Projet de loi portant sur un conseil national de réconciliation
Deuxième lecture--Suite du débat
18 avril 2023
Honorables sénateurs, je suis une fois de plus très heureuse de prendre la parole sur le territoire traditionnel de la nation algonquine anishinabe.
J’interviens aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-29, Loi portant sur un conseil national de réconciliation. Le conseil créé par ce projet de loi aurait le mandat de surveiller et d’évaluer les efforts de réconciliation du gouvernement fédéral et de l’ensemble de la société canadienne et d’en faire rapport; de souligner et de communiquer les pratiques exemplaires; de consulter les Canadiens dans le but de créer une meilleure compréhension générale de la réconciliation et d’être un catalyseur d’innovation et d’action.
Tout d’abord, j’aimerais remercier sincèrement la sénatrice Audette d’avoir parrainé cette mesure législative et mis à profit son expérience à titre d’ancienne commissaire de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Comme elle l’a dit dans ses observations lorsque nous avons reçu ce projet de loi en décembre dernier :
[...] ce projet de loi est plus que nécessaire; c’est un pas vers la guérison et la réparation.
[...] le projet de loi C-29 nous donne l’occasion de poser le premier montant du shaputuan — la grande tente des Innus — ou de faire un pas vers notre responsabilité collective.
Je suis d’accord au sujet de l’importance et du potentiel du projet de loi C-29. Il s’inscrit dans un contexte d’entités et d’organismes axés sur la réconciliation qui visent à rendre la vie plus facile sur son territoire innu, sur mon bien-aimé territoire du Traité no 6, ici, sur les terres du peuple algonquin anishinabe, et pour les Autochtones et les non-Autochtones d’un bout à l’autre du pays.
Je remercie également les autres sénateurs qui ont contribué au débat sur le projet de loi jusqu’à présent, notamment les sénatrices Dupuis, McCallum et Anderson et le sénateur Patterson. Il ne fait aucun doute que nous partageons tous l’objectif de voir à ce que la réconciliation ne soit pas seulement un mot, mais une description précise de la façon dont nous vivons, dont nous guérissons et dont nous construisons l’avenir ensemble.
Au cours de notre débat, nous avons entendu des préoccupations concernant certains éléments précis du projet de loi, tels que la composition et le mode de financement du Conseil national de réconciliation. Ce sont des questions importantes, sénateurs, que j’ai hâte d’approfondir au sein du Comité des peuples autochtones.
L’objectif principal de mes observations aujourd’hui est d’aborder la question de la genèse du projet de loi et du processus de consultation et d’engagement qui a précédé sa présentation.
Il y a quelques semaines, nous avons entendu la sénatrice Anderson dire que le processus comportait de graves lacunes, au point où nous ne devrions peut-être pas faire avancer le projet de loi C-29 au-delà de la deuxième lecture, du moins pour un certain temps.
J’ai un point de vue différent. D’ailleurs, les chefs autochtones sont en désaccord les uns avec les autres depuis des temps immémoriaux, il n’est donc pas surprenant que les Autochtones du Sénat aient également des points de vue différents sur des projets de loi importants. Je pense que ces désaccords font partie d’un débat sain qui aboutit à un bon projet de loi.
À mon avis, le projet de loi C-29 est le fruit d’années d’efforts menés par les Autochtones, à commencer par la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Cette commission, sous la direction de notre ancien collègue l’honorable Murray Sinclair, a passé des années à parcourir le Canada, a entendu plus de 6 500 témoins — dont la plupart étaient des survivants des pensionnats — et a lancé 94 appels à l’action.
Ces appels à l’action comprennent les appels à l’action nos 53 à 56, qui préconisent la création d’un conseil national de réconciliation et formulent des recommandations sur la manière dont il devrait être doté en ressources et dont les différents pouvoirs publics pourraient interagir avec lui. Il ne suffirait certainement pas de passer directement de l’appel à l’action de la Commission de vérité et réconciliation à une loi. Un processus d’engagement est nécessaire pour passer du point A au point B, et je suis sur le point d’aborder le sujet, mais je pense qu’il est important de garder le contexte à l’esprit.
L’idée du conseil national de réconciliation n’a pas été imaginée lors d’un remue-méninges dans une salle de conférence rue Wellington. Elle est issue des travaux de la Commission de vérité et réconciliation.
Ensuite, en 2017, le gouvernement a créé un conseil d’administration provisoire composé de dirigeants autochtones, inuits et métis pour conseiller la ministre sur la manière de traduire l’idée de la Commission de vérité et réconciliation en un projet de loi et, ultimement, comment aboutir à un conseil qui fonctionne. Parmi les membres du conseil provisoire, il y avait des personnes qui avaient une expérience des gouvernements autochtones, comme Wilton Littlechild, ancien grand chef du traité 6; de l’action communautaire, comme la militante autochtone québécoise de longue date Édith Cloutier; du développement économique, comme Clint Davis, Inuk qui a été le PDG du Conseil canadien pour le commerce autochtone; et du droit des droits autochtones, comme l’avocat métis Jean Teillet.
En plus de mettre à profit leur propre expertise, le conseil intérimaire a créé un mécanisme en ligne pour accepter des mémoires écrits sur la façon dont le conseil national de réconciliation devait être constitué. Le conseil intérimaire a organisé une énorme session de consultation en avril 2018 auprès de dizaines de participants autochtones et non autochtones de partout au pays, provenant de divers milieux et possédant diverses expériences et connaissances.
Parmi les participants, il y avait Melanie Omeniho, présidente des Femmes Michif Otipemisiwak; Jocelyn Formsma, membre du conseil de l’Association du Barreau autochtone et PDG de l’Association nationale des centres d’amitié; Maggie Emudluk Sr, présidente de la Nunavik Langholding Corporations Association; Harold Robinson, avocat métis et médiateur de la Commission canadienne des droits de la personne; Stephen Kakfwi, ancien premier ministre des Territoires-du-Nord-Ouest et survivant des pensionnats autochtones; l’aînée Claudette Commanda, première chancelière autochtone de l’Université d’Ottawa.
Quelques mois après cette séance de consultation, plus tard, en 2018, le conseil provisoire a remis à la ministre un rapport qui a servi de fondement au projet de loi dont nous sommes saisis. À l’époque, ce rapport a été transmis à l’Assemblée des Premières Nations, à l’Inuit Tapiriit Kanatami et au Ralliement national des Métis. En février dernier, chers collègues, ce rapport vous a été transmis, ainsi qu’un résumé de la séance de consultation d’avril 2018.
L’une des recommandations contenues dans le rapport visait la création d’un comité de transition dirigé par des Autochtones afin d’effectuer des consultations plus ciblées et plus techniques, et pour examiner l’ébauche du cadre juridique qui serait élaborée par le gouvernement. Essentiellement, le premier organisme — le conseil intérimaire — a formulé des recommandations conceptuelles à l’avance et a élaboré une première ébauche du projet de loi, tandis que le deuxième organisme — le comité de transition — a eu pour mission d’effectuer le travail plus technique et détaillé de révision du langage législatif au fur et à mesure que le texte était peaufiné.
Le comité de transition a été nommé en janvier 2021, avec certains membres reconduits du conseil intérimaire, ainsi que quelques nouveaux membres nommés. Au début de l’année, le Sénat a eu l’occasion d’entendre plusieurs d’entre eux : Edith Cloutier, que j’ai mentionnée plus tôt; Rosemary Cooper, de Pauktuutit Inuit Women of Canada; Mitch Case, de la Nation métisse de l’Ontario; et Mike DeGagné, ancien président de l’Université Nipissing et de l’Université du Yukon et ancien PDG de la Fondation autochtone de guérison.
Le comité de transition a remis son rapport définitif au ministre en mars 2022. Le ministre a ensuite discuté du projet de loi avec les dirigeants de l’Assemblée des Premières Nations, du Ralliement national des Métis et de l’Inuit Tapiriit Kanatami au début du mois de mai. Le projet de loi C-29 a été présenté à la fin du mois de juin.
Voilà donc le processus qui nous a menés de l’idée lancée par la Commission de vérité et de réconciliation à l’introduction du projet de loi au printemps dernier. D’autres consultations sont prévues, comme l’exige le paragraphe 13(2) du projet de loi, qui indique :
[...] le Conseil consulte diverses personnes possédant des connaissances, une expertise ou une expérience pertinentes, notamment des aînés, des survivants des politiques discriminatoires et assimilationnistes du gouvernement du Canada et des juristes autochtones.
Le gouvernement a délibérément évité d’être trop rigide sur les détails du fonctionnement du conseil, laissant une grande marge de manœuvre au conseil lui-même pour s’engager plus avant avec les individus et les organisations au fur et à mesure qu’il élabore ses méthodes et ses procédures, et détermine ses champs d’action. Néanmoins, il est certainement légitime de penser que les consultations menées jusqu’à présent auraient dû être plus approfondies, qu’il aurait fallu ratisser plus large, ou qu’un plus grand nombre de personnes ou des personnes différentes auraient dû participer d’une manière plus ou moins importante.
Toutefois, je n’accepte pas que le processus que j’ai décrit puisse être qualifié de « peu sérieux ». Au contraire, ce projet de loi est le fruit d’un travail considérable réalisé par des personnalités autochtones remarquables, crédibles et éminentes — des membres des Premières Nations, des Inuits et des Métis qui ont des moyens d’action. Il s’agit de dirigeants autochtones dotés d’une expérience et d’une expertise considérables. Nous leur devons le respect en envoyant ce projet de loi au comité, en les invitant à témoigner et en nous engageant à examiner consciencieusement le produit de leur travail.
En parlant de respect, la marraine du projet de loi C-29 dans notre chambre est aussi une cheffe autochtone remarquable, crédible et éminente qui n’est pas vraiment une novice en matière d’engagement avec les peuples et les organisations autochtones. Cela ne veut pas dire que nous devons tous être d’accord avec la sénatrice Audette ou voter comme elle le voudrait — même si je suis sûr qu’elle le souhaiterait — mais j’espère que cela signifie que notre approche collective à l’égard de ce projet de loi sera studieuse, réfléchie et dépourvue de dérision.
Il importe aussi de nous rappeler que nous ne sommes pas le premier point de contact du projet de loi C-29 avec le Parlement du Canada. Il y a quelques semaines, le sénateur Tannas a soulevé l’exemple de l’ancien projet de loi S-3, que le Sénat a retenu au comité pendant plusieurs mois en 2016 et 2017 pendant que le gouvernement menait des consultations supplémentaires. Il s’agissait toutefois d’un projet de loi présenté au Sénat avant que les députés de l’autre endroit aient eu la chance de se prononcer.
Dans le cas présent, la mesure législative a déjà été étudiée et adoptée par nos collègues à quelques coins de rue. Leur Comité des affaires autochtones et du Nord a tenu huit réunions sur le sujet à l’automne dernier. Il a entendu 38 témoins et apporté plusieurs amendements. Au bout du compte, les députés de tous les partis ont appuyé cette mesure législative à l’unanimité, y compris les députés des Premières Nations, inuits et métis suivants : Lori Idlout, du Nunavut, Michael McLeod, des Territoires du Nord-Ouest, Jaime Battiste, de la Nouvelle-Écosse, Marc Dalton, de la Colombie-Britannique, Leah Gazan, de Winnipeg, et Blake Desjarlais — un ami —, d’Edmonton.
Cet appui ne signifie pas que nous sommes obligés de mettre de côté les préoccupations que nous pouvons avoir. Ce n’est absolument pas le cas, bien au contraire. Il est temps maintenant de soumettre la mesure législative à l’examen du Sénat. Toutefois, lorsque les représentants élus, après avoir mené une étude en profondeur, nous renvoient un projet de loi qu’ils considèrent tous comme digne d’être appuyé, notre travail est — à tout le moins — de le renvoyer au comité pour mener notre propre étude en profondeur.
Au comité, nous entendrons indubitablement des témoignages de la part des architectes et des partisans du projet de loi, ainsi que de ses détracteurs et des gens ayant des questions à son sujet. Je suis impatiente d’entendre tous ces témoins et de leur poser moi-même quelques questions, y compris sur le processus de consultation. J’ai aussi hâte d’analyser le projet de loi C-29 en détail, en tenant compte de leur rétroaction.
L’étude en comité permettra aux voix des Autochtones d’être entendues encore une fois, à divers points de vue d’être pris en considération, et aux sénateurs de déterminer s’il y a des améliorations à apporter au projet de loi. C’est au cœur du rôle institutionnel du Sénat, qui doit servir de Chambre complémentaire dans le parcours législatif de ce projet de loi.
Je ne me fais pas d’illusions : un seul projet de loi ne permettra pas de parvenir à la réconciliation. Cependant, au cours des dernières années, nous avons eu l’occasion d’appuyer des projets de loi sur les langues autochtones, la protection de l’enfance et la gestion des terres; des projets de loi s’attaquant à la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale; des projets de loi mettant en œuvre des ententes sur l’autonomie gouvernementale; et, bien sûr, le projet de loi C-15 concernant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.
À mon avis, le projet de loi C-29 est un élément important de cette série de mesures législatives, à laquelle viendra s’ajouter de nombreuses autres initiatives.
Encore une fois, je remercie la sénatrice Audette d’avoir parrainé ce projet de loi, ainsi que tous les sénateurs ayant participé au débat. Même quand nous sommes en désaccord sur certaines mesures législatives, je sais que nous souhaitons tous parvenir à une réconciliation véritable et efficace.
Dans cet esprit, j’espère que l’étude du projet de loi C-29 par le comité pourra commencer bientôt.
Hiy hiy.
J’aimerais poser une brève question à la sénatrice LaBoucane-Benson.
Merci pour votre discours.
Avez-vous un commentaire à faire sur l’importance de l’organisation respectée qui représente les Inuits du Canada, c’est-à-dire l’ITK, qui a rejeté ce projet de loi parce qu’il porte préjudice aux Inuits du Canada?
Merci pour votre question.
Je ne sais pas s’ils l’ont rejeté parce qu’il porte préjudice. Je sais que Natan Obed a exprimé des réserves. J’ai hâte d’entendre son témoignage au comité et d’avoir une discussion approfondie sur le projet de loi et sur ses réserves. Je pense que j’aurai plus de choses à dire à ce sujet après l’étude en comité.