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Le Sénat

Motion donnant instruction à l’Administration du Sénat de retirer des serveurs du Sénat le site web de l’honorable sénatrice Lynn Beyak et de cesser tout soutien pour tout autre site web connexe jusqu’à ce que le processus d’enquête mené par le conseiller sénatorial en éthique soit conclu—Ajournement du débat

15 février 2018


L’honorable Sénatrice Kim Pate :

conformément au préavis donné le 14 février 2018, propose :

Qu’il soit donné instruction à l’Administration du Sénat de retirer des serveurs du Sénat le site Web de l’honorable sénatrice Beyak et de cesser tout soutien pour quelconque site Web de cette dernière jusqu’à ce que le processus mené par le conseiller sénatorial en éthique à la suite d’une demande d’enquête présentée en vertu du Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs portant sur le contenu du site Web de la sénatrice Beyak et sur ses obligations au titre du Code soit conclu, que ce soit par suite du dépôt de la lettre de détermination préliminaire ou du rapport d’enquête du conseiller sénatorial en éthique, de la présentation d’un rapport du Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs ou d’une décision du Sénat sur la question.

— Honorables sénateurs, l’intention de la motion dont vous êtes saisis est de couper tous les liens entre le Sénat du Canada et le contenu du site web personnel de la sénatrice Beyak jusqu’à l’issue du processus mené par le conseiller sénatorial en éthique relativement à ce site.

Selon la demande d’enquête présentée par nos collègues au conseiller sénatorial en éthique, on craint sérieusement que les commentaires publiés par la sénatrice Beyak, qui sont généralement considérés comme étant à tendance sectaire et raciste, ne « déprécie[nt] la charge de sénateur ou l’institution du Sénat » et contreviennent de ce fait aux articles 7.1 et 7.2 du Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs.

Tant des Autochtones que des non Autochtones, y compris des collègues et des membres du public, nous ont fait savoir, clairement et sans équivoque, que les lettres publiées sur le site web de la sénatrice Beyak sont aussi blessantes qu’inadmissibles, sans compter que bon nombre d’entre elles soulèvent des préoccupations qui incitent au racisme et à la discrimination et qui renforcent ces comportements.

Honorables sénateurs, ce n’est pas une simple question de liberté d’expression. Ces lettres reprennent des stéréotypes discriminatoires et nuisibles sur les peuples autochtones et elles sont affichées sur un site web arborant le nom du Sénat et les armoiries du Canada. Ce sera au conseiller en éthique de déterminer si les ressources du Sénat peuvent servir à propager les mêmes stéréotypes qui étaient derrière les ignobles politiques publiques ayant servi de justification aux pensionnats indiens ainsi qu’à jeter le doute sur les expériences vécues par les peuples autochtones et sur le passé raciste et colonial du Canada, passé que le pays vient à peine de commencer à reconnaître, pour être honnête, et à corriger.

En attendant sa décision, nous devons quand même réfléchir aux torts que l’on cause en laissant de tels renseignements en circulation. Nous savons que tous les messages envoyés à la sénatrice Beyak ne se sont pas retrouvés sur ce site web : ceux qui exprimaient une opinion contraire à la sienne au sujet des pensionnats indiens n’ont jamais été affichés. Voici un exemple de ce qu’on peut y lire :

Je ne suis pas anthropologue, mais j’ai l’impression que tous ces chasseurs-cueilleurs à la culture empreinte d’opportunisme veulent toujours tout avoir tout cuit dans le bec. Entre une culture agricole organisée et industrielle qui chérit l’effort et une autre qui attend patiemment que le gouvernement voie à ses besoins, l’affrontement est inévitable.

En ne refusant pas que de telles attitudes et idées soient affichées sur une page web du Sénat, nous donnerons à de nombreux Canadiens l’impression que nous cautionnons ce type de points de vue trompeurs et gorgés de préjugés. Avec tout ce qui s’est passé cette semaine dans la foulée de l’affaire Stanley, on comprend mieux ce qui arrive quand une institution gouvernementale – le système judiciaire du Canada – envoie un message ambigu : certains y voient un encouragement à la haine et à la violence et se donnent le droit de passer à l’acte.

L’acquittement de M. Stanley, par un jury composé uniquement de Blancs, après qu’il eut tué le jeune Autochtone Colten Boushie, a donné lieu à une montée inquiétante d’actes racistes et violents contre les Autochtones, surtout sur les médias sociaux.

À la séance du Comité des peuples autochtones tenue hier soir, Mme Marie Wilson a répondu à la question de savoir pourquoi les choses ne font qu’empirer, pourquoi un jury composé entièrement de Blancs avait acquitté cette semaine un homme blanc accusé d’avoir tiré sur un autochtone, comme si on se retrouvait aux États-Unis dans les années 1950.

Les opinions exprimées sur le site web de la sénatrice Beyak, qui laissent sous-entendre qu’elle les appuie, en sont une explication convaincante. Lorsqu’une sénatrice permet ouvertement que des gens des Premières Nations de ce pays soient décriés et déshumanisés, elle permet à d’autres de faire de même. En n’intervenant pas, nous maintenons l’ignorance et l’intolérance et nous autorisons d’autres gens à se comporter de la même façon. À mon avis, en ne faisant rien et en permettant à cette situation de perdurer, non seulement nous faisons partie du problème, mais nous encourageons activement les mêmes idées et attitudes qui ont suscité le problème.

Ce n’est pas ce que ce pays représente, et encore moins le Sénat. Le site web de la sénatrice Beyak ternit l’image du Sénat et, par voie de conséquence, celle de tous les Canadiens. Il suffit de jeter un coup d’œil au sud de la frontière pour constater ce qui arrive lorsqu’on laisse le champ libre aux racistes.

Les enjeux sont incalculables pour la crédibilité du Canada, qui s’est engagé à adopter le processus proposé par la Commission de vérité et réconciliation. Il y va aussi de notre crédibilité en tant que sénateurs, qui représentent le public, et en particulier les groupes minoritaires.

Pour reprendre les propos de notre collègue, le sénateur Sinclair, en réponse à ceux qui continuent de lui demander pourquoi les Autochtones n’arrivent pas à tourner la page des pensionnats :

Ma réponse est toujours la même : pourquoi ne pouvez-vous pas toujours vous le rappeler? […] Nous ne devrions jamais oublier, même après qu’on en ait tiré les leçons, car cela fait partie de qui nous sommes, et pas simplement en tant que survivants, en tant qu’enfants de survivants et en tant que parents de survivants, cela fait partie de nous en tant que nation. Et cette nation ne doit jamais oublier ce qu’elle a déjà fait à ses membres les plus vulnérables.

Nous ne demandons pas à nos collègues juifs de même qu’à leur famille ou à leur communauté d’oublier les horreurs de l’Holocauste. Nous n’accepterions pas non plus que l’un d’entre nous tienne les personnes qui ont perdu la vie pour responsables du sort qui a été le leur.

Chers collègues, nous avons l’occasion d’exercer le « comment » de la réconciliation. Pour certains, cela peut sembler être une tâche insurmontable, mais nous devons profiter de cette occasion malheureuse et embarrassante pour faire un pas en avant, un pas facile. En fait, nous avons l’obligation de le faire parce que c’est notre devoir non seulement envers tous les Canadiens, mais aussi envers nos collègues sénateurs, envers notre fonction et envers nous-mêmes. Nous pouvons faire mieux et nous devons faire mieux.

Dans sa lettre ouverte adressée à la sénatrice Beyak, notre collègue, la sénatrice McCallum, nous a rappelé que, en tant que sénateurs, nous sommes les porte-parole de tous les Canadiens. En tant que sénateurs, nous avons le privilège et la responsabilité de voir à ce que la liberté d’expression ne génère pas de haine, de racisme ou de colère à l’endroit de quiconque. J’ai discuté avec la sénatrice McCallum, alors je sais que, il y a deux semaines, elle a envoyé une lettre particulière à la sénatrice Beyak où elle l’invitait à entendre les points de vue de survivants du système des pensionnats indiens et à publier l’ensemble des lettres qu’elle avait reçues à ce sujet ainsi qu’en réponse à ses déclarations. Nous devons être conscients de la responsabilité et du privilège dont elle parle et ne pas laisser quoi que ce soit les minimiser.

La sénatrice McCallum a établi que le Sénat a le devoir — un devoir fondé sur le principe du second examen objectif — de susciter un dialogue avec le Canada et au nom du Canada en misant sur l’art de l’écoute, la transmission et l’enrichissement du savoir ainsi que la compassion.

La famille de Colten Boushie, qui est venue au Sénat et à l’autre endroit cette semaine, nous a également bien fait comprendre la nécessité pour chaque Canadien de faire un effort diligent afin de lutter contre la discrimination à l’endroit des peuples autochtones. Jade Tootoosis Brown, la sœur de Colten, a insisté sur le fait que le dialogue :

[…] doit se poursuivre à l’école et autour de la table du souper. Elle doit se poursuivre dans les milieux de travail et dans les cafés.

Elle doit aussi se poursuivre au Sénat.

Les gestes que nous posons en tant que sénateurs ont d’immenses conséquences. Ma visite à l’école secondaire Dennis Franklin Cromarty, de Thunder Bay, le mois dernier, me l’a rappelé. De jeunes élèves autochtones m’ont donné des lettres qu’ils avaient écrites pour la sénatrice Beyak. Ils souhaitaient lui expliquer que leur expérience et celle de leur famille était aux antipodes des points de vue exprimés par la sénatrice et d’autres personnes sur son site web. Voici ce qu’a écrit un élève :

[…] vous avez seulement parlé des bons côtés de l’expérience que certaines personnes ont vécue dans les pensionnats, mais vous ne dites rien à propos des mauvaises expériences […] Certaines personnes sont mortes quand elles ont tenté de s’enfuir. Beaucoup d’enfants sont morts dans les pensionnats. Certains pensionnaires étaient seuls et ils avaient peur […] Une sage m’a dit que sa vie au pensionnat était horrible […] Elle a encore des cauchemars épouvantables à propos du pensionnat. Elle a des cicatrices sur le corps. Elle s’est pratiquement fait voler sa culture. Sa vie a tellement changé.

Chers collègues, c’est sur cette école-là que portait l’enquête sur la mort de sept enfants qui a été déposée l’an dernier. Comme je l’ai dit aux élèves de Thunder Bay, pendant toute ma vie, je me suis employée à donner aux gens une deuxième chance, à informer encore et encore, à remettre en question des idées, des attitudes et des gestes discriminatoires ou blessants, et à favoriser la réussite de ceux qui, en raison de leur histoire personnelle et familiale, n’ont vraiment pas eu des chances de réussite égales aux autres. Or, quand des personnes qui jouissent de pouvoirs et de privilèges profitent de leur position et de leurs ressources pour opprimer d’autres personnes ou dénigrer leur vie ou leur expérience, je considère qu’il est aussi de notre devoir d’intervenir et de nous objecter à ces comportements. En fait, il m’apparaît irresponsable de ne pas le faire.

Le troisième principe défini par la Commission de vérité et réconciliation est le suivant :

La réconciliation est un processus de guérison des relations qui exige un partage de la vérité, des excuses et une commémoration publics qui reconnaissent et réparent les dommages et les torts du passé.

Hier, la mère de Colten Boushie, Debbie Baptiste, nous a rappelé que, et je cite :

Nos enfants ne devraient pas vivre dans la crainte. Nos enfants devraient pouvoir marcher sur cette terre en toute liberté, sans avoir peur qu’on leur tire dessus ou d’être portés disparus.

Cela fait presque un an que les opinions affichées sur le site web de la sénatrice Beyak ont été remises en question. Je ne conteste pas le droit de la sénatrice Beyak ou de toute autre personne d’exprimer ses opinions, mais je m’oppose fermement à la promotion d’attitudes et d’idées racistes et discriminatoires en mon nom. C’est pour ces raisons que je propose que l’Administration du Sénat soit chargée d’enlever le site web des serveurs du Sénat en attendant la décision du conseiller en éthique concernant l’allocation des ressources du Sénat pour le site.

Merci. Meegwetch.

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