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Projet de loi sur le réseau de digues de l'isthme de Chignecto

Troisième lecture--Débat

11 juin 2024


L’honorable Julie Miville-Dechêne [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-273, proposé par l’honorable sénateur Quinn. J’ai finalement choisi d’appuyer cette initiative en comité après avoir sérieusement douté de sa pertinence.

Ce projet de loi propose de déclarer le réseau des digues de l’isthme de Chignecto comme étant à l’avantage général du Canada, et donc d’invoquer le pouvoir déclaratoire du gouvernement fédéral prévu dans la Loi constitutionnelle de 1867.

Nous avons entendu non pas un, ni deux, mais trois experts réputés en droit constitutionnel au Comité des transports afin de bénéficier de l’expertise la plus vaste possible. Les professeurs O’Byrne, Leach et Macfarlane ont comparu devant le comité et ont tous dit qu’il était tout à fait possible et conforme aux règles d’invoquer ce pouvoir déclaratoire pour assujettir les ouvrages de l’isthme de Chignecto aux lois fédérales. Un seul, Andrew Leach, estimait cette désignation inutile, car il jugeait que l’isthme était déjà bel et bien de compétence fédérale, étant donné qu’il enjambait deux provinces, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse.

Tous étaient d’accord sur trois autres points. Premièrement, déclarer un ouvrage à l’avantage général du Canada n’a qu’un seul effet : l’assujettir aux lois fédérales. Deuxièmement, en aucun cas l’invocation de ce pouvoir déclaratoire n’oblige le gouvernement fédéral à dépenser quelque somme que ce soit sur l’ouvrage en question. Troisièmement, le fait que la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse ait été saisie d’un recours visant à faire déclarer l’isthme de Chignecto de compétence fédérale n’empêche en rien les parlementaires de légiférer. Bref, il n’y a aucun véritable obstacle constitutionnel ou juridique à ce projet de loi. Le débat devient donc essentiellement politique, et cela laisse à chaque sénateur la liberté de prendre position.

Il est clair pour moi que ce projet de loi est purement politique. En invoquant le pouvoir déclaratoire dans le projet de loi S-273, le sénateur Quinn cherche à mettre davantage de pression sur le gouvernement fédéral pour qu’il soit plus généreux dans le financement de la réfection des digues de l’isthme et qu’il accepte de payer plus de 50 % de la note. Le fait que ce projet de loi ait obtenu la bénédiction des premiers ministres du Nouveau‑Brunswick et de la Nouvelle-Écosse le rend encore plus politique. J’avoue éprouver un petit malaise avec le fait d’intervenir aussi directement dans un différend entre le gouvernement fédéral et les provinces.

Encore là, le professeur Macfarlane est d’avis que cela n’outrepasse en rien notre rôle de législateur. À cet effet, il a dit ce qui suit :

Il n’y a pas de limites distinctes quant aux divers objectifs visés dans une mesure législative. Le Parlement est libre d’utiliser la loi pour obliger le gouvernement à rendre des comptes, pour lui imposer des obligations directes, et je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas utiliser la loi pour imposer un élément d’obligations symboliques ou politiques par le biais d’instruments juridiques.

Ce pouvoir déclaratoire a été invoqué près de 500 fois depuis la Confédération, comme l’a mentionné le sénateur Gold. La professeure Nicole O’Byrne, de l’Université du Nouveau‑Brunswick, a déclaré elle aussi que quand le Parlement invoque ce pouvoir, il s’agit d’une décision entièrement politique, dont les tribunaux ne peuvent être saisis. Toutefois, la professeure O’Byrne nous ramenait aussi aux origines du pacte constitutionnel et à sa toile de fond. La construction d’un chemin de fer reliant Halifax à Québec était une condition à l’entrée des provinces de la Nouvelle‑Écosse et du Nouveau-Brunswick dans la Confédération. C’est encore cette voie ferrée, essentielle à l’approvisionnement des Maritimes, qui traverse l’isthme de Chignecto et qui est menacée par les changements climatiques. La professeure O’Byrne a ajouté que, historiquement, le gouvernement fédéral a payé l’essentiel de la facture dans des travaux d’infrastructure quand les provinces n’avaient pas la capacité de le faire.

Par ailleurs, l’étude du projet de loi ne se faisait pas dans le vide. En pleine étude du comité, le premier ministre Trudeau a annoncé en grande pompe que le gouvernement fédéral allait racheter le pont de Québec et payer la totalité des frais de réfection, à raison de 40 millions de dollars par an durant 25 ans. Il s’agit d’une infrastructure importante pour le corridor du fleuve Saint-Laurent, a-t-il dit. Sans nul doute.

Le lendemain, le premier ministre s’est rendu à Bathurst et a rencontré des journalistes locaux, qui lui ont demandé pourquoi le gouvernement fédéral finançait 100 % de la réfection du pont de Québec, mais pas plus de 50 % des travaux de rénovation de l’isthme de Chignecto. La réponse du premier ministre m’a surprise. Je le cite :

Bien, c’est un lien essentiel, mais c’est une autoroute provinciale [...] On va être là en tant que partenaire. Mais ce serait peut-être un petit peu plus crédible si les gouvernements de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick prenaient plus au sérieux la lutte contre les changements climatiques. [...] Ils sont en train de faire ce que malheureusement trop de politiciens conservateurs font, c’est-à-dire de chercher de l’argumentation facile pour ne pas faire les investissements nécessaires dont leurs citoyens ont besoin, qui sont leur responsabilité à faire.

Je suis restée bouche bée en entendant cela. Faut-il comprendre que la décision du gouvernement fédéral de payer pour la rénovation d’infrastructures critiques dépend de la couleur politique des gouvernements provinciaux?

Sommes-nous revenus au temps de Duplessis, quand il fallait « voter du bon bord » pour que nos routes soient financées?

Pour ma part, il est clair que l’isthme de Chignecto enjambe deux provinces, qu’il comprend une ligne de chemin de fer, que son histoire est intimement liée au pacte de la Confédération et qu’il s’agit tout autant d’un ouvrage à l’avantage général du Canada que le vieux pont de Québec, sinon plus.

Pour une sénatrice québécoise qui croit à l’équité entre les provinces, cette différence de traitement m’a déplu. Je vais donc voter en faveur du projet de loi S-273, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer.

Merci.

L’honorable Réjean Aucoin [ - ]

Honorables sénateurs, j’aimerais tout d’abord dire que je suis d’accord avec les commentaires du sénateur Quinn. De plus, j’ai lu aujourd’hui un article qui parlait du glacier Thwaites, en Antarctique, et qui indiquait que si celui-ci devait fondre d’ici les 100 ou 150 prochaines années, les experts ont conclu qu’il allait fondre encore plus vite que prévu. En effet, la mer s’infiltre à 3,7 kilomètres sous le glacier, ce qui a pour effet de contribuer à la hausse annuelle de 3,7 mètres du niveau des mers. Le monde perd déjà 50 milliards de tonnes de glaces annuellement, ce qui équivaut à une hausse de 4 % du niveau des mers. Cette étude a été publiée cette semaine.

Honorables sénatrices et sénateurs, je voudrais faire part de mes réflexions sur le très important projet de loi S-273, qui est parrainé par notre collègue le sénateur Quinn.

Je considère comme primordial de prendre la parole aujourd’hui pour discuter de l’importance vitale de préserver les digues de l’isthme de Chignecto et de reconnaître le rôle central que cet isthme joue dans l’économie du Canada.

L’isthme de Chignecto est le nom de l’étendue de terre reliant le Nouveau-Brunswick à la Nouvelle-Écosse; il est légèrement au-dessus du niveau de la mer. Il comprend un réseau de digues et d’aboiteaux qui a été installé à la fin des années 1600 par les Acadiens, possiblement certains de mes ancêtres. Ce réseau protège actuellement les collectivités, les infrastructures, les terres privées et les ressources naturelles qui se trouvent sur l’isthme.

Les digues de Chignecto, avec leur histoire riche et leur fonction cruciale, sont bien plus que de simples structures de béton et de terre. Elles représentent une infrastructure protégeant un lien essentiel entre la Nouvelle-Écosse et le reste du continent nord‑américain, un lien qui ne doit jamais être sous-estimé ni négligé.

Tout d’abord, il est impératif de comprendre l’importance économique de l’isthme de Chignecto pour l’ensemble du Canada. Ce corridor terrestre et maritime est un axe majeur du commerce et du transport de marchandises. La Transcanadienne et la ligne de chemin de fer du CN traversent l’isthme de Chignecto et sont le lien terrestre et ferroviaire par où transitent environ 35 milliards de dollars de marchandises et de biens et services chaque année.

Ces denrées et marchandises voyagent dans les deux directions; elles proviennent de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse pour aller vers l’Ouest, mais les denrées et marchandises que l’on retrouve au Nouveau-Brunswick, au Québec et en Ontario arrivent d’aussi loin que la Colombie-Britannique. De plus, cette bande de terre abrite des éoliennes et d’importantes lignes de transport d’électricité et de télécommunications.

Chaque jour, des milliers de camions transportent des biens essentiels pour les Canadiens et traversent l’isthme de Chignecto. Des denrées alimentaires aux fournitures médicales en passant par les produits manufacturés, une multitude de biens traversent ce passage stratégique pour atteindre les marchés canadiens et même américains, contribuant ainsi à l’approvisionnement continu des villes et des régions de tout le pays. Ces marchandises représentent une partie essentielle de l’économie canadienne, soutenant des industries variées d’un bout à l’autre du pays et créant des emplois dans de nombreux secteurs.

En raison de sa position stratégique et de son importance pour le Canada, nous sommes d’avis que des travaux sont essentiels pour protéger ce lien de terre face aux changements climatiques dont nous sommes témoins. C’est là que les digues de Chignecto entrent en jeu. Ces structures ingénieuses protègent les terres des inondations et des tempêtes, garantissant ainsi la sécurité des voies de transport terrestre et maritime. Sans elles, les routes pourraient être submergées, les voies ferrées pourraient être endommagées et les ports pourraient devenir inaccessibles, ce qui paralyserait le flux vital de marchandises à travers le pays.

En outre, la préservation des digues de Chignecto revêt une importance environnementale cruciale. En plus de protéger les terres agricoles et les infrastructures, ces digues préservent également des écosystèmes fragiles le long de la côte. En assurant la stabilité des terres et la prévention des inondations, elles protègent les habitats naturels et les espèces qui en dépendent, contribuant ainsi à la préservation de la biodiversité de la région.

Chers collègues, il est de notre devoir de préserver et de protéger les digues de l’isthme de Chignecto pour les générations futures. Leur importance ne peut être surestimée. Elles sont le fondement même de notre économie et de notre sécurité en assurant un flux continu de biens essentiels partout au pays. En investissant dans leur entretien et leur développement, nous investissons dans l’avenir du Canada tout entier.

À mon avis, il s’agit d’une responsabilité constitutionnelle que le gouvernement canadien entretienne ce lien; je crois que les critères du gouvernement fédéral pour le financement des liaisons de transport importantes devraient être les mêmes dans toutes les provinces.

Ainsi, il va de soi que l’isthme de Chignecto et les ouvrages qui sont nécessaires à sa préservation devraient être déclarés à l’avantage général du Canada. Ceci permettrait aux provinces de négocier avec un seul interlocuteur, soit le gouvernement fédéral. Dans l’état actuel des choses, si une province complète sa partie des réparations, mais que l’autre ne fait rien, une tempête pourrait endommager grandement les deux côtés de la frontière entre la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick.

En conclusion, je vous exhorte tous à reconnaître l’importance capitale des digues de l’isthme de Chignecto et à soutenir les efforts en vue d’assurer leur préservation. L’isthme de Chignecto est un lien terrestre stratégique qui est menacé par la montée du niveau des eaux et par les changements climatiques. En appuyant ce projet de loi, nous pouvons assurer la pérennité de cet important corridor économique et garantir la prospérité de notre nation pour les années à venir.

Merci beaucoup.

L’honorable René Cormier [ - ]

Chers collègues, je prends brièvement la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-273, Loi déclarant le réseau de digues de l’isthme de Chignecto et ses ouvrages connexes comme étant des ouvrages à l’avantage général du Canada, qui a été déposé dans cette enceinte par mon collègue néo-brunswickois le sénateur Quinn, que je remercie. Plusieurs choses ont été dites. Je ne parlerai donc pas de développement économique, de circulation des biens et des services ou de lien terrestre et ferroviaire, bien que je reconnaisse l’importance de ces questions sur cette partie du territoire. En ce sens, j’adhère complètement aux propos de mon collègue acadien, le sénateur Aucoin, que je remercie de son intervention.

Je tiens à souligner que les terres à partir desquelles je vous parle font partie du territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe.

À la lumière de l’étude dûment menée par le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, y compris sur l’émergence de nouveaux faits liés à ce projet de loi, permettez-moi de préciser les motifs pour lesquels je compte l’appuyer. Rappelons que cette mesure législative rendrait le gouvernement fédéral responsable des travaux de restauration des digues de l’isthme de Chignecto par l’entremise d’une déclaration du Parlement affirmant que ces travaux sont à l’avantage général du Canada, et ce, conformément à l’alinéa 92(10)c) de la Loi constitutionnelle de 1867.

Je dirais d’emblée que j’ai bien pris connaissance des propos tenus en comité par ma collègue la sénatrice Clement, selon laquelle ce projet de loi pourrait refléter une rupture profonde des négociations entre les différents ordres de gouvernement. Évidemment, de mon point de vue, une approche collaborative est importante pour toute question qui touche le Canada dans son entier.

J’ai également lu avec intérêt les commentaires de M. Andrew Leach, professeur à la faculté des arts et à la faculté de droit de l’Université de l’Alberta, qui a comparu devant le Comité des transports et selon qui le projet de loi ne semble pas imposer d’obligation positive au gouvernement fédéral d’entretenir, de financer ou intervenir de toute autre manière pour soutenir le réseau.

On peut également s’interroger sur l’utilité intrinsèque d’un tel projet de loi, d’autant plus que le réseau de digues pourrait déjà relever de la compétence fédérale en vertu de l’alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867.

Néanmoins, chers collègues, je reconnais que cette proposition législative est réclamée par un nombre important d’acteurs clés de ma région. Comme on l’a souvent dit, nous avons tous été nommés à la Chambre haute pour représenter notre province ou territoire. La représentation effective des intérêts régionaux est au cœur de notre mandat sénatorial et constitue l’un des piliers de cette institution démocratique.

Il va sans dire que si l’assemblée législative de ma province, incarnant essentiellement la volonté générale de la population néo-brunswickoise, se prononce sur un sujet qui concerne directement nos travaux parlementaires, il me paraît nécessaire de lui accorder une certaine attention et déférence.

À cet égard, le 17 mai dernier, une motion a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick pour exhorter le Parlement à adopter le présent projet de loi. Ladite motion fait notamment référence au fait que l’isthme de Chignecto est un corridor commercial ferroviaire d’importance nationale et qu’il est particulièrement vulnérable aux effets de la montée du niveau de la mer et de phénomènes météorologiques de plus en plus violents. Toutes les formations politiques de ma province, sans exception, ont soutenu ce projet de loi. L’Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse a également adopté une résolution semblable. À mon sens, il s’agit d’actions législatives non négligeables.

Notre mandat sénatorial consiste également à représenter les intérêts des minorités et des groupes généralement sous-représentés à l’autre endroit, notamment les Autochtones et les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Il est primordial de prendre en compte leurs intérêts et leurs besoins dans nos processus d’élaboration de politiques publiques. Je crois que vous serez d’accord avec mes propos.

En mai dernier, la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), de concert avec la Fédération acadienne de la Nouvelle‑Écosse (FANE) et la Société nationale de l’Acadie (SNA), l’organisme porte-parole du peuple acadien sur les scènes nationale et internationale, a soumis un mémoire au Comité sénatorial des transports et des communications. Ce document accordait un soutien indéfectible au projet de loi S-273.

Voici l’un des passages pertinents de ce mémoire, et je cite :

La Loi sur le réseau de digues de l’isthme de Chignecto est une avancée de taille pour la préservation, mais plus encore pour la protection de cette région riche en histoire. La région est également d’une prééminence vis-à-vis de l’intérêt général, surtout dans le contexte d’infrastructures d’importance nationale et stratégique. Le libellé de l’article 4 du projet de loi S-273 est catégorique : ‘Le réseau de digues de l’isthme de Chignecto et ses ouvrages connexes sont déclarés être des ouvrages à l’avantage général du Canada’.

Comme l’a explicitement dit la cheffe Rebecca Knockwood de la Première Nation de Fort Folly devant le Comité des transports, les chefs mi’kmaqs de ma province soutiennent également le projet de loi. Je souligne aussi que les amendements adoptés en comité ont pris en compte les avis notamment exprimés par l’avocate Jessica Ginsburg au nom de Kwilmu’kw Maw-klusuaqn, une organisation qui soutient l’Assemblée des chefs mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse.

Grâce aux témoignages et aux mémoires, le Comité des transports a également entendu d’autres parties prenantes favorables au projet de loi, notamment l’Union des municipalités du Nouveau-Brunswick, qui représente 56 municipalités et près de 80 % de la population, y compris des collectivités situées le long de l’isthme de Chignecto.

Chers collègues, tout en reconnaissant l’importance de cette région pour la circulation des biens et services et pour le renforcement du développement économique de notre région, et compte tenu de la place historique et culturelle unique qu’occupe l’isthme de Chignecto dans l’imaginaire collectif des peuples mi’kmaq et acadien de cette région, le projet de loi S-273 réaffirme l’idée selon laquelle le système de digues et d’aboiteaux de l’isthme de Chignecto, dont l’importance économique et patrimoniale demeure incommensurable pour les habitants de cette région, notamment les Acadiens et les Mi’kmaqs, est dans l’intérêt général du Canada.

J’adhère complètement à ce principe, d’autant plus que ce territoire est au cœur de l’identité même des peuples acadien et mi’kmaq et des provinces atlantiques. Je vous invite ainsi à voter en faveur de ce projet de loi. Pour montrer à quel point ce territoire est important pour le peuple acadien notamment, je nous invite également à ouvrir nos horizons à de nouvelles possibilités de valorisation de ce territoire unique. Pour des raisons écologiques, économiques, historiques et patrimoniales, les trois organismes porte-parole du peuple acadien que j’ai cités plus tôt proposent l’idée particulièrement intéressante de créer un nouveau parc national de l’isthme de Chignecto.

Dans leur mémoire transmis au Comité des transports, ils allèguent trois principaux avantages à ce projet novateur, et je cite :

[...] il permet au gouvernement du Canada de protéger l’isthme contre les ravages du changement climatique de façon efficace grâce à la participation concertée de plusieurs ministères et agences, notamment Travaux publics et infrastructures Canada et Parcs Canada. Ensuite, il permet de jumeler deux établissements patrimoniaux — le fort Beauséjour et le Fort Lawrence — dans le même endroit. Enfin, il lui permet de valoriser la présence et les activités du peuple Mi’kmaw et des Acadiens de Beaubassin, y compris le réseau de digues et d’aboiteaux [...] qu’ils ont érigé il y a plus de trois siècles et qui protège encore l’isthme.

Aussi, dans le cadre de son étude sur l’incidence des changements climatiques sur les infrastructures essentielles dans le secteur des transports et des communications, je souhaite ardemment que le Comité sénatorial permanent des transports et des communications tienne dûment compte de cette proposition dans l’élaboration de son futur rapport.

Je conclurai, chers collègues, en vous racontant une anecdote de mon enfance, quand mon père nous amenait fréquemment en Nouvelle-Écosse en passant par ce fameux passage, l’isthme de Chignecto. Sans entrer dans une diatribe poétique, je dirai ceci : mon père nous rappelait sans cesse à quel point ce territoire spécifique avait été déterminant dans l’édification de notre pays et dans la réunion des différentes provinces de l’Atlantique. Il mettait constamment en valeur l’importance qu’a eue le peuple acadien — sans vouloir être chauvin — dans la construction de ces digues, qui ont permis au Canada d’être ce qu’il est aujourd’hui, particulièrement dans cette région.

C’est pour ces raisons que j’avoue être un peu émotif, mais en même temps pour toutes les considérations que j’ai énoncées ici aujourd’hui, que je vous invite tous et toutes à voter en faveur de ce projet de loi. Je vous remercie.

Honorables sénateurs, nul ne devrait douter que l’isthme de Chignecto est l’un des points de jonction les plus importants et les plus menacés au Canada. C’est l’un des corridors de transport crucial de notre pays. Il relie la Nouvelle-Écosse au reste du Canada et il permet de transporter des milliards de dollars de marchandises entre le port d’Halifax et tout l’Est du Canada.

À quel point est-il important et névralgique? Permettez-moi de vous faire part du témoignage de l’un des témoins devant le Comité des transports et des communications à ce sujet. Il s’agit de David Kogon, le maire d’Amherst, en Nouvelle-Écosse. Je le cite :

Si l’isthme de Chignecto était inondé, la voie ferrée, la route Transcanadienne, les lignes de transmission d’électricité, un pipeline de gaz naturel et les éoliennes de la région seraient touchés.

Il a ajouté :

De plus, entre le quart et le tiers de la ville d’Amherst serait submergée. La protection propre du réseau de digues garantit aussi la sécurité du corridor de transport, d’Amherst, des autres localités voisines et des vastes zones agricoles fertiles. Les zones protégées par les digues se trouvent sous le niveau de la mer. Si elles étaient submergées, l’eau ne s’écoulerait pas : elle y resterait de façon permanente, ce qui entraînerait des conséquences majeures.

En outre, il nous a assuré que ce n’était pas une projection farfelue. Je le cite :

Les tempêtes majeures sont beaucoup plus fréquentes ces dernières années, et il nous faut souligner l’urgence de la question. En effet, si l’un des prochains phénomènes météorologiques violents coïncide avec la marée haute, la combinaison sera fatale au réseau de digues, et l’isthme sera inondé pour toujours.

Lorsque j’ai demandé au maire si l’isthme allait être submergé par la montée du niveau de la mer, il m’a expliqué que la menace la plus réelle et la plus actuelle était plutôt l’augmentation des tempêtes violentes provoquées par les changements climatiques, qui pourraient submerger les digues même avec le niveau actuel de la mer :

Le problème, c’est la vulnérabilité causée par les changements climatiques. Ce n’est pas que les digues cèdent, mais que le niveau de l’eau passe au-dessus lors de l’une de ces tempêtes. Donc, même si la ligne de chemin de fer est en bon état, même si la route est en bon état et même si les lignes de transport d’électricité sont en bon état, cela ne servira à rien en cas d’inondation.

Nous sommes vulnérables. Il pourrait y avoir une marée haute, une pleine lune et un ouragan à tout moment. C’est pourquoi nous estimons qu’il est très urgent d’entreprendre des efforts d’atténuation.

Son collègue et voisin Andrew Black, maire de Tantramar, au Nouveau-Brunswick, s’est exprimé avec la même passion au sujet de cette menace. Il a affirmé ce qui suit :

Les habitants de Tantramar se considèrent chanceux de vivre en de tels lieux. D’ailleurs, les vasières aux apparences de crème au chocolat, les magnifiques marais et la biodiversité de cette région ont été intégrés à notre histoire, à notre art, à notre musique, à notre culture, à nos possibilités éducatives, ainsi qu’au tourisme et à l’économie.

Cependant, il a aussi dit ceci :

[...] [N]ous sommes en permanence taraudés par la crainte que tout soit emporté par la tempête parfaite. L’isthme de Chignecto [...] est une langue de terre étroite faisant le pont entre le Nouveau-Brunswick à la Nouvelle-Écosse et s’étendant de la baie de Fundy, d’un côté, jusqu’au détroit de Northumberland de l’autre. La majeure partie de ces terres se trouve bien en dessous du niveau de la mer et il faudrait peu pour qu’elles soient inondées.

[...] [N]ous savons tous maintenant, d’après les inondations du passé et l’évolution rapide du climat, que la question n’est pas de savoir « si » l’isthme sera submergé, mais « quand ».

Par conséquent, je ne doute pas un seul instant de l’urgence de cette question ni de la nécessité absolue d’agir en temps opportun. Je tiens à remercier le sénateur Quinn d’avoir mis cette question au programme national et de tout le travail qu’il a accompli pour défendre les intérêts des gens qui habitent dans la région et qui considèrent que la question de la protection de cet isthme sera déterminante pour leur avenir. Je ne peux pas lui reprocher d’avoir l’impression qu’on ne tient pas compte des préoccupations des gens de la région. Croyez-moi, en tant qu’Albertaine qui représente une province de 5 millions d’habitants qui a seulement six sièges au Sénat, je peux compatir avec lui.

Je prends néanmoins la parole aujourd’hui pour m’opposer à ce projet de loi. Ce n’est pas parce que je veux laisser le gouvernement fédéral s’en tirer à bon compte, mais plutôt parce que le projet de loi n’est pas la façon d’obliger quiconque à Ottawa à faire quoi que ce soit et parce que je ne pense pas que nous devrions utiliser le pouvoir déclaratoire extraordinaire de la Constitution d’une façon désinvolte ou inutile.

Comme l’ancien juge en chef sir Lyman Poore Duff l’a écrit en 1929, le pouvoir déclaratoire est « des plus exceptionnels »; il donne au gouvernement fédéral l’énorme pouvoir d’assumer la compétence sur des questions qui relèveraient autrement du contrôle exclusif d’une province.

L’article 92 de la Constitution décrit le partage des pouvoirs : ce qui relève des provinces et ce qui relève du fédéral. L’alinéa 92(10)c) vise les travaux et entreprises qui :

[...] bien qu’entièrement situés dans la province, seront avant ou après leur exécution déclarés par le parlement du Canada être pour l’avantage général du Canada, ou pour l’avantage de deux ou d’un plus grand nombre des provinces.

L’avenir du réseau de digues de l’isthme de Chignecto représente-t-il une urgence nationale? Tout à fait. Serait-il dans l’avantage général du Canada ou de celui d’au moins deux provinces de le réparer et de le protéger contre les tempêtes? Qui pourrait le nier? Permettez-moi toutefois de relire un passage de la disposition : « bien qu’entièrement situés dans la province ». Le réseau de digues de Chignecto ne se trouve pas dans une seule province. Il relie le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse.

Il y a une tentative dans le projet de loi de laisser entendre qu’il en serait autrement. Il définit explicitement le réseau de digues de l’isthme de Chignecto comme deux éléments distincts :

a) le réseau de digues destiné à la gestion des eaux et entièrement situé dans la partie néo-écossaise du corridor commercial de l’isthme de Chignecto;

b) le réseau de digues destiné à la gestion des eaux et 25 entièrement situé dans la partie néo-brunswickoise du corridor commercial de l’isthme de Chignecto.

Même si je respecte et je salue grandement l’engagement du sénateur Quinn envers les habitants de l’isthme, ce n’est pas un argument très convaincant.

Permettez-moi également de citer le témoignage de M. Andrew Leach, de la Faculté de droit de l’Université de l’Alberta, qui est à la fois une sommité de l’histoire du pouvoir déclaratoire et un expert en économie de l’environnement :

Les ouvrages (les « choses matérielles ») et les entreprises (« un arrangement dans le cadre duquel [...] des choses matérielles sont utilisées ») ne peuvent relever de la compétence provinciale que si elles se trouvent entièrement sur le territoire de la province. Le réseau de digues, d’aboiteaux et de ponceaux se trouve de part et d’autre de la frontière, mais aussi, dans le cas de la structure de contrôle des eaux de la rivière Missaguash, de l’autre côté de la frontière. [...] Le réseau de digues est « intégré sur le plan fonctionnel ». Les réseaux du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse ne semblent pas pouvoir fonctionner efficacement ni être modernisés indépendamment l’un de l’autre. [...]

Dans le mémoire qu’il a soumis au comité, M. Leach a cité une décision rendue en 1905 par le juriste britannique lord Edward Macnaghten, qui s’est prononcé sur une affaire concernant l’utilisation du pouvoir déclaratoire à l’égard des ouvrages de Bell Canada. Le lord Macnaghten a écrit ce qui suit :

[...] s’ils avaient été « entièrement situés dans la province », l’effet aurait été de donner une compétence exclusive sur eux au Parlement du Canada; mais dans la mesure où les travaux et l’entreprise [...] n’étaient pas confinés dans les limites de la province, cette partie de la déclaration semble n’avoir aucun sens.

C’est, je le crains, le problème auquel nous sommes confrontés en l’occurrence. Sur le plan juridique, exiger que le gouvernement du Canada déclare que le réseau de digues est à l’avantage général du Canada n’a aucun effet. Les ouvrages ne sont manifestement pas situés dans une seule province. On pourrait dire, comme l’ont fait M. Leach et des premiers ministres provinciaux, que le réseau de digues pourrait déjà être de compétence fédérale.

En effet, le Parlement a déjà décidé que cela relevait de sa compétence lorsque, en 1948, il a adopté la Loi sur l’utilisation des terrains marécageux des provinces maritimes, qui concernait précisément l’isthme. Le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse avaient accepté de coopérer avec le gouvernement fédéral à l’administration de cette loi. On pourrait aussi dire qu’il ne s’est rien produit depuis qui porterait à croire que le Parlement avait eu tort à l’époque et que cela relève de son champ de compétence maintenant, malgré une décision rendue en 1970 redonnant la compétence aux provinces à leur propre demande. Comme le sénateur Gold l’a dit, nous devrons peut-être laisser la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse le déterminer.

Entretemps, j’aimerais toutefois être très claire : l’adoption de ce projet de loi ne ferait absolument rien pour exiger que le gouvernement fédéral règle le problème de l’isthme ou qu’il engage davantage de fonds dans le projet. Ce pourrait être une sorte de déclaration politique symbolique, mais à mon avis, il est inapproprié d’invoquer le pouvoir extraordinaire accordé par l’alinéa 92(10)c) comme stratagème politique et comme simple tactique visant à inciter par la honte le gouvernement fédéral à agir.

Par souci de bienséance parlementaire, nous ne devrions pas adopter de projets de loi qui, sur le plan fonctionnel, n’ont ni force ni effet pour accomplir ce que nous voulons qu’ils accomplissent.

À mon avis, le gouvernement fédéral devrait absolument intervenir pour assumer la part du lion du financement du projet. L’isthme est trop vulnérable et trop important pour tout le Canada pour que seules deux petites provinces en soient financièrement responsables. En outre, il est bien trop important pour être enlisé dans d’interminables litiges juridiques. Toutefois, le projet de loi n’est pas le bon outil pour résoudre le problème.

Une tradition juridique de longue date veut que le législateur ne parle pas pour ne rien dire, ce qui signifie que nous ne devons pas adopter de mesures législatives superflues ou dépourvues de sens ou d’importance juridique. Hélas, le projet de loi parle pour ne rien dire, du moins lorsqu’il s’agit d’accélérer ou de financer le projet de l’isthme.

Parallèlement, le projet de loi pourrait avoir des conséquences imprévues et négatives, car, s’il entrait en vigueur, il pourrait créer un vide législatif involontaire. Comme l’a mentionné M. Leach dans son témoignage :

Dès que cette loi sera promulguée, toutes les lois provinciales relatives à ce réseau de digues seront invalidées. Vous risquez de vous retrouver face à un vide législatif. Je ne sais pas si des lois fédérales sont prévues dans ce domaine. Je pense que c’est une chose à prendre en considération, soit que les lois provinciales relatives au réseau de digues seraient invalidées par l’adoption de ce projet de loi.

Son point de vue a été appuyé par une autre témoin au comité, l’avocate Jessica Ginsburg, conseillère juridique de la nation Mi’kmaq. Je lui ai posé la question suivante :

Croyez-vous que, si ce projet de loi était adopté, les règlements provinciaux, les règlements en matière d’environnement et les règlements relatifs aux fouilles archéologiques seraient effectivement éliminés?

Voici ce qu’elle m’a répondu :

Bien entendu, c’est la préoccupation, ou s’ils étaient éliminés, il n’y aurait pas de points de décision fédéraux de rechange. Cela ne veut pas dire que les décisions doivent être prises au niveau provincial, mais le gouvernement fédéral ne réglementerait généralement pas les domaines couverts actuellement par les provinces. C’est ce qui nous préoccupe : qu’il y ait un vide.

Aux fins de la discussion, supposons que si le projet de loi S-273 est adopté, le gouvernement fédéral agira avec une rapidité extraordinaire pour combler le vide législatif actuel. Toujours aux fins de la discussion, acceptons qu’il soit logique, sur le plan politique, d’adopter ce projet de loi simplement pour mettre le gouvernement dans l’embarras en l’obligeant à poser des gestes grandement nécessaires. Examinons un peu quelles seraient les conséquences du précédent que nous établirions alors.

Bien sûr, c’est aussi en tant qu’Albertaine que je prends la parole. Imaginez ce qui se passerait si on créait un modèle qui permettrait au gouvernement fédéral d’exercer une compétence exclusive sur tous les ouvrages et les projets, peu importe ce que dit le texte de la Constitution. On ouvrirait alors une véritable boîte de Pandore, puisqu’un futur gouvernement pourrait se servir de cet exemple pour étendre ses compétences d’une façon qui ne serait pas nécessairement la bienvenue.

Pendant l’étude article par article menée en comité, j’ai fait valoir que le projet de loi S-273 n’était pas le bon outil et qu’on ne devrait pas utiliser un râteau pour enfoncer un clou. Le sénateur Cardozo a rétorqué, plein d’esprit, qu’en cas d’urgence, on pouvait très bien utiliser un râteau pour enfoncer un clou.

C’est possible, en effet, mais on risquerait de se faire mal en procédant ainsi.

Essayons de nous en tenir à des marteaux quand il faut enfoncer des clous. On évitera ainsi de recevoir une dent de râteau dans l’œil. Je vous remercie. Hiy Hiy.

L’honorable Jim Quinn [ - ]

La sénatrice Simons accepterait-elle de répondre à une question?

Absolument.

Le sénateur Quinn [ - ]

Merci, sénatrice, et merci pour tout le travail que vous avez accompli sur le projet de loi et pour toutes les excellentes questions que vous avez posées au cours de nos délibérations.

Je m’en voudrais de ne pas souligner, pour les collègues qui n’ont pas assisté à la réunion du comité, que trois experts constitutionnels étaient présents ce soir-là. Je ne conteste pas un mot de ce que vous avez dit au sujet de M. Leach, mais j’ajouterais que les deux autres témoins étaient d’un avis assez différent. Selon eux, il s’agissait d’un outil valable.

L’autre point que je souhaite soulever et sur lequel je vous demande votre avis est que vous avez dit que M. Leach avait parlé d’un système continu et unique. Pourtant, les provinces du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse ont présenté une demande conjointe en raison de leur responsabilité particulière par rapport à leur section respective sur leur territoire.

Enfin, j’aimerais entendre vos observations sur le fait que l’on a invoqué le pouvoir déclaratoire pour le pont international Gordie Howe. Ce pont n’est pas situé dans la province de l’Ontario. Il va jusqu’au Michigan et est financé entièrement par le gouvernement fédéral.

Je vais aborder ces points dans l’ordre inverse et j’espère que je m’en souviendrai.

En ce qui concerne le pont international Gordie-Howe, si j’ai bien compris, le pont se trouve entièrement dans une province canadienne. Le fait que le gouvernement fédéral l’a payé, comme vous le savez bien, sénateur Quinn, ne crée pas un précédent jurisprudentiel qui l’obligerait à payer pour l’isthme de Chignecto. Je suis d’accord avec vous pour dire que le gouvernement fédéral doit offrir plus que ce qu’il a déjà offert, mais le pouvoir déclaratoire ne l’oblige en rien à le faire. En effet, s’il l’obligeait à le faire, nous aurions besoin d’une recommandation royale pour adopter ce projet de loi au Sénat, car nous n’avons pas le pouvoir d’obliger le gouvernement fédéral à dépenser des millions et des millions de dollars. La Chambre des communes peut rédiger son propre projet de loi à cet égard, mais nous n’avons pas ce pouvoir.

Pour en revenir à votre question précédente, qui était de savoir si tout cela relevait d’une seule province, ce n’est manifestement pas le cas. Effectivement, les deux provinces sont chacune responsables de réparer leur moitié, mais le projet est pleinement intégré. Si une province réparait une moitié ou décidait de rehausser ses digues et que l’autre province ne le faisait pas, le système échouerait. Il suffit de regarder une carte pour voir à quel point tous ces systèmes sont inextricablement liés. À mon avis, prétendre qu’il s’agit de deux systèmes, chacun dans sa propre province, c’est, disons, créatif.

L’honorable Paul J. Prosper [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi S-273, Loi déclarant le réseau de digues de l’isthme de Chignecto et ses ouvrages connexes comme étant des ouvrages à l’avantage général du Canada.

Je tiens à remercier le sénateur Quinn d’avoir présenté ce projet de loi, qui vise à préserver une importante voie de commerce et de communication en utilisant des outils à la disposition du gouvernement fédéral.

Nous avons tous entendu le sénateur Quinn présenter les raisons pour lesquelles il est convaincu de la nécessité d’utiliser les pouvoirs déclaratoires pour placer ce projet sous la responsabilité du gouvernement fédéral. Je suis d’accord avec lui. Il ne s’agit pas de dégager complètement les provinces de leurs responsabilités fiduciaires en ce qui concerne l’isthme, mais d’assumer l’essentiel d’un projet de chaussée surélevée qui est véritablement dans l’intérêt du pays.

Au cours de l’étude au Comité des transports, j’ai été stupéfait par les exemples régionaux des menaces que les changements climatiques représentent pour les infrastructures essentielles et étonné d’entendre que, chaque jour, selon les estimations, une centaine de millions de dollars traversent l’isthme.

Les implications de ce qui pourrait arriver au Canada et à son économie si l’isthme devenait infranchissable sont renversantes. Il faut souligner que le pouvoir déclaratoire et la disposition de dérogation sont des pouvoirs exceptionnels à utiliser avec modération. Cependant, je dirais que, dans ce cas-ci, c’est justifié. À mon avis, cela ne créerait pas un précédent qui ouvrirait la porte à d’autres régions qui tenteraient de profiter de ce même pouvoir pour leurs zones inondables.

En tant qu’avocat, je dirais que l’utilisation de ce pouvoir est logique dans ce cas-ci en raison de la confluence de facteurs spécifiques tels que l’importance économique de la région et de son importance pour certains peuples tels que le peuple acadien et les Mi’kmaqs qui vivent sur ces terres depuis des temps immémoriaux.

Pour reprendre les paroles du sénateur Cormier, compte tenu de la place historique et culturelle unique qu’occupe l’isthme de Chignecto dans l’imaginaire collectif des peuples mi’kmaq et acadien de la région, le projet de loi S-273 réaffirme l’idée selon laquelle le système de digues et d’aboiteaux de l’isthme de Chignecto, dont l’importance économique et patrimoniale demeure incommensurable pour les habitants de cette région, est dans l’intérêt général du Canada.

Même si les réunions du comité se déroulent en même temps que celles d’autres comités dont je suis membre, j’ai pris le temps de me rendre aux audiences du comité qui concernent ma région, la Nouvelle-Écosse. J’ai pu participer à l’une des réunions sur le projet de loi à l’étude lors de laquelle Jessica Ginsburg, une jeune avocate, est venue témoigner au nom de Kwilmu’kw Maw‑Klusuaqn, une organisation qui travaille à la mise en œuvre des droits et qui négocie au nom de l’Assemblée des chefs mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse.

Mme Ginsburg a comparu aux côtés de la cheffe Rebecca Knockwood, qui représente la Premières Nations de Fort Folly — également connue sous le nom d’Amlamgog — du côté néo‑brunswickois de l’isthme, et de Derek Simon, de Mi’gmawe’l Tplu’taqnn Incorporated, qui est l’équivalent néo-brunswickois de Kwilmu’kw Maw-klusuaqn.

La cheffe Knockwood a mentionné que l’isthme est une « zone culturelle importante pour les Mi’kmaqs » et que le nom « Chignecto » est dérivé du terme mi’kmaq « Siknikt », qui signifie « le lieu de drainage ».

La cheffe Knockwood a poursuivi en disant :

Des études montrent que cette région était l’une des plus densément peuplées de Mi’kma’ki et qu’elle était un centre de voyage et de commerce. Les Mi’kmaqs, y compris les membres de ma communauté, continuent de récolter dans la région.

Elle a ajouté :

On sait que l’isthme abrite 44 espèces fédérales et provinciales en péril, ainsi que plus de 250 espèces dont la conservation est préoccupante en Nouvelle-Écosse et plus de 170 au Nouveau‑Brunswick. Nombre de ces espèces revêtent une importance particulière pour les Mi’kmaqs.

Les trois représentants des Mi’kmaqs qui ont témoigné dans le cadre de cette étude ont clairement dit qu’il était important de procéder à des consultations approfondies et sérieuses à l’avenir.

C’est le devoir et l’honneur de la Couronne fédérale de rendre la situation en main et de veiller à ce qu’il y ait une consultation exhaustive.

Je tiens à remercier le sénateur Quinn et M. Lyle Skinner, son directeur des affaires parlementaires, d’avoir travaillé si fort pour inclure des amendements significatifs qui répondent aux préoccupations soulevées par les Mi’kmaqs.

Un amendement que l’organisme Kwilmu’kw Maw-klusuaqn a demandé, qui a peut-être été oublié, n’aura peut-être pas beaucoup d’incidence sur la partie importante du projet de loi, mais il demeure néanmoins important. Il est toujours important de souligner l’histoire d’un lieu afin de reconnaître son importance pour les générations actuelles et futures.

Dans le même ordre d’idées, je suis d’accord avec la suggestion de Kwilmu’kw Maw-klusuaqn d’amender le préambule afin de souligner l’importance historique et culturelle de la région pour les Mi’kmaqs et, comme le sénateur Cormier l’a indiqué aujourd’hui, pour le peuple acadien.

L’inclusion d’une telle déclaration permettrait à quiconque lit le projet de loi de comprendre que l’importance de l’isthme de Chignecto ne se limite pas au commerce. Nous devons protéger et préserver la chasse qu’on y pratique, son histoire et les êtres vivants qui y habitent.

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