LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 27 avril 2022
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 16 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-203, Loi concernant un cadre fédéral relatif au trouble du spectre de l'autisme; et le projet de loi S-208, Loi concernant la Déclaration sur le rôle essentiel des artistes et de l’expression créatrice au Canada.
La sénatrice Ratna Omidvar (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Je m’appelle Ratna Omidvar, je suis sénatrice de l’Ontario et présidente de ce comité.
Remémorons-nous le 6 mars, soit la dernière fois que nous nous sommes rencontrés. Nous avions procédé à l’étude article par article du projet de loi S-203. Je vous rappelle que nous avons examiné tous les amendements proposés et que nous sommes en train d’étudier la possibilité d’intégrer le texte des observations au projet de loi.
Avant de poursuivre notre discussion sur les observations, nous devons déterminer si le projet de loi modifié est adopté. Y a-t-il des objections à ce que le projet de loi modifié soit adopté? S’il n’y en a pas, c’est chose entendue.
Je propose maintenant que le comité poursuive à huis clos la discussion sur les observations proposées relativement à ce projet de loi.
Y a-t-il des objections à ce que nous poursuivions à huis clos?
La sénatrice McPhedran : Ce n’est pas encore une objection, mais j’aimerais que vous m’aidiez, ainsi que les participants du public, à comprendre pourquoi vous estimez que cette discussion devrait se tenir à huis clos.
La présidente : Merci, sénatrice McPhedran. Je crois qu’il est de pratique courante de siéger à huis clos pour discuter de telles observations parce qu’il faut préciser le libellé et s’assurer qu’il correspond aux règles parlementaires appropriées. C’est ce que je crois comprendre. Permettez-moi de poser la question à la greffière.
Notre greffière nous rappelle que nous nous réunirons de nouveau en public après avoir discuté de ces observations et que nous pouvons, si le comité le souhaite, lire ensuite ces observations en séance publique.
La sénatrice McPhedran : Merci beaucoup.
La présidente : Chers collègues, souhaitez-vous que je vous lise les observations?
Des voix : D’accord.
La présidente : Merci. Y a-t-il des objections à ce que nous poursuivions à huis clos? S’il n’y en a pas, c’est d’accord. Merci, chers collègues.
(La séance se poursuit à huis clos.)
(La séance publique reprend.)
La présidente : Comme nous en avons discuté, je vais lire les observations qui ont été approuvées par le comité et qui seront présentées au Sénat.
La première observation nous vient de la sénatrice Petitclerc :
Des témoins ont souligné le manque de consultation des personnes autistes elles-mêmes, notamment dans le cas du projet de loi S-203, mais de façon plus générale également. Il serait possible de remédier à cette situation à la faveur du processus d’élaboration du cadre fédéral sur les troubles du spectre autistique, ainsi que de toutes les autres initiatives en cours. Votre comité est d’avis que la communauté des personnes autistes au Canada, dans toute sa diversité, devrait toujours être partie prenante à toute discussion la concernant directement.
Merci, sénatrice Petitclerc.
La deuxième observation vient du sénateur Kutcher :
Votre comité prend note que l’Évaluation de l’autisme de l’Académie canadienne des sciences de la santé, commandée en vue de l’élaboration d’une stratégie nationale sur l’autisme, sera publiée sous peu. Il recommande donc que l’on tienne compte de ce rapport dans toute autre étude ainsi qu’aux fins de la formulation du cadre.
Merci, sénateur Kutcher.
La troisième observation vient de la sénatrice Bernard :
Votre comité a entendu de nombreux témoins parler de l’importance de la formulation du projet de loi S-203 et de tout futur cadre fédéral. Des témoins, dont certains défenseurs de la cause, ont souligné l’importance de passer d’un mode de raisonnement de type « perdant » à un style positif axé sur les aspects forts de l’autisme, et de parler de « trouble du spectre de l’autisme » plutôt que d’« autisme » simplement. Votre comité recommande donc qu’au fil de l’évolution de ce projet de loi et de cadre proposé, il soit tenu compte de l’évolution du style d’expression et du vocabulaire.
Merci, sénatrice Bernard.
Quatrième observation de la sénatrice McPhedran :
Votre comité fait remarquer que, même si l’expression « Canadiens autistes », dans le préambule du projet de loi S-203, vise à inclure toutes les personnes ayant reçu un diagnostic d’autisme, les personnes autistes qui résident au Canada sans répondre à la définition de citoyen canadien — comme les réfugiés, les résidents permanents et d’autres personnes sans statut de citoyenneté — sont exclues. Par conséquent, votre comité demande au gouvernement de tenir compte de cette réalité dans l’élaboration de ce cadre et d’y donner suite.
Merci, sénatrice McPhedran.
Chers collègues, y a-t-il des objections à ce que je fasse rapport au Sénat de ce projet de loi modifié et de mes observations? S’il n’y en a pas, c’est accepté. Merci, honorables sénateurs.
Voilà qui met fin à notre étude du projet de loi S-203.
Nous allons maintenant passer au prochain point à l’ordre du jour.
Nous commençons notre étude du projet de loi S-208, Loi concernant la Déclaration sur le rôle essentiel des artistes et de l’expression créatrice au Canada.
Nous souhaitons la bienvenue à l’honorable Patricia Bovey, marraine du projet de loi.
Sénatrice Bovey, vous pouvez commencer quand vous serez prête. N’oubliez pas que vous n’avez que cinq minutes pour votre exposé.
Hon. Patricia Bovey, marraine du projet de loi : Je vous remercie, monsieur le président, et merci, chers collègues. J’envisage avec intérêt les discussions sur ce texte, soit la Loi sur la Déclaration sur le rôle essentiel des artistes et de l’expression créatrice au Canada.
Je crois que le Canada a besoin de cela depuis un certain nombre d’années. Il faut sortir les arts de leur isolement. Ils ont été considérés comme des faveurs pour ceux qui ont de l’argent et du temps au lieu d’être l’essence de la société et de permettre la création de liens entre toutes les composantes de la société. On éprouve un sentiment d’inégalité en passant d’une région du pays à l’autre, de même que des différences de traitement sur le plan juridique, et j’estime que le gouvernement fédéral a la responsabilité d’essayer de répondre à certains de ces problèmes.
Cela fait partie de ma vision d’universitaire depuis des années. J’ai d’ailleurs ébauché ma propre version il y a 11 ou 12 ans pour une conférence universitaire nationale à laquelle ont assisté des acteurs politiques de toutes allégeances et de tous les ordres de gouvernement. J’avais été très encouragée par leur accueil favorable, mais je n’avais alors aucun moyen de présenter ce texte dans un cadre législatif, quel qu’il soit.
Les arts et la culture ne sont mentionnés ni dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 ni dans la Constitution canadienne. C’est ainsi qu’ils sont devenus, comme l’ont souligné de nombreux rapports, une vague responsabilité à la fois fédérale et provinciale.
Les lois relatives aux arts et au statut de l’artiste diffèrent d’une région à l’autre du pays, et le secteur réclame depuis longtemps une politique culturelle nationale d’ensemble. Ce projet de loi pose les assises d’une telle politique.
Au fil des décennies, j’ai mesuré les retombées qualitatives et quantitatives des arts dans toutes les sphères de la société canadienne, en examinant des données empiriques et anecdotiques. Elles sont considérables et vont de la santé et du bien-être à la prévention de la criminalité et à la réduction de la récidive, en passant par la vitalité rurale, l’économie, l’emploi, l’éducation, l’environnement, la lutte contre les changements climatiques et la promotion du tourisme, mais ces retombées sont peu connues.
Le projet de loi S-208 constate le rôle indispensable que jouent les artistes et les arts dans toutes les sphères de la société, ainsi que la nécessité de respecter et de promouvoir le rôle des artistes et de veiller à ce que les fruits de l’expression artistique profitent équitablement à tous les résidents du Canada, dont les personnes handicapées. Il représente l’aboutissement de mes groupes de discussion et consultations en personne et en ligne avec plus de 600 artistes et travailleurs du domaine des arts dans toutes les régions du pays, du sud au nord, toutes les disciplines, toutes les générations et de nombreuses cultures.
Ce projet de loi englobe expressément les peuples autochtones, dont il constate les diverses identités, cultures, langues et coutumes, en réponse à un besoin qui m’avait sauté aux yeux au début des années 1990. Je siégeais alors au conseil d’administration du Conseil des arts du Canada et nous avions inauguré de nouveaux programmes pour la diversité et les arts autochtones. Un certain nombre de présidents d’université avaient déclaré sans détour que la culture constituait un élément intrinsèque de la réconciliation et souligné son importance pour la compréhension et le respect mutuels entre les Canadiens.
Selon le plan d’action énoncé dans le projet de loi, le ministre responsable consulte les ministres du Travail, des Relations Couronne-Autochtones, de la Justice et de la Santé, le président du Conseil des arts du Canada, des représentants des gouvernements des provinces, des organismes du domaine des arts, ainsi que des artistes et des organismes du domaine des arts autochtones, et « toute autre personne ou organisation intéressée de son choix ». Ce libellé crée une ouverture pour de plus amples consultations.
Les arts doivent être perçus non plus comme une « frivolité », mais comme un point d’ancrage, et il faut éviter soigneusement de créer ou de perpétuer des ghettos culturels. Pour renforcer la capacité d’agir sur le plan culturel aux quatre coins du Canada, la mémoire et l’expression honnête de notre passé et de notre présent sont essentielles. Les arts en sont le moyen; la société en a besoin.
Quelqu’un a fait remarquer que le pouvoir des arts est de plus en plus reconnu comme un principe fondamental non négociable de notre identité.
Cette déclaration établit des principes directeurs, une vision et des valeurs fondamentales pour l’expression créative et l’accès à celle-ci, ainsi que pour l’élaboration de politiques et de mesures législatives. Elle contribuera à réaliser l’équilibre entre les différentes dimensions de la société et deviendra le fondement de tous les cadres d’action dans le domaine des arts et de la culture, y compris la politique culturelle nationale d’ensemble. Incarnation du quatrième pilier des collectivités durables, le capital culturel, qui s’ajoute au capital social, au capital humain et au capital naturel, elle ménage un certain équilibre dans la société. Bill Ivey, ancien président du National Endowment for the Arts aux États-Unis, a parlé de trois catégories de comportements humains et a dit que la vie expressive est une catégorie de comportements humains, au même titre que la vie professionnelle et la vie familiale.
En outre, les recherches scientifiques, médicales et sociales internationales ont toutes prouvé que l’acte de participation à l’esprit créatif est essentiel à l’épanouissement humain et sociétal. Cette déclaration ne concerne pas une question d’argent et n’intéresse pas un organisme culturel en particulier. Il s’agit d’établir un cadre et des liens avec différents ministères pour les aider à atteindre leurs objectifs individuels et collectifs, ainsi que de comprendre les besoins des artistes, des publics, des travailleurs du domaine des arts et des présentateurs, afin d’améliorer tous les aspects de la société avec la participation de tous les milieux.
En terminant, je tiens à remercier tous ceux et toutes celles qui ont participé à l’élaboration de ce projet de loi, les collègues qui m’ont proposé des gens à consulter, et ceux qui l’ont appuyé avec enthousiasme après sa présentation au Sénat.
Puissions-nous tous ensemble franchir cette prochaine étape dans l’intérêt des créateurs du Canada dont les œuvres sont trop souvent cantonnées derrière des cloisons, accessibles en apparence à ceux qui ont le temps et les moyens d’en profiter seulement, alors qu’elles sont l’âme de notre identité. Merci, et j’ai hâte d’échanger avec vous.
La sénatrice Poirier : Merci, madame la présidente, et merci, sénatrice Bovey, pour votre projet de loi et votre présence parmi nous aujourd’hui, à titre de témoin.
Le Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes entreprend une étude sur la Loi sur le statut de l’artiste et son incidence sur l’amélioration des conditions de travail de base des artistes. En quoi le projet de loi S-208 et l’examen de la Loi sur le statut de l’artiste pourraient-ils être complémentaires?
La sénatrice Bovey : Ce sont de très bonnes questions dont je vous remercie. Elles sont complémentaires. Il est grand temps que la Loi sur le statut de l’artiste soit révisée. Comme nous le savons, certaines provinces, mais pas toutes, ont leurs propres lois concernant le statut de l’artiste.
C’est ce que ce texte cherche à faire, mais il va plus loin, puisqu’il traite de la condition d’artiste et qu’il s’inscrit en complément des lois provinciales sur le statut d’artiste. Toutefois, il faut aussi que le reste de la société comprenne le rôle et l’importance des artistes et la façon dont ceux-ci peuvent aider à améliorer différents secteurs de la société. Ainsi donc, sénatrice Poirier, je pense que le fait de mener les deux de pair est une bonne chose. Ces deux dimensions se parlent et s’appuient mutuellement, mais ce projet de loi ne porte pas seulement sur le statut de l’artiste.
La sénatrice Poirier : Le projet de loi S-208 vise-t-il à moderniser la Loi sur le statut de l’artiste? Quels pourraient être les coûts, le cas échéant, associés à l’élaboration et à la mise en œuvre du plan d’action?
La sénatrice Bovey : Ce projet de loi ne porte pas sur les détails des améliorations devant être apportées à la Loi sur le statut de l’artiste. Ce projet de loi n’entraîne pas de coûts. Ce projet de loi vise à encourager le ministre du Patrimoine canadien à consulter d’autres ministres, dont certains sont mentionnés ici. Cependant, comme je l’ai dit, la participation des autres est illimitée. Je vais répondre d’une façon légèrement différente, si vous me le permettez.
Au fil des décennies, mes recherches, tant empiriques que qualitatives, m’ont permis d’établir de nombreux faits concrets sur la façon dont l’inclusion des arts touche de nombreux aspects de la société. Les gouvernements ne l’ont pas encore reconnu. Les organisations artistiques commencent à le reconnaître, tout comme le secteur privé.
Ce projet de loi vise à encourager le gouvernement du Canada à reconnaître comment les artistes peuvent les aider et aider chaque ministère à atteindre leurs objectifs tout en veillant à ce que les artistes soient traités équitablement par rapport aux autres citoyens du Canada sur le plan des conditions de travail, dont il sera question dans la Loi sur le statut de l’artiste. C’est un aide-mémoire sur ce cas pour dire que les arts sont le troisième employeur en importance au Canada et que les artistes représentent le plus fort pourcentage de travailleurs pauvres vivant sous le seuil de la pauvreté.
En nous penchant sur cette question et sur les consultations que le projet de loi invite le ministère à mener, je pense que nous créerons un cadre beaucoup plus sain pour le Canada en vue de nous aider à comprendre le rôle de nos artistes, le rôle essentiel qu’ils jouent dans tous les aspects de la société, et de trouver des façons pour les artistes de faire leur travail en toute sécurité, de leur donner des moyens accessibles et de les rémunérer à juste titre pour ce qu’ils font. Il en va de même pour les organismes artistiques. Le nombre d’organismes artistiques qui font énormément de travail pour presque pas d’argent est considérable.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Merci énormément, sénatrice Bovey, pour tout le travail que vous continuez de faire dans ce domaine qui est extrêmement important.
[Traduction]
Ma question porte sur le processus. J’aimerais en savoir davantage, car l’annexe et la déclaration sont très détaillées. J’ai l’impression qu’on y a consacré beaucoup de réflexion et de travail. J’aimerais savoir comment vous en êtes arrivés à ce contenu, à cette liste.
Nous avons eu des conversations semblables par le passé. Dans quelle mesure croyez-vous que cela résistera au passage du temps, étant donné que l’art évolue avec la technologie, le temps et les différents types d’expressions?
La sénatrice Bovey : Merci, sénatrice. Je pense que c’est une très bonne question.
Le processus d’élaboration a été long. Comme certains d’entre vous le savent, j’en parle depuis très longtemps. Pour être honnête avec vous, j’ai fait beaucoup de recherches à l’échelle internationale pour voir s’il y avait des documents équivalents dans d’autres pays. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt un article de Bill Ivey, l’ancien président de la fondation U.S. Endowment for the Arts sous l’administration Clinton. Il avait proposé d’adopter une déclaration des droits des artistes qui reprenait une partie des dispositions antérieures. J’ai trouvé cela très intéressant. C’est ce qui a motivé mes recherches il y a quelques années.
En réfléchissant à la façon de procéder, j’ai moi-même rédigé une déclaration dans mon style d’artiste, pas dans le jargon juridique que vous avez ici. J’en ai rédigé une en huit points seulement, parce que j’ai siégé à suffisamment de commissions nationales pour savoir qu’on peut se retrouver avec trop de recommandations.
J’ai commencé par huit. Avant la pandémie, j’avais commencé à organiser des groupes de discussion en direct avec des artistes de partout au pays. Nous avons révisé le vocabulaire, qui a été considérablement amélioré. Nous sommes passés à 10 points à la suite des consultations. Je crois que la pandémie a commencé au point neuf. Nous avons ensuite organisé des groupes de discussion en ligne. Au final, nous avons rejoint plus de 600 personnes. C’étaient parfois des rencontres individuelles, mais la plupart étaient des groupes de discussion. Plusieurs de mes collègues du Sénat m’ont donné des noms de personnes à solliciter. Des artistes m’ont aussi donné des noms de personnes à solliciter. Mon intention n’était donc pas de m’adresser à telle ou telle personne; nous avons été aussi universels et inclusifs que possible.
Cela a pris de l’ampleur à mesure que je la révisais, et elle a été améliorée à chaque étape. C’était un processus itératif. C’est ainsi que les choses se sont passées.
Nous l’avons ensuite présentée aux services juridiques du Sénat, qui lui ont donné un jargon juridique. J’ai ensuite présenté le projet en jargon juridique à un avocat qui a beaucoup d’expérience dans le domaine des arts, et j’ai posé des questions sur la sensibilité de mon langage artistique, sur ce qui était perdu dans le jargon juridique et sur ce que le jargon juridique y ajoutait. Je voulais être sûre que l’essentiel de ce que m’avaient dit les gens que j’avais consultés se trouvait bien là. La réponse a été : « Absolument. »
Vous vouliez aussi savoir si je pense qu’il tiendra la route. Oui, je pense qu’il résistera à l’épreuve du temps. Nous ne définissons pas la diversité culturelle. Elle augmentera à mesure que l’immigration augmentera. Je tiens à souligner que les artistes immigrants de diverses cultures que j’ai consultés savent très bien que les arts imprègnent toute la société. J’ai trouvé cela très encourageant. J’ai tenu des audiences en français et avec des artistes autochtones et noirs. Je les ai tous mélangés dans les réunions — toutes générations et toutes régions du Canada confondues. Je pense que c’était aussi inclusif que possible.
La sénatrice Lankin : J’ai quelques questions, mais je vais commencer par la plus épineuse. Auparavant, je tiens à vous remercier, sénatrice Bovey, pour le travail que vous avez fait ici et pour l’exhaustivité des consultations. Cela a vraiment donné un élan au projet. Vous savez, d’après nos conversations précédentes, que j’ai appuyé l’adoption de la Loi sur le statut de l’artiste en Ontario et que j’appuie sans réserve l’intention de votre projet.
Passons aux questions épineuses. L’article 3 du plan d’action porte sur les enjeux dont le ministre doit tenir compte. On y sent une impulsion très forte en faveur de l’inclusion et de l’accessibilité, et il y a beaucoup d’expressions comme « reconnaître le rôle essentiel ou capital » des artistes, « accroître ou faciliter l’accès » au patrimoine ou aux arts et « favoriser la participation ou faire en sorte que les artistes puissent bénéficier » de différents avantages. Cela invite, et c’est ce que fait le projet de loi, à l’élaboration d’un plan d’action.
Ce plan d’action doit cependant s’appuyer sur une déclaration. Et cette déclaration n’existe pas encore. C’est un texte qui découle de vos écrits et des consultations que vous avez menées. Dans le libellé de l’annexe où est énoncée la déclaration, la majeure partie renvoie à une approche fondée sur les droits. Il y a quelque chose qui me préoccupe sérieusement, non pas au sujet de l’intention ou des sensibilités artistiques, mais sur le plan juridique.
Il n’y a rien avec quoi je ne sois pas d’accord, mais affirmer, par exemple, que les gens ont le droit de « prendre part à l’art en assistant à des manifestations artistiques »... beaucoup d’entre nous travaillent depuis des années, par exemple chez Centraide et avec d’importants donateurs, pour créer des réserves de billets pour les personnes qui n’ont pas les moyens de s’en payer. Ce sont de très bons programmes. Cela passe par des philanthropes ou par l’administration provinciale. Mais l’idée d’en faire un droit — que les gens auraient ce droit — m’inquiète : comment le défendre et que signifie-t-il? On passe tout de suite au contentieux.
Je ne vais pas tout passer en revue. Mais, si le comité s’y mettait ou si vous le faisiez vous-mêmes et que vous vous posiez des questions sur chacun de ces droits enchâssés, vous constateriez que certains existent déjà en vertu de la Charte. Il n’y a pas de problème à les réitérer pour supprimer l’isolement des arts dont vous avez parlé, mais certains d’entre eux ne relèvent pas de la compétence fédérale et d’autres ne sont pas des choses auxquelles nous pouvons engager un gouvernement, à mon avis. Le plan d’action est ce que demande le projet de loi. Il s’agit de confirmer la déclaration et de dresser un plan d’action. Mais la confirmation de la déclaration devient — les avocats ici présents pourraient en dire plus — une référence et une partie du droit. Cela m’inquiète, et je pense que nous pourrions peut-être déconstruire un peu tout cela.
Pourriez-vous parler de cela en général et de la décision d’adopter une perspective fondée sur les droits non seulement en ce qui concerne les artistes, mais aussi l’accès communautaire?
La sénatrice Bovey : Je dirais qu’il y a trois éléments. C’est une bonne question. Ma réponse simple est que la rédaction finale vient des services juridiques, et je vais donc renvoyer la question aux avocats. Mais la vraie réponse découle de plusieurs choses. J’avais songé à l’intituler Déclaration des droits. J’ai consacré beaucoup de temps à cette question et je tiens à remercier la sénatrice Bellemare, qui a proposé le mot « déclaration ». Elle estimait qu’une déclaration était beaucoup plus ouverte et qu’elle se prêtait à une évolution, si vous voulez.
Vous avez raison de dire que certains de ces droits figurent dans la Charte. Dans certains cas, les gens que j’ai consultés ont vraiment insisté sur le mot « droits ». Ils se sentaient tellement négligés et méprisés. Ils avaient le sentiment de ne pas avoir les mêmes droits que les autres Canadiens, comme le droit de s’engager dans la création artistique. Ils étaient convaincus que les coupures budgétaires — il s’agit bien sûr de coupures provinciales, de sorte qu’il ne faut pas employer le terme « éducation » — auraient des répercussions partout au pays sur les programmes sociaux, les programmes d’éducation et les centres communautaires offrant des possibilités artistiques concrètes aux aînés. Avec toutes ces coupures, ils estiment qu’on leur a retiré le droit de participation. C’est ce qu’ont révélé mes consultations.
Étant donné que les artistes ont droit à la propriété intellectuelle et au droit d’auteur pour leurs œuvres, nous savons que la Loi sur le droit d’auteur est incohérente, comme la Loi sur le statut de l’artiste dont la sénatrice Poirier a parlé et qui fait actuellement l’objet d’un examen. Dans bien des cas, cela s’harmonisera avec ces autres éléments.
La présidente : Merci, sénatrice Bovey. Nous avons de nombreuses questions en attente. Poursuivons.
Le sénateur Kutcher : Sénatrice Bovey, encore une fois, félicitations pour ce projet de loi. Vous et moi avons eu de nombreuses discussions sur la façon dont les arts contribuent à la santé et à la promotion de la guérison. Pourriez-vous nous donner des exemples concrets de la façon dont la jonction entre la médecine, mon domaine, et les arts produit ce genre d’effets? Votre projet de loi permettrait-il vraiment de faciliter ce genre de collaboration?
La sénatrice Bovey : Je vous remercie de la question. Je crois que ce projet de loi renforcera ces collaborations. Permettez-moi de répondre par une brève anecdote. Mes recherches au fil des ans ont révélé que les gens qui participent aux arts vivants — autrement dit, les auditoires — ont tendance à vivre deux ans de plus que les autres, à sortir de l’hôpital deux jours plus tôt à la suite d’une chirurgie élective, à être moins absents au travail et à coûter moins cher au système de santé. À partir de là, j’ai créé une galerie d’art publique qui proposait également des spectacles de musique et de danse à la Buhler Gallery de l’Hôpital Saint-Boniface. J’ai lancé cette initiative avec le soutien des médecins pour voir si nous pouvions approfondir cette recherche. Les résultats ont corroboré toutes les hypothèses de recherche.
Un tiers des visiteurs étaient des patients; un tiers, des familles; et un tiers, du public général. Nous avons constaté que la tension artérielle des gens diminuait, que celle du personnel diminuait et que les résultats en matière de santé étaient meilleurs. Sur le plan de la santé mentale, nous avons constaté que la participation à des activités de thérapie artistique est très positive. Lorsque j’ai ouvert la galerie, plusieurs ministres de la Santé sont venus me voir et m’ont demandé : « Eh bien, que faites-vous ces jours-ci? » Et je répondais : « Eh bien, je facilite la médecine de couloir. » C’est ce qu’attestent sans équivoque des études réalisées en Grande-Bretagne, aux États-Unis et en Suède. De plus, comme je l’ai dit dans ma question au ministre, je pense que le travail en cours à Montréal est magnifique. Nous voyons de plus en plus de preuves que cela fonctionne.
Pendant la pandémie, des artistes m’ont appelée. Ils étaient absolument démunis, et je ne pouvais que leur répondre : « Je n’ai pas le droit de venir vous voir, mais allumez votre caméra et rendez-vous au studio ou à votre clavier et parlons demain. » Je crois que je vous ai appelé au milieu de l’un de ces rendez-vous. Un soir, j’ai cru que quelqu’un allait se suicider. Il est retourné au studio. Son fils était musicien. Les deux vivaient ensemble à l’époque. Ils ont commencé à travailler ensemble, et cet artiste est maintenant en excellente forme.
La présidente : Sénatrice Bovey, nous avons beaucoup de questions, et, si je donne cinq minutes pour chaque question et réponse, nous n’aurons pas le temps de toutes les aborder. J’invite mes collègues et vous-même à être brefs.
La sénatrice McPhedran : Merci, sénatrice Bovey, non seulement pour ce projet de loi, mais aussi pour votre travail de toute une vie au service de la promotion et de la protection des arts.
Ma question a plutôt trait à l’éducation. Très brièvement, lorsque j’enseignais, j’emmenais régulièrement des étudiants à l’ONU pour un cours sur les droits de la personne, et cela comprenait toujours des visites dans des musées importants où, comme vous le savez, sont exposées de grandes œuvres d’art originales abordant toutes sortes d’enjeux liés aux droits de la personne.
Ma question porte sur l’intersection entre ce projet de loi et la déclaration en 10 points de l’article 2, d’une part, et le fait que l’éducation artistique est le plus souvent de compétence provinciale. C’est notre Constitution, et nous devons en tenir compte.
La déclaration fait allusion à un certain nombre de droits liés aux arts, comme l’a rappelé la sénatrice Lankin, et elle traduit des idéaux exceptionnels que j’appuie sans réserve. Mais la réalité est différente dans bien des régions de notre pays, compte tenu, notamment, des coupures budgétaires imposées par les gouvernements provinciaux dans le domaine de l’éducation.
Nous avons de nombreux exemples. Ce dont on a le plus entendu parler est l’impact de ces décisions sur les programmes de musique et sur la pénurie d’enseignants en arts, de sorte que le financement est généralement laissé aux parents bénévoles, sans parler, évidemment, du fait que les régions économiquement défavorisées le sont encore plus à ce titre également.
Pouvez-vous imaginer une situation où les droits que vous avez définis dans le projet de loi S-208 pourraient être mis à profit par les étudiants et les parents pour influencer, réduire ou limiter l’autorité provinciale sur le retrait du financement de l’éducation artistique?
La sénatrice Bovey : Merci, vous avez raison. Je pense que nous devons être très prudents. On n’utilise pas ici le mot « éducation ». On utilise les mots « acquisition d’aptitude pour les personnes de tous âges ». Il y a beaucoup d’aînés qui veulent commencer à pratiquer un art. Je peux vous dire que ce ne sont pas seulement les provinces qui financent ce que nous appelons des « programmes d’éducation ». Le Conseil des arts du Canada, Patrimoine canadien et d’autres ont tous des programmes pour les établissements, et ces programmes couvrent des activités d’éducation dans le cadre du programme de l’établissement — pas l’école, mais l’établissement.
Je reviens à ce que le sénateur Murray Sinclair a dit, et je l’ai cité ce matin lorsque je me suis adressée à l’Association des musées canadiens. Les familles fréquentent les musées, et je dirais les organismes artistiques, ensemble. Elles ne vont pas à l’école ensemble. Je crois aux programmes du gouvernement fédéral, ce sont des programmes solides, et j’en fais la promotion; et il y a aussi des endroits comme l’École nationale de ballet et l’École nationale de théâtre du Canada. Ce sont des établissements financés à l’échelle nationale. Il n’y a donc pas que les provinces qui s’occupent d’éducation artistique.
Le gouvernement fédéral peut-il encourager les provinces à ne pas couper dans les programmes artistiques? Je peux vous dire que, dans le cadre du travail que j’ai fait sur l’impact des arts sur la récidive et sur les jeunes qui ont des démêlés avec la justice, j’ai constaté que, parmi ceux qui participent à des programmes artistiques extrascolaires dans certains des États que j’ai étudiés, le taux de récidive a diminué de 48 % chez les enfants de 11 à 14 ans. Le flou dont j’ai parlé concernant l’absence des arts dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique ou dans la Constitution, ce flou a facilité les choses, mais cela suppose aussi que le gouvernement fédéral collabore avec les provinces.
La sénatrice Dasko : Merci d’avoir présenté ce projet, sénatrice Bovey. C’est vraiment fascinant. Ma question sera très brève pour que d’autres collègues puissent poser des questions.
Nous avons vu, notamment dans ce comité, des projets de lois-cadres, de lois désignant des journées spéciales, et cetera, mais je n’ai pas vu de projet de loi de ce genre, aussi bien dans sa forme que dans sa présentation ou la formulation de ses objectifs.
Avez-vous utilisé d’autres lois comme modèle? Y a-t-il une autre loi — comme je l’ai dit, nous avons vu des projets de lois-cadres ici au comité SOCI. Vous connaissez bien les lois-cadres. Nous avons également vu des lois désignant des journées spéciales. Mais celui-ci me semble très différent du genre de projet de loi dont le comité s’est occupé jusqu’ici. C’est ma question.
La sénatrice Bovey : C’est une bonne question. Est-ce que j’ai examiné d’autres lois? J’ai examiné des projets de loi pendant de nombreuses années, à divers titres et à l’égard de nombreux aspects des arts, à l’échelle fédérale et à l’échelle provinciale, et j’ai siégé à des commissions qui ont rédigé des projets de loi; je peux donc dire que j’ai consulté d’autres lois, mais elles ne m’ont pas servi de référence. Je suis partie de la nécessité d’aborder ces enjeux et d’organiser des discussions interministérielles, après quoi nous nous sommes tournés vers des juristes avertis pour la rédaction proprement juridique.
Ma réponse est donc oui, j’ai consulté des lois pendant les 50 ans que j’ai passés dans ce domaine. J’en ai rédigé d’autres, mais ce genre de projet de loi, plus global, ne s’est jamais concrétisé, et le secteur le réclame depuis des décennies.
La sénatrice Dasko : C’est donc une nouvelle loi. Vous n’avez pas utilisé d’autres lois comme modèle.
La sénatrice Bovey : J’ai utilisé des idées comme modèle, et je ne vais pas m’excuser du fait que je viens du secteur de la création et de faire preuve de créativité.
La sénatrice Dasko : Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : Je joins ma voix à celles de mes collègues pour saluer le travail impressionnant que vous faites et votre engagement à l’égard de la promotion des artistes et des secteurs créatifs dans toutes les communautés de notre pays.
En plus du domaine de la santé qui a été mentionné tout à l’heure, la culture contribue à beaucoup d’autres secteurs de l’économie, comme le tourisme ou même les activités manufacturières. Une récente étude réalisée à Londres montre qu’un tiers de tous les emplois créatifs se trouve dans des secteurs qui ne seraient pas considérés comme traditionnellement créatifs. Comparativement à l’OCDE, j’aimerais savoir où se situe le Canada pour ce qui est de la reconnaissance du rôle des artistes.
Merci.
[Traduction]
La sénatrice Bovey : Dois-je répondre à cette question? Je peux vous dire que d’autres pays sont bien en avance sur nous concernant le rôle et l’importance de leurs artistes, et je les en félicite. Si vous allez en France, au Japon ou en Grande-Bretagne, il y a beaucoup plus de galeries, de salles de concert et de théâtres que chez nous. Nous sommes un pays jeune. Nous sommes en train de rattraper le temps perdu, et peut-être que cette déclaration nous aidera à le faire.
[Français]
Le sénateur Cormier : Je tiens à m’excuser, sénatrice Bovey, car j’ai eu la mauvaise information sur l’heure de votre témoignage. J’aimerais vous féliciter pour cette déclaration dont les intentions sont indiscutables. Ma question concerne l’impact réel de cette déclaration dans le contexte des champs de compétence entre le gouvernement fédéral et les provinces.
Les provinces ont des politiques culturelles très fermes et vous savez que la culture est de compétence provinciale. Dans le plan d’action et le type de consultations que vous suggérez — vous avez consulté beaucoup de gens et je vous applaudis pour cela, j’en ai consulté un peu de mon côté —, quelle est la position des provinces que vous avez consultées à cet égard? Mon inquiétude est que la déclaration est formidable dans son intention, mais je me demande concrètement, puisque le gouvernement du Québec a déposé récemment une loi sur le statut de l’artiste, comment la mise en œuvre de ce projet de loi aura un réel impact sur le terrain dans les domaines de la santé ou de l’éducation, qui sont des champs de compétence provinciale. Merci.
[Traduction]
La sénatrice Bovey : Merci. C’est une bonne question. Sauf votre respect, je ne suis pas d’accord sur un point. Les arts ne relèvent que partiellement des provinces. S’il ne s’agissait que d’une responsabilité provinciale, nous n’aurions pas le Conseil des arts du Canada ou l’École nationale de théâtre; et nous n’aurions pas autant d’organisations et d’organismes de financement. C’est donc une responsabilité partagée et désordonnée.
J’ai discuté avec des organismes artistiques provinciaux. J’ai discuté avec un certain nombre de bureaucrates de conseils des arts provinciaux. Avant que je sois membre du Sénat, j’ai fait beaucoup de travail du même ordre au Manitoba, en essayant d’amener des ministères provinciaux à comprendre comment les arts pourraient faciliter leur travail, par exemple auprès des jeunes en difficulté ou dans les domaines de la santé, de l’emploi et du tourisme. Ils en sont tous conscients. La différence, c’est que le Québec est loin devant tout le monde. Si nous pouvions aspirer, à l’échelle du pays et de chaque province, à nous approprier une partie du travail accompli par le Québec, ce serait formidable.
Quelles en seront les répercussions sur les provinces? Je peux vous donner un espoir. J’espère qu’elles pourront comprendre qu’elles peuvent beaucoup mieux tirer parti du secteur de la création pour répondre à leurs besoins. Si les provinces aident le milieu des arts à participer aux activités de certains organismes touristiques... Je sais que nous l’avons fait il y a des années en Colombie-Britannique. Les répercussions seront différentes d’une province à l’autre, selon leur situation.
Tous les membres du gouvernement à qui j’ai parlé m’ont dit... et je n’ai pas eu de réunions officielles avec des ministres. Je trouvais que cela n’avait pas lieu d’être au moment où je travaillais à une loi fédérale. L’une des raisons pour lesquelles je voulais travailler à l’échelle fédérale est que je n’avais pas pu aller très loin au Manitoba et n’avais pas encore atteint le stade législatif. Je pense donc que les avantages seront importants. Je vais en faire le suivi et je veux y participer.
La sénatrice Moodie : Sénatrice Bovey, je vous félicite de ce merveilleux travail auquel vous avez consacré votre vie et de ce projet de loi. Je sais que vous avez fait beaucoup de travail sur la diplomatie culturelle, notamment une étude au Comité des affaires étrangères. Comment voyez-vous l’interaction entre ce projet de loi et nos efforts diplomatiques en matière culturelle? Avez-vous collaboré d’une façon ou d’une autre avec Affaires mondiales Canada à cet égard?
La sénatrice Bovey : Intéressant. Je vous remercie de cette question. L’effet du rapport sur la diplomatie culturelle a été immédiat. Je dois remercier le Conseil des arts du Canada et le ministère des Affaires mondiales, qui ont immédiatement créé un service spécial pour les affaires culturelles internationales. La raison pour laquelle Affaires mondiales était le chef de file de cette initiative plutôt que le Conseil des arts du Canada — et nous avons eu ces discussions — est qu’Affaires mondiales possède des propriétés partout dans le monde et que le Conseil des arts du Canada et Affaires mondiales travaillent ensemble, comme en témoigne le travail que nous faisons sur le Musée mondial du patrimoine panafricain. Les deux organismes sont avec nous. J’en ai parlé aux deux. Tous deux sont au courant de cette déclaration et l’ont appuyée. Mais, non, je n’ai pas consulté Affaires mondiales à ce sujet.
Parmi les plus de 600 personnes à qui nous avons parlé, certaines étaient bien au courant de ce qui s’est passé à la suite de la déclaration, parce que certains organismes que nous avions consultés demandaient maintenant que leurs travaux soient diffusés à l’étranger. Je vais continuer d’espérer — il y a toujours de l’espoir, n’est-ce pas? — que cela ait le même genre d’impact, et j’en serais très heureuse. Il en va de même pour le travail que nous avons fait sur l’Arctique au Comité sénatorial spécial sur l’Arctique, parce que, là encore, les arts visuels ont été réintroduits dans le champ des questions liées aux changements climatiques et aux changements sociaux dans le Nord. Tout est lié.
Je vais conclure ici, si vous le permettez. Cela nous ramène à la nécessité du décloisonnement. Comme si les choses étaient classées, les unes ici, les autres là et les autres encore là-bas. Perçons des ouvertures dans ces cloisons et faisons en sorte qu’elles permettent un dialogue pour que des engagements puissent être célébrés, sans dépenser autant d’argent ni répéter inlassablement la même chose.
La présidente : Merci, sénatrice Bovey. J’ai un peu de temps pour poser une question. La sénatrice Moodie a posé la question que j’avais prévue; permettez-moi donc d’en poser une autre.
Je suis plutôt d’accord avec la sénatrice Dasko. Ce projet de loi est singulier. Il l’est selon moi au sens où il est très prescriptif. Il y a une déclaration, et vous avez demandé au gouvernement de confirmer qu’il fournirait un plan d’action pour la mise en œuvre de la déclaration. Pourquoi avez-vous choisi cette voie plutôt que de demander au gouvernement de procéder à des consultations, puis d’élaborer une déclaration et de la mettre en œuvre?
La sénatrice Bovey : Voilà une très bonne question, parce que je suis convaincue que le Sénat et le gouvernement du Canada ont la responsabilité d’écouter les Canadiens. Nous avons écouté attentivement tout ce qui nous a été dit, d’où le calendrier. Le gouvernement a la responsabilité de mener ses propres consultations, et c’est pourquoi nous avons énuméré certains ministères. Il pourrait y en avoir d’autres. Si je rédigeais le texte aujourd’hui, j’ajouterais le ministère de la Défense nationale. La disposition permettant au ministre de consulter « toute autre personne ou organisation intéressées de son choix » permet cette ouverture. Si les consultations donnent lieu à certains changements dans ces dispositions, ils les changeront. J’ai l’impression qu’il est important de faire adopter ce projet de loi et de le faire rapidement, et, s’il faut y apporter un amendement après les consultations, ce sera très bien. Je pense que, compte tenu de la pandémie et de la façon dont les artistes ont permis à la société de survivre, il est très simple de leur rendre la pareille et d’offrir aux arts une autre occasion de s’épanouir.
La présidente : Merci, sénatrice Bovey, d’être parmi nous aujourd’hui. Au nom de la population, nous devrions tous remercier la sénatrice Bovey de sa contribution aux arts. Dans les couloirs du Sénat, si nous avons ces nombreuses et magnifiques expositions, c’est à elle que nous le devons. Merci de votre travail.
La sénatrice Lankin : Je pose la question tout de suite pour qu’on ait le temps d’accueillir d’autres témoins et que la greffière et d’autres nous donnent des conseils à notre retour.
En principe, quand nous étudions un projet de loi — et il a été question ici de sa structure —, nous l’examinons article par article. Le plus souvent, nous n’examinons pas les annexes, mais c’est peut-être possible, je ne sais pas. Certains des 10 points ne me préoccupent pas, notamment ceux qui relèvent sans équivoque de la compétence fédérale. L’appel à un plan d’action pour mobiliser les provinces est excellent. Certaines dispositions renvoient cependant à la notion de droits, et je ne suis pas sûre que le gouvernement fédéral ait la compétente ou la capacité nécessaires. Il faudrait y réfléchir. À notre retour, j’aimerais savoir, sur le plan de la procédure, comment nous ferions pour examiner le libellé de la déclaration proprement dite et en tirer une conclusion.
La présidente : Très bon point, sénatrice Lankin.
La sénatrice McPhedran : J’aimerais poursuivre dans la même veine et vous demander si, en fait, c’est une question à laquelle nous devrions demander une réponse juridique.
La présidente : C’est ce que j’allais dire entre cette réunion et la suivante. Soyez assurés que la greffière et l’équipe juridique nous reviendront avec une proposition sur la façon de l’examiner.
Encore une fois, merci beaucoup de votre contribution, sénatrice Bovey.
Chers collègues, nous accueillons notre deuxième groupe de témoins dans le cadre de notre étude du projet de loi S-208. Pour ceux d’entre vous qui se joignent à nous en direct, nous sommes en train d’étudier le projet de loi S-208 de la sénatrice Bovey, intitulé Loi concernant la Déclaration sur le rôle essentiel des artistes et de l’expression créatrice au Canada.
Nous accueillons aujourd’hui John Dalrymple, directeur général de l’École nationale de ballet du Canada, Robin Sokoloski, directrice du développement organisationnel de Mobilisation culturelle, et April Britski, directrice exécutive nationale du Front des artistes canadiens.
Merci beaucoup de vous être joints à nous par vidéoconférence. Je vous invite maintenant à faire vos exposés préliminaires. Je vous rappelle que vous n’avez que cinq minutes pour chaque exposé, après quoi les membres du comité vous poseront des questions. Vous pouvez commencer quand vous serez prêt, monsieur Dalrymple.
John Dalrymple, directeur général, École nationale de ballet du Canada : Merci, madame la présidente. Je suis ravi d’être ici. Je représente l’École nationale de ballet du Canada, qui est une école de ballet de réputation mondiale et la plus grande organisation de formation artistique au Canada.
Je pense que ce qui nous distingue à l’échelle mondiale, c’est que nous sommes Canadiens. Nous offrons la plus vaste gamme de programmes communautaires de toutes les écoles de ballet au monde. Ces programmes visent à obtenir des résultats holistiques en matière de santé pour tous les danseurs participants. Nous évaluons et mesurons nos programmes en fonction de leur aptitude à favoriser l’épanouissement humain et à susciter un sentiment d’appartenance. Ce n’est pas une caractéristique intrinsèque à la culture de toutes les écoles de ballet dans le monde, mais dont nous sommes fiers à l’École nationale de ballet.
Nous exécutons ces programmes à grande échelle. Nous sommes une organisation nationale. Au cours des cinq dernières années, nous avons fait participer plus de 750 000 Canadiens à ces programmes de danse communautaire axés sur la promotion de la santé ainsi qu’à des programmes de formation en danse professionnelle. Nous cherchons évidemment les ressources dont nous avons besoin pour essayer de toucher le plus grand nombre de personnes possible et aussi profondément que possible.
Aujourd’hui, je vais vous parler de trois mesures qui me semblent être particulièrement importantes pour l’école et y ajouter un peu de couleur venue du terrain, de l’endroit où nous travaillons.
Commençons par la mesure A, la reconnaissance du rôle essentiel et de la contribution des arts à la santé et au bien-être social et économique de tous les Canadiens. C’est vraiment ce dont sont convaincus les 300 employés de l’École nationale de ballet du Canada. C’est pour cela que nous nous levons tous les matins et que nous faisons ce que nous faisons. Nous nous intéressons au continuum complet de la vie dans le cadre de nos programmes.
Nous travaillons avec les très jeunes enfants par le biais du système scolaire public et avec les Canadiens de tous âges, jusqu’à ceux qui vivent dans des établissements de soins de longue durée et sont atteints de démence avancée. Peu importe le talent ou les aspirations, nous voyons l’impact que l’enseignement de la danse, la qualité et l’excellence peuvent avoir lorsqu’ils sont adaptés aux besoins de ces communautés.
Le partenariat que nous avons avec le Centre canadien pour les victimes de la torture illustre à quel point les arts peuvent être polyvalents dans notre société. Ces personnes ont vu et vécu des choses horribles. Auprès des enfants qui font partie de cette organisation, des enfants qui ne parlent généralement pas l’anglais et qui ne parlent pas la même langue que les autres enfants dans la salle, nous avons vécu des expériences profondes en intégrant des programmes de danse créative et de mouvement dans ces espaces. La danse, dans sa dimension universelle, favorise la guérison et l’inclusion sociale et donne lieu à des résultats probants.
À l’autre bout du spectre, il y a les adultes plus âgés. La danse est ce que vous pouvez faire de mieux en vieillissant. Les bienfaits cognitifs, psychologiques et physiques de la danse sont uniques et, bien entendu, tout cela découle de l’expression créative qui accompagne le travail d’une entreprise artistique.
Nous sommes en train de travailler à un programme en collaboration avec le University Health Network, ici à Toronto, ainsi qu’avec Baycrest Health Sciences, qui s’intitule « Dancer Not Dementia ». C’est une campagne financée par l’Agence de la santé publique du Canada. Elle ne finance pas souvent d’organismes artistiques, mais elle finance cette activité. Il s’agit de déstigmatiser les personnes atteintes de démence et les personnes qui s’occupent d’elles. C’est une célébration du danseur et non de la démence, parce que la danse donne vie à l’humanité.
En réfléchissant à une deuxième mesure, j’ai songé à la mesure C, l’amélioration de l’accès de tous les Canadiens, en particulier des enfants et des adolescents, à des activités artistiques. C’est au cœur de ce projet de loi, parce que lorsqu’on participe à des expériences d’éducation artistique et qu’on peut le faire à n’importe quelle étape de la vie, on s’améliore dans tout le reste. C’est tout à fait avéré. Nous l’avons constaté dans les programmes que nous offrons dans les écoles publiques. Des enfants qui avaient des difficultés en mathématiques ou qui avaient des problèmes de comportement en classe ont été complètement transformés par ces exercices réguliers de mouvements créatifs.
Autre fait intéressant, les étudiants professionnels de notre programme, qui sont de calibre olympique et qui passent toute leur enfance avec nous à faire leur scolarité et à faire du ballet, ont une carrière courte. Contrairement à un athlète professionnel dont la carrière est également courte, ils n’ont pas de contrats d’endossement de plusieurs millions de dollars sur lesquels se rabattre. Ils doivent donc entamer une nouvelle carrière et faire autre chose vers l’âge de 40 ans. Nos anciens étudiants ont des parcours exceptionnels comme avocats, neuroscientifiques, enseignants — peu importe la profession — après avoir transformé profondément leur orientation professionnelle, parce que leurs antécédents en arts créatifs leur ont donné une longueur d’avance dans leurs études universitaires plus tardives. Depuis 12 ans que je suis à l’École nationale de ballet du Canada, les finissants de 12e année obtiennent systématiquement des résultats supérieurs. Chaque année, chaque enfant a une moyenne de A. Ils sont ici pour danser, pas pour faire des mathématiques, mais ils réussissent aussi bien dans ce domaine.
Enfin, j’aimerais parler de la mesure E, la représentation des artistes au Canada et dans le reste du monde. Nous savons tous que le contenu artistique et culturel constitue un pouvoir de persuasion, et il témoigne de cette priorité de la diplomatie culturelle. Plus la culture canadienne est connue et appréciée à l’échelle mondiale, plus nous avons de l’influence. Je pense que le Canada fait toujours beaucoup plus que sa part. À l’échelle mondiale, nos artistes sont célébrés, alors que nous sommes un petit pays peu peuplé.
J’aimerais ajouter un exemple tiré de l’École nationale de ballet du Canada. Nous avons des danseurs et des diplômés dans plus de 80 compagnies à travers le monde et nous sommes fiers qu’il y ait plus de diplômés de notre école parmi les directeurs artistiques de compagnies professionnelles et d’écoles dans le monde que de diplômés de n’importe quelle autre école de ballet, et ils viennent d’un petit pays comme le Canada. Encore une fois, cela montre le pouvoir des arts.
Merci beaucoup de m’avoir accordé du temps et de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer.
La présidente : Merci, monsieur Dalrymple.
C’est au tour de Mme Sokoloski.
Robin Sokoloski, directrice du développement organisationnel, Mobilisation culturelle :
Merci de m’avoir invitée. Je m’appelle Robin Sokoloski et je viens de Toronto, ou encore Tkaranto, qui se trouve sur le territoire traditionnel de nombreuses nations, dont les Mississaugas de Credit, les Anishinaabeg, les Chippewas, les Haudenosaunee et les Wendats, et qui est maintenant le foyer de nombreuses Premières Nations, d’Inuits et de Métis.
Au cours des deux dernières décennies, j’ai eu le grand privilège de travailler dans le secteur des arts au Canada, aux côtés de centaines d’artistes, de professionnels de la culture, de bailleurs de fonds et, plus récemment, de chercheurs et d’universitaires dans le cadre de mon rôle actuel de directrice de Mobilisation culturelle.
Mobilisation culturelle est un organisme caritatif national qui, en collaboration avec la communauté artistique, tire parti du pouvoir de la recherche pour apprendre et produire des idées nouvelles qui permettent à la communauté artistique de prendre des mesures stratégiques, ciblées et adaptatives.
Je précise que Mobilisation culturelle est un jeune organisme, mais que nous endossons l’héritage du numéro d’organisme de bienfaisance avec lequel nous avons fusionné en 2019, qui appartenait à un organisme de longue date fondé il y a 77 ans sous le nom de Conférence canadienne des arts. Le sénateur Cormier a déjà été membre du conseil d’administration de la CCA. Celle-ci a longtemps été au service du milieu des arts et de la culture au Canada en effectuant des recherches, des analyses et des consultations sur les politiques publiques touchant les institutions et les entreprises artistiques et culturelles.
Je ne prends pas à la légère l’obligation de préserver cet héritage, tout en tenant compte du fait que la société canadienne et le secteur des arts ont beaucoup changé au cours de la vie de l’organisme. Je suis très fière de faire partie de ce qu’il est devenu, car le rôle actuel de Mobilisation culturelle donne les moyens à la communauté artistique de faire des recherches qui nous permettent de mieux connaître notre secteur et de développer des instruments et des données démontrant la valeur de l’art pour la société.
Nous ne sommes qu’une petite partie d’une infrastructure beaucoup plus vaste vouée à la recherche et aux politiques sur les arts et nécessaire pour appuyer, non seulement un secteur artistique et culturel florissant, mais une société en santé en mettant les arts et plus précisément les artistes en son centre. Le projet de loi S-208, Loi concernant la déclaration sur le rôle essentiel des artistes et de l’expression créatrice au Canada, est le lien nécessaire pour renforcer une solide infrastructure de recherche et de politique sur les arts.
L’automne dernier, j’ai donné un cours sur la politique artistique, l’équité et le militantisme au Centennial College. Mme Britski, qui est également témoin ici aujourd’hui, était l’une de mes conférencières invitées. C’était un beau prétexte pour revenir sur l’historique et la situation actuelle de la Loi sur le statut de l’artiste, qui fait l’objet d’un examen par le Comité permanent du patrimoine canadien ce mois-ci. Honnêtement, je trouve la version actuelle de la Loi fédérale sur le statut des artistes décourageante, car elle est loin de faire ce qu’elle devrait faire pour protéger nos artistes canadiens.
Lorsque nous avons enseigné la Loi sur le statut de l’artiste à ce nouveau groupe de gestionnaires des arts, au demeurant très avertis, ils ont aussitôt posé des questions, par exemple sur les directives que cette loi ou d’autres formes de réglementation fournissent au sujet de l’appropriation culturelle et du savoir culturel autochtone. Malheureusement, cette loi n’a pas encore été mise à jour pour tenir compte de ce genre de considérations. Je suis convaincue que le projet de loi S-208 a le potentiel de nous mener vers la déconstruction des anciens systèmes de soutien et de relier davantage la communauté artistique à de nouvelles façons de travailler. Par exemple, je vois une forte corrélation entre ce projet de loi et les possibilités offertes par le projet de loi S-216 de favoriser un secteur caritatif plus équitable.
Les sentiments exprimés dans les 10 points énumérés dans le projet de loi S-208 font écho aux discussions qui ont eu lieu cette semaine dans le cadre du Sommet canadien des arts, auquel j’ai participé, et je suis convaincue que l’on continuera d’en discuter au cours du Sommet national sur la culture, qui se déroulera la semaine prochaine sous les auspices de la ministre du Patrimoine canadien et qui portera sur « l’avenir des arts, de la culture et du patrimoine au Canada ». Pourquoi? Parce que la sénatrice Bovey a assumé l’énorme tâche de dialoguer avec la communauté artistique et de l’écouter. Ces voix passent dans ce projet de loi que j’appuie avec bonheur tel quel, et qui, s’il est adopté, sera fondateur et sera suivi d’un plan d’action sur lequel les générations à venir de professionnels de la culture et d’artistes pourront s’appuyer. J’espère que Mobilisation culturelle demeurera un intervenant et un rassembleur de la communauté artistique pour appuyer la mise en œuvre du plan d’action.
Merci.
La présidente : Merci beaucoup, madame Sokoloski. Madame April Britski, vous avez cinq minutes.
April Britski, directrice exécutive nationale, Front des artistes canadiens : Je vous remercie de m’avoir invitée aujourd’hui, et un merci particulier à la sénatrice Bovey, qui nous a donné une excellente raison de nous réunir virtuellement. Je suis la directrice exécutive du Front des artistes canadiens. Notre organisme défend les droits économiques et juridiques des artistes et milite pour leur obtenir de meilleures conditions de travail. Nous fournissons des normes professionnelles pour la rémunération des artistes et nous sommes habilités, en vertu de la Loi sur le statut de l’artiste, à représenter les artistes des arts visuels et des médias dans les négociations collectives.
On dénombre plus de 21 000 artistes visuels au Canada, dans des domaines comme la peinture, la sculpture, l’imprimerie, la photographie et j’en passe. Ce projet de loi est important pour nous parce que la moitié des artistes des arts visuels gagnent à peine 20 000 $ par an. Je vais le répéter, parce que nous savons tous à quel point il est difficile de gagner sa vie comme artiste et que nous devenons souvent insensibles à des statistiques comme celle-ci, mais il est important de savoir que la moitié des artistes des arts visuels gagnent à peine 20 000 $ par an, toutes sources de revenus confondues. C’est moins de la moitié des gains du Canadien moyen. La plupart des artistes sont des travailleurs autonomes pigistes, et leurs revenus de création ne sont pas prévisibles. Certaines années peuvent être excellentes, d’autres peuvent être désastreuses. Même les artistes chevronnés et primés peuvent connaître une mauvaise année. À la fin de 2020, notre bureau a été inondé d’appels et de courriels d’artistes qui avaient reçu des demandes de remboursement de la PCU. Ils avaient demandé la PCU parce qu’ils avaient gagné des revenus bruts d’au moins 5 000 $ en 2019, mais pas 5 000 $ net. Pour beaucoup d’entre nous, cette réalité est inimaginable. Pour certains artistes, 2019 a été une mauvaise année, et ils espéraient rebondir l’année suivante.
La pandémie a été désastreuse pour notre secteur à bien des égards, mais elle nous a montré ce qui est possible lorsque ceux qui ont besoin d’un filet de sécurité sociale en période difficile peuvent y accéder. D’autres pays, comme l’Irlande, ont instauré un revenu de base garanti pour les artistes dans le cadre de leur stratégie de relance, parce qu’ils savent que les arts et la culture ont de la valeur pour tous et que les artistes doivent bénéficier d’une politique d’envergure. C’est ce que prévoit le projet de loi. Cela nous donne l’occasion d’envisager le même genre de transformations importantes pour les créateurs canadiens.
Je tiens à remercier la sénatrice Bovey d’avoir rédigé une déclaration aussi audacieuse sur l’importance des artistes canadiens et sur l’importance des arts pour les Canadiens. C’est un point de départ important, et il faut bien commencer quelque part. En 1980, l’UNESCO a formulé des recommandations sur le rôle des travailleurs créatifs, qui ont donné lieu à la Loi sur le statut de l’artiste au Canada. Cette loi a transformé la situation des artistes visuels qui, sinon, auraient du mal à s’organiser pour négocier collectivement leurs conditions de travail. La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones a constitué une étape semblable dans la protection des droits des Autochtones, et, avec l’entrée en vigueur de la réglementation au Canada, j’ai hâte de voir comment cela aidera les nations, les communautés et les artistes autochtones à protéger leur savoir traditionnel et leurs modes d’expression artistique et culturelle.
Une déclaration sur l’importance des artistes et des expressions culturelles à elle seule ne suffit pas. Nous avons besoin d’appels à l’action, et ces recommandations ne peuvent rester lettre morte jusqu’à ce que quelqu’un décide qu’il s’agit d’une priorité. Nous avons besoin d’une loi sur le droit d’auteur qui protège les artistes. Il y a dans la loi de très bonnes choses pour les artistes visuels, comme les droits d’exposition et de reproduction, mais la violation du droit d’auteur et l’appropriation culturelle sont monnaie courante, et on ne peut pas faire grand-chose pour se défendre quand on gagne 20 000 $ par an. La solution passe par de solides mesures incitatives en matière de prévention, mais les artistes ont aussi besoin d’un accès abordable à la justice.
Il faut insérer dans la Loi sur le droit d’auteur un droit de suite pour les artistes visuels. Le droit de suite est une redevance en pourcentage que les artistes visuels reçoivent déjà dans 94 autres pays lorsque leurs œuvres sont revendues sur un marché secondaire. Ce serait particulièrement avantageux pour les artistes autochtones. Au Nunavut seulement, le gouvernement estime que le secteur des arts et de l’artisanat contribue au PIB du territoire à hauteur de 33,4 millions de dollars. Une grande partie de cet argent provient du marché de la revente des œuvres d’artistes inuits. Cette disposition alignerait le Canada sur ses partenaires commerciaux, et ce serait l’une des nombreuses façons dont le gouvernement pourrait aider les artistes visuels à se remettre de la pandémie. Cela ne coûterait rien au gouvernement. Nous avons simplement besoin d’un amendement juridique.
On appuie cette proposition au gouvernement fédéral, et des mesures ont récemment été prises en vue de sa mise en œuvre. J’espère qu’elle sera adoptée bien avant que le plan d’action prévu dans le projet de loi soit terminé et que nous aurons votre appui le moment venu. Cinq minutes ne suffisent pas pour parler de toutes les façons dont les arts et la culture enrichissent nos vies — je n’ai même pas parlé de fiscalité — et de tous les angles sous lesquels on peut commencer à repenser la pratique artistique comme une vraie profession et les artistes, comme des travailleurs ayant une valeur réelle, mais c’est un début, et je vous en suis très reconnaissante.
Merci.
La présidente : Merci beaucoup, madame Britski, et merci à tous nos témoins de nous aider à mieux comprendre les arts, car ils jouent un rôle dans différents aspects de la vie. Les sénatrices et sénateurs vont maintenant pouvoir poser des questions. Je rappelle que l’objet de la réunion est d’examiner le projet de loi dont nous sommes saisis et j’invite tout le monde à s’en tenir à des questions et à des commentaires à ce sujet.
La sénatrice Poirier, du Nouveau-Brunswick, va commencer, suivie de la sénatrice Bovey.
La sénatrice Poirier : J’ai une seule question, mais en deux parties; je vais donc la poser en bloc. La déclaration de 10 paragraphes sur le rôle essentiel des artistes et de l’expression créatrice au Canada figure à l’annexe du projet de loi S-208, Loi concernant la Déclaration sur le rôle essentiel des artistes et de l’expression créatrice au Canada.
J’aimerais savoir quel concept, s’il y a lieu, n’est pas actuellement défini dans la déclaration et qui, selon vous, devrait y être inclus.
La deuxième partie de la question porte sur le quatrième article, qui définit les mesures précises que le ministre du Patrimoine canadien devra envisager dans le cadre de l’élaboration du plan d’action. Quel autre message, s’il y a lieu, devrait, selon vous, faire partie du plan d’action?
La question s’adresse à tous les témoins qui souhaitent y répondre.
La présidente : Je pense qu’ils voudront tous intervenir; donc une minute par réponse, si c’est possible. Je donne la parole à Mme Britski, suivie de Mme Sokoloski et de M. Dalrymple.
La sénatrice Poirier : Merci, madame la présidente.
Mme Britski : Qu’est-ce qui manque? Je ne sais pas. Comme l’a dit la sénatrice Bovey, les arts relèvent de divers ministères, et il s’agit donc de déterminer comment conjuguer les enjeux de la main-d’œuvre, du droit d’auteur, de la fiscalité, du commerce, de l’emploi, de la radiodiffusion et de la défense. Ce n’est pas simple, et j’ai hâte de voir comment tout cela se jouera dans le cadre des consultations et du plan d’action. Il y a beaucoup de matière à réflexion et à discussion.
Mme Sokoloski : Je dirais que les 10 points présentés sont très complets, et cela a beaucoup à voir avec le processus de consultation entrepris par la sénatrice Bovey. Pour l’instant, je ne vois rien qui manquerait de façon flagrante.
J’espère que cela facilitera le travail interministériel en incitant le ministre du Patrimoine canadien à collaborer avec d’autres, comme Mme Britski le disait à l’instant. Je pense que, dans le secteur, et même au sein du Conseil des arts du Canada en ce moment, on nous invite à nous éloigner de l’argument économique et à nous intéresser davantage à l’impact social des arts. Je pense donc qu’il est vraiment important de pouvoir travailler avec d’autres ministères pour comprendre la situation et que cette déclaration ouvre le dialogue à cet égard.
M. Dalrymple : Il ne manque rien de précis, mais je pense qu’il faudrait rappeler que nous avons souvent dû défendre les arts et que la situation est différente d’il y a 50 ans, quand il suffisait d’avoir des organisations artistiques fortes et que les gens accordaient de la valeur aux arts. Nous avons dû faire la preuve des répercussions sociales et économiques des arts. C’est tout à fait valable de le faire, mais ce projet de loi renvoie à quelque chose qui n’est peut-être pas expressément énoncé, mais que je tenais à dire, à savoir qu’il y a dans les arts quelque chose d’inhérent qu’il y a lieu de respecter et d’apprécier.
On peut dresser toutes les listes qu’on voudra sur l’intersectionnalité des arts, sur leurs bienfaits pour la société, mais tout cela est attribuable à quelque chose d’inhérent aux arts et à leur aptitude à libérer la créativité et l’expression humaines, qu’il y a lieu de célébrer. Je voulais simplement ajouter ce point de vue, parce qu’il ne faut pas le perdre de vue dans tous les moyens que nous employons pour faire valoir les arts. Leur profondeur est intrinsèque.
La présidente : Merci beaucoup. C’est au tour de la sénatrice Bovey, la marraine du projet de loi.
La sénatrice Bovey : Je tiens à remercier les témoins non seulement de leur présence aujourd’hui, mais aussi de tout le travail qu’ils font, des bannières qu’ils arborent et de l’effet qu’ils ont dans leurs collectivités et partout au pays, parce qu’ils font un travail exceptionnel.
J’aimerais poser une question simple, et certains d’entre vous m’ont peut-être déjà entendu la poser. Pensez-vous que ce projet de loi vous aidera à créer des liens avec divers ministères et, plus largement, avec la société pour les aider à comprendre ce que vous faites et à prendre la mesure de la valeur sociale des arts? Pensez-vous que cela vous aidera à créer ces liens?
La présidente : Sénatrice Bovey, cette question s’adresse-t-elle à un témoin ou à tous?
La sénatrice Bovey : De préférence à tous.
La présidente : Chers témoins, vous avez une minute chacun pour répondre.
M. Dalrymple : Je crois que ce sera utile, parce que nous avons déjà essayé de communiquer avec d’autres ministères pour parler de notre travail et de la promotion de leurs propres impératifs, et c’est souvent difficile parce que, dès le départ, ils ne comprennent pas pourquoi nous sommes là. Cela permettra vraiment d’engager un dialogue et de mieux faire comprendre les enjeux sociaux complexes que nous affrontons, et d’éviter qu’un ministère ou un autre puisse dire : « Je vais m’occuper de tel enjeu; je vais m’occuper de tel autre enjeu. » Il faut un effort concerté, et je pense que l’aptitude des arts à libérer la créativité humaine nous aidera à produire des idées originales et à faire preuve d’empathie, et c’est quelque chose qui, à mon avis, servirait bien les priorités des ministères. Donc, le fait que cela crée un contexte et ouvre la voie pourrait être très, très utile.
Mme Sokoloski : Je suis d’accord. Je pense que cela ouvre effectivement la voie. Cela permet de renforcer la cause et de créer un langage commun auquel nous pourrons tous nous rallier quand nous prendrons des décisions organisationnelles ou que nous essaierons d’alimenter des politiques grâce à nos efforts de défense des droits. C’est un texte fondateur auquel nous pouvons nous rallier, et je pense donc que, oui, c’est utile.
Mme Britski : Oui, sans aucun doute. Premièrement, il ne sera plus nécessaire de repartir de zéro chaque fois que nous rencontrerons les représentants d’un ministère dont la vocation n’est pas proprement artistique. Je rappelle que nous n’avons pas de ministère des Arts et de la Culture. Le ministère du Patrimoine canadien est ce qui s’en rapproche le plus, mais une bonne partie des lois qui touchent les artistes relèvent d’autres secteurs. Entre autres, l’impôt.
Quand nous rencontrons des représentants de l’Agence du revenu du Canada et qu’ils essaient de comprendre les problèmes et les difficultés uniques que les lois fiscales posent aux artistes, nous devons vraiment leur expliquer beaucoup de choses. C’est une excellente occasion d’apporter des changements à cet égard.
Le sénateur Cormier : Ma question fait suite à celle de la sénatrice Bovey et s’adresse à quiconque veut y répondre. Comme vous le savez, selon le projet de loi, le ministre du Patrimoine canadien sera responsable du plan d’action et de la mise en œuvre. Le ministre n’a pas de pouvoir sur les autres ministères. Il peut consulter, et, cela étant, quels seront, d’après vous, les défis que devra relever le ministre du Patrimoine canadien pour faire participer concrètement d’autres ministères à des activités dont vous pourriez bénéficier?
Mme Sokoloski : On a toujours l’impression que c’est une bataille ardue quand il faut discuter avec d’autres ministères que Patrimoine canadien. C’est donc une question à laquelle il est difficile de répondre, parce que c’est toujours une bataille ardue. Comme l’a dit Mme Britski, il faut presque à chaque fois réexpliquer la valeur des arts.
Ce projet de loi nous donne les bases nécessaires pour pouvoir nous appuyer sur quelque chose de convenu et affirmer que c’est ce que le secteur des arts peut faire valoir, puisque les voix des artistes font partie de cette déclaration. En fait, cela nous donne un point d’appui.
Mme Britski : Oui, je pense que c’est certainement utile. Il y a toujours des difficultés quand plusieurs ministres sont responsables d’un même domaine, mais il y a des précédents. Le droit d’auteur relève à la fois de Patrimoine et d’Industrie, et les deux ministères ont donc défini leurs processus à partir de là.
Projet de loi ou non, toute loi portant sur les artistes engagera probablement plusieurs ministres de toute façon. Donc, si au moins tout le monde part du même point de départ convenu, cela aidera effectivement.
M. Dalrymple : Je crois que vous demandez en quoi consistera le défi à relever, et je pense que ce serait une belle occasion pour lui, parce qu’il y a beaucoup d’ouvrages utiles dans ce domaine. Il y a des tonnes de recherches, de recherches officielles et d’évaluations sur l’impact des artistes, sur les mesures fondées sur des pratiques artistiques et sur d’autres aspects sociaux. Ce sera l’occasion pour le ministre de travailler avec ses homologues et de leur demander : « Quels sont vos problèmes urgents? Où sont vos obstacles? ». C’est un peu comme si on organisait une réunion où on se demanderait : comment se fait-il que vous n’ayez pas de nouvelles idées. Ce sont les mêmes personnes autour de la table. Qui manque-t-il ici?
Beaucoup d’intervenants en sont absents. Premièrement, y a-t-il des artistes à la table? Il faut reconnaître que les solutions passent par la participation du secteur artistique. Plutôt que de le voir comme un secteur ayant besoin de soutien, il s’agit en fait de le mobiliser pour résoudre des problèmes complexes dans d’autres ministères.
Le sénateur Cormier : Merci.
La présidente : Je pense avoir le temps de poser quelques questions. C’est une nouveauté pour la présidence.
J’aimerais vous poser une question sur la liste du plan de consultation. Bien qu’on y évoque la participation de « toute autre personne ou organisation intéressées de son choix », je m’étonne de l’inclusion d’une institution culturelle importante à l’exception d’autres, à savoir le président du Conseil des Arts du Canada. Je comprends bien qu’il s’agit de la grande institution culturelle du Canada, mais il y en a d’autres.
Que pensez-vous de l’inclusion de l’une par opposition à d’autres. J’essaie simplement de comprendre. Madame Britski, pourquoi ai-je l’impression que vous avez une réponse?
Mme Britski : Mon Dieu, je ne sais pas. Je suis sûre qu’il manque beaucoup de gens. C’était le choix évident, bien sûr. On peut comprendre que cette institution soit dans la liste.
La présidente : D’accord. Permettez-moi de mettre les choses en contexte. Quand j’ai parlé d’équité et d’inclusion à des artistes, la plupart d’entre eux m’ont dit que les institutions culturelles de l’époque à Ottawa et au Canada semblaient ignorer leur réalité. Je remarque ensuite que, dans le projet de loi proprement, il est effectivement question des Autochtones, des personnes handicapées et des jeunes, ainsi que « de chaque Canadien ou résident canadien, quels que soient son âge, ses spécificités culturelles ou ses origines [...] » , mais le mot « multiculturalisme » ne figure nulle part. C’est pourtant l’un des piliers de notre société, et je me demande si cela vous a frappée comme moi.
Mme Britski : À mon avis, le fait que des organismes artistiques comme le nôtre, Mobilisation culturelle et d’autres soient énumérés fait passer le message de cette représentation. Il y a beaucoup d’organismes artistiques au Canada, et les nommer tous... Nous savons qui ils sont et nous pourrions recommander des listes de groupes qui devraient faire partie de ce processus. Il aurait fallu des pages et des pages pour les énumérer tous. C’est effectivement une préoccupation valable, mais je pense que le secteur ferait le nécessaire.
La présidente : C’est une bonne réponse. Le secteur devrait le faire lui-même.
M. Dalrymple : À titre de suggestion, puisque l’alinéa 4(2)g) est une sorte de fourre-tout, on pourrait peut-être ajouter les organisations représentant les artistes et les disciplines racialisés, par exemple. Je crois que vous avez tout à fait raison. Le Conseil des arts du Canada reçoit ce genre de rétroaction de la part des artistes racialisés en général, qui font valoir qu’ils ne réussissent pas à y avoir accès ou que des fonds disproportionnés sont accordés à des institutions mieux établies. Comme responsable d’une institution bien établie, je comprends que j’ai la responsabilité de régler ce problème. Ce serait peut-être très utile de préciser que les consultations doivent inclure certains groupes marginalisés jusqu’à présent.
La présidente : C’est peut-être une observation que je pourrais faire. Nous verrons.
La sénatrice Bovey : Est-ce que je peux intervenir?
La présidente : Pourvu que ce soit sous forme de question.
La sénatrice Bovey : Je dirai d’abord que la raison pour laquelle on prévoit d’autres organisations, c’est qu’elles évoluent constamment. Pensez-vous que nous aurons commencé de régler ce problème d’ici à ce que nous ayons un autre groupe de témoins représentant différents groupes au pays? Je sais que le temps est toujours compté. Est-ce que vous souhaiteriez que je vous fasse parvenir quelques-unes de ces autres listes d’organisations, dont beaucoup étaient représentées parmi les 600 personnes que nous avons déjà consultées? Je vous demande si cela vous conviendrait parce que ces listes prennent des pages.
La présidente : En fait, cette question ne s’adresse pas aux témoins, mais à la présidence.
La sénatrice Bovey : Êtes-vous d’accord? Je vous remercie d’accueillir ma question, madame la présidente. Merci d’en tenir compte.
La présidente : Puisque j’en ai le temps, je vais m’attarder un peu là-dessus, en laissant de côté les listes parce que, du fait de leur nature, elles sont exclusives. Qu’en est-il de ma remarque sur l’absence du mot « multiculturalisme »? Quelqu’un veut-il répondre?
Mme Sokoloski : Pourriez-vous expliquer la différence que vous faites entre diversité culturelle et diversité multiculturelle?
La présidente : Je pense qu’il y a une différence dans la politique et une différence dans la réglementation... nous avons un ministre du multiculturalisme ou en tout cas nous en avions un. J’oublie toujours. Les appellations changent. Nous avons maintenant une ministre de la Diversité, de l’Inclusion et de la Jeunesse. Les fondements de la réglementation pourraient avoir un impact. Mais, plus directement, j’examine ce projet de loi du point de vue d’une artiste racialisée, et je me demande si je me sentirais incluse. Ce n’est qu’une remarque. J’aimerais avoir une réponse si c’est possible. Sinon, nous pouvons passer à d’autres questions.
Mme Sokoloski : À titre tout à fait personnel, je dirais que, dans le cadre de toutes nos consultations menant à la concrétisation du projet de Mobilisation culturelle, il a toujours été prioritaire de nous assurer de faire participer ceux qui ne sont généralement pas sollicités. Mais c’est très difficile à faire s’il n’y a pas d’objet de réflexion autour duquel réunir des gens. Donc, à tout le moins, cette déclaration est un moyen de le faire, de nous rassembler, de débattre, de mieux informer et de mieux comprendre les priorités du secteur. Je pense que cela permet à de nombreuses personnes et à de nombreuses voix qui en ont désespérément besoin de se faire entendre quand il est question de légiférer.
La présidente : Merci. Je me demande aussi si le mot « multiculturalisme » ne serait pas en train de tomber en désuétude. C’est simplement une observation que je fais, et je pense que ce terme ne devrait pas être oublié, pour des raisons évidentes.
[Français]
La sénatrice Gerba : Je regardais la déclaration au point no 9; l’un des témoins parlait tout à l’heure des difficultés des artistes à gagner un revenu stable. Dans la déclaration, on prévoit qu’au Canada, chaque artiste, organisation artistique ou maison de production a le droit de prendre des risques et d’investir dans l’innovation créatrice tout en servant les communautés et l’intérêt public et doit pouvoir bénéficier en toute indépendance des soutiens et des moyens pour ce faire. Les artistes, quand ils sont en mode de création, n’ont pas le temps d’aller chercher du financement. En ce qui a trait à des organismes comme le vôtre, qui font un travail très intéressant, est-ce que le gouvernement pourrait prévoir une enveloppe qui donnerait — on réfléchit tout haut — ou qui garantirait un revenu minimum aux artistes? Cela pourrait-il être intégré dans un projet de loi? Pensez-vous qu’on pourrait ajouter quelque chose dans cette déclaration ou dans ce projet de loi qui peut assurer aux artistes un minimum de soutien financier? Merci.
[Traduction]
La présidente : À qui cette question s’adresse-t-elle?
La sénatrice Gerba : N’importe quel témoin. Peut-être M. Dalrymple.
La présidente : Madame Britski, vous avez parlé du modèle irlandais, et nous pourrions peut-être vous entendre encore à ce sujet.
[Français]
M. Dalrymple : Je parle un peu français.
[Traduction]
Je suis désolé, mais je n’ai pas compris toute la question.
La sénatrice Gerba : Je me demande si nous pourrions ajouter quelque chose à cette déclaration pour offrir un soutien financier aux artistes. Est-il possible d’ajouter quelque chose dans la déclaration ou dans le projet de loi? Je ne sais pas; peut-être que les lois ne sont pas censées être financièrement... mais que pourrions-nous faire pour nous assurer que les artistes sont soutenus pendant qu’ils créent?
M. Dalrymple : Ce serait difficile. Je ne voudrais pas que le projet de loi soit entravé par le fait qu’on aurait imputé à un ministère la responsabilité de financer quelque chose qu’il ne s’est pas préparé à financer. Je pense qu’on essaie de régler ce problème au moyen de l’alinéa 4(3)g), qui vise à encourager des investissements plus importants.
Il pourrait y avoir d’excellentes possibilités au-delà du simple financement direct par le gouvernement, mais comment la compréhension du rôle que les arts peuvent jouer à l’égard de nombreux enjeux sociétaux croisés pourrait-elle permettre de trouver des soutiens financiers qui ne seraient pas traditionnels et conventionnels, c’est-à-dire qui ne seraient pas des subventions directes ou des équivalents? Dans son expression actuelle, il me semble que le projet de loi confirme qu’il faut investir davantage, mais sans préciser exactement d’où viendraient ces investissements, et c’est ce qui, à mon avis, donne une certaine marge de manœuvre.
Le sénateur Cormier : Je vais poser ma question en français. Je veux m’assurer que vous avez l’interprétation, parce que je veux être plus précis.
[Français]
Le projet de loi et la déclaration de la sénatrice contiennent ce que l’on appelle des droits. D’autres éléments, pour moi, semblent davantage de grands principes sur la place qu’occupent les arts que des droits. Ma question est la suivante : en fonction de vos propres besoins, est-ce que ce projet de loi... Il y a une expression en français qui dit : qui trop embrasse mal étreint. Est-ce que ce projet de loi est suffisamment concentré pour vous permettre de vous y retrouver et faire en sorte qu’il est possible d’établir des priorités? Au fond, ce projet de loi contient beaucoup d’avenues et c’est sa grande qualité. Croyez-vous que vous pouvez, avec ce qui est sur la table, établir des propriétés dans le dialogue que vous aurez durant une éventuelle consultation avec le ministre du Patrimoine canadien?
[Traduction]
Mme Sokoloski : À mon avis, sénateur Cormier, c’est global. Je suis d’accord, sa force réside dans sa capacité d’inclusion. Je pense que la sénatrice Bovey a adopté une perspective très importante en s’assurant que nous ayons un texte fondateur pour vraiment cerner les enjeux. Il comprend pas mal de choses, mais je pense qu’il fournit ce dont on a besoin.
On l’attend depuis très longtemps, et c’est pourquoi il inclura pas mal de choses. Je crois que c’est justifié. Il faut entamer une réflexion globale pour trouver des façons de travailler ensemble et un terrain d’entente au sein de notre communauté artistique, très diversifiée et aux priorités nombreuses. Je crois que ce projet de loi est ce terrain d’entente.
Mme Britski : La perspective holistique nous permet de vraiment réfléchir à nos besoins. Ces besoins ont évolué au fil du temps — et, au cours des deux dernières années, ils ont changé de façon assez spectaculaire, en effet —, et ce projet de loi nous donne donc l’espace nécessaire non seulement pour avoir une liste qui a peut-être déjà été dressée il y a quelques années, mais aussi pour réfléchir à ce qui est possible, au-delà de la façon dont les choses ont toujours été et de la façon dont nous pensions jusqu’ici aborder les défis à relever. C’est cela, à mon avis, qui est passionnant ici.
Ce qui est intéressant concernant la consultation et le plan d’action, c’est que nous pouvons partir de là et déterminer ce que nous voulons faire, comment nous voulons le faire et comment cela pourrait fonctionner dans le cadre de processus législatifs ou politiques — ou qui sait?
La présidente : Je remercie les témoins de leur participation aujourd’hui et d’avoir partagé avec nous leur sagesse et leur expérience. Nous vous en sommes vraiment reconnaissants. Nous poursuivrons notre étude la semaine prochaine. Vous pourrez vous joindre à nous, si vous le désirez. Chers collègues, s’il n’y a pas d’autres questions, la séance est levée.
(La séance est levée.)