Aller au contenu
APPA - Comité permanent

Peuples autochtones


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PEUPLES AUTOCHTONES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 13 février 2024

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd’hui, à 9 h 2 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations découlant des traités du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis et tout autre sujet concernant les peuples autochtones.

Le sénateur Brian Francis (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour. J’aimerais tout d’abord reconnaître que nous nous réunissons sur le territoire ancestral non cédé du peuple algonquin anishinabe, et qui est maintenant le foyer de nombreuses Premières Nations, d’Inuits et de Métis sur l’île de la Tortue.

Je suis le sénateur mi’kmaq Brian Francis d’Epekwitk, aussi connu sous le nom d’Île-du-Prince-Édouard, et je suis président du comité. Avant de commencer notre réunion, j’aimerais demander aux sénateurs de se présenter en indiquant leur nom et leur province ou territoire.

Le sénateur Arnot : Je m’appelle David Arnot et je viens de la Saskatchewan. J’habite sur le territoire du Traité no 6.

Le sénateur Tannas : Bonjour. Je suis le sénateur Scott Tannas de l’Alberta.

La sénatrice Coyle : Bonjour. Je suis la sénatrice Mary Coyle, et je viens d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse, dans la région du Mi’kma’ki.

Le sénateur Prosper : Bonjour. Je suis le sénateur P. J. Prosper, et je suis un Mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice White : Bonjour. Je suis la sénatrice White. Je suis une Mi’kmaq de Ktaqmkuk, aussi connu sous le nom de la province de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le président : Je vous remercie, chers collègues.

Nous poursuivons notre étude sur l’efficacité du cadre canadien des droits de la personne en ce qui concerne la promotion et la protection des droits des peuples autochtones, et sur la mise en place éventuelle de mécanismes de protection des droits de la personne des Autochtones. Plus précisément, nous nous demandons si les mécanismes existants pourraient être améliorés, ou si de nouveaux mécanismes sont nécessaires, en intégrant notamment des composantes propres aux peuples autochtones.

Je voudrais maintenant présenter notre témoin, Mme Cheryl Knockwood, présidente de la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse. Madame Knockwood, je vous remercie de vous être jointe à nous aujourd’hui. Mme Knockwood fera une déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’une période de questions et de réponses avec les sénateurs.

J’invite maintenant Mme Knockwood à faire sa déclaration préliminaire.

Cheryl Knockwood, présidente, Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse : [mots prononcés en mi’kmaq]

Kwe. Je vous remercie, honorables sénateurs, de me donner l’occasion de prendre la parole aujourd’hui dans le cadre de cette séance.

Les principes pour le changement de l’enquête nationale soulignent que les Autochtones détiennent des droits de la personne internationaux et nationaux, y compris des droits inhérents, des droits issus de traités et des droits constitutionnels, et que les gouvernements ont l’obligation légale de veiller à ce que les droits individuels et collectifs des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQIA+ autochtones soient pleinement respectés, promus et défendus.

En collaboration avec d’autres organismes provinciaux, territoriaux et fédéraux de défense des droits de la personne, je présente un point de vue au sujet du cadre actuel des droits de la personne, qui n’a pas protégé de manière adéquate les femmes et les filles autochtones dans l’ensemble du Canada.

En Nouvelle-Écosse, la Commission des droits de la personne défend les droits de la personne au moyen de l’application de la Loi sur les droits de la personne de la Nouvelle-Écosse. Nous soutenons les importants travaux visant la décolonisation des processus et des services au Canada.

Les Mi’kmaqs sont au cœur des efforts de la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse, en particulier de son mandat de sensibilisation à la question des droits de la personne au moyen des relations entre les races, de l’éducation et de l’engagement communautaire. Dans son rapport final, la Commission royale sur la condamnation de Donald Marshall fils a présenté une série de recommandations, notamment la modification de la Loi sur les droits de la personne de la Nouvelle-Écosse, qui a mené à la création d’un mandat relatif aux relations raciales et à la sensibilisation s’appuyant sur nos processus de règlement des différends dans le but d’établir des liens plus étroits entre les communautés, y compris les communautés autochtones du Mi’kma’ki. L’appel à une approche plus proactive pour favoriser la compréhension des droits de la personne était une reconnaissance des dysfonctionnements et des mauvais traitements infligés aux Autochtones résultant de l’incongruité entre les lois mises en œuvre par les gouvernements et les engagements pris dans les traités historiques de paix et d’amitié qui étaient censés guider nos relations.

L’incompréhension fondamentale des peuples autochtones et de leurs droits a donné naissance à une culture de la méfiance et de la division — nous contre eux. Les efforts de sensibilisation aux droits des Autochtones sont essentiels et continus. Sans le soutien nécessaire pour opérer des changements significatifs en Nouvelle-Écosse et dans l’ensemble du Canada, nous n’arriverons pas seuls à combattre la méfiance historique envers les institutions coloniales et la discrimination systémique qu’elles exercent.

Malgré les liens qui ont toujours uni la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse et les Autochtones, le faible nombre de demandes faites par ces derniers montre qu’ils se méfient en général des institutions gouvernementales et de leur capacité à les soutenir et à défendre leurs droits. Si nous poursuivons nos efforts pour décoloniser notre travail en Nouvelle-Écosse — avec nos ressources limitées —, les femmes autochtones du Canada, elles, n’ont pas les moyens d’attendre plus longtemps. En tant que présidente de la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse, je demande la mise en œuvre immédiate de l’appel à la justice 1.7 et j’offre tout mon appui à cette mise en œuvre.

La violence subie par les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQIA+ autochtones découle du racisme systémique envers les Autochtones, du colonialisme, du sexisme, du capacitisme, de l’homophobie, de la transphobie, des politiques de génocide culturel et d’autres formes de discrimination. Prioriser la protection des droits de la personne des femmes autochtones est nécessaire pour assurer la sécurité au pays. Il est essentiel de le faire au moyen de mécanismes conçus par les Autochtones et de créer des espaces sûrs pour les personnes qui ont besoin d’aide.

L’incapacité des institutions publiques à protéger les femmes autochtones découle de l’incapacité à offrir des soins et des services adaptés à la culture et tenant compte des traumatismes subis à des personnes forcées de s’en remettre à des institutions coloniales enlisées dans la bureaucratie, des institutions qui font partie du système qui a essayé de mener un génocide pendant des générations.

Les colonisateurs et les premiers colons canadiens ont fait des promesses de paix et d’amitié, mais, une fois ces documents sacrés d’une grande importance signés, ils ont fait fi de leurs responsabilités et de leurs engagements juridiques.

Ils ont plutôt enseveli ces traités fondateurs sous de multiples couches de systèmes conçus dans le but d’exercer un contrôle sur les Autochtones et de les contraindre, de réprimer leurs traditions et leur culture, d’étouffer les liens qui les unissaient entre eux et qui les unissaient au territoire du Mi’kma’ki de l’île de la Tortue.

Le fardeau que représente le dédale administratif pour l’accès aux services et soutiens gouvernementaux constitue, dans les faits, un outil de répression des Autochtones depuis trop longtemps. En Nouvelle-Écosse, pour nous assurer que l’accès à la justice des Autochtones qui portent plainte à la Commission des droits de la personne ne soit pas nié lorsqu’il n’est pas clair si la plainte devrait plutôt être acheminée à la Commission canadienne des droits de la personne, nous conseillons aux plaignants de s’adresser aux deux organismes. C’est la meilleure solution. Comme je le disais, ce sont les plaignants autochtones qui assument le fardeau.

La création d’un poste d’ombudsman et d’un tribunal national des droits de la personne des Autochtones pourrait répondre aux défaillances des processus coloniaux trop compliqués de traitement des plaintes qui n’ont jamais pu répondre aux besoins des Autochtones et qui causent des traumatismes depuis plusieurs générations. Ces entités doivent être conçues par les Autochtones pour être en mesure de répondre à leurs besoins et, ce faisant, d’offrir un modèle sur lequel appuyer la transformation nécessaire de l’ensemble des services et programmes gouvernementaux. Elles doivent être fondées sur la façon d’apprendre et d’être des Autochtones et sur l’établissement de relations en plus d’être axées sur la personne.

Il faudrait voir comment l’établissement d’une relation entre ces entités et l’Association canadienne des commissions des droits de la personne pourrait contribuer à orienter les commissions et conseils fédéraux, provinciaux et territoriaux dans leur adaptation pour qu’ils deviennent de meilleurs partenaires et qu’ils servent mieux les Autochtones.

Ces entités devront avoir les ressources nécessaires et être habilitées à opérer des changements systémiques et à définir et officialiser la mise en œuvre du principe de Jordan aux services offerts par tous les ordres de gouvernement en général et pas seulement en matière de santé de façon à protéger les Autochtones, qui sont également souvent laissés pour compte dans les systèmes d’éducation, d’emploi et de justice du Canada.

La Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse exhorte le gouvernement fédéral à créer immédiatement un poste d’ombudsman national et un tribunal des droits des Autochtones libres d’ingérence et de contraintes. Nous soutenons l’habilitation des Autochtones au moyen de services adaptés à la culture et tenant compte des traumatismes vécus dans le but de mettre fin à la discrimination et au traitement injuste qu’ils subissent. Wela’lin.

Le président : Merci, madame Knockwood.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup d’être avec nous et d’avoir exprimé aussi clairement votre appui à cette mesure. La présentation de votre point de vue personnel est également très utile pour comprendre le parcours de la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse. J’aimerais faire le lien entre ces deux éléments et vous demander votre avis.

Vous avez parlé de l’importance de décoloniser les processus, au sein de la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse, et d’établir une approche plus proactive de façon à favoriser la confiance des Autochtones de la province pour qu’ils sentent que la commission est un endroit sûr pour eux et qu’on les écoutera. Vous avez également parlé des problèmes administratifs. Vous avez dit que le poste d’ombudsman et le tribunal national des droits des Autochtones devaient être conçus par les Autochtones, pour les Autochtones, et qu’ils devaient être axés sur l’établissement de relations. J’aime vraiment cette idée.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce que vous avez appris dans vos fonctions actuelles — je pense que vous en avez déjà fait état dans vos remarques d’aujourd’hui — et sur ce que cela pourrait apporter à l’élaboration du rôle de l’ombudsman et de ce nouveau tribunal national des droits de la personne des Autochtones? Comment cela peut-il se faire de manière à ce que... nous arrivons maintenant dans un processus où il y a de nombreux groupes autochtones différents avec des identités et des cultures différentes à travers ce vaste pays qu’est le Canada. Pourriez-vous nous expliquer comment vous verriez cela, d’après votre expérience, et comment cela pourrait être appliqué dans un contexte où nous avons affaire à de multiples groupes très différents les uns des autres? Nous voulons nous assurer que les Autochtones qui sont choisis, comme vous le suggérez, pour aider à façonner ces nouvelles entités le fassent dans le respect de ces distinctions.

Mme Knockwood : C’est beaucoup de questions à la fois, sénatrice Coyle.

La sénatrice Coyle : Je suis désolée.

Mme Knockwood : Merci de vos questions. La première réponse qui me vient au sujet de mon expérience et de ce que je voulais vous communiquer serait... en fait, je vais vous communiquer ce que j’ai préparé.

En Nouvelle-Écosse, notre mandat est à la fois de protéger les droits de la personne et d’en faire la promotion au moyen de la sensibilisation et de l’engagement communautaire. Une des mesures que nous avons prises pour nous assurer que nos processus soient adaptés à la culture est la création de postes d’agent de liaison et de sensibilisation qui interviennent directement auprès de la communauté. Il est très important, je crois, pour l’établissement d’un processus national que nous nous assurions de travailler avec l’ensemble de la communauté et qu’il y ait des représentants de la communauté qui agissent en tant qu’agents de liaison.

En Nouvelle-Écosse, la personne qui agit en tant qu’agent de liaison mi’kmaq mène l’élaboration d’un cadre d’action pour la réconciliation qui orientera la commission dans sa réponse aux différentes plaintes présentées par des Autochtones. Les agents de liaison travaillent avec la communauté et contribuent à l’orientation des travaux à l’interne et des services à la clientèle. Ils travaillent avec les agents des droits de la personne embauchés pour soutenir leur apprentissage et leur développement et ils peuvent contribuer aux services à la clientèle quand des Autochtones demandent de l’aide.

En resserrant sa relation avec la communauté et en concevant les programmes de sensibilisation en collaboration avec des organisations comme la Confédération des Mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse continentale, le centre d’amitié autochtone Mi’kmaq, l’Union des Mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse, le Congrès des chefs des Premières Nations de l’Atlantique et d’autres organisations qui œuvrent en Nouvelle-Écosse, la commission s’assure que son approche s’appuie sur l’expérience vécue par les communautés.

Si nous reprenons ce modèle et que nous l’appliquons à la création d’un modèle national, je pense qu’il est très important que de telles relations soient établies dès le départ. C’est le premier élément.

Le deuxième élément, c’est de nous fier à l’expertise des organisations et de leur demander leur apport dès le départ. Je sais que, à plusieurs endroits dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, il est indiqué que les gouvernements, fédéral ou provinciaux, ne doivent rien établir sans que les Premières Nations ne prennent l’initiative. Ce sont les peuples autochtones de tout le Canada qui doivent être les chefs de file et s’occuper de l’élaboration. C’est probablement l’une des premières mesures que nous devrions prendre — nous en remettre au leadership des peuples autochtones et obtenir d’abord leur avis.

Il n’est pas nécessaire non plus de réinventer la roue. De nombreuses recommandations venant de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et d’ailleurs à l’échelle du pays ont été élaborées avec l’aide des Autochtones qui ont ouvert leur cœur et leur esprit, donné leur avis et présenté des recommandations au sujet de ces très importantes questions relatives à la justice en général et plus précisément aux droits de la personne. Nous devons nous assurer que leur opinion soit prise en compte et que nous continuons à les écouter.

Par exemple, bon nombre des commissaires de la Commission royale sur les peuples autochtones, qui a présenté plus de 440 recommandations sur ces questions, étaient des Autochtones. Viola Robinson, une leader mi’kmaq, était l’une des commissaires. Je consulte souvent ce document et les recommandations qu’il contient. De nombreuses bonnes recommandations ont été formulées dans ce rapport et n’ont toujours pas été mises en œuvre.

Il ne faut pas réinventer la roue pour la création, le lancement et l’édification de cette nouvelle entité que nous voulons créer en fonction des recommandations présentées par les familles des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées ou pour l’établissement d’un poste d’ombudsman et d’un tribunal national des droits de la personne des Autochtones.

La sénatrice Coyle : Merci. C’est très utile.

Le président : Je vous remercie.

La sénatrice White : Merci, madame Knockwood. C’est un plaisir de vous revoir. Je vous remercie de votre exposé très instructif.

Pour la gouverne des sénateurs, cela fait plus de six ans que Mme Knockwood travaille à la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse. Elle a accompli énormément de travail sur le plan de la consultation des parties prenantes et a fait évoluer la commission des droits de la personne. Ainsi, même si un nombre relativement restreint d’Autochtones y acheminent des demandes, des agents de liaison sont là pour les aider. Je vous félicite pour le travail que vous avez accompli jusqu’à présent.

Ma question rejoint celle de la sénatrice Coyle. J’aimerais connaître votre avis ou votre opinion sur le fait que... nous ne voulons pas d’un tribunal des droits de la personne pour les Autochtones qui ne fasse que reproduire ce qui existe déjà, car cela ne fonctionne pas. Je sais que nous devons tenir compte de la diversité des groupes et des nations qui existent. À votre avis, comment pouvons-nous mettre en place un mécanisme de surveillance et de recours dans le contexte des compétences actuelles? Que pouvons-nous faire pour veiller à ce que les recours dont nous disposons reflètent bien nos valeurs culturelles?

Mme Knockwood : C’est une excellente question, sénatrice.

Au Canada, lorsque des institutions comme la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse et d’autres organismes de défense des droits de la personne sont créés, c’est généralement en vertu d’une mesure législative qui leur confère un mandat très précis et qui définit leur champ de compétence. Il arrive que ces mesures législatives limitent leur mandat pour ce qui est des questions relatives aux droits de la personne.

Par exemple, en tant qu’Autochtones, nous savons que nous avons été victimes d’un grand nombre de violations des droits de la personne, mais nous ne pouvons pas invoquer la Nova Scotia Human Rights Act en raison de son mandat législatif limité pour traiter ces plaintes. Les dispositions de la loi sont très spécifiques. On peut dire la même chose de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Si nous souhaitons concevoir une mesure législative différente et efficace, son mandat doit être plus large et il doit inclure les atrocités et les violations des droits de la personne dont les Autochtones ont été victimes. Sa portée ne doit pas se limiter aux personnes, car les atrocités qui ont été commises concernent tous les Autochtones et elles ont des effets intergénérationnels.

J’ignore à quoi ressemblera ce modèle. C’est une question sur laquelle il faut se pencher. Il faut créer un espace législatif et un champ de compétence qui permettent de traiter ce type de plaintes.

Notre champ d’action est très limité. C’est maintenant à titre de personne autochtone que je m’exprime. Les types de plaintes qu’il est possible de déposer à titre de particulier sont très limités en vertu du cadre législatif actuel en matière de droits de la personne, car celui-ci est fondé sur ce que prescrit la loi. Telle est la situation du point de vue des particuliers.

Si nous souhaitons changer les choses et mettre en place un système efficace, il faut rassembler des intervenants qui œuvrent dans le domaine des droits de la personne sur le plan international, comme ceux qui ont accompli de grandes réalisations telles que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, que le gouvernement fédéral et le gouvernement de la Colombie-Britannique ont adoptée. Il serait intéressant de voir ce que l’on peut accomplir.

La sénatrice White : Je vous remercie.

Le sénateur Arnot : Merci, madame Knockwood, de votre présence aujourd’hui. À titre de présidente de la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse, qui est chargée d’assurer la promotion et la protection des droits de la personne pour tous les citoyens de votre province, notamment les Autochtones, je pense que vous êtes particulièrement bien placée pour répondre aux questions de notre comité et pour nous éclairer.

D’après le site Web de la commission, je crois comprendre que vous contribuez à la consultation, à l’information et à la sensibilisation des communautés en ce qui concerne les droits des Autochtones. Je suis d’accord avec tout ce que vous avez dit jusqu’à présent. Voyons si nous pouvons poursuivre sur cette lancée avec la question suivante.

Vous avez fait allusion au rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones, que l’on peut utiliser comme source d’information. Je vous invite à faire parvenir au comité, par écrit, les sections que vous jugez pertinentes. La raison pour laquelle je vous fais cette demande, c’est que depuis que je siège à ce comité, vous êtes le premier témoin à avoir fait référence, directement ou indirectement, au rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones. Il n’y a rien de nouveau. Ce document est tout aussi valable aujourd’hui que le jour où il a été rédigé. C’est une référence solide. Peu d’intervenants l’ont mentionné. Je suis heureux que vous l’ayez fait.

Pensez-vous que les autres commissions des droits de la personne — puisqu’il y en a 13, qui fonctionnent chacune dans le cadre d’un régime différent — sont dans le même bateau que la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse pour ce qui est d’appuyer le nouveau régime dont il est question?

Entrevoyez-vous une possibilité de concertation et de collaboration avec les organismes provinciaux et territoriaux de défense des droits de la personne qui existent déjà?

Je pense que vous avez entièrement raison de dire qu’il règne une certaine méfiance à l’égard des régimes actuels au Canada, que ce soit au niveau provincial, territorial ou fédéral. Cela ne fait aucun doute. C’est le cas partout au pays. Il faut faire quelque chose à ce sujet. Je pense que c’est la bonne manière de procéder.

Nous voyons certaines provinces s’embourber dans des questions de compétences et des considérations territoriales, financières, techniques et autres, ce qui, à mon avis, nuit à la promotion et à la protection des droits de la personne.

Pensez-vous que c’est possible? Est-ce que vos collègues de l’Association canadienne des commissions et conseil des droits de la personne, ou ACCCDP, voient les choses de la même façon que vous? Cela m’intéresse. J’espère que l’ensemble des commissions provinciales, territoriales et fédérale se rendent compte de la nécessité d’un régime de protection des droits de la personne qui soit spécifiquement axé sur les Autochtones. Je vous laisse le soin de répondre à cette question.

Mme Knockwood : Merci, sénateur Arnot. Je suis heureuse de vous revoir. Lorsque je travaillais pour le Congrès des chefs des Premières Nations de l’Atlantique, j’ai eu l’occasion de vous rencontrer afin de me renseigner sur vos travaux lorsque vous étiez au Bureau du commissaire aux traités. À l’époque, nous avons été impressionnés par le modèle de celui-ci. Nous sommes heureux de vous revoir, cette fois-ci dans votre rôle de sénateur. C’est un plaisir de vous revoir.

Nous serions heureux de vous faire parvenir quelque chose par écrit. Nous ne manquerons pas de le faire. Merci beaucoup.

Pour répondre à votre question, je dirais qu’à titre de présidente, soit depuis un peu plus de trois ans, j’ai eu l’occasion de participer aux travaux de l’Association canadienne des commissions et conseil des droits de la personne. Lorsque j’ai commencé à y participer — et vous savez sans doute comment cela fonctionne — nous nous réunissons au besoin, à différents moments de l’année. Le système est principalement autofinancé. Les commissions qui disposent de fonds feront en sorte qu’un membre du personnel organise des réunions régulières. Nous discutons des pratiques exemplaires dans ce domaine au Canada.

Pour ce qui est de ce que l’Association canadienne des commissions et conseil des droits de la personne fait et pense à ce sujet, je crois que c’est quelque chose que je soulèverai. Je suis certaine qu’il y a eu des discussions à ce sujet, mais je poserai clairement la question à l’occasion de notre prochaine réunion.

Je crois que la Commission canadienne des droits de la personne appuie les recommandations formulées dans le cadre de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées au sujet de la création d’un poste d’ombudsman national en matière de droits de la personne spécifiquement pour les Autochtones. C’est un point que je ne manquerai pas de soulever. Si j’obtiens des réponses précises à ce sujet, je m’assurerai de les ajouter à ce que je vous enverrai par écrit.

Si vous êtes d’accord, sénateur, je leur demanderai également de vous envoyer leurs réponses par écrit, individuellement.

Le sénateur Arnot : Oui, absolument. Il y a là une véritable occasion de collaborer avec tous ces organismes au Canada. J’espère qu’ils seront du même avis, afin que l’on puisse se pencher sur ces questions. Je vous remercie. Votre témoignage a été très utile.

Mme Knockwood : Merci.

La sénatrice Boniface : Je vous remercie de votre présence. J’aimerais revenir sur vos observations concernant l’élargissement du champ d’action de la commission et sur les droits de la personne.

L’un des problèmes que rencontrent de nombreux membres de commissions des droits de la personne — comme je suis de l’Ontario, il se peut que la situation soit quelque peu différente de celle de la Nouvelle-Écosse —, c’est l’incapacité de faire avancer quoi que ce soit rapidement. À bien des égards, cela engendre une frustration et une souffrance plus grandes que le problème initial.

Lorsque vous parlez d’un champ d’action qui ne se limite pas aux droits de la personne, seriez-vous en mesure de m’expliquer comment vous pourriez intégrer d’autres éléments sans vous heurter aux mêmes problèmes que ceux que connaît, par exemple, la Commission des droits de la personne de l’Ontario, où le processus est si long que les demandeurs perdent confiance et abandonnent?

Mme Knockwood : Je comprends tout à fait cette frustration. Merci de votre question.

Je reviendrai encore une fois sur le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones et les 440 recommandations qu’il renferme. L’une de celles-ci consistait à créer une loi sur les traités, les droits et la réconciliation afin de mettre en œuvre les traités conclus avec les Autochtones partout au pays. En effet, malheureusement, à l’heure actuelle, c’est principalement au moyen de la Loi sur les pêches que les tribunaux reconnaissent les droits issus des traités. Par exemple, Donald Marshall Jr. a été accusé en vertu de la Loi sur les pêches lorsqu’il pêchait des anguilles au harpon dans le port de Pomquet. Il a dû faire valoir ses droits issus de traités de 1761 dans le cadre de la Loi sur les pêches.

C’est l’aspect de la protection et de la défense des droits ancestraux et des droits issus de traités qui est regrettable au Canada. La protection et la défense de nos droits sont limitées par les différents types de cadres judiciaires et législatifs. Si nous disposions d’un organe distinct dont la portée serait plus large pour ce qui est de la mise en œuvre des droits issus de traités, nous n’aurions pas à passer par les systèmes de justice pénale, par la Loi sur les pêches ou par d’autres moyens qui ne se rapportent pas nécessairement à la reconnaissance des droits issus de traités et des droits ancestraux.

Je crois que la Commission royale sur les peuples autochtones a recommandé l’adoption d’une loi sur la mise en œuvre des droits issus des traités et des droits ancestraux.

Je parle d’adopter une approche plus large parce qu’il est parfois exaspérant de chercher à défendre des droits dans un système qui n’est pas outillé pour s’occuper de la reconnaissance des droits ancestraux ou issus de traités et qui n’est pas adapté à cet objectif. Quand il s’agit de faire respecter les droits des peuples autochtones qui sont protégés par la Constitution, le champ d’action des tribunaux est limité par la loi et par l’interprétation de ses articles.

À titre de peuples autochtones, nous nous tournons souvent vers l’article 35 pour faire valoir les droits ancestraux ou issus de traités lorsqu’une autre loi dit, par exemple, qu’une personne qui pêche à un certain moment dans une certaine zone contrevient aux règles parce qu’elle pêche hors saison. Il est épuisant de prôner la mise en œuvre des droits ancestraux ou issus de traités quand les structures en place n’ont pas été conçues pour faciliter ce travail.

Je crois que la création d’un poste d’ombudsman des droits de la personne et d’un tribunal des droits des Autochtones et des droits de la personne, qui seraient outillés pour traiter les enjeux plus vastes liés aux droits des Autochtones et qui seraient conçus par des Autochtones pour des Autochtones, aurait un effet extrêmement positif.

Je vous remercie, sénatrice Boniface.

La sénatrice Boniface : Merci. Vos explications sont très claires. Je réfléchis à la façon dont ces nouvelles entités pourraient être conçues, d’après ce que vous avez dit. Vous semblez parler d’une seule et unique organisation qui serait composée de deux parties. Est-ce que ce serait...

Mme Knockwood : Qu’entendez-vous par deux parties?

La sénatrice Boniface : J’ai toujours certaines préoccupations en ce qui concerne la place accordée aux enjeux touchant une seule personne par rapport aux enjeux qui touchent beaucoup plus de gens, comme les droits issus de traités. Bien qu’il y ait, selon moi, une interaction entre ces deux éléments, je crains simplement... je voudrais éviter de reproduire les problèmes que connaissent les autres commissions des droits de la personne qui finissent par être embourbées dans leurs processus et à ne pas produire les résultats souhaités. Je ne parle pas ici de la commission de la Nouvelle-Écosse, que je ne connais pas. Je connais toutefois celle de l’Ontario.

Mme Knockwood : Je suis certaine que pour la création de ce nouveau système, qui serait conçu par des Autochtones, on examinera les enjeux que vous mentionnez dans le but de tirer des leçons des modèles qui existent actuellement au Canada aux échelons provinciaux, territoriaux et fédéral, et qu’on s’appuiera sur cet examen des pratiques efficaces et inefficaces pour créer un nouveau tribunal des droits des Autochtones et des droits de la personne.

Il faudrait décidément examiner les droits collectifs. C’est ce qui démarquera la nouvelle approche des modèles existants, je crois. Les modèles existants se concentrent vraiment sur les droits individuels, mais il faut s’occuper des droits collectifs.

La sénatrice Boniface : Merci.

Le sénateur Prosper : C’est un plaisir de vous voir, madame Knockwood. [mots prononcés en mi’kmaq] Notre dernière rencontre remonte à un certain temps.

Mme Knockwood : [mots prononcés en mi’kmaq]

Le sénateur Prosper : Je tiens à saluer votre leadership et tout ce que vous faites, non seulement pour le peuple mi’kmaq, mais pour l’ensemble des Néo-Écossais et des Canadiens, grâce à votre personnalité de leader. Je tiens à le souligner. C’est un honneur pour le comité de vous accueillir et d’entendre votre témoignage, qui s’appuie sur une vaste expérience.

Vous avez abordé beaucoup d’éléments, qu’il est un peu difficile de ramener à un élément central. Cela dit, nous avons accueilli un certain nombre de témoins pour discuter de ce sujet important et vous apportez beaucoup à cette conversation et à ce débat grâce à votre expérience.

Je reviens à votre propos. J’ai trouvé très éclairantes les réponses que vous avez données aux questions des membres du comité. Vous avez parlé de l’espace juridictionnel qui est nécessaire en raison du passé et de la nécessité de décoloniser les processus et les services actuels. Vous avez aussi mentionné que le cadre actuel ne protège pas adéquatement les Autochtones, qu’il existe des malentendus fondamentaux, qu’on a besoin d’un mécanisme conçu pour les Autochtones par des Autochtones, et que ce processus doit s’appuyer sur nos savoirs.

J’aimerais savoir quels seraient, selon vous, les liens entre le bureau de l’ombudsman et le tribunal des droits de la personne. Plus précisément, y aurait-il, selon vous, des liens entre ces deux volets ou ces deux éléments?

Le deuxième point concerne l’équilibre entre droits collectifs et droits individuels dans le cadre actuel, un enjeu complexe, comme l’ont montré la sénatrice Boniface et d’autres intervenants. Comment pourrions-nous nous y prendre pour tenter d’arriver à un équilibre entre droits collectifs et droits individuels? Ces deux types de droits se retrouvent parfois en opposition au sein des mécanismes employés dans certaines communautés. On peut penser, par exemple, à la façon dont les femmes autochtones ont été traitées dans nos communautés et dans les lois. J’espère ne pas avoir posé trop de questions. Merci.

Mme Knockwood : Très peu de gens peuvent m’émouvoir jusqu’aux larmes. Je vous en remercie, sénateur Prosper, et je vous remercie de vos bons mots. Nous nous connaissons depuis longtemps. Wela’lin.

Je reviens à votre question, mais en m’attardant tout d’abord sur ce que j’ai choisi de porter aujourd’hui. Les sénateurs mi’kmaqs devraient reconnaître ce symbole, un pétroglyphe de Kejimkujik. D’après ce que je sais de sa signification — il existe de nombreuses interprétations —, je crois qu’il peut servir de modèle en matière d’équilibre entre droits collectifs et droits individuels. Nous ne savons pas à quand remonte cette image faite par nos ancêtres mi’kmaqs en des temps immémoriaux; on nous dit qu’elle représente une constitution mi’kmaq et la gouvernance mi’kmaq. Si vous examinez le symbole — je ne sais pas si vous pouvez le voir clairement —, le jaune correspond à nos tipis. On m’a dit que cela représentait des familles individuelles, et que la nation mi’kmaq est composée de familles. Bref, quand on parle d’un système de gouvernance où se retrouvent des aspects collectifs et individuels, le système mi’kmaq se concentre davantage sur les familles. Les monticules que vous voyez ici — il y en a sept — représentent les sept districts de la nation mi’kmaq. Les familles qui vivaient dans les différentes régions du Mi’kma’ki faisaient aussi partie d’un système de gouvernement qui était représenté dans chaque district. Au cœur de l’image, au milieu, se trouvent le Soleil et la Lune. D’après ce qu’on m’a dit, cela fait référence à l’histoire de la création selon les Mi’kmaqs. Des aînés pourront vous la raconter. Elle a aussi été mise par écrit par des personnes qui, pendant la période coloniale, sont venues écrire nos histoires. Le Soleil a tendu ses rayons vers la Lune; ce geste de rapprochement a amené des rayons jusqu’à la Terre, et c’est ainsi que le Mi’kma’ki a été créé.

Ce pétroglyphe montre l’importance des individus, des familles, au sein d’un système. Ils y occupaient vraiment une place. Nous avons aussi réfléchi à l’importance de tisser ces liens ainsi qu’aux sept districts et au Grand Conseil des Mi’kmaqs, notre ancien système de gouvernement, qui existe encore de nos jours. Il n’est pas ancien, en fait, il demeure moderne; mais son existence et ses interactions sont différentes maintenant, dans le contexte des structures actuelles relatives au conseil et au chef. Il jouit toujours d’un grand respect et fait toujours partie de chacune des rencontres qui ont un lien avec les Mi’kmaqs.

Quand il est question de modèles et d’équilibre, nous pourrions examiner nos anciens modèles de gouvernance. Je suis certaine qu’il existe aussi beaucoup d’autres exemples qui sont en place depuis des années. C’est très important.

En ce qui concerne l’interaction que j’envisage entre l’ombudsman des droits de la personne et le tribunal national des droits des Autochtones et des droits de la personne, je crois qu’il sera important que ces entités demeurent toujours indépendantes. Si on regarde la forme que prend le rôle d’ombudsman à l’échelon provincial et territorial, je crois qu’il pourrait prendre une forme semblable au sein du modèle et du cadre dont nous parlons : il pourrait être une entité indépendante vers laquelle les Autochtones peuvent se tourner s’ils sont d’avis que le travail de défense et de protection qu’ils tentent d’accomplir en passant par le tribunal des droits des Autochtones ne porte pas des fruits. Il est toujours bon d’avoir accès à un deuxième palier dans ce genre de situation.

Le sénateur Prosper : Parler avec vous a été un honneur et un privilège, madame Knockwood. Vous m’avez aussi rappelé de porter mon pétroglyphe. Wela’lin.

Mme Knockwood : Wela’lin.

La sénatrice Coyle : Quelle conversation fructueuse nous avons avec vous. Je suis désolée de poser de multiples questions, mais vous faites tourner mon cerveau à toute vitesse ce matin. Je vous en remercie, d’ailleurs. Vous nous avez beaucoup apporté, de mille et une façons. Je souhaite revenir sur un des éléments que vous avez mentionnés. Je veux être certaine d’avoir bien entendu.

En ce qui concerne la question du nouveau tribunal et de l’équilibre — nous avons d’ailleurs eu une riche conversation à propos des droits individuels —, vous avez mentionné les familles dans le contexte du Mi’kma’ki, une situation qui a probablement des parallèles partout au pays. Vous avez aussi mentionné les droits collectifs et la nécessité de voir à ce que l’entité qui pourrait être conçue par des Autochtones pour des Autochtones ait le mandat de promouvoir l’équilibre dont nous parlons et la capacité de le faire.

Vous avez dit, je crois, qu’il était important d’examiner les réussites d’autres pays dans le domaine des droits collectifs. Voulez-vous dire qu’il pourrait être utile d’entendre des personnes qui participent ou ont déjà participé à des efforts internationaux fructueux et qui, dans bien des cas, ont dû composer avec difficultés, afin que vous puissiez éviter certaines de ces difficultés dans la mise sur pied des nouveaux organismes et des nouvelles institutions souhaités? Pourriez-vous nous parler davantage du côté international?

Mme Knockwood : Je vous remercie de votre question, qui me donne le temps de rendre hommage à quelques membres du Mi’kma’ki maintenant décédés qui ont milité pour le respect des droits issus de traités. N’eût été nos ancêtres... L’histoire du Canada étant ce qu’elle est, on a souvent parlé du colonialisme, du génocide, du fait que les gens du Mi’kma’ki, les Wolastoqiyik et les Pescomody ont signé des traités leur donnant des droits— nos traités ont été signés dans les années 1700, avant que le Canada ne devienne un pays. Comme je l’ai mentionné pendant mon discours, dans bien des cas, le partenaire avec qui nous avions conclu ces traités a malheureusement choisi de ne pas en tenir compte par la suite. Il aurait continué d’en faire fi et les aurait enterrés, détruits et qui sait quoi encore, n’eût été nos ancêtres mi’kmaqs et d’autres personnes — je parle du point de vue des Mi’kmaqs — qui ont milité et argumenté, qui connaissaient l’existence des traités grâce à l’histoire orale, qui avaient des exemplaires physiques de certains traités et qui ont dit : « Attendez un peu. Nous avons signé des traités avec vos ancêtres. Ils ont été signés dans les années 1700. »

Des membres du Grand Conseil des Mi’kmaqs se sont battus devant les tribunaux, notamment en 1929, dans l’affaire Gabriel Sylliboy. Même si nous perdions chaque fois, ils continuaient de répéter : « Nous avons ces droits qui découlent des traités signés. Nous avons signé des traités avec vos ancêtres. Ils ont de l’importance. »

Heureusement, nos ancêtres ont continué de militer malgré les défaites qu’ils essuyaient. Leur travail de défense des droits ne se déroulait pas seulement devant les tribunaux : une grande partie devait se faire à l’échelle internationale.

Je pense donc à nos dirigeants de l’époque. J’ai entendu des récits, notamment de la part du grand capitaine et d’un autre aîné qui est décédé dernièrement, Joe B. Marshall. Directeur général de l’Union des Mi’kmaqs de la Nouvelle-Écosse, il a été l’un des principaux négociateurs des Mi’kmaqs récemment par l’intermédiaire du bureau de négociation Kwilmu’kw Maw-klusuaqn et de l’Assemblée des chefs mi’kmaks de la Nouvelle-Écosse.

Ces deux personnes, décédées dernièrement, ont grandement contribué à faire en sorte que nos droits issus de traités soient protégés par le système législatif du Canada, et elles ont aussi voyagé pour promouvoir la protection de nos droits. Quand le premier ministre Pierre Elliott Trudeau a déclaré son intention de rapatrier la Constitution du Canada, les premiers textes concernant ce qui pourrait figurer dans la Constitution ne parlaient pas du tout des peuples autochtones. Si nous avons été reconnus, c’est grâce aux efforts directs que les dirigeants autochtones de partout au pays ont déployés non seulement au Canada, mais aussi en Europe, pour qu’on ne nous oublie pas. Grâce à leur travail de défense des droits, des articles concernant les droits ancestraux et les droits issus de traités ont été ajoutés à l’ébauche de la Constitution.

Nous n’étions toutefois pas au bout de nos peines. Nous avions réussi à faire ajouter des articles à la Constitution du Canada, certes, mais à cause de la façon dont ils étaient interprétés, nous devions nous adresser aux tribunaux pour faire reconnaître nos droits autochtones ou issus de traités; cette reconnaissance n’était pas automatique. Cette situation a créé un marché d’un milliard de dollars pour le milieu juridique, puisque nous devions embaucher des avocats pour défendre nos droits et établir la primauté constitutionnelle et la reconnaissance qui devraient être les nôtres.

Mentionnons, par exemple, que nous avons gagné en Cour suprême dans l’affaire Donald Marshall, qui portait sur les droits issus de traités permettant de faire la vente commerciale des produits que nous pêchons. Les droits issus de traités ne portaient pas seulement sur les pêches, mais aussi sur la chasse. Ils comprennent le droit de faire du commerce pour nous assurer une subsistance convenable. Malgré notre victoire en Cour suprême, peu de Mi’kmaqs voient ce droit reconnu à l’heure actuelle, malheureusement. Ils continuent d’être accusés d’avoir commis des infractions selon le régime réglementaire du ministère des Pêches et des Océans.

Bref, il peut être utile de tirer parti des forums internationaux. Après avoir épuisé toutes les voies offertes au Canada pour tenter de faire reconnaître vos droits, que peut-on faire d’autre? Il faut se tourner vers les forums internationaux.

C’est ainsi qu’il y a maintenant une Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, qui existe à l’échelle internationale et qui est reconnue au Canada. C’est grâce au travail de défense des droits accompli par des peuples autochtones du Canada et du monde entier, qui se sont adressés au Forum permanent des Nations unies sur les questions autochtones, à New York, et au Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones, à Genève. Ils sont allés voir ces différents organes des Nations unies et ont milité pour l’adoption de ces documents et déclarations afin que nous puissions faire reconnaître nos droits.

Il reste du travail à faire. C’est pourquoi les mécanismes auxquels nous pensons — qui ont été recommandés par la Commission royale sur les peuples autochtones, comme la loi sur la reconnaissance des droits issus de traités des Autochtones — doivent devenir réalité le plus tôt possible. Nous espérons que ce sera le cas, et nous poursuivons donc notre travail de défense des droits et de lobbying. Des droits ont été reconnus. Les tribunaux du Canada ont reconnu les droits issus de traités. Il est temps de parler de leur mise en œuvre.

La sénatrice Coyle : Merci.

Le président : Le temps réservé à ce témoin est maintenant écoulé. Madame Knockwood, je vous remercie une fois de plus de votre présence aujourd’hui. Nous vous sommes très reconnaissants de votre témoignage. Merci particulièrement d’avoir si bien expliqué le pétroglyphe.

Si vous souhaitez soumettre des compléments d’information, veuillez les faire parvenir à la greffière du comité d’ici la fin du mois. Ce serait très apprécié.

(La séance est levée.)

Haut de page