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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 21 mars 2023

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.

[Note de la rédaction : Veuillez noter que cette réunion peut contenir un langage pouvant choquer et aborde des sujets sensibles qui peuvent être difficiles à lire ou à regarder.]

Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je voudrais commencer en reconnaissant que la terre où nous nous réunissons appartient au territoire ancestral traditionnel non cédé de la nation des Algonquins anishinabes, où vivent maintenant quantité d’autres Premières Nations, Métis et Inuits de l’île de la Tortue.

Je suis le sénateur mi’kmaw Brian Francis, originaire d’Epekwitk, également connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard. Je suis président du Comité des peuples autochtones. Avant de commencer la réunion, je demanderai aux membres du comité de se présenter en donnant leur nom et leur province ou territoire.

Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan. Je vis à Saskatoon, au cœur du territoire visé par le Traité no 6.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.

La sénatrice Hartling : Nancy Hartling, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, de Banff, en Alberta, sur le territoire visé par le Traité no 7.

La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood, du territoire visé par le Traité no 6, en Colombie-Britannique.

La sénatrice Audette : [Mots prononcés en innu-aimun]

Le président : Avant de commencer, je veux souligner que la présente réunion portera sur le système de pensionnats et de ses effets durables, ce qui pourrait être perturbant et troublant pour certains spectateurs. Si vous avez besoin de soutien, sachez que des services sont offerts sans frais 24 heures sur 24, sept jours sur sept, sur la Ligne d’écoute téléphonique nationale de Résolution des questions des pensionnats indiens, qui est mise à la disposition des survivants et de toute personne qui en a besoin, au numéro 1-866-925-4419; ainsi que sur la Ligne d’écoute d’espoir pour le mieux-être, offerte aux Premières Nations, aux Inuits et aux Métis du Canada au 1-855-242-3310 ou par clavardage à espoirpourlemieuxetre.ca.

Je voudrais maintenant vous présenter les témoins de notre premier groupe. Du Bureau de l’interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes en lien avec les pensionnats indiens, nous recevons Kimberly Murray, interlocutrice spéciale indépendante; Wendelyn Johnson, directrice exécutive; et Donald Worme, conseiller juridique indépendant. Wela’lin et merci de vous joindre à nous aujourd’hui

Mme Murray fera une allocution d’ouverture d’approximativement cinq minutes, après quoi nous procéderons à la période de questions et de réponses avec les sénateurs.

Kimberly Murray, interlocutrice spéciale indépendante, Bureau de l’interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes en lien avec les pensionnats indiens : Je vous remercie.

[Mots prononcés en kanien’kéha]

Bonjour, sénateurs. Comme le président l’a indiqué, je m’appelle Kimberly Murray. Je suis mohawk et membre de la nation mohawk de Kahnesatake, qui habite dans ce qui s’appelle maintenant le Québec, comme la sénatrice Audette l’a souligné. Je voudrais d’abord dire niawen’kó:wa à l’aînée Barbara Cameron pour avoir fait une prière d’ouverture pour nous avant que nous n’entamions cette importante conversation. Je voudrais également reconnaître que nous nous trouvons sur le territoire non cédé de la nation algonquine et qu’Ottawa a été et continue d’être le lieu de résidence d’un grand nombre de Premières Nations, de Métis et d’Inuits. J’y ai moi-même vécu à titre de femme autochtone et je suis très honorée d’avoir bénéficié de l’hospitalité de la nation algonquine pendant mon séjour ici.

Je veux remercier de nouveau tous les sénateurs de m’avoir invitée à leur parler de mon mandat d’interlocutrice spéciale indépendante et de certains des travaux que nous avons réalisés depuis sept mois, soit depuis que j’occupe ce poste. Comme le président l’a précisé, je suis accompagnée par deux collègues : Wendelyn Johnson, directrice exécutive, et Donald Worme, un de mes conseillers juridiques, qui répondra à toutes les questions vraiment difficiles que vous me poserez.

Je voulais commencer en soulignant que quand les Tk’emlúps ont annoncé la découverte de 215 enfants en mai 2022, le gouvernement du Canada a immédiatement indiqué qu’il nommerait un interlocuteur spécial indépendant. Nombreux sont ceux qui se sont demandé ce qu’un interlocuteur pouvait bien être, ce qu’il fait et ce que cela signifie.

Le gouvernement a mis environ un an à élaborer le mandat. Je crois comprendre, pour avoir parlé avec le ministre Lametti et ses collègues, qu’un certain nombre de chefs autochtones ont été consultés sur ce que ce mandat devait comprendre et ne pas comprendre. J’ai été nommée pour un mandat de deux ans, qui a débuté en juin 2022.

Quand je me suis mise à l’œuvre, j’ai jugé très important qu’à titre d’interlocutrice spéciale indépendante, j’entende des aînés et des survivants pour savoir comment ils voulaient guider notre travail. Quels seraient nos principes directeurs? Je voudrais vous faire part des principes directeurs qui ont été établis, car je pense que cela vous permettra de mieux comprendre le travail que nous accomplissons à mesure que nous progressons.

Le premier principe directeur, c’est que les corps et les esprits des enfants autochtones disparus doivent être traités avec honneur, respect et dignité. C’est primordial, car ces enfants n’ont pas reçu l’honneur, le respect et la dignité qu’ils méritaient quand ils ont été appréhendés et conduits dans les pensionnats indiens. Nous voulons veiller à leur rendre leur honneur sur les lieux de leur décès et de leur inhumation.

Nous nous appuyons également sur le principe selon lequel il faut honorer les survivants et saluer leurs efforts pour sensibiliser le public aux vérités des sépultures anonymes des enfants morts dans les pensionnats indiens. Nous savons que des survivants et des membres de la communauté parlent de ces sépultures depuis des décennies. Nous savons que la Commission de vérité et réconciliation du Canada, aussi connue sous le nom de Commission de vérité et réconciliation, ou CVR, a écrit un volume entier sur les enfants disparus et les sépultures anonymes, dans lequel elle énumère un certain nombre de communautés où des restes d’enfants ont été découverts et récupérés. Nous devons honorer les survivants qui ont révélé cette situation à maintes reprises à un pays qui faisait la sourde oreille.

Nous espérons que le pays écoute maintenant. Comme je parle avec les communautés, je sais qu’elles vivent la violence du négationnisme. Chaque fois qu’on annonce des anomalies, des réflexions ou des découvertes, les communautés sont inondées de courriels ou d’appels de gens qui les attaquent en déclarant que cela ne s’est pas produit. Assise ici devant vous, je vous affirme que cela s’est produit. J’ai vu des dossiers et des photographies d’enfants reposant dans des cercueils. Nous devons tous combattre ce négationnisme, car ce ne sont pas les survivants qui devraient avoir à le faire.

Le prochain principe directeur dont je veux vous parler est celui du droit qu’ont les familles et les communautés autochtones de savoir ce qu’il est arrivé aux enfants morts dans les pensionnats indiens. Vous savez tous que ce droit de connaître la vérité est un droit international reconnu. Les survivants, les communautés et les Canadiens ont le droit de connaître la vérité. Ils ont notamment le droit d’accéder aux dossiers. Or, il est toujours difficile au pays d’obtenir la documentation de la part du gouvernement fédéral, des gouvernements provinciaux, des universités, des municipalités et d’autres entités détentrices de dossiers. Les communautés ont le droit de connaître la vérité et d’avoir la souveraineté sur leurs données et leurs informations.

Le quatrième principe directeur dont je veux vous parler pour vous expliquer ce qui guide notre travail est le fait que la fouille de sépultures anonymes et la récupération d’enfants autochtones disparus doivent être conformes aux lois autochtones, à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et à la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations unies.

Nous savons que la déclaration des Nations unies contient de nombreux articles qui sont applicables au travail de récupération des enfants disparus. Nous devons donner vie à ces articles. Nous savons que les peuples et les communautés autochtones ont des lois concernant les cimetières, la conservation de leurs histoires et de leurs expériences, et la protection de la terre. Il est temps que les lois autochtones s’appliquent.

Enfin, le cinquième principe que je veux vous exposer concerne le fait que les fouilles et les enquêtes doivent chercher la vérité. Cela signifie qu’il faut suivre les déplacements de chaque enfant en s’appuyant sur les dossiers et les témoignages de survivants qui parlent d’enfants amenés dans les pensionnats et qui ont disparu du jour au lendemain. Nous devons les suivre jusqu’à l’endroit où ils ont été envoyés. Nous savons — et la Commission de vérité et réconciliation en a parlé — que des enfants ont été transférés des pensionnats à des hôpitaux autochtones.

Nous savons et apprenons également que ces enfants ont été conduits dans de nombreux autres établissements où ils sont morts. Ils ont été confiés à des hôpitaux provinciaux, des établissements de santé mentale et des maisons de correction provinciales. Des communautés souhaitent effectuer des fouilles sur les terrains de ces établissements dans diverses régions du pays, mais nous éprouvons quelques problèmes, car le gouvernement du Canada ne financera les fouilles que sur les terrains des anciens pensionnats reconnus dans la ​Convention de règlement relative aux pensionnats indiens. Cela inclut 140 établissements — 145 si on compte les cinq ajoutés récemment dans l’accord Anderson. Or, il existe de nombreux autres établissements où des enfants sont inhumés.

L’Hôpital Charles Camsell — j’ai entendu que plusieurs sénateurs viennent de l’Alberta — est un établissement bien connu. Des enfants sont inhumés sur son terrain. Nous savons que le gouvernement du Canada et les entités religieuses avaient pour politique de ne pas payer pour retourner les enfants à leur communauté d’origine. Cette politique s’appliquait non seulement dans les pensionnats indiens, mais dans tous les établissements où des enfants autochtones ont été placés aux frais du gouvernement du Canada.

Tels sont nos principes directeurs. J’ai comme mandat de consulter les survivants, les chefs et les organisations autochtones pour qu’ils m’expliquent à quels obstacles ils se heurtent et ce qui les empêche de découvrir la vérité. Quels obstacles les empêchent de se rendre sur les terres pour réaliser les fouilles qu’ils doivent mener? Nous savons qu’aucune loi canadienne ne protège ces lieux d’inhumation ou ne permet d’y accéder s’ils se trouvent sur les propriétés privées. Les lois fédérales contiennent des lacunes criantes à cet égard.

Nous sommes devant une panoplie de lois provinciales qui ne concordent pas et qui ne sont pas appliquées, d’industries qui connaissent la loi, mais qui ne s’y conforment pas. Les lois ne sont pas appliquées.

Mon mandat consiste à présenter des recommandations sur un cadre juridique afin de protéger les lieux d’inhumation, d’appuyer les communautés dans le cadre du travail sacré effectué pour récupérer les enfants et de les aider à accéder aux dossiers conservés dans les établissements coloniaux disséminés sur l’Île de la Tortue.

On me demande d’incorporer la déclaration des Nations unies dans ce nouveau cadre juridique.

On me demande de collaborer avec le comité consultatif national, dont Stephanie Scott parlera certainement lorsqu’elle témoignera au cours du prochain volet de la réunion.

On me demande d’appuyer les appels à l’action 71 à 76, lesquels figurent dans le volume 4 du document de la CVR intitulé Enfants disparus et lieux de sépulture non marqués.

On m’indique que mon mandat ne se limite pas aux pensionnats indiens, mais englobe d’autres établissements associés.

On me demande de formuler des recommandations sur la manière dont on peut rendre les terres aux Premières Nations, aux Métis et aux Inuits. Nous savons qu’un grand nombre de terres ont été expropriées pour y construire ces établissements. Nous savons que des terres ont été transférées à des entités religieuses et qu’à la fermeture des pensionnats, ces terres n’ont pas été rendues à leurs propriétaires légitimes.

Mon mandat comporte des restrictions. Je ne peux pas exiger qu’on me remette des dossiers. Je ne peux que les demander, ce qui est correct, car je suis nommée par le gouverneur en conseil et si j’obtiens des dossiers, ils sont assujettis aux mêmes lois coloniales qui s’appliquent à Bibliothèque et Archives Canada et au gouvernement fédéral. Les dossiers ne peuvent donc pas aller aux mains des personnes qui en ont besoin.

On m’indique que je ne peux pas m’ingérer dans des affaires criminelles ou civiles.

J’ai publié un rapport d’étape et j’ai un rapport intérimaire qui paraîtra en juin prochain. Je publierai mon rapport final en juin 2024.

Si vous me le permettez, je voudrais vous parler de cinq points, que j’ai effleurés quand j’ai parlé de nos principes directeurs. Dans notre rapport d’étape, nous parlons des préoccupations communes que nous avons entendues au pays. J’emploie l’expression « préoccupations communes » parce que c’est ce qui m’est demandé de faire dans mon mandat.

Comme je l’ai indiqué, il faut accéder aux dossiers, mais les lois fédérales et provinciales de protection des renseignements personnels nous en empêchent. Même quand elles ne font pas obstacle, les établissements s’en servent pour nous mettre des bâtons dans les roues. Il faut régler ce problème.

Le financement est insuffisant. Nous avons été enchantés d’apprendre récemment que le gouvernement du Canada prolonge le financement qu’il verse aux communautés jusqu’en 2025. Ce n’est toutefois pas assez long. Il faudra de 10 à 20 ans pour récupérer les enfants. On ne peut pas traiter ce travail sacré comme un programme. Le gouvernement du Canada doit prendre ses responsabilités et dire aux communautés autochtones qu’il est là pour les appuyer jusqu’à ce que ce travail soit terminé. Certaines communautés sont obligées de mettre à pied des membres de leur équipe parce qu’elles ignorent si le financement sera prolongé. Elles ne peuvent pas continuer de financer ainsi leurs activités.

L’analyse des données accuse du retard. Des communautés effectuent des fouilles sur le terrain, utilisant des géoradars, des radars optiques, l’électromagnétométrie et un éventail de technologies. Nous ne possédons pas l’expertise du gouvernement du Canada pour répondre à la demande. Nous devons former des Autochtones et collaborer avec les instituts techniques autochtones à cette fin.

Nous devons avoir accès à la terre. C’est ce qui me tient éveillée la nuit, alors que je pense à la manière dont les choses pourraient s’envenimer. Certains propriétaires terriens ne permettent pas aux survivants de pénétrer sur leur propriété, même pas pour y tenir une cérémonie et encore moins pour y mener des fouilles. Mon bureau a dû écrire des lettres et tenir des rencontres avec des propriétaires pour les convaincre que c’est la bonne chose à faire. Certains propriétaires ont stationné des roulottes sur des sépultures d’enfants, alors qu’on sait qu’elles sont là. Aucune loi ne les en empêche.

J’en arrive enfin au point principal : la justice et la responsabilité. Partout où nous allons, où sont la justice et la responsabilité? Comment pouvons-nous tenir l’État et les entités religieuses responsables de la création des conditions dans lesquelles ces enfants sont décédés?

Nous savons que la Cour pénale internationale a refusé de mener une enquête sur les sépultures anonymes et les enfants disparus, faisant valoir que son mandat ne s’applique qu’à partir de 2002, l’année de sa création. Je ne pense pas que cette réponse soit assez bonne. La communauté internationale nous a abandonnés. J’ai parlé au rapporteur spécial et abordé la question. Les mécanismes internationaux ne nous aident pas.

Quel corps de police peut mener une telle enquête? La GRC, la police provinciale de l’Ontario, le service de police provincial du Québec, les services de police municipaux? Presque tous les corps de police du pays ont collaboré avec les pensionnats indiens, appréhendant des enfants, les conduisant aux pensionnats, les y ramenant quand ils s’en échappaient, omettant d’effectuer des enquêtes criminelles adéquates quand des familles et des chefs autochtones se plaignaient de ce qui se passait dans les établissements, et ne réagissant pas et ne menant pas d’enquête quand des enfants disparaissaient. C’est ce que révèle le rapport de la CVR. Quel corps de police peut mener une enquête?

Où en est notre pays sur le plan des services de police des Premières Nations? Ces services pourraient être la réponse, puisque ce sont les seuls corps de police du pays qui n’ont pas collaboré avec les pensionnats. Ils ne sont toutefois pas financés adéquatement. Nous n’avons pas de loi et ces services ne sont pas encore considérés comme essentiels. Il faut que les choses bougent à cet égard, car je pense que les services de police des Premières Nations ont un rôle important à jouer dans les futures enquêtes sur les enfants disparus.

Je sais que j’ai pris du temps. Je traiterai d’un dernier point, puis je répondrai à vos questions et à vos commentaires.

Le Canada a récemment conclu un contrat de 2,2 millions de dollars avec la Commission internationale pour les personnes disparues afin que des représentants de cette organisation viennent dans nos territoires pour discuter de la question de l’ADN et de l’exhumation. J’ai soulevé des préoccupations au sujet de ce contrat. Il a été conclu derrière des portes closes, sans consultation avec les organisations autochtones nationales, sans consultation avec les dirigeants autochtones et sans consultation avec des survivants. Les représentants devaient préparer un rapport pour le mois de juin. J’ai appris que cette échéance sera reportée après la tenue de 35 séances de consultation dans les collectivités et que les représentants formuleront des recommandations concernant un nouveau cadre pour l’avenir.

Nous avons fait savoir au ministre Miller et au ministre Lametti qu’il s’agit d’un processus boiteux et que des modifications doivent être apportées à cette entente.

Je suis également très préoccupée par le fait que la Commission internationale pour les personnes disparues n’a aucune expérience de travail avec les peuples des Premières Nations, avec les peuples autochtones dans le monde. Les représentants m’ont dit lors d’une rencontre qu’ils ne connaissaient rien à propos de l’article 35 de notre Constitution, des droits issus de traités et des droits des Autochtones. Ils n’ont pas les compétences culturelles nécessaires pour tenir des séances de consultation. Certains organismes des Nations unies — cette organisation n’en fait pas partie — auraient été plus aptes à mener cette consultation. Je continue donc à soulever des préoccupations.

Les représentants ont déjà commencé leur travail. Nous devons régler les problèmes concernant cette entente. Elle a été rendue publique. Le Canada n’avait pas l’intention de la rendre publique. Elle figure maintenant sur le site Web de la CIPD, car nous avons exercé des pressions pour qu’il la rende publique.

J’ai organisé des rassemblements. Notre quatrième rassemblement national aura lieu à Toronto la semaine prochaine. Nous avons tenu quelques rassemblements en Colombie-Britannique, un à Edmonton et un à Winnipeg. Nous nous sommes rassemblés à beaucoup d’endroits. Nous serons à Toronto pour parler de l’importance du droit autochtone et de la façon d’intégrer le droit autochtone dans un nouveau cadre juridique. Nous tiendrons ensuite un autre rassemblement à Montréal en septembre. Notre dernier rassemblement aura lieu dans le Grand Nord. Nous ne savons pas encore où il se tiendra exactement, mais ce sera probablement dans l’Est de l’Arctique.

Entre les rassemblements, je rencontre des survivants et les équipes qui s’occupent de la récupération. Je rencontre aussi des dirigeants et j’assiste à des assemblées pour m’assurer que tout le monde est au courant du travail que nous effectuons. Nous avons également diffusé un appel à soumettre des mémoires. Quiconque — que ce soit un Canadien, une collectivité, un survivant, une organisation — peut nous présenter un mémoire écrit à propos de n’importe quel aspect de notre mandat. Cet appel à soumettre des mémoires se trouve sur notre site Web.

Je vais m’arrêter là. Je suis disposée à recevoir vos commentaires et vos questions, auxquels mon collègue Don Worme pourra aussi répondre.

Le président : Merci, madame Murray. Nous allons passer aux questions. Je vais poser la première.

Vous avez effleuré le sujet durant votre exposé, mais j’aimerais que vous en disiez plus long au sujet du fait que les actuels cadres juridiques fédéral et provinciaux ne permettent pas de soutenir adéquatement les survivants, leurs familles et leurs collectivités dans le cadre de leur travail de recherche, d’identification, de récupération, de protection et de commémoration. Quels types de modifications législatives s’imposent afin de respecter la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones?

Mme Murray : Bien sûr. Je peux vous donner quelques exemples.

En Ontario, par exemple, nous avons toute une gamme de lois différentes. Nous avons la Loi sur les services funéraires et les services d’enterrement et de crémation, la Loi sur les cimetières, la Loi sur les coroners, et il y a aussi le Code criminel fédéral, mais nous n’avons toutefois aucune loi qui traite précisément des lieux de sépulture autochtones. Aux États-Unis, une telle loi existe à l’échelon fédéral. Nous avons entendu certaines personnes et collectivités aux États-Unis dire qu’elles ne sont pas satisfaites de cette loi, car elle n’est pas suffisamment rigoureuse et elle n’est pas appliquée de manière assez stricte. Notre bureau est en train d’examiner cette loi pour voir quels éléments de cette loi américaine nous pourrions mettre en œuvre ici dans notre situation constitutionnelle.

Il n’existe aucune loi fédérale permettant aux collectivités d’avoir accès aux terrains. Je pense que je l’ai mentionné tout à l’heure. Des personnes doivent s’adresser aux tribunaux. Il y a une situation actuellement au Québec, où les Mères mohawks ont dû s’adresser à un tribunal pour obtenir une injonction pour faire cesser des travaux sur le site de l’ancien hôpital Royal Victoria, où se trouvait jadis l’Institut Allan Memorial. Nous savons que des expériences ont été menées dans cet institut. Selon une survivante, il y a un lieu de sépulture derrière l’institut.

Les Mères mohawks se sont adressées au tribunal pour obtenir une injonction contre la province de Québec, la Ville de Montréal, l’Université McGill et le Canada, et elles l’ont obtenue. Le juge a fait savoir aux parties qu’elles devaient établir un plan de recherches archéologiques en bonne et due forme en vue de faire des fouilles sur les terrains pour trouver des sépultures. Comme je l’ai dit, une survivante a fourni des preuves en cour démontrant que lorsqu’elle était au Allan Memorial, elle a vu des personnes avec des pelles à l’arrière de l’institut.

Devons-nous nous adresser aux tribunaux pour obtenir des injonctions pour faire cesser des travaux sur des sites où se trouvent des lieux de sépulture? Il doit bien y avoir une meilleure façon de faire.

Il n’existe aucune loi à cet égard. Il existe des lois provinciales qui prévoient que lorsqu’un promoteur trouve des restes humains, il doit le signaler. C’est trop tard. À mon humble avis, c’est trop tard lorsque des pelles se heurtent aux os de nos ancêtres. Il faut mettre en place un processus en amont pour stopper les travaux. Nous savons que lorsque ces pelles se heurtent aux os de nos ancêtres, cela n’est pas signalé au bureau du coroner ou à la police. Ces os sont enterrés de nouveau sans qu’on le dise à personne. Nous avons des exemples de telles situations partout au pays. Les responsables échappent à des accusations et à des condamnations.

Nous devons harmoniser toutes ces lois. Nous devons établir des sanctions adéquates. Des Autochtones me posent souvent cette question. Ils me disent que nous n’avons pas besoin d’autres lois. Nous n’avons pas besoin d’autres lois, car nous avons nos propres lois. Nous avons nos lois autochtones. Ma réponse est la suivante : nous avons en fait besoin d’autres lois qui dictent aux Canadiens non autochtones ce qu’ils doivent faire, quelles sont leurs responsabilités légales et nous devons les tenir responsables de leurs actes. Voilà ce qui manque. Nous avons déjà des lois autochtones.

Le président : Merci, madame Murray.

Le sénateur Arnot : Je remercie l’aînée pour la prière de ce matin et je remercie les témoins pour leur présence aujourd’hui. Vous avez un mandat très difficile et complet à exécuter dans un très court laps de temps. Vous vous occupez de questions très délicates. Je suis heureux que vous ayez précisé que je devrais poser des questions à M. Worme, car lorsque j’étais juge et qu’il était avocat, il n’a jamais eu de difficulté à répondre à mes questions, d’où mes cheveux blancs.

Votre exposé était très convaincant et instructif. Le fait que votre mandat soit restreint en dit long. Vous devez absolument avoir le mandat d’ordonner la production de documents. Sinon, comment pouvez-vous obtenir la vérité? C’est la honte nationale du Canada, et vos propos en disent long à ce sujet. Vous avez parlé de la nécessité de rendre justice et de rendre des comptes. Je pense que cela s’appuie sur le fait que l’organe exécutif du gouvernement n’a jamais été tenu de véritablement rendre des comptes. Je pense à l’obligation du gouvernement fédéral de respecter l’article 35 de la Constitution, les droits issus de traités et les droits des Autochtones. Il a manqué à cette obligation et il n’a pas respecté celle d’honorer la Couronne. La Couronne n’a pas d’honneur. Ce qui fait défaut également, c’est le respect de l’obligation fiduciaire envers les peuples autochtones et du principe de mettre en œuvre les traités conformément à l’esprit et à l’intention de ces traités.

Cela étant dit, j’aimerais connaître votre opinion. Je suis ravi que vous puissiez produire un rapport concernant un nouveau cadre juridique. Je pense qu’il peut être très convaincant. J’ai hâte de prendre connaissance des rapports provisoire et final.

Estimez-vous que tout repose sur le fait que l’organe exécutif du gouvernement doit être tenu de rendre des comptes et qu’il faut un mécanisme qui permet de découvrir la vérité, afin que tous les Canadiens la connaissent? Même si je crois que la vérité est assez évidente en ce moment, je suis heureux que vous fassiez ce travail et je suis certain qu’il sera très éclairant.

Je me pose deux questions. Premièrement, que peut faire le comité pour vous aider à exécuter votre mandat et faciliter votre travail? Deuxièmement, de façon plus importante, croyez-vous que le comité devrait examiner des mécanismes existants ou envisager la création d’un nouveau mécanisme pour exiger des comptes de l’organe exécutif du gouvernement?

Trop souvent, comme vous l’avez mentionné, on se retrouve devant les tribunaux. M. Worme est un excellent avocat, mais il excelle aussi dans son travail auprès de la Commission d’Ipperwash et de la Commission de vérité et réconciliation. Je tiens vraiment à connaître votre opinion concernant ce que le comité peut faire pour s’attaquer à cette lacune fondamentale qui témoigne de cette relation brisée, c’est-à-dire pour tenir l’organe exécutif du gouvernement responsable.

Mme Murray : Je vais dire quelques mots en réponse à votre question, et je vais céder ensuite la parole à mon collègue, M. Worme. Les survivants nous répètent que le gouvernement doit rendre des comptes. Nous avons dit à maintes reprises que c’était un génocide. C’était un génocide. La sénatrice Audette l’a dit lors de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. L’ancien sénateur Murray Sinclair l’a dit également, à l’instar d’un ancien juge de la Cour suprême du Canada. Récemment, le Canada l’a dit et il a adopté une motion à cet effet. Et maintenant? Où est la reddition de comptes? Si la Cour pénale internationale ne prend pas des mesures pour obliger l’État à rendre des comptes, alors, il est certain que nous devons trouver un autre mécanisme. Je suis d’accord, il n’y a eu aucune reddition de comptes.

Je n’utilise jamais mon mandat pour demander plus de choses. Je suis trop concentrée sur le travail que les survivants m’ont demandé de faire. J’ai accepté ce mandat qui comporte une échéance et un financement précis, et je fais tout en mon pouvoir pour exécuter ce mandat. C’est ma décision et je fais preuve d’intégrité, car je n’aurais jamais accepté ce mandat si je n’avais pas l’intention de produire un rapport pour 2024. Je crois — et je l’ai dit au ministre Lametti — que le travail devra se poursuivre. Je dois penser à qui le poursuivra, mais je sais qu’il devra continuer.

Donald Worme, avocat indépendant, Bureau de l’interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes en lien avec les pensionnats indiens : Je vous remercie beaucoup pour votre question, sénateur Arnot. Je me souviens de vous en tant que juge. Je ne me souviens pas toutefois si j’ai eu du succès auprès de vous.

Le sénateur Arnot : Oui, vous en avez eu.

M. Worme : Quoi qu’il en soit, nous sommes heureux que le comité souhaite aider l’interlocutrice spéciale à exécuter son mandat. C’est un mandat difficile qui lui a été confié concernant un sujet extrêmement sensible, si je puis dire. Elle a tout à fait raison. Il s’agit bien d’un génocide envers les peuples autochtones. Un génocide envers des enfants autochtones, non seulement envers les peuples autochtones, mais aussi envers leurs enfants. C’est au cœur même de la déclaration et de la description d’un génocide établies par les Nations unies. À l’heure actuelle, nous savons qu’un despote ailleurs dans le monde fait l’objet d’un mandat d’arrestation pour le même type d’agissement, c’est-à-dire retirer des enfants de leur collectivité pour les emmener ailleurs. Comment cela s’appelle-t-il? Dans notre pays, nous laissons les survivants enquêter sur leur propre génocide, mais ce ne devrait pas être le cas.

Le gouvernement a affirmé à maintes reprises que la relation la plus importante à ses yeux est la relation avec les peuples autochtones. Il l’a déclaré à répétition, mais il n’a toujours pas joint le geste à la parole. Encore une fois, nous remercions le comité de son intention d’aider l’interlocutrice spéciale à accomplir cette partie de son mandat.

Il y a un lien direct entre l’organe exécutif, tel qu’il existe actuellement, et les Premières Nations, ou il devrait à tout le moins y en avoir un avec les dirigeants des Premières Nations et les dirigeants autochtones au pays. Ce lien n’a malheureusement pas donné lieu à des progrès que nous pouvons observer. Les seuls progrès que nous avons vus sont marginaux. Nous ne pouvons pas nous permettre des changements marginaux. Nous ne pouvons plus nous le permettre. J’ai travaillé auprès de la Commission de vérité et réconciliation, tout comme l’interlocutrice spéciale, à titre de directrice générale. La relation la plus importante est celle avec le gouvernement fédéral, mais cette relation ne l’a pas amené à divulguer les documents pertinents. Le gouvernement a signé la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens, dans laquelle il s’est engagé à fournir à la Commission de vérité et réconciliation tous les documents pertinents concernant les pensionnats indiens, mais il n’a pas respecté cet engagement. L’Église n’a pas non plus fourni les documents pertinents.

C’est pour le moins extrêmement frustrant.

Nous sommes d’avis que l’organe exécutif doit être tenu de rendre des comptes. Nous croyons que c’est une obligation et qu’il doit aussi respecter, entre autres, ses obligations fiduciaires et ses obligations issues des traités, qui sont peut-être à l’origine des obligations fiduciaires. Nous estimons que les traités sacrés — ceux d’entre vous qui viennent de régions visées par un traité comprendront — n’ont pas été respectés. Outre l’organe exécutif du gouvernement fédéral, il y a maintenant les « petits frères », à savoir les gouvernements provinciaux, notamment la Saskatchewan et l’Alberta, qui affirment détenir la souveraineté sur les terrains et les ressources. À cause de cette présumée souveraineté, il nous est difficile d’avoir accès aux terrains où sont inhumés des enfants autochtones. Les provinces ne sont pas signataires des traités, mais elles insistent pour exercer leur pouvoir. Comment empêcher cela? Je pense que le gouvernement fédéral a l’obligation d’intervenir, de reconnaître ses obligations et de prouver que cette relation est importante. Merci.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Il y a tellement de choses dont j’aimerais vous parler. L’hôpital Charles Camsell en est une, mais je vais tâcher d’être brève, car mes collègues ont aussi des questions à poser.

La réalité, c’est que ces lieux de sépulture sont probablement des scènes de crime. D’une part, des enfants sont fort probablement décédés à cause des abus qu’ils ont subis, ce qui équivaut à des meurtres. D’autre part, on a laissé mourir dans leur lit des enfants atteints par exemple de tuberculose, ce qui, selon n’importe quelle loi, est considéré comme de la négligence. Vous avez dit que vous envisagez un cadre juridique permettant aux familles dont les enfants sont morts pour cause de meurtre ou de négligence d’obtenir justice. Il serait probablement nécessaire d’exhumer les corps. Vous avez aussi dit, par contre, que nous devions respecter le droit autochtone et les lois s’appliquant aux personnes dont des membres de la famille sont enterrés, et qui ne permettent peut-être pas que ces corps soient exhumés, touchés ou manipulés.

Est-ce que justice peut être rendue sans exhumation?

Mme Murray : Merci, sénatrice, pour cette importante question. Je pense que oui. Je pose souvent cette question : comment enquête-t-on sur un génocide? Que faut-il faire? On m’a dit qu’il faut chercher des comportements. Dans le cadre du travail que j’effectue pour réunir les gens afin qu’ils discutent entre eux, je commence à me rendre compte de certains comportements très troublants qui pourraient, à mon avis, être considérés comme étant des actes répréhensibles, des actes criminels. Nous devons continuer à nous pencher sur ces comportements. Il faut tenir compte du droit autochtone et des droits des peuples autochtones pour déterminer s’ils veulent que les corps soient exhumés ou non, mais si ces comportements se rejoignent et qu’il existe un endroit où on procède à l’exhumation, nous n’avons pas à exhumer tous les corps.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Il y a des problèmes à laisser traîner les choses. Par exemple, mon très bon ami George Bretton, qui était un survivant du pensionnat de Blue Quills, est aujourd’hui décédé. Dans le cadre de mon ancien travail, nous l’avons filmé alors qu’il racontait être un des enfants qui creusaient à la pelle les tombes de leurs camarades de classe. L’organisme Native Counselling Services of Alberta l’a filmé en train de parler de cela, mais beaucoup d’enfants qui ont dû creuser des tombes sont aujourd’hui décédés. Je tenais donc à rendre hommage à George Bretton et aux aînés, parce qu’il en meurt tous les jours, et que nous devons d’une façon ou d’une autre recueillir leurs témoignages.

La sénatrice Hartling : Ce témoignage est difficile à entendre, mais il est important que nous l’entendions et que vous sachiez que nous sommes avec vous. Je pense au traumatisme des personnes que vous rencontrez, mais aussi au vôtre. Comment faites-vous face à cela? Il y a tellement de choses à gérer. Chaque jour, vous apprenez des choses, et je suis sûre qu’à votre bureau, vous recevez des appels et des courriels. Comment gérez-vous cela?

Mme Murray : J’aimerais commencer par la question des traumatismes en général, pour les communautés et les survivants. J’ai parlé des préoccupations communes et du manque de financement. C’est du manque de fonds pour le traitement des traumatismes que nous entendons parler le plus souvent. Certaines communautés ont appris très tôt qu’elles ne pouvaient pas utiliser les fonds reçus pour embaucher des travailleurs de soutien aux victimes de traumatismes au sein de leur équipe et qu’elles devaient utiliser les services existants. C’est pourtant un traumatisme unique qui vient s’ajouter à d’autres traumatismes. Les communautés sont soumises à des lois ambiguës et ne savent même pas comment qualifier leur traumatisme. Il est important que le pays soutienne les survivants au sein des communautés afin de contribuer à leur bien-être mental.

On nous répète sans cesse que nous devons nous appuyer sur les guérisseurs autochtones, mais il n’y a aucun soutien pour cela en raison du mode de financement du gouvernement du Canada, ce qui nous oblige à nous en remettre uniquement à la médecine occidentale. Par conséquent, les communautés demandent qu’on fasse appel aux guérisseurs et aux anciens pour soigner ces traumatismes.

En ce qui concerne nos traumatismes personnels, nous travaillons avec nos aînés et les survivants. Lorsque vous épaulez les gens et que vous travaillez aux côtés de ceux qui ont résisté et qui font preuve de résilience, cela vous donne la force d’aller de l’avant.

Je suis sensible au souci que vous exprimez pour notre bureau, mais je peux vous dire qu’il n’y a pas de plus grande récompense pour ce travail que d’aider quelqu’un à retrouver un être cher, comme je le fais presque toutes les semaines.

Je vais vous donner un exemple. Cela se produit souvent. La famille ne sait pas où est enterré l’être cher. On l’a emmené dans un sanatorium, un pensionnat indien. On vient de leur annoncer son décès — et je sais que la sénatrice Audette le sait trop bien, au Québec. Je peux obtenir le nom de cet enfant, je peux me connecter au Centre national pour la vérité et la réconciliation, trouver le nom de l’enfant, trouver un dossier, qui me mènera à un autre dossier, qui me mènera à ancestry.com. Pourquoi les familles doivent-elles s’adresser à mon bureau pour trouver l’acte de décès de leur proche sur ancestry.com? Les provinces et les territoires ne vont tout simplement pas fournir ces documents.

Enfin, ces documents vous mèneront à l’endroit où l’enfant est enterré, à des centaines de kilomètres de sa communauté d’origine. Nous voyons maintenant des familles se rendre dans des cimetières. Je vois cela souvent. Les enfants n’ont pas disparu; ils sont enterrés dans les cimetières. On estime qu’ils ont disparu parce que les familles n’ont jamais été informées de l’endroit où ils sont enterrés. Chaque famille autochtone doit savoir où son enfant est enterré. Nous trouvons cette information et nous savons que les familles vont pouvoir faire leur deuil. Elles connaissent la vérité et elles ont des réponses, et c’est ce qui nous pousse à continuer.

La sénatrice Hartling : Je vous en remercie, car c’est assurément un traumatisme difficile à surmonter. Merci.

La sénatrice Sorensen : Merci aux aînés pour la prière de ce matin, et merci aux témoins de m’aider à poursuivre mon apprentissage et mon éducation.

Comme suite à la question de la sénatrice LaBoucane-Benson et à votre dernière réponse, je voudrais me projeter dans l’avenir, dans 10 ou 20 ans, en espérant que les objectifs de votre mandat auront été atteints avec le plus grand succès. Que dirait ce rapport au sujet des restes de tous les enfants perdus? Qu’est-ce qui apportera un certain degré de paix aux communautés en ce qui concerne les pensionnats indiens?

Mme Murray : Eh bien, les dossiers seraient soumis à la souveraineté du statut autochtone. Les dossiers seraient entre les mains des communautés autochtones. Les terres seraient protégées. Nous n’aurions pas de roulottes au-dessus des sépultures d’enfants. Nous ne serions pas obligés de recourir aux tribunaux pour obtenir des injonctions afin d’empêcher tout projet d’aménagement sur des lieux de sépulture. Nous aurions un mécanisme dirigé et contrôlé par les Autochtones, une commission autochtone des personnes disparues, avec des Autochtones formés pour la diriger, qui appliquerait le droit autochtone et aurait les pouvoirs nécessaires.

La sénatrice Sorensen : Merci.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie de votre témoignage de ce matin et du travail très important que vous accomplissez tous.

J’ai aussi beaucoup de questions à poser, et nous sommes toujours pressés par le temps. J’en poserai très rapidement deux. La première concerne l’accord technique conclu entre le gouvernement du Canada et la Commission internationale pour les personnes disparues.

Selon vous, qu’est-ce qui peut et doit être fait pour corriger cette injustice, parce qu’il y a manifestement un problème, et pour que cela soit intégré dans ce que vous faites, si c’est ce que vous dites être la bonne chose à faire?

Ma deuxième question porte sur votre mandat. Je constate que deux éléments concernent le droit et que le premier concerne l’engagement et la facilitation avec les communautés et les survivants.

En ce qui concerne le premier élément, sans pour autant perdre de vue les aspects juridiques nécessaires, est-ce qu’il y a des choses que le gouvernement fédéral pourrait mieux faire aujourd’hui pour vous aider à réaliser cet aspect de votre mandat, en particulier sur le plan des relations si problématiques qu’il entretient avec les provinces?

Mme Murray : Je vous remercie de votre question. Au début de mon mandat, j’ai demandé au ministre Lametti de m’inviter à participer à la réunion des ministres de la Justice des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. C’était tout au début de mon mandat, et j’ai soulevé certaines questions et préoccupations concernant le rôle des gouvernements provinciaux par rapport aux pensionnats et la manière dont ils peuvent soutenir le travail visant à retrouver les enfants. J’ai également demandé de faire le même exposé aux ministres des Affaires autochtones. Cela ne m’a pas encore été accordé.

Les ministres de la Justice m’ont quelque peu déçue, car je leur avais demandé expressément de mettre sur pied un mécanisme qui permettrait à mon bureau de disposer d’un guichet unique dans les provinces et les territoires, mais ils m’ont renvoyée au Groupe de travail autochtone. J’ai beaucoup d’expérience avec ce groupe de travail, car j’ai été sous-procureure générale adjointe pour la province de l’Ontario. Il s’agit principalement d’un groupe d’experts en droit pénal. Ils n’ont pas d’expertise dans ce domaine.

Nous avons envoyé une demande d’information à toutes les provinces, à tous les territoires et au gouvernement fédéral. Nous leur avons posé des questions précises sur leurs lois, sur ce qu’ils pourraient changer, sur les travaux en cours, sur la manière dont ils soutiennent les communautés, sur la manière dont ils ont mis en œuvre les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation et les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Nous attendons toujours les réponses. Elles éclaireront notre travail pour la suite.

Je pense vraiment que le gouvernement fédéral peut contribuer dans une grande mesure à faciliter les relations avec les provinces. Des provinces et régions particulières nous ont beaucoup aidés.

L’exemple qui me vient spontanément à l’esprit est celui du bureau du coroner de l’Ontario, qui fait un travail remarquable en ce moment. Il a en sa possession des boîtes d’ossements, des restes, et il se penche à nouveau sur ces cas. Il va établir une carte et voir si les restes se trouvaient sur les terrains d’anciens pensionnats ou dans leurs environs. Il faut que toutes les provinces fassent ce travail.

Le gouvernement fédéral doit soutenir les provinces dans leur travail, si c’est nécessaire. Beaucoup d’entre vous se souviendront que lorsque l’Enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a été lancée, le Canada a financé les provinces pour qu’elles mettent sur pied des Unités de liaison pour l’information à l’intention des familles. J’ai créé cette unité en Ontario. Lorsque j’y travaillais, nous avons aidé trois familles à retrouver les lieux de sépulture de leurs enfants qui avaient été placés dans des pensionnats. Il existe un précédent pour la mise sur pied d’une aide aux provinces destinée à soutenir les communautés dans le travail qu’elles accomplissent pour retrouver les enfants.

En ce qui concerne la CIPD — la Commission internationale pour les personnes disparues —, nous avons expressément demandé le rejet pur et simple de l’accord. On nous a répondu que non, qu’il était déjà signé. Un mécanisme permet de le modifier.

J’ai travaillé avec le Centre national pour la vérité et la réconciliation et le Comité consultatif national sur les enfants disparus des pensionnats et les sépultures non marquées. Nous avons écrit au gouvernement canadien pour lui faire part des modifications que nous souhaitons, mais nous n’avons encore rien obtenu. Nous avons eu quelques réunions.

Ce qui me dérange, c’est qu’ils ont entamé leur travail en sachant que l’accord est défectueux, et il n’a pas encore été corrigé. Cela me préoccupe. Ils sont actuellement en train de parler aux communautés.

Je trouve que c’est un peu trompeur. Lorsque vous mettez le mot « international » dans le nom, lorsque vous dites que vous êtes à La Haye, vous convainquez les communautés la conviction qu’il s’agit en quelque sorte de la justice, de l’ONU ou de la Cour pénale internationale. Ce sont des discussions qui, à mon avis, sont trompeuses. Il s’agit d’une organisation dont le conseil d’administration est composé exclusivement d’allochtones et principalement de Blancs. Ce sont des scientifiques, de grands scientifiques, mais ils ne savent tout simplement pas comment travailler avec les Autochtones.

Cela ne faisait pas partie de mon mandat.

La sénatrice Coyle : Merci.

M. Worme : Je vous remercie de cette question. Par ailleurs, sénatrice Coyle, l’une des choses que nous souhaitons voir, c’est une certaine forme de parité. Au début du mandat de l’interlocutrice spéciale, nous avons cherché dans le monde entier d’autres types d’entités engagées dans ce genre de travail sacré, et nous en avons trouvé très peu. La CIPD en est une.

Nous en avons trouvé une : la Fondation d’anthropologie médico-légale du Guatemala. Elle se consacre à ce travail depuis 30 ans. Elle s’occupe essentiellement des populations autochtones, les Mayas, qui ont été prises dans des conflits internes. Jusqu’à présent, ils ont exhumé, identifié et rapatrié plus de 7 000 personnes — et il en reste encore beaucoup — sur un total estimé à 40 000 personnes disparues dans leurs conflits internes.

Vous savez que l’ancien commissaire en chef de la Commission de vérité et réconciliation, Murray Sinclair — un de vos anciens collègues au Sénat — a estimé les pertes à environ 25 000 enfants autochtones. Comme l’a dit l’interlocutrice spéciale, il faudra beaucoup de temps pour rechercher, identifier et, le cas échéant, ramener ces enfants dans leurs communautés et leurs familles.

Nous voudrions que le gouvernement fédéral garantisse la parité des organisations dirigées par des Autochtones — comme c’est le cas pour la Fondation d’anthropologie médico-légale du Guatemala — qui sont prêtes à mettre leur expertise et leurs connaissances au service de nos communautés, car nous disposons des personnes nécessaires au sein de nos communautés. Nous avons des jeunes qui peuvent être formés, qui sont impatients, qui souhaitent ardemment faire ce travail, et qui sont compétents. Ils peuvent le faire avec une proximité culturelle et une compétence culturelle que ne peut pas offrir une organisation dont le nom comprend le mot « international », comme l’a dit l’interlocutrice spéciale. Il faut que ce soit plus près de nous que cela, et que ce soit dirigé par des Autochtones. On dirait qu’il s’agit là d’un concept difficile à saisir. C’est évident pour les Autochtones, mais il semble que ce soit un concept très difficile à comprendre pour le monde non autochtone.

Sénatrice LaBoucane-Benson, je pense que cela revient en partie à votre question sur les exhumations et sur la réticence de certaines communautés à aller aussi loin, à procéder à des exhumations, parce que c’est peut-être une violation des protocoles culturels, et ainsi de suite. Cependant, s’ils étaient au courant du soin dont les experts de la fondation guatémaltèque nous ont parlé, des cérémonies qu’ils organisent pour laver les os et s’assurer que les protocoles culturels de ces personnes sont observés et respectés, leurs efforts pour ramener les restes des disparus pourraient être menés à bien d’une manière qui leur rendrait hommage. Nous pouvons faire la même chose ici. Nous avons les personnes et les capacités pour le faire.

Le président : Merci, monsieur Worme.

Malheureusement, nous n’avons plus de temps. Je présente mes excuses aux sénateurs qui n’ont pas pu poser leurs questions. Je vous mettrai en tête de liste pour le prochain groupe de témoins.

J’aimerais remercier nos témoins, Kimberly Murray, Wendelyn Johnson et Donald Worme, du Bureau de l’interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes en lien avec les pensionnats indiens. Merci de vous être joints à nous aujourd’hui.

Notre deuxième groupe de témoins est composé de Stephanie Scott, directrice du Centre national pour la vérité et la réconciliation, et de l’aînée Barbara Cameron, qui fait partie du Cercle des survivants, lequel guide et conseille le Centre national pour la vérité et la réconciliation. Wela’lin. Merci à toutes les deux de vous joindre à nous aujourd’hui. Mme Scott va prononcer une déclaration liminaire d’environ cinq minutes, après quoi les sénateurs pourront poser leurs questions.

Stephanie Scott, directrice, Centre national pour la vérité et la réconciliation : Bonjour. [mots prononcés dans une langue autochtone] Mon nom anishinabe est Femme du Nuage rouge, ma famille est originaire de la Première Nation des Anishinabes de Roseau River au Manitoba, et je suis du clan Marten. Je suis la fille de survivants des pensionnats et de la rafle des années 1960, et j’ai le privilège de travailler sur le territoire du traité no 1, les terres d’origine des Anishinabes, des Cris, des Dénés, des Oji-Cris, la patrie des Métis de la rivière Rouge, et le foyer de nombreux peuples inuits.

Je suis reconnaissante de cette occasion de vous rencontrer sur le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine, et je tiens à en remercier les honorables sénateurs. Merci à Kimberly Murray, interlocutrice spéciale, et à son bureau de continuer à soutenir notre travail.

J’aimerais commencer par donner la parole à ma mentor et collègue, l’aînée Barbara Cameron, et lui dire merci pour les prières qu’elle a prononcées ce matin. Elle est membre du Cercle des survivants du Centre national pour la vérité et la réconciliation. Mme Cameron travaille également avec nous depuis l’époque de la Commission de vérité et réconciliation en tant que responsable de la consignation des déclarations et interprète. Elle s’est entretenue avec des centaines de survivants dans tout le pays.

Barbara Cameron, survivante des pensionnats, Centre national pour la vérité et la réconciliation : Meegwetch.

[mots prononcés dans une langue autochtone]

Je vais m’adresser à vous en anglais.Bonjour à vous, mes frères et sœurs. Mon premier nom spirituel est Cheffe des Oiseaux-Tonnerre. Mon deuxième nom spirituel est Trou dans le ciel. Je suis anishinaabekwe et je suis une Midewiwin de Minweyweywigaan, où nous avons notre propre pavillon. Actuellement, je suis détentrice du troisième degré de savoir autochtone, et je suis très heureuse d’être ici. Je n’aurais jamais pensé être ici un jour.

Je suis une survivante des pensionnats. Nous ne sommes plus très nombreux et je suis très honorée de siéger, comme l’a dit Mme Scott, au Centre national pour la vérité et la réconciliation en tant que survivante.

Je viens de la réserve de Long Plain, Traité no 1, au Manitoba. Le nom original du Manitoba est manidoobaa-akiing, et c’est le nom que nous utilisions à l’origine. J’aimerais dire que je suis guidée par nos ancêtres qui n’ont pas vécu cette journée avec vous, mais je suis ici pour en être la voix, si je le peux.

Je tiens tout d’abord à tous vous saluer, tous les membres de ce comité, et je tiens tout particulièrement à saluer les leaders, les champions des Premières Nations, des Inuits et des Métis, qui siègent en tant qu’honorables membres du Sénat.

Comme vous le savez, le Centre national pour la vérité et la réconciliation est né de la Commission de vérité et réconciliation. Le Centre a été créé pour préserver toutes les déclarations et autres documents que la Commission de vérité et réconciliation avait recueillis et pour poursuivre les travaux de la Commission visant à dire la vérité sur les systèmes de pensionnats et leur incidence sur des générations de familles et de communautés des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Je faisais partie de la commission lorsque nous avons fait notre travail sacré.

Je tiens à féliciter les députés d’avoir adopté une motion unanime reconnaissant que la violence infligée à nos enfants, à nos familles et à nos cultures par le système des pensionnats répond à la définition d’un mot qui a déjà été utilisé ici, à savoir le génocide en vertu du droit international. Cette reconnaissance des vérités essentielles du système des pensionnats souligne la très grande importance de veiller à ce que tous les Canadiens connaissent cette histoire vécue et puissent travailler pour veiller à ce que ces crimes ne se répètent jamais.

Le drapeau des Survivants flotte sur la Colline du Parlement. Ce drapeau, conçu avec des survivants, est un rappel important de la force, du pouvoir et de la résilience de la culture et des enseignements autochtones. Le drapeau transmet le message suivant : « Nous n’avons pas laissé le système des pensionnats nous détruire, et nous guérirons, et nous restaurerons nos langues, nos cultures et nos traditions. Nous ne sommes pas ce qui nous est arrivé. »

Stephanie Scott, notre pionnière depuis l’époque dont je me souviens, peut vous en dire plus sur les progrès considérables qui ont été réalisés pour accéder à des dossiers importants qui n’ont jamais été communiqués à la Commission de vérité et réconciliation, sur la croissance incroyable de nos programmes éducatifs et sur l’importance de garantir le financement à long terme que le gouvernement fédéral s’est engagé à verser.

Dans l’ensemble, nous faisons de grands progrès, mais il y a aussi des signes inquiétants auxquels nous sommes confrontés au quotidien. L’état d’esprit et l’attitude de la doctrine de la découverte — vous le savez tous bien — et la pensée de la domination continuent à nous mettre au défi tous les jours, l’état d’esprit de la conquête coloniale. Plus les pensionnats font les manchettes, plus nous sommes confrontés à des réactions négatives. Il y a des gens qui continuent de nier cette vérité, qui ne veulent pas admettre que les pensionnats ont infligé ces préjudices aux peuples autochtones et qu’ils ont été conçus expressément à cette fin. Ces négateurs examinent les réalisations des survivants et, au lieu de reconnaître la force et la résilience de ces personnes, ils disent ։ « Regardez tout le bien que le pensionnat a fait pour vous. » Ce qu’ils ne voient pas, c’est la perte intergénérationnelle de notre source d’existence, la perte de notre lien avec toute la Création, la perte de nos langues, de nos cultures, de notre identité au sein de nos familles et de nos communautés. Ces négateurs ignorent les faits établis concernant l’histoire des pensionnats, y compris la réalité documentée selon laquelle la plupart des enfants morts dans les pensionnats n’ont jamais été rendus à leur famille. Ceux qui nient l’histoire ont qualifié la recherche de sépultures anonymes de « fausses nouvelles », et il est de plus en plus courant d’entendre des « fausses nouvelles » dans les médias. Ces personnes qui nient l’existence des pensionnats ne reflètent pas l’opinion de la majorité des Canadiens. Nous le savons. Le déni est un mouvement marginal, mais il comprend des personnes qui ont le pouvoir et l’influence nécessaires pour être cités dans les médias et à l’étranger. Nous savons tous maintenant que les mouvements marginaux peuvent prendre de l’ampleur si on leur accorde suffisamment d’attention et de temps d’antenne.

Quand Kimberly Murray a pris la parole plus tôt, je voulais seulement dire qu’en tant qu’enfant du pensionnat de Brandon, au Manitoba, je me souviens d’avoir joué autour des tombes. Je m’en rappelle. Mais j’étais une enfant. Je me concentrais sur le jeu, bien entendu.

Je veux conclure mes remarques en exhortant tous les membres de ce comité à se rallier à nous, à soutenir les survivants et le Centre national pour la vérité et la réconciliation, en veillant à ce que la vérité sur les pensionnats ne puisse pas être niée et oubliée, et qu’elle ne le soit pas.

Le président : Merci, aînée Cameron, de vos remarques très convaincantes.

Mme Scott : Meegwetch et merci à l’aînée Cameron de ses déclarations.

Je veux vous faire part de quelques détails sur les travaux en cours du Centre national pour la vérité et la réconciliation, y compris certains des changements positifs que l’aînée Cameron a mentionnés. Le Centre a un mandat et une responsabilité uniques. Nous sommes les gardiens de toutes les déclarations des survivants qui ont été recueillies par la Commission de vérité et réconciliation, ainsi que d’une extraordinaire collection de documents et d’objets sacrés qui continue de s’enrichir tous les jours. Nous sommes la principale institution nationale à soutenir la recherche universitaire sur les pensionnats, et nous travaillons chaque jour avec les survivants, les nations et les mouvements populaires de tout le pays pour sensibiliser les gens à la question des enfants disparus.

Le Centre national pour la vérité et la réconciliation détient actuellement environ 4 millions de documents. Le Centre national pour la vérité et la réconciliation a le mandat de mettre ces documents à la disposition des survivants, de leur famille, des communautés, des chercheurs et des éducateurs. Nous devons également trouver un équilibre entre les préoccupations relatives à la protection des renseignements personnels et le consentement, et le travail de catalogage de ces dossiers et d’examen en vue de leur divulgation est monumental et continu.

Depuis 2021, le volume des demandes d’archives émanant des survivants a connu une augmentation incroyable et, franchement, nous avons été submergés par le nombre et le rythme des demandes, ce qui a entraîné des retards très regrettables dans le traitement de ces demandes. J’ai toutefois le plaisir de vous annoncer que l’engagement pris par le gouvernement fédéral en 2022 d’assurer un financement de base durable et à long terme nous a permis d’accroître considérablement notre capacité. D’ici la fin du mois, les archives du Centre national pour la vérité et la réconciliation auront éliminé l’arriéré des demandes, ce qui réduira sensiblement le temps nécessaire aux survivants et aux communautés pour recevoir des copies de leurs dossiers.

Le Centre national pour la vérité et la réconciliation a également entrepris un examen systématique des dossiers dont nous sommes responsables afin d’assembler toutes les pièces du casse-tête — et c’est un très grand casse-tête — jusqu’à ce qu’une histoire plus complète des enfants qui ne sont jamais rentrés chez eux puisse être reconstituée.

En 2019, nous avons travaillé avec des survivants et des communautés pour créer le Registre commémoratif national des élèves pour honorer tous les enfants. Le registre compte actuellement 4 128 enfants, dont vous pouvez lire les noms sur notre site Web et sur la bannière commémorative que nous affichons chaque année. À la suite de l’examen détaillé de plus de deux millions d’enregistrements à ce jour, le Centre national pour la vérité et la réconciliation annoncera sous peu un nombre important de nouveaux noms dans ce registre. Ce travail n’est pas terminé et se poursuit.

Les honorables sénateurs savent que le gouvernement du Canada et les diverses archives religieuses qui géraient les écoles n’ont pas divulgué tous les dossiers à la Commission de vérité et réconciliation. Des accords récents avec le gouvernement fédéral, les ordres religieux, y compris les oblats, commencent à rectifier cette situation. Le processus a été très long et nous entrons dans la huitième année depuis la fin du mandat de la Commission de vérité et réconciliation.

Nous savons que des millions de dossiers additionnels seront fournis au Centre national pour la vérité et la réconciliation et, par notre intermédiaire, aux survivants, aux familles et aux communautés. Nous travaillons actuellement avec le gouvernement fédéral, qui fera parvenir au Centre de 10 à 15 millions de dossiers supplémentaires. Vous pouvez imaginer la vérité qui reste à être dévoilée.

Nous nous intéressons non seulement aux archives créées par les écoles et le gouvernement, mais aussi à tous les documents et preuves qui contribuent à éclairer cette histoire complexe. Je tiens particulièrement à remercier l’Office national du film du Canada, qui a conclu un accord avec le Centre national pour la vérité et la réconciliation pour examiner ses archives importantes afin de relever et de cataloguer les documents pertinents et de nous en faire parvenir des copies. Il s’agit notamment de travailler à la conservation numérique des plus de 7 000 déclarations de survivants recueillies par la Commission de vérité et réconciliation, afin qu’elles soient disponibles pour les décennies à venir.

Le Conseil national pour la vérité et la réconciliation continue le travail d’enregistrement des déclarations des survivants des pensionnats, dont beaucoup n’ont jamais raconté leur histoire orale auparavant. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec le bureau de Kimberley Murray, l’interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes en lien avec les pensionnats indiens, afin de veiller à ce que tous les survivants aient accès à cette ressource lors des événements nationaux, alors qu’elle achève son travail.

Alors que de plus en plus de communautés entreprennent des recherches sur les enfants disparus dans les pensionnats, nous les aidons à mettre au point les outils et les protocoles dont elles ont besoin pour obtenir des données en vue de leur utilisation future. J’aimerais souligner l’existence du Comité consultatif national sur les enfants disparus des pensionnats et les sépultures non marquées. Ce comité, créé l’année dernière dans le cadre d’un partenariat entre le Centre national pour la vérité et la réconciliation et Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, rassemble un éventail extraordinaire de survivants et d’experts autochtones sur toutes les questions liées à la recherche d’enfants disparus.

Les renseignements communiqués par ce comité contribuent à répondre à un besoin essentiel exprimé par les communautés autochtones de tout le pays. Le Centre national pour la vérité et la réconciliation s’est également associé récemment au Conseil de recherches en sciences humaines pour répondre à l’appel à l’action 65, qui demandait un programme de recherche national pour faire progresser la compréhension de la réconciliation. Le Réseau de réconciliation financera des projets dirigés par des chercheurs autochtones qui travaillent avec des communautés autochtones, et contribuera à notre compréhension collective de la vérité et de la réconciliation. Ces projets peuvent porter sur l’histoire des pensionnats, l’héritage des politiques coloniales dans des domaines tels que la protection de l’enfance, l’éducation, la langue, la culture, la santé et la justice. Le Centre national pour la vérité et la réconciliation servira de plaque tournante pour ces projets, les regroupant dans un réseau de chercheurs qui travaillent à la réconciliation au Canada. Le Centre national pour la vérité et la réconciliation jouera également un rôle pour amplifier les travaux des projets auprès d’un vaste public et accroître l’incidence de la recherche.

L’éducation et l’engagement du public sont aussi des secteurs où le travail a pris très rapidement de l’ampleur au cours des dernières années. Notre unité d’éducation, qui est très petite, composée de trois personnes, et qui sert tout le pays, organise deux ou trois réunions par semaine. En 2022, le Centre national pour la vérité et la réconciliation a organisé plus de 200 séances d’éducation avec 125 organisations uniques, des conférences, des kiosques d’éducation, des présentations, des ateliers, des déjeuners-conférences et des projections de films. L’un de nos programmes de sensibilisation les plus réussis s’intitule « Imagine un Canada », une initiative qui invite les jeunes Canadiens de la maternelle à la 12e année à exprimer leur vision de la réconciliation par l’entremise de l’art, d’essais et du multimédia. Nous invitons également les élèves plus âgés à proposer des activités scolaires et communautaires que nous pouvons financer.

Le Centre national pour la vérité et la réconciliation, ou le CNVR, s’est toujours associé aux activités organisées à l’occasion de la Journée du chandail orange. Maintenant que cette journée est reconnue comme une journée nationale pour la vérité et la réconciliation, les possibilités se sont multipliées de manière exponentielle. Nous l’appelons la Semaine de la vérité et de la réconciliation. La programmation en ligne a rejoint plus de 30 000 éducateurs en français, en anglais et en langues autochtones, représentant plus d’un million d’élèves d’un océan à l’autre. C’est ce que nous faisons chaque année. Nous avons organisé un événement sur l’autonomisation avec 5 000 élèves, où ils ont pu rencontrer des survivants et où nous avons également dévoilé la bannière commémorative. Nous avons vécu un moment incroyable en portant la bannière sur laquelle figurent plus de 4 000 noms. Alors que je passais devant ces jeunes gens, dont beaucoup étaient des nouveaux venus dans l’auditoire et avaient l’âge d’aller à l’école secondaire, quand la bannière est passée devant eux, ils priaient et pleuraient. Je sais que les esprits de ces jeunes parlaient depuis l’au-delà et qu’ils apportent un changement parce que nous nous engageons à un âge plus jeune et qu’ils peuvent transmettre ces histoires au nom de ceux qui ne sont pas rentrés chez eux.

La diffusion nationale a également lieu le 30 septembre, en partenariat avec APTN, CBC et des diffuseurs indépendants de nouvelles et de contenu dans les médias sociaux. Elle rejoint 12,5 millions de personnes par an. Les Canadiens y ont également accès par l’entremise des nouvelles et de la télévision. Cette année, le thème de la Semaine de la vérité et de la réconciliation, qui se déroulera du 25 au 30 septembre, sera « Honorer la résilience des survivants ».

La forte demande pour le travail du Centre national pour la vérité et la réconciliation est un signe positif. Elle signifie qu’il y a du changement et de l’espoir de changement dans ce pays. Je tiens à rappeler que nous ne pouvons pas répondre à cette demande sans le financement durable et à long terme fourni par le gouvernement du Canada. Le chemin a été long, et nous n’avons reçu le financement que l’année dernière. Nous bénéficions aussi du soutien continu de notre partenaire institutionnel et hôte, l’Université du Manitoba.

Le Centre national pour la vérité et la réconciliation a pour mandat de consigner, de préserver et de communiquer la vérité sur l’histoire des pensionnats. L’honorable Murray Sinclair, l’un des trois aînés du Centre en résidence, a déclaré que la réconciliation est l’œuvre de plusieurs générations. Le centre sera là pour accomplir ce travail. Je tiens à rendre hommage à l’ensemble du personnel du Centre national pour la vérité et la réconciliation, au Cercle des survivants et au Cercle de gouvernance qui continuent à travailler sans relâche avec les survivants et pour les survivants.

Je voudrais conclure en disant que nous sommes également très reconnaissants de l’engagement du Canada à soutenir la construction d’un siège permanent pour le Centre national pour la vérité et la réconciliation, conformément à notre mandat et à notre responsabilité uniques. Nous avons reçu une contribution importante du gouvernement fédéral, mais il nous reste encore un long chemin à parcourir. Nous prévoyons organiser une nouvelle campagne de financement pour amasser 40 millions de dollars, qui se déroulera prochainement. Mais nous sommes engagés parce que nous savons que nous sommes ici avec les survivants, nos aînés et les gardiens du savoir. Je tiens à vous dire meegwetch du temps que vous m’avez consacré et de l’invitation à comparaître devant vous aujourd’hui.

Le sénateur Tannas : Je vous remercie de votre présence aujourd’hui. Madame Scott, vous avez mentionné qu’il y a encore des organisations et des personnes qui possèdent des données qui ne vous ont pas été transmises. Nous voulons tous faire quelque chose pour aider. Une partie de l’aide consiste à écouter et à discuter, mais parfois, une partie de l’aide que nous pouvons apporter consiste à agir. Ici, au Sénat, nous avons la possibilité d’organiser des audiences de suivi. Nous pouvons obliger les gens à venir témoigner devant nous. Que penseriez-vous si vous nous donniez les noms et les renseignements des organismes qui ne fournissent pas de données, et si nous les faisions venir ici en séance publique pour leur demander pourquoi?

Mme Scott : J’aimerais beaucoup que vous le fassiez. Nous attendons depuis longtemps, et je pense que c’est absolument crucial. Lorsque Tk’emlúps est arrivé et que les enfants ont commencé à parler depuis l’au-delà, le monde et le paysage ont changé pour nous. Auparavant, nous devions tendre la main aux gens partout au pays, nouer des partenariats et essayer d’acquérir différents documents. Nous avons travaillé en étroite collaboration — je pense qu’il est temps —, le temps est venu pour vous de convoquer ces personnes, et je serai plus que disposée à vous fournir ces renseignements. Nous avons mené une campagne médiatique publique. Il n’y a pas de secrets. Tout a été rendu public et nous savons tous ce qui s’est passé, beaucoup d’entre nous ici à cette table le savent. Si vous êtes disposés à le faire, je vous demande respectueusement de nous aider.

Le sénateur Tannas : C’est certainement ce que je préconiserais. Si vous voulez faire parvenir à la greffière, pour les discussions futures, le nom des trois opposants les plus évidents, nous pourrions peut-être commencer par là et en parler en groupe. Il faudrait que tous les sénateurs soient d’accord pour que nous tenions ce genre de réunion. J’estime qu’il est temps d’agir. Comme l’a mentionné le sénateur Arnot, nous n’irons nulle part tant que nous n’aurons pas obtenu toutes les données. Nous n’obtiendrons pas la vérité pleine et entière, ce que les Canadiens devraient souhaiter. C’est la seule façon d’aller de l’avant. Je vous remercie. C’est la seule question que j’avais.

[Français]

La sénatrice Audette : Premièrement, merci au président d’avoir agi autrement aujourd’hui et d’avoir laissé le temps aux personnes de venir partager leur vérité, qui est importante dans cet espace. Je remercie aussi mes collègues d’avoir posé de très bonnes questions et émis de bons commentaires.

Je voulais tout simplement vous dire merci au nom de ma mère. Tous les jours, nous portons ses traumatismes. En même temps, je suis fière de voir des femmes et des hommes autochtones ayant autant de pouvoir, pour que ma mère puisse enfin avoir des vérités et pour les 28 familles qui ont aujourd’hui des vérités à la suite de ce qui s’est passé quand leur bébé a été enlevé à Manawan, au Québec. C’est grâce à votre travail qu’aujourd’hui, il y a des vérités pour nos guérisons.

Alors c’est encore présent, et je vous dis merci parce que ce sont de mes amis et de ma famille qu’il s’agit. Il faut rester fort dans un espace très colonial. Grâce à vous, grâce à mes collègues, je me dis qu’on peut combattre de l’intérieur. Vous avez une amie, une alliée et une passionnée. Un gros merci.

[Traduction]

Le président : Je vous remercie de vos aimables paroles, sénatrice Audette.

Mme Scott : Je ne sais pas ce qui est approprié dans cette structure coloniale, mais meegwetch.

Le sénateur Arnot : Je commencerai par dire que le Centre national pour la vérité et la réconciliation a un rôle très important à jouer dans l’avenir de ce pays. Je crois au pouvoir de l’éducation, et j’ai l’impression que vous ne disposez pas de ressources suffisantes pour offrir le type d’éducation nécessaire pour lutter contre les négateurs et faire connaître la vérité aux gens. Je me demande si vous avez des observations sur ce que nous pouvons faire pour soutenir tout ce que vous voulez — le sénateur Tannas a donné un très bon exemple —, en particulier dans le domaine de l’éducation, parce que je pense que l’éducation des non-Autochtones au Canada est vraiment essentielle pour aller de l’avant. Vous êtes bien placés pour créer des ressources pédagogiques, que ce soit pour la maternelle à la 12e année ou l’université. Je me demande ce que vous pourriez dire à ce sujet et ce que nous pourrions faire pour vous aider dans ce domaine ou dans tout autre domaine sur lequel vous pensez que nous devrions nous concentrer pour soutenir votre travail.

Mme Scott : L’éducation est absolument essentielle. Chaque année, nous revenons à la table pour redemander du financement pour des projets. Nous continuons la lutte pour le financement. Nous cognons à toutes les portes afin d’amasser un budget annuel d’un peu plus de 1 million de dollars afin de réaliser le travail qui s’impose. Il faut déterminer le montant par personne que représentent 1 million de dollars pour 12,5 millions de Canadiens. Après avoir fait le calcul, on se rend compte que c’est bien peu. Bien honnêtement, la tâche est éprouvante. Le fait de continuellement revenir à la table nous ralentit, mais nous le faisons parce que nous travaillons au quotidien avec des survivants et des aînés et que nous savons que c’est la chose à faire pour l’avenir.

Certains des programmes les plus formidables et apportant le plus d’espoir et d’émotions sont ceux destinés à la génération des jeunes. Ils accomplissent du travail phénoménal, et on en prend conscience lorsqu’on discute avec eux et qu’on leur demande d’imaginer l’avenir et les façons de guérir le pays. J’aurais voulu pouvoir les inviter à ce comité parce qu’ils rédigent de la poésie et des œuvres artistiques qu’ils font lire à leurs familles. Les jeunes enfants en savent davantage sur la vie que leurs parents ou moi à leur âge. On m’a enlevée de ma communauté à la naissance, et ce n’est qu’à l’âge de 28 ans que j’ai retrouvé le chemin de mon chez-moi. Mes apprentissages sont quotidiens. J’avais 52 ans lorsque j’ai appris l’identité de mon père. Ma mère avait tant de mal à parler de ces sujets. Vous devez réfléchir aux décennies de travail à abattre, et ce n’est que pour une personne, un vécu et un récit.

Nous vous serions reconnaissants d’exercer des pressions sur les intervenants afin de les ramener à la table et de leur demander de nous aider à faire notre travail. Notre équipe de l’éducation, au Centre national pour la vérité et la réconciliation, ou CNVR, compte trois personnes et accomplit un travail phénoménal. Kaila Johnston, une jeune superviseure en éducation est restée parmi nous après s’être jointe à nous comme étudiante à la Commission de vérité et réconciliation du Canada, ou CVR. Elle a littéralement grandi avec nous. Lorsque je parle d’elle, j’en ai des frissons, parce que je sais qu’elle occupera un jour mon poste; étant donné sa fabuleuse expérience de travail, j’appuie tout à fait cette transition. Il est prioritaire de continuer à exercer de la pression sur le gouvernement pour appuyer notre centre. Nous faisons attention à la dépense. Nous accumulons les partenaires et nous n’arrêterons pas nos efforts parce que nous saisissons l’importance du travail à accomplir.

Le président : Je vous remercie de ces commentaires.

La sénatrice Coyle : Oui, vous nous avez demandé de nous tenir à vos côtés, madame Cameron, et c’est tout à fait mon intention. J’espère que vous sentez le même appui du reste du groupe autour de cette table qui n’est pas tout à fait circulaire — faisons semblant que c’est un cercle. J’aimerais vous remercier toutes deux pour vos observations et pour le travail essentiel que vous faites.

Vos commentaires sur le déni m’ont vraiment frappée. Nous avons un peu entendu parler de ce phénomène des plus graves. Vous l’avez décrit comme étant de l’information mensongère, propagée entre autres par les personnes puissantes. C’est blessant, nocif et, bien honnêtement, vraiment dangereux. Ce que vous dites m’inquiète énormément. Le Sénat du Canada a connu un problème de déni dans ses rangs, qui est maintenant derrière nous, mais l’incident nous a remplis de chagrin. Nous ne sommes pas à l’abri de ces attitudes.

Vous avez mentionné — et nous en sommes bien conscients — à quel point l’éducation, les programmes scolaires et la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation réussissent à mettre la vérité en lumière et servent d’antidotes au déni. J’aimerais, si c’est possible, que nous approfondissions la question. Pouvez-vous nous donner plus de détails sur tout ce que vous savez au sujet de la nature du déni ainsi que de ses sources et des possibles liens — puisque nous constatons ce problème dans divers domaines — avec les campagnes de mésinformation et de désinformation? Puis, quelles autres mesures pouvez-vous suggérer pour lutter contre cette plaie?

Mme Scott : Si vous me le permettez, je demanderais à l’aînée Cameron de proposer des actions, de sa perspective de survivante. Je vous parlerai ensuite de l’approche de notre centre et de la source du problème.

Mme Cameron : Dans notre terre natale, au Canada, on offre bien peu d’éducation sur notre identité — présente et passée —, nos structures, nos systèmes et notre philosophie anishinabe avant l’arrivée des colons. Ce sont les notions qui manquent cruellement aux gens dans le déni : ils ne savent ni comment nous sommes devenus qui nous sommes ni que nous étions déjà ici avant leur arrivée. Ces lacunes se répercutent dans tout, partout. La même question nous tourmente tous les jours : comment devons-nous nous y prendre? Eh bien, Mme Scott a abordé une partie de la solution : l’éducation. Venez dans nos communautés, venez dans nos huttes, venez où nous habitons, encouragez les autres à nous inclure, partagez ce que vous avez avec nous et ne nous craignez pas. Nous avons tant à partager et nous avons beaucoup de connaissances à inculquer.

Je me rappelle que, dans mon enfance, on nous a appris quatre fondements et enseignements. Le premier de ces quatre fondements était de prendre un nom spirituel, qui nous donnait une mission. Le deuxième entourait le clan, parce que notre clan était notre esprit qui nous guiderait et nous accompagnerait en tout temps pour que nous ne soyons jamais seuls. Le troisième fondement qu’on nous inculquait en tant qu’Anishinabe était le mode de vie, c’est-à-dire de vivre une bonne vie ici sur terre. Et le quatrième était le choix. Bien entendu, la langue s’imprègne dans ces quatre fondements.

Tous ces enseignements m’ont été volés. Quand je suis sortie du pensionnat pour Autochtones, je m’apparentais à un zombie. Je ne savais même pas qui j’étais ou pourquoi je me trouvais ici, sur terre. Il m’a fallu beaucoup de temps pour arriver à comprendre qui je suis, pourquoi je suis ici et ce qu’est mon rôle sur terre. Nous avons tous une mission sur terre. Je ne l’ai découverte qu’après des années d’ahurissement, de chaos dans ma vie et d’incompréhension quant à ma raison d’être.

Pour répondre à votre question, nous accueillons quiconque veut nous écouter, partager ce qu’ils ont avec nous et en apprendre sur nous. Comme Mme Scott l’a dit, il n’y a pas de secrets. Nous n’avons aucun secret.Meegwetch de cette occasion de m’exprimer.

Mme Scott : Au Centre national pour la vérité et la réconciliation, pas une journée ne passe sans que je ne reçoive un courriel d’une personne dans le déni. Certains jours, lorsque j’ouvre ma boîte de courriels, c’est la première chose que je vois. Comme Mme Murray, l’ancienne directrice générale de la Commission de vérité et réconciliation, l’a souligné, nous avons accès aux dossiers, à tout ce qui a été rédigé, noir sur blanc. On entend et on voit des lettres manuscrites de parents, de mères, de pères qui demandent où se trouvent leurs enfants. Comment avez-vous pu enterrer mon enfant sans me dire où il s’est retrouvé? On voit des lettres échangées entre des administrateurs et des ecclésiastiques énonçant qu’il coûte trop cher de transporter le corps d’un enfant par train pour qu’il se fasse enterrer chez lui en bonne et due forme et dans la dignité. Tous ces échanges sont très détaillés et sont écrits noir sur blanc.

Lorsque vous ouvrirez ces dossiers et les mettrez à la disposition des éducateurs et de la communauté afin que l’information puisse circuler, notre peuple regagnera du pouvoir : il pourra rétablir ces faits. Forts des récits de survivants que nous détenons, Barbara Cameron, Kimberly Murray, les membres de la table et moi avons parcouru le pays du nord au sud et d’est en ouest pour parler à des survivants. Peu importe où nous nous trouvions, on nous narrait des récits de morts et d’enfants disparus. Notre centre continue ses recherches là-dessus, comme on l’a dit plus tôt.

Nous avons pris connaissance de tous ces documents, qui sont factuels, à mon avis; les gens dans le déni doivent vraiment arrêter d’agir ainsi.

Des sites Web sont créés. On sait comment ces gens se transforment. Ils deviennent obnubilés par une idée. Nous travaillons de près avec le comité consultatif national, qui a soulevé la possibilité de rédiger un texte de loi et d’aider à le créer afin qu’une loi s’attaque au problème.

Le phénomène est difficile et pose problème. J’ai discuté avec beaucoup de personnes sur tout le territoire et je peux vous dire que leurs récits, ajoutés aux documents — qui doivent être rendus publics — témoignent du caractère essentiel de cet enjeu. Nous y travaillons. Certains éléments ne sont pas parfaits à l’heure actuelle. Nous le savons et nous en sommes conscients, mais grâce aux grands esprits de personnes comme l’honorable Murray Sinclair et Kimberley Murray, avec qui nous travaillons en étroite collaboration au bureau de l’interlocutrice spéciale, nous allons prendre des mesures pour également fournir ces renseignements aux Canadiens.

La sénatrice LaBoucane-Benson : J’aimerais fouiller la question du négationnisme. Sa forme la plus violente pourrait bien être celle parmi les chercheurs. En guise de contexte, je dirai à mes collègues que, il y a sept ou huit ans, les trois commissaires de la Commission de vérité et réconciliation se sont rendus à Edmonton et ont fait une présentation fantastique devant un auditorium bondé. Pendant la période de questions, un professeur de l’Université de l’Alberta s’est levé et a demandé : « Pourquoi devrais-je enseigner le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation s’il n’a pas été révisé par les pairs? » Avez-vous constaté ce problème dans le milieu universitaire par rapport au regard rigide et influencé par le positivisme que certains chercheurs posent sur le monde? Le cas échéant, avez-vous réussi à le contrecarrer?

Mme Scott : Au CNVR même, on trouve des articles et des sites Web de chercheurs qui ont publié des faits inexacts. Je peux vous dire dès maintenant que nous nous attardons avant tout à la survie du CNVR. Le négationnisme est une priorité, mais vient après l’obtention de documents par notre centre et la coopération avec les survivants et les comités. Je n’entends pas par là que nous n’abordons pas le problème. Pas plus tard que la semaine dernière, nous avons rédigé un article que nous essayons actuellement de promouvoir. Il traite du négationnisme, de ses répercussions, des façons de nous y attaquer et de ce que les Canadiens doivent savoir et saisir. Je le répète : nous formons une petite équipe au service d’un pays, mais nous nous efforçons de faire tout en notre pouvoir pour éradiquer le problème.

Nous travaillons de très près avec les survivants, qui se joignent à nous à chaque occasion qui se présente. Je crois qu’il importe d’honorer et de respecter les survivants et, ici encore, d’avoir tous les documents et les outils nécessaires à notre disposition. À mes yeux, c’est la seule façon qui nous permettra de passer à l’action avec sincérité afin que la grande majorité de la population comprenne et sache ce qui s’est réellement passé dans ce pays.

Lorsque les enfants ont été retrouvés, les Canadiens n’ont pas été seuls à s’intéresser à ce qu’il s’est passé dans les pensionnats pour Autochtones : le monde entier a tendu l’oreille. Nous avons accordé des entrevues partout sur la planète, et on nous demande encore aujourd’hui des mises à jour sur les événements survenus dans notre pays. C’est ce que nous devons continuer à faire afin de favoriser la discussion non seulement ici, mais aussi de par le monde.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Si ce comité peut vous être d’une utilité quelconque pour cette mobilisation, ses membres souhaiteraient ardemment vous prêter main-forte, surtout pour changer la perspective des chercheurs universitaires : la mentalité actuelle empêche de bien former nos enseignants et influence même le regard que portent les scientifiques sur les lieux de sépulture.

Mme Cameron : Je veux simplement ajouter que, chaque commentaire des négationnistes me ramène à l’époque où je jouais parmi les tombes. Je faisais des remarques au passage aux enseignants ou à d’autres adultes, mais ils ne me croyaient pas.

En outre, lorsque je compilais les déclarations, de nombreux intervenants m’ont parlé des tombes et m’ont dit que leur entourage ne les croyait pas.

Chaque fois qu’on nie nos propos, nous subissons un autre exemple de violence latérale incessante contre nous. Ces doutes provoquent d’autres traumatismes en nous. On ne nous croit toujours pas. Que faire pour être crus? Nous avons les preuves. Meegwetch.

Le président : Je vous remercie de cette réponse. Il nous incombe certainement à nous, en tant que parlementaires, de confronter le négationnisme partout où nous en sommes témoins, parce que cette attitude n’a pas sa place dans notre société. Je voulais le mentionner.

La sénatrice Greenwood : Hiy hiy, aînée Cameron d’avoir lancé la réunion d’aujourd’hui sous les meilleurs auspices.

Je veux aussi souligner le travail que vous, madame Scott, et votre équipe réalisez pour chacun d’entre nous. Hiy hiy.

Je veux me pencher sur votre déclaration voulant que l’éducation soit la voie de l’avenir et sur les exemples que vous nous avez donnés; sur le travail que vous accomplissez; et sur l’ampleur de la tâche quand on sait que 12 millions de personnes doivent se partager 1 million de dollars. C’est incroyable que vous parveniez à peine à réaliser quoi que ce soit. Je trouve qu’il s’agit d’un véritable crime et j’appuierais sans réserve une augmentation de ce budget.

Comme vous parlez de négationnisme, je veux mentionner quelque chose à ce sujet, puis je passerai à la question de l’éducation. Dans le contexte de cette discussion, je ne peux m’empêcher de penser à l’expérience coloniale ou aux réalités coloniales qui sont omniprésentes dans nos vies et sous-tendues par des concepts de pouvoir, de territoires, de ressources et de colonisation de nos propres esprits. Je reviens constamment à ces vastes concepts lorsque nous essayons de réfléchir à l’éducation et aux changements qu’on peut y apporter. Je crois fermement que ces mentalités changeront au fil des générations qui nous suivront et à mesure que nous informons tous nos enfants des réalités des premiers peuples de ce territoire.

Je réfléchis intensément à cette question, et je pense aux nouveaux arrivants au Canada. Nous entendons constamment parler de ces vécus. Je me demande comment nous pouvons informer les nouveaux arrivants du vécu des Autochtones, lorsqu’ils foulent leur terre d’accueil. Je ne suis pas convaincue que les immigrants sont conscients de ces réalités.

Nous parlons souvent des citoyens qui ont vécu ici toute leur vie, mais le pays accueille sans arrêt de nouveaux arrivants. Comment mieux les sensibiliser afin qu’ils ne deviennent pas prisonniers de l’expérience coloniale? Nous voulons qu’ils sachent ce qu’il s’est passé dans le milieu où ils s’établiront.

Avez-vous des observations à ce sujet, madame Scott?

Mme Cameron : Permettez-moi de répondre à la question. Je vous remercie de l’avoir posée.

Il y a environ sept ou huit ans, j’occupais un poste qui consistait surtout à former les employés dans une régie régionale de la santé, qui était une grande organisation. Je ne savais jamais qui ferait partie de mon cercle d’apprenants : il pouvait s’y trouver un médecin, un chirurgien, un diététicien ou un aide-ménager.

Une jeune femme contestataire s’est un jour retrouvée dans mon groupe, et j’étais vraiment ravie de ses questions. Elle se demandait de quoi se plaignaient les Autochtones, les Anishinabes. En tant qu’immigrante, elle était comblée de vivre ici. Je lui ai répondu : « Oui, je comprends ce que vous dites. Mais où iriez-vous, si vous étiez à ma place? Où allez-vous pour pratiquer votre culture, parler votre langue, célébrer vos cérémonies? Vous allez dans votre patrie. Et voilà. Vous pouvez y retourner à tout moment, vous retrouver chez vous et renouer avec tout ce qui vous a accompagné pendant votre enfance. Pour nous, le Canada est notre mère patrie. C’est ici que notre existence a commencé. Malheureusement, notre langue, notre culture, nos croyances — toutes ces richesses — nous ont été enlevées, et il est vraiment ardu de survivre au jour le jour. Nous n’avons nulle part où nous enfuir. Où pouvons-nous retrouver notre identité? » Elle a tout de suite compris.

La réalité est à la fois aussi simple et aussi profonde. Meegwetch.

Mme Scott : Personnellement, je peux décrire d’où je viens en disant que, quand je suis retournée dans ma communauté, on m’a accueillie avec une suerie et une cérémonie du tambour à eau. On m’a de plus invitée à m’asseoir parmi nos aînés et des membres de ma famille que je ne connaissais pas. Pouvez-vous imaginer les possibilités ou la compréhension qui pourraient découler d’un processus où les nouveaux arrivants interagiraient avec les peuples ancestraux du territoire pendant une cérémonie? Il ne s’agirait pas de signer un document ou de prêter un serment.

Cette compréhension et cette clarté ont été déterminantes pour que j’apporte un changement dans ma vie. Je crois que c’est un pas dans la bonne direction si nous désirons cohabiter dans l’harmonie. Je n’avance pas que tous tendront vers cette perspective, mais l’expérience et la compréhension sont primordiales.

J’ai constaté de fulgurantes transformations chez certains, même chez des personnes qui ne pouvaient se positionner quant à la vérité entourant ce pays. Ils ont vécu un changement, se sont vus affranchis physiquement ou ont compris qui nous sommes réellement dans ce pays.

De nombreuses personnes dans le territoire — et nous en avons rencontré un grand nombre pendant la CVR — nous ont menés et guidés, et je crois que j’en suis sortie grandie. Peut-être que même le fait de penser à cette avenue pour l’avenir est bénéfique.

Le président : C’est ce qui met fin à la discussion avec ce groupe de témoins. J’aimerais encore une fois remercier nos témoins, Mme Scott et aînée Cameron, d’avoir été parmi nous pour leur témoignage percutant. Merci énormément.

(La séance est levée.)

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