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Projet de loi relative à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

Deuxième lecture—Suite du débat

29 novembre 2018


L’honorable Sénateur Peter M. Boehm :

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui afin d’appuyer le projet de loi C-262, Loi visant à assurer l’harmonie des lois fédérales avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

J’avais prévu que ce projet de loi ferait l’objet de ma première intervention au Sénat. Toutefois, comme me l’ont appris ma carrière au sein de la fonction publique et ma brève expérience en tant que sénateur, on n’obtient pas toujours ce que l’on veut, mais parfois, si l’on essaie fort, on peut obtenir ce dont on a besoin.

Cela dit, avant de présenter mes arguments sur l’importance du projet de loi C-262, j’aimerais vous parler un peu de moi, chers collègues.

C’est avec humilité et honneur que je prends la parole devant vous aujourd’hui en cette Chambre. Comme j’ai été toute ma vie un fervent observateur de la politique canadienne, d’abord comme étudiant et, plus tard, comme fonctionnaire, je n’aurais jamais pensé être ici aujourd’hui. Il y a environ deux ans, intrigué par ce que pourrait donner un nouveau processus de sélection ouvert, j’ai présenté ma candidature.

Alors me voici, chers collègues, comme vous tous qui venez des quatre coins de notre grand pays et qui partagez le même sens du devoir, ainsi que le même engagement et le même désir profond de servir les Canadiens. Je me joins à une institution dont les membres, anciens et actuels, assument leurs fonctions avec distinction, puisque plusieurs ont apporté une contribution durable à la société canadienne.

Il y a un dénominateur commun à tous les sénateurs : la croyance inébranlable que le Sénat peut améliorer la vie de tous les Canadiens. Dans ce qu’elle a de meilleur, cette Chambre joue un rôle vital dans l’amélioration de la bonne gouvernance, de la prospérité et de la liberté de notre pays.

C’est ce dernier point qui m’a servi de motivation pour la plus grande partie de ma vie. Comme plusieur d’entre vous, chers collègues, j’ai mes racines dans le tissu ethnique de notre pays. Mes parents, Michael et Anna, sont venus au Canada en tant que réfugiés transylvaniens-saxons depuis ce qui constitue aujourd’hui la Roumanie.

Ils ont été témoins des horreurs de la Seconde Guerre mondiale et ont subi la perte de la propriété et de tous les biens de leur famille. En l’espace d’une seule journée, en septembre 1944, mes parents et mes aïeuls se sont vus forcés de fuir la ville, de quitter les gens qu’ils aimaient et d’abandonner les biens qui leur étaient chers. Ils laissaient derrière eux huit siècles d’histoire familiale.

Mes parents se sont rencontrés à Kitchener, en Ontario, où je suis né. Après 65 ans de mariage, ils vivent encore aujourd’hui dans la maison construite par mon père. Savoir tout ce dont mes parents ont été privés a fait en sorte que j’apprécie bien davantage les libertés dont nous avons la chance de jouir en tant que Canadiens — et que nous tenons souvent pour acquises — et que je les protège jalousement.

Chers collègues, comme plusieurs d’entre vous, ma langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais. Comme bien des gens de Kitchener, les premiers mots que j’ai prononcés étaient auf Deutsch. J’allais à l’école allemande le samedi et j’y apprenais à lire et à écrire la langue de Goethe et de Schiller, mais je ne la maîtrisais vraiment pas aussi bien qu’eux.

Peut-être est-ce mon intérêt pour les langues étrangères, pour le continent que mes parents ont quitté et pour la place du Canada dans le monde qui a forgé mon parcours scolaire et mené à mon désir de travailler pour le Service extérieur de notre beau pays.

J’ai passé la moitié de ma carrière diplomatique à l’étranger, en affectation à La Havane, à San José, deux fois à Washington, et à Berlin. J’ai eu la chance de travailler sous la direction et en compagnie de personnes talentueuses et passionnées, et de recevoir de plus en plus de responsabilités au fil du temps. J’ai, plus particulièrement, eu l’honneur d’être ambassadeur à deux reprises. Entre les affectations, il y avait toujours un intermède de quelques années à Ottawa; un temps précieux, diraient certains, pour garder ses repères et garder les pieds sur terre.

Dans l’esprit des observations faites plus tôt par le sénateur Dean, je suis convaincu que les fonctionnaires qui défendent à l’étranger les intérêts du Canada dans les dossiers de la diplomatie, du commerce, du développement international et des affaires consulaires font partie des meilleurs au monde — à moins qu’ils soient les meilleurs. Ils servent le pays et leurs concitoyens au quotidien, sans s’attendre à sortir de l’ombre ou à recevoir des louanges, et souvent dans des régions dangereuses. J’ai l’intention de défendre leurs intérêts au Sénat.

Occuper ce genre de métier implique des sacrifices non seulement pour les fonctionnaires, mais également pour leur conjoint et leur famille, qui doivent s’adapter à l’instabilité, aux relocalisations et aux problèmes de santé physique et mentale, sans oublier les difficultés en matière de sécurité. De plus, il est difficile de maintenir des liens avec la famille éloignée et les amis en raison des multiples déménagements.

Je suis sûr que tous les sénateurs seraient d’accord pour dire, en raison du temps que les parlementaires doivent passer loin de chez eux et de leurs proches, que la famille est la plus grande source de soutien.

Parmi nos quatre enfants, à mon épouse, Julia, et moi, deux sont nés à l’étranger. Notre fils, Nikolas, est né pendant notre affectation au Costa Rica. Il est atteint d’autisme, ce qui a été l’un des grands défis de notre vie et qui a éveillé mon intérêt pour les questions de santé mentale.

Je félicite les sénateurs Munson, Bernard et Housakos, ainsi que l’ex-sénateur Kirby, de leur travail en vue d’attirer l’attention sur la santé mentale et l’autisme, en particulier. Je compte, moi aussi, porter le flambeau et me tenir à leurs côtés.

Toutefois, j’ai également passé du temps à Ottawa, où, comme haut fonctionnaire anonyme, mais omniprésent, j’ai eu l’occasion d’acquérir un point de vue des politiques encore plus vaste en travaillant directement avec des ministres et des premiers ministres. J’ai eu l’occasion de participer à des négociations bilatérales et multilatérales et, bien sûr, à des sommets internationaux comme celui du G7.

À mon avis, il n’y a pas de plus grand honneur pour un fonctionnaire que d’être le représentant personnel, ou le sherpa, du dirigeant de son pays. J’étais souvent le seul Canadien, mis à part le premier ministre, présent lors des réunions avec des dirigeants d’ailleurs dans le monde. J’ai servi avec fierté de cette façon les trois derniers premiers ministres.

Comme les programmes de sommets sont, pour le moins, exhaustifs, j’en ai beaucoup appris sur le croisement de la politique intérieure et des intérêts mondiaux. J’ai été fier de témoigner de la façon dont les premiers ministres, à la fois libéraux et conservateurs, mettaient leurs talents à profit et servaient les Canadiens à l’échelle internationale.

Je crois que le fait d’avoir été exposé à tout cela m’a bien servi dans ma vie antérieure comme sous-ministre, à la fois en politique étrangère et en politique commerciale, ainsi que dans mes projets les plus récents, qui portent sur le développement international, dans le cadre desquels j’ai dirigé un examen des politiques.

À cet égard, j’applaudis la sénatrice Coyle, qui a souligné la nécessité d’atteindre les objectifs des Nations Unies en matière de développement durable.

Mes champs d’intérêt sont variés et ont évolué au cours de ma carrière. Je dois souligner la sécurité internationale : j’ai vécu personnellement les événements du 11 septembre 2001 pendant mon affectation à Washington et j’ai participé à l’élaboration de notre premier plan d’action qui visait la frontière avec les États-Unis.

J’ai aussi un grand intérêt pour le commerce mondial, le développement international, l’égalité des sexes, l’environnement et les changements climatiques, l’inspiration des jeunes pour la fonction publique et la réconciliation avec nos peuples autochtones, pour n’en nommer que quelques-uns.

C’est de ce dernier sujet que je veux parler maintenant. Le projet de loi C-262 nous demande d’assurer l’harmonie de nos lois nationales avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Cette déclaration a été adoptée en 2007 par 143 États membres de l’ONU. Le Canada était l’un des quatre pays à s’y opposer, mais il l’a finalement adoptée en 2016 après l’avoir appuyée sans la signer en 2010. Bien sûr, le projet de loi C-262 nous demande d’aller un peu plus loin.

La déclaration est un instrument international exhaustif en matière de droits de la personne. Elle couvre et énonce un éventail de droits politiques, économiques, sociaux, culturels, environnementaux et spirituels dont doivent jouir les peuples autochtones.

Même si elle n’est pas juridiquement contraignante comme le serait un traité international, la déclaration n’est pas uniquement un document d’aspirations. En effet, elle reflète les engagements juridiques pris dans la Charte des Nations Unies, diverses obligations découlant des traités et le droit international coutumier.

Les articles de la déclaration établissent un cadre fondé sur des principes de justice, de réconciliation, de guérison et de paix. Elle se fonde sur une approche évolutive, c’est-à-dire qu’il faut l’interpréter en tenant compte de l’évolution de la situation et des conditions dans tous les pays où vivent les Autochtones.

Je veux être bien clair. La déclaration n’est ni un traité, ni une convention, ni un pacte. Contrairement à ces documents, elle ne doit pas nécessairement être ratifiée par le Parlement.

L’adhésion du Canada, en tant que pays des Amériques, à la Déclaration américaine sur les droits des peuples autochtones, qui a été adoptée par l’Organisation des États américains, l’OEA, il y a deux ans, revêt pour moi une importance toute particulière. En tant qu’ambassadeur et représentant permanent du Canada auprès de l’OEA, ce fut pour moi un grand honneur de faire en sorte que Phil Fontaine, qui était alors chef national de l’Assemblée des Premières Nations, prenne la parole devant le Conseil permanent de l’OEA à Washington, en décembre 1998. C’était il y a presque 20 ans. J’étais alors très jeune. Il s’agissait d’un événement historique, puisqu’aucun chef autochtone n’avait jamais pris la parole devant cette entité, et ce, même si, dans plusieurs pays de notre hémisphère, la population est majoritairement autochtone.

Le chef Fontaine a incité les États à intensifier les discussions sur une déclaration américaine ou, si vous voulez, une déclaration de l’hémisphère. Toutefois, il a fallu attendre 18 ans avant que celle-ci se concrétise.

La déclaration des Nations Unies a connu une origine semblable : l’Assemblée des Premières Nations, le Ralliement national des Métis, l’Inuit Tapiriit Kanatami et d’autres groupes ont lutté sans relâche pour que la déclaration voie le jour.

Honorables collègues, la question des droits des peuples autochtones a façonné l’histoire du Canada. Elle fait partie de notre identité. Je songe notamment à l’arrivée des premiers Européens, que ce soit les Vikings à Vinland — l’actuelle province de Terre-Neuve-et-Labrador —, la présence des Français en Acadie et au Québec et leur déplacement vers l’Ouest, ou encore la présence des Anglais sur la côte du Pacifique et leur mouvement de colonisation à l’Est et au Centre du Canada.

À cause des mauvais traitements infligés au cours de l’histoire, la réconciliation a façonné le discours sur les politiques publiques au cours des dernières années. Nous avons fait des pas en avant, des pas de côté et des pas en arrière.

Cela m’a aussi personnellement influencé. Alors que je jouais un rôle périphérique dans les négociations du Canada à l’ONU, et un rôle plus important auprès de l’OEA, on m’a souvent demandé, pendant mon mandat d’ambassadeur en Allemagne, d’expliquer notre histoire commune, les torts du passé et la voie de la réconciliation. Ce n’était pas facile.

Plus récemment, lors de la présidence canadienne du G7, j’ai rencontré les dirigeants autochtones de la région de Charlevoix pour discuter avec eux de leur attachement à la terre, à ses richesses et au grand fleuve Saint-Laurent, de leurs préoccupations pour l’avenir et des aspirations de leurs peuples.

On m’a demandé pourquoi, en tant qu’ancien sous-ministre du Développement international, je pouvais travailler d’arrache-pied pour que l’on verse des fonds aux pays en développement afin que leurs habitants aient accès à de l’eau potable, mais que je ne faisais pas la même chose pour les communautés autochtones dans mon propre pays. À cette question-là non plus il n’était pas facile de répondre. Récemment, on m’a rappelé cette réalité lors d’une table ronde avec de jeunes Autochtones organisée par notre collègue le sénateur Sinclair.

Honorables sénateurs, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est notre sentinelle à mesure que nous avançons vers une réconciliation sincère et, espérons-le, complète. Elle devrait servir à guider les politiques de tous les ordres de gouvernement et elle fournira le cadre juridique normatif nécessaire à la réconciliation entre les Autochtones et les non-Autochtones partout dans le monde. Je crois que le débat que nous venons tout juste d’avoir lors de la période des questions a été particulièrement pertinent, et les travaux du comité le seront aussi à mesure que nous progressons.

Selon mon expérience internationale, il y a seulement quelques pays où les attentes sont extrêmement élevées quant aux résultats concrets que l’on doit obtenir et où les mesures du gouvernement sont surveillées de près, voire reproduites par d’autres États. Le Canada est l’un de ces pays. Notre niveau d’autorité morale est élevé, peu importe le parti politique qui est au pouvoir. Toutefois, même si le Canada est un pays connu depuis longtemps pour être ouvert et juste, nous ne pouvons pas nous asseoir sur nos lauriers.

Pour avoir représenté notre grand pays pendant une bonne partie de ma vie adulte, et en tant que sénateur et Canadien, je suis immensément fier de notre bonne réputation et ce n’est pas une chose que je prends à la légère. Nous ne devons pas tenir pour acquise notre image à l’étranger, honorables sénateurs.

Je souhaite donc souligner que j’appuie le projet de loi C-262 et que j’ai de l’estime pour son parrain, le sénateur Sinclair. C’est une mesure législative qui contribuera beaucoup à tracer la voie pour l’avenir. Honorables collègues, je vous recommande vivement d’appuyer ce projet de loi. Merci. Meegwetch.

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