La Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat
20 octobre 2022
Merci beaucoup. Je suis ravie de prendre la parole aujourd’hui. Bonjour. Tansi. En tant que sénatrice du Manitoba, je reconnais que je vis sur le territoire du Traité no 1, les territoires traditionnels des Anishinabes, des Cris, des Oji-Cris, des Dakotas, des Dénés et de la patrie de la nation métisse.
Je tiens à souligner que le Parlement du Canada est situé sur les territoires algonquins anishinabes non cédés et non restitués.
Je tiens également à souligner que de nombreuses personnes de partout sur l’Île de la Tortue se joignent à nous aujourd’hui, qu’elles soient situées sur des terres cédées ou non cédées.
Honorables sénateurs, aujourd’hui, je prends la parole pour appuyer le projet de loi S-218. Quand elle a présenté ce projet de loi, la sénatrice McCallum — qui est resplendissante en jaune aujourd’hui — a puisé dans sa grande expérience et ses vastes connaissances pour démontrer habilement l’importance de la mesure. Elle a demandé aux autres sénateurs de raconter leurs histoires, d’exprimer leur point de vue sur la mesure législative et de se joindre à elle pour l’appuyer.
Je réponds aujourd’hui à son appel en me mettant à l’écoute de voix différentes de la mienne. Je reconnais que notre perception des priorités et des besoins est limitée par les expériences que nous avons vécues.
Toutefois, en tant que sénateurs, nous devons être sensibles aux besoins particuliers des Canadiens. Il faut que nous les comprenions. Il est encore plus important que nous répondions aux besoins des personnes systématiquement marginalisées et défavorisées.
Je remercie la sénatrice McCallum de sa vision, ainsi que de la persévérance dont elle a fait preuve en ce qui concerne ce projet de loi. Je la remercie aussi d’avoir invité plusieurs experts autochtones à participer à cette discussion.
Aujourd’hui, je veux mentionner une analyse effectuée par Chastity Davis-Alfonse, une femme d’ascendance autochtone et européenne, qui est la présidente du conseil consultatif du ministre sur les femmes autochtones, en Colombie-Britannique. Elle est une experte dans l’analyse comparative entre les sexes chez les Autochtones, aidant notamment les gouvernements fédéral et provinciaux ainsi que le gouvernement national tsilhqot’in à intégrer le point de vue des femmes autochtones dans leurs pratiques quotidiennes.
J’ai posé la question que personne ne semble oser poser à Mme Davis-Alfonse au sujet de ce projet de loi : comme il y a de nombreuses femmes nettement défavorisées au Canada, pourquoi devrions-nous mettre nos efforts sur un projet de loi qui concerne surtout les femmes autochtones?
Voici ce que j’ai retenu de la réponse qu’elle m’a donnée : il faut des mesures législatives qui concernent spécifiquement les Autochtones pour cibler les précédents systémiques et historiques et corriger les défaillances du système canadien, car la plupart des lois — depuis plus de 150 ans — ont en fait contribué à codifier et à consolider ces défaillances systémiques. En d’autres termes, les anciennes et mauvaises lois doivent être remplacées par de nouvelles lois qui corrigeront la situation.
Depuis le premier contact, les femmes autochtones sont opprimées et cette oppression est devenue une pratique historique bien ancrée. La survie des premiers colons a été en grande partie assurée par l’aide des Autochtones, notamment des femmes autochtones. Les colons ont rarement reconnu cette gentillesse en leur rendant la pareille. Au contraire, les mesures oppressives de la Loi sur les Indiens ont retiré aux femmes autochtones le statut et l’appartenance à la lignée au sein de leur communauté en ne reconnaissant que les hommes en tant que dirigeants, supprimant du même coup toutes les structures de leadership matriarcales et matrilinéaires.
De plus, ce musellement des femmes autochtones imposé par la loi allait jusqu’à leur refuser le droit de siéger au sein d’un conseil tribal et à leur refuser le droit de suffrage au niveau fédéral. Plus tôt cette semaine, le 18 octobre, Journée de l’affaire « personne », nous avons eu l’immense plaisir d’accueillir la Dre Gigi Osler au Sénat. Alors que les sénatrices McCallum et Osler faisaient leur entrée dans la salle, je me disais à quel point les choses ont changé depuis le dénouement de l’affaire « personne » en 1929, lorsque les cinq femmes communément appelées les Célèbres cinq ont réussi à convaincre le Comité judiciaire du Conseil privé, au Royaume-Uni, de renverser la décision de la Cour suprême du Canada et de déclarer que oui, effectivement, les femmes canadiennes sont capables d’occuper de hautes fonctions, y compris au Sénat, mais pas les femmes autochtones. Cette décision ne valait pas pour les femmes autochtones et les excluait.
Les femmes autochtones ont été parmi les dernières personnes à obtenir le droit de vote au Canada. Le droit de suffrage leur a été accordé en 1960. En vérité, les femmes autochtones ont été parmi les dernières personnes à être émancipées au Canada parce qu’elles comptaient et comptent toujours parmi les groupes de population les plus opprimés et les plus marginalisés au pays.
Voilà donc pourquoi j’espère que vous vous joindrez à moi pour appuyer le projet de loi S-218. Premièrement, s’il est adopté, le projet de loi mettrait en évidence les besoins imminents des femmes mal servies, en particulier les femmes et les filles autochtones. Sous sa forme actuelle, le modèle de l’analyse comparative entre les sexes ne tient pas suffisamment compte de tous les éléments de l’intersectionnalité.
Comme l’a formulé la sénatrice McCallum, ce modèle considère les femmes comme un « groupe homogène » aux besoins identiques. Cela revient à une sorte d’essentialisme, à savoir la présomption que les personnes du même sexe partagent les mêmes caractéristiques, ce qui ne pourrait être plus éloigné de la réalité. Un témoin entendu par le Comité permanent de la condition féminine de l’autre endroit a rappelé qu’il existe souvent une plus grande diversité chez les femmes qu’entre les femmes et les hommes. La pratique consistant à négliger l’hétérogénéité au sein d’un groupe est particulièrement préjudiciable aux femmes noires, autochtones et de couleur, car elles sont souvent regroupées sans tenir compte des différentes difficultés et expériences que connaissent les divers peuples autochtones.
Pour les personnes queer qui ont une identité sexuelle fluide ou qui sont non binaires ou transgenres, il est difficile d’être reconnu par l’analyse comparative entre les sexes ordinaire.
Nous devons à la générosité innée de la culture autochtone le terme « bispirituel » qui fait maintenant partie intégrante de l’analyse comparative entre les sexes.
Le projet de loi S-218 mettrait au premier plan ces questions de diversité au sein des même des genres. Pour s’attaquer efficacement à une injustice, il faut d’abord clairement cerner le besoin. Le projet de loi S-218 constituera une étape importante et efficace en vue de combler ces lacunes en matière de connaissances, de services et de respect mutuel.
Deuxièmement, le fait d’exiger l’application de l’analyse comparative entre les sexes plus pour les Autochtones aux lois permettrait de combler les lacunes observées au fil des ans.
Cela a été mis en évidence dans le rapport du Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes, qui a souligné que certains secteurs, tels que les pêches, la défense nationale et les infrastructures, sont souvent trop prompts à rejeter l’analyse comparative entre les sexes plus et à la considérer comme non pertinente pour leurs domaines d’activités. En creusant un peu, on arrive à identifier les nombreuses façons dont les femmes et les filles autochtones sont désavantagées dans le cadre des activités quotidiennes de ces secteurs.
L’alinéa 25(2)a) de la Loi sur l’évaluation environnementale de la Colombie-Britannique constitue un bon exemple d’analyse approfondie. Il exige que toutes les évaluations tiennent compte des effets directs et indirects, tant positifs que négatifs, y compris les effets sur l’environnement, l’économie, la société, la culture et la santé, ainsi que les effets cumulatifs négatifs.
Le Bureau des évaluations environnementales de la Colombie-Britannique a publié une ligne directrice détaillée sur la façon de mener ce genre d’analyse. Il a identifié des domaines d’étude potentiels, comme l’emploi, les infrastructures, les services, la santé humaine et la culture. Il pose des questions comme : comment le projet toucherait-il l’emploi autochtone, local ou régional? Quels services communautaires pourraient être touchés de manière plus aiguë par les exigences liées au projet? Existe-t-il des sous-groupes distincts qui pourraient subir différemment les effets néfastes du projet sur la santé? Ce sont d’excellentes questions qui doivent être étudiées dans tous les secteurs d’activité. Le projet de loi S-218 contribuerait à assurer ce type de cohérence analytique et de reddition de comptes.
Troisièmement, compte tenu des vérités historiques douloureuses qui sont progressivement révélées avec la découverte de tombes anonymes sur les sites des pensionnats — dont les survivants nous parlent depuis des années — il est plus qu’approprié que notre Parlement renforce son engagement à consulter et à inclure les peuples autochtones, en particulier les femmes et les filles. L’intégration de ces perspectives par le biais de l’analyse comparative entre les sexes plus est une façon d’y parvenir.
Le projet de loi S-218 nous oblige à refléter et à inclure les attentes et les besoins valables, uniques et spécifiques des femmes et des filles autochtones, et à les soupeser par rapport aux conséquences et ramifications potentielles des décisions prises. Ainsi, ce projet de loi nous permettra d’aller au-delà des mots. Nous agirons pour réparer certaines des blessures d’exclusion causées par le colonialisme, la discrimination et le génocide culturel.
Honorables sénateurs, cette assemblée est riche de voix et d’expériences diverses; nous disposons ainsi de la base nécessaire pour utiliser le pouvoir qui nous est confié en tant que législateurs. Nous pouvons défendre cette modification simple et pratique qui pourrait agir comme catalyseur de changement pour le Canada, en particulier pour tous les genres représentés dans les communautés autochtones du Canada, et ainsi renforcer notre démocratie. Je vous remercie, meegwetch.