Le Sénat
Motion tendant à exhorter le gouvernement à prendre les mesures qui s'imposent pour désamorcer les tensions et rétablir la paix et la stabilité dans la mer de Chine méridionale—Suite du débat
21 juin 2016
L’honorable Sénateur Michael L. MacDonald :
Je suis ravi d'intervenir aujourd'hui au sujet de la motion fort opportune du sénateur Ngo concernant le comportement hostile de la Chine dans la mer de Chine méridionale. Pour les raisons que j'expliquerai, ce litige a une incidence considérable sur la sécurité et la stabilité dans la région et il est dans l'intérêt collectif de la communauté internationale de le régler.
Étant donné que les tensions continuent d'augmenter et que tous les jours, on nous signale que les activités militaires s'intensifient, il est essentiel que le Sénat donne suite à cette motion dans les plus brefs délais.
Tout d'abord, je tiens à souligner le travail accompli par le sénateur Ngo dans ce dossier. Avant de proposer cette motion, le sénateur Ngo a présenté la question dans le cadre d'une interpellation ici, au Sénat. Par contre, puisque la situation ne cesse de s'envenimer, le sénateur Ngo a pris l'initiative de proposer une mesure plus énergique, en l'occurrence la motion dont nous sommes saisis.
J'invite tous ceux qui n'ont pas entendu son discours sur la motion, ou encore l'interpellation liée à ce dossier, à les lire, car ils donnent un excellent aperçu de la situation et du contexte historique qui a donné lieu à l'escalade des tensions dans cette région.
La motion de sénateur Ngo enverrait un message clair au gouvernement de notre pays : ce qui se passe actuellement en mer de Chine méridionale est inacceptable et le Canada doit faire plus pour favoriser un règlement pacifique.
Premièrement, la motion invite le gouvernement à encourager toutes les parties en cause, et en particulier la Chine, à reconnaître les droits garantis par le droit international et la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer.
Deuxièmement, elle encourage les parties à cesser toutes les activités qui pourraient compliquer ou aggraver les différends, notamment la construction d'îles artificielles et l'accroissement de la militarisation de la région.
Troisièmement, elle les invite à respecter tous les efforts multilatéraux visant à régler les différends et à s'engager à mettre en œuvre un code de conduite contraignant dans la région.
Quatrièmement, elle incite les parties à s'engager à trouver une solution pacifique et diplomatique aux différends et à respecter les ententes de règlement conclues par la voie de l'arbitrage international.
Enfin, cinquièmement, elle les encourage à renforcer les efforts visant à réduire les impacts environnementaux des différends sur l'écosystème de la région.
La sénatrice Martin a parlé de la motion en termes très éloquents et elle a aussi fait entendre la voix de la raison dans le cadre des discussions. Je ne répéterai pas les nombreux faits que mes collègues ont déjà énoncés, mais je pense qu'il est tout de même important que je fasse une mise en contexte pour les sénateurs.
Les revendications territoriales dans la mer de Chine méridionale n'ont certainement rien de nouveau. Ces îles et ces eaux ont fait l'objet de revendications concurrentes, et, hélas, de plusieurs conflits armés tout au long de l'histoire moderne.
Outre la Chine, d'autres pays côtiers de la région, y compris Brunéi, la Malaisie, les Philippines, Taïwan et le Vietnam, font valoir des revendications qui se chevauchent à divers degrés, et les revendications les plus litigieuses concernent notamment l'archipel des Spratly et l'archipel des Paracel.
Honorables collègues, il est important de saisir toute l'ampleur de cet enjeu. Chaque année, environ 30 p. 100 des échanges commerciaux qui se font par voie maritime dans le monde passent par la mer de Chine méridionale, et la valeur de ces échanges est évaluée à 5,3 billions de dollars américains.
De plus, la mer de Chine méridionale renferme d'abondantes ressources halieutiques d'une grande valeur ainsi que d'importants gisements d'hydrocarbures dont l'ampleur se chiffre à 11 milliards de barils de pétrole et à 190 billions de pieds cubes de gaz naturel.
Il ne fait aucun doute que la mer de Chine méridionale a une valeur stratégique et économique substantielle. Les tensions, qui continuent de s'intensifier, menacent de plus en plus la sécurité dans la région, et il faut comprendre que tout conflit qui pourrait survenir dans cette région aurait certainement des répercussions à l'échelle mondiale.
Compte tenu des investissements économiques du Canada dans la région, sans oublier nos démarches concernant le Partenariat transpacifique, les enjeux sont importants pour le Canada.
Les revendications de la Chine à l'égard de la mer de Chine méridionale se fondent sur ce qu'on appelle le « tracé en neuf traits », qui délimite un territoire recouvrant près de 85 p. 100 de la mer. La Chine a fait valoir auprès des Nations Unies qu'elle exerce une « souveraineté incontestable sur les îles situées dans la mer de Chine méridionale et leurs eaux adjacentes, ainsi que des droits souverains et une juridiction sur ces eaux, les fonds marins et leur sous-sol. »
Bien que des pays voisins revendiquent certaines des mêmes zones, leurs revendications sont beaucoup plus modestes.
Comme de nombreux médias l'ont signalé, la Chine a entrepris de construire plusieurs îles artificielles dans la région dans le but de renforcer sa revendication historique. Des images captées par satellite à intervalles réguliers montrent clairement que des récifs sous-marins ont été transformés en îles dotées de ports et de pistes d'atterrissage. Pour créer des îles artificielles, la Chine utilise des barges qui draguent des sédiments des fonds marins et les déposent sur un récif existant. Il s'agit, de toute évidence, d'un processus extrêmement nocif pour l'écosystème fragile de la région.
Selon d'autres nouvelles inquiétantes, l'armée chinoise occupe ces îles artificielles et y déploie des avions de chasse, des drones de surveillance et des missiles antinavires et antiaériens. Des pays voisins ont donc été forcés de réagir, c'est-à-dire d'investir davantage dans leur défense et de renforcer leur présence militaire dans la région.
La militarisation accrue de cette région instable et contestée est inacceptable; c'est un fait que la communauté internationale doit reconnaître. La Chine doit cesser d'agir de façon hostile et agressive et négocier une solution diplomatique fondée sur la primauté du droit.
Les Philippines — qui revendiquent les îles Spratly, comme la Chine, de même qu'une partie de la zone contestée — ont adopté une approche fondée sur les principes et sur la primauté du droit. En 2013, elles ont introduit une procédure arbitrale contre la Chine auprès de la Cour permanente d'arbitrage de La Haye, en vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Établie en 1982, cette convention compte actuellement 167 États signataires. Principal traité international en ce qui concerne les droits et responsabilités des signataires à l'égard des océans, elle prévoit un processus d'arbitrage exécutoire en cas de différends. À la suite de la demande d'arbitrage soumise par les Philippines, la cour a déterminé qu'il y avait motif à examen. Elle doit maintenant annoncer sa décision exécutoire dans les prochains jours.
Quelle que soit la décision de la cour, il sera essentiel que les Philippines et la Chine la respectent et collaborent à résoudre les points litigieux. Leur exemple encouragera les autres États de la région à résoudre les situations où un territoire revendiqué en chevauche un autre.
Cela dit, la Chine n'a pas participé au processus d'arbitrage et a déclaré publiquement qu'elle ne reconnaîtra pas les décisions de la cour. Je n'ai pas à vous rappeler que cette décision sera conforme au droit international et à la Convention sur le droit de la mer. La cour doit procurer une solution arbitrale conforme à cette convention, qui a été signée et ratifiée par la Chine.
En ne participant pas à l'arbitrage et en refusant de reconnaître toutes les décisions, la Chine agira comme une hors-la-loi internationale qui conteste la primauté du droit.
On a dit que, même si le processus d'arbitrage obligatoire est juridiquement contraignant, il a besoin d'un mécanisme d'exécution. Il sera donc essentiel que, peu importe la décision, la communauté internationale exerce des pressions collectives sur les pays concernés afin qu'ils se plient à la décision de la cour et qu'ils règlent les différends de manière pacifique et diplomatique. Le droit international doit l'emporter sur tout.
Je suis certain que le refus par la Chine de respecter une décision sur une question d'une telle ampleur créera un précédent très dangereux.
Si les revendications historiques de la Chine sur la majorité de la mer de Chine méridionale sont réellement légitimes — et ce n'est pas à moi d'en décider —, elles devraient être jugées légitimes en vertu de la loi, et toute revendication contestée devrait être réglée à l'aide des mécanismes juridiques appropriés, conformément aux lois et aux conventions pertinentes.
Comme je l'ai dit, ce n'est certainement pas à moi, ni au Canada d'ailleurs, de déterminer la légitimité des revendications de la Chine. C'est à un tribunal international de prendre cette décision.
Pourtant, je crois fermement que la construction et la militarisation d'îles artificielles à l'intérieur des zones frontalières contestées est un affront aux principes du droit et aux traités ratifiés qui ont permis de maintenir la paix et la sécurité en mer. De tels gestes par n'importe lequel des pays à l'intérieur des zones frontalières contestées ne feront que miner la sécurité et les relations dans la région, nuire aux intérêts internationaux et attiser les tensions dans une partie du monde qui a des antécédents de conflits.
Malheureusement, le comportement agressif de la Chine dans la mer de Chine méridionale est loin d'être le seul exemple illustrant l'évolution inquiétante de la diplomatie chinoise. À plusieurs occasions, la Chine a présenté ce comportement troublant ici même, au Canada.
Il y a quelques mois, je faisais partie d'un groupe de parlementaires canadiens qui ont assisté à une réception organisée par Taïwan au Château Laurier. L'ambassadeur de la Chine nous a fustigés dans la presse, affirmant que nous n'avions pas d'affaire à socialiser avec les Taïwanais.
Quelle audace de nous dire avec qui nous pouvons prendre un repas dans notre propre pays!
Il y a quelques semaines, dans la capitale, le ministre des Affaires étrangères de la Chine a réprimandé un reporter pour lui avoir posé une question sur les droits de la personne. M. Dion, ministre canadien des Affaires étrangères, était assis à côté des fonctionnaires chinois qui cherchaient à nous intimider. Est-il intervenu pour se porter à la défense de la liberté d'expression et de la presse au Canada? Bien sûr que non. Il est resté coi. Chers collègues, c'est du vieil adage juridique qui tacet consentire videtur que nous vient l'expression « qui ne dit mot consent ». M. Dion est devenu complice lorsqu'il a gardé le silence et, en tant que Canadien, j'estime que son comportement était honteux et humiliant.
Le lendemain, le même ministre chinois a piqué une crise, exigeant une rencontre avec le premier ministre malgré le fait qu'aucune rencontre n'était prévue ni nécessairement indiquée. Le premier ministre a tout de suite plié devant sa volonté en accordant une audience à ce grossier personnage. Apparemment, le nouvel « âge d'or » des relations entre la Chine et le Canada consiste pour le premier ministre à faire les quatre volontés de la Chine.
Par ailleurs, comme l'a récemment rapporté le Globe and Mail, le gouvernement de la Chine a publié un guide sur le transport maritime dans le passage du Nord-Ouest pour aider les navires de marchandises chinois appelés à traverser un jour ce périlleux passage. À mon avis, qu'un navire chinois, quel qu'il soit, traverse le passage du Nord-Ouest constituerait une contestation de la revendication du Canada sur le passage ainsi qu'une atteinte à la souveraineté du Canada en général.
Quand le premier ministre du Canada proclame son admiration pour la dictature chinoise, on l'entend à Beijing. Il est de plus en plus évident que, devant les gestes posés par la Chine au mépris du droit international, le gouvernement hésite et refuse tout simplement de sortir de la neutralité. Je pense que la plupart des Canadiens sont moins naïfs que le gouvernement face au comportement dictatorial de la Chine continentale. Pour ma part, j'estime qu'il est temps que le Canada adopte une position plus ferme lorsqu'un État étranger refuse carrément de reconnaître la prépondérance d'une convention internationale dans une affaire comme celle-là.
La primauté du droit est un principe fondamental de notre grand pays et de toute autre société libre et démocratique, et nous devons l'affirmer et la défendre.
Il devrait être clair pour toutes les parties que la militarisation d'îles artificielles à l'intérieur de frontières contestées dans la mer de Chine méridionale au détriment de la sécurité régionale n'est pas une option et qu'elle est inacceptable. Brunéi, la Chine, la Malaisie, les Philippines, Taïwan et le Vietnam doivent s'engager à désamorcer la situation dans la région et à trouver un règlement pacifique et permanent.
La déclaration de 2002 de l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est a permis la mise en place des moyens nécessaires à la tenue de négociations multilatérales en vue de l'adoption d'un code de conduite dans la mer de Chine méridionale. Même si les États membres n'ont pas réussi à s'entendre sur les modalités de ce code, la motion dont nous sommes saisis fournit au Canada l'occasion de réaffirmer la nécessité de telles négociations.
Chers collègues, j'ai eu la possibilité d'assister, au nom du Canada, aux travaux concernant ce dossier, dont plusieurs ont eu lieu en Asie. Au cours d'une récente visite à Taipei, j'ai pris la parole à une réunion de la World League for Freedom and Democracy; j'ai signalé que le Canada était bien placé pour énoncer et défendre les principes qui nous sont chers.
En conclusion, chers collègues, je soutiens que cette motion reflète les principes et valeurs de la société canadienne et que, en tant que parlementaires, nous devons promouvoir et respecter ces valeurs. La motion du sénateur Ngo offre au Sénat l'occasion de jouer un rôle de premier plan en vue de promouvoir un règlement pacifique et raisonné à une situation qui se détériore dans la mer de Chine méridionale.
Une fois de plus, je félicite le sénateur Ngo d'avoir présenté la motion et j'encourage mes honorables collègues à l'appuyer.