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Projet de loi sur la modernisation des élections

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

10 décembre 2018


L’honorable Sénateur Pierre J. Dalphond :

Avant que nous en terminions avec le projet de loi C-76, j’aimerais faire quelques commentaires à l’égard de deux points importants qu’a soulevés la sénatrice Frum dans son discours de vendredi dernier.

Le premier a trait à l’utilisation de la carte d’électeur comme preuve d’adresse.

[Traduction]

Lors des élections fédérales de 2015, 49 600 Canadiens se sont rendus à leur bureau de scrutin et se sont vu refuser le droit de voter, parce qu’ils n’avaient pas en main deux pièces d’identité acceptées. De plus, 123 000 autres personnes ont affirmé ne pas s’être rendues au bureau de scrutin, parce qu’elles croyaient ne pas être en mesure de répondre aux exigences relatives à l’identification. Il est temps de corriger cette situation. Ce n’est pas une question de bonté, c’est une question de respect du droit de vote que confère la Constitution à tous les Canadiens.

C’est pourquoi le projet de loi C-76 rétablit l’utilisation de la carte d’information de l’électeur comme l’une des pièces d’identité acceptées aux bureaux de scrutin. Présentement, pour pouvoir voter, une personne doit présenter une pièce d’identité munie d’une photo sur laquelle figurent son nom et son adresse. Dans la plupart des cas, ce n’est pas un problème. D’ailleurs, lors des élections de 2015, 93 p. 100 des électeurs ont pu présenter une pièce d’identité délivrée par le gouvernement comme un permis de conduire sur laquelle figuraient leur nom, leur adresse et leur photo.

Cependant, cela signifie que 7 p. 100 des Canadiens n’ont peut-être pas une telle carte d’identité à portée de main. Ces personnes doivent présenter une autre carte, habituellement leur carte d’assurance-maladie, qui, vous le savez, ne comporte pas l’adresse du titulaire, du moins, pas en Ontario ni au Québec. Pour prouver leur lieu de résidence, ces personnes doivent également présenter un autre document comme un relevé de compte des services publics, un relevé bancaire ou un relevé de carte de crédit. Cependant, elles ne peuvent se servir de la carte d’information de l’électeur. À mon avis, c’est absurde.

Premièrement, pour certains, notamment les personnes âgées, les jeunes et les Autochtones, il peut être difficile de produire un des autres documents acceptés. Prenez, par exemple, les factures de services publics et les relevés bancaires, qui ne peuvent être envoyés par la poste qu’à un seul membre d’un couple.

Deuxièmement, cette règle semble ne pas tenir compte que, pour la plupart des gens, il sera naturel d’apporter la carte d’information de l’électeur au bureau de scrutin, mais pas une facture de service public ou une copie de leur bail.

En réintroduisant la carte d’information de l’électeur, le projet de loi C-76 fait qu’il est plus facile pour beaucoup de gens de prouver leur adresse et je répète que, pour voter, la personne doit présenter une autre pièce d’identité et son nom doit déjà figurer sur la liste des électeurs au bureau de scrutin. Il n’y aucun danger d’imposture.

[Français]

Le deuxième point concerne les citoyens canadiens qui vivent à l’étranger. Je rappelle que le droit de vote basé sur la citoyenneté, indépendamment du lieu de résidence, est reconnu sans limites dans la plupart des États démocratiques modernes. C’est le cas notamment aux États-Unis, où un citoyen américain non résident, même depuis 40 ans, peut voter à l’élection présidentielle et au congrès. S’il peut voter pour choisir l’homme le plus important du monde, il peut sans doute voter pour élire un député au Canada.

Très peu de pays imposent une limite de cinq ans semblable à celle du Canada. Celle-ci ne s’applique pas aux membres des Forces armées canadiennes ni aux fonctionnaires fédéraux, provinciaux ou internationaux qui travaillent à l’étranger; ceux-ci n’ont aucune limite. Ainsi, un employé des Nations Unies qui vit à New York depuis 30 ans a le droit de vote au Canada, la restriction de cinq ans ne s’appliquant pas. Pourquoi l’employé de Bombardier qui vit depuis 10 ans à Paris ou ailleurs dans le monde n’aurait-il pas le droit de voter?

En fait, seuls deux pays démocratiques restreignent le droit de vote en imposant une période de temps : l’Australie, avec une période de six ans, et le Royaume-Uni, qui a une période non pas de cinq ans, mais de 15 ans. Le Canada est donc le pays le plus restrictif en matière de droits démocratiques. De plus, je le souligne encore une fois, il y a des débats dans ces deux pays, autant en Australie qu’en Angleterre, pour retirer la limite de six ans et de 15 ans.

En somme, il s’agit d’un droit tout à fait normal à reconnaître aux citoyens des pays démocratiques. Pourquoi est-ce normal? Parce qu’il est rare qu’un citoyen qui vit à l’étranger ne maintienne pas de contacts avec son pays. Un Canadien qui vit à l’étranger a souvent de la famille qui habite encore au pays ou des enfants qui fréquentent un collège ou une université ici. Il se peut aussi qu’il soit un Canadien retraité qui a décidé de vivre désormais dans une partie du monde où il fait plus chaud.

Saviez-vous qu’il y a plus de 186 200 Canadiens qui sont résidents permanents à l’étranger et prestataires du Régime de pensions du Canada, et que 149 400 sont prestataires de la pension de la Sécurité de la vieillesse et vivent en permanence à l’étranger? Ces gens ne volent pas le Canada, car ils y ont travaillé toute leur vie. Ils reçoivent une pension qu’ils ont le droit de recevoir parce qu’ils ont travaillé 20 ans et plus au Canada. Ces citoyens n’ont-ils pas encore un lien suffisant avec le Canada? N’ont-ils pas un intérêt à ce qu’on paie leur pension de la Sécurité de la vieillesse? N’ont-ils pas un intérêt à ce qu’elle soit indexée? N’ont-ils pas un intérêt à ce qu’elle continue d’être payée et reçue?

Que dire de tous ces citoyens qui vivent à l’étranger, dont une partie des revenus sont de source canadienne? C’est le cas des gens qui reçoivent des dividendes de sociétés canadiennes ou encore une pension privée. Ils paient tous des impôts au Canada, perçus à la source. N’ont-ils pas un intérêt à l’égard des budgets canadiens et de la taxation canadienne?

Finalement, qu’est-ce qui justifie le fait d’exclure tous les Canadiens qui vivent à l’étranger et qui rêvent de revenir un jour au Canada lorsqu’ils prendront leur retraite? C’est bien tout cela que les rédacteurs de la Charte canadienne ont compris en 1982 et qu’il nous faut reconnaître aujourd’hui en retirant cette restriction de cinq ans, adoptée en 1993. Alors, pourquoi hésiter? Ceux qui s’y opposent mentionnent la peur que nos élections soient viciées par des Canadiens qui ne savent plus ce qui se passe au pays ou qui sont contrôlés par une puissance étrangère qui les manipule. Regardons les faits avant de lancer des campagnes de peur.

(2040)

Il n’existe pas de chiffre précis quant au nombre de Canadiens vivant à l’étranger. Les évaluations varient entre moins de 1 million et près de 2 millions. Il est à espérer, avec l’adoption du projet de loi C-21, Loi modifiant la Loi sur les douanes, que nous aurons à l’avenir des données plus fiables.

Par ailleurs, nous savons qu’un citoyen canadien vivant à l’étranger ne peut voter que s’il a fait tout ce qui était nécessaire pour s’inscrire sur la liste électorale et qu’il a démontré qu’il vivait dans une circonscription électorale canadienne avant son départ. De plus, les statistiques démontrent que, aux États-Unis, à peine 10 p. 100 des non-résidants américains font les démarches nécessaires pour s’inscrire afin de voter lors de l’élection présidentielle, le poste le plus important au monde.

Il y a tout lieu de croire que pas plus de 10 p. 100 des Canadiens qui vivent à l’étranger se prévaudront de leur droit d’élire un député dans une circonscription canadienne. Si le projet de loi C-76 est adopté, le directeur général des élections estime qu’à peine 30 000 Canadiens le feront lors de la prochaine élection. Si on se fie aux estimations les plus basses du nombre de Canadiens à l’étranger qui ont le droit de voter, soit près de 1 million de Canadiens, seule une proportion de 2 p. 100 de ces citoyens a voté aux dernières élections et votera au prochain scrutin.

Lors de la dernière élection fédérale, 14 000 citoyens vivant à l’étranger, y compris des fonctionnaires et des membres des Forces armées canadiennes, ont fait l’effort de s’inscrire en temps opportun auprès du directeur général des élections afin de faire partie de la liste électorale. En 2015, parmi ces 14 000 citoyens inscrits, seulement 11 000 se sont donné la peine de voter. Ce n’est pas facile, car ils reçoivent un bulletin de vote en blanc sur lequel ils doivent inscrire à la main le nom du candidat pour lequel ils votent.

Selon les données fournies par le directeur général des élections, des citoyens non résidants ont voté dans des dizaines de circonscriptions différentes lors de la dernière élection. En moyenne, moins de 200 personnes vivant à l’étranger ont voté dans une même circonscription. Un seul cas est plus élevé, soit la circonscription d’Ottawa—Vanier, comme par hasard, dans laquelle beaucoup de fonctionnaires ont habité avant d’aller à l’extérieur et où 496 Canadiens vivant à l’étranger ont voté. Dans cette circonscription, le candidat libéral élu avait une avance de 24 280 voix sur son plus proche rival. Je ne vois aucun danger de fraude dans Ottawa—Vanier ou dans l’immédiat. On entend dire que, éventuellement, « un jour », cela pourrait se produire. Je crois que ce jour est encore lointain.

Chers collègues, n’hésitez pas à voter en faveur du projet de loi C-76 à l’étape de la troisième lecture afin de redonner aux citoyens canadiens la possibilité d’exercer pleinement un droit constitutionnel.

 

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