LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 9 octobre 2025
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui avec vidéoconférence, à 8 heures (HE), pour étudier, afin d’en faire rapport, le problème grandissant des feux de forêt au Canada et les effets que les feux de forêt ont sur les industries de la foresterie et de l’agriculture, ainsi que sur les communautés rurales et autochtones, à l’échelle du pays.
Le sénateur Robert Black (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour à tous. C’est un plaisir de vous voir. Je souhaite la bienvenue aux sénateurs et à nos témoins, présents en personne ou en ligne. Merci d’être ici.
Je m’appelle Robert Black, sénateur de l’Ontario, et je suis le président du comité. Je tiens d’abord à souligner que les terres sur lesquelles nous sommes réunis se trouvent sur le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinaabe. Je demanderais maintenant aux sénateurs de se présenter, en commençant par notre vice-président.
Le sénateur McNair : John McNair, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Varone : Toni Varone, de l’Ontario.
La sénatrice Burey : Sharon Burey, de l’Ontario.
La sénatrice Robinson : Bonjour. Mary Robinson, et je représente l’Île-du-Prince-Édouard.
La sénatrice McBean : Marnie McBean, de l’Ontario.
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, du Québec.
La sénatrice Muggli : Je suis heureuse de vous revoir. Tracy Muggli, de la Saskatchewan.
Le président : Merci d’être restée parmi nous, monsieur Feltmate.
Aujourd’hui, le comité poursuit son étude sur le problème grandissant des feux de forêt au Canada et les effets qu’ils ont sur les industries de la foresterie et de l’agriculture.
Pour notre premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir en personne M. Blair Feltmate, chef, Centre Intact d’adaptation au climat, Université de Waterloo; et par vidéoconférence, nous accueillons Ryan Ness, directeur de la recherche en adaptation, Institut climatique du Canada. Bienvenue à vous deux.
Vous disposerez chacun de cinq minutes pour faire votre déclaration préliminaire, qui sera suivie des questions des sénateurs. Lorsqu’il vous restera une minute, je lèverai la main, et lorsque le temps sera presque écoulé, je lèverai les deux mains.
Vous avez la parole, monsieur Feltmate.
Blair Feltmate, chef, Centre Intact d’adaptation au climat, Université de Waterloo, à titre personnel : Bonjour. Je suis heureux d’avoir l’occasion de vous rencontrer ce matin et de présenter quelques observations préliminaires. Comme on l’a mentionné, je dirige le Centre Intact d’adaptation, qui fait partie de la faculté de l’environnement de l’Université de Waterloo.
L’objectif du Centre Intact est de préparer les collectivités et les maisons partout au Canada à faire face à des inondations, des feux de forêt et des vagues de chaleur de plus en plus graves. Nous nous concentrons sur les inondations et les feux de forêt parce que ce sont les deux impacts financiers les plus coûteux des conditions météorologiques extrêmes au Canada, et la chaleur extrême est de loin la plus meurtrière.
Aujourd’hui, je vais me concentrer sur un seul aspect de notre travail, soit les mesures que les propriétaires de maisons peuvent prendre pour limiter leur exposition aux feux de forêt dans les régions boisées ou herbeuses. Nos recherches montrent que les Canadiens prendront des mesures pour protéger leur maison contre les conditions météorologiques extrêmes lorsqu’ils recevront des directives faciles à suivre.
Avant d’aborder la façon dont les propriétaires peuvent limiter leur vulnérabilité aux risques de feux de forêt, je vais commencer par présenter quelques faits sur les répercussions actuelles des conditions météorologiques extrêmes qui touchent les Canadiens. Par exemple, 1,5 million de propriétaires de maison au Canada ne peuvent actuellement pas obtenir une assurance contre les inondations. C’est un propriétaire sur dix qui ne peut pas obtenir d’assurance pour ce qui est probablement son plus gros investissement financier.
Si nous n’agissons pas rapidement pour mobiliser l’adaptation — et cela s’est déjà produit en Californie et en Arizona —, les maisons pourraient aussi devenir non assurables en cas de feux de forêt dans les zones à risque élevé. Le fait de ne pas avoir d’assurance contre les incendies de forêt représente un fardeau beaucoup plus lourd que la perte d’une assurance contre les inondations. Sans assurance contre les inondations, un propriétaire peut toujours obtenir une hypothèque. Sans assurance-incendie, un propriétaire ne peut pas obtenir une hypothèque, ce qui fait de sa maison un bien immobilisé ou qui n’a aucune valeur.
Je vous ai remis un graphique qui dresse le profil des réclamations pour pertes catastrophiques assurées au Canada entre 1983 et 2024. Lorsque vous regardez le graphique, ce qui compte le plus dans ce tableau, c’est la forme de la courbe qui représente les paiements pour pertes catastrophiques réalisés au fil du temps. La ligne de régression du graphique se déforme vers le haut, principalement en raison des dommages causés par les inondations et les feux de forêt. Autrement dit, la situation s’aggrave plus rapidement. Ce n’est pas là où le Canada veut être.
Maintenant que nous avons abordé certaines des mauvaises nouvelles, passons aux bonnes nouvelles. Les maisons et les collectivités du Canada peuvent être protégées contre les feux de forêt. Les propriétaires n’ont pas à être victimes de circonstances à la merci des feux de forêt. Il y a beaucoup de choses que l’on peut faire au niveau de la maison et de la collectivité avant qu’un incendie ne se déclare, ce qui peut réduire jusqu’à 75 % le risque d’incendie d’une maison ou d’une collectivité lorsqu’un incendie se déclare dans une région.
Cela nous amène à l’infographie que je vous ai distribuée : Trois étapes pour une protection rentable: Maison Intelli-feu. Je vous laisserai une infographie semblable qui porte sur la protection des collectivités contre les feux de forêt, pour un autre jour.
Dans l’infographie, dans la rangée du haut, vous voyez les mesures simples qu’un propriétaire peut prendre pour protéger sa maison à un coût variant entre 0 et 300 $ afin de réduire son exposition aux feux de forêt. Par exemple, il peut s’agir simplement d’enlever les arbustes qui se trouvent à quelques mètres du mur de la maison et de les remplacer par des matériaux non combustibles. Une autre mesure de précaution consiste à entreposer le bois de chauffage loin de la maison et non près de la porte arrière pour des raisons de commodité. Pour un peu plus d’argent, dans la zone de 300 à 3 000 $, vous pouvez remplacer les clôtures en bois par des clôtures en métal ou à mailles losangées. Sinon, la clôture en bois peut conduire le feu jusqu’à la maison. À un coût légèrement plus élevé, la protection peut comprendre l’installation de bardeaux en métal ou en fibre de ciment résistant au feu, de parements incombustibles et l’abattage de grands conifères qui se trouvent près de la maison.
Au départ, les coûts et les efforts nécessaires pour rénover une maison afin de limiter le risque d’incendie de forêt peuvent sembler décourageants, mais ce n’est pas le cas lorsqu’on considère que pour ceux qui possèdent une maison, il s’agit généralement de l’investissement le plus important de toute leur vie, qui leur demande un effort financier pendant 25 à 30 ans, et constitue leur fonds de retraite. En fin de compte, cette infographie fonctionne. Dans les six mois suivant sa réception, 70 % des propriétaires prennent deux mesures ou plus pour protéger leur maison qu’ils n’auraient pas prises autrement.
À mon avis, un programme national d’éducation sur les feux de forêt résidentiels ciblant les maisons dans les régions boisées pourrait être mis en place assez rapidement et à un coût raisonnable, ce qui offrirait des avantages financiers importants et rapides aux Canadiens. La mise en œuvre d’un programme de sensibilisation pourrait comprendre l’affichage d’infographies sur les sites Web du gouvernement du Canada, dans les communiqués que les députés envoient à leurs électeurs, ainsi que dans les journaux, les panneaux d’affichage et les médias sociaux.
Bref, chaque jour où nous ne nous adaptons pas et où nous ne nous préparons pas aux incendies de forêt est un jour que nous perdons. Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Feltmate, de votre déclaration préliminaire. Monsieur Ness, vous avez la parole pour votre déclaration préliminaire.
Ryan Ness, directeur de la recherche en adaptation, Institut climatique du Canada : Merci, monsieur le président.
Honorables sénateurs, je suis très heureux d’avoir l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui. Je m’appelle Ryan Ness. Je suis directeur de la recherche en adaptation à l’Institut climatique du Canada, qui est l’organisme national indépendant de recherche sur les politiques climatiques du Canada. Nous fournissons aux gouvernements des analyses fondées sur des données probantes, et des conseils pratiques pour gérer les risques climatiques et saisir les occasions qui découlent de la prise proactive de ces mesures. Notre travail rassemble des experts de toutes les disciplines pour aider le Canada à atteindre ses objectifs en matière de croissance propre, de réduction des émissions et de résilience aux changements climatiques.
Nous avons mené des recherches sur les coûts économiques et sociaux des répercussions climatiques, notamment la menace grandissante des feux de forêt. Nous avons analysé bon nombre des répercussions sur le logement, les collectivités, l’industrie et la santé publique. Nous avons évalué comment les gouvernements peuvent mieux se préparer à l’escalade des risques de feux de forêt. Les données probantes montrent de façon écrasante que des saisons de feux de forêt de plus en plus intenses constituent maintenant un défi économique, social et de santé publique majeur qui nécessite une action urgente et coordonnée à une échelle beaucoup plus grande que ce qui se fait actuellement.
Dans ce contexte, je mettrai l’accent sur trois thèmes dans mes observations, à savoir, premièrement, la façon dont le risque de feux de forêt évolue et ce que cela signifie pour le Canada; deuxièmement, l’ampleur du risque et les enjeux économiques pour les particuliers, les collectivités et l’économie; troisièmement, les orientations pratiques que les gouvernements doivent prendre.
Pour ce qui est des risques de feux de forêt et de ce qu’ils signifient pour le Canada, bien sûr, comme vous l’ont déjà dit divers témoins, les risques s’intensifient. Les changements climatiques entraînent des saisons d’incendie plus longues, des combustibles plus secs et des journées de conditions météorologiques propices aux incendies plus fréquentes. Les départs de feu causés par la foudre augmentent, et les incendies poussés par le vent se propagent plus rapidement et brûlent plus fortement que par le passé. Tout cela est dû aux changements climatiques causés par le réchauffement planétaire. Il en résulte non seulement de plus grandes zones brûlées, mais aussi des incendies plus destructeurs et imprévisibles qui menacent des vies, des infrastructures, des logements et des collectivités, parfois dans des régions où les feux de forêt étaient rares ou inexistants.
La fumée des feux de forêt constitue également un danger national. La pollution causée par les incendies majeurs se déplace sur des milliers de kilomètres, dégradant la qualité de l’air et nuisant à la santé humaine à l’échelle du pays. C’est ainsi que certaines des grandes villes du Canada enregistrent l’une des pires qualités de l’air au monde pendant les grands épisodes de fumée.
Les incendies transforment également les forêts du Canada, car ils brûlent plus intensément et sur des zones plus vastes. Nos forêts ne sont plus des puits de carbone, mais des sources nettes de gaz à effet de serre, renforçant ainsi le changement climatique qui provoque ces incendies. Des feux violents et répétés transforment également nos paysages, convertissant certaines forêts en terres arbustives ou en prairies, réduisant la capacité de stockage du carbone des forêts et compromettant la biodiversité unique du Canada.
Les risques de feux de forêt ne sont pas les mêmes partout au pays. Les communautés autochtones, en particulier, sont exposées de façon disproportionnée aux dangers des feux de forêt. Près d’un cinquième des communautés des Premières Nations situées dans les réserves se trouvent dans des zones à haut risque de feux de forêt, ce qui est beaucoup plus élevé que la moyenne nationale. Bon nombre d’entre elles se trouvent également dans des régions éloignées, où l’accès aux ressources de lutte contre les incendies, aux voies d’évacuation et à l’infrastructure est limité, ce qui accroît leur vulnérabilité. Les conséquences peuvent être dévastatrices : des maisons détruites, des évacuations répétées et le déplacement de communautés qui peut durer des semaines ou des mois.
Qu’est-ce que cela signifie pour l’industrie, les collectivités et l’économie nationale? Du côté de la foresterie, les feux de forêt détruisent du bois d’œuvre précieux, endommagent l’infrastructure industrielle et perturbent les chaînes d’approvisionnement qui soutiennent les économies régionales tributaires des forêts. Les pressions combinées des incendies, de la sécheresse et des ravageurs devraient réduire considérablement les volumes de bois récoltable au fil du temps, faire baisser le rendement, réduire l’emploi dans les régions tributaires de la foresterie et limiter l’approvisionnement en produits du bois pour l’usage domestique et l’importation. D’après notre analyse à l’Institut climatique du Canada, même dans le meilleur des cas, ces pressions réduiront le PIB du secteur forestier de plus de 2 milliards de dollars par année au cours des deux prochaines décennies.
Les feux de forêt imposent des coûts croissants aux ménages et aux gouvernements. Dans les conditions climatiques actuelles, notre analyse montre que le Canada peut s’attendre à des dommages aux maisons existantes d’environ 700 millions de dollars par année, en moyenne, ce qui ne représente qu’une fraction du coût total une fois que sont prises en compte les pertes liées à la lutte contre les incendies, à l’évacuation, à l’interruption des activités et aux infrastructures. Notre analyse montre également que, sans une meilleure planification de l’utilisation des terres et un zonage plus rigoureux, des centaines de milliers de nouvelles maisons pourraient être construites dans des régions sujettes aux feux de forêt au cours de la prochaine décennie, ce qui ferait grimper les dommages annuels causés aux logements d’un milliard de dollars à plus de 1,7 milliard de dollars par année. Cela ne tient compte que des conditions climatiques actuelles. À mesure que les incendies s’intensifieront en raison des changements climatiques, ces coûts ne feront qu’augmenter.
Les collectivités situées dans des zones à haut risque de feux de forêt sont en première ligne face à ce risque. Elles font face à des défis de plus en plus importants en matière d’intervention et de rétablissement. Bon nombre des maisons et des infrastructures de ces collectivités exposées n’ont pas été construites pour résister aux incendies de forêt, ce qui entraîne des dommages et des destructions généralisés après les feux. La couverture d’assurance de plus en plus limitée oblige les familles et les municipalités à compter sur l’aide gouvernementale aux sinistrés, qui est rarement en mesure de les rétablir financièrement après une catastrophe. Dans les collectivités éloignées, rurales et autochtones, l’augmentation des coûts de construction et d’entretien, ainsi que la capacité limitée d’intervention en cas de catastrophe et de reconstruction amplifient davantage les dommages et retardent le rétablissement.
Les effets de la fumée des feux de forêt sur la santé ajoutent un autre niveau de coût, souvent loin du lieu des incendies. Les coûts de santé annuels sont estimés à plus d’un milliard de dollars.
Monsieur le président, je vois deux mains levées. Puis-je résumer rapidement certaines des mesures clés pour le gouvernement?
Le président : Oui, mais vous avez largement dépassé votre temps.
M. Ness : Merci.
Les orientations pratiques que doivent prendre les gouvernements sont, premièrement, le renforcement de la résilience des collectivités vulnérables aux incendies, certaines des mesures dont parlait M. Feltmate. Deuxièmement, nous devons prévenir la création de nouveaux risques d’incendie de forêt en améliorant l’utilisation des terres, le logement et les infrastructures, notamment en veillant à ce que le financement fédéral ne soutienne pas la construction dans les endroits dangereux. Troisièmement, nous devons protéger la santé publique et améliorer la coordination entre tous les ordres de gouvernement pour y arriver. Quatrièmement, nous devons maintenir les mesures et l’ambition en matière de réduction des émissions parce que la continuation du réchauffement climatique ne fera qu’accroître le risque d’incendies de forêt.
Merci, monsieur le président.
Le président : Merci beaucoup.
Nous allons maintenant passer aux questions. Honorables sénateurs, comme par le passé, vous disposez de cinq minutes pour les questions et réponses. Vous aurez cinq minutes chacun pour les questions et les réponses. Je vous demanderais donc d’être brefs dans vos questions et dans vos réponses subséquentes. Nous allons commencer par notre vice-président.
Le sénateur McNair : Je remercie les deux témoins d’être venus si tôt dans la journée. Je leur en sais gré.
Vous nous avez tous les deux donné de mauvaises nouvelles et vous nous avez ensuite fait miroiter un peu d’espoir quant aux mesures qui peuvent être prises. Je vais commencer par M. Ness. Votre fiche d’information sur les changements climatiques et les feux de forêt indique que la saison des incendies commence plus tôt, qu’elle dure plus longtemps et qu’elle est plus difficile à contenir. Elle parle ensuite des feux de forêt qui nuisent à la santé et au bien-être des gens. Ce sont des messages récurrents que nous entendons d’autres témoins qui comparaissent devant nous. L’aggravation des feux de forêt rend la vie plus coûteuse, mais les gouvernements peuvent agir pour protéger les collectivités et ralentir le réchauffement.
Dans le rapport de février de l’Institut climatique du Canada, Des risques à nos portes : Construire de nouveaux logements à l’abri des impacts climatiques, vous parlez de pertes financières qui devraient plus que doubler d’ici 2030, soit dans cinq ans, si les cibles fédérales en matière de logement sont atteintes conformément aux tendances actuelles du développement. Le rapport indique que la Colombie-Britannique subirait des pertes financières importantes, et prévoit aussi des pertes importantes au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta, en Ontario et au Québec.
Vous avez rapidement abordé ce sujet lorsque vous avez vu les redoutables deux mains levées de notre président, mais quelles mesures le gouvernement fédéral devrait-il prendre en faveur du développement de logements résistants aux feux de forêt? Et, ce qui est probablement plus important encore, comprend-il le sentiment d’urgence, de votre point de vue?
M. Ness : Je vous remercie de votre question, sénateur.
Pour ce qui est de ce que les gouvernements peuvent faire, il faudra certainement plus de financement pour intensifier les mesures visant à protéger les logements existants, comme les programmes Intelli-feu dont M. Feltmate a parlé, ainsi que pour la gestion des forêts à grande échelle, la gestion du combustible des feux de forêt, ce qui pourrait comprendre des pratiques de brûlage traditionnelles ou prescrites.
Il y a aussi un manque d’information à l’échelle du Canada. Notre cartographie des risques de feux de forêt est incomplète et largement inaccessible. Le gouvernement du Canada peut jouer un rôle de chef de file dans l’avancement de la science pour la cartographie des risques liés aux feux de forêt afin que les gouvernements et les collectivités puissent faire des choix éclairés quant à l’endroit où construire des logements.
Comme je l’ai mentionné, il est important d’empêcher la construction de nouveaux logements dans les régions sujettes aux feux de forêt, dans les zones les plus à risque et le financement du gouvernement fédéral pour le logement et l’infrastructure devrait être ciblé afin qu’il ne permette pas la construction et le développement de logements dans les zones les plus dangereuses. Même dans les zones moins vulnérables, où les risques demeurent importants, ce financement devrait être assorti de conditions entourant l’évaluation des risques de feux de forêt et les mesures de résilience.
Nous devons également mettre à jour plus rapidement nos codes du bâtiment applicables à la construction de nouveaux logements. On ne s’attend pas à ce que le Code national du bâtiment contienne des dispositions importantes en matière de résilience aux feux de forêt avant 2030, et l’adoption de ce code par les provinces, là où il sera effectivement appliqué, prendra probablement encore des années de plus. Nous avons aussi besoin de moyens pour accélérer ce processus.
Le sénateur McNair : Monsieur Feltmate, j’aimerais revenir rapidement sur deux choses que vous avez dites.
Les infographies fonctionnent. Ce résumé d’une page est un outil extrêmement utile. Vous avez dit que vous en aviez un autre pour les collectivités. Pourriez-vous le remettre au comité? Nous serions intéressés à le voir.
M. Feltmate : Oui, absolument.
Le sénateur McNair : Vous avez parlé d’un programme national d’éducation comme étant l’une des choses que le gouvernement pourrait faire. Avez-vous l’impression qu’il a entendu cette recommandation? Se dirige-t-il vers cela?
M. Feltmate : Il en a entendu parler dans une certaine mesure, mais je ne pense pas qu’il agisse de façon assez énergique. Je dirais que ce qui nous limite le plus pour lutter contre les changements climatiques au Canada à l’heure actuelle, c’est probablement que nous ne reconnaissons pas la nécessité d’agir de toute urgence. Nous devons agir rapidement. Je ne pense pas que ce soit bien compris ou reconnu. Lorsque nous mettons l’information entre les mains des propriétaires de maisons, ils agissent, et nous avons besoin de multiples canaux de distribution pour le faire.
Soit dit en passant, c’est au niveau municipal que nous obtenons le plus de succès et que nous progressons le mieux en matière d’adaptation au Canada. Lorsque vous rencontrez les maires et les conseillers, ils comprennent. Il leur suffit de 15 minutes pour dire : « Je veux que cette information soit entre les mains de tous mes concitoyens parce que nous voulons aider les propriétaires à s’aider eux-mêmes. C’est là que nous pouvons immédiatement éliminer le plus de risques dans le système. »
La sénatrice Muggli : Monsieur Feltmate, peut-être n’est-ce qu’un prolongement de ce que vous venez de dire, mais quelles sont certaines des stratégies efficaces que vous avez vues pour mettre cela entre les mains des citoyens?
M. Feltmate : Les banques et les compagnies d’assurances sont probablement au sommet de la liste, car elles jouent un rôle de chef de file dans l’adaptation au Canada. Par exemple, à l’heure actuelle, si vous obtenez une hypothèque de la Banque Royale du Canada, ou RBC — et il ne s’agit pas d’une publicité pour le Centre Intact —, vous recevez une trousse complète d’infographies sur la protection de votre maison contre les inondations, la protection contre les feux de forêt si vous vivez dans une région boisée, ainsi que sur la protection contre la chaleur, pour vous protéger des vagues de chaleur extrême. Ces banques distribuent de la documentation aux propriétaires non seulement dans la trousse de conclusion d’un prêt hypothécaire, mais aussi deux fois par année, au printemps et à l’automne, avec des rappels sur ce qu’il faut faire. BMO, la Banque de Montréal, s’est maintenant jointe à nous pour faire la même chose. Meridian Credit Union vient d’adhérer au projet. Je pense qu’une autre grande banqueva bientôt lui emboîter le pas. Elles font donc avancer les choses. Les assureurs de biens et risques divers transmettent ce message à leurs clients.
Maintenant, nous avons les compagnies d’assurances de personnes. Au Canada, jusqu’à il y a deux ou trois ans, dans le secteur de l’assurance, on pensait généralement que les changements climatiques et les risques liés aux phénomènes météorologiques extrêmes n’étaient que du ressort des assureurs multirisques — c’est-à-dire les assurances pour biens et dommages — et que les compagnies d’assurance-vie et d’assurance-maladie s’en tiraient à bon compte. Mais nous sommes sur le point de publier sous peu un rapport montrant des pics de demandes de remboursement pour des médicaments destinés à gérer le stress psychosocial ou mental chez les personnes vivant dans des collectivités touchées par ces événements météorologiques extrêmes. Nous constatons une hausse des demandes de services de counseling pour les personnes qui ont vécu ce genre de situation. Nous constatons une hausse des demandes de prestations pour perte de temps de travail. Toutes ces réclamations s’adressent aux compagnies d’assurances de personnes qui, jusqu’à il y a environ trois ans, pensaient être hors de cause, considérant que c’était du ressort des assureurs multirisques, mais ce n’est pas le cas. Cela met donc Manuvie, la Sun Life et la Canada-Vie directement à la merci de cette situation.
La sénatrice Muggli : Merci. Je vous ai déjà entendu en parler, mais je tenais à ce que cela figure au compte rendu.
Monsieur Ness, existe-t-il des données sur les tendances en ce qui concerne le pourcentage de forêts récoltables, c’est-à-dire de forêts exploitées activement, qui ont été perdues par suite d’incendies de forêt au fil des ans? J’aimerais savoir comment cela se répercute sur l’industrie.
M. Ness : Je vous remercie de votre question, sénatrice.
Je ne suis pas au courant d’une analyse particulière, mais je suppose que des spécialistes de la foresterie et des établissements universitaires de l’industrie font un suivi des répercussions. Je peux dire que la modélisation prospective qui tient compte des projections relatives aux changements climatiques est très claire : certaines de nos forêts les plus précieuses sur le plan commercial seront touchées par une combinaison d’incendies, de sécheresse et de ravageurs causés par le climat. Cela réduira aussi les volumes de bois d’œuvre. Je m’attendrais à ce que les données mesurées en tiennent compte également, mais je ne sais pas où elles se trouvent.
La sénatrice Muggli : Je voulais simplement poser la question.
L’un d’entre vous a-t-il des données sur le nombre de personnes qui, après une évacuation en raison d’un incendie, ne retournent jamais dans leur collectivité? Elles peuvent rester dans la communauté d’accueil. Je connais beaucoup de gens qui ont été évacués du nord du Manitoba et qui sont restés à Winnipeg sans retourner dans leur collectivité d’origine. L’un d’entre vous a-t-il des renseignements à ce sujet?
M. Feltmate : Le retour rapide des gens est certainement problématique. Lorsqu’ils ont traversé une telle catastrophe et que leur maison a brûlé, ils veulent rentrer chez eux rapidement pour la faire reconstruire.
L’un des grands problèmes, c’est que nous sommes en train de rebâtir les collectivités exactement comme elles l’ont été, ce qui a causé le problème au départ. Nous devons prendre les choses en main et rebâtir en mieux. Opérationnalisons les mesures connues pour atténuer les risques à l’avenir. Ne vous contentez pas de reconstruire la maison exactement telle qu’elle était, sinon vous aurez le même problème dans 15 ans.
M. Ness : Je ne suis pas au courant des statistiques sur le nombre de personnes qui ne retournent pas dans leur collectivité, mais les données montrent clairement que de nombreuses collectivités qui sont particulièrement exposées aux feux de forêt, notamment les communautés des Premières Nations vivant dans une réserve, sont évacuées à plusieurs reprises. Cela entraîne toutes sortes de perturbations et de traumatismes.
La sénatrice Muggli : Merci.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Feltmate, comme mes collègues, je trouve vos graphiques très bien faits et faciles à comprendre. J’ai une question sur la phase 3. Ça a l’air formidable de pouvoir construire sa maison en métal et en verre, mais comme vous l’avez dit, ça coûte cher. Si j’ai bien compris, beaucoup de maisons situées dans des lieux où il y a des feux de forêt n’arrivent pas à se faire assurer. Comment chercher les fonds pour construire ce genre de pare-feu? Est-ce qu’il existe des programmes spécifiques pour aider les gens qui veulent se reconstruire de cette façon à le faire — pas juste pour une reconstruction après un feu, mais de manière préventive? Existe-t-il des subventions? Il y en avait de toutes sortes au Québec à une certaine époque quand on voulait changer de système de chauffage. Dans ce cas particulier, qu’est-ce qui existe comme aide?
[Traduction]
M. Feltmate : Les subventions sont assez limitées. Grâce au Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes et aux Accords d’aide financière en cas de catastrophe, ou AAFCC, des sommes peuvent être réclamées pour les collectivités qui subissent une dévastation à grande échelle. Les propriétaires pourraient finir par bénéficier d’une partie de ces fonds, mais, dans l’ensemble, les subventions pour les victimes d’incendies sont plutôt limitées. Les propriétaires sont livrés à eux-mêmes.
Mais, par exemple, supposons que vous installez un toit en métal sur une maison afin que, lorsque des braises se déposent sur le toit, celui-ci ne s’enflamme pas et ne brûle pas la maison. La pose d’une toiture de métal sur une maison de taille moyenne coûte environ 30 000 $. Cependant, quel est le coût d’une mauvaise construction? Il faut quand même une toiture. Un toit conventionnel, vulnérable aux incendies, coûte, disons, 15 000 $. Il y a un écart entre les deux. Je ne dis pas qu’il est négligeable, mais il n’est pas vraiment énorme si je considère que ce dans quoi j’investis est le plus gros investissement de toute ma vie et probablement mon fonds de retraite. Si vous avez une maison qui vaut, disons, un demi-million de dollars, dépenser 10 000 $ de plus pour éviter qu’elle ne brûle est une très bonne affaire, à mon avis.
La sénatrice Miville-Dechêne : C’est encore un lourd fardeau pour les gens qui ont déjà vécu des incendies et qui doivent payer pour la reconstruction parce qu’ils n’auront pas d’argent du gouvernement. Êtes-vous tous les deux en train de dire que, comme nous le faisons pour d’autres situations, certaines subventions devraient être spécifiquement accordées pour reconstruire avec certaines de ces structures métalliques?
M. Feltmate : De mon point de vue, la réponse toute courte c’est oui, bien sûr.
Soit dit en passant, le rendement du capital investi dans l’adaptation — et de nombreuses études l’ont confirmé chacune de leur côté — montre qu’un dollar investi à ce chapitre permet d’éviter des pertes de 2 à 10 $ par décennie. C’est un assez bon rendement, de quoi allécher un Warren Buffett, par exemple. Alors, oui.
Les propriétaires ont-ils vraiment du mal à payer un peu plus pour la protection de leur propriété? La réponse est oui. Mais ils doivent y songer comme un investissement qui finira par leur rapporter quand il s’agira de vendre. Ils pourront alors faire étalage des gestes posés pour protéger les lieux contre les feux de forêt ou les inondations et les présenter comme autant d’éléments souhaitables susceptibles d’augmenter la valeur de la maison.
Quelque chose que nous devons faire comprendre aux Canadiens lorsqu’ils achètent une maison, c’est qu’ils devraient songer à la vulnérabilité aux feux de forêt dans les régions boisées, ou aux inondations, et envisager des mesures de protection contre ces dangers avec tout autant d’entrain qu’ils y mettent pour trouver des comptoirs en granit à leur goût pour la cuisine.
La sénatrice Miville-Dechêne : Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Ness?
M. Ness : Je suis tout à fait d’accord avec M. Feltmate pour dire qu’il y a des avantages à ce genre d’investissements dans la résilience du logement qui vont bien au-delà des bienfaits pour les propriétaires eux-mêmes. La société finit par payer pour une grande partie des dommages, que ce soit pour l’aide en cas de catastrophe ou la reprise après sinistre. Elle a donc tout intérêt à appuyer ces investissements judicieux, tout comme les propriétaires eux-mêmes.
Le sénateur Varone : Soyez les bienvenus.
Je me dois de révéler que je suis assuré par Intact depuis toujours. Je ne me souviens pas d’avoir fait affaire à qui que ce soit d’autre. Vous n’êtes pas le moins cher, mais vous êtes un assureur des plus habiles et vous donnez d’excellents conseils aux propriétaires de maisons.
Je dois toutefois me prononcer contre un point que vous avez soulevé, à savoir que les municipalités hésitent beaucoup à modifier leurs codes du bâtiment. Je vais vous donner un exemple concret. J’ai dû me battre avec Intact et la municipalité. Je me suis débarrassé de toutes mes rigoles. Il y a une vingtaine d’années, la Ville de Toronto a interdit les collecteurs d’eaux pluviales, qui déversent ces eaux dans le sol. Ils étaient raccordés au réseau d’égout pour des raisons de gestion des eaux pluviales, et ils ont obligé chaque propriétaire de la ville de Toronto à les inutiliser. Par conséquent, si vous faites un tour à Toronto, vous verrez des rigoles bouchées et vous n’aurez pas le droit de faire passer l’eau de pluie provenant de votre toit à vos égouts pluviaux. Je leur ai dit : « Eh bien, elles servent à quoi mes rigoles à présent, si ce n’est que pour que les feuilles s’y ramassent? » Je m’en suis donc débarrassé. Je les ai toutes éliminées. J’ai laissé l’eau s’éparpiller naturellement lorsqu’elle tombe partout. J’ai ensuite reçu un avis du gouvernement municipal pour avoir négligé de canaliser quelque chose qui n’allait nulle part. Il m’a fallu huit ans devant les tribunaux, mais j’ai eu gain de cause et la mesure ne fait plus partie du code du bâtiment.
Lorsque vous dites que les municipalités adoptent le changement, elles sont très lentes à réagir au changement. J’ai souligné quatre éléments différents, qui sont des mesures de prévention intelligente des incendies chez les propriétaires de maison, mais qui ne sont pourtant pas autorisés par les municipalités. Quand on parle d’arbres à 1,5 mètre de distance, il est plus que probable qu’on tombera sur une tranchée de drainage entre les maisons, et on n’est rien censé planter sur une tranchée de drainage. Comment faut-il réagir et inciter les municipalités à modifier leur façon de penser en ce qui concerne le code du bâtiment afin que le système Intelli-feu puisse vraiment être mis en œuvre?
M. Feltmate : Je ne suis pas en désaccord avec ce que vous dites. Ce sont toutes des questions difficiles.
J’estime que l’orientation que nous avons ici mérite que les gens y prêtent attention, mais elle demeure idiosyncrasique quant à son utilité. Il peut y avoir des cas où l’espace entre les maisons est si proche qu’on ne peut pas évacuer l’eau. Elle ne peut aller nulle part. On peut se trouver dans une situation quasiment insoluble au départ.
Cependant, en règle générale, pour prévenir les inondations, les villes — du moins les grandes villes comme Halifax, Montréal, Toronto, Winnipeg, Calgary, Edmonton et Vancouver — ont presque toutes des programmes de subventions pour la déconnexion approuvée des tuyaux de descente, l’installation d’une pompe de puisard ou l’installation d’une soupape de retour d’eau. La Ville de Toronto prévoit une subvention d’environ 3 400 $ pour ces trois-là. Nous en sommes loin au chapitre de la lutte contre les feux de forêt. Ce n’est tout simplement pas aussi avancé que le dossier des inondations.
Les villes où il y a des feux de forêt sont généralement de petites localités qui n’ont pas les ressources des grandes métropoles. Je ne sais pas avec quelle rapidité nous allons mettre en place des subventions pour les aider. C’est un coup de pouce qui devra émaner d’un programme fédéral.
Je me penche sur les deux principaux programmes fédéraux qui existent actuellement, soit la construction d’infrastructures, le programme Chantiers Canada pour l’avenir, la construction de maisons et il y en a un autre dont j’ai oublié le nom et qui est géré par l’industrie. Mais en parcourant toute la documentation associée à ces deux initiatives, ce qui me dépasse, c’est qu’il n’y soit nullement question d’adaptation.
La sénatrice McBean : Je trouve cela intéressant. C’est drôle, mais je trouve encore moyen de dire que c’est très intéressant, même quand on vous sort des vérités de La Palice. Le dossier de la prévention des inondations est en avance sur celui des incendies parce que les inondations affectent plus rapidement les grandes villes et les décideurs.
Si je me reporte à une conversation — pour que ce soit consigné au compte rendu —, avant le début de votre témoignage, vous m’avez dit que vous ne pourchassez plus les scientifiques. Vous n’avez pas besoin de plus de données; ce qu’il vous faut, ce sont de meilleurs outils conversationnels et comportementaux pour parler aux gens.
Vos recherches se concentrent sur l’adaptation proactive plutôt que sur la reprise réactive. Quelles mesures précises — et je vous demande simplement de répéter comment vous vous y prenez personnellement — les collectivités canadiennes pourraient-elles prendre en priorité pour réduire les risques de feux de forêt avant qu’ils ne commencent, et comment en faites-vous part aux gens?
M. Feltmate : Vous avez vu la documentation qui se trouve sur cette feuille. C’est au niveau du foyer, et nous avons une orientation semblable pour la collectivité. Nous préconisons des brûlages contrôlés, de multiples voies d’évacuation, la construction d’un plus grand nombre de coupe-feux autour des collectivités et une pression d’eau suffisante en cas d’incendie. À l’heure actuelle, à propos de l’eau qui sort des bornes-fontaines, une fois qu’on commence à les brancher toutes parce que c’est toute la rue qui brûle, la pression chute pratiquement à néant et on n’a plus d’eau. Nous avons besoin d’une capacité de pompage supplémentaire pour maintenir la pression dans le réseau lorsque ces événements se produisent, car ces dispositifs ont été conçus pour l’incendie d’une maison, et non de plusieurs.
Quelle était la deuxième partie de votre question?
La sénatrice McBean : Vous avez parlé de l’aspect comportemental.
M. Feltmate : En ce qui concerne le dossier du climat au Canada, il y a du bon et du mauvais. La bonne nouvelle, c’est que nous savons assez bien quels sont les problèmes et quelles sont les solutions. L’ennui, c’est que nous traînons beaucoup trop à donner suite aux solutions connues. Je n’ai pas besoin que plus de climatologues ou de spécialistes des finances viennent me parler du coût. J’ai compris. J’ai toute une collection de données. Je passe plus de temps avec des psychologues et des économistes du comportement pour voir comment motiver les Canadiens à s’aider eux-mêmes.
Quant aux codes du bâtiment, c’est une bonne chose à faire. Il s’agit de les mettre à jour pour être mieux préparés à ce qui s’en vient, mais voyons donc, ils changent à pas de tortue, même si c’est assez rapide par rapport à autrefois. La prochaine révision des codes du bâtiment au Canada aura lieu en 2030, et c’est à peine s’il y sera question d’adaptation.
Il n’y a pas si longtemps, j’étais sur le point de me joindre à une réunion avec des personnalités éminentes qui s’occupent du contrôle des codes du bâtiment, quand l’une d’elles, je ne vous dirai pas qui, est venue me voir et m’a dit : « Je veux simplement vous faire savoir avant le début de la réunion que je vais m’opposer à toutes vos suggestions. » C’est sur ce ton que nous avons démarré. Ces personnes sont très réticentes à approuver des changements parce qu’elles y voient un coût supplémentaire qui pourrait empêcher qu’une maison se vende, ce qui n’a en fait aucun sens puisque tout le monde est tenu de respecter les mêmes normes.
La sénatrice McBean : Vous avez également dit, je crois, que 1 personne sur 10 ne peut pas obtenir d’assurance contre les inondations. Est-ce bien vous qui avez dit cela aujourd’hui?
M. Feltmate : Dix pour cent du marché de l’habitation résidentielle, oui. Cela représente 1,5 million de maisons.
La sénatrice McBean : Quelle est la possibilité — est-ce une possibilité à court terme — que certaines localités ne puissent pas obtenir d’assurance contre les inondations? Je pose la question parce que j’ai été frappée de voir que si on ne peut pas obtenir d’assurance-incendie, on ne peut pas obtenir une hypothèque non plus, mais est-ce que ce sera aussi le cas si on se fait refuser une assurance contre les inondations?
M. Feltmate : Non. Il y a trois types d’assurance qui couvrent une maison contre l’eau. Lorsque vous achetez une police, si le tuyau du lave-vaisselle ou autre se brise, vous êtes couvert. C’est la norme. Mais c’est un avenant supplémentaire que vous devez choisir et payer si vous voulez être couvert pour le refoulement des égouts. Lorsque l’égout déborde pendant les grosses tempêtes, l’eau peut remonter dans le réseau par le petit drain du sous-sol et inonder la cave. C’est ce qu’on appelle, de façon créative, l’inondation par refoulement des égouts. Vous devez payer pour cela. Ou, depuis 2015, deux ans après les inondations à Calgary, nous avons une assurance contre les inondations terrestres massives au Canada, le seul pays du G7 à ne pas avoir eu ce genre d’assurance auparavant. Cette assurance s’applique en cas de grosse tempête ou du débordement d’une rivière, et si l’eau passe par la fenêtre latérale de votre maison et se déverse dans le sous-sol. C’est ce qu’on appelle une inondation terrestre. Il faut faire un choix pour cela aussi. Si vous aviez une couverture de secours en cas d’inondation, mais que la cause de l’inondation était terrestre, vous ne seriez pas couvert. Il vous faut donc les trois.
Soit dit en passant, la grande majorité des Canadiens n’ont aucune idée du genre de protection qu’ils ont contre les risques d’inondation. Ils n’y songent qu’une fois qu’ils ont deux bonnes coudées d’eaux sales dans la cave.
La sénatrice McBean : Quel est l’avenir de la protection contre les incendies?
M. Feltmate : C’est dangereux parce que — Allstate Farm a cessé de souscrire une nouvelle assurance contre les incendies en Californie et en Arizona. Il n’est pas impossible que si nous ne contrôlons pas les risques d’incendie, il pourrait y avoir des régions du Nord-Ouest de l’Alberta ou du Nord-Est de la Colombie-Britannique dans des zones à risque élevé, par exemple, où il en sera ainsi aussi. Les assureurs se contenteront de ne pas offrir d’assurance sous prétexte que la prime à facturer par rapport au risque est logarithmique et que personne ne pourra jamais se le permettre. C’est donc possible si nous ne prenons pas les mesures qui s’imposent pour mobiliser l’adaptation.
La sénatrice Burey : Merci beaucoup pour tous ces merveilleux témoignages experts. Je vais m’adresser à M. Ness pour lui donner l’occasion de nous donner son avis.
Je parle maintenant des feux de forêt et de l’adaptation, juste pour vous donner une idée. De nombreux témoins nous ont parlé d’une sorte d’organisme national de coordination, et certaines personnes ont formulé des recommandations en ce qui concerne l’adaptation, les pratiques exemplaires, la normalisation et l’utilisation efficace des ressources. Nous comprenons qu’il y a des problèmes en ce qui a trait à la compétence, à l’intégration des pratiques autochtones et à la possession préalable des ressources. Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de la création d’un organisme national de coordination des feux de forêt?
M. Ness : Il y a bien eu des discussions à ce sujet, tant sur la lutte contre les feux de forêt — peut-être un peu moins sur la réduction proactive des risques qui fait l’objet, à bien des égards, de notre rencontre d’aujourd’hui. Mais la coordination à l’échelle nationale sera importante, car elle permettra à différentes régions du pays de partager leurs connaissances sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, au moment où de nouvelles zones deviennent sujettes aux feux de forêt, comme la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve. Ces provinces peuvent tirer des leçons de régions comme l’Alberta et la Colombie-Britannique, qui gèrent les feux de forêt depuis des décennies.
Comme je l’ai mentionné plus tôt, il faut veiller à la cohérence de la cartographie des risques d’incendie de forêt. Dans la plupart des régions du pays, il n’y a aucune carte indiquant si l’on est ou non exposé aux incendies de forêt ou si l’on se trouve dans une région à risque élevé. Une bonne coordination à l’échelle nationale pourrait assurer la qualité et la disponibilité de cette cartographie dans tout le pays.
D’autres pratiques, comme le zonage et la construction — peut-être pas les codes du bâtiment. Comme M. Feltmate l’a mentionné, il s’agit d’un processus très lent qui ne progresse pas assez rapidement pour permettre l’intégration d’éléments de résilience aux feux de forêt, mais qui consiste à partager des pratiques entre municipalités ayant pris les choses en main sans attendre une orientation provinciale ou nationale.
Donc, oui, l’adoption de politiques nationales coordonnées est importante à bien des égards dans la réduction proactive des risques associés aux feux de forêt.
La sénatrice Burey : Avez-vous quelque chose à dire, monsieur Feltmate?
M. Feltmate : Nous devons coordonner nos efforts à l’échelle nationale pour intégrer les phénomènes issus de risques météorologiques extrêmes et nous devons le faire rapidement. Par exemple, lorsqu’on examine les données de 2024 sur les réclamations pour sinistres de catastrophe, on constate que 9,1 milliards de dollars ont été versés. Il y a eu en 2024 tellement d’événements catastrophiques simultanés que les assureurs n’ont pas pu dépêcher leurs experts en sinistres sur les lieux. Il y a eu d’importantes inondations à Toronto et des inondations encore plus importantes dans le sud de l’Ontario. Il y a eu des inondations à Montréal et dans diverses régions du Québec. Il y a eu l’incendie de forêt de Jasper et une tempête de vent importante à Calgary. Le problème, c’est qu’il n’y avait pas assez de personnel pour gérer tous les événements qui se produisaient parallèlement. Même l’assureur le plus important, Intact, qui a des équipes consacrées aux catastrophes — qu’il déploie dans les régions où de telles catastrophes se produisent —, ne suffisait pas à la demande. C’est sans précédent.
Soit dit en passant, au sujet du gouvernement fédéral, je crois que vous l’avez mentionné tout à l’heure, entre 2015 et 2024, le gouvernement fédéral a consacré 160 milliards de dollars à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, soit directement, soit sous forme de subventions fiscales. Au cours de la même période, le gouvernement fédéral a consacré 6,7 milliards de dollars à l’adaptation. Le ratio d’allocation des ressources au pays est de 24 pour l’atténuation contre 1 pour l’adaptation. L’adaptation ne reçoit presque aucun financement. Je ne sais pas quel est le ratio exact, ce n’est probablement pas 24 pour 1, mais il est très asymétrique. Le Bureau d’assurance du Canada penche en faveur d’une répartition 50-50.
La sénatrice Robinson : Il y a eu tellement d’excellentes réponses. Vers la fin de la période de questions, vos questions se sont faites plus précises. C’est fantastique.
J’aimerais revenir sur la question de la sénatrice Miville-Dechêne concernant les coûts que doivent assumer les propriétaires qui souhaitent investir dans certaines des améliorations plus complexes que vous avez citées dans votre infographie. Soit dit en passant, j’aime bien les infographies et elles m’apprennent beaucoup. J’ai appris récemment que si l’on avait un système de sécurité à la maison, l’assureur accordait une réduction de prime. Je me demande s’il existe une chose comparable pour les propriétaires qui investissent dans les mesures de prévention Intelli-feu que vous avez mentionnées, car cela aiderait à réduire tant leur vulnérabilité aux incendies que l’obligation financière des compagnies d’assurance en cas de réclamation.
M. Feltmate : La réponse est oui. La réduction moyenne, qu’il s’agisse d’incendies ou d’inondations, est d’environ 5 à 15 %. Cela constitue une mesure incitative. La réponse est donc oui.
Nous travaillons actuellement avec les banques, afin que les propriétaires de maison ayant mis en place ces mesures obtiennent une réduction de quelques points de base sur le coût de leur prêt hypothécaire, vu la probabilité plus faible que leur maison soit endommagée par des feux de forêt ou des inondations. Cela avantage la banque, qui est copropriétaire de la maison. La réponse est oui, pour les assureurs et bientôt pour les banques, à mon avis.
La sénatrice Robinson : Croyez-vous que cela soit bien communiqué aux clients des compagnies d’assurance ou... Je n’étais pas au courant pour le système de sécurité, j’ai dû être proactive et demander aux assureurs si c’était bien vrai.
M. Feltmate : Est-ce que c’est bien communiqué? La réponse est non. Je dirais qu’il y a environ huit ans, les principaux assureurs multirisques et assureurs de biens travaillaient de façon assez énergique, de même qu’ils continuent de le faire, pour présenter leur couverture — ce qui est couvert et les avantages pour le client, dans une langue beaucoup plus simple. J’ai parlé à la PDG de l’un des principaux assureurs multirisques — qui n’était pas Intact, soit dit en passant — et elle m’a avoué qu’elle avait du mal à comprendre sa propre politique. Les assureurs travaillent donc très fort pour décrire leurs modalités de manière plus compréhensible et pour les mettre en œuvre en fonction de cette description.
La sénatrice Robinson : Croyez-vous qu’Intact pourrait faire un meilleur travail de sensibilisation en vue de l’adoption des mesures Intelli-feu à la maison?
M. Feltmate : La réponse est « en quelque sorte ». Je dis cela parce que, premièrement, je ne veux pas être congédié. Deuxièmement, l’entreprise a lancé un important programme appelé « Toujours intact ». Il s’agit d’un très important programme de communication qui vise à transmettre l’information dont il est question aux propriétaires de tout le pays.
La sénatrice Robinson : Cela contribuerait certainement à favoriser une meilleure adoption de mesures d’adaptation.
M. Feltmate : Oui.
La sénatrice Robinson : Ce qui est le but ultime pour nous tous.
M. Feltmate : Soit dit en passant, tout le monde y gagne. La meilleure façon de régler le problème, c’est de l’éviter dès le départ. Si l’on réussit à prévenir les problèmes causés par les incendies de forêt et les inondations, tout le monde y gagne. Les propriétaires y gagnent, les assureurs y gagnent, et même les municipalités y gagnent. En évitant les problèmes, tout le monde y gagne.
La sénatrice Robinson : Et l’ensemble des assurés, à un moment où les primes sont en croissance.
M. Feltmate : Oui.
Le président : Monsieur Ness, nous avons entendu dire qu’un nombre important de feux de forêt sont causés par l’activité humaine, notamment les feux de camp, les véhicules, les lignes électriques et les incendies criminels.
Mais dans un article que vous avez publié en août dernier, vous avez mentionné : « ... un faux discours tenace circule chaque été, selon lequel l’aggravation des feux de forêt au Canada est causée par des citoyens irresponsables, et non par les changements climatiques. »
Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
M. Ness : Je vous remercie de la question, monsieur le président.
Oui, ce discours semble ressurgir chaque année, et de plus en plus. Nous entendons des allégations selon lesquelles l’augmentation du nombre de feux de forêt, leur taille, leur fréquence et leur durée sont attribuables à l’activité humaine, y compris les incendies criminels, plutôt qu’aux changements climatiques. En réalité, une grande part des feux de forêt a de tout temps été attribuable à l’activité humaine, et seulement une petite fraction d’entre eux est attribuable à une main criminelle. Ils sont en grande partie d’origine accidentelle, causés par des feux de camp ou des étincelles émanant d’équipement de foresterie ou de minage en activité dans une région boisée. Cette proportion n’a pas changé. Ce qui diffère à présent est ce qui arrive une fois l’incendie déclenché. Les incendies se transforment en feux incontrôlés beaucoup plus rapidement qu’auparavant. Ce phénomène relève entièrement des changements climatiques. Les incendies d’origine humaine ne constituent pas non plus la principale cause de l’ampleur des incendies que nous avons vus. Par exemple, en 2023, le Canada a connu une saison record de feux de forêt, par plus de deux fois la norme, et 93 % de la superficie brûlée cette année-là était le résultat d’incendies causés par la foudre, et non par des causes humaines. Bien que nous puissions tenter de réduire les incendies causés par l’homme dans la mesure du possible, la modification du climat fait augmenter en puissance tous les incendies, qu’ils soient déclenchés par l’homme ou par la foudre.
Le président : Merci.
Monsieur Feltmate, à mon avis, votre infographie pourrait servir à une collectivité, à une municipalité ou à une ville. Existe-t-il des mesures Intelli-feu adaptées aux terres rurales, agricoles ou autochtones? En quoi pourraient-elles être différentes? Est-ce que vous y songez également? Je sais que certaines de ces mesures peuvent s’appliquer, mais y en a-t-il d’autres?
M. Feltmate : Pas que je sache, ce qui ne signifie pas qu’elles ne peuvent pas être conçues ou qu’elles ne devraient pas l’être. C’est essentiellement une question de capacité. Nous n’en sommes pas encore là, mais c’est une excellente idée. J’en prends bonne note.
Le sénateur McNair : Je voulais me pencher sur quelques sujets, mais je vais me limiter à un seul.
Monsieur Feltmate, vous avez parlé du problème qui veut qu’après une catastrophe naturelle, on cherche à reconstruire exactement les mêmes infrastructures. Fort McMurray figure sur votre graphique. Jasper y figure également. Avez-vous constaté une différence dans les méthodes? Est-ce qu’elles sont les mêmes? Est-on en train de rebâtir de la même façon?
M. Feltmate : On a essentiellement mal rebâti, dans l’immédiat, des maisons...
Le sénateur McNair : C’est vraiment décourageant.
M. Feltmate : Effectivement, ce l’est. C’était en 2016. Nous étions en droit d’espérer une certaine évolution depuis.
Le sénateur McNair : Cela fait 10 ans, oui.
M. Feltmate : Ce n’est pas facile. Lorsque ces événements surviennent, les gens se disent qu’ils ont vécu un événement malheureux, qu’ils peuvent maintenant revenir là où ils étaient et ils espèrent que cela ne se reproduira plus. Ce n’est pas ce que je prône et cela n’a aucun sens, mais c’est ce qu’on entend. Tout été reconstruit de la mauvaise façon. Nous ne pouvons pas continuer à commettre cette erreur.
Le sénateur McNair : Rapidement, vous avez mentionné que la RBC était un chef de file en ce qui a trait à l’envoi bisannuel par les banques de fiches d’information aux propriétaires. Pourquoi toutes les banques ne lui emboîteraient pas le pas? Quelle est leur réticence?
M. Feltmate : Nous travaillons rapidement pour corriger cette omission. BMO est de la partie. Je pense qu’une autre grande banque canadienne se joindra à nous. Je ne dirai pas de quelle banque il s’agit, mais le mot « commerce » pourrait faire partie de son nom. Certaines coopératives d’épargne et de crédit se sont jointes à nous. Meridian Credit Union est la deuxième coopérative de crédit en importance au Canada, et elle encourage maintenant intensivement la circulation de cette documentation. Il suffit de joindre les gens et de leur expliquer la situation.
Soit dit en passant, ce qui leur plaît dans ces documents, c’est qu’ils leur permettent de communiquer avec leurs clients par la même occasion. Si ces clients ont une hypothèque sur cinq ans, il peut s’écouler quatre ans et demi avant qu’ils aient des nouvelles de leur banque. Ces banques disent essentiellement : « Nous vous apprécions comme client. Merci de renouveler votre hypothèque. » Les banques fournissent donc des renseignements valables à leurs clients deux fois par année, tout en leur donnant des conseils sur la façon de protéger leur maison et cela fait bonne impression auprès de leur clientèle.
Le sénateur Varone : Je ne connais pas très bien le Code national du bâtiment du Canada, mais je connais assez bien le Code du bâtiment de l’Ontario. Ceux d’entre nous qui vivent à Toronto ont pour la plupart une maison. Si elle a trois étages et demi ou moins, elle a été construite conformément à la partie 9 du code du bâtiment. La partie 3 du code du bâtiment porte sur les immeubles de quatre étages et plus. Tout ce qui précède est exigé en vertu du code, y compris l’installation de gicleurs dans la maison. Si on les installe dès le départ, ils sont très bon marché.
Dans les zones à haut risque d’incendie, ne vaut-il pas mieux préconiser que ces maisons soient construites conformément à la partie 3 du code du bâtiment plutôt qu’à la partie 9, puisqu’elle prévoit déjà tout?
M. Feltmate : En un mot, oui, je suis d’accord.
Le sénateur Varone : Y a-t-il des démarches en ce sens?
M. Feltmate : Pas que je sache, mais je ne dis pas qu’il n’y en a pas. La réponse est que je ne sais pas.
La sénatrice McBean : Monsieur Ness, les études de votre institut ont démontré que l’adaptation aux changements climatiques et les mesures de résilience pouvaient réduire considérablement les coûts économiques et sociaux attribués aux changements climatiques. Quelles politiques ou quels investissements précis en matière d’adaptation auraient la plus grande incidence sur la réduction de l’ampleur et de la fréquence des feux de forêt au Canada?
J’admets que je me suis préparée à poser cette question, alors je vais d’abord vous amener à approfondir l’un de vos sujets, notamment la cartographie améliorée des risques de feux de forêt. Pouvez-vous nous parler des avantages que cela représente pour tout le monde?
M. Ness : Je vous remercie de la question, sénatrice.
Oui, la cartographie des risques de feux de forêt, tout comme la cartographie des inondations, présente des informations essentielles pour tous les intervenants dans le domaine du logement. Elle permet aux futurs propriétaires de savoir s’ils s’apprêtent à acheter dans un secteur à haut risque, aux promoteurs et aux municipalités de savoir où ils peuvent construire de façon sécuritaire, aux assureurs ou aux banques qui consentent des prêts hypothécaires de connaître les endroits les plus à risque, et ainsi d’être en mesure d’évaluer ce risque et d’établir le coût de leurs produits. Sans ces informations, nous opérons à l’aveuglette dans la plupart des régions au pays. Les propriétaires de maison, les banques et les collectivités n’ont aucun moyen de savoir s’ils doivent modifier leur comportement. On ne leur fournit aucun indice. Il n’y a aucun signal indiquant à quiconque qu’il se trouve dans un endroit problématique et qu’il doit gérer la situation différemment.
Le président : Monsieur Feltmate et monsieur Ness, merci beaucoup de votre participation aujourd’hui. Vos témoignages et vos idées ont été très appréciés. M. Feltmate fournira à notre greffière les renseignements supplémentaires dont nous avons parlé plus tôt et nous sommes impatients de les recevoir.
Chers collègues, nous allons maintenant entendre le prochain groupe de témoins. Nous accueillons Wayne Maddever, président-directeur général de FireRein. Il est accompagné de son collègue, David Hyndman, conseiller scientifique en chef. Nous accueillons également Meaghan Seagrave, directrice générale de Bioindustrial Innovation Canada.
Wayne Maddever, chef de la direction, FireRein Inc. : Je vous remercie de me donner l’occasion de témoigner à cette audience.
FireRein Inc. est située à Napanee, en Ontario. Notre entreprise a mis au point et commercialisé Eco-Gel, un gel ignifugeant 100 % biologique, appelé à remplacer d’autres mousses et produits ignifuges toxiques. Non seulement cette matière est-elle d’origine biologique à 100 %, mais elle est également constituée à 75 % de produits agricoles canadiens, soit l’huile de canola et l’amidon de maïs. Eco-Gel est le seul additif d’eau de lutte contre les incendies à disposer d’appellations contrôlées de l’UL et de la FDA des États-Unis, tant pour sa composition bio que pour son efficacité contre les incendies.
Eco-Gel a été mis au point par les fondateurs de FireRein, qui sont tous des pompiers, dans le but de remplacer les mousses toxiques à base de PFAS. Il est maintenant clairement démontré que ces mousses causent le cancer chez les pompiers, qui présentent le taux le plus élevé de décès par cancer attribuable au travail. Non seulement ces mousses de PFAS sont-elles toxiques, mais nous entendons quotidiennement parler du fait qu’elles constituent des « produits chimiques permanents ». Tous les aéroports et toutes les bases militaires du Canada qui ont utilisé ces mousses sont maintenant contaminés par ces substances, car elles s’infiltrent dans les eaux souterraines après un incendie.
Nous avons trouvé des clients pour Eco-Gel au Canada, aux États-Unis et en Amérique du Sud. Notre produit a récemment été évalué par les Forces armées canadiennes dans le cadre du programme gouvernemental Solutions innovatrices Canada. FireRein est maintenant en mesure de soumissionner à des appels d’offres du gouvernement.
Bien qu’il ait été utilisé l’an dernier lors des feux de forêt pour protéger les infrastructures, notamment les actifs ferroviaires, pendant l’incendie de Jasper, la pénétration dans le marché de ce produit hautement efficace pour la lutte aux incendies de forêt et sans danger environnemental a été entravée en grande partie par l’adhésion bureaucratique aux normes américaines en l’absence de normes canadiennes.
En plus des mousses de PFAS, les produits chimiques de lutte contre les incendies les plus couramment utilisés en situation de feux incontrôlés, qu’ils soient largués du haut des airs ou appliqués au sol, sont des produits ignifuges à base de phosphate d’ammonium. Ces produits dominent le marché en raison de leurs avantages perçus. Le produit ignifuge le plus aisément reconnaissable, parce qu’il est teint en rouge, est le PHOS-CHEK de Perimeter Solutions, une entreprise américaine. En raison de modifications récentes dans les exigences en matière de certification, ce produit détient pratiquement le monopole sur ce marché. On le voit non seulement durant les arrosages aériens, mais de nombreuses photos publiées arboraient les résidus rouges de cette substance sur les maisons et les véhicules lors des incendies de Los Angeles.
Le principal composant de ces produits ignifuges est le phosphate d’ammonium, un engrais qui a plusieurs effets nocifs sur l’environnement. Lorsqu’il est déversé sur les feux de forêt, la concentration de cet engrais est beaucoup plus élevée que le maximum permis pour l’utilisation agricole. Ces concentrations excessives d’engrais modifient les écosystèmes, favorisent les espèces envahissantes, perturbent l’activité microbienne du sol et retardent la repousse des plantes, en plus de favoriser la prolifération d’algues et l’eutrophisation.
Cependant, notre plus important obstacle, et de loin, est de nature bureaucratique et s’appelle la QPL — la liste de produits autorisés de l’USDA, le département de l’Agriculture des États-Unis. Lorsque nous nous adressons à des agences ou à des gouvernements au sujet de l’utilisation possible de notre produit sur les feux de forêt, la première question qu’on nous pose est la suivante : « Votre Eco-Gel figure-t-il sur la QPL? » Sans cette garantie, on coupe court à toute discussion sur le produit ou son utilité en cas d’incendie de forêt.
Permettez-moi de prendre un moment pour expliquer en quoi consiste la QPL. Elle porte sur la corrosion des aéronefs et, par conséquent, n’a rien à voir avec la lutte aux feux de forêt au sol au moyen de pulvérisateurs dorsaux ou de camions-citernes. De plus, dans la norme QPL, une seule des 10 catégories porte vraiment sur l’efficacité. Elle traite en majeure partie de la corrosion et des propriétés de ces substances à base d’ammonium.
La question évidente est de savoir pourquoi nous n’en avons pas fait la demande.
Le président : Il vous reste une minute.
M. Maddever : J’ai presque terminé. La cloche a sonné.
J’aimerais demander au comité, compte tenu du nombre de feux de forêt et du contexte politique actuels, pourquoi on empêche l’entrée sur ce marché essentiel d’un produit bio inventé et fabriqué au Canada, qui contient principalement des produits agricoles canadiens. Cette question est abordée dans un rapport que j’ai cité dans ma documentation.
Pour terminer, nous suivons également avec intérêt les activités d’une entreprise américaine appelée Caylym Technologies, qui dispose d’un système de largage unique permettant l’utilisation d’avions militaires désaffectés pour lutter contre les feux de forêt. Cela permet de libérer des avions. Nous avons entendu parler de nombreuses provinces en passe d’acquérir de nouveaux bombardiers.
Merci.
Le président : Je prie nos témoins de m’excuser, car je ne leur ai pas expliqué que ce signal signifie qu’il leur reste une minute et qu’il est temps de conclure. Je vous remercie de vos remarques.
Madame Seagrave?
Meaghan Seagrave, directrice exécutive, Bioindustrial Innovation Canada : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je vous remercie de m’avoir invitée à prendre la parole aujourd’hui sur cette importante question.
Bioindustrial Innovation Canada, ou BIC, est un catalyseur d’entreprises non gouvernemental et sans but lucratif dans le domaine de la chimie durable. Bien que le siège social de BIC se trouve à Sarnia, en Ontario, je comparais devant vous aujourd’hui depuis la magnifique province de la Nouvelle-Écosse, où il fait beau, mais froid, sur le territoire ancestral non cédé du peuple mi’kmaq.
Le travail de BIC repose sur la force et le dynamisme de l’industrie canadienne des ressources naturelles, notamment la foresterie et l’agriculture. Le Canada est souvent décrit comme un pays de pêcheurs, d’agriculteurs et de forestiers, et bien que ces secteurs demeurent extrêmement importants pour l’économie de notre pays, ils sont souvent considérés comme des secteurs en déclin en ce qui a trait à l’innovation et à la technologie. On néglige fréquemment de considérer leur apport potentiel à notre dynamisme économique et à notre viabilité à long terme. Pourtant, les secteurs des ressources naturelles sont ceux qui nous permettront de soutenir la concurrence dans une nouvelle économie mondiale en constante évolution. C’est pourquoi nous devons comprendre les multiples répercussions des feux de forêt sur ces industries et sur nos collectivités autochtones et rurales.
Notre organisation soutient les technologies du domaine de la chimie durable aux stades les plus précoces. Cela ne vous interpelle peut-être pas personnellement ou peut-être ne voyez-vous pas de lien avec notre sujet, mais permettez-moi de vous en faire la démonstration. Nous découvrons et validons des technologies prometteuses qui tirent parti de nos vastes ressources naturelles et les aidons à devenir des entreprises viables dans lesquelles il est possible d’investir, et ce, ici même au Canada. Nous nous concentrons sur les entreprises et les idées qui exploitent les intrants forestiers et agricoles dans le but de concevoir des produits ou des matériaux appelés à remplacer les intrants fossiles traditionnels dans un grand nombre de chaînes de valeur.
Pour simplifier, disons qu’il est possible de remplacer une part importante des produits de notre secteur pétrolier et gazier par des produits à valeur ajoutée issus de ces secteurs. Les amidons, l’hémicellulose, les celluloses, les lignines, l’huile et les protéines sont les composants de base de produits chimiques secondaires et de produits intermédiaires, depuis les lubrifiants industriels et les carburants, jusqu’aux textiles, aux détergents, aux matériaux de construction et bien plus encore.
Peut-être commencez-vous à établir un lien avec les feux de forêt et les répercussions qu’ils ont en aval et en amont sur une multitude d’autres industries et d’autres secteurs ici, au Canada.
Au cours des dernières années, nous avons été horrifiés de voir les feux de forêt causer des pertes inouïes dans tout le pays. Les collectivités les plus touchées sont celles qui se trouvent sur le chemin de ces incendies, nos collectivités rurales et autochtones, qui dépendent si souvent de la foresterie et de l’agriculture pour leur subsistance.
Au-delà des pertes immédiates causées par un incendie de forêt, les collectivités sont également aux prises avec la reconstruction, souvent dans des zones devenues inhabitables en raison des produits chimiques utilisés pour éteindre les incendies. Ces produits se répandent dans les eaux souterraines et empoisonnent les puits et les terres arables. Heureusement, il existe des solutions canadiennes — comme vous venez de l’entendre — qui ne détruisent pas l’environnement. Ces produits peuvent donc être utilisés pour combattre les flammes. Le Canada est bien placé pour tirer parti de ses industries forestière et agricole afin d’offrir des produits à valeur ajoutée, et ainsi renforcer ses propres chaînes d’approvisionnement et de valeur.
Au moment où un nombre croissant d’industries manufacturières cherchent à réduire leurs émissions de carbone, le Canada occupe la position enviable de posséder toutes les matières premières nécessaires. Cependant, nous devons concentrer nos efforts sur la transformation de ces ressources brutes pour fabriquer des produits à valeur ajoutée.
Les vastes ressources en biomasse renouvelable du Canada font de lui un chef de file mondial dans le créneau de la chimie verte et des biomatériaux, qui connaît une rapide croissance. Avec plus de 200 millions de tonnes de biomasse produites chaque année — dont la plupart demeurent sous-utilisées, car nous n’en utilisons que 10 % ou moins —, le Canada a le potentiel de diversifier considérablement son économie et de renforcer ses chaînes d’approvisionnement en transformant ces ressources en produits chimiques durables, en plastiques, en matériaux et ainsi de suite.
Je ne dis pas que nous pouvons tout faire, mais nous pouvons à tout le moins commencer à agir pour réduire notre dépendance aux matières importées. Pendant trop longtemps, nous avons misé sur l’exportation de nos matières premières et l’importation de produits finis à plus fort prix. La nouvelle situation géopolitique constitue le contexte idéal pour accroître la sécurité et la souveraineté du Canada à bien des égards.
Chez BIC, nous travaillons à repérer des technologies à haut risque à un stade précoce de leur développement et nous y investissons stratégiquement. Souvent, ces technologies n’arrivent pas à trouver leur place parmi les programmes et les possibilités d’investissements qu’offre le Canada, parce qu’elles ne s’inscrivent pas parfaitement dans un secteur ou dans un ministère particulier — et franchement, nous non plus. BIC est unique à l’échelle nationale par ses initiatives intersectorielles, et il demeure le seul investisseur en prédémarrage dans ce créneau au Canada. Nous voulons vous amener à voir la situation dans son ensemble et à comprendre les raisons pour lesquelles d’autres pays envient le Canada. Ainsi, vous comprendrez l’importance de protéger ces secteurs tout en assurant leur viabilité future. Ils constituent un avantage pour le Canada et contribuent à positionner le pays à l’avant-garde de l’économie circulaire. Permettez-moi donc de vous aider à cerner ces possibilités et à concevoir les moyens de les exploiter.
Merci.
Le président : Merci beaucoup pour cette déclaration liminaire. Nous allons passer aux questions. La parole est à notre vice-président.
Le sénateur McNair : Je remercie les témoins de leur présence aujourd’hui.
Je vais commencer par vous, monsieur Maddever, au sujet de votre produit Eco-Gel. Vous avez parlé des tracasseries administratives et des obstacles qui vous empêchent d’aller de l’avant. Quelles sont les prochaines mesures que FireRein entend prendre pour en finir avec les formalités administratives? Pouvez-vous aussi nous dire si le coût de l’Eco-Gel se compare à celui des produits ignifuges dits toxiques. Les ministères se préoccupent parfois des coûts. Vous avez laissé entendre que votre produit avait été utilisé à Jasper. J’ai eu l’impression qu’il n’a pas été appliqué à grande échelle. Dans quelle mesure son rendement se compare-t-il à celui d’autres produits retardateurs?
M. Maddever : Merci. Je vais demander à M. Hyndman de répondre à quelques-unes de vos questions.
À Jasper, le produit a été appliqué sur les voies ferrées du CN. C’est un retardateur de flammes et un agent extincteur. Il a été aspergé avant l’incendie. Tout ce que je peux dire, en somme, c’est que les trains ont continué de circuler grâce à cette application. Le produit n’a pas été utilisé uniquement pour combattre l’incendie, mais aussi pour protéger les infrastructures. Il a permis de protéger les édifices de la ville de Jasper ainsi que les infrastructures.
Il coûte beaucoup moins cher que les produits ignifuges rouges. La Saskatchewan a récemment utilisé un autre type de gel, dont le coût est probablement trois ou quatre fois supérieur à celui de notre produit.
Monsieur Hyndman, vous avez sans doute des commentaires à faire. Je reviendrai ensuite sur les formalités administratives.
David Hyndman, directeur scientifique, FireRein Inc. : Nous avons établi les coûts des intrants pour notre produit de façon à parvenir à un prix intermédiaire pour le produit final. Nous ne sommes toutefois pas encore satisfaits des résultats de l’analyse du cycle de vie du produit, ce qui dépasse peut-être la portée de l’étude du comité, mais puisque nos produits sont entièrement biologiques et que nous utilisons uniquement des intrants naturels, nous ne laissons pas l’empreinte que laissent les produits ignifuges et les mousses à base de pétrole. Bien entendu, il faut également tenir compte de la valeur que cela représente pour les fabricants canadiens tout au long de la chaîne d’approvisionnement en matières premières. Comme l’a dit Mme Seagrave, nous avons une bioéconomie et nous essayons de créer un processus à valeur ajoutée.
M. Maddever : Ce produit est vendu sous forme de concentré, comme le sont tous les autres produits. Nous avons fixé son prix à égalité avec le prix approximatif, par litre ou kilogramme, des autres produits. Par contre, nous en utilisons une quantité de beaucoup inférieure à celle de nombreux autres produits. Certains contiennent entre 10 et 15 % d’additifs et le nôtre n’en contient que 2 à 5 %. Le coût total est donc beaucoup moins élevé pour l’utilisateur.
Permettez-moi de revenir sur les formalités administratives. Cela nous cause beaucoup de frustration et nous essayons de nous en sortir. Comme je l’ai dit, la liste américaine de produits autorisés, la QPL, fixe une norme en fonction des bombardiers à eau. Ce qui nous pose problème, c’est que cette norme semble s’appliquer universellement et que notre produit ne pourrait être utilisé que pour certaines autres applications. Pourtant, les forces armées canadiennes sont prêtes à l’utiliser. Pour être honnête, je n’en suis pas certain. Nous continuons de discuter avec différents gouvernements. Je vous remercie de me donner l’occasion d’en parler et de leur faire simplement comprendre que nous serions en mesure de commencer dès demain à l’appliquer pour combattre les feux de forêt au sol.
En ce qui concerne la norme QPL, il faut comprendre que notre entreprise est en démarrage. Non seulement le processus est coûteux, mais il faut environ deux ans pour le mettre au point et cela pose aussi un risque élevé sur le plan de la propriété intellectuelle. Actuellement, cela concerne seulement les additifs à base de sels. Nous savons également que sous l’actuelle administration américaine, la QPL a été suspendue par le Service forestier des États-Unis. Il ne se passe rien là-bas. Nous ne savons pas vraiment ce qui arrivera.
Bref, nous sommes ici au Canada avec un produit canadien et des enjeux canadiens, mais nous devons adhérer à une norme américaine. Dans son rapport publié il y a quelques années, l’Institut canadien de lutte contre les incendies de forêt se posait cette même question. Ce n’est pas d’aujourd’hui que nous cherchons à savoir pourquoi nous appliquons une norme américaine pour tout.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Varone : Monsieur Maddever, les drones sont la nouvelle arme de choix dans la guerre moderne. J’ai vu des vidéos de drones qui transportaient cette mousse rouge à base de SPFA. L’Eco-Gel se prête-t-il à des applications par drone? C’est ma première question.
M. Maddever : Certainement, il n’est pas différent. Ce sont des additifs à l’eau. Notre produit l’est également. La seule différence, c’est qu’il est sous forme de gel.
M. Hyndman : Nous avons effectué des essais assez prometteurs avec des drones en Afrique du Sud. Nous sommes en train de perfectionner les interactions entre les capacités du drone et le comportement de notre produit.
Le sénateur Varone : Qu’ont donné ces essais?
M. Hyndman : Là encore, ce n’était qu’un début.
Le sénateur Varone : Avez-vous réussi à vous approcher de l’incendie?
M. Hyndman : Les drones nous permettent clairement de cibler la zone avec plus de précision. Ils font partie d’un continuum qui englobe également les hélicoptères et les bombardiers d’eau. Les hélicoptères sont plus efficaces que les avions bombardiers pour viser la cible. Les drones ajoutent un degré supplémentaire de précision. Comme nous pouvons désormais les faire voler en essaims, nous pouvons larguer le produit avec une grande précision. Grâce à sa propriété d’adhérence, notre produit étouffe le feu parce que c’est une eau collante. Par la suite, l’humidité résiduelle empêche le feu de se rallumer. Nous pouvons pulvériser notre produit à partir de drones ou d’autres appareils, comme ceux qui sont contrôlés à partir du sol pour les brûlages dirigés, comme l’ont expliqué les témoins du premier groupe.
Le sénateur Varone : Je vous remercie.
La sénatrice Muggli : Ma première question s’adresse à M. Maddever. Les matières résiduelles de votre produit ont-elles des effets néfastes sur l’environnement?
M. Maddever : Merci beaucoup pour cette question. Parfait.
Nous avons demandé à l’Université de Guelph de procéder à des tests à cet égard. Il existe des tests normalisés pour mesurer le degré de toxicité pour les espèces aquatiques. Notre produit a été mis à l’essai et comparé aux technologies existantes. Il n’a pratiquement aucun effet sur l’environnement ni sur les espèces de poissons utilisés pour les tests, alors que les autres produits sont très toxiques pour ces espèces végétales et aquatiques.
La sénatrice Muggli : Ma deuxième question est pour Mme Seagrave. Pour aller au cœur du problème, disons clairement que les changements climatiques sont à l’origine de la multiplication des feux de forêt. Comment la bioéconomie peut-elle contribuer à réduire les émissions en remplaçant les matériaux ou les produits à forte intensité carbone au sein de notre économie de tous les jours?
De plus, pouvez-vous nous donner des renseignements sur la valeur ajoutée de l’aménagement végétal de coupe-feux? D’après ce que j’ai entendu, les bleuetières sauvages présentent un certain intérêt. En raison de leur composition, ces plantes pourraient servir de coupe-feu efficace.
Mme Seagrave : Je vous remercie pour cette question, sénatrice.
En ce qui concerne la bioéconomie en général, si nous réussissons à faire un meilleur usage des résidus qui jonchent le sol, surtout dans les secteurs forestiers et agricoles, nous pourrons contribuer à réduire le risque que présente ce combustible pour les feux de forêt.
Je vais vous donner un bref exemple. Nous exportons actuellement 90 % du soja que nous produisons au Canada vers d’autres marchés, principalement aux États-Unis. Ce soja est broyé et transformé en huile, en mousse ou en sièges d’auto et nous importons ensuite ces produits chez nous pour les utiliser dans notre industrie automobile, alors que nous pouvons fabriquer toutes ces pièces ici, au Canada. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres.
Nous faisons la même chose avec le bois d’œuvre et de sciage. Nous sommes restés un pays de pêcheurs, d’agriculteurs et de forestiers. Nous devons cesser d’être un pays exportateur et devenir un pays transformateur. Nous pourrons ensuite exporter des produits à valeur ajoutée. Cette transition nous permettrait de réduire l’intensité carbone de toutes les chaînes de valeur de notre secteur manufacturier et de réduire les émissions de gaz à effet de serre non seulement au Canada, mais partout dans le monde.
Pour répondre à votre deuxième question au sujet des bleuetières et des coupe-feux, je dirais que toute capacité à diversifier nos cultures ou nos produits signifie que nous diversifions nos débouchés économiques. L’utilisation de bleuetières nous ouvrirait beaucoup de possibilités du côté des produits nutraceutiques et pharmaceutiques, tout en garantissant notre sécurité alimentaire. Ce sont là des possibilités qui existent.
M. Hyndman : Si vous me permettez d’intervenir au sujet des coupe-feux, je signale qu’il est maintenant courant dans la plupart des provinces et territoires du Canada de pulvériser l’équivalent industriel du Roundup sur des feuillus pour les faire mourir et pour faciliter l’accès aux résineux. Comme la fréquence des feux de forêt est plus élevée et que les résineux sont plus inflammables, nous sommes en train de supprimer les coupe-feux de nos forêts pour faciliter l’abattage de résineux pour des raisons économiques. Nous nous tirons dans le pied avec certaines des pratiques forestières actuelles. Nous devons avoir une discussion sérieuse sur les répercussions de ces pratiques.
La sénatrice Miville-Dechêne : Pour revenir brièvement sur les propos de Mme Seagrave et le travail que vous accomplissez, pourriez-vous nous donner des exemples de ce que vous essayez de faire pour réduire les émissions liées aux activités gazières et pétrolières? Vous avez surtout parlé du secteur rural et de l’agriculture. Qu’avez-vous fait pour améliorer la situation et contribuer indirectement à freiner les feux de forêt?
Mme Seagrave : Relier les divers points afin de freiner les feux de forêt n’est pas une progression naturelle facile à réaliser. Notre organisation identifie et valide des technologies. Elle facilite ensuite leur commercialisation et leur mise à l’échelle, dans un cadre bioéconomique plus général. L’idée est de déplacer et de remplacer les intrants à base de combustibles fossiles le long d’une multitude de chaînes de valeur et d’utiliser les ressources naturelles du Canada comme chaîne d’approvisionnement dans des chaînes de valeur très complexes qui sont habituellement soutenues par des intermédiaires et des produits chimiques provenant du secteur pétrolier et gazier. C’est là que nous intervenons. Nous appelons cela la chaîne de valeur de produits chimiques verts ou hybrides.
Concernant l’impact que nous pouvons avoir sur les feux de forêt, si nous pouvions utiliser une plus grande partie de nos ressources, comme l’a dit M. Hyndman, par exemple en adoptant certaines pratiques de gestion et en nettoyant les forêts des matières inflammables, il n’y aurait alors plus de matières pour alimenter les incendies de forêt. Il n’y aurait pas de combustible. Nous récoltons actuellement environ 2 % des coupes forestières autorisées dans l’ensemble du pays. Si nous voulons créer des débouchés, nous pouvons accroître la récolte et convertir cette biomasse en produits biologiques, et non seulement en bois d’œuvre ou de sciage. Nous pouvons la convertir en produits chimiques, en matériaux ou en sous-produits pouvant être utilisés dans une multitude de chaînes de valeur. Nous pouvons ainsi exploiter cette valeur ajoutée sur le plan économique, tout en réduisant la quantité de combustible qui alimente les feux de forêt ici au Canada.
La sénatrice Miville-Dechêne : Pouvez-vous nous donner un exemple? Quelle utilisation concrète du bois pourrions-nous faire? Quel genre de projets financez-vous ou facilitez-vous à cet égard?
Mme Seagrave : Excellente question. À peu près n’importe quel type de biomasse cellulosique ou lignocellulosique, provenant du bois et de certaines cultures agricoles, peut être transformé en un certain nombre de produits chimiques biologiques.
Je vais vous donner l’exemple d’une entreprise ontarienne que nous avons soutenue sur le plan financier dans une perspective de développement, qui utilise essentiellement la lignine et la cellulose pour créer des bioplastiques. Son usine pilote produit un polytéréphtalate d’éthylène biologique, ou PET, pour remplacer le plastique dans les bouteilles et les bouchons en plastique. Elle a récemment expédié 300 tonnes de ce produit en Europe à ses acheteurs exclusifs qui sont en train de le mettre à l’essai dans leur chaîne d’embouteillage dans un objectif de réduction des émissions de carbone. Cela provient de la biomasse canadienne.
Le président : Je vous remercie.
M. Hyndman : Permettez-moi d’ajouter brièvement que nous avons fait énormément de recherche et développement depuis la création de FireRein il y a 13 ans. L’une des choses que nous avons testées, c’est l’incorporation de lignine dans notre produit parce que cette substance possède des propriétés intumescentes; elle permet notamment à la surface vaporisée de se carboniser, ce qui peut empêcher le feu d’atteindre ce qui se trouve sous ce produit. Dans un sens, notre produit illustre bien ce dont vient de parler la sénatrice, autrement dit, utiliser la forêt pour protéger la forêt.
La sénatrice Burey : Je vous remercie de votre témoignage et de nous faire profiter de votre expertise. Je vais poser mes trois questions en rafale, et elles s’adressent à tous les témoins.
Nous avons entendu parler de certains obstacles, comme la norme de certification de la qualité QPS. Quels sont les autres obstacles à l’essor des technologies novatrices de lutte contre les incendies dans les provinces et les territoires? C’est ma première question. J’aimerais que vous nous donniez plus de détails sur ces obstacles.
Deuxièmement, comment pourrions-nous mieux intégrer les solutions novatrices comme la vôtre dans les cadres fédéraux d’intervention en cas d’urgence, si nous en avions un?
Enfin, comment rendre ces technologies accessibles à nos communautés autochtones ou éloignées qui sont souvent les premières touchées par les répercussions des feux de forêt?
M. Maddever : Merci pour ces questions.
Je vais d’abord répondre à la troisième, si vous me permettez, en disant que nous comptons des Premières Nations parmi nos clients. Notre produit pourrait être vendu à n’importe quel groupe de lutte contre les incendies, n’importe quelle collectivité. En plus des mines en exploitation au Labrador et dans le Nord de l’Ontario, un certain nombre de groupes de Premières Nations apprécient beaucoup notre produit pour des raisons évidentes. Celui-ci se compose de matières naturelles. Nous avons des clients à ces endroits. C’est seulement une question de commercialisation pour le mettre à leur disposition.
Je reviens à vos autres questions. En ce qui concerne le programme fédéral d’intervention en cas d’urgence, j’ai mentionné le système Caylym qui est utilisé à partir d’avions militaires pour lutter contre les feux de forêt. Je pense qu’il est nécessaire de mieux intégrer ces ressources. En tant qu’observateurs extérieurs, il nous semble que la lutte contre les feux de forêt se fait au niveau provincial et qu’il n’y a pas beaucoup de coordination. Nous avons discuté avec le ministre Blair, anciennement responsable des ressources militaires, et il nous a simplement répondu que c’était aux provinces d’en faire la demande, mais elles ne le font pas. Le système Caylym leur permettrait de contourner la liste des produits autorisés, ne serait-ce que pour l’eau, tout en permettant à tous les avions militaires et avions-cargos inutilisés de participer à la lutte contre les feux de forêt. Il y a clairement un manque de coordination entre ces organismes. C’est là un domaine où le gouvernement pourrait nous aider.
Parmi les obstacles, il y a évidemment la liste QPL. Nous devons faire passer le message que nous pouvons participer à lutter au sol contre les feux de forêt parce que notre produit est un retardateur de flammes. Il peut être utilisé comme coupe-feu, pulvérisé à l’avance et être aussi utilisé comme agent extincteur.
L’autre obstacle, c’est la commercialisation. Dans le secteur de la lutte contre les feux de forêt, si vous demandez à un pompier municipal comment il voit l’avenir, il répondra que le passé est garant de l’avenir. C’est un secteur très conservateur. Pour le faire bouger, il faut multiplier les efforts de commercialisation, accentuer la pression et convaincre beaucoup de premiers utilisateurs.
La sénatrice Burey : Comme mon temps est limité, j’aimerais entendre Mme Seagrave à ce sujet.
Mme Seagrave : Comme l’a mentionné M. Maddever, c’est d’abord un problème d’approvisionnement et ensuite de coordination. Le clivage existant entre les provinces et le gouvernement fédéral est un gros problème. Ce n’est pas seulement du côté de l’approvisionnement, c’est du chacun pour soi. « Restez hors de mon territoire, c’est le mien, pas le vôtre. Qui va payer pour ces services? Comment allons-nous partager les coûts? » Il faut se poser ces questions et y répondre avant même que quelqu’un intervienne ou s’invite à la table de décision.
Nos forêts sont gérées par les provinces, mais elles sont réglementées par le gouvernement fédéral. Toutes les décisions concernant la réglementation de ce qui peut se faire dans les forêts sont prises au palier fédéral, mais ce sont les provinces qui gèrent le territoire. Le manque de coordination découle de ce clivage entre les provinces et le gouvernement fédéral.
Puis-je ajouter un dernier point? Il y avait un programme en place il y a une dizaine d’années. Il s’agissait d’un programme conjoint piloté à l’époque par le CNRC et Affaires mondiales Canada, on parlait d’une solution purement canadienne. Ce programme permettait de coordonner l’approvisionnement par l’entremise du gouvernement fédéral. Les gouvernements provinciaux pouvaient simplement demander une ressource en particulier et celle-ci était achetée, payée et mise à leur disposition. Tout était canadien : la propriété intellectuelle, la technologie, les premiers utilisateurs et l’adoption précoce.
La sénatrice McBean : Je vais poursuivre dans la même veine que la sénatrice Burey, puisque ma question porte sur le même sujet, c’est-à-dire sur les défis que pose l’intégration de technologies propres de lutte contre les incendies aux systèmes d’intervention du Canada en cas de feux de forêt.
Nous avons le mandat de nous pencher sur les régions agricoles; je me demande donc si les mesures prises pour intégrer ces combustibles biotechnologiques, ces technologies propres de lutte contre les incendies, ont été différentes dans les zones forestières par rapport aux zones agricoles.
Je suis également curieuse de savoir quelle est la durée de conservation de l’Eco-Gel par rapport au retardant Phos-Chek. Est-ce un produit que les collectivités ou les exploitations agricoles pourraient stocker dans un grand réservoir et l’utiliser au besoin?
M. Maddever : Pour répondre à votre première question, il n’y a pas une grande différence entre les zones boisées et les zones ouvertes en ce qui concerne l’intervention. Il s’agit simplement de convaincre les autorités responsables d’adopter et d’essayer le produit. Nous continuons à organiser des démonstrations. Incidemment, notre équipe revient tout juste du Guyana où elle a organisé des démonstrations et elle se rend maintenant à Los Angeles faire la même chose, surtout en ce qui concerne la protection des structures après les incendies qui ont eu lieu dans cette ville. Il n’y a aucune différence notable à cet égard.
Quant à la durée de conservation, ce produit est conçu pour avoir la même durée de conservation que les produits actuellement utilisés. M. Hyndman pourra vous donner plus de précisions, mais la durée se mesure en années.
M. Hyndman : Nous avons effectué des tests accélérés visant une durée de cinq ans. Même si certains des produits synthétiques à base de pétrole sont réputés avoir une durée de conservation indéfinie, nous avons constaté que ce n’était pas le cas au cours des tests que nous avons effectués et dans les rapports anecdotiques des services d’incendie avec lesquels nous travaillons.
Notre produit est biologique. Comme il est composé d’ingrédients de qualité alimentaire, il doit donc être traité un peu différemment du Phos-Chek qui n’est pas un produit biologique. Comme l’a expliqué M. Maddever, il contient des phosphatides d’ammonium. Il existe des différences entre les produits, mais nous donnons de l’information aux nouveaux clients quand nous présentons notre produit.
L’un des principaux obstacles est l’approvisionnement, comme l’a souligné Mme Seagrave. C’est parce que tout le monde au gouvernement a tendance à demander une mousse ou un retardant. Notre produit est classifié comme un additif à l’eau. Les mousses font partie de cette catégorie d’additifs. Si vous demandez une mousse, notre produit ne pourra jamais être dans la course, malgré ses avantages technologiques et environnementaux. Je tenais à le dire clairement. Il suffirait parfois de modifier le libellé.
M. Maddever : Il est important que le comité sache que notre produit est entièrement compatible avec les systèmes existants. Par exemple, si une municipalité adopte notre produit au lieu de la mousse, il lui suffira de nettoyer les réservoirs de mousse — qui se trouvent sur le camion d’incendie — et d’y verser notre produit. Tout est pareil.
Nous devons former les pompiers parce qu’ils pensent que c’est différent. Notre produit ne sort pas de la buse sous forme de mousse. À première vue, il présente les caractéristiques d’un gel, mais il peut être vaporisé, il adhère aux surfaces et il reste en place. Les mousses disparaissent au bout d’un certain temps. Notre produit est tout à fait compatible avec tout l’équipement utilisé.
La sénatrice McBean : Pour que ce soit bien clair, l’Eco-Gel a-t-il une longue durée? Si une collectivité achetait une énorme quantité de votre produit, pourrait-elle le conserver dans un réservoir pendant une période de cinq ans? Ou avez-vous dit cela au sujet de l’autre produit?
M. Hyndman : Je parlais du nôtre. Les tests ont démontré qu’il avait une durée de conservation pouvant aller jusqu’à cinq ans. En tant que scientifique, je suis à l’aise d’avancer ce chiffre.
La sénatrice McBean : Je vous remercie.
La sénatrice Robinson : J’ai une question pour M. David Hyndman, le scientifique parmi nous. Elle est dans la même veine que les observations de la sénatrice McBean. Pouvez-vous nous donner une idée des compromis à faire? Quand nous parlons d’une durée de conservation plus longue, je suppose qu’il y a des compromis à faire en raison de la persistance du produit dans l’environnement. J’aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.
Je vais poser ma deuxième question avant de vous laisser répondre. Nous avons parlé de la façon dont votre produit a été pulvérisé sous forme de gel de manière préventive pour protéger les rails et faciliter le passage des trains pendant la saison des feux de forêt. Pourriez-vous nous dire combien de temps il demeure efficace après son application? Combien de temps conserve-t-il sa propriété ignifuge? Si vous pouviez nous donner une comparaison entre votre produit et les produits traditionnels à base de mousse, ce serait formidable, monsieur Hyndman.
M. Hyndman : Merci pour ces questions.
La persistance est un point intéressant. Les mousses sont dominées par des agents de surface, ou surfactants, qui sont de petites molécules. La biodégradabilité est une caractéristique de la plupart des produits concurrents sous forme de mousse. Comme ces mousses se biodégradent rapidement, leur écotoxicité est élevée à cause de la réaction chimique causée par la dégradation des membranes sur les organismes et ce genre de choses.
Notre produit comprend des polymères qui sont des substances de qualité alimentaire présentes dans votre vinaigrette. Il se biodégrade plus lentement, mais les matières issues de cette biogradabilité sont comparables à celles produites par un arbre qui se dégrade en forêt. Nous disons à la blague que c’est comme si nous lancions une botte de carottes dans la forêt. Elle met plus de temps à se dégrader, mais c’est un processus plus naturel parce que les intrants sont naturels.
La persistance de notre produit dans l’environnement est essentiellement nulle. L’impact des mousses, surtout quand elles sont utilisées dans un scénario d’incendie, c’est que les matières toxiques issues de la combustion s’infiltrent dans le sol, surtout dans un environnement sauvage, tandis que notre produit restera à la surface grâce à ses propriétés adhésives dont nous avons parlé. En milieu urbain, cela veut dire qu’on peut le nettoyer et qu’il ne se mélangera pas aux eaux usées.
Concernant la pulvérisation du gel et sa durée, c’est avant tout un facteur environnemental. Si vous le pulvérisez par une température de deux degrés, il pourrait être efficace durant plusieurs jours et il conservera son humidité et son effet protecteur. Si vous le pulvérisez dans les Prairies par une journée très sèche de 35 degrés Celsius, il aura quelques heures d’efficacité. Cela dit, comme il se compose surtout d’eau, l’eau s’évapora en quelques minutes. Donc, tout est relatif.
La sénatrice Robinson : Comment se compare-t-il aux produits conventionnels?
M. Hyndman : Dans le cas de la plupart des produits ignifuges rouges, même s’ils sont utilisés pour la suppression des feux, il faut les pulvériser et les laisser sécher. Ils resteront donc dans l’environnement jusqu’à la prochaine grosse pluie. Cela dit, ils ont des répercussions sur l’environnement en raison de leur contenu. Quant aux mousses, elles dureront tant qu’elles resteront sous forme de mousse. Une fois que ces bulles éclatent, ces produits ne sont pas plus efficaces que l’eau.
La sénatrice Robinson : Un dernier commentaire. Chez nous, il est rare que nous ayons des incendies quand la température frise les deux degrés et que le temps est humide, n’est-ce pas?
M. Hyndman : C’est vrai. Notre produit est quand même plus efficace que la solution à l’eau.
La sénatrice Robinson : Oui, je vous remercie.
Le président : Merci beaucoup. Je vais poser une question. Je sais que vous avez rencontré la sénatrice Robinson et le sénateur Lewis en avril dernier, et que vous leur avez indiqué que cette technologie est utilisée ou a été utilisée en Californie dans la lutte contre les feux de forêt. Est-ce exact? Ai-je raison? Vous devez alors avoir satisfait la norme américaine QPL, soit la liste des produits homologués. Pourquoi ces obstacles existent-ils toujours dans notre pays, à moins que j’interprète mal la situation?
M. Maddever : Ils n’ont pas été utilisés contre les feux de forêt à Los Angeles.
Le président : Ah non?
M. Maddever : Non.
M. Hyndman : Nous sommes en pleine discussion à la fois au sujet des installations d’entreposage de batteries, qui sont importantes parce qu’elles sont généralement situées dans des régions rurales exposées aux incendies, et au sujet des applications préventives sur les structures et les habitations. Nous avons en fait discuté de prélever de l’eau dans toutes les piscines résidentielles de Californie pour pulvériser notre produit sur les maisons selon le concept FireSmart, mais notre solution n’a pas encore été déployée.
Le président : La norme QPL est donc une norme américaine, mais on vous demande de la respecter ici au Canada également. Je me trompe?
M. Maddever : C’est exact.
M. Hyndman : Je dirais que toutes les provinces avec lesquelles nous avons discuté nous ont demandé si notre produit apparaissait sur la liste des produits homologués QPL.
Le président : Merci.
Le sénateur Varone : Ma question s’adresse à tout le monde, mais puisque la sénatrice Robinson m’a volé celle que j’avais prévue, je vais en poser une variante.
L’application localisée d’Eco-Gel m’intéresse. Dans ma « vraie maison », qui est au beau milieu d’une forêt, ce gel peut servir de produit ignifuge, et il fonctionne. Il est plus facile à nettoyer et à dissiper, et il est non toxique. J’ai vu ce que le phosphate d’ammonium peut faire aux arbustes, aux pelouses et à tout le reste. Avez-vous envisagé de travailler avec le secteur de l’assurance, étant donné que votre produit a au moins le même effet — pour ne pas dire qu’il est meilleur —, mais que l’effet résiduel est moins nocif pour l’environnement et les habitations, et qu’il crée donc beaucoup moins de risques de pertes du point de vue des assurances? Ne voudriez-vous pas travailler avec les compagnies d’assurances au Canada pour faire la promotion de votre produit?
M. Maddever : Nous en avons fait un de nos objectifs de mise en marché. C’est triste à dire, mais les incendies de Los Angeles ont fait progresser ces discussions. Nous avons mis au point une trousse de défense résidentielle, comme on l’appelle. Nous avons une équipe à Los Angeles qui travaille auprès d’un certain nombre de résidants désireux de faire la promotion de ces produits auprès de propriétaires qui ont perdu ou qui sont sur le point de perdre leur maison pour toutes les raisons que vous avez mentionnées. C’est un produit facile à appliquer et à nettoyer.
Vous avez parlé de résidus rougeâtres. Il faut être conscient d’une chose : non seulement cette substance demeure toxique après lavage des surfaces qu’elle a recouvertes, mais en plus, on n’est pas censé l’utiliser à proximité des cours d’eau. Cependant, si on en largue sur un pont ferroviaire, vous savez ce qui se trouve en dessous? Le plus souvent une rivière. Et ce produit est aussi corrosif pour les voies ferrées, et tous ces wagons que vous avez vus recouverts de cette substance à Los Angeles ont probablement fini au rebut à cause de cet effet.
Il y a donc un certain nombre de facteurs qui entrent en ligne de compte, mais je vous remercie. Nous aimerions beaucoup faire une percée dans le secteur de l’assurance. J’espère que nous pourrons utiliser comme point de départ le travail de notre équipe à Los Angeles.
M. Hyndman : Nous avons bien sûr eu des discussions avec un certain nombre d’entreprises. Les choses sont enclenchées, et nous en sommes arrivés au point où les réassureurs ont même pris contact avec nous. C’est donc en cours, et nous cherchons, dans nos communications, à parler de cet aspect dans les trousses remises aux propriétaires sur les mesures possibles d’atténuation des risques.
La sénatrice McBean : Comme notre comité s’intéresse notamment aux zones forestières et agricoles du Canada, l’idée de cet agent extincteur non toxique est très séduisante. Vous en parlez en tant que produit facile à appliquer et à nettoyer, mais je m’inquiète un peu qu’il faille l’appliquer aussi souvent. Comme la sénatrice Robinson l’a dit, les incendies au Canada surviennent le plus souvent dans les journées où la température atteint 35 ou 40 degrés, quand il fait chaud et sec. Ai-je bien compris que ce produit n’est efficace que quelques heures durant? Je ne comprends peut-être pas les techniques de lutte contre les feux de forêt. Ce produit doit-il être appliqué souvent pour protéger durablement une zone? La ligne de chemin de fer dont vous avez parlé, devait-elle être continuellement traitée avec le produit?
M. Maddever : Permettez-moi de faire un distinguo entre les deux utilisations de ces produits : comme agent extincteur et comme produit ignifuge.
Un agent extincteur étouffe les flammes et permet de combattre un incendie dès le départ de feu. Aucune application supplémentaire n’est nécessaire. Nous pourrions vous montrer des vidéos. Nous l’avons testé sur un autobus scolaire rempli de pneus et de palettes en bois, à Aurora, en Illinois. Nous avons complètement embrasé l’autobus. La plupart des gens sur place ont déclaré ne jamais avoir vu un incendie être éteint aussi rapidement. C’est un produit extrêmement efficace quand il est utilisé comme agent extincteur, et il éteint véritablement les flammes.
Nos commentaires sur la durée d’efficacité portaient sur l’utilisation d’EcoGel en tant que produit ignifuge. Il est en effet possible d’utiliser EcoGel de deux façons : pour protéger les structures, mais l’humidité et la température agissent sur ce mode d’utilisation, et il peut être réhydraté à l’aide d’un jet d’eau pour en maintenir l’efficacité. C’est un gel semblable à un gel de rasage : il absorbe l’eau.
Ce sont là les deux manières d’utiliser ce produit. L’objectif principal, bien sûr, est d’éteindre l’incendie, puis on cherche à stopper sa progression. Cependant, le produit peut être utilisé comme pare-feu, comme retardateur de flamme et, dans ce cas, il faut éventuellement faire plus d’une application, ou le mélanger avec de l’eau, mais une fois qu’il est appliqué, il reste fermement en place tant qu’il demeure sous forme de gel.
M. Hyndman : Il s’agit d’un continuum. Le retardateur, quand il est sec, va rester en place jusqu’à une pluie abondante. Nous sommes en plein dans cette situation. Pour revenir à ce que disait M. Maddever, l’extinction des incendies est notre spécialité. Le produit demeure ignifuge tant qu’il est hydraté. Des essais internes ont démontré que, même quand il sèche, il conserve un effet protecteur. C’est en fait la principale raison pour laquelle la Marine royale canadienne, dans le cadre du programme Solutions innovatrices Canada, s’est intéressée à notre produit pour assurer une protection préventive à bord des navires. On constate la même chose dans l’interface entre les milieux naturels et les milieux urbains, quand on parle de protection du milieu bâti. Il existe une autre utilisation de notre produit, celle de substitut aux agents mousseux utilisés dans les brûlages dirigés, et c’est le genre de situation où il demeure efficace beaucoup plus longtemps.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Robinson : Voici ma question : où vous approvisionnez-vous en canola? Quelle est votre relation avec les producteurs canadiens de canola et le Conseil canadien du canola? Pouvez-vous nous en parler?
M. Hyndman : Nous avons discuté avec le Conseil du canola. Comme nous essayons de soutenir la chaîne de valeur, nous traitons avec des distributeurs et avec des revendeurs, au Canada et ailleurs dans le monde. Nous obtenons les produits des revendeurs pour cela, ainsi que pour l’amidon dont M. Maddever a parlé. Nous sommes un peu plus bas dans la chaîne de valeur, mais je dois dire que, pendant la pandémie de COVID-19, nous nous sommes montrés insistants auprès du Conseil canadien du canola et d’autres et demandant à pouvoir traiter directement avec les producteurs, parce que la chaîne d’approvisionnement était essentiellement rompue et que les coûts avaient considérablement augmenté. Maintenant que tout cela est réglé, nous traitons de nouveau avec la chaîne hiérarchique. À mesure que nous prenons de l’expansion et que nos quantités d’intrants ont augmenté pour passer de quelque 20 000 litres d’huile végétale à plusieurs camions-citernes pleins, ces discussions pourraient changer.
La sénatrice Robinson : Super.
Je tiens à remercier Mme Seagrave pour ses commentaires sur l’occasion qu’a manquée le Canada, et pour laquelle nous semblons encore payer les pots cassés parce que nous n’exportons que des produits bruts. J’ai l’impression que vos commentaires reprenaient ce que nous avons vu dans le rapport de 2017. Certains l’appellent le rapport de Dominic Barton. Nous allons vraiment passer à côté de l’occasion de profiter d’un grand nombre de débouchés économiques dans le secteur agricole si nous ne décidons pas de miser davantage sur la valeur ajoutée dans ce cas. Je vous remercie de vos commentaires à ce sujet.
Mme Seagrave : Je vous remercie de l’avoir dit.
Pour en revenir sur ce qu’a dit M. Hyndman, et répondre à votre question sur la provenance du canola, surtout compte tenu des obstacles à l’exportation que la Chine a imposés au secteur du canola, nous n’avons pas de broyeurs de canola au Canada, ou nous en avons très peu. Nous exportons 99 % de ce produit sous forme de matières premières brutes. Si nous faisions plus de transformation ici, nous pourrions favoriser et soutenir davantage de technologies comme Eco-Gel de FireRein au Canada. Nous pourrions créer toute cette chaîne de valeur dans une perspective canadienne. C’est tout à fait réalisable. Il n’y a jamais eu d’urgence, alors nous n’avons jamais eu l’incitation nécessaire. Maintenant que l’administration américaine exerce des pressions sur nous, nous devons en faire plus, et les possibilités sont là.
La sénatrice Robinson : Si vous avez des commentaires à soumettre au greffier sur la façon dont nous pourrions contribuer à stimuler l’augmentation de la filière à valeur ajoutée dans notre pays, je vous en serais très reconnaissante.
Mme Seagrave : Je serais très heureuse de le faire.
Je vais faire une dernière observation. En 2019, notre organisation, BIC, et 400 intervenants de partout au pays ont élaboré une stratégie nationale de bioéconomie. Nous n’avons pas réussi à faire adopter cette stratégie par quelque ministère fédéral que ce soit, parce que ce n’était dans le mandat d’aucuns. RNCan a indiqué que son mandat se limitait à la foresterie. Agriculture et Agroalimentaire Canada, ou AAC, que son mandat se limitait à l’agriculture. ISDE a indiqué ne s’occuper que de la technologie, et le CNRC... bref, tout le monde s’est renvoyé la balle.
Nous avons produit cette stratégie en 2019, et les recommandations qu’elle contient sont encore valables aujourd’hui. Si on les mettait en œuvre une à la fois, on serait en fait beaucoup plus avancés. C’est une opportunité qui a été gaspillée en fin de compte : aucun ministère à mandat unique n’était disposé à s’en occuper parce que la stratégie touchait trop de secteurs figés dans une approche cloisonnée, avec trop de ministères hiérarchiques et, en plus, beaucoup trop d’industries. Si nous ne commençons pas à établir des connexions entre ces ministères, ces secteurs et ces industries, nous n’aurons plus cette économie canadienne unique. Nous aurons des économies fragmentées qui subiront les conséquences.
Le président : Je remercie nos témoins d’avoir pris le temps de comparaître devant nous. Cette séance a certainement été informative. Nous vous sommes reconnaissants de votre apport à notre étude, et nous avons hâte de vous faire profiter de notre étude quand nous l’aurons terminée.
Chers collègues, avant de conclure, je tiens à souligner que c’est la dernière journée au Sénat pour le sénateur Richards, puisqu’il prend sa retraite. Sachez que le sénateur Richards a joué un rôle important au sein du comité au fil des ans. Ce fut un plaisir de travailler avec lui. Merci, sénateur Richards.
Je remercie également chaque membre du comité de sa participation active et de ses questions réfléchies, comme toujours. C’est un comité auquel il est passionnant de participer. Comme toujours, je remercie nos collègues qui travaillent dans nos bureaux pour nous préparer à ces réunions et les gens derrière moi, les interprètes, l’équipe des Débats qui transcrit la réunion, les préposés aux salles de comité, les techniciens du service multimédia, l’équipe de diffusion qui veille à ce que tout soit disponible sur le Web, le centre d’enregistrement, ISD et notre page.
(La séance est levée.)