LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
EDMONTON, le jeudi 8 septembre 2022
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 9 h 10 (HR), pour étudier les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.
La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour, honorables sénateurs. Je suis Salma Ataullahjan, sénatrice de Toronto et présidente du comité. Nous tenons aujourd’hui une séance du Comité sénatorial permanent des droits de la personne.
Je vais prendre un instant pour présenter les membres du comité qui participent à la séance. Nous accueillons le sénateur Arnot, de la Saskatchewan, la sénatrice Jaffer, de la Colombie-Britannique, la sénatrice Martin, de la Colombie-Britannique, et la sénatrice Simons, de l’Alberta.
Après avoir tenu deux séances en juin à Ottawa, nous poursuivons aujourd’hui notre étude de l’islamophobie au Canada en vertu d’un ordre de renvoi général. L’étude portera notamment sur le rôle que l’islamophobie peut jouer dans la violence en ligne et hors ligne contre les musulmans, la discrimination fondée sur le sexe, ainsi que la discrimination en matière d’emploi, ce qui comprend l’islamophobie dans la fonction publique fédérale. Notre étude portera également sur la source de l’islamophobie, ses répercussions sur les personnes, notamment aux plans de la santé mentale et de la sécurité physique, ainsi que sur les solutions et les mesures gouvernementales possibles.
Nous sommes heureux de siéger à Edmonton pour entendre des témoins nous parler de l’islamophobie dans cette région du pays. C’est la deuxième de nos séances publiques à l’extérieur d’Ottawa. Hier, nous étions à Vancouver, et dans deux semaines, nous serons à Québec et à Toronto.
Permettez-moi de vous donner quelques détails sur la séance d’aujourd’hui. Ce matin, nous accueillons deux groupes de témoins. Chaque groupe aura une heure. Pour l’un comme pour l’autre, nous entendrons des témoins, puis les sénateurs poseront des questions. Il y aura une pause vers 11 heures. De plus, le comité a réservé du temps en fin de matinée pour entendre de brèves interventions de cinq minutes de la part des membres du public, mais sans période de questions. Ceux qui souhaitent participer à cette partie de la séance doivent s’inscrire à l’avance auprès du personnel du comité qui est assis à l’arrière de la salle.
Avant de passer au premier groupe de témoins, j’invite la sénatrice Jaffer à me remplacer. Comme vous le savez, je suis conseillère auprès du Conseil national des musulmans canadiens, le CNMC. Je ne présiderai donc pas l’audition de ce groupe. La vice-présidente, la sénatrice Bernard, n’étant pas en déplacement avec nous, la sénatrice Jaffer a gracieusement accepté d’assumer la présidence pour cette partie de la séance d’aujourd’hui. Madame la sénatrice Jaffer, à vous.
La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente suppléante) occupe le fauteuil.
La présidente suppléante : Je vous remercie de votre confiance, sénatrice Ataullahjan. Je vais maintenant présenter le groupe de témoins. Lorsque je vous ai tous vus et que j’ai pris connaissance de la liste de témoins, je me suis dit que c’est un véritable honneur de vous accueillir, et nous avons tous hâte de vous entendre, de recevoir ce que vous avez à nous apprendre. Les échanges d’aujourd’hui ne seront pas les seuls. J’espère qu’ils se poursuivront, car nous avons tous des choses à apprendre.
Je vais donc présenter les témoins. Chacun est invité à faire une déclaration liminaire de cinq minutes. Nous entendrons tous les témoins avant de passer aux questions des sénateurs.
Le premier témoin est Rod Loyola, membre de l’Assemblée législative de l’Alberta représentant Edmonton-Ellerslie, poète et artiste de la parole; Said Omar, agent de liaison pour l’Alberta, Conseil national des musulmans canadiens; Dunia Nur, présidente et cheffe de la direction de l’African Canadian Civic Engagement Council; Yasmeen Abu-Laban, professeure et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les dimensions politiques de la citoyenneté et des droits de la personne et membre de l’Institut canadien de recherches avancées, Université de l’Alberta.
Bienvenue à vous tous. Vous avez cinq minutes, et nous avons hâte de vous entendre, après quoi nous vous poserons des questions pour obtenir des précisions sur vos témoignages ou aborder d’autres sujets. Ce sera d’abord M. Loyola.
Rod Loyola, député à l’Assemblée législative de l’Alberta représentant Edmonton-Ellerslie, poète et artiste de la parole : Merci beaucoup de m’accueillir ce matin. Je vous en suis très reconnaissant. À propos du sujet qui intéresse le comité sénatorial, je dirai qu’il est très important de comprendre que les crimes haineux qui sont commis au Canada sont le symptôme d’un problème beaucoup plus vaste et que nous devons en chercher la source.
À propos des agressions qui visent des femmes musulmanes noires, des femmes qui portent le hidjab, à Edmonton et partout en Alberta, on ignore généralement que les auteurs de ces agressions sont parfois des Autochtones. Je ne donne pas cette précision pour les pointer du doigt, loin de là. Tout ce que j’essaie de faire ressortir, c’est que, au Canada, les Autochtones sont défavorisés depuis fort longtemps, et nous reconnaissons que les traités qui ont été signés au départ avec la Couronne puis observés par l’État canadien n’ont jamais vraiment été respectés. Voilà ce que disent les Autochtones.
Je peux comprendre. Des défavorisés — et je songe là à ces personnes soumises de propos délibéré aux lois racistes et coloniales préjudiciables de l’État visant les Autochtones — voient des gens venus d’autres pays faire du Canada leur pays adoptif, voient ces immigrants s’en tirer mieux qu’eux, Autochtones. Je dirais que cela peut susciter une certaine haine.
Je ne justifie pas cette réaction, mais il est très important de comprendre la source de cette haine. C’est un facteur à prendre en considération.
Il devrait être de notoriété publique qu’il y a plus de 3 000 sites Web ou groupes de médias sociaux haineux au Canada, et que ceux qui gèrent ces sites et ces groupes de médias sociaux propagent la haine et en encouragent l’expression.
Il y a ceux qui ont souffert du colonialisme imposé par l’État aux Autochtones et aussi des gens qui s’identifient comme des Blancs et qui sont défavorisés par le système économique dans lequel ils vivent. Leur ressentiment se traduit par de la haine, en un sens.
Pour quelque raison, certains s’engagent dans la voie de la haine. J’ignore pourquoi, mais si le Canada veut vraiment s’attaquer à ce problème, il doit s’interroger sur ses causes profondes. En tant que législateur, j’étudie les lois fédérales et provinciales et je tiens même compte de la dimension municipale, et je dis qu’il nous faut commencer à chercher comment expurger les lois de tout colonialisme. Comment pouvons-nous nous assurer que tous peuvent coopérer de façon équitable, sur un pied d’égalité, afin que personne ne soit défavorisé? C’est en quelque sorte la première étape vers une véritable coopération et une collaboration entre nous, peu importe notre nationalité, notre religion, notre origine ethnique et nos autres caractéristiques, car au bout du compte, nous sommes tous Canadiens. C’est donc un problème qu’il nous faut cerner.
J’aurais voulu avoir plus de temps, car je ne fais qu’effleurer la question. J’espère donc que vous allez poser des questions.
Je souligne également qu’il faut s’attaquer d’une façon ou d’une autre à ces groupes haineux. Je sais que Jibril, de la Société culturelle canado-somalienne d’Edmonton, comparaîtra aujourd’hui, mais il est venu me voir une fois pour discuter d’un registre national de la haine, et j’espère qu’il en parlera aujourd’hui, car, selon moi, c’est une idée importante à laquelle nous devrions réfléchir. Voilà qui met fin à mes cinq minutes.
La présidente suppléante : Monsieur Loyola, vous nous avez certainement donné matière à réflexion, et nous aurons beaucoup de questions à vous poser, mais nous allons maintenant entendre M. Said Omar.
Said Omar, agent de liaison pour l’Alberta, Conseil national des musulmans canadiens : Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de m’avoir invité à comparaître pour vous faire part du point de vue du Conseil national des musulmans canadiens dans le cadre de l’étude sur l’islamophobie.
Le Conseil national des musulmans canadiens est un organisme communautaire indépendant, non partisan et sans but lucratif. Sa mission est de protéger les droits de la personne et les libertés civiles, de lutter contre l’islamophobie et la discrimination, de favoriser une compréhension mutuelle et de faire valoir les préoccupations des musulmans canadiens dans l’espace public.
Je vais commencer par lire les noms de mes frères et sœurs : Ibrahima Barry, Mamadou Tanou Barry, Khaled Belkacemi, Aboubaker Thabti, Abdelkrim Hassane, Azzedine Soufiane, Mohamed-Aslim Zafis, Yumna Afzaal, Madiha Salman, Salman Afzaal et Talat Afzaal. Ce sont les victimes d’actes d’islamophobie commis au cours des cinq dernières années : attaque à la mosquée de Québec, attaque terroriste de London et attaque à l’International Muslim Organization, ou l’IMO. Parmi les pays du G7, le Canada est celui où il y a le plus de meurtres de musulmans motivés par l’islamophobie.
Cela ne tient pas compte des attaques qui ont eu lieu partout au Canada et qui auraient pu facilement faire des morts. Ici même, en Alberta, nous avons vu de multiples attaques et manifestations islamophobes. À Edmonton, des groupes comme les Wolves of Odin sont entrés illégalement dans la mosquée Al Rashid, la plus ancienne mosquée du Canada.
En Alberta, des musulmanes noires ont été la cible d’attaques au couteau. Le 1er janvier dernier, une musulmane noire d’origine somalienne a été attaquée dans un incident islamophobe motivé par la haine pendant que ses quatre enfants étaient dans le véhicule. Au cours de cette horrible attaque, les agresseurs ont lancé des injures islamophobes à la victime et l’ont menacée de l’achever.
En juin 2021, une musulmane et sa sœur ont été victimes de voies de fait à Saint Albert. L’auteur de cet incident a attrapé une des femmes par son hidjab et l’a jetée par terre. Elle a perdu conscience. L’homme a ensuite sorti un couteau, a terrassé la deuxième femme et lui a placé la lame sur la gorge en proférant des menaces et des insultes racistes.
Le problème de l’islamophobie violente se pose en Alberta. C’est une menace importante qui plane sur notre communauté, et une approche pangouvernementale s’impose.
Je tiens à remercier le comité de pousser plus loin l’étude de l’islamophobie. Bien entendu, par le passé, on a cherché à semer la peur, de façon marquée et injustifiée, au sujet de l’utilisation du terme « islamophobie ». Prenons par exemple l’étude de la motion M-103 sur l’islamophobie, en 2017. Des parlementaires ont reçu des menaces de mort et des manifestations ont eu lieu sur la colline du Parlement. Je tiens à souligner, bien sûr, que l’étude du comité devrait commencer par une lecture exhaustive du rapport du Comité permanent du patrimoine canadien, Agir contre le racisme systémique et la discrimination religieuse, y compris l’islamophobie.
La Commission ontarienne des droits de la personne définit l’islamophobie en ces termes, et le CNMC souscrit à cette définition :
L’islamophobie inclut le racisme, les stéréotypes, les préjugés, la peur et les actes d’hostilité dirigés contre des personnes musulmanes précises ou les adhérents à l’islam en général. En plus de motiver des actes individuels d’intolérance et de profilage racial, l’islamophobie peut amener les gens à penser que les musulmans constituent de plus grandes menaces à la sécurité sur le plan institutionnel, systémique et sociétal.
En guise de recommandations concrètes au comité, le CNMC soutient que les mesures et orientations stratégiques suivantes devraient être prises. Premièrement, bien que bon nombre des 61 recommandations formulées lors du Sommet sur l’islamophobie de 2021 aient été mises en œuvre, comme la création du poste de représentant spécial sur l’islamophobie et du Fonds national de soutien pour les victimes de crimes motivés par la haine, nous encourageons les deux chambres à accorder la priorité à des modifications législatives et réglementaires donnant suite aux recommandations formulées au sommet.
Deuxièmement, le comité devrait accepter que l’islamophobie violente et systémique est un fait qui mérite que le Sénat prenne des mesures à la suite de cette étude. Au CNMC, nous sommes prêts à appuyer des mesures qui soient sérieuses aux yeux des musulmans canadiens.
Voilà ce que j’avais à dire. Merci d’avoir pris le temps de m’écouter.
La présidente suppléante : Merci beaucoup, monsieur Omar. Nous allons maintenant entendre Dunia Nur, du African Canadian Civic Engagement Council.
Dunia Nur, présidente et cheffe de la direction, African Canadian Civic Engagement Council : Bonjour à tous, mesdames et messieurs les membres du comité. Merci beaucoup de m’avoir invitée. Assalamualaikum Warahmatullahi Wabarakatuh. Je m’appelle Dunia Nur et je suis présidente, cofondatrice et cheffe de la direction de l’African Canadian Civic Engagement Council. D’abord et avant tout, je tiens à souligner que cette séance se déroule sur le territoire visé par le Traité no 6. Je suis très privilégiée, moi qui suis africaine et musulmane. Je suis une jeune femme qui s’est fait offrir beaucoup de possibilités d’apprentissage directement par les Autochtones de ce territoire, de l’Île de la Tortue, une femme qui pratique assidûment sa foi et cultive une conception du monde à la fois africaine et autochtone, cherchant le sens de la guérison et de la réconciliation. Voilà pourquoi il est important pour nous de comparaître.
Lorsque je dis « nous », je songe, normalement et malheureusement, puisqu’il s’agit ici d’islamophobie, à une entité multidimensionnelle et intersectionnelle. Malheureusement, nous avons été écartés de la table par de nombreux fonctionnaires et décideurs politiques, y compris certains membres de nos collectivités. Nous sommes des cibles, et nous vivons la douleur de l’islamophobie, de la violence fondée sur le sexe et du racisme contre les Noirs. Je vais vous donner des exemples concrets et décrire des interventions auxquelles l’African Canadian Civic Engagement Council a fini par recourir pour combattre l’islamophobie.
D’abord et avant tout, les femmes d’origine africaine ont été durement touchées et attaquées dans cette ville et partout au Canada. Le problème, c’est qu’on n’a pas assez signalé les problèmes. Pourquoi? Parce que nous n’avons aucun mécanisme de signalement de l’islamophobie. Ce que je veux dire par là, c’est que, par exemple, moi-même, ma famille et les femmes que je sers dans ma collectivité essuyons le plus souvent un refus lorsque nous nous adressons à la police d’Edmonton. Il est même arrivé que des policiers nous disent que certains de ceux qui nous ont fait du mal sont des patriotes qui aiment leur pays et que nous devrions aller en pique-nique avec eux et discuter.
Un autre problème, c’est que les communautés musulmanes ont aussi des caractéristiques différentes qui se recoupent pour former leur identité. Les populations d’Edmonton frappées par des drames sont constituées de musulmans africains qui sont immigrants ou réfugiés. L’une des plus grandes mosquées, celle de Sahaba, a reçu peu d’attention, voire aucune. C’est une nouvelle collectivité. D’après les données de Statistique Canada, les personnes d’ascendance africaine sont la population qui croît le plus et le plus rapidement au Canada. Les statistiques sur les populations noires montrent que celle de Toronto vient au premier rang. Elle est suivie de celles de Montréal et d’Ottawa, puis de celle de l’Alberta. Donc, si nous sommes la population qui croît le plus rapidement au Canada, l’Alberta accueille la population d’origine africaine qui augmente aussi le plus rapidement. Les statistiques de l’Alberta montrent que cette population pratique la foi musulmane. La plus grande communauté noire de l’Alberta est musulmane.
Il n’a pas été question de nous dans les recommandations. Nous avons été exclus des consultations. Nous avons été laissés pour compte dans nos propres communautés. Nous avons été exclus des recommandations législatives qui indiquent la voie à suivre.
Voici des exemples concrets de ce qu’a fait l’African Canadian Civic Engagement. Son mandat est de protéger et de promouvoir les droits et la dignité de toutes les personnes d’origine africaine. Tous les jours, des personnes d’ascendance africaine nous arrivent avec des expériences et des identités multidimensionnelles; par exemple, des problèmes d’expulsion qui touchent de façon disproportionnée des femmes musulmanes noires; des attaques motivées par la haine qui se produisent dans nos rues. Nous sommes au cœur de la 118e avenue et nous sommes entourés d’entreprises de musulmans noirs. Enfin, parmi ceux qui font appel à nos services, il y a aussi d’autres femmes noires faisant partie de groupes en quête d’équité, comme la communauté 2SLGBTQ+, et beaucoup d’entre elles ont aussi des problèmes parce qu’elles sont lourdement défavorisées.
Cela dit, oui, nous avons été attaquées, et certaines de ces attaques ont été perpétrées, de façon disproportionnée, en fait, par des hommes blancs. Voilà pour commencer. Deuxièmement, il y a d’autres populations en quête d’équité qui ont intériorisé beaucoup de violence latérale et d’oppression. Et certaines de ces attaques sont le fait des hommes de notre communauté. Par exemple, nous sommes aux prises avec des problèmes de violence familiale; nous avons des problèmes de violence sexuelle. Alors, même si nous affrontons bon nombre de ces problèmes et s’il y a une autre catégorie de crimes motivés par la haine...
La présidente suppléante : Madame Nur, je suis désolée de vous demander de conclure. Je regrette.
Mme Nur : Pas de souci.
La présidente suppléante : Désolée.
Mme Nur : Je ne vous donnerai donc pas de réponse aujourd’hui dans le cadre de cette consultation. Je demande au gouvernement du Canada, aux trois ordres de gouvernement, de s’adresser aux femmes d’ascendance africaine et de leur fournir des ressources pour donner suite à la déclaration des Nations unies pour les personnes d’ascendance africaine, en tenant compte de l’islamophobie et en veillant à ce que nos communautés soient présentes dans les échanges et participent directement. Si je dis cela, c’est que nous avons un trésor de connaissances que nous pouvons partager, et nous abordons beaucoup d’interventions sous l’angle des cercles de guérison, de la justice réparatrice et de l’autonomisation des femmes. Merci beaucoup.
La présidente suppléante : Merci beaucoup. Nous allons maintenant entendre la professeure Abu-Laban.
Yasmeen Abu-Laban, professeure et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les dimensions politiques de la citoyenneté et des droits de la personne et membre de l’Institut canadien de recherches avancées, Université de l’Alberta, à titre personnel : Bonjour à tous. Merci de m’avoir invitée. Pendant le long week-end de la fête du Travail, j’ai reçu des amis européens qui visitaient Edmonton pour la première fois. Je les ai donc amenés au Fort Edmonton Park parce qu’il y avait là deux choses que je tenais à leur faire voir. La première était la toute nouvelle exposition Indigenous Peoples Experience, à cause de ce qu’elle nous apprend au sujet de la vérité et de la réconciliation, et la deuxième était la toute première mosquée du Canada. La mosquée Al Rashid originale a été déplacée du nord du centre-ville d’Edmonton au Fort Edmonton Park en 1991.
La mosquée et son histoire nous en disent long sur le Canada multiculturel antérieur au multiculturalisme officiel. Le bâtiment original a été achevé en 1938. Les musulmans ont donc une longue histoire derrière eux au Canada. Dans les années 1930, des hommes et surtout des femmes de la communauté musulmane ont été le fer de lance du projet de construction d’une mosquée. Ils ont obtenu l’appui du maire d’Edmonton de l’époque ainsi que des communautés juive et chrétienne, et ces communautés ont également contribué au financement.
L’histoire orale et d’autres réflexions qui remontent aux premières décennies de la mosquée révèlent que la mosquée a servi de point de rencontre non seulement pour les musulmans, mais aussi pour les membres d’autres groupes confessionnels.
La mosquée originale Al Rashid est également fascinante sur le plan architectural, car l’entrepreneur était un Canadien d’origine ukrainienne. Il a construit la mosquée dans le style d’une église orthodoxe ukrainienne du début du XXe siècle, avec des croissants au lieu de croix.
Donc, pour moi, l’exposition Indigenous Peoples Experience et la mosquée symbolisent de façon marquante un Canada ouvert.
Mes propres recherches donnent à penser que, à l’égard de diverses minorités, il y a une tension constante entre deux Canada qui se manifeste diversement à différents moments. Ce que j’appelle le Canada ouvert offre une vision d’ouverture, d’accueil et de confiance à l’égard d’autrui et il peut favoriser diverses formes de reconnaissance et de coexistence. Le Canada fermé, c’est le rejet, la fermeture et la peur de l’autre. Cette attitude peut se traduire par des volontés d’assimilation, un refus brutal, voire la violence.
Vous conviendrez sûrement tous que le Canada ouvert est un lieu où il fait bon vivre. La question de l’islamophobie ou de ce que certains appelleraient le racisme ou la haine envers les musulmans est vraiment cruciale parce qu’elle nourrit une conception du Canada caractérisée par la fermeture. Dans ce contexte, je voudrais vous faire part de trois grands points qui ressortent de mes propres recherches et qui ont trait à la lutte contre l’islamophobie sur le plan des orientations.
Premièrement, il est vraiment essentiel d’aborder la question de la présence des musulmans au Canada d’une manière multidimensionnelle au lieu de s’en tenir aux aspects culturel ou religieux. Les recensements récents nous ont appris que les musulmans se trouvent surtout dans les régions urbaines, particulièrement à Toronto et à Montréal, mais au cours des dernières décennies, ils se sont fait plus nombreux dans des villes de taille moyenne comme Edmonton.
De nombreux musulmans au Canada sont des immigrants, des réfugiés et des membres de minorités visibles ou racisées. Et même si bon nombre d’entre eux ont un niveau de scolarité élevé, beaucoup sont économiquement défavorisés.
Nous savons aussi, d’après notre expérience récente à Edmonton, que les musulmanes de couleur portant le hidjab peuvent être expressément ciblées par des agressions physiques et verbales. Pour lutter de façon holistique contre l’islamophobie, il faut adopter une approche intersectionnelle qui tient compte de la race, du sexe et de la classe sociale, ainsi que de l’amélioration des chances et des débouchés pour les personnes victimes de discrimination et défavorisées.
Deuxièmement, en ce qui concerne l’islamophobie, il faut évidemment tenir compte de personnes comme le tireur de la mosquée de Québec ou l’homme qui a ciblé et tué une famille à London en 2021. Il faut néanmoins tenir compte également des dimensions institutionnelles et systémiques : les médias, l’État et les institutions gouvernementales. Par exemple, il ne fait aucun doute que le discours des hommes et femmes politiques, les orientations qu’ils adoptent ou les pratiques et les visions du monde du personnel de sécurité de l’État peuvent alimenter l’islamophobie et une conception fermée du Canada.
En août dernier, l’Association d’études canadiennes a publié un sondage qui montre que, depuis l’adoption du projet de loi 21 en 2019 au Québec, ce sont les sikhs, les juifs et surtout les musulmans qui se sentent moins acceptés, moins en sécurité et moins optimistes. Et parmi les femmes, ce sont particulièrement les musulmanes qui se sentent marginalisées.
Troisièmement, et c’est le dernier point, toute forme de racisme ou de haine a des répercussions, et la solidarité est essentielle. Nous avons besoin de recherches interdisciplinaires suivies sur la façon dont la solidarité est encouragée dans notre monde numérique et en rapide mutation. Nous savons, par exemple, d’après des sondages effectués au Canada et ailleurs, que ceux qui ont des opinions antisémites ont aussi des opinions antimusulmanes.
Dans les jours qui ont suivi les attentats du 11 septembre, au Canada, des sikhs et des musulmans ont été la cible de concitoyens violents et d’agents de sécurité. Par conséquent, la lutte contre l’islamophobie ne devrait pas être considérée comme un problème réservé aux musulmans. C’est un problème pour quiconque tient à ce que le Canada soit plus ouvert, et le Canada ouvert exige vraiment une solidarité qui transcende les différences.
Si nous voulons savoir comment favoriser la solidarité dans le monde numérique au rythme rapide de l’après-pandémie, il faut vraiment faire des recherches qui transcendent les cloisonnements entre disciplines, comme celles qui sont appuyées par...
La présidente suppléante : Madame...
Mme Abu-Laban : ... des programmes...
La présidente suppléante : Désolée, mais pouvez-vous conclure, s’il vous plaît?
Mme Abu-Laban : D’accord. C’est la dernière phrase.
Je songe par exemple à des programmes comme ceux du Conseil de recherches en sciences humaines et de l’Institut canadien de recherches avancées. Merci.
La présidente suppléante : Merci beaucoup. Merci à vous tous. Je vais commencer par vous poser une question, monsieur Loyola. Vous êtes très courageux. Vous avez abordé une question qui nous préoccupe tous, à savoir les ponts qu’il faut jeter entre les musulmans et les communautés autochtones, et je suis certaine que vous y avez réfléchi. Pouvez-vous faire des recommandations au comité, car nous sommes aussi à la recherche de solutions et de recommandations. Il ne fait aucun doute qu’un profond fossé sépare les Autochtones et notre communauté.
M. Loyola : Avant d’être élu, j’étais non seulement un artiste de la parole, mais aussi un militant dans mon milieu. Pendant plus de 15 ans, nous avons constaté que le racisme à l’égard des Autochtones est inculqué aux immigrants qui commencent à s’adapter et à vivre au Canada. J’en ai moi-même fait l’expérience et j’ai rencontré des gens qui me parlaient des Autochtones et reprenaient les stéréotypes courants.
Plus particulièrement au cours des cinq dernières années, la communauté musulmane en particulier, mais aussi d’autres communautés, ont fait de leur mieux pour répondre aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et commencer à jeter des ponts entre les groupes identitaires — identité fondée sur l’origine ethnique ou nationale, sur la religion, sur le statut d’Autochtone — afin que tous soient invités dans le cercle.
Le gouvernement du Canada doit d’abord — ma sœur Dunia Nur l’a fort bien dit — apporter les ressources nécessaires. Si nous voulons vraiment jeter des ponts, il faut procurer aux collectivités des ressources économiques, des ressources professionnelles, selon les cas, pour accomplir le travail. Il arrive souvent que l’on compte sur les organismes communautaires pour travailler bénévolement, mais il faut beaucoup de temps et d’efforts pour créer ces espaces de communication. Toute la collectivité demande au gouvernement du Canada de fournir les ressources nécessaires.
La présidente suppléante : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Je vous rappelle, honorables sénateurs, que vous disposez de cinq minutes chacun.
La sénatrice Martin : Merci à tous les témoins. J’ai pris beaucoup de notes et je n’ai que cinq minutes. Je pourrais peut‑être revenir sur ce que chacun d’entre vous a dit : l’importance de la solidarité et l’aspect multidimensionnel de l’islamophobie et de la communauté qui est touchée.
Vous avez dit que nous devrions affecter toutes les ressources nécessaires, et je suis d’accord, mais quel est le meilleur moyen d’assurer la coordination? Il y a une nouvelle communauté en croissance. Comme vous l’avez dit, la question est très complexe. Hier, des témoins nous ont dit qu’il faudrait plus qu’un seul commissaire, qu’il faudrait peut-être un conseil. Nous avons besoin de chefs de file issus de chacun des groupes. Je tiens vraiment à comprendre comment il faut aborder cette question aux multiples facettes, comment les éléments de cette communauté très complexe peuvent se rejoindre.
Nous savons donc que nous avons besoin de ressources, mais quelles sont au juste les stratégies ou les approches à retenir? Ma question s’adresse à vous tous, mais je vais peut-être commencer par Mme Nur.
Mme Nur : Merci, madame la sénatrice. Je commencerais simplement par la dimension intersectionnelle de l’islamophobie, car c’est l’élément le plus nocif de l’expérience de l’islamophobie pour une femme d’origine africaine qui est également musulmane et est issue d’une population immigrante composée de réfugiés. Je dirai ensuite qu’il faut s’adresser directement aux groupes touchés, car il arrive parfois que ceux qui participent aux discussions et formulent des recommandations au sujet de l’islamophobie ne soient pas forcément ceux qui sont touchés à de multiples niveaux.
Tous les membres de la communauté musulmane sont en butte à l’islamophobie. Malheureusement, il arrive la plupart du temps qu’il y ait une certaine normalisation de la violence à leur égard, ce qui découle de facteurs idéologiques et politiques. Par exemple, l’impact de Stephen Harper se fait toujours sentir. En Alberta, bien des titulaires de charges publiques ont multiplié les commentaires, les expressions de haine à l’égard des musulmans.
À propos des signalements et des agressions dont les musulmanes noires sont victimes, nous avons communiqué avec tous les échelons de tous les ordres de gouvernement. Aucune réponse de qui que ce soit. Dans les mosquées, on observe un niveau différent d’intersectionnalité à l’égard des musulmans noirs. Partout, nous sommes laissés pour compte, et c’est parfois pénible à entendre.
Au sujet de la solidarité à renforcer et de l’islamophobie, le problème, c’est qu’il y a aussi du racisme contre les Noirs, de la violence fondée sur le sexe et de l’islamophobie.
Le dernier message que je veux vous laisser, si vous le voulez bien, c’est ma conclusion : il faut aborder l’islamophobie sous l’angle de la race, du sexe, de la religion et de l’économie sociale. Cette approche vous permettra d’intervenir efficacement. Si qui que ce soit ici présent avance des recommandations, je ne crois pas que celles-ci puissent être fidèles à la communauté qui est la mienne. Nous n’avons pas été consultées, nous avons besoin de l’être, nous avons besoin d’un espace réservé aux femmes musulmanes noires, espace qui ne nous a pas été accordé.
La sénatrice Martin : Je me tourne maintenant vers M. Loyola. Étant donné que vous êtes un législateur, vous pourriez satisfaire ma curiosité en parlant des consultations menées à l’échelle provinciale et peut-être en commentant le point de vue de Mme Nur.
M. Loyola : Oui. Le NPD de l’Alberta a mené un certain nombre de consultations sur la question du racisme en Alberta. L’une d’elles a porté expressément sur l’islamophobie.
Pour répondre à votre question sur les ressources, je pense que bien souvent, les organismes communautaires sont en quelque sorte mis en concurrence les uns contre les autres en ce sens que seul un d’entre eux reçoit des fonds pour un projet donné. Selon moi, il serait préférable de favoriser la coopération au niveau local, d’accorder des subventions et des ressources pour que la communauté se solidarise et veille à ce que toutes les voix soient entendues et à qu’il y ait une véritable coopération au niveau local, qu’elle trouve un moyen de financer ce que tous souhaitent. Comme je l’ai dit, il arrive souvent qu’on demande aux organismes de soumettre une proposition, mais les fonds ne sont accordés qu’à l’un d’eux, point final. Ce serait pour le gouvernement un grand progrès s’il suscitait la coopération et amenait les gens à collaborer à un même projet, puis leur accordait des fonds.
La sénatrice Martin : Puis-je poser une question complémentaire? Donc, lorsque vous parlez de la communauté dans son ensemble, je crois comprendre qu’elle comporte de nombreuses facettes. Existe-t-il un organisme de coordination? Comment cette coordination se ferait-elle? Il est difficile pour quelqu’un de l’extérieur de comprendre la communauté. Comment cette coordination se fera-t-elle pour que son ensemble soit représenté?
M. Loyola : C’est une grande difficulté à surmonter. Je ne vais pas mentir. Mais en établissant une norme selon laquelle la coopération est récompensée et l’argent accordé à un modèle coopératif, au moins on instaurerait une norme qui rassemble la communauté.
Évidemment, une analyse s’impose. Yasmeen Abu-Laban et Dunia Nur ont toutes deux déclaré qu’il faut aborder la question dans une optique intersectionnelle. Donc, pour les propositions qui sont acceptées, il faut s’assurer que l’intersectionnalité est prise en compte et qu’il y a une représentation des différents groupes, n’est-ce pas? Voilà ce que je proposerais si je faisais partie d’un conseil subventionnaire. C’est ce que je rechercherais.
La présidente suppléante : Merci. Puis-je vous inscrire pour le deuxième tour?
La sénatrice Martin : Oui. Merci.
Le sénateur Arnot : Je suis vraiment heureux d’entendre les témoins de ce matin, et qu’il soit question du lien entre la communauté musulmane et les Autochtones du Canada, car je pense que la relation scellée par traité a été négligée. En fait, cette relation est un modèle d’harmonie et une voie de réconciliation très importante. Il est vraiment encourageant d’entendre les communautés musulmanes appuyer le point de vue autochtone sur cette question.
Je félicite le groupe de témoins d’avoir soulevé la question de cette façon. Je tiens également à dire au Conseil national des musulmans canadiens que j’ai travaillé avec Ihsaan Gardee lorsqu’il était directeur général d’un projet dont je vais parler dans un instant. Je vais aussi évoquer la doyenne de l’éducation de l’Université de l’Alberta, Jennifer Tupper, qui est une experte en citoyenneté; j’ai travaillé avec elle sur cette question également.
Je vais vous présenter une idée, parce que je vois là une communité, et je vous invite à la commenter : le pouvoir de l’éducation n’a pas été exploité et nous devons agir dans les écoles. Nous devons modifier le paradigme. Nous devons faire évoluer la culture de la collectivité en changeant l’éthos dans les écoles. Une organisation a élaboré des moyens de le faire. Il s’agit de la Concentus Citizenship Education Foundation.
J’aborde la question parce que je suis persuadé que certains témoins seraient très intéressés par cette idée, à savoir que nous devons apprendre aux élèves canadiens ce que c’est, être Canadien, ce que sont les droits liés à la citoyenneté, mais surtout, ce que sont les responsabilités qui vont de pair avec ces droits, et comment établir et maintenir le respect pour chaque citoyen, sans exception. C’est là le principe fondamental des ressources mises au point par la fondation.
Il est également question de cinq compétences liées à la citoyenneté canadienne : tous les Canadiens doivent être éthiques, éclairés, habilités à agir, engagés et, surtout, empathiques. Pour en arriver là, nous devons inculquer ces idées aux Canadiens de la maternelle à la 12e année. Si nous voulons faire évoluer la culture dans la collectivité, il faut changer la culture à l’école. Voilà pourquoi je vous soumets ces idées.
Nous devons inculquer aux citoyens canadiens des connaissances civiques. Nous devons les initier à la démocratie, aux principes du compromis, de la coopération et de la collaboration. Il y a eu au Canada un échec fondamental qui, à mon avis, est à l’origine des problèmes fondamentaux à l’origine de l’islamophobie et du racisme, et nous devons nous y attaquer de façon très efficace.
La société canadienne est pluraliste. Nous devons agir avec des intentions claires, de façon délibérée et en respectant un certain ordre, et nous devons aborder ces thèmes fondamentaux, car nous devons faire comprendre à tous les élèves canadiens que la citoyenneté est assortie d’une responsabilité, et la responsabilité fondamentale, c’est le respect de ses concitoyens.
Je voudrais vraiment que les témoins y réfléchissent. Si je parle de cette question, c’est que je constate qu’ils pourraient fort bien être intéressés par ces idées. Des représentants de Concentus iront parler de la question à Toronto cette année, mais je souhaite obtenir des témoins, pour l’ensemble du comité, une réaction, des observations ou des réflexions au sujet de ces idées.
Mme Abu-Laban : J’y vais la première. Je dirai simplement que l’éducation est vraiment importante. Comme vous le savez, il s’agit d’un domaine de compétence provinciale. La situation varie donc beaucoup, d’un bout à l’autre du pays, dans le domaine de l’éducation, si bien que l’application d’une proposition de cette nature risque d’être complexe.
J’ajouterais autre chose. Nous vivons à une époque où a cours qu’on appelle la « théorie raciale critique ». Les perspectives au sujet de la race et du racisme sont en quelque sorte contestées, et c’est le cas même dans cette province-ci. Il faut tenir compte de cette dimension, lorsqu’il s’agit du système d’éducation : de quel genre d’éducation s’agit-il?
Le dernier point que je veux soulever est le suivant. S’il y a consensus au sujet de la nécessité d’une approche intersectionnelle de l’islamophobie, il faut également reconnaître la nature systémique de ce phénomène, ce qui signifie qu’il faut examiner de multiples institutions. Il ne s’agit donc pas seulement d’éducation, mais aussi de maintien de l’ordre et de sécurité. Les médias sont aussi en cause, n’est-ce pas? On peut donc faire toutes sortes de choses merveilleuses dans les écoles, mais s’il y a beaucoup de propos racistes dans les médias et dans les médias sociaux, tous ces efforts sont contrecarrés.
C’est pourquoi je souligne la nécessité de ce genre de recherche multidisciplinaire, parce que les choses changent très rapidement. En fait, les choses ont beaucoup changé même durant la pandémie. Nous avons vu des changements dans la culture politique au Canada, alors nous sommes aux prises avec des problèmes complexes qui exigent qu’on fasse dans la nuance et qu’on les aborde sous différents angles quand on s’attaque à quelque chose comme l’islamophobie.
La présidente suppléante : Sénateur, est-ce que je peux vous inscrire au deuxième tour?
Le sénateur Arnot : Pouvons-nous prolonger la séance de quelques minutes parce que nous n’avons pas commencé à l’heure?
M. Loyola : Et nous avons encore des commentaires des témoins sur ce point en particulier.
La présidente suppléante : Finissons d’entendre ce que vous avez à dire à ce sujet, monsieur Omar, puis nous nous arrêterons.
M. Omar : Au CNMC et dans toutes les consultations que nous menons souvent auprès des communautés à ce sujet, on nous répète sans cesse que l’éducation est une des meilleures façons de lutter contre l’islamophobie au Canada. Nous savons aussi, d’après nos consultations, que de nombreux incidents violents d’islamophobie se produisent dans les écoles, alors je pense que c’est certainement quelque chose à prendre en considération.
D’ailleurs, une des 61 recommandations au sommet national sur l’islamophobie est justement de réformer le système d’éducation, d’enseigner aux élèves ce qu’est l’islamophobie et de leur donner une connaissance générale des musulmans au Canada, car je pense que c’est une lacune de notre système d’éducation. Même le citoyen moyen, du primaire au secondaire, n’apprend souvent pas grand-chose au sujet des musulmans ou de l’islam en général. Je pense donc que l’éducation est une des meilleures façons de lutter contre l’islamophobie et les autres formes de discrimination.
La présidente suppléante : Nous allons passer à la sénatrice Simons, que vous connaissez bien, et qui est très militante. C’est un plaisir de la compter parmi nous aujourd’hui.
La sénatrice Simons : Je suis heureuse d’accueillir tous mes collègues du Sénat à Amiskwaciy Waskahikan, où tout le monde est visé par un traité.
J’aimerais plonger directement dans certaines questions de politique publique. Il y a beaucoup de préoccupations, notamment en ces temps de pandémie, au sujet de la haine véhiculée en ligne, de la rage alimentée par des politiciens, de la radicalisation par des sources en ligne. Le gouvernement peine à trouver une façon de légiférer pour lutter contre les méfaits en ligne. J’ai rencontré M. Omar pour la première fois il y a quelques semaines à peine, autour d’une table ronde où nous avons discuté de certaines de ces questions.
Je voulais vous demander, d’abord à M. Omar, puis à Mme Abu-Laban, quels sont les points à considérer quand on veut établir une méthode de lutte contre la haine en ligne qui ne se retourne pas contre nous et qui ne devienne pas un instrument d’islamophobie entre de mauvaises mains. Je sais que M. Omar en a parlé il y a quelques semaines.
M. Omar : Je vous remercie de cette question, madame la sénatrice. Je dirai pour commencer que le CNMC est en faveur d’une loi contre la haine en ligne. Mais notre principal souci est toujours de veiller à ce qu’une telle loi soit juste et équilibrée et qu’elle permette de combattre la haine en ligne sans pour autant étouffer la liberté d’expression. Pour ce qui est de la proposition actuelle sur la propagande haineuse, un de nos plus grands soucis est de veiller à ce qu’on ne généralise pas trop le facteur du terrorisme parce que, comme vous le savez, c’est un des cinq sujets qui seront examinés. La définition actuelle est encore très large à notre avis, et nous devons la restreindre un peu plus.
Mme Abu-Laban : Oui. C’est une question très compliquée, parce qu’on parle aussi d’entreprises, Facebook, Google et ainsi de suite, qui ont des intérêts dans ce qui se passe, et des algorithmes qui peuvent orienter les gens dans certaines directions, alors oui, c’est une question très compliquée.
Je dirais que nous avons besoin d’une approche à l’égard des médias en ligne qui ne soit pas seulement liée à l’islamophobie, mais conceptualisée de façon plus large, parce qu’il y a aussi des menaces et d’autres genres de choses qui peuvent se produire sur les médias sociaux. Donc, si on ne veut pas qu’elle se retourne contre son objet et devienne elle-même un instrument d’islamophobie, il faut la situer dans le contexte plus large d’un changement de culture où, si les médias sociaux deviennent effectivement notre sphère publique, nous en revenons à ce que vous disiez au sujet des droits et des devoirs des citoyens. Quels sont les devoirs des citoyens dans une sphère publique en ligne et comment le respect trouve-t-il sa place dans les interactions?
Je n’ai pas de réponse facile à vous donner, parce que c’est compliqué, notamment par le fait que des compagnies ont des intérêts dans cette affaire.
La sénatrice Simons : Donc, madame Nur, nous savons tous que ce sont les femmes de couleur dans la vie publique qui sont le plus ciblées, suivies probablement par les politiciens de couleur dans la vie publique, monsieur Loyola. J’aimerais entendre ce que chacun de vous a à dire sur cette question très épineuse, à savoir comment trouver un équilibre entre la liberté d’expression et le fait que bon nombre de ces plateformes de médias sociaux sont devenues de véritables agents de propagation de la haine.
Mme Nur : Oui, c’est ma plus grande préoccupation, surtout que je suis sur le terrain à travailler, à offrir du soutien, et c’est aussi un commentaire politique sur certaines pratiques racistes qui s’appliquent parfois à l’échelle systémique. J’ai été ciblée, et c’est une période assez effrayante pour notre communauté.
Je pense qu’une des choses qui peuvent arriver... Nous avons eu l’occasion de nous asseoir avec Bill Blair lorsqu’il était ministre de la Sécurité publique, et nous avons eu beaucoup de conversations très constructives à ce sujet. Chose certaine, il faut plus de ressources, mais voici ce qui nous fait peur : nous savons que les ressources de surveillance ne viseront pas comme elles devraient les groupes extrémistes de droite. En fait, il s’agira encore de cibler et de surveiller les communautés musulmanes, comme dans tant d’autres problèmes que nous avons. Il faut donc trouver un juste équilibre et faire appel, je dirais, à des spécialistes des questions raciales et aussi à des experts de l’Internet pour trouver comment protéger nos communautés.
Il y a beaucoup de conversations très intéressantes à tenir. Il est très important aussi de considérer ce que les médias véhiculent, parce qu’il y a des aspects positifs de la solidarité communautaire qu’on ne met pas en évidence. Je vais vous donner un exemple concret. À Edmonton, nous avons eu un incident tragique qui a créé un élan de solidarité. Personne n’en a parlé, ce n’est pas dans les médias, mais cela a rassemblé deux communautés, les Noirs musulmans et les Autochtones. Il y avait un jeune garçon qui se noyait et quatre personnes autochtones se sont jetées à l’eau pour le sauver, au risque de leur vie. On n’en parle pas. Mais quand c’est une mauvaise nouvelle, tout le monde l’amplifie. Nous devons donc trouver comment amener les communautés à se solidariser et à se prendre en main dans un monde numérique, et cela nécessite des ressources. Nous devons aussi examiner le cadre législatif en matière de surveillance.
Et le sujet qu’on évite soigneusement lorsqu’il est question de liberté d’expression, de surveillance et ainsi de suite, c’est que, historiquement, quand on regarde notre gouvernement et certaines des politiques racistes qui ont été adoptées, elles étaient contre la communauté musulmane, elles ciblaient les musulmans. Il n’est donc pas étonnant que les musulmans aient peur, parce que nous savons que cette politique qu’on essaie d’élaborer aura des répercussions sur nous et qu’elle ratera sa juste cible, c’est‑à‑dire des gens qui causent énormément de tort. J’espère que cela répond à la question.
La sénatrice Simons : Oui. Monsieur Loyola, nous savons vous et moi, parce que nous utilisons tous deux les réseaux sociaux...
La présidente suppléante : Madame la sénatrice, je suis désolée. Je vais devoir vous interrompre. Je suis vraiment désolée.
La sénatrice Simons : Au deuxième tour alors, s’il vous plaît.
La présidente suppléante : J’ai une question pour vous. J’ai tellement de questions à poser à chacun et chacune de vous, mais je dois aussi être intraitable envers moi-même. Madame Nur, je vous écoutais très attentivement et je voulais vous poser une question qui a été soulevée à Vancouver. C’est une question que nous devons examiner séparément, celle de l’islamophobie sexospécifique, celle des attaques qui visent en particulier les femmes. Je me demandais si vous aviez réfléchi à cela.
Mme Nur : C’est à peu près ce que nous avons connu toute notre vie, je le dis bien franchement. C’est un sujet ardu parce que, dans les cercles où se tiennent des discussions comme celle‑ci, nous voulons nous montrer solidaires de nos frères et sœurs musulmans, et par extension de tous les êtres humains à protéger, avec le souci de préserver leurs droits à eux aussi et de célébrer en même temps notre culture.
Le problème, c’est que les Noires musulmanes sont victimes de beaucoup de tragédies, d’homicides et de violence à tous les niveaux, et qu’on ne leur prête guère d’attention, surtout aux Africaines qui font partie des réfugiés et des nouveaux arrivants. C’est pourquoi je ne suis même pas sûre en ce qui concerne... J’aimerais bien qu’on m’explique davantage à quoi ressemblerait la loi du citoyen, parce que nous arrivons ici emplies de compassion. Nous arrivons blessées, en provenance d’endroits qui ont été colonisés et réduits en esclavage, essentiellement par les pays européens. Nous arrivons avec un héritage de génocide, de colonisation et d’esclavage, et ce n’est pas de plein gré que nous sommes déplacées dans ce pays. Et nous voici maintenant sur un territoire autochtone qui est marqué lui aussi par sa triste histoire coloniale. Mettez ces deux communautés-là ensemble, et ajoutez à cela le racisme anti-Noirs que j’ai subi à la mosquée. Vous amenez la question de la violence sexiste dont j’ai été victime de la part d’hommes musulmans. Nous voulons agir en solidarité, protéger nos frères et nos sœurs, et on nous dit de penser de façon cohérente, mais ce n’est pas réciproque.
Alors, qu’est-ce qu’elles font, les musulmanes africaines? Elles s’assoient à l’arrière, elles se tiennent tranquilles, elles laissent le monde prendre les devants et se contentent de suivre. Nous avons peur de poser des questions critiques parce que nous serons rabrouées et rabaissées par notre propre communauté, dont nous avons pourtant grand besoin pour nous défendre contre les attaques qui viendront de l’extérieur.
Je dis que nous devons rassembler les musulmanes noires, et organiser un sommet rien que pour cela, parce qu’à bien y penser — surtout en pleine décennie des personnes d’ascendance africaine —, c’est en Afrique qu’on trouve la plus grande communauté musulmane de par le monde. Je viens de la Somalie, un pays qui porte un riche héritage islamique. Par exemple, lorsque les musulmans ont été persécutés au temps du prophète Sallallahu Wasallam, le premier endroit où ils ont cherché refuge était l’Abyssinie, en passant par la Somalie, et c’est en Somalie qu’a été construite la première mosquée dans le monde. Aujourd’hui, nous n’entendons pas parler de cela à la mosquée. Nous entendons parler de Bilal l’esclave noir, puis nous quittons les lieux parce que c’est blessant.
Puis nous allons dans d’autres endroits qui sont des lieux de savoir et de pensée critique sur la race, mais là on nous parle du racisme anti-Noirs, alors nous quittons les lieux. Puis nous rejoignons nos frères et sœurs de la communauté noire, où on nous parle de l’islamophobie qui s’est introduite chez les Noirs eux-mêmes, alors nous allons voir ailleurs. Imaginez le tort que cela peut causer à la santé mentale, comment cela peut vous ronger de savoir que vous n’êtes chez vous nulle part. Personne ne parle de cela.
En consultation, il y a beaucoup de réponses et de recommandations que je peux semer à la ronde. Je ne le fais pas parce que cela ne rend pas service à mes sœurs, vu qu’il n’y a pas eu d’effort de recherche visant expressément notre commmunauté. C’est pourquoi je ressens beaucoup de douleur, et je pense que vous pouvez le constater en ce moment, parce que la violence présente tellement de couches. Nous avons trouvé une façon de nous protéger, en puisant à fond dans une culture afro-autochtone qui date d’avant le colonialisme, et dans une foi islamique qui embrasse l’humanité et qui répand l’amour, le dévouement et la réconciliation.
Lorsqu’un Autochtone a attaqué une musulmane noire, nous avons reconnu la tragédie des traumatismes intergénérationnels et des pensionnats. Qu’avons-nous fait alors? Je me suis adressée à l’aide juridique des Native Counselling Services. Nous avons réuni les familles et elles ont discuté entre elles, parce que nous savons qu’il n’y a rien à gagner à criminaliser un Autochtone, et que les prisons ne sont pas des lieux de réhabilitation ou de guérison. Notre relation s’en est trouvée renforcée. Est-ce que les médias parlent de cela? Est-ce que les politiciens en entendent parler? Est-ce que les services publics y prêtent attention? Non. C’est pourquoi cette conversation est si pénible, à cause de l’exclusion continuelle que nous avons vécue.
La présidente suppléante : Merci beaucoup. Honorables sénateurs et sénatrices, mesdames et messieurs les témoins, c’est à moi que revient la tâche très difficile de mettre fin à la discussion, parce que nous avons un horaire très serré aujourd’hui, et le greffier me dit que je dois absolument finir à l’heure. Je vous prie cependant de considérer cela comme un début. Cette conversation ne se poursuivra peut-être pas comme telle, mais d’autres prendront certainement le relais. Je dois vous avouer qu’hier, après une journée complète d’audience, nous pensions bien avoir tout entendu. Et pourtant, vous avez tous apporté des points de vue très différents aujourd’hui, vous nous avez éclairé de riche façon et nous avons certainement beaucoup de matière à réflexion. Nous vous remercions tous et toutes et je m’excuse sincèrement auprès de mes collègues et de vous‑mêmes de mettre un terme à la discussion.
La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.
La présidente : Je vais maintenant présenter le deuxième groupe de témoins. On a demandé à chacun de faire une déclaration préliminaire de cinq minutes. Nous les entendrons à tour de rôle, puis nous passerons aux questions des sénateurs et sénatrices. Nous accueillons donc ce matin : M. Jibril Ibrahim, président de la Société culturelle canado-somalienne d’Edmonton; Mme Farha Shariff, conseillère principale pour l’équité, la diversité, l’inclusion et la décolonisation, au nom du bureau du doyen, Faculté de l’éducation, Université de l’Alberta; M. Houssem Ben Lazreg, professeur de langues modernes et d’études culturelles à l’Université de l’Alberta; enfin, M. Bashir Ahmed Mohamed.
J’invite maintenant M. Ibrahim à faire sa déclaration.
Jibril Ibrahim, président, Société culturelle canado-somalienne d’Edmonton : Merci beaucoup. Je tiens d’abord à remercier les sénateurs et sénatrices d’avoir fait tout le chemin à partir d’Ottawa pour venir nous entendre à Edmonton. Merci beaucoup.
La Société culturelle canado-somalienne d’Edmonton est un organisme à but non lucratif qui a été fondé en 1991 et constitué en personne morale en 2001. Elle est aussi enregistrée comme organisme de bienfaisance aux fins de la Loi de l’impôt sur le revenu.
L’islamophobie désigne un ensemble de propos et de comportements qui dénotent un sentiment d’anxiété, d’hostilité et de rejet à l’égard de l’islam et des musulmans au Canada.
Ses causes profondes sont les suivantes : les médias et les représentations culturelles des musulmans qui assimilent les croyances islamiques au fondamentalisme religieux et à la violence et au terrorisme d’inspiration politique; les partis politiques, en particulier d’extrême droite, et les mouvements qui exploitent les angoisses et le ressentiment enracinés dans les inégalités et l’insécurité économique croissantes et dans les pressions qui font baisser le niveau de vie; les courants politiques nationaux qui font porter à un groupe vulnérable la responsabilité d’une dégradation apparente de la sécurité physique et économique, une apparence que viennent renforcer les bulletins de nouvelles et les médias; le gouvernement de la province de Québec qui interdit aux femmes portant le hidjab de travailler pour l’État. Tous ces facteurs ont donné une certaine latitude aux gens qui détestent l’islam et les musulmans.
Si je m’en tiens à la communauté musulmane d’Edmonton, ce qu’on rapporte dans les médias n’est rien comparé à ce que les gens nous confient sur le terrain, à nous dirigeants communautaires. Les agressions physiques sont en hausse. On a vu des femmes, vous savez, sortir du Tim Hortons et se faire arroser de café. D’autres ont rapporté s’être fait lancer des œufs pendant qu’elles prenaient l’air dans le quartier.
Un certain nombre de femmes, vous savez, ont été harcelées pendant qu’elles magasinaient et se sont fait dire de retourner dans leur pays. Plusieurs nous ont dit avoir été traumatisées par ces rencontres, au point de ne plus vouloir sortir de chez elles. D’autres ont déclaré avoir été suivies au volant, intimidées et harcelées.
Les médias ont rapporté plusieurs incidents assimilables à des crimes haineux à Edmonton. Même la police a signalé une plus grande fréquence de ces incidents. Elle en a dénombré 70 en 2018, puis 57 en 2019, 60 en 2020 et 97 en 2021. Et ces chiffres ne rendent pas compte de la réalité que nous voyons sur le terrain, nous les dirigeants communautaires.
Le problème, c’est qu’à Edmonton, il ne faut pas s’adresser à la police pour signaler des crimes haineux. Il y a des cas documentés de personnes qui ont voulu dénoncer des crimes haineux mais qui n’ont pas été prises au sérieux lorsqu’elles ont appelé ou qu’elles se sont présentées au poste de police.
Nous avons réparti en trois catégories les victimes de crimes haineux, qui sont principalement des femmes, des Noirs et des musulmans : il y a d’abord les personnes qui hésitent à dénoncer parce qu’elles ont peur que les auteurs des crimes les suivent chez elles et leur fassent du mal; dans la deuxième catégorie, il y a les personnes qui veulent dénoncer mais qui en sont empêchées par des barrières linguistiques; dans la troisième enfin, les gens veulent dénoncer, mais c’est la police d’Edmonton qui les empêche de le faire.
La solution — je sais qu’elle relève seulement de la province, et c’est une discussion au niveau fédéral que nous avons en ce moment — est que nous allons devoir créer une instance distincte où les crimes haineux pourront être signalés. Cette instance pourrait travailler avec la police pour mener les enquêtes, n’est-ce pas?
Et nous parlons ici d’un grand nombre de crimes haineux, d’un grand nombre de choses qui se passent, mais la question maintenant est de savoir ce que nous devons faire, quelles mesures nous devons prendre.
Nous devons créer une base de données. On ne peut pas améliorer ce qu’on ne peut pas mesurer, comme on dit. Nous allons devoir créer une base de données nationale sur les crimes motivés par la haine et les cartographier grâce à un système d’information géographique. Cela va nous fournir de précieuses informations.
Qu’elle soit liée à la pauvreté, à la santé mentale ou à un acte criminel, il faut changer la définition de la haine. Quelqu’un qui sort d’un Tim Hortons et qui verse du café sur une femme portant le hidjab, cela ne constitue pas un crime haineux au sens où l’entend le Code criminel au niveau fédéral, alors il faut se pencher sur cette question. Poursuivre quelqu’un dans la rue pendant qu’il conduit et essayer de provoquer un accident, cela non plus n’est pas un crime selon la définition que nous avons en ce moment.
La police nous dit qu’il n’y a rien dans la loi qui lui permette d’accuser ces gens-là d’autre chose que de simples méfaits. Il y a eu un cas où une femme attendait dans sa voiture avec ses enfants que s’ouvre la classe du matin à la mosquée, lorsqu’une personne a fracassé le pare-brise avec un bâton de baseball. Les enfants en sont restés traumatisés. Ils ne veulent même plus monter dans le véhicule et ils ne veulent plus quitter leurs parents. Voilà ce qu’on vit dans la communauté.
En changeant la définition pour abaisser le seuil de ce qui constitue un crime haineux, on exercerait un puissant effet de dissuasion. Il faut publier un rapport trimestriel des crimes motivés par la haine qu’on puisse visualiser sur Internet ou quelque part dans le site Web et qui soit assez transparent pour que nous sachions au moins où nous en sommes sur le plan régional. Ensuite, avec cette cartographie ou ce système d’information géographique, nous pourrons savoir dans quels secteurs se concentrent les incidents, puis peut-être déterminer ce que nous pouvons faire. Est-ce que c’est lié à la santé mentale? Est-ce que c’est lié à autre chose? Nous n’avons pas ce genre d’information à l’heure actuelle.
Pourquoi faut-il modifier le Code criminel? Au cours des dernières années, nous avons constaté une augmentation des crimes haineux perpétrés contre les communautés autochtones, noires et de couleur au Canada. Les crimes haineux perpétrés contre la communauté musulmane canadienne, en particulier, ont augmenté en fréquence et en létalité.
Depuis 2015, on observe une tendance à la hausse des crimes haineux déclarés par la police. Au Canada, on est passé de 1 362 crimes haineux déclarés en 2015 à 1 946 en 2019.
Les crimes motivés par la haine ont un effet dévastateur. Ils plongent toute la communauté dans l’insécurité. Des études indiquent que les survivants de crimes motivés par la haine souffrent de troubles psychologiques et de problèmes de santé mentale qu’on n’observe pas chez les survivants de crimes non motivés par la haine. De plus, avec l’augmentation des agressions contre les musulmans, les Noirs, les Autochtones et d’autres communautés minoritaires, ces crimes sont en train de devenir une véritable crise de santé publique.
Il faut créer une base de données où seront versés les noms des coupables, comme on le fait pour les délinquants sexuels. S’ils déménagent dans un nouveau quartier, ils doivent être identifiés comme quelqu’un qui a été reconnu coupable d’un crime haineux pour que les voisins sachent à quoi s’en tenir. Quand ils auront purgé leur peine, pour que leur nom soit retiré de la base de données, ils devront faire 200 heures de travail communautaire au nom de la justice réparatrice, auprès de la communauté même à qui ils ont fait du tort, et peut-être obtenir une lettre de libération de sa part.
La plupart des Canadiens ne se rendent pas compte qu’il n’y a pas de dispositions juridiques précises concernant ce que beaucoup appellent un crime haineux. Cela signifie que si une personne s’approche d’une autre dans la rue et l’agresse en proférant des insultes racistes et qu’on détermine ensuite que l’agression était bel et bien un crime motivé par la haine, il n’y a pas d’article dans le Code criminel qui permette de porter une accusation contre cette personne.
La présidente : Monsieur Ibrahim, je suis désolée, mais nous accordons cinq minutes. Vous avez largement dépassé cinq minutes...
M. Ibrahim : Désolé.
La présidente : Si vous pouviez pour l’instant vous en tenir à ce que vous avez dit, vous disposerez de plus de temps durant la période des questions.
M. Ibrahim : D’accord.
La présidente : Merci beaucoup.
M. Ibrahim : Merci beaucoup.
La présidente : Nous donnons maintenant la parole à Mme Farha Shariff.
Farha Shariff, conseillère principale pour l’équité, la diversité, l’inclusion et la décolonisation, au nom du bureau du doyen, Faculté de l’éducation, Université de l’Alberta, à titre personnel : Merci beaucoup. J’aimerais souligner d’abord que je suis une immigrante de couleur, une musulmane de deuxième génération, fille d’immigrants de l’Ouganda et du Pakistan. Nous sommes tous des hôtes non invités.
Mes parents sont venus au Canada au début des années 1960 pour étudier à l’Université de l’Alberta. Plus tard, ils ont fait venir mes grands-parents de l’Ouganda au début des années 1970, à l’époque où Idi Amin chassait tous les Sud‑Asiatiques du pays.
Je vis, j’enseigne, j’ai désappris et j’ai appris sur les territoires non cédés du Traité no 6, dans la région métisse no 4. Les peuples autochtones des terres où j’ai vécu et où je vis, leur histoire, leurs langues, leurs cultures, leurs façons d’être et leurs modes de savoir imprègnent les différents milieux personnels et professionnels où je vis et je travaille.
Établie ici en tant que musulmane de couleur, en tant que fille, en tant que mère de trois femmes, je m’investis à fond dans ma propre libération des structures coloniales et des systèmes de suprématie blanche qui persistent depuis des siècles. Mon engagement constant et actif envers la décolonisation et la complicité mutuelle avec les peuples autochtones pour apprendre à leurs côtés est l’engagement de toute une vie, d’une génération et un héritage que je veux laisser à mes enfants.
J’ai été moi aussi victime d’islamophobie. Mes parents ont été victimes d’islamophobie. Mes trois enfants, lorsqu’elles étaient filles, ont été victimes d’islamophobie. Mon mari a été victime d’islamophobie. Il y a dans cette pièce des témoignages vivants d’islamophobie.
Je peux poursuivre en résumant certains des points soulevés par M. Ibrahim au chapitre des statistiques. L’islamophobie est un exemple de racisme systémique au Canada. Le Canada a ses propres antécédents et politiques de promotion de l’islamophobie. L’islamophobie au Canada a été reconnue comme un domaine prioritaire pour la recherche et la documentation, comme en fait foi la motion 103 adoptée à la Chambre des communes en 2017. Cependant, sur les 30 recommandations, une seule mentionne l’islamophobie dans le contexte de l’énoncé général condamnant le racisme systémique et la discrimination religieuse. Cette motion, qui a été adoptée après l’horrible attentat perpétré dans une mosquée de Québec en 2017, où six hommes ont été abattus lors de la prière du soir, remet en question notre compréhension collective du multiculturalisme.
Les médias se sont empressés de rejeter le blâme de cette tragédie sur la haine antimusulmane aux États-Unis, dont les discours et les politiques islamophobes de Donald Trump sont un bon exemple, mais une étude sur le site Web nationaliste blanc Stormfront a révélé que les déclarations et les sentiments islamophobes étaient plus répandus chez les abonnés canadiens qu’américains. Selon la chercheuse Zine et d’autres, la montée du taux d’islamophobie au Canada a eu des répercussions sur les musulmans bien avant cette tragédie, et cette situation ne fait qu’empirer.
Comme M. Ibrahim l’a mentionné, il y a toute une industrie qui soutient l’islamophobie en 2022 et qui perpétue la peur et les stéréotypes négatifs à l’égard de l’islam et des musulmans, ce qui mène à la haine, à la violence et à la discrimination. Cette industrie comprend des médias, des organes de presse, des politiciens, des universitaires, des groupes de réflexion, des groupes et des idéologues d’extrême droite, ainsi que les donateurs qui financent leurs campagnes. Ces personnes, ces groupes et ces institutions créent un système qui soutient les activités visant à démoniser et à marginaliser l’islam et les musulmans au Canada.
Selon Statistique Canada, les crimes haineux contre les musulmans au Canada ont augmenté de 253 % de 2012 à 2015. Un sondage Léger mené en 2016 a révélé une détérioration constante de la perception des francophones à l’égard de l’islam depuis 2012, 48 % des répondants du Québec ayant une perception négative.
Au cœur de l’islamophobie se trouve la montée du nationalisme blanc et de la xénophobie dans les espaces en ligne, qui se manifeste dans la confidentialité des salons de clavardage sur Internet, ainsi qu’ouvertement, dans des manifestations publiques partout au Canada, depuis les deux dernières années. La présence du nationalisme suprémaciste blanc partout au Canada a pris un nouvel essor. Il y a plus de 100 groupes suprémacistes blancs qui ont des activités au Canada. Selon l’Agence des services frontaliers du Canada, l’idéologie de droite en Alberta est en expansion. Cependant, ce sont les musulmans et les autres groupes racisés qui continuent d’assumer la responsabilité collective des actes commis ou allégués.
À titre d’exemple, l’arrestation récente par la GRC de deux musulmans accusés de terrorisme à Kingston, en Ontario, a amené le chef conservateur Andrew Scheer à réclamer un contrôle plus strict des réfugiés au Canada.
J’ai moi-même fait l’objet d’islamophobie et je peux témoigner de mes expériences à ce chapitre. Récemment, soit l’année dernière, j’ai dû travailler à partir de la maison après avoir fait une observation — une observation professionnelle —, mon point de vue sur la question de savoir si quelque chose était raciste ou non ayant été rapporté dans les médias. Quelqu’un s’est manifesté et m’a harcelée publiquement et professionnellement, a cherché de l’information sur mon lieu de travail et m’a forcée à travailler à partir de chez moi. J’ai demandé l’aide de la police d’Edmonton, pour me faire dire que les incidents à mon endroit ne constituaient pas de la haine.
Je ne peux pas vous dire à quel point cette expérience m’a causé un préjudice psychologique. Je ne peux pas vous dire à quel point il est psychologiquement difficile de vivre dans la peur. J’ai failli refuser votre invitation de crainte de ce qui pourrait arriver si je parlais en toute franchise de ma réalité académique et personnelle. Je me suis inquiétée de l’endroit où je pourrais me stationner et de la façon de me rendre à pied à cet hôtel, même si je ne suis pas une cible visible autrement qu’en raison de la couleur de ma peau. J’ai choisi de ne pas porter le hidjab, ce qui constitue un autre niveau de représentation pour les femmes. En plus, j’ai le privilège d’être éduquée. J’ai le privilège d’avoir un poste à l’université, où je peux exprimer ma réalité et celle d’autres femmes également. Ce ne sont pas toutes les femmes qui ont ce privilège.
J’ai quelques recommandations précises à formuler dans le cadre du projet de recherche sur l’industrie canadienne de l’islamophobie : examiner et cartographier les réseaux politiques, idéologiques, institutionnels et économiques qui stimulent les craintes et la panique morale islamophobes au Canada; définir l’industrie de l’islamophobie au Canada, ainsi que les récentes tendances et stratégies des agents de l’islamophobie qui ont été relevées; créer des profils de personnalités, ainsi que d’organisations publiques, médiatiques et politiques clés, qui produisent et distribuent des idéologies et de la propagande islamophobes; produire des résultats pour collaborer efficacement au sein d’un réseau plus vaste de groupes de défense musulmans et alliés au Canada. Le but visé est de mettre en œuvre des stratégies de sensibilisation améliorées pour un public cible, y compris le gouvernement, les médias et le grand public.
Il faut rendre la recherche universitaire pertinente et accessible, grâce à des forums stratégiques et communautaires pour appuyer la défense des intérêts communautaires et la justice sociale. Les responsabilités des programmes de formation des enseignants à l’échelle du pays doivent être considérées comme un moyen d’informer les futurs enseignants et les étudiants sur le racisme, l’oppression et l’islamophobie. Il faut doter les enseignants des connaissances et des compétences nécessaires pour contrer ces sentiments dans les écoles.
Le renouvellement des programmes d’études, afin qu’ils ne soient pas empreints d’une idéologie de droite, est nécessaire dans toutes les provinces et doit être une priorité pour s’assurer que la compréhension de la fonction et des effets de l’islamophobie est incluse dans le programme obligatoire d’études en sciences humaines.
Il faut désigner le 29 janvier comme journée nationale de commémoration et d’action contre l’islamophobie. Faire de cette journée un jour férié à l’échelle fédérale serait un acte de solidarité avec les communautés musulmanes du Canada et du monde entier et permettrait de veiller à ce que les leçons tirées de cette tragédie ne soient pas oubliées.
Il faut améliorer la coordination à long terme, la collecte de données, la production de rapports et la planification entre les différents secteurs et les différents ordres de gouvernement.
Il faut plus d’éducation dans tous les secteurs publics, y compris les soins de santé, l’éducation, le système judiciaire, les organismes d’application de la loi et d’autres institutions publiques, afin de sensibiliser activement les Canadiens moyens au problème du racisme systémique, de la discrimination religieuse, et plus particulièrement de l’islamophobie.
La présidente : Je suis désolée de vous interrompre, mais vous avez largement dépassé les cinq minutes.
Mme Shariff : Pas de problème. Je vais conclure.
La présidente : Ce sera tout. Nous aurons ainsi du temps pour les questions et réponses. Vous avez soulevé de nombreux points, et je suis certaine que les sénateurs auront des questions à vous poser.
Mme Shariff : Merci.
Houssem Ben Lazreg, professeur de langues modernes et études culturelles, Université de l’Alberta, à titre personnel : Bonjour à tous, y compris aux honorables sénateurs. Merci beaucoup de me donner cette occasion unique de présenter mon point de vue et mon témoignage sur l’islamophobie au Canada. Je tiens d’abord à souligner que je me trouve sur le territoire visé par le Traité no 6, sur les terres ancestrales des Premières Nations, des Métis, des Inuits et de tous les peuples autochtones du Canada, dont la présence continue d’enrichir notre communauté dynamique.
[Français]
L’Université de l’Alberta, d’où je viens, reconnaît respectueusement qu’elle est située sur les terres du Traité no 6, territoire traditionnel des Premières Nations et du peuple métis.
[Traduction]
Bien que les musulmans soient de confession monothéiste puisqu’ils adorent un seul dieu, leur patrimoine est riche et leur identité hétérogène. L’oumma, c’est-à-dire la communauté mondiale des musulmans, reflète cette diversité, ne serait-ce que par les populations qui la constituent. Par conséquent, les musulmans et leurs communautés doivent être analysés dans le contexte de leurs multiples identités intersectionnelles. Il est essentiel d’honorer l’héritage historique et d’affirmer la contribution et l’excellence des musulmans et de leurs communautés partout dans le monde, ainsi que de faire progresser leur résistance et leur libération.
Malheureusement, l’islam a souvent été présenté comme étant contraire aux pratiques et aux valeurs occidentales. La situation s’est d’ailleurs aggravée après les attentats du 11 septembre, et le racisme contre les musulmans a été alimenté par les crises permanentes de réfugiés, l’impérialisme culturel, la guerre mondiale contre la terreur et le paysage politique de la peur.
Les communautés musulmanes du Canada continuent d’être touchées de façon disproportionnée par les pratiques discriminatoires, la violence policière et les mesures oppressives de surveillance contre le terrorisme. Il est question ici de la sécuritisation des communautés musulmanes. La perception que les gens ont des communautés musulmanes se situe toujours dans un contexte de sécurité. Ces communautés sont toujours présentées comme un danger pour la sécurité nationale.
Cela crève le cœur de voir que, de nos jours, des musulmans sont assassinés alors qu’ils prient dans des mosquées, la fusillade à la mosquée de Québec étant le dernier épisode de cette violence.
Sur une note personnelle, dans les jours qui ont suivi cette attaque, j’ai honnêtement eu peur d’aller à la mosquée. Le fait est que lorsque nous commencions à prier, j’avais toujours le réflexe de regarder par-dessus mon épaule. Qui sait? Cette idée a fait son chemin dans ma tête. Qui sait, peut-être qu’un jour quelque chose de semblable pourrait m’arriver. Pourquoi? Parce que je viens prier avec des gens qui partagent ma foi. Et c’est devenu une idée qui me hante, le fait de se rendre à la mosquée et que tout à coup quelqu’un arrive avec un fusil et attente à nos vies.
Cette crainte n’a fait qu’empirer après la fusillade de Christchurch en Nouvelle-Zélande, le signe que cela continue. Le simple fait d’aller à la mosquée est devenu un risque pour la vie, une activité qui peut littéralement être fatale.
Cela crève le cœur également de constater que des gens qui font une simple promenade peuvent être tués, comme nous l’avons vu à London, en Ontario. Trois générations ont été éradiquées par un terroriste blanc qui s’est attaqué à toute une famille, seul un garçon de 9 ans ayant survécu.
Je me demande : comment faut-il parler à ce garçon? Comment pouvons-nous lui expliquer ce qui s’est passé, que sa mère, sa grand-mère, son grand-père sont partis? Imaginez si cet enfant était le vôtre. Que lui diriez-vous? Comment pouvons‑nous lui dire que c’est la société dans laquelle il va grandir? Imaginez le traumatisme que cet enfant va subir jusqu’à la fin de sa vie, privé de ses parents, privé de l’amour de ses parents et de ses grands-parents. L’histoire de ce garçon hantera la société canadienne à jamais.
Les musulmanes que leur tenue rend visibles ont peur de prendre le train léger, même à Edmonton, et nous avons vu tellement de cas de femmes portant le hidjab qui ont été agressées dans des stations du train léger. Lorsqu’un suivi de ces cas a eu lieu, que s’est-il passé? Y a-t-il eu des répercussions? Il suffit de constater que ces incidents continuent de se produire, ce qui montre qu’aucune mesure efficace n’est prise.
Des mosquées et des centres islamiques sont vandalisés et menacés. On est à même de vérifier le nombre de cas de gens qui viennent et dessinent des choses sur la mosquée, sur les murs et d’appels à la bombe contre des mosquées. Pourquoi dois-je subir cela du simple fait que je me rends à la mosquée pour prier? Soit on va me tirer dessus un jour, soit la mosquée où je me trouve fera l’objet d’un attentat à la bombe.
Tout cela est au cœur de l’islamophobie ou de ce que je préfère appeler le « racisme antimusulman ». J’aimerais faire un commentaire sur la terminologie utilisée. Bien que l’islamophobie soit définie comme la crainte de la menace que représentent les musulmans, il y a aussi un débat entre l’utilisation du terme « muslimophobie », qui signifie hostilité envers les groupes, les communautés ou les individus musulmans, ou islamophobie, qui est l’hostilité contre l’islam comme religion.
L’islamophobie demeure le terme le plus répandu dans le discours public, mais, malheureusement, je crois qu’il ne traduit pas fidèlement la façon dont sont alimentées les formes de discrimination raciale et religieuse auxquelles font face les musulmans au Canada. Le terme phobie laisse supposer que cette discrimination est uniquement un problème de préjugés individuels, laissant dans l’ombre la production structurelle et systémique de racisme antimusulman. Il ne s’agit pas d’une phobie clinique ou d’un problème psychologique.
Autrement dit, le terme « islamophobie » fait davantage ressortir la peur des populations non musulmanes que les effets matériels, émotionnels, physiques et psychologiques réels de la violence perpétrée contre les communautés musulmanes.
J’aimerais donc remplacer le terme « islamophobie » par « racisme antimusulman », afin de refléter fidèlement l’intersection de la foi et de la religion comme réalité des inégalités structurelles et de violence enracinées dans l’histoire du colonialisme canadien.
Sur le plan conceptuel, l’accent mis sur le racisme antimusulman est lié à une analyse de l’histoire et des formes de domination, qui vont de la suprématie blanche, de l’esclavage et du colonialisme au multiculturalisme et à la logique sécuritaire de la guerre et de l’impérialisme, qui sont à l’origine de diverses formes d’exclusion raciale, ainsi que de l’intégration dans des structures racistes.
Je vous invite aussi à remettre en question la notion selon laquelle le problème repose sur des préjugés individuels, et que le simple fait d’en savoir plus sur l’islam mènera nécessairement à une diminution du racisme antimusulman. J’estime en outre qu’il est essentiel d’en apprendre davantage sur la façon dont les structures de la violence, des inégalités et de la guerre ont engendré le racisme et la discrimination à l’égard des musulmans, ainsi que sur l’incidence qu’elles ont sur la vie quotidienne, afin de remettre en question les hypothèses, la logique et les pratiques qui les sous-tendent.
Le deuxième commentaire que j’aimerais faire est que le racisme et l’hostilité antimusulmans sont souvent intersectionnels. C’est un problème auquel nous devons probablement nous attaquer, car les femmes musulmanes sont triplement pénalisées, du fait qu’elles sont des femmes, qu’elles appartiennent à une minorité ethnique et qu’elles sont musulmanes, un ensemble de caractéristiques qui peut être fatal.
Il en va de même pour les communautés musulmanes LGBTQ. Les musulmanes d’ici suscitent la crainte et sont considérées comme des ennemies au sein de la société parce qu’elles ne reflètent pas l’idéal occidental de la féminité. Ici, le symbole que représentent le voile et le hidjab est crucial, car ils sont non seulement perçus comme un signe de soumission, mais aussi comme un signe d’agression islamique. La tenue vestimentaire a donc un effet sur l’expérience des musulmans, y compris dans les espaces publics, et sur leur vie dans la société occidentale en général. En conséquence, les universitaires — et je cite ici — sont d’avis que le foulard est considéré comme une seconde peau.
La troisième idée que j’aimerais mentionner est l’idée que le musulman a le statut d’homo sacer. L’homo sacer est un concept développé par le philosophe italien Agamben. Le concept d’Agamben de cet homo sacer émerge de la distinction qui était faite dans la Grèce antique entre la vie biologique ou le simple fait de vivre, ce qui est commun à tous les êtres, et un mode de vie particulier.
Selon lui, l’homo sacer est une personne réduite à une vie dépolitisée ou nue, qui peut être exclue ou exilée de la société et, par conséquent, qui peut être tuée par quiconque en toute impunité. Des musulmans sont tués en toute impunité; ainsi, leur corps devient un espace d’exception où différents degrés de violence verbale, émotionnelle, psychique et physique sont permis. Le corps des musulmans est un corps qui peut être tué sans répercussions. Cela ne peut pas être ignoré. C’est comme si nous permettions l’intériorisation, la légitimation et la normalisation de la déshumanisation du corps des musulmans de façon plus subtile et invisible.
Mon quatrième commentaire concerne les médias. De nombreuses analyses des médias canadiens ont conclu que l’islam et les musulmans reçoivent une couverture négative disproportionnée, tant sur le plan quantitatif que qualitatif, et qu’ils sont plus susceptibles d’être présentés comme des terroristes ayant des motivations plus violentes.
Le cinquième et dernier point concerne le travail que nous devons faire pour empêcher l’adoption du projet de loi 21. Je sais que le Conseil national des musulmans canadiens déploie beaucoup d’efforts pour que ce projet de loi soit rejeté. Est-il possible d’imaginer que nous vivons au XXIe siècle, dans une société démocratique où l’adoption de lois qui font d’un certain groupe de personnes des citoyens de seconde zone est permise?
Littéralement, sur un plan personnel, si je voulais enseigner — j’enseigne en fait ici à l’Université de l’Alberta et si j’étais une femme musulmane, je devais renoncer à mon projet parce que je porte un hidjab. Pourquoi diable cela se produit-il?
La présidente : Je suis désolée. Je dois vous interrompre. Vous en êtes à 10 minutes et...
M. Ben Lazreg : Bien sûr.
La présidente : ... nous avons besoin de temps pour les questions et les réponses.
Bashir Ahmed Mohamed, à titre personnel : Bonjour. Je suis né le 12 décembre 1994 à Nairobi, au Kenya, et je m’appelle Bashir Ahmed Mohamed, ce qui signifie en arabe « celui qui apporte la bonne nouvelle ». Je suis né réfugié apatride. Le Kenya n’a pas accordé la citoyenneté à ma famille, et il n’y avait pas de gouvernement en Somalie à ce moment-là.
En février 1997, ma famille a obtenu l’asile au Canada. Nous avons atterri ici au milieu de l’hiver, et ma sœur m’a convaincu que la neige était du sucre, alors j’en ai mis dans mon sac à dos et elle a fondu. C’est la toute première expérience que j’ai vécue à Edmonton.
Je ne suis pas tout à fait certain de la raison pour laquelle nous nous sommes établis à Edmonton, mais il y avait une case dans nos documents sur les réfugiés qui disait « personne disposée à vous soutenir », et à l’intérieur de cette case, il y avait deux mots : « Edmonton, Alberta ». C’est ainsi qu’Edmonton est devenu mon chez-moi.
J’ai grandi du côté nord dans une unité de logement social appelée Dickensfield III. Je me souviens encore de mes amis et du fait que nous avions l’habitude de faire la course à vélo dans le quartier ou de rester dehors tard les soirs d’été pour jouer au basketball. Mais la vie était difficile. J’ai grandi pendant la grande vague de meurtres de Somaliens. De jeunes enfants de mon âge mouraient sans raison. Lorsque j’étais en huitième année, le 2 décembre 2008, un jeune Somalien a été assassiné juste à l’extérieur de chez moi. Je me souviens que la police a enlevé son corps pendant la nuit, et je me suis rendu à l’école en passant tout près de l’endroit où il était mort. Il s’appelait Ahmed. Son meurtre n’est toujours pas résolu.
La haine à laquelle la communauté somalienne a fait face dans les années 2000 a été ma première expérience d’être perçu autrement, d’être détesté simplement parce que j’existais. La deuxième fois que j’ai eu ce sentiment, c’est lorsque j’ai essayé de prendre l’avion après avoir reçu ma citoyenneté canadienne. J’avais 16 ans. Je me souviens d’être allé au comptoir et d’avoir vu un avertissement à l’écran. L’avertissement indiquait « passager considéré à risque ». J’ai appris par la suite ce que cela signifiait, et j’ai fait l’objet d’une vérification supplémentaire, non pas à cause de quelque chose que j’avais fait, mais parce que mon nom était semblable à celui de quelqu’un d’autre sur la liste.
Cela a continué de se produire chaque fois que j’ai pris l’avion et me rappelait que je n’étais pas un Canadien ordinaire. Dans trois heures, je retourne à Victoria, où je suis détaché, et je n’ai pas pu m’enregistrer en ligne, alors je suppose que cela se produira de nouveau.
Ces événements ne sont qu’un exemple du poids que j’ai porté en grandissant. Ce poids m’a imposé des contraintes et s’est alourdi, à mesure que la rhétorique islamophobe et les crimes haineux augmentaient, des crimes haineux comme la fusillade à la mosquée de Québec ou l’attaque de Christchurch, des crimes qui sont influencés par des politiciens canadiens et des personnalités canadiennes populaires de la droite alternative sur Internet, qui ont promu et continuent de promouvoir le mythe raciste et non prouvé du génocide des Blancs.
Malgré ce poids que je devais porter, j’ai obtenu mon diplôme d’études secondaires et mon diplôme d’études universitaires. J’ai travaillé comme fonctionnaire au sein du gouvernement de l’Alberta et, à 24 ans, soit il y a trois ans, je me suis joint aux Forces armées canadiennes, où je suis actuellement officier de marine. Pourtant, il y a encore une force qui pèse sur moi et qui me fait considérer comme un criminel, non fiable et suspect.
Cette force est difficile à expliquer, mais elle est soutenue par la politique gouvernementale, par les appels du pied dans les messages politiques et par l’indifférence. C’est une force qui se manifeste par des contrôles supplémentaires à l’aéroport ou par le fait que je suis la cible potentielle d’un crime haineux de masse. C’est une force que je ne peux pas contrer, même en tant qu’officier des Forces armées canadiennes, et surtout en tant qu’officier des Forces armées canadiennes.
Lorsque je me suis enrôlé dans l’armée, je l’ai fait parce que je croyais à la mission et au rôle que jouent les militaires dans le service et la protection du Canada. J’ai fait une promesse au Canada et, lorsque je retire mon uniforme, cette promesse semble ne plus avoir de valeur. Lorsque je retire mon uniforme, le même poids et la même peur avec lesquels j’ai grandi me reviennent.
Cette situation est difficile à expliquer, et je ne sais pas pourquoi je m’y retrouve, mais quand je suis né le 12 décembre 1994 et que l’on m’a donné ce nom, cette force a commencé à peser sur moi. Je n’ai pas eu le choix. Mais vous, sénateurs, avez le choix et pouvez résister à cette force. Merci.
La présidente : Merci beaucoup. Je suis impressionnée. En tant que présidente, je ne pose habituellement pas de questions au départ ou je ne dis rien, mais aujourd’hui, je vais me permettre de le faire, honorables sénateurs, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.
Monsieur Mohamed, vous avez abordé brièvement cette question. Hier, un de nos témoins a dit ce que vous venez de dire sur le fait que le terme « islamophobie » n’était pas vraiment adéquat, parce qu’il se limite à la peur de l’islam et ne s’étend pas — et j’ai publié un gazouillis à ce sujet hier — aux conséquences de cette peur, comme la discrimination et la violence, dont il est question dans toutes les histoires que nous venons d’entendre.
Donc, en tant que présidente, je m’interroge, et je sais qu’il en va de même pour la sénatrice Jaffer et le reste d’entre nous. Nous avons décidé que cette étude portait sur l’islamophobie, et je suis en train de repenser à cela. Je pense qu’il faut trouver un nouveau terme — est-ce que racisme antimusulman est assez puissant? Nous en sommes à nous demander comment appeler cette étude, après ce que nous avons entendu. Hier, c’était notre première audience publique. Nous avons entendu des propos semblables à ceux que vous avez eus aujourd’hui. Je crois donc qu’il faut tout repenser.
Quant à vous, Bashir Ahmed Mohamed, vous sentez qu’il y a des forces que vous ne pouvez pas combattre. En tant que sénatrice, il m’est arrivé d’être mise de côté, et je crois que la sénatrice Jaffer a eu des expériences similaires, tout comme mes enfants d’ailleurs. Les noms ont tellement à voir avec cela. Quelqu’un a demandé à ma fille, la plus jeune, Shaanzéh Ataullahjan, de changer son nom, après ses études de droit à Toronto, alors qu’elle avait de la difficulté à trouver un emploi, à cause de son nom pour une large part. Elle a toujours dit : « Je ne travaillerai jamais à un endroit où on n’est pas à l’aise avec mon nom », alors je vous remercie. Je vous remercie tous. Je connais les difficultés, des difficultés auxquelles nous faisons tous face.
Je vais maintenant m’arrêter et céder la parole à la sénatrice Jaffer, qui sera suivie de la sénatrice Simons.
La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup. Vous avez tous soulevé beaucoup de questions, et je sais que je dois respecter mes autres collègues qui ont peut-être aussi des questions.
Vous avez tous soulevé un grand nombre de questions, et j’en ai tellement à vous poser, mais je vais me limiter à quelques‑unes, en commençant par vous, monsieur Mohamed. Vous dites que vous faites partie des Forces armées canadiennes, que vous êtes officier de marine et vous avez toujours des problèmes à prendre l’avion. Je ne vous parlerai pas de mes problèmes. Mais je suis surprise. N’a-t-on pas cherché à tirer cela au clair?
M. Mohamed : Oui. Il existe un système de numéros de recours, de sorte que quiconque figure sur la liste d’interdiction de vol peut inscrire un numéro lorsqu’il réserve un vol. Je tiens à vous faire remarquer que ce numéro s’appelle numéro canadien de voyage et sert à réserver des vols, précisément pour les gens qui figurent sur cette liste.
Par principe, je n’ai pas présenté de demande dans le cadre de ce programme, parce que le simple fait que je demande ce numéro spécial et que je doive l’inscrire chaque fois que je prends l’avion signifie que je suis un Canadien différent des autres.
Le SCRS dispose d’un budget d’environ un demi-milliard de dollars, alors je suis sidéré de constater qu’il se concentre uniquement sur les noms lorsqu’il s’agit de repérer des gens. Pour ce qui est de la façon de régler le problème, je pense que le plus simple serait d’éliminer ce système et d’avoir un meilleur service de renseignements, une meilleure infrastructure de sécurité. Pour moi, le système actuel est un échec.
Pour ce qui est de cette question, c’est devenu un gros problème il y a quelques années avec les interdictions de prendre l’avion qui visent les enfants. J’ai fait partie de ce groupe. Je pense que la solution proposée laisse à désirer. Et comme je refuse d’obtenir ce numéro, je continue de faire face à des difficultés.
La sénatrice Jaffer : Merci. J’ai une question pour vous, madame Shariff. Comme nous avons à peu près les mêmes antécédents — je veux dire votre famille et moi —, je me retrouve assez bien dans ce que vous avez dit. Je veux simplement savoir si l’université vous appuie.
Mme Shariff : Tout à fait. D’ailleurs, j’ai communiqué avec M. Mohamed à l’été 2021, quand il trouvait difficile d’être la cible des médias, étant donné que je vivais le même problème. Mon département m’a appuyé sans réserve. J’ai reçu un appel de mon président et du doyen. J’étais gênée. J’ai l’impression de m’être infligée moi-même cette situation.
Et c’est un problème pour les universitaires, surtout dans mon domaine de recherche qui est la lutte contre l’oppression et le racisme. Que c’est donc pratique qu’une musulmane ait un doctorat en lutte contre l’oppression! Mes parents m’ont longtemps suppliée de ne pas étudier dans le domaine de la lutte contre le racisme. Je pense qu’ils sont encore sous le choc de ce que je fais pour gagner ma vie, c’est-à-dire éduquer les gens sur ce qu’est la haine contre les musulmans. Cela étant, l’université, mon département, les gens de mon secteur, m’ont appuyée sans réserve.
La sénatrice Jaffer : Merci. J’ai une question pour vous, monsieur Ibrahim.
M. Ibrahim : Je vous écoute.
La sénatrice Jaffer : Depuis ce matin, comme vous tous, j’entends dire une chose que je n’arrive pas à croire — en fait, je le crois tout à fait, comprenez-moi — soit que la police ne fait rien. Vous êtes très connu partout au pays. Vous êtes une figure de proue de votre communauté. Quel genre de relation la police entretient-elle avec vous et avec votre communauté?
M. Ibrahim : La relation entre la police et ma communauté n’est pas au beau fixe. Cela a beaucoup à voir avec... Environ 70 jeunes ont perdu la vie à Edmonton à cause des gangs. Aucun des auteurs ou des acteurs de ces crimes n’a jamais été arrêté. La communauté en a parlé avec la police, mais elle ne prend pas du tout cela au sérieux.
Nous avons vu, par exemple, un cas où un jeune garçon ougandais a été battu par sept camarades d’école. Sa mère est allée voir la police avant de le conduire à l’hôpital, et on lui a dit de retourner à l’école et de parler avec l’administration. L’affaire est restée sans suite. Elle a donc dû emmener son fils à l’hôpital, où ils sont restés toute la nuit, pendant un week-end. Elle est revenue le lundi d’après pour signaler l’incident, mais elle s’est heurtée à la barrière linguistique. Elle parlait le swahili et pas l’anglais. On ne l’a pas prise au sérieux. Puis, elle s’est fâchée, car elle était très contrariée. Elle a commencé à leur parler dans la langue qu’elle connaissait. Ses interlocuteurs ont alors senti le besoin d’envoyer quelqu’un chez elle, ce qui fut fait, mais ce n’est pas allé plus loin. Même le chef de la police s’est rendu sur place — c’est dans la presse — mais il a déclaré que c’était une dispute sur le thème du consentement. Pouvez-vous imaginer qu’un garçon et sept autres élèves se sont battus pour une question de consentement? C’est insensé, non?
La police n’entretient pas de bonnes relations avec les groupes marginalisés et racisés, parce que nous soulevons beaucoup de questions auxquelles elle ne donne pas suite, et c’est cela qu’elle n’aime pas.
La sénatrice Jaffer : J’ai une autre question...
M. Ibrahim : J’aimerais ajouter autre chose. La veille de la fête du Canada, quelqu’un a appelé et a laissé un message haineux sur la boîte vocale de la communauté. Nous avions prévu de célébrer la fête du Canada le lendemain. Je m’étais dit que des centaines de gens assisteraient à cet événement et je ne voulais pas prendre de risque à cause de cette personne mal intentionnée qui avait laissé le message que voici : « Est-ce que ta sale bande de musulmans somaliens dégénérés va célébrer la fête du Canada ou pas? » C’était cela son message. Et cette personne ne s’est même pas cachée, car elle a fait l’appel de son propre téléphone, de son portable.
J’ai envoyé un courriel à tous les contacts que nous avions à la police, mais sans trop y croire. Comme c’était un jour férié, je me suis dit que ces contacts nous feraient le coup des courriels non consultés parce que c’était un jour férié. Je suis alors passé à la vitesse supérieure en composant directement le 911, tandis que j’aurais dû appeler le numéro normal. J’ai exposé mon cas. J’ai fait suivre le contenu de la messagerie vocale et toutes les informations disponibles. J’ai dit : « Voilà le message téléphonique. Demain, nous aurons un événement et nous avons besoin de protection. Je ne veux pas me laisser intimider et nous tenons à célébrer la fête du Canada. Il faut que la police nous aide. » Plus tard aux nouvelles, la police a même reconnu son échec ce jour-là.
Aucun policier ne s’est présenté, mais des gens menaçants sont venus. Nous avons dû verrouiller les portes. Nous espérions que rien n’arriverait à ceux et celles qui s’étaient rendus à pied à l’événement, car ils auraient pu être attaqués. C’est de cela dont nous avions peur.
Voilà le genre de relation que nous avons avec la police. Même quand on appelle le 911 et qu’on donne tous les détails, qu’on envoie un courriel, c’est pareil. Nous avons communiqué tous ces renseignements et, jusqu’à maintenant, le chef de police n’a même pas appelé pour s’excuser.
La sénatrice Jaffer : Mon temps est écoulé. J’ai une question pour vous, monsieur Lazreg, mais j’attendrai le second tour, s’il y en a un. Merci, madame la présidente.
La sénatrice Simons : Ma première question s’adresse à Mme Shariff. Vous travaillez dans le cadre d’un programme conçu pour faire de l’Université de l’Alberta un endroit moins raciste et plus inclusif. C’est là votre domaine d’expertise. Pourriez-vous nous donner quelques exemples du travail pratique qui se fait au sein de la plus grande université de l’Alberta ainsi que d’autres solutions pratiques sur lesquelles vous êtes éventuellement tombée dans vos recherches relatives à la façon dont notre société s’attaque à ces problèmes?
Mme Shariff : Je vous remercie de la question. Comme je n’ai commencé que le 1er septembre, les choses ne sont pas très avancées. Nous sommes un secteur de programme de la Faculté d’éducation et, à ce titre, nous étudions la façon dont nous recrutons, embauchons et maintenons en poste des chercheurs de couleur et des chercheurs autochtones. Nous révisons une grande partie de notre structure de gestion des RH, pour ainsi dire, parce qu’il y existe actuellement un processus de contrôle pour déterminer qui peut accéder à ces postes permanents.
Nous travaillons en étroite collaboration avec les conseils scolaires au sujet de l’importance de la lutte contre le racisme dans les écoles. J’oserai dire que si de nombreux conseils scolaires ont effectivement des politiques de lutte contre le racisme, ce ne sont que des politiques.
La pédagogie et les programmes d’études sont deux choses différentes, comme vous le savez. La pédagogie est la façon dont les enseignants abordent leur enseignement. Les programmes d’études sont ce qu’on leur dit d’enseigner, et nous avons de nombreuses façons différentes d’étudier et d’analyser les programmes d’études.
Donc, à l’université et dans notre domaine en particulier, nous cherchons des moyens d’inciter les enseignants — car cela se fait actuellement sur une base volontaire — à envisager la lutte contre l’oppression comme un moyen de sauver des vies. Nous avons donc un énorme travail à faire, mais les choses n’avancent pas vite, comme pour la plupart des travaux en matière d’équité. S’agissant de mon rôle à cet égard, j’ai pour objectif de travailler en étroite collaboration avec les écoles et les conseils scolaires, de sorte à les tenir responsables de faire de la lutte contre l’oppression une priorité.
[Français]
La sénatrice Simons : Maintenant, même si je ne suis pas bilingue — pas du tout —, je voudrais poser une question en français parce que nous sommes au Sénat du Canada; c’est une institution bilingue. J’ai une question en français pour le professeur Ben Lazreg.
À Edmonton, nous avons une communauté musulmane très diversifiée. Pour les francophones qui viennent ici du Maghreb et du sud de l’Afrique, y a-t-il assez de services pour les musulmans francophones? Y a-t-il du soutien ou y a-t-il des liens entre la communauté anglophone ou arabe et la communauté francophone musulmane?
M. Ben Lazreg : Merci pour votre question. Avant, nous avions une organisation qui s’appelait AMPAC — the Alberta Muslim Public Affairs Committee. J’ai travaillé auprès de cette organisation —
[Traduction]
La présidente : Puis-je vous demander de vous arrêter un instant? Nous voulons que les autres témoins entendent l’interprétation. Cela ne nous prendra qu’une minute. C’est le canal 1.
[Français]
M. Ben Lazreg : Merci pour votre question. Comme je l’ai dit, j’ai fait un peu de travail avec l’organisation que j’ai nommée plus tôt — l’AMPAC. On a proposé quelques idées de présentations sur le campus français, au campus Saint-Jean, et surtout dans les classes du lycée afin de sensibiliser les étudiants aux répercussions négatives de l’islamophobie. En tant que communauté d’origine nord-africaine ou subsaharienne, nous avons cette connexion avec la francophonie et surtout avec la perception française de l’immigration et de l’assimilation. Donc, puisque nous sommes des francophones dans les pays d’où nous venons, nous sommes influencés par le débat sur la laïcité, l’assimilation et l’immigration.
Malheureusement, parfois, il y avait des stéréotypes et de fausses conceptions perpétuées dans les communautés francophones. À travers ces présentations que nous avons menées, nous avons essayé de décortiquer un peu l’islamophobie dans le contexte francophone. Comme je l’ai dit, ce débat est influencé par le débat sur la laïcité, qui est malheureusement très controversé; cela fait couler beaucoup d’encre.
Nous avons ce débat au Québec. C’est le même débat, pratiquement, en France. On parle de la séparation entre la religion et l’État. À travers cette conception, les musulmans ont été visés par cette notion de laïcité, surtout les femmes musulmanes, à cause de leur hijab. Elles doivent maintenant s’adapter ou s’assimiler à la culture dominante, qui demande à ces femmes d’enlever le hijab. Si elles veulent vraiment montrer qu’elles sont en train de s’adapter à la culture francophone, elles doivent enlever le hijab.
Cela devient liberticide, parce que cela tue la notion de la liberté. En tant qu’individu libre, tu as la liberté de porter ce que tu veux et de t’exprimer de la façon que tu veux. Là, un État, un gouvernement t’impose une loi qui limite ces libertés. Il y a du travail qui se fait pour remédier à ce problème, mais je pense qu’on devrait en faire davantage, surtout au sein des organisations situées à Edmonton, dans la cité francophone. Il y a plusieurs organisations qui travaillent là-dessus et qui offrent des services de soutien, mais je pense qu’on devrait faire beaucoup plus en matière de sensibilisation et d’engagement chez les jeunes francophones, que ce soit dans les écoles d’immersion ou les écoles francophones.
J’ai une petite anecdote : j’ai donné quelques cours dans la communauté de Saint Albert. Quand j’ai enseigné à l’école de Saint Albert — c’était une école francophone —, il y avait des livres dans la salle de classe. J’étais curieux. J’ai voulu regarder ces livres d’histoire. Ils parlaient des croisades. Quand j’ai lu les deux premières pages, j’ai même pris des photos sur mon téléphone; j’ai pris des photos de quelques pages. Comment est‑ce qu’on présente le sujet des croisades à ces étudiants du primaire et du lycée? Je pense qu’il s’agit de l’équivalent du middle school.
La façon dont on présente — c’est peut-être lié à Farhad —, la façon dont l’islamophobie se présente dans le curriculum, dans les programmes scolaires — les croisades sont présentées ainsi dans ces livres : les musulmans ont voulu attaquer l’Europe. C’était la faute des musulmans. Les Européens étaient juste chez eux et soudainement, les musulmans ont décidé de mener une guerre contre les chrétiens.
Il y a également d’autres idées perpétuées dans ces livres. On y montrait que les Européens chrétiens voulaient civiliser les Arabes. Pourquoi? Parce que les Arabes, à cette époque-là, commettaient des actes de sacrilège contre Jérusalem, donc peut‑être contre les églises. Ils faisaient des trucs malpropres, malsains là-bas. La façon dont on a introduit la notion de croisade était problématique.
On parle ici des écoles publiques. On ne peut pas se demander plus tard pourquoi ces enfants-là ont des perceptions négatives des musulmans, puisqu’à cet âge-là, on les a introduits à un programme scolaire qui leur dit ce qui suit à propos des musulmans : voilà, ils nous ont menacés pendant les croisades, c’est nous qui sommes allés libérer Jérusalem et eux, ils étaient les barbares.
La sénatrice Simons : Cela commence dans la salle de classe.
M. Ben Lazreg : Cela commence dans la salle de classe, malheureusement.
La sénatrice Simons : En Alberta, évidemment, nous avons un nouveau curriculum. C’est problématique; c’est le mot poli pour exprimer cela.
M. Ben Lazreg : C’est cela.
La sénatrice Simons : Oui.
[Traduction]
Ai-je le temps de poser une autre question?
La présidente : Certainement, sénatrice Simons.
La sénatrice Simons : J’ai une question pour — j’allais appeler M. Mohamed par son prénom, Bashir, parce que je le connais depuis longtemps.
Vous-même et quelques amis avez récemment mis en ondes un balado qui, je pense, ne tourne plus. Vous y traitiez de questions concernant le service de police d’Edmonton et son travail auprès des communautés noires et d’autres communautés marginalisées. En écoutant la radio en route pour ici, j’ai appris que le nouveau président de la commission de police d’Edmonton est lui-même musulman. Avez-vous constaté une amélioration ces derniers mois, après ce qui s’est passé à Ottawa? Je pense que beaucoup de Canadiens de tous horizons sont beaucoup plus inquiets au sujet des services de police qu’ils ne l’ont peut-être jamais été dans leur expérience privilégiée.
M. Mohamed : Il y a quelques années, j’ai été l’un des cofondateurs du mouvement Black Lives Matter d’Edmonton. Nous avons travaillé sur un grand nombre de questions policières. En 2019, nous avons commencé cette série de balados sur les services de police d’Edmonton. Je ne pense pas que cela ait donné lieu à des changements véritables. Je dirais simplement que la police a amélioré son narratif.
J’ai intégré les forces armées en décembre 2019, et je suis parti suivre ma formation à l’été 2020. Avant cela — ce qui est assez cocasse — personne ne voulait s’aligner sur les positions de Black Lives Matter. On nous percevait comme des sortes de caricatures, mais nous n’en étions pas; ce sont les gens qui nous voyaient ainsi, et les politiciens ne voulaient pas nous suivre, ce qui était plutôt étrange. Je suis donc allé faire ma formation de base d’officier et, à mon retour, d’un seul coup, tout le monde dans les médias sociaux s’était mis à ne plus parler que de cela, le chef de police y compris. Les politiciens qui ne nous avaient pas appuyés jusque-là ont participé à ce grand rassemblement où 15 000 personnes étaient présentes, alors que nous avions eu de la difficulté à en mobiliser 70. Je pense donc que les gens ont amélioré leur narratif.
Je dirais qu’il y a encore beaucoup de problèmes fondamentaux liés aux services de police. Par exemple, il y a encore des problèmes avec la police et les crimes haineux. Ce sont beaucoup de questions délicates. Je me souviens d’avoir pédalé jusqu’au stade Rogers où les Oilers se sont installés en 2016. Je suis sûr que vous vous en souvenez.
La sénatrice Simons : Tout à fait.
M. Mohamed : Donc quelqu’un s’en est pris à moi et m’a traité de sale « N ». À l’époque la police a dit que ce n’était pas un crime haineux, mais je vous garantis que si cela se reproduisait aujourd’hui, on me dirait la même chose. Donc, oui, il y a des questions fondamentales. Je pense que la commission de police est très puissante, et j’ai bon espoir. James Baldwin a dit : « Je ne peux pas être pessimiste parce que je suis vivant », et c’est quelque chose en quoi je crois encore.
Entendons-nous : je ne pense pas qu’il soit mal que les gens aient adopté un meilleur narratif. Je crains simplement que certains s’en servent comme prétexte pour éviter d’avoir à faire le travail qui s’impose.
La sénatrice Simons : Je rends le micro.
Le sénateur Arnot : Je remercie les témoins d’avoir eu le courage de venir nous exposer leurs idées, et je tiens à dire deux ou trois choses. J’entends dire haut et clair que le mot « islamophobie » ne reflète pas vraiment le phénomène avec lequel nous sommes aux prises, c’est-à-dire le racisme antimusulman, la discrimination antimusulmane, la haine antimusulmane. Peut-être que ce comité devrait se recentrer autour de cette réalité parce que, d’une certaine façon, je dirais que ce mot d’islamophobie est édulcoré, raison peut-être qui favorise les réponses simplistes que les services de police semblent donner ici et là.
Nous avons également entendu dire que les services de police devraient faire beaucoup plus, mais que c’est une question de leadership. Le changement doit venir du sommet de la pyramide, que ce soit du premier ministre, du ministre de la Justice ou du directeur des poursuites pénales. Dans certains des cas dont il a été question ce matin, il est clair qu’il y a eu intimidation criminelle, harcèlement criminel, méfaits criminels. Vous savez, je suis d’accord avec l’idée que ce sont des crimes haineux. Il nous faut inscrire, dans le Code criminel, une disposition sur les crimes haineux, même si les outils pour les combattre existent. En effet, ils ne sont pas utilisés et les services de police s’en tirent à bon compte.
L’autre question qui me vient à l’esprit et dont nous avons déjà entendu parler, est celle de l’intersectionnalité. En cas d’incident, il faut recueillir un ensemble de renseignements. Et qui reçoit ces renseignements? La police. Il faut adopter un point de vue intersectionnel pour que la collecte de renseignements soit efficace et qu’il soit possible d’intervenir de façon intersectionnelle, ce qui ne peut pas être le cas si la police ne prend même pas l’information en compte et n’y donne pas suite. Vous soulevez donc une question très grave en ce qui concerne la relation entre la police et le public.
D’un autre côté, je connais dans ma province des services de police qui sont très proactifs et progressistes, sans que cela soit perceptible en premières lignes. Je pense donc que cette étude, notre étude, doit vraiment se concentrer sur cette dimension et servir de base à la formulation d’une réponse plus solide, plus sérieuse. Cette étude a été lancée notamment parce que l’islamophobie n’a pas été prise au sérieux et qu’il faudrait peut‑être employer un meilleur terme.
Nous avons, je crois, très clairement entendu vos positions, et je suis vraiment découragé par les réalités que vous nous avez exposées.
Je tiens à dire une chose, que j’ai d’ailleurs dite à d’autres groupes de témoins... mes collègues ici m’ont déjà entendu le dire, mais je vais prendre le temps de le répéter parce que je vois que votre groupe est particulièrement éloquent et qu’il comprend vraiment bien ces questions.
La Concentus Citizenship Education Foundation au Canada a créé un ensemble de ressources destinées à être intégrées au programme existant de sorte qu’il ne soit pas nécessaire de le modifier. C’est une autre question. Nous prenons le programme existant... en Saskatchewan, par exemple, la dernière fois que le programme d’études en sciences sociales a été modifié remonte à 1989. Bien que cela soit peu recommandable, il est toujours possible de créer des ressources qui cadrent avec le programme d’études. Puisque les programmes d’études sont relativement identiques d’un océan à l’autre, d’une province ou d’un territoire à l’autre, ce n’est pas si difficile à faire.
En Saskatchewan, de telles ressources ont été créées par la commission provinciale des droits de la personne et Concentus a ensuite pris le relais.
Ces ressources viennent d’être adaptées au programme d’enseignement de l’Ontario et peuvent donc être utilisées par les enseignants. Les enseignants sont les agents de changement. Ils ont la capacité de façonner l’avenir de la société, et le pouvoir de l’éducation est quelque chose que nous n’avons, selon moi, pas exploité.
L’un des problèmes que nous éprouvons dans ce pays tient à ce que nous n’avons pas réussi à inculquer à nos élèves ce qu’implique le fait d’être citoyen canadien, quels sont les droits liés à la citoyenneté, mais surtout, quelles sont les responsabilités qui accompagnent ces droits, de quelle façon bâtir et maintenir le respect envers chaque citoyen, sans exception. Il faut changer d’optique et ramener le problème à un dénominateur commun. Il faut tout appréhender sous l’angle de la citoyenneté, en termes de responsabilité citoyenne et de respect, ce que nous semblons ne pas avoir fait, car les gens n’appréhendent pas comme il se doit les responsabilités associées à la citoyenneté.
Les ressources dont je parle concernent cinq compétences essentielles en matière de citoyenneté canadienne. Chaque élève doit être éclairé, éthique, engagé, équipé et, surtout, empathique, soit les cinq « É », ce qui nous amène à parler des trois « R » et des cinq « E ».
Je vous mentionne cela parce que je vois ici des porte-parole en devenir. Il est question d’ouvrir des portes au sein des collectivités, des divisions scolaires, en sorte que ces ressources soient utilisées. Je vous recommande ces ressources qui existent.
J’ai déjà travaillé avec Mme Jennifer Tupper, qui a été doyenne de la Faculté d’éducation à l’Université de Regina et qui est maintenant à l’Université de l’Alberta. Elle est une championne de l’éducation à la citoyenneté. Il est très important de traiter des ressources dont je parle avec les étudiants des facultés d’éducation parce qu’il existe un point commun à tous les enseignants diplômés : tous affirment être devenus enseignants pour faire exactement ce que nous essayons de faire. Il ne s’agit pas d’inculquer aux élèves un mode de pensée, mais plutôt un mode de raisonnement. À quelles aptitudes à la réflexion critique faut-il faire appel pour donner aux élèves les outils dont ils ont besoin afin de créer plus tard le genre de société dans laquelle ils veulent vivre?
Je veux m’assurer de ne rien avoir raté des commentaires que je voulais vous adresser, car certains touchent à des aspects très importants. Je suis conscient d’en avoir négligé certains, mais je tiens à vous dire que le Comité vous a bien entendus. Je dirais que nous avons toute une réflexion à mener, mais j’aimerais savoir ce que vous pensez de certaines de mes remarques et des obstacles dont j’ai parlé. Face à des services de police qui peuvent ne pas réagir comme il se doit, quel genre de recommandations le comité devrait-il, selon vous, formuler pour éliminer ce problème évident?
La présidente : Merci, sénateur. Votre question s’adresse‑t‑elle à un témoin en particulier ou voulez-vous que tout le monde y réponde?
Le sénateur Arnot : J’attends trois réponses de chaque témoin.
La présidente : Je demanderais donc aux témoins d’être aussi brefs que possible dans leurs réponses. Sénatrice Martin, je crois que nous devrions avoir le temps d’entendre vos questions.
Le sénateur Arnot : Je pensais que nous allions prolonger la séance.
La présidente : Il nous reste 20 minutes.
La sénatrice Martin : D’accord.
M. Ibrahim : Cela nous ramène donc à l’éducation. De nos jours, par exemple, il suffit d’une 12e année pour devenir policier. Au vu de ce que gagne un policier, nous devrions peut‑être exiger un diplôme collégial et une expérience leur permettant de comprendre les différentes communautés. Les policiers devraient aussi, à la faveur de leur formation, travailler au contact des communautés et être amenés à comprendre les différentes cultures communautaires. Cela devrait, en quelque sorte, faire partie de leur formation professionnelle.
Je suis membre de la Coalition pour la réforme de la police canadienne, un organisme fédéral qui cherche à créer un collège de police. Je précise que je suis ingénieur. Je suis certifié par l’APEGA. Cela étant, si je concevais quelque chose qui ne fonctionne pas, aucun syndicat ne pourrait m’éviter de perdre mon emploi. Alors pourquoi ne pas accréditer les policiers et exiger d’eux qu’ils se remettent périodiquement à niveau sur le plan professionnel? En cas d’enfreinte à leur code de conduite, ils perdraient leur emploi. Le syndicat peut toujours les protéger sur le plan salarial et négocier leurs conditions de travail. mais il ne peut pas protéger leurs emplois. Un médecin peut perdre son droit d’exercer tout comme un ingénieur, alors pourquoi pas un policier? À moins d’en venir à cela, nous ne parviendrons pas à imposer une discipline de comportement dans les rapports des policiers avec le public.
J’ajouterai que l’éducation communautaire est très importante parce que les policiers ne comprennent même pas l’aspect culturel de chacune de nos communautés. Merci.
Mme Shariff : Je vous remercie de vos remarques, sénateur Arnot. J’aimerais dire deux choses. Premièrement, je pense qu’il faut une volonté politique à l’échelon des provinces pour reconnaître que certains programmes posent problème. Ce n’est un secret pour personne que l’Alberta éprouve des difficultés au niveau du ministère. Maintenant, plus que jamais, on sait ce qu’il est important d’enseigner aux enfants en matière de racisme.
Pour revenir aux commentaires de M. Lazreg au sujet de Saint Albert, sachez que j’ai grandi là-bas, raison pour laquelle je fais ce que je fais pour gagner ma vie, mais peu de choses ont changé.
Pour ce qui est du programme d’études, il faut une volonté politique, et il faut comprendre que c’est ainsi que nous devons former les futurs policiers. Ils grandissent dans un système et le problème est donc systémique, ce qui nous renvoie au terme qu’il convient d’employer pour parler de cette étude. J’allais, moi aussi, aborder la question de la haine ou du racisme envers les musulmans, car le racisme dénote qu’il s’agit d’un problème systémique. La phobie, pour reprendre vos propos, connote plutôt une déviation individuelle.
Pour comprendre ce qu’est la lutte contre le racisme et l’oppression, et discuter spécifiquement de la lutte contre le racisme envers les Noirs et envers les Autochtones, cela exige d’apprendre la terminologie et l’imagerie à employer, d’acquérir des compétences et d’atteindre des résultats, spécifiques et généraux, de la maternelle à la 12e année. La démarche doit être intentionnelle.
Je connais très bien le programme que vous avez proposé pour avoir travaillé en étroite collaboration avec M. Tupper ces dernières années. L’Université de l’Alberta en a fait une priorité. Plus précisément, nous offrons un cours obligatoire de niveau primaire ou secondaire, appelé EDU 211, qui porte sur le contexte professionnel et personnel de l’éducation des enseignants autochtones. Il faudrait aussi offrir des cours supplémentaires dans le cadre de la formation initiale, mais ce ne sont pas tous les cours qui peuvent retomber sur les épaules des enseignants en formation ou en exercice.
Comme je l’ai indiqué, je pense que l’éducation au racisme est nécessaire dans le secteur public, quel qu’il soit. Je travaille en étroite collaboration avec les gens de la Faculté de médecine pour lutter contre le racisme dans les soins de santé. J’ai travaillé avec la police d’Edmonton. Et pour revenir à ce que vous disiez, monsieur Ibrahim, sur le fait que les policiers n’ont besoin que d’une 12e année, on prend conscience de certaines choses au contact d’acteurs d’établissements secondaires d’autres parties du monde qui ont une vision différente de la nôtre. Le système judiciaire, les organismes d’application de la loi et toutes les autres institutions publiques doivent donc rendre des comptes, et ce ne sont pas seulement les éducateurs qui doivent assumer cette responsabilité, bien qu’ils aient une très lourde responsabilité à cet égard. Il faut, en plus, une volonté politique.
Nous disposons désormais d’une abondance de preuves provenant du Royaume-Uni qui expliquent pourquoi nous devons passer du concept d’islamophobie à celui de haine contre les musulmans.
Enfin, et je m’arrêterai là, pour aborder cette étude, il nous faut comprendre ce dont il retourne au juste, outre que la prononciation et la langue sont importants. Dans Musulman et Islam, le S se prononce Z, contrairement à l’anglais. Merci.
La présidente : Je suis désolée. Nous venons d’apprendre que la reine vient de décéder et nous devons suspendre la séance. Je suis désolée. Honorables sénateurs, nous devons adopter une motion pour suspendre la séance. Êtes-vous d’accord avec la décision de suspendre la séance? Merci beaucoup.
Avant de se faire, je tiens à préciser que si vous avez des choses que vous auriez dû nous dire, vous pourrez nous envoyer un mémoire.
Vous voudrez bien m’excuser, mais c’est la procédure que nous devons suivre au Sénat du Canada.
(La séance est suspendue.)