration et la mise en œuvre des politiques et des programmes. D’autre part, Statistique Canada a déclaré en 2019 que plus des deux tiers des Canadiens ont déclaré avoir une affiliation religieuse et que plus de la moitié ont dit que leurs croyances religieuses ou spirituelles étaient assez importantes ou très importantes dans la façon de vivre leur vie.
Historiquement, les gouvernements canadiens sont intervenus concernant divers aspects de la religion. La Charte établit la « liberté de conscience et de religion » comme droit fondamental. Alors que la Charte donne à tous les Canadiens le droit d’avoir leurs propres croyances, le christianisme, la foi de la majorité, reçoit un statut particulier. Les versions française et bilingue de l’hymne national proclament « Il sait porter la croix », reconnaissant ainsi clairement l’héritage chrétien du pays. Lors de la formation de la nation canadienne, la Loi constitutionnelle de 1867 prévoyait des écoles séparées, fondées sur la religion. Le catholicisme romain a été reconnu au sein de l’État canadien, un sort qui a en outre été accordé à l’Église d’Angleterre. En 1967, trois autres confessions chrétiennes et la foi juive ont été incluses dans l’ordre de préséance du gouvernement fédéral, c’est-à-dire aux termes du document où l’on indique la place que doivent occuper les personnes lors des cérémonies officielles de l’État. Au début des années 1990, la catégorie religieuse de l’ordre a été étendue à tous les groupes religieux du Canada, en reconnaissance de la diversité religieuse croissante de la population.
Il semble donc que, bien que la religion soit vitale pour de nombreux Canadiens et qu’elle ait été intégrée à certains aspects clés de l’État canadien, l’appareil gouvernemental n’a pas encore trouvé comment s’en occuper. La principale préoccupation de la fonction publique semble être d’aborder objectivement les questions sensibles qui ont trait à la religion. Des raisons historiques importantes expliquent également ce problème. Les philosophies politiques du Canada ont été largement façonnées par l’histoire européenne, notamment par la guerre de 30 ans entre catholiques et protestants, au XVIIe siècle, qui a coûté la vie à huit millions de personnes. Par la suite, la religion a été considérée comme une force négative qui, autant que possible, doit être tenue à l’écart de la politique. Par conséquent, avant que le gouvernement canadien n’élabore des mécanismes pour répondre à la discrimination antimusulmane, il faut bien comprendre la réticence bureaucratique générale à traiter de tout ce qui a trait à la religion.
J’en viens maintenant aux sources de la discrimination antimusulmane.
Depuis quatre décennies, je mène des recherches et j’écris des livres et des articles sur la manière dont les musulmans sont perçus dans les sociétés occidentales. Des conflits opposent les peuples musulmans aux Européens depuis 1 400 ans. Cela a donné lieu à des stéréotypes profondément ancrés dans les deux camps. À partir du début du XVIe siècle, la colonisation européenne s’est étendue, ce qui a donné aux habitants d’un continent l’ascendant sur le reste du monde. Cette colonisation a donné lieu à une structuration planétaire axée sur la race, c’est-à-dire la suprématie blanche. La théorie européenne de la hiérarchie raciale a permis de justifier l’exploitation systématique d’autres terres. Les colonisateurs se sont donné pour mission de civiliser d’autres races — des races qualifiées de barbares par des savants comme Hugo Grotius, au XVIIe siècle —, ce qui a contribué à jeter les bases du droit international. D’autres philosophes, comme Emmanuel Kant et John Stuart Mill, ont exclu les non-Européens de leurs schémas prétendument universalistes des droits de l’homme. Les Lumières ont été présentées aux sociétés occidentales et autres comme uniformément bénéfiques à tous les peuples, alors même que leurs ruminations permettaient aux Européens de réprimer les autres. Dans les perspectives européennes au sujet des musulmans, des hindous, des bouddhistes et des autres peuples du monde, les aspects de race et de religion ont été fusionnés.
Il existe un nombre croissant d’ouvrages sur le renforcement des caractères raciaux associés aux musulmans dans les contextes contemporains de discrimination anti-islamique.
La suprématie blanche est une notion qui sert de matrice sociale à diverses formes de préjugés, dont ceux à l’encontre des musulmans. Sa rémanence au sein de la société est omniprésente. Cela explique pourquoi le jeune Justin Trudeau s’est senti tout à fait à l’aise de peindre son visage en brun, entre autres, à la West Point Grey Academy de Vancouver. Il n’avait apparemment aucun scrupule à se présenter comme la version animée de Disney d’Aladdin, qui chantait joyeusement à propos de son pays : « Oui, c’est étrange, mais eh, c’est chez moi. » C’est cette notion suprémaciste qui explique probablement pourquoi un autre premier ministre, Stephen Harper, a insisté pour qualifier de barbares ce qu’il percevait être des coutumes musulmanes.
Le sujet de la « violence musulmane » existe dans la littérature, la musique et l’art européens depuis plus de 1 000 ans. Pour ne citer que quelques exemples, citons La Chanson de Roland, datant du XIe siècle, qui dépeint le combat entre le christianisme et l’islam comme étant celui du bien contre le mal; Othello, de Shakespeare, qui assassine sa femme dans une crise de jalousie; L’Enlèvement au sérail, de Mozart; et les peintures orientalistes de l’ère romantique, qui dépeignent les stéréotypes fondamentaux de la violence, de la luxure, de la cupidité et de la barbarie. Les premiers films muets, Le Cheik et Le Fils du Cheik, montraient une tribu bédouine enlevant une femme blanche, un thème qui est devenu un classique d’Hollywood au cours des décennies suivantes. Ce sont là les manifestations d’une mémoire culturelle de longue date qui a donné lieu à des représentations similaires, siècle après siècle. Elles sont considérées comme la vérité sur les musulmans et elles fournissent les cadres cognitifs qui façonnent les nouvelles, les messages sur les médias sociaux et les politiques gouvernementales.
Lorsque la violence de certains intervenants musulmans est passée au premier plan au XXIe siècle, le terrorisme en est venu à être lié uniquement aux adeptes de l’islam. Les parties de l’histoire du Canada où l’État a dû faire face aux attaques de groupes irlandais, doukhobors, arméniens, québécois et autres sont apparemment effacées. Des mots comme « islam », « islamique » et « musulman » ont été corrompus par des blogueurs, des journalistes et des politiciens influents pour diaboliser une communauté tout entière, qui elle-même utilise cette terminologie pour décrire sa piété, son éthique et sa conduite morale.
J’en viens donc à ma recommandation, qui est une approche de principe.
Après avoir étudié le problème des représentations médiatiques pendant quatre décennies, période au cours de laquelle j’ai travaillé avec des organisations médiatiques, des associations de la société civile et divers gouvernements, je voudrais prendre un peu de recul afin de regarder le tableau dans son ensemble et dans la perspective du long terme. Je suis convaincu qu’en matière de droits de la personne, une stratégie viable pour lutter contre la discrimination à l’encontre des musulmans doit découler de principes déontologiques largement reconnus dans la société. Cela garantira une vaste acceptation et le soutien d’alliés stratégiques. Les principes universalistes devraient également fournir le cadre et le soutien de base pour les détails du plan global visant à s’attaquer aux mentalités profondément ancrées qui cautionnent régulièrement les pratiques discriminatoires. Sans ces principes sous-jacents, les mesures particulières de n’importe quelle stratégie qui sera proposée risquent à terme de disparaître. L’existence d’une base de principes favorisera également la cohérence et la force de la stratégie.
Les principes que je propose sont la justice sociale, le respect mutuel et la compréhension culturelle. Ce ne sont pas des idées nouvelles, mais elles sont largement acceptées par la société et elles peuvent contrer l’hégémonie, la résistance et le pouvoir de la suprématie blanche. Elles portent la puissance de l’éthique sociétale. Je vais prendre les quelques minutes qui suivent pour développer ces trois principes.
Tout d’abord, la justice. La justice est la pierre angulaire d’une société qui fonctionne bien. C’est sur elle que reposent les obligations de l’État et les espoirs des citoyens. Elle est le but ultime de la démocratie. Une société dans laquelle les gens ont le sentiment qu’il y a un manque de justice est la cause d’une détresse sociale qui mène à des turbulences. Un État bienveillant prend soin de tous ses citoyens. La suprématie blanche a cependant produit des structures d’injustice envers les personnes racisées. Ces personnes ont été exclues des principaux modes de participation. Leurs voix ont été étouffées. En tant que principal vecteur de mobilisation publique, les médias ont diminué ou déformé la présence des personnes racisées. Il incombe aux gouvernements de favoriser la justice sociale.
Le respect. Le respect est essentiel à l’harmonie sociale. Il ouvre la porte aux bonnes relations entre les peuples et aide à barrer la route à la haine. Il permet à chacun d’accueillir l’étranger, l’immigrant, l’autre. Comme l’a dit le poète William Butler Yeats : « Il n’y a pas d’étrangers ici, mais seulement des amis que vous n’avez pas encore rencontrés. »
Faire du respect une valeur sociale primordiale aide les individus à se prémunir contre le caractère insidieux des stéréotypes. Il nous permet de rester vigilants face aux discours incessants qui dénigrent les gens. Il favorise la prise de conscience du fait qu’il faut éviter d’associer le mauvais comportement d’un seul individu à un groupe entier. Le respect nous fait accepter les coutumes étrangères. Il nous fait réfléchir à nos propres goûts et aversions, à nos traditions culturelles et à nos religions par rapport à celles des autres. Le respect des cultures et des modes de vie de tous les Canadiens respectueux de la loi est une exigence primordiale pour notre société démocratique. Les modes d’expression publique, les pratiques médiatiques et les autres comportements sociaux qui normalisent l’existence de tous les peuples au Canada serviront de modèle de bon comportement public. Ils permettront de contrôler la prolifération de la mauvaise communication et de la désinformation.
Passons maintenant au dernier principe : la compréhension.
La compréhension est l’étape suivante. Il est essentiel que notre société continue à favoriser la compréhension mutuelle entre tous les peuples. Certains aspects des cultures et des religions peuvent sembler répugnants dans une perspective individuelle, mais il est essentiel, pour une société saine et diversifiée, d’être ouvert à l’effort qui, avec le temps, permettra de comprendre les contextes historiques et culturels dans lesquels évoluent les autres peuples. Les préférences que nous nous sommes façonnées au fil du temps peuvent être réévaluées à l’aune du respect du principe de la compréhension culturelle. Le recadrage — et non l’élimination — des modes de pensée et des pratiques eurocentriques est la clé de ce processus. La suprématie blanche, dont les structures sont omniprésentes dans notre société, doit être montrée du doigt pour ses effets antagonistes et destructeurs. Les médias doivent examiner leurs propres préjugés culturels, lesquels sont profondément ancrés. Ce n’est que lorsque ces éléments seront compris qu’une politique des droits de la personne pourra contrer efficacement la résilience de la suprématie blanche.
Je recommande donc au Comité sénatorial permanent des droits de la personne d’élaborer un cadre de principes qui servira de base à une stratégie rigoureuse et à long terme pour lutter contre la discrimination antimusulmane. Une telle approche tient compte de la résistance que son rapport rencontrera sans doute auprès des tenants de certains points de vue qui préfèrent continuer à soutenir une hiérarchie raciale et religieuse au Canada. Un engagement résolu envers la justice, le respect et la compréhension pourrait devenir la valeur fondamentale de la société canadienne au XXIe siècle.
Mesdames et messieurs, je vous remercie de votre aimable attention.
La présidente : Merci.
Je me tourne maintenant vers vous, monsieur Tariq Tyab.
Tariq Tyab, cofondateur, Foundation For A Path Forward : J’aimerais remercier les honorables sénateurs, la présidente et nos estimés invités.
Je tiens à reconnaître et à souligner que nous sommes sur les anciennes terres des nations Musqueam, Tsleil-Waututh et Squamish.
Je m’appelle Tariq Tyab. Je suis un fier musulman natif du Canada et un résident de la Colombie-Britannique. Je suis au service de la communauté musulmane et de la grande communauté de la Colombie-Britannique depuis 25 ans. Autrefois, je dirigeais la B.C. Muslim Association, la plus grande organisation musulmane de la province, avec plus de 19 mosquées. Je suis également cofondateur de la Muslim Food Bank and Community Services, un organisme qui, deux fois par mois, fournit des produits d’épicerie, des repas, des services sociaux et des services de soutien en santé mentale à environ 5 000 personnes en Colombie-Britannique.
Aujourd’hui, je m’adresse à vous en tant que cofondateur du premier rassembleur officiel de groupes confessionnels pour les initiatives de lutte contre le racisme dans la province de la Colombie-Britannique, la Foundation for a Path Forward. Nous travaillons avec le Resilience BC Anti-Racism Network, dont la secrétaire parlementaire, Rachna Singh, assure la supervision. Nous coopérons également avec le bureau du procureur général et le mois dernier, nous avons eu l’honneur de recevoir l’appui officiel de la lieutenante-gouverneure de la Colombie-Britannique, l’honorable Janet Austin, pour le travail que nous effectuons.
L’islamophobie. Au cours des cinq dernières années, nous avons assisté à une terrifiante augmentation d’incidents motivés par la haine dans notre pays : des meurtres islamophobes à la discrimination à l’encontre des personnes asiatiques en passant par les attaques antisémites et contre les gouvernements. La polarisation de notre société et la diabolisation de nos citoyens posent une menace directe à notre démocratie et notre liberté. Cette vague d’intolérance et de haine touche les musulmans de façon disproportionnée. Plus d’un quart des Canadiens croient que, au cours des cinq dernières années, il est devenu acceptable d’avoir des préjugés à l’encontre des musulmans.
Les résultats d’un sondage d’Ipsos pour le compte de Global News semblent établir une corrélation avec une augmentation des crimes haineux ciblant les musulmans vivant dans ce pays. Parmi les nations du G7, le Canada dénombre le plus d’assassinats de musulmans motivés par la haine, mais ceux ciblant les musulmans ont diminué. Selon le dénombrement de Statistique Canada des crimes haineux déclarés par la police, les crimes haineux déclarés par la police et ciblant la religion ont diminué de 16 % pour passer de 613 incidents en 2019 à 515 incidents en 2020. Or, en 2020, la police a déclaré 2 669 incidents criminels motivés par la haine, le nombre le plus élevé depuis que les données sont devenues disponibles en 2009. Le rapport de Statistique Canada a été publié le 17 mars 2022.
Malheureusement, la plupart des actes islamophobes, y compris la discrimination dont sont victimes les musulmans dans les commerces et les établissements, ne sont jamais signalés. Les insultes et le vandalisme ciblent les musulmans, et les attaques — verbales et physiques — ciblent des personnes qui sont visiblement musulmanes, surtout celles qui portent le hidjab et le niqab. Selon Statistique Canada, les incidents haineux à l’encontre des musulmanes représentent 47 % des incidents islamophobes déclarés par la police.
En janvier 2017, aux alentours de 19 h 54, un tireur suprémaciste blanc — et nous refusons de prononcer le nom d’auteurs de crimes en raison de leur désir d’acquérir de la notoriété — s’approche du Centre culturel islamique de Québec où les prières du soir viennent de se terminer. Il charge sa carabine semi-automatique de calibre .233 et vise deux hommes qui sont sortis de la mosquée. Le mécanisme se coince lorsqu’il essaie de faire feu. Il laisse tomber sa carabine et tire sur les hommes au moyen d’un pistolet Glock 9 millimètres. Le tireur entre ensuite dans la mosquée où il continue de tirer des balles avec son pistolet. En moins de deux minutes, il tue six hommes et en blesse gravement cinq autres.
Il est environ 20 h 40, un samedi, quand Mohamed-Aslim Zafis, âgé de 54 ans, est assis à l’extérieur de la mosquée de l’Organisation musulmane internationale sur le boulevard Rexdale près de l’avenue Islington pour effectuer le dépistage sanitaire aux portes d’entrée. En quelques minutes, Mohamed se fait abattre par un suprémaciste blanc néonazi influencé par l’idéologie satanique de l’Ordre des neuf angles.
Le 6 juin 2021, la famille Afzaal se fait happer par un camion sur la route Hyde Park dans ce que la police qualifie de crime motivé par la haine à l’encontre des musulmans. Talat Afzaal, Salman Afzaal, Yumna Afzaal et Madiha Salman meurent alors qu’un jeune garçon a survit. La tragédie a ébranlé la nation et a mis en lumière les effets de l’islamophobie non réprimée.
Ici, en Colombie-Britannique, des femmes se font attaquer en public et en particulier dans les transports en commun, les autobus, le SkyTrain et les centres d’achats. Les femmes visiblement musulmanes ont peur; elles sont nombreuses à avoir peur d’aller à l’extérieur et à vivre dans la crainte d’être la cible de haine et de violence.
Il faut toutefois se demander où ces terroristes s’en prenant aux musulmans se radicalisent. Où les graines de la haine sont-elles semées? Honorables sénateurs, nous connaissons tous la réponse : en ligne.
La haine en ligne. Le Service canadien du renseignement de sécurité a émis l’avertissement en 2020 que les néonazis et les suprémacistes blancs figurent parmi les groupes extrémistes qui se servent du traumatisme social collectif de la pandémie de COVID-19 pour répandre de la désinformation et des théories du complot afin de radicaliser leurs pairs. Le terrorisme transatlantique de la suprématie blanche qui est organisé, connecté et répandu en ligne représente le problème le plus sombre non seulement pour les musulmans et les minorités racisées en Colombie-Britannique et en Amérique du Nord, mais aussi pour tous les Canadiens et notre démocratie.
La théorie du grand remplacement est une théorie du complot d’extrême droite stipulant que les élites libérales occidentales, en particulier les élites juives, font venir des immigrants noirs, musulmans et non-blancs afin de remplacer la population blanche en Amérique du Nord, en Europe et en Australie. Grâce aux données d’organisations comme Moonshot et Google Jigsaw, nous sommes en mesure de retrouver la trace de ces croyances dans les recherches sur Google. Nous constatons que les termes liés à l’islamophobie et à l’intolérance contre les musulmans figurent parmi les mots racistes les plus souvent saisis dans les recherches sur Google. Les données que nous détenons nous indiquent même les codes postaux où on effectue les recherches racistes.
C’est ici, en Colombie-Britannique, que le taux par habitant est le plus élevé pour la recherche de mots haineux islamophobes, soit pour les termes les plus racistes en matière d’islamophobie. La recherche la plus courante est « remove kebab », suivie de « kebab removal, » puis de « kill Muslims ». Ce sont ces termes précis que des internautes tapent dans leurs recherches sur Google.
Que veut dire « remove kebab »? Il s’agit d’un code employé par les groupes extrémistes de droite signifiant de tuer les musulmans. L’expression est tirée d’une chanson que les ressortissants serbes ont fait jouer pendant le génocide des musulmans en Bosnie dans les années 1990, alors qu’ils commettaient un nettoyage ethnique. Il y a quelques années, le tireur de Christ Church écoutait la même chanson, Remove Kebab, en route vers les deux mosquées où il se rendait pour tuer des musulmans et où 50 personnes ont trouvé la mort.
Les tendances dans les médias traditionnels. La perversion de l’image de l’islam et des musulmans aux yeux de la population est accentuée par la représentation de notre communauté dans les médias traditionnels. Par exemple, aux États-Unis, The New York Times présente l’islam et les musulmans de façon plus négative que le cancer, la cocaïne et l’alcool.
Selon des chercheurs de l’organisation 416Labs basée à Toronto, les constats ne sont pas anodins puisque les médias influencent grandement la perception de la population. De plus, ce type de couverture médiatique entache la perception de l’islam et des musulmans chez le lectorat du New York Times. Dans le cadre de l’étude, les chercheurs ont examiné les gros titres du New York Times de 1990 à 2014. L’étude a révélé que l’islam et les musulmans sont associés à des termes négatifs dans au moins 57 % des cas. Seulement 8 % des gros titres sur l’islam et les musulmans étaient positifs. Le rapport suggère que le lecteur moyen du New York Times est susceptible d’attribuer une responsabilité collective à l’islam et aux musulmans pour les gestes violents d’une minuscule fraction de musulmans — de quelques extrémistes.
Ici, au Canada, la représentation dans les médias est tout aussi dénaturée. La fusillade à la mosquée de Québec en 2017 a fait couler six fois moins d’encre dans les médias américains que l’attentat de Michael Zehaf-Bibeau — un homme converti à l’islam — sur la Colline parlementaire, et ce, même si la fusillade à la mosquée a fait six fois plus de morts.
Des mots-clés liés à la fusillade de la mosquée de Québec ont généré 194 résultats pertinents sur les sites Web de CBC, du Globe and Mail et du Toronto Star comparativement à 768 pour l’attentat à la bombe au marathon de Boston, même si la fusillade de la mosquée de Québec a eu lieu au Canada et a été plus mortelle.
Une étude menée en 2017 à l’Université de la Georgie a révélé que les attaques perpétrées par des auteurs musulmans aux États-Unis ont reçu en moyenne 449 % plus d’attention dans les médias américains que toute autre attaque.
Alors que nous prononçons notre témoignage aux fins du procès-verbal de cette étude, nous tenons également à reconnaître et à encourager les efforts menés pour lutter contre l’islamophobie et la haine au Canada. Des centaines d’organisations partout au pays s’efforcent de résoudre ce problème, et le gouvernement déploie des efforts comme ces audiences en font foi. Toutefois, il faut en faire davantage : une coordination et une coopération accrues ainsi que davantage de ressources, de réglementation efficace et d’efforts comme ceux que vous déployez aujourd’hui sont de mise.
La présidente : Je vous remercie de votre témoignage.
Comme le veut la coutume, nous allons maintenant céder la parole aux sénateurs pour leurs questions et réponses. Honorables sénateurs, je vous demande de limiter votre nombre de questions. Nous essayons de respecter l’horaire prévu, alors vous disposez de cinq minutes pour chaque question et réponse.
La sénatrice Jaffer a la parole et sera suivie de la sénatrice Busson.
La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup. Je vous remercie tous les trois. Vos propos nous donnent énormément de matière à réflexion. Une journée entière consacrée à vous écouter ne suffirait pas, alors je vous remercie sincèrement.
En raison du peu de temps dont je dispose, je vais commencer par le professeur Karim Karim.
Professeur, vous êtes un expert en la matière. Vous rédigez des textes sur le sujet depuis des lunes, et j’aimerais commencer par vous demander une définition. Je cherche une définition adéquate de l’islamophobie et j’ai du mal à en trouver une. Puisque vous écrivez autant sur la question, avez-vous une définition de travail?
M. Karim : Je vous remercie de la question, sénatrice Jaffer.
J’ai moi-même du mal à définir ce terme, et comme je m’intéresse aux origines des mots et à l’étymologie... désolé. Comme je le disais, l’étymologie du terme « islamophobie » est très importante. Étant donné la terminaison « phobie » en particulier — qui signifie bien entendu « peur » —, le terme est très inapproprié compte tenu de ce qui se passe réellement. On pourrait dire que la peur ne constitue que la première étape. D’ailleurs, il est important de reconnaître la peur — la peur irrationnelle, la peur découlant de l’ignorance ou de toute autre source. Or, le mot « islamophobie » se résume à la peur des musulmans ou la peur de l’islam. Il ne semble pas englober les conséquences de cette crainte qui peuvent se traduire par de la discrimination, de la violence et pire encore.
Le terme me donne, même à moi, du fil à retordre. Je ne l’emploie pas dans mes écrits. Quand je le mentionne ou quand je me retrouve dans une situation où je dois écrire sur ce sujet, je mets le mot entre guillemets en raison des limites que j’y attribue. J’emploie plutôt, comme je l’ai fait dans ma déclaration liminaire, les termes « discrimination envers les musulmans », « violence envers les musulmans » ou d’autres, ainsi que « violence envers l’islam ». Je n’emploie habituellement pas le mot « islamophobie ». Je vous présente donc mes excuses : je ne peux vous donner de définition parce que j’ai moi-même du mal à décortiquer le terme.
La sénatrice Jaffer : Merci.
Professeur, vous êtes le lauréat de 2001 du prix Gertrude J. Robinson pour l’excellence en journalisme. Vous avez rédigé Islamic Peril: Media and Global Violence, le livre pour lequel vous avez été récompensé. Dans votre ouvrage, vous explorez le manque de compréhension historique et culturelle dans les médias de masse et vous vous intéressez à certains pays du Moyen-Orient.
Croyez-vous que les choses ont changé depuis 2001? Où en sommes-nous aujourd’hui? Quel est notre bilan?
M. Karim : Vous posez là une question fort importante, sénatrice Jaffer.
J’ai écrit le livre il y a 20 ans. C’est en toute humilité que je constate qu’on le cite encore à l’international et au Canada. L’ouvrage était surtout axé sur les médias canadiens qui avaient recours à différentes sources internationales provenant surtout des États-Unis et qui comprenaient surtout les agences de presse. Le but du livre consistait à tenter de représenter la perception de longue date des musulmans et de l’islam. Comme je l’ai expliqué dans mon exposé, l’histoire s’inscrit dans une longue continuité. J’ai remarqué — pas seulement dans mes travaux, mais aussi dans ceux de mes collègues — que, malgré toute cette attention, le changement s’opère lentement. Soit dit en passant, je suis très fier que nombre de mes étudiants au doctorat et à la maîtrise se soient aussi penchés sur le sujet.
En général, et comme je l’ai mentionné plus tôt, les journalistes rechignent à s’intéresser à la religion, comme c’est le cas avec le service public. On pourrait qualifier le phénomène d’ignorance. On ne sait pas comment aborder l’islam, mais aussi la religion en général. Ainsi, lorsque, à la suite de situations sociales, les journalistes doivent se pencher sur des sujets religieux, ils se voient désavantagés. Les journalistes n’en connaissent simplement pas suffisamment sur la religion, et c’est d’autant plus vrai sur la situation des musulmans. Divers termes sont dénigrés. Le mot « califat » est maintenant associé au soi-disant État islamique ou au Daech, alors que c’est un terme qui désigne une institution historique qui revêt beaucoup de fierté dans l’histoire musulmane.
Cette ignorance a donc tendance à donner lieu à une déformation des perceptions. Je vais vous donner l’exemple d’un article qu’a rédigé un journaliste du Globe and Mail écrivant des chroniques sur les enjeux religieux. Il a écrit un texte sur une lettre adressée au journal dans laquelle l’auteur exprimait des doléances. L’auteur de la lettre n’avait pas signé son nom, mais l’avait conclue par la formule musulmane Salaam Alaikum. Le fait est que le journaliste attitré aux enjeux religieux ne savait pas que Salaam Alaikum est une formule musulmane, alors il appelait constamment l’auteur « M. Alaikum » dans son texte. Vous voyez donc que même les coutumes islamiques et les renseignements de base sur les musulmans ne sont pas toujours connus.
Les choses changent lentement. Les journalistes sont de plus en plus au courant de la discrimination envers les musulmans, du racisme et des autres enjeux, et ils tentent de les aborder. La différence est notable, mais l’ignorance sous-jacente est présente. C’est ce que je répondrai à votre question.
La sénatrice Jaffer : Je reprendrai la parole lors de la deuxième série de questions, madame la présidente.
La présidente : D’accord, je vais inscrire votre nom sur la liste.
Sénatrice Busson.
La sénatrice Busson : Merci beaucoup, madame la présidente, et merci à tous les témoins d’être parmi nous.
Les exposés de cet après-midi sont à la fois incroyablement éclairants et extrêmement déprimants étant donné les statistiques et les renseignements que vous avez fournis sur l’orientation que nous prenons quant à l’islamophobie, très certainement, et plus précisément quant à la suprématie blanche qu’a décrite M. Tyab. Notre société a fait les frais de la suprématie blanche avant même l’époque de la colonisation ainsi que pendant l’ère du KKK, et le mouvement semble avoir repris de la vitesse.
J’aimerais formuler un commentaire sur l’utilisation vile que font les suprémacistes blancs des médias sociaux ici et partout dans le monde, et j’aimerais ensuite que vous y réagissiez. Je ne me souviens plus qui parmi vous a mentionné que ce mouvement mondial semble gagner du terrain, je le répète, en ce moment et particulièrement pendant la pandémie de COVID.
Vous avez abordé les principes de respect, de justice et de tout ce qui s’y rattache. Voulez-vous décrire les recommandations et les actions concrètes que nous pouvons promouvoir et qui ne se résument pas seulement aux médias sociaux et à l’éducation? Je cherche à entendre des recommandations concrètes que nous pourrons proposer pour alléger vos inquiétudes. Je vous fais cette demande parce que vous avez manifestement beaucoup réfléchi aux pistes de solutions.
M. Tyab : Je recommanderais certaines organisations, notamment le Global Project Against Hate and Extremism qui a effectué beaucoup de recherche sur les effets de la transformation des médias sociaux en arme visant à polariser la société et fomenter le conflit dans nos communautés. Les auteurs de ces machinations sont tantôt des acteurs étatiques, tantôt des robots qui ne sont pas même pas humains. Il s’agit de robots créés pour semer la zizanie parmi... Je vais vous donner un exemple.
Au Texas, un robot-réseau a créé une page Facebook d’une communauté musulmane voulant bâtir une plus grande mosquée à Houston. Puis, un autre robot-réseau a communiqué dans les clavardages de suprémacistes blancs et les forums de chrétiens d’extrême droite que des musulmans allaient venir dans la communauté pour encourager les internautes à s’opposer à cette initiative. Le conflit a été créé de toutes pièces. C’était un conflit réel entre la communauté blanche et la communauté musulmane, créé par des robots. Ces derniers, je le répète, sont l’œuvre d’acteurs étatiques.
Le Global Project Against Hate and Extremism s’est penché sur l’utilisation que des acteurs malveillants font de Facebook et de toutes les plateformes de médias sociaux pour les transformer en armes. Ce faisant, ils mobilisent le sentiment antisémite et l’intolérance envers les musulmans — un autre terme — et promeuvent la violence contre nos communautés. Nous pouvons vous envoyer ces ressources et vous faire part des recommandations des chercheurs.
Un autre livre, intitulé The Islamophobia Industry, répertorie les groupes bénéficiant de l’argent généré par l’islamophobie et identifie ceux qui ont tout intérêt à répandre l’islamophobie, la violence et les préjugés à l’encontre des musulmans.
La sénatrice Busson : Merci beaucoup.
M. Karim : Oui, les médias sociaux posent un énorme problème. Toutefois, un modèle qui tente de comprendre toutes les formes de communication existe depuis longtemps en théorie des médias.
On a généralement l’impression que les médias relaient un message à des destinataires et que, une fois le message reçu, les destinataires agissent conformément au message. Or, ce n’est habituellement pas le cas. C’est ce qui explique que les annonceurs ont autant de mal à nous vendre des produits; bien entendu, il arrive qu’ils réussissent. Toutefois, ils ne réussissent pas à tout coup, même lorsque le message est négatif et relève par exemple de la discrimination ou d’un autre phénomène. Il importe que nous saisissions le contexte social dans lequel ils évoluent. La progression n’est pas linéaire. Leur travail est parfois facilité par ce qu’on appelle aujourd’hui des influenceurs. La principale source d’influence dans notre société est pourtant ce qu’on pourrait appeler des célébrités, soit des personnes — y compris des politiciens — qui appuient certains dossiers, idées et enjeux.
On a pointé le président Trump du doigt pour bien des raisons, mais il est tout à fait coupable d’avoir ouvert la voie à certains comportements. Il a légitimé une panoplie de comportements et, bien entendu, ses messages ne s’arrêtent pas à la frontière. Ils se répandent partout dans notre pays.
On pourrait aussi étudier l’exemple du projet de loi 21 au Québec pour analyser en quoi il contribue à l’isolement des groupes. La stigmatisation de certaines personnes en société ne favorise pas l’harmonie que nous recherchons. Par conséquent, tout de suite après les débats sur le projet de loi et son adoption, des femmes musulmanes et d’autres musulmans se sont fait attaquer dans des autobus et dans d’autres lieux publics.
Les discours politiques des politiciens exercent beaucoup d’influence et de pouvoir et, lorsqu’ils sont combinés aux médias sociaux et aux messages véhiculés par les médias, ils gagnent en force. Leur pouvoir est accéléré et prend de l’ampleur.
Nous devons donc saisir ces problèmes dans leur ensemble. Au fil des générations, différents types de médias ont joué un rôle. Je pense aux films, aux journaux, aux magazines; même avant le recours à ces outils, les gens employaient différents modes de communication.
Les phénomènes ne se produisent pas seuls. Il ne suffit pas d’avoir un message pour entraîner une action. Il faut voir comment le message est transmis, qui parle, qui communique, qui est crédible aux yeux du groupe visé, quelles sont les sources d’influence et qui a la confiance de son auditoire. Malheureusement, des gens comme le président Trump ont gagné des partisans — pas seulement aux États-Unis, mais ici aussi —, ce qui a en quelque sorte répandu et légitimé tous les autres messages qui reprennent ses thèmes.
Plutôt que de nous attarder seulement aux messages des médias — et je le dis en tant qu’expert sur les médias —, je suggérerais donc que nous devons comprendre les contextes sociaux plus larges où ces messages sont véhiculés. En effet, comme je le disais, les médias ne réussissent pas toujours à transmettre leurs messages, mais ils y parviennent lorsqu’ils sont répétés par des influenceurs.
La sénatrice Busson : Merci.
La présidente : Merci.
Sénatrice Jaffer, c’est la deuxième série de questions.
La sénatrice Jaffer : Merci. Ma question s’adresse à vous, madame Kehinde. J’ai quelques questions. Madame la présidente, veuillez m’interrompre quand bon vous semble.
Je ne comprends toujours pas comment c’est possible, mais je crois que, hier, M. Tyab ou son collègue a abordé la haine sur Internet, la haine en ligne à l’Université de la Colombie-Britannique. Ai-je bien compris? Est-ce ce qu’on a dit?
M. Tyab : Oui.
La sénatrice Jaffer : J’aimerais savoir si l’Université de la Colombie-Britannique a connu de tels incidents.
Mme Kehinde : Parlez-vous de haine en ligne ciblant les musulmans à l’Université de la Colombie-Britannique?
La sénatrice Jaffer : Oui.
Mme Kehinde : Alors...
La sénatrice Jaffer : S’il n’y en a pas eu, ce n’est pas grave.
Mme Kehinde : Non, pas personnellement. Si nous recevons des messages de ce genre sur Instagram, notre plateforme de médias sociaux, nous bloquons certains comptes. Nous limitons l’accès. C’est ainsi que certains messages de haine sont dissipés. En effet, de nos jours, on serait porté à penser que la liberté d’expression existe toujours et que certaines applications ne la restreignent pas, en général, mais d’autres s’emploient à restreindre la liberté de parole. Donc, je ne vois absolument pas pourquoi les gouvernements ne peuvent pas restreindre certains discours aussi. De nos jours, les publications haineuses sur Instagram sont signalées immédiatement. Les comptes peuvent être suspendus, ce qui contribue généralement à réduire le nombre de commentaires haineux qui en découlent inévitablement et qui donnent à certains de folles idées qu’ils mettront à exécution après, dans l’avenir.
La sénatrice Jaffer : Cela nous amène à l’autre question. Une chose que je retiendrai toujours de votre présentation, je pense, c’est l’islamophobie qui se manifeste au quotidien, ce qui comprend les regards et le traitement différent. Êtes-vous confrontée à cela?
Mme Kehinde : Oui. Personnellement, je dirais que j’ai une forte personnalité, mais il m’arrive qu’on me regarde avec condescendance, et je n’en fais habituellement pas de cas. Toutefois, bien sûr, il y a des différences individuelles. Lorsqu’on me pose des questions sur les propos haineux anti-islamiques, je dis simplement aux gens que... Lorsqu’on est dans un milieu instruit, c’est toujours mieux parce que les gens savent qu’il y a une justice. Une personne peut être dénoncée aux autorités et risquer des accusations criminelles pour cela. Toutefois, si vous êtes dans un milieu moins instruit, par exemple, il y a des gens que vous ne pouvez pas nécessairement dénoncer. Si vous avez un petit boulot dans un restaurant, disons, les clients ont toujours raison, bien entendu. J’ai des amis qui sont victimes de cela et qui disent : « Oh, non; ça va. Il y a des regards insistants. »
L’exemple le plus important, c’est lorsque des gens me demandent : « Que fais-tu? » Et je réponds simplement : « Oh, je suis étudiante. » Ils me demandent : « Oh, qu’est-ce que tu fais exactement? » « Je suis étudiante au doctorat. » On me regarde d’un air étrange. Ils posent des questions du genre : « Vraiment? », ou « Toi, étudiante au doctorat? »
Vous savez, on s’attend généralement à ce qu’on soit moins éduquée et moins intelligente simplement parce qu’on porte un hijab. Et si vous cherchez à obtenir certains emplois... Sachez simplement que lorsqu’on vous convoque à une entrevue et votre candidature est automatiquement rejetée dès qu’on voit une certaine tenue vestimentaire, parce que les gens ne veulent pas que vous travailliez dans ce genre de milieu. Ils n’aiment pas votre habillement. Donc, j’essaie de me limiter aux milieux instruits, car il m’est arrivé, pour de petits boulots, de savoir que je n’avais pas le poste en sortant de l’entrevue. Évidemment, lorsqu’on se qualifie pour une entrevue, il faut se présenter en personne. Les gens voient alors votre tenue, et ne vous rappellent pas. Donc je sais que ça existe toujours.
Et les gens ont dû réprimer leur identité, malheureusement. Vous savez, certaines personnes s’habillent autrement simplement pour s’intégrer à la société, juste pour se sentir plus acceptables. C’est si triste, mais cela arrive. Il est à espérer que le gouvernement fera quelque chose pour faire savoir que les gens qui ont cette apparence ne sont pas dangereux, que ce sont des gens bien, des gens intelligents, qui ne sont ni bizarres ni quoi que ce soit d’autre.
La sénatrice Jaffer : Et vous êtes non seulement étudiante au doctorat, mais qui plus est doctorante en biochimie.
Mme Kehinde : Oui, exactement. Donc quand je dis, par exemple que je fais de la recherche, ils répondent des choses comme « Vraiment? Tu es sûre que ce n’est pas le collège? » Je réponds alors : « Non, je travaille dans une université. Je suis étudiante au doctorat. »
Cela m’amène même à un point soulevé par une de mes bonnes amies. Elle m’a dit qu’elle n’a pas fait son année au secondaire. J’ai été choquée quand elle m’a dit qu’après son déménagement d’Arabie Saoudite pour venir au Canada, elle a dit à un conseiller en orientation qu’elle aimerait aller en architecture ou en génie civil, et qu’il lui a demandé pourquoi elle ne choisissait pas plutôt quelque chose comme l’économie domestique. Et mon amie a répondu : « Pourquoi est-ce que je ne pourrais pas faire quelque chose de mieux? » Le conseiller a répondu : « Oh, je pense que ce domaine sera mieux pour toi. »
Quand mon amie est rentrée chez elle et qu’elle a raconté cela à sa mère, sa mère, qui est instruite, lui a dit : « Non. Tu devrais insister. C’est ce que tu veux faire. » Ensuite, mon amie est retournée voir le conseiller, qui lui a dit : « D’accord, si c’est ce que tu veux faire, voici les ressources offertes. » Donc, si vos parents ne sont pas éduqués, on a tendance à vous repousser. Les gens se résignent et se disent que s’ils ne peuvent faire ce programme, ils n’ont qu’à choisir un programme moins difficile — ou un moins bon emploi — parce qu’ils ne sont pas assez intelligents. Donc, mon amie m’a parlé des conseillers de ce genre. Même s’ils ne vous disent pas carrément de ne pas aller dans ces programmes, c’est ce qu’ils sous-entendent, ou ils ne vous fournissent pas les ressources qu’ils donnent à d’autres pour vous aider à suivre une bonne formation afin d’obtenir une bonne place dans la société.
La sénatrice Jaffer : L’université vous soutient-elle?
Mme Kehinde : Oui. Je dirais que l’Université de la Colombie-Britannique s’efforce d’être inclusive et diversifiée. Donc, ils essaient d’appuyer cela, ce qui semble évident, à mon avis, car je suis ici, n’est-ce pas? Autrement, on ne m’aurait même pas permis de venir. Toutefois, ces temps-ci, ils essaient d’être plus inclusifs, et j’en suis reconnaissante.
La sénatrice Jaffer : Merci. Merci, madame la présidente.
La présidente : J’ai juste une question. Les étudiants viennent-ils vous signaler, à l’association, les cas d’islamophobie sur le campus? Avez-vous des chiffres?
Mme Kehinde : Non, nous n’en avons pas, malheureusement.
La présidente : Personne ne fait un suivi à cet égard?
Mme Kehinde : Non.
La présidente : Mais cela existe, non?
Mme Kehinde : Oui, tout à fait. Cela existe.
La présidente : Je vois. Merci.
Puis-je vous poser une question délicate, monsieur Tyab? La conférence sur l’islamophobie a eu lieu il y a un an ou deux; le gouvernement était censé nommer un commissaire musulman.
Cela fait un an et demi. Puis, plus rien.
Quels sont vos sentiments à cet égard? Je ne veux pas vous mettre sur la sellette, mais c’est une question qui revient continuellement. Les gens réalisent qu’ils parlent à des sénateurs, sans avoir conscience, vous savez, que les sénateurs ont diverses affiliations qui ne sont pas nécessairement les mêmes qu’au gouvernement. Je ne sais vraiment pas quoi leur dire. J’ai annoncé le poste il y a quelques mois. Je connais des gens qui ont présenté leur candidature, mais il ne se passe rien.
M. Tyab : Personnellement, je pense que c’est lié aux enjeux sectaires que nous avons. Il y a les sunnites, les chiites, les ismaéliens et les qadiani. À cela s’ajoutent l’arabe et les multiples langues parlées par les musulmans, dont le français. Il faut une personne capable à la fois de s’adresser à toutes ces communautés et aux différentes branches de l’Islam, de communiquer efficacement et de représenter l’ensemble de ces communautés équitablement. Je pense qu’il pourrait être difficile de trouver le bon candidat.
J’aimerais répondre à la question de la sénatrice Jaffer sur les recherches dont nous avons parlé hier. Donc, concernant Google Jigsaw, ce que cela signifie, c’est que lorsque des gens cherchent des termes comme « kebab removal », « remove kebab » ou « comment tuer les musulmans » dans Google, le programme Google Jigsaw recense, sur une feuille de calcul pour le Canada, le nombre de personnes qui font des recherches avec ces mots-clés, avec ventilation par province, par ville et par code postal. Hier, on a mentionné que, pour une raison quelconque, le nombre de recherches avec ces mots-clés est plus élevé pour le code postal de l’Université de la Colombie-Britannique que pour les autres codes postaux. C’était la distinction.
La sénatrice Jaffer : Merci.
M. Karim : Sénatrice, si vous me permettez de répondre à votre question sur le... Je pense que c’est « le »... Qu’est-ce que c’était? Je cherche le titre du commissaire, concernant l’islamophobie.
M. Tyab : L’envoyé spécial.
La présidente : L’envoyé spécial.
M. Karim : C’est cela. En regardant l’annonce, cette publicité, j’ai notamment pensé au genre de pression que subira cette personne, car ce n’est pas une situation facile et la personne qui occupera un tel poste devra avoir — comme pour beaucoup d’autres postes du genre — une solide carapace, étant donné qu’elle sera attaquée de toutes parts par des gens qui n’aimeront pas que ce poste ait été créé. En outre, si cette personne devait mal s’exprimer, la réaction serait absolument effroyable, surtout venant de certains milieux.
Je parle d’expérience, car certains médias m’ont à l’œil, d’une certaine façon, en raison d’erreurs que j’ai commises récemment lorsque j’ai pris la parole à l’occasion d’un événement organisé par des gens qui n’étaient pas ce qu’ils prétendaient être, en fin de compte.
Donc, occuper ce poste pourrait être assez difficile. J’imagine que les bonnes personnes qui songeront à se porter candidats auraient besoin... Je ne suis pas certain du genre de soutien nécessaire, mais il s’agit d’une fonction très difficile, étant donné les possibles réactions, oserais-je dire, de racistes et — pour utiliser le terme que j’ai dit que je n’emploierais pas — d’islamophobes. Une des choses que le gouvernement pourrait examiner, peut-être, est la protection à accorder au titulaire d’un tel poste.
La présidente : Donc, l’annonce n’aurait peut-être pas dû être faite, mais cela m’amène à un concept intéressant.
Monsieur Tyab, ce que vous venez de dire, c’est que vous cherchez une personne qui possède toutes ces qualités. Or, il est possible qu’une seule personne ne les possède pas toutes. Serait-il plus facile de nommer un conseil formé de trois membres, par exemple?
M. Tyab : Beaucoup de propos islamophobes concernent les femmes et la perception que l’islam opprime les femmes. Donc, je pense qu’il ne serait ni approprié ni efficace qu’un homme soit nommé pour représenter des femmes musulmanes. Cela pourrait être un comité de deux ou trois personnes musulmanes, hommes et femmes, mais il faut des gens en mesure de s’adresser aux divers groupes de la communauté, dans les diverses langues. Je pense que le défi est de taille et qu’il serait peut-être préférable d’avoir un comité au lieu d’une seule personne.
La présidente : Je vous remercie. Cela me donne des idées, peut-être, pour une recommandation à la fin de notre étude.
Je constate qu’aucun autre de mes collègues n’a de questions. Je tiens donc à tous vous remercier de votre temps et de vos témoignages. Cela nous aidera vraiment lorsque nous serons rendus à l’étape du rapport. J’ajoute que si vous pensez avoir oublié dans votre témoignage quelque chose que vous aimeriez porter à notre attention, vous pouvez toujours présenter des observations par écrit. Je vous remercie de votre temps.
Chers collègues, je pense que nous sommes arrivés à la fin d’une très longue journée. Je vais donc mettre fin à la réunion. Merci beaucoup.
(La séance est levée.)