LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 19 novembre 2025
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 16 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, afin d’en faire rapport, les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères et au commerce international en général.
Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonjour, honorables sénateurs. Je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. J’inviterais maintenant les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter.
[Traduction]
Le sénateur Adler : Charles Adler, du Manitoba.
[Français]
La sénatrice Gerba : Bonjour. Amina Gerba, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Ravalia : Bienvenue. Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Woo : Sénateur Woo, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Harder : Peter Harder, de l’Ontario.
Le sénateur Wilson : Duncan Wilson, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice M. Deacon : Bienvenue. Marty Deacon, de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Hébert : Martine Hébert, division de Victoria, au Québec.
[Traduction]
Le président : Je souhaite la bienvenue à tous ceux qui suivent nos travaux sur le site SenVU un peu partout au pays.
Avant de commencer, je vous signale que les délibérations du comité pourraient être interrompues par un vote. Le cas échéant, les lumières vont clignoter et nous indiqueront combien de temps il reste, mais je suis certain que nous aurons assez de temps pour nous précipiter vers la chambre, voter et revenir ici pour reprendre nos travaux. Je trouvais important de donner cette information.
Nous nous réunissons conformément à notre ordre de renvoi général pour étudier la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique, ou SCIP. Nous avons le plaisir d’accueillir un premier groupe de représentants d’Affaires mondiales Canada, soit M. Weldon Epp, sous-ministre adjoint, Secteur de l’Indo-Pacifique, que nous tous ici connaissons bien; Mme Valérie Samaan, directrice générale, Direction générale de la planification stratégique, des politiques et des opérations pour l’Indo-Pacifique, ainsi que M. Aly-Khan Rajani, directeur, Direction de la coordination régionale, des politiques et de la planification pour l’Indo-Pacifique.
Soyez les bienvenus au comité. Merci d’être avec nous aujourd’hui. Je mentionne que le sénateur MacDonald, de la Nouvelle-Écosse, vient de se joindre à nous.
Avant d’entendre votre déclaration préliminaire, monsieur Epp, et de passer à la période des questions et des réponses, comme d’habitude, je demanderais à toutes les personnes présentes de mettre en sourdine les notifications sur leurs appareils. Elles peuvent être une source de distraction. Je vous demanderais également de respecter les règles concernant les oreillettes et les microphones afin d’éviter les incidents acoustiques et les problèmes associés, notamment pour les interprètes et le personnel technique.
Nous sommes maintenant prêts à entendre votre déclaration préliminaire. Monsieur Epp, vous avez la parole.
[Français]
Weldon Epp, sous-ministre adjoint, Secteur de l’Indo-Pacifique, Affaires mondiales Canada : Merci, monsieur le président. Mesdames et messieurs les sénateurs et sénatrices, bonjour. Merci de m’avoir invité cet après-midi. En tant que sous-ministre adjoint du Secteur de l’Indo-Pacifique à Affaires mondiales Canada, je suis heureux de m’adresser à vous aujourd’hui pour faire le point sur la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique.
Nous arrivons à la fin de la troisième année de mise en œuvre de la stratégie. Au cours des 36 derniers mois, nous avons franchi plusieurs jalons importants qui ont renforcé la prospérité et la sécurité du Canada tout en consolidant nos partenariats régionaux.
Cette période a aussi été marquée par des développements inattendus et des tensions diplomatiques ayant exigé une capacité d’adaptation face aux changements économiques et géopolitiques.
La visite très réussie du premier ministre dans la région le mois dernier montre toute l’importance de continuer à tisser des liens plus serrés avec cette région, qui reste celle dont la croissance est la plus importante au monde.
[Traduction]
Depuis le lancement de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique, nous avons réalisé des progrès concrets dans l’atteinte des cinq grands objectifs : promouvoir la paix et la sécurité; accroître les échanges commerciaux et les investissements; tisser des liens entre les gens; soutenir le développement durable et faire du Canada un partenaire engagé et fiable dans la région.
Monsieur le président, j’aimerais prendre un moment pour mettre en lumière quelques-unes des principales activités menées dans le cadre de la stratégie.
En ce qui a trait au premier objectif de la stratégie, la promotion de la paix, de la sécurité et de la résilience, nous avons consolidé de manière significative nos partenariats de défense dans un contexte de tensions croissantes dans la région. Il convient de souligner à cet égard que l’importance de la région indo-pacifique pour la sécurité du Canada s’est accrue depuis l’adoption de la stratégie.
Le Canada déploie tous les ans trois navires de guerre de la Marine royale canadienne dans la région afin de renforcer la sécurité maritime et de réaffirmer notre engagement à l’égard de la primauté du droit. Dernièrement, nous avons signé de nouveaux accords de défense et de sécurité avec le Japon, la Corée du Sud et les Philippines.
Nous soutenons activement les efforts de paix menés au Myanmar par l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, l’ANASE, et nous participons à la surveillance de l’application des sanctions contre la Corée du Nord dans le cadre de l’opération Neon.
La cybersécurité et la résilience numérique font aussi partie intégrante de l’engagement du Canada. Parmi les avancées notables, citons l’expansion de BlackBerry en Malaisie, dorénavant un pôle régional pour l’excellence en matière de sécurité. Je souligne au passage qu’au dernier sommet de l’ANASE, auquel le premier ministre était invité, BlackBerry a fourni l’infrastructure de sécurité pour l’ensemble des technologies de l’information utilisées par la Malaisie, le pays hôte.
L’engagement économique et la diversification des échanges commerciaux sont au centre de nos activités et vont continuer de jouer un rôle névralgique dans les efforts déployés dans la région.
Pour vous donner une idée de l’importance de la région indo-pacifique pour le Canada, je précise que le commerce bilatéral a totalisé 261 milliards de dollars en 2024. Si on considère la région de l’ANASE comme une entité économique unique, 5 des 10 principaux partenaires commerciaux du Canada se trouvent maintenant dans la région indo-pacifique.
Depuis 2022, nous avons déployé des missions commerciales d’Équipe Canada dans neuf pays et ouvert des bureaux de représentation en appui à la diversification de nos activités commerciales par l’intermédiaire d’Exportation et développement Canada, de l’Institut de financement du développement du Canada, ou FinDev Canada, de même que d’Agriculture et Agroalimentaire Canada.
Nous avons élargi considérablement notre accès aux marchés régionaux, un progrès notable. Comme vous le savez, le premier ministre Carney vient de signer l’Accord de partenariat économique global Canada-Indonésie. Nous avons également conclu un arrangement concernant la promotion et la protection des investissements étrangers avec Taïwan.
Cela dit, nous sommes conscients qu’il faudra poursuivre nos efforts de diversification des exportations canadiennes. Pour réaliser l’objectif du premier ministre de doubler les exportations du Canada hors États-Unis dans un horizon de 10 ans, vous ne serez pas surpris si je vous dis que nous allons redoubler nos efforts économiques dans cette région. Notamment, nous allons tout mettre en œuvre pour positionner le Canada comme un partenaire de confiance dans les secteurs des minéraux critiques et de l’énergie; pour revitaliser nos relations avec l’Inde en matière de commerce et d’investissement, et pour redéfinir notre engagement auprès de la Chine afin de faire progresser nos intérêts mutuels sans compromettre notre sécurité nationale.
Nous allons de plus accélérer les négociations commerciales avec l’ANASE, la Thaïlande et les Philippines, et continuer de faire la promotion d’un modèle commercial ouvert, inclusif et fondé sur des règles par l’intermédiaire de plateformes comme la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique, l’APEC, et l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, le PTPGP.
La stratégie a aussi pour objectif de renforcer les liens entre les personnes. Nous avons soutenu toutes sortes de nombreux nouveaux projets dans le cadre de l’Initiative d’engagement auprès de l’Indo-Pacifique, que mes collègues ont aidé à élaborer. Un grand nombre de Canadiens, d’organismes non gouvernementaux et de chercheurs ont contribué à renforcer les liens entre eux et les partenaires de la région.
Nous allons annoncer bientôt la signature de nouveaux accords avec différentes universités canadiennes qui offriront un nouveau programme de bourses à l’intention des jeunes Canadiens qui souhaitent faire des études dans la région indo-pacifique.
Par ailleurs, nous allons élargir le volet Bourses et programmes d’échanges éducationnels pour le développement Canada-ANASE, qui permet à des jeunes de la région de venir étudier au Canada. Ce programme phare bénéficie d’un nouveau financement et a été élargi grâce à la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique.
L’action climatique et le développement durable resteront une priorité. Le Canada a versé 750 millions de dollars à FinDev Canada pour l’octroi de prêts à des projets d’infrastructure verte, notamment en Asie du Sud-Est. Une aide de 59 millions de dollars a été consentie à un projet de soutien à la transition vers les énergies renouvelables en Thaïlande avec la construction d’installations de technologie solaire et de stockage d’énergie par batteries, et un autre projet a reçu 40 millions de dollars pour soutenir des initiatives de financement de l’action climatique au Vietnam. Ce ne sont là que quelques exemples.
Nous collaborons aussi étroitement avec des partenaires régionaux comme la Banque asiatique de développement afin d’aider la transition énergétique vers des sources renouvelables, dont un parc éolien de 600 mégawatts en République démocratique populaire lao.
À moyen et à long terme, l’expertise du Canada dans ce domaine sera mise à contribution pour répondre aux besoins et aux demandes en matière d’énergie nucléaire civile dans la région. Ce secteur offre d’immenses possibilités d’aller dans le sens des objectifs de plusieurs des États membres de l’ANASE de renforcer leur sécurité en matière de transition énergétique et leur résilience climatique.
[Français]
Monsieur le président, au cours des trois dernières années, nous sommes passés de la vision à l’action. Nous obtenons des résultats qui profitent à la fois à notre économie et à l’ensemble de la région. Cependant, nous reconnaissons également que le monde de 2025 n’est pas le même que celui de 2022.
L’ordre commercial international est maintenant perturbé par les nouveaux tarifs américains et la guerre en Ukraine a considérablement rapproché les démocraties transatlantiques et indo-pacifiques. Dans ce contexte, nos partenaires de la région se tournent de plus en plus vers le Canada comme fournisseur stable et fiable d’énergie et de ressources naturelles.
Au cours des semaines et des mois à venir, nous allons mettre à jour la stratégie afin de tenir compte de ces développements et de l’aligner sur les priorités énoncées dans le budget de 2025 et dans la lettre de mandat du premier ministre Carney, notamment la nécessité de protéger notre souveraineté et de travailler en étroite collaboration avec nos alliés et avec des partenaires commerciaux fiables.
Il ne s’agira pas d’une révision en profondeur des objectifs de la stratégie, mais bien d’une recalibration de nos moyens et de nos outils pour les réaliser.
Je vous remercie pour votre attention et je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président : Merci pour vos commentaires, monsieur Epp. Je note que le sénateur Al Zaibak, de l’Ontario, s’est joint à nous. Je rappelle aux sénateurs qu’ils disposent de trois minutes maximum chacun pour la première ronde, y compris les questions et les réponses.
[Traduction]
Je demanderais par conséquent aux membres du comité d’être aussi concis que possible dans leurs questions, et aux témoins d’en faire autant dans leurs réponses. Comme à l’habitude, il y aura un second tour si le temps le permet.
La sénatrice M. Deacon : Merci d’être avec nous aujourd’hui. J’aimerais commencer par une réponse. Hier, nous avons eu l’occasion de rencontrer des représentants de l’Indo-Pacifique et d’autres intéressés comme des membres de la fondation pour l’Asie et d’autres groupes de réflexion au Canada. Quelques sénateurs étaient présents.
Au fil de la matinée, il a été question de divers enjeux préoccupants pour les pays représentés, y compris la nécessité d’établir un partenariat de sécurité commun et de réitérer sans cesse le message concernant l’adoption d’une stratégie globale pour la région pacifique. On a laissé entendre à quelques reprises que le Canada se comporte comme un ami des beaux jours, ou qu’il manque d’audace.
Un commentaire intéressant a été formulé. Si une vision stratégique prometteuse est proposée en ce moment, c’est merveilleux, mais serait-il possible de la communiquer de manière claire et efficace? J’ai écouté… C’est ce qui est ressorti de cette table ronde. Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de l’un ou l’autre de ces commentaires?
M. Epp : Premièrement, je vous confirme que nous entendons le même genre de commentaires. C’est important pour nous de les entendre. La stratégie d’un gouvernement, peu importe lequel, est toujours dynamique. Nous avons des objectifs. Il y a 17 ministères. Il y a du financement. Les choses progressent plus ou moins vite. Nous devons nous adapter aux changements externes dans l’environnement, mais nous devons aussi tenir compte des commentaires que nous recevons.
Pour ce qui est de certains aspects précis, ce qui compte avant tout, ce sont nos activités, nos actions, nos engagements et nos réalisations, ou nos résultats si vous voulez.
Depuis deux ou trois ans, les échos que j’ai d’autres hauts dirigeants au sein de l’ANASE, avec qui je suis souvent en contact… C’est la communauté de qui nous avons le plus souvent l’habitude de nous faire traiter d’ami des beaux jours.
C’est typique des processus multilatéraux. Il y a beaucoup de réunions. Est-ce que le Canada participe à toutes les réunions? Est-ce que nous intervenons au bon échelon? Les préoccupations soulevées à ce sujet sont légitimes.
Selon les échos qu’en ont eus le premier ministre et la ministre Anand — j’étais avec ses collègues l’été dernier —, c’était la réalité avant, mais un réel changement réel a été observé et nous devons continuer sur cette lancée.
Comme je l’ai dit moi-même au premier ministre, il doit se rendre dans la région. C’est la clé. Il doit être présent. Oublions le message et les critiques. Faisons bouger les choses.
Quant à l’ami des beaux jours… Le gouvernement du Canada — aussi bien le précédent que le gouvernement actuel — s’est engagé à mettre en œuvre une stratégie très importante de 2,3 milliards de dollars. Mais outre le financement, il y a aussi le temps de voyage, les heures de travail des dirigeants, la participation du premier ministre au sommet de l’ANASE durant son premier voyage en Asie.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Woo : Merci pour votre témoignage. La Chine fait-elle partie de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique?
M. Epp : Au lancement de la stratégie pour l’Indo-Pacifique en 2022, la Chine en faisait partie, absolument. Comme les gens qui ne l’ont pas regardée depuis un moment s’en souviendront peut-être, elle comporte plusieurs sous-chapitres, dont un sur la Chine à l’époque. La Chine fait évidemment partie de la région et la stratégie a toujours englobé la région dans son entièreté.
Un des objectifs de la stratégie est d’encourager le dialogue et le renforcement des compétences et de la capacité, mais aussi de favoriser la prise d’engagements diplomatiques, programmatiques et commerciaux dans l’ensemble de la région plutôt que dans une partie en particulier.
Le sénateur Woo : D’accord, mais ma question porte sur la Chine. Pouvez-vous nous indiquer les activités et les programmes déployés en Chine dans le cadre de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique au cours des trois dernières années?
M. Epp : Depuis trois ans, diverses actions ont eu des incidences directes sur notre relation importante et complexe avec la Chine. Ce qui vient en tête en premier pour la plupart des politiciens canadiens et nous aussi à Affaires mondiales Canada, c’est le travail accompli en collaboration avec nos collègues d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, ou AAC, pour éliminer les obstacles qui nuisent depuis longtemps au commerce dans ce secteur. AAC a reçu du financement et a établi un nouveau bureau où des spécialistes et une expertise technique sont mis au service de ce territoire et de toute la région pour les aider à faire face aux nouveaux enjeux ou rencontrer des fonctionnaires afin de trouver des solutions aux obstacles au commerce dans le secteur de l’agriculture.
Comme je l’ai mentionné dans la partie de mon exposé sur les programmes de bourses visant à resserrer les liens, c’est la Chine qui reçoit la majeure partie du financement versé par Affaires mondiales pour le renforcement des compétences dans l’Indo-Pacifique. Nous allons continuer de le faire. Nous trouvons important que les dirigeants, les universitaires et les fonctionnaires du fédéral et des provinces connaissent mieux à la fois les avantages et les risques associés à la Chine.
Le sénateur Woo : Le bureau se trouve à Manille, n’est-ce pas? Le travail sur les compétences liées à la Chine se fait principalement au Canada. Aucun ressortissant chinois n’y prend part. Est-ce exact?
M. Epp : C’est exact, pour la simple raison que l’objectif est de contribuer au renforcement des compétences des Canadiens.
Le sénateur Woo : Ce que vous nous dites, c’est qu’il n’existe aucun programme qui met à contribution la Chine, ses ressortissants, ses institutions, ses groupes de réflexion ou ses universitaires. Pouvez-vous nous parler de ce qui en est exactement depuis quelques années? Si la SCIP englobe la Chine, on pourrait s’attendre à ce genre de collaboration, non? Je sais que des programmes de bourses d’études et de recherches sont offerts dans l’ensemble de l’ANASE, probablement en Corée, au Japon et dans d’autres régions de l’Indo-Pacifique. Qu’en est-il de la Chine? Est-ce que des programmes ont été créés pour la Chine?
M. Epp : Oui. Je vais vous donner un exemple concret. Je viens de m’entretenir avec l’un des organisateurs, une personne que nous connaissons tous les deux, qui a travaillé avec l’Université de Toronto avec le soutien d’Affaires mondiales Canada pour organiser une conférence réunissant la prochaine génération de chercheurs spécialistes de la Chine. L’objectif est de parler de ce qui nous préoccupe, et qui préoccupe aussi un certain nombre d’universitaires : nous avons constaté depuis quelques années une baisse du nombre de chercheurs qui veulent faire carrière en Chine. Cela ne sert les intérêts de personne au Canada. Nous voulons que la tendance s’inverse.
Nous ne pouvons pas l’inverser. Les gens prennent leurs propres décisions, mais nous utilisons les outils dont nous disposons pour inciter, encourager et signaler à la fois à la fonction publique fédérale et aux universités qu’il s’agit d’une option de carrière. Nous souhaitons voir plus de personnes étudier et faire de la recherche en Chine. C’est pourquoi nous continuerons de soutenir des programmes tels que Next Generation Scholars. Le programme de bourses que je viens de mentionner sera destiné aux universités, dont beaucoup encouragent des bourses d’études avec la Chine.
Le président : Je vous remercie. Nous avons dépassé le temps imparti pour cette série de questions. J’ai l’impression que le sénateur Woo aimerait peut-être passer au deuxième tour. Je tiens à signaler que la sénatrice Pupatello, de l’Ontario, s’est jointe au comité.
Le sénateur Harder : Ma question porte sur la mesure dans laquelle, et la manière dont, vous avez fait participer les acteurs du secteur privé — essentiellement des entreprises — et les provinces, qui ont, selon moi, une responsabilité particulière dans la réussite de la Stratégie pour l’Indo-Pacifique, non seulement en raison de leurs compétences dans certains domaines, mais aussi parce qu’elles mettent l’accent sur certains des liens économiques que nous devons renforcer.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus, non pas sur ce que vous faites, mais sur ce qu’ils font, peut-être en collaboration avec vous ou de manière coordonnée? Il est important pour nous de comprendre que la présence du Canada dans la région Asie-Pacifique doit nécessairement passer par un engagement accru du secteur privé et des provinces.
M. Epp : Tout d’abord, je suis tout à fait d’accord avec cette prémisse. Je vais céder la parole à Mme Samaan dans un instant pour qu’elle vous parle d’une activité qui, depuis quelques jours, va droit au cœur de cette question avec les provinces et les territoires. J’ai eu une réunion plus tôt dans la journée avec les Premières Nations sur le même sujet, qui est de les faire participer et de voir comment nous pouvons travailler en plus étroite collaboration avec elles dans la région.
J’ai quelques réponses à apporter. Nous constatons une évolution très importante dans le degré de perfectionnement, les capacités et les ressources des provinces et territoires canadiens pour traiter avec l’Indo-Pacifique dans son ensemble généralement, et toujours en premier lieu avec la Chine ou l’Inde habituellement. C’est là que se concentrent les capacités, et cela concerne également les types de ressources que les provinces et les territoires ont déployées sur place, là où se rendent leurs ministres.
Nous travaillons en étroite collaboration, mais nous découvrons souvent assez tard dans le processus que les provinces envoient sur place des délégations ou des missions très impressionnantes. Dans certains cas, nous sommes en mesure d’apporter notre aide; dans d’autres, elles savent déjà quels sont leurs objectifs prioritaires.
Valérie Samaan, directrice générale, Direction générale de la planification stratégique, des politiques et des opérations pour l’Indo-Pacifique, Affaires mondiales Canada : En fait, oui, nous avons bien eu une réunion à Ottawa avec toutes les provinces et tous les territoires cette semaine, au cours de laquelle nous leur avons fait part des dernières nouvelles concernant l’Indo-Pacifique. Nous avons parlé de la phase 2 et nous leur avons demandé leurs observations et commentaires, car nous souhaitons les associer à l’élaboration de la mise à jour mentionnée par M. Weldon dans ses observations préliminaires.
Nous menons de nombreuses activités de sensibilisation avec l’équipe. Ainsi, nous allons rencontrer directement les provinces et les territoires, et nous rencontrons des entreprises et des chambres de commerce, de même que des universitaires, dans tout le pays. M. Rajani s’est rendu en Alberta en octobre, et nous espérons multiplier ce type d’initiatives dans les mois à venir.
Le sénateur Wilson : Ma question porte sur l’ampleur des possibilités en ce qui concerne ce que nous pouvons faire dans l’immédiat par opposition à ce qui est plus axé sur le long terme.
En ce qui concerne les domaines à ne pas oublier, les produits et services — Blackberry en est un bon exemple —, ce que le Canada fait ou produit actuellement, quelles sont les possibilités à cet égard par rapport à celles offertes par les projets à venir liés aux minéraux critiques et à d’autres choses qui, de toute évidence, pourraient être très importantes, mais qui ne sont pas encore développées? Le transport de ces produits n’est pas encore organisé. Toutes les infrastructures doivent être créées. Qu’est-ce qui est plus réel et immédiat, et quelle est la possibilité la plus prometteuse?
M. Epp : C’est une question complexe. Je vais essayer d’y répondre aussi rapidement que possible.
Quelques exemples concrets dans la première catégorie concernent des choses pour lesquelles nous n’avons pas besoin d’accords commerciaux pour avancer rapidement. Au cours des dernières années, il y a eu neuf missions commerciales d’Équipe Canada, les MCEC. L’investissement se révèle très rentable sur certains marchés. Quand nous le pouvons, nous avons des marchés dans la région qui se tournent déjà vers le Canada pour assurer leur sécurité alimentaire — je pense que c’est un terme à la mode ces jours-ci — et qui ont besoin du Canada comme acteur clé, autant pour les matières premières que pour des aliments riches en protéines, etc.
Il ne s’agit pas seulement de l’agriculture, mais c’est un secteur qui évolue rapidement. Les technologies propres et les nutraceutiques canadiens intéressent beaucoup aussi. Il ne s’agit pas seulement de produits bruts, mais aussi de valeur ajoutée. Le Canada jouit d’une image de marque très forte. Nous sommes considérés comme fiables, non seulement comme pays, mais aussi pour ce qui est de la salubrité et de la qualité des produits.
Prenons la croissance de la classe moyenne dans la région indo-pacifique, il existe une demande aujourd’hui, et cette demande continuera. Nous nous y concentrons sur des éléments plus stratégiques, ce qui prendra du temps, mais l’avenir est prometteur du point de vue de la demande et de ce que nous pouvons fournir. Cela concerne des domaines tels que l’énergie et les minéraux critiques, en particulier dans les pays de l’ANASE et en Inde.
Nos exportations vers l’Inde ont augmenté de 10 % l’an dernier, par rapport à l’année précédente, alors que, toutes les personnes présentes le reconnaîtront, cette année n’a pas été des plus faciles sur le plan des relations bilatérales. Cependant, ce marché connaît une croissance massive et sera le troisième marché mondial d’ici 2030.
Sur la base de ce que nous faisons actuellement, nous ouvrons déjà rapidement des débouchés, mais c’est à plus long terme. Les achats prospectifs de Trans Mountain et ceux de la phase 1 du GNL en sont de bons exemples, et la région est en plein essor. J’ai mentionné le nucléaire : on se tourne vers le Canada pour ces infrastructures stratégiques et des achats prospectifs dans les 10 à 15 prochaines années.
[Français]
La sénatrice Gerba : Bienvenue à nos invités. La diaspora indo-pacifique est une composante importante de notre pays. Selon les chiffres que j’ai, elle représenterait à peu près 19 % de la population. J’aimerais savoir comment vous interagissez avec cette diaspora qui est importante dans le cadre de cette stratégie pour l’Indo-Pacifique. Avez-vous des canaux de communication qui vous permettent de la consulter? Est-ce que ses membres prennent part aux missions d’Équipe Canada dans la région?
M. Epp : Merci pour l’excellente question. C’est aussi une base de notre stratégie, étant donné qu’il s’agit d’un atout pour le Canada par rapport à cette région qui est différente d’une autre compétition, si l’on veut. Il est important de le réaliser, mais sans utiliser comme telles les communautés qui ont leurs propres intérêts, soit parce qu’elles sont dans un pays d’immigration ou dans une autre région. On a une base de connaissances, des liens, des partenariats d’affaires et des partenariats pédagogiques, et il faut les utiliser le mieux possible.
Oui, nous avons des canaux et nous effectuons parfois des consultations, surtout sur la réalité de ces communautés et sur les quelques défis qu’elles doivent surmonter ici, au Canada. Je pense, par exemple, aux répercussions de l’ingérence. Je voudrais mieux gérer les risques et les opportunités, si c’est possible. Alors, on voit plus de participation de la part de chambres de commerce ou d’organisations communautaires qui viennent de la région. Cette semaine, il y a une délégation de femmes d’affaires hindoues de l’Ontario en Inde. Nous voulons voir plus de voix comme celles-là.
[Traduction]
Le sénateur Ravalia : Je vous remercie de votre présence.
Pouvez-vous nous expliquer dans quelle mesure la coordination entre le Canada et les États-Unis au sujet de leurs stratégies respectives pour l’Indo-Pacifique a évolué ces dernières années, étant donné les tensions créées par les droits de douane, etc.?
M. Epp : C’est une excellente question. Je commencerai par ces dernières années, puis je passerai à la période plus récente.
La plupart d’entre vous ne seront pas surpris d’apprendre que, à bien des égards, notre évaluation de la région, autant pour ce qui est des possibilités que des risques, recoupe largement celle de nombreux pays d’optique commune, États-Unis compris. Comme nous, ils sont très conscients de l’émergence de puissances régionales — l’Inde et la Chine —, des possibilités qu’offre l’ANASE, de la possibilité de devenir partenaires d’une croissance régionale historique et d’en tirer parti pour ouvrir des débouchés aux entreprises canadiennes, notamment. Lorsque nous tendons vers les mêmes objectifs, nous réussissons à avoir de très bonnes conversations.
Au fil des années, nous nous sommes rendus à Washington et vice-versa. Je donnerai un exemple relatif au sommet du G7 que nous avons organisé cette année. Nous y avons mis l’accent un peu plus sur certains sous-domaines de travail, comme la sécurité maritime, qui est une priorité pour le Canada. Nous avons constaté une participation très active des diplomates et des experts américains à toutes les réunions que nous avons organisées.
Il en va de même des questions relatives à la répression transnationale, que le Canada a intégrées dans certains des travaux menés au sein du groupe de travail G7-Chine. En fonction des sujets, nous constatons une participation active.
Là où il existe peut-être une différence évidente entre les approches, sinon entre les objectifs, c’est que le Canada n’hésitera jamais à rejeter les fausses questions qui consistent à choisir l’une ou l’autre des superpuissances. Il est important dans notre dialogue avec les pays de la région qu’ils nous entendent répéter qu’il s’agit d’une fausse question. La question est de savoir si nous choisissons ou non un droit international qui s’applique uniformément à tous. À cet égard, le Canada a une image cohérente et fiable, celle d’un pays qui ne change pas d’avis au gré des circonstances. Ce qui ne change pas, c’est notre engagement à renforcer le droit international, non seulement en matière de droits de douane et de contestation de ce que nous considérons comme étant des politiques commerciales illégitimes de la part, par exemple, de la Chine, dans certains cas, ou d’autres économies, mais aussi de la part des États-Unis, car il s’agit du droit international.
[Français]
La sénatrice Hébert : J’ai tellement de questions, monsieur le sous-ministre! Je devrai en choisir une dans ma liste. Premièrement, je ne sais pas si vous avez ces informations, mais j’aimerais que vous nous donniez une référence sur Internet pour que l’on fasse un petit bilan de notre partenariat transpacifique à l’heure actuelle. Qu’est-ce que cela a donné? J’ai essayé de chercher, mais je n’ai pas trouvé de bilan à jour sur les résultats réels de ce partenariat. C’est quand même un accord intéressant pour nos entreprises.
Vous avez dit que vous en étiez à mettre à jour la stratégie canadienne. J’aimerais que vous nous parliez plus concrètement des grands axes qui feront l’objet de cette mise à jour.
M. Epp : Merci pour la question. Je vais commencer, et peut-être que mes collègues pourront ajouter quelque chose. Pour la première question, si j’ai bien compris, en ce qui a trait au partenariat transpacifique, il est très important. Par exemple, on a vu des résultats qui ont montré une croissance en raison de notre commerce avec ces économies. Je n’ai pas les chiffres en tête, mais je vais les chercher.
Au Vietnam, on a vu une croissance très rapide, et ce, plutôt en faveur du Vietnam, mais c’est normal en tant qu’économie de pays en développement. Tout cela donne une base très positive pour continuer de conclure des accords avec l’Indonésie et maintenant avec l’ANASE. Cela intéresse beaucoup les entreprises canadiennes, qui pourront profiter des accords. C’est plus important de les utiliser que de les négocier. On peut chercher des chiffres, mais ces marchés sont extrêmement importants pour atteindre nos objectifs sur le plan de la diversification.
Cela dit, il est très important pour nous de continuer de trouver d’autres possibilités, même dans des marchés très importants où il nous manque des outils en matière de politique et de commerce, par exemple avec l’Inde et la Chine. Il ne faut pas attendre de conclure un accord de libre-échange.
Le président : Je suis désolé, mais le temps est écoulé et j’ai bien noté que la sénatrice Hébert a indiqué une préférence pour poser une question durant la deuxième ronde.
La sénatrice Hébert : J’aimerais recevoir un bilan.
[Traduction]
Le sénateur Al Zaibak : Monsieur Epp, mes collègues Harder et Gerba ont parlé de deux éléments importants qui pourraient être d’une grande aide dans la mise en œuvre de la stratégie du Canada : les entreprises, la participation du secteur privé, ainsi que la diaspora indo-pacifique au Canada.
Je me demande si vous avez également réfléchi à un autre élément, à savoir la diplomatie parlementaire. Avez-vous envisagé de déployer, d’activer et d’implorer la diplomatie parlementaire dans vos efforts pour atteindre les objectifs déclarés de notre stratégie?
M. Epp : C’est une excellente question, car il y a eu une évolution dans le financement des voyages et de l’engagement parlementaires, et d’après mon expérience au fil des ans, Affaires mondiales Canada a établi de bons partenariats avec les parlementaires de la région. J’y ai fait carrière. Lors de ma première affectation, on m’a demandé, entre autres tâches, d’être l’agent à l’ambassade à Pékin qui aidait à gérer l’Association législative Canada-Chine. Je suis ravi de voir que, pour la première fois depuis longtemps, une délégation de cette association s’apprête à venir au Canada. C’est un canal important pour les discussions sur les politiques et la gouvernance.
Il est important de le développer dans toute la région. Il y existe parfois depuis longtemps. La Chine en est un excellent exemple. Dans certaines relations, comme avec le Bangladesh, où nous avons d’énormes possibilités de transformer des années de partenariat en matière de développement en quelque chose de beaucoup plus complexe, nous ne voyons pas autant de marge de manœuvre ni autant d’engagement institutionnel. Je m’en réjouirais vivement, tout en étant très conscient des contraintes budgétaires de toute institution, y compris du Parlement du Canada.
Le président : C’est tout, j’en ai bien peur, mais si vous disposez de fonds supplémentaires, nous serions toujours heureux de les accepter, si vous voulez en prendre note. Merci.
Le sénateur MacDonald : J’allais vous interroger sur l’évolution de l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, le PTPGP, mais la sénatrice Hébert en a déjà parlé. Je vais donc passer à un autre sujet. En ce qui concerne la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique, quels sont les principaux succès enregistrés jusqu’à présent? Quels sont les progrès réalisés qui nous permettent de mentionner des éléments qui fonctionnent d’une manière que nous n’avions peut-être pas prévue? Où sont nos lacunes? Dans quels domaines sommes-nous encore un peu à la traîne et avons-nous encore du travail à faire? Il existe tellement de groupes, comme l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, l’ANASE. Il y a tellement de choses sur la table, et je me demande comment elles s’intègrent toutes ensemble.
M. Epp : Je vais essayer d’être bref. Nous avons obtenu quelques premiers succès — pour renvoyer à de précédents commentaires — en étant plus présents et en étant perçus comme plus sérieux. Il reste du chemin à faire. Je ne dirai pas mission accomplie, mais, d’après mon expérience passée, d’après la situation avant et après, il me semble que l’on reconnaît que le Canada ne s’est pas juste engagé en paroles, mais qu’il a aussi des principes, des outils et des financements. C’est particulièrement visible avec l’ANASE. Je ne pense pas que nous aurions réussi à établir un partenariat stratégique avec l’ANASE, et même si nous ne sommes pas aussi obnubilés par la taxonomie que nos partenaires dans la région, c’est important. Ce partenariat est important pour ce qui est de donner la priorité au Canada et d’être disponible pour rencontrer le Canada. J’en veux pour exemple l’invitation récente du premier ministre Carney.
Oui, concrètement, la partie de la stratégie qui visait à renforcer la réputation du Canada et sa fiabilité en tant que partenaire dans la région a beaucoup fait. Pour les acteurs canadiens, pour les citoyens canadiens, où sont les résultats concrets? Il faut du temps, mais la mission commerciale d’Équipe Canada se révèle être jusqu’à présent un excellent investissement. Je me risquerai à donner un chiffre, mais pour le Japon, ma collègue Sara Wilshaw, qui est notre déléguée commerciale en chef, a parlé de l’investissement à l’étranger pour amener toutes ces entreprises à aller sur place participer à des réunions et de ce qu’il a rapporté, et c’est plus de 20 fois la somme investie.
Certains de ces outils donnent des résultats concrets en ce qui concerne des marchés conclus. Nous commencerons à voir augmenter, lentement mais sûrement, le niveau global des comptes nationaux de cette partie de notre commerce hors États-Unis, et il augmentera dans la région.
Enfin, dans le secteur de la sécurité, nous ne pouvons pas être des profiteurs, et cette partie de la façon dont nous étions perçus ne s’est jamais appliquée à la péninsule coréenne, où le Canada n’a jamais été un profiteur. Nous avons toujours été un partenaire solide, déterminé et fiable. Cependant, la région dans son ensemble présente des défis pour nos intérêts, et nous devons être perçus comme étant présents. Les FAC ont très vite répondu à l’appel, avec une présence incroyable et quasi constante de frégates dans la région. Des programmes comme notre programme de détection des navires clandestins sont très bien accueillis par des partenaires tels que les Philippines, dont il vient épauler les capacités. Dans le secteur de la sécurité, nous constatons donc des résultats concrets, et, avec le temps, les Canadiens les verront aussi.
Le président : Je vous remercie. J’ai une question avant de passer au deuxième tour de table, et elle porte, en fait, sur le problème des navires clandestins. Il y a quelques années, dans le cadre de la campagne présomptueuse que nous menions pour siéger au Conseil de sécurité, je me trouvais dans le Pacifique Sud où j’ai rencontré des représentants des États insulaires du Pacifique. Ce problème les préoccupait beaucoup et ils demandaient, ce qui était important, comment le Canada, puissance maritime, pouvait les aider par ses compétences en matière de pêche. Vous avez mentionné le programme de détection des navires clandestins et le fait qu’il est apprécié. Prend-il de l’ampleur? Y a-t-il une tendance dont il faut s’inquiéter dans ce domaine?
M. Epp : En effet. Il est très bien accueilli. Félicitations à nos collègues du ministère des Pêches et des Océans, le MPO. C’est la technologie, la formation et la pertinence de son utilisation à des fins multiples. Dans la région, dans des pays comme les Philippines, les villages côtiers de pêcheurs dont les moyens de subsistance sont menacés par des pays qui possèdent des flottes de pêche industrielle, figurent parmi les collectivités les plus pauvres. Il ne s’agit pas seulement d’un élément de sécurité lié à la connaissance du domaine, mais aussi d’un partenariat d’aide au développement à bien des égards.
Il y a une forte demande qui est supérieure à ce que le Canada peut offrir. La première partie de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique, financée sur cinq ans, comprenait un financement destiné à permettre au MPO d’être plus présent, de réaffecter certaines de ses ressources et d’accroître sa capacité à le faire. Dans deux ans, ce financement sera épuisé. Une discussion a lieu sur des moyens d’assurer la continuité, voire l’élargissement, de ce qui, selon moi, serait — nous ne l’avons peut-être pas présenté comme un projet phare, mais il s’est révélé l’être sur le plan diplomatique et du point de vue de la contribution canadienne à la région — l’une des victoires les plus importantes.
Le président : Je vous remercie. Nous passons maintenant au deuxième tour de table, car notre temps est limité. Ce n’est pas l’alarme qui sonne, mais les lumières clignotent, et nous allons devoir aller voter. Nous procéderons à une évaluation dans un instant, mais nous allons passer au deuxième tour de table.
La sénatrice M. Deacon : Merci. Ma collègue, la sénatrice Gerba, a parlé de la stratégie pour le Pacifique et de la communication. J’aimerais aller plus loin. Quand nous regardons cette stratégie mise en place en 2022, nous constatons que le monde a changé. Nous regardons l’ordre international, la primauté du droit, la stabilité et le pourcentage de pays qui ont de nouveaux dirigeants. Ma question est la suivante : dans votre travail, êtes-vous toujours en mesure d’utiliser les objectifs généraux? Êtes-vous toujours en mesure de travailler à partir de la stratégie initiale, ou devez-vous l’adapter?
M. Epp : La ministre Anand a déclaré, il y a peu, publiquement qu’elle a demandé à Affaires mondiales Canada, AMC, de produire une mise à jour de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique. Celle-ci est très attendue. Je ne vais pas préjuger des conseils qui lui seront donnés, mais comme l’ont souligné les sénateurs, la conjoncture internationale et même les relations bilatérales avec les États-Unis, etc., ont beaucoup changé sur des points clés depuis le lancement de la stratégie. C’est manifestement le bon moment pour la revoir, et l’examen est en cours. Je ne pense pas qu’il prendra beaucoup de temps. Ce que je peux dire, c’est que, tant que l’on ne modifie pas, entre autres, le mandat ou les outils, deux des piliers fondamentaux sur les cinq, notamment, qui soutiennent le cinquième pilier correspondent, à vrai dire, tout à fait aux sept missions que le premier ministre Carney a confiées à son gouvernement. Cela conduit à la diversification, vers des partenaires commerciaux fiables, et pour le faire le plus rapidement possible, cela amène, entre autres régions du monde, à l’Indo-Pacifique.
Deuxièmement, il faut renforcer notre sécurité et la souveraineté des Canadiens en resserrant nos partenariats avec des pays qui partagent nos intérêts, ce qui — comme nous l’avons vu récemment lors de la visite du premier ministre dans la région et de la visite du ministre de la Défense aux Philippines la semaine suivante — passe par le renforcement d’accords tels que les accords sur le statut des forces étrangères.
Ces deux priorités fondamentales du gouvernement actuel sont largement anticipées par la stratégie, mais le contexte a changé et nous allons la revoir.
Le sénateur Woo : Puis-je déduire de vos observations que les deux piliers qui resteront intacts, à savoir les partenaires fiables et les alliés, etc., signifient que la Chine ne figurera pas en bonne place dans l’examen de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique, ou est-ce que AMC a changé de point de vue sur le fait que la Chine est ou n’est pas un partenaire acceptable dans cette région?
Je pose cette question, car M. Carney a, bien sûr, fait une déclaration avec Xi Jinping sur la résolution des points de friction et sur l’expansion des investissements commerciaux bilatéraux.
M. Epp : Je ne suis pas sûr de pouvoir être entièrement d’accord avec la prémisse de la question, mais c’est une question raisonnable dans la mesure où nous verrons quelles seront les décisions de la ministre et du premier ministre au sujet de la mise à jour de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique. Je ne vais pas présumer de leur décision. Nous formulerons des conseils.
Mon commentaire tout à l’heure visait à décrire les orientations données par le premier ministre, qui sont claires en matière de diversification et de renforcement des partenariats de sécurité. Ce sont déjà des piliers essentiels, mais je n’exclus pas que d’autres piliers clés de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique soient maintenus. Je ne fais que mentionner des éléments qui faisaient manifestement partie de son programme et qui étaient évidents aussi lors de ses déplacements récents et actuels dans d’autres régions.
En faisait aussi partie ce que tout le monde reconnaîtra comme étant une rencontre très importante entre le premier ministre et le président de la Chine. La bonne nouvelle, c’est que nous voyons des signes que la Chine est en train de changer sa politique à l’égard du Canada.
Si les ministres peuvent maintenant se rendre en Chine pour y rencontrer leurs homologues, c’est une bonne nouvelle. Le Canada a toujours voulu parler des problèmes commerciaux et agricoles. Nous n’avons pas toujours eu un partenaire de bonne volonté quand nos ministres atterrissaient à Pékin.
C’est un progrès, et tout gouvernement souhaiterait aller plus loin. Je ne vois pas de contradiction entre ma réponse précédente et le fait que bon nombre de ces activités nous conduisent également à un partenariat avec la Chine.
Le sénateur Woo : Votre ministère sollicite-t-il l’avis des parties intéressées sur l’examen de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique? Existe-t-il un mécanisme officiel à cet effet?
M. Epp : Nous n’avons pas encore de directives officielles sur le processus d’examen. Ma ministre a clairement exprimé cette intention en interne et en public. Le travail est engagé dans cette perspective, mais je n’ai pas de réponse directe à votre question, car je ne sais pas encore quel sera le processus, sénateur.
Le sénateur Harder : Il y a une vingtaine d’années, le Canada et la Chine ont créé le Groupe de travail stratégique, qui était un groupe de très haut niveau qui se penchait sur un large éventail de questions. Ce groupe est resté inactif pendant un certain temps. J’ai lu récemment qu’il a été réactivé.
Pouvez-vous me dire ce qui figure à l’ordre du jour du Groupe de travail stratégique et à quel niveau il se réunira?
M. Epp : À ce jour, l’architecture de gestion de nos relations en constante évolution avec la Chine ne prévoit encore aucun engagement quant au niveau ou au calendrier d’un groupe de travail stratégique. Nous avons parlé, si je peux me permettre cette précision, de la manière dont nous interprétons un partenariat stratégique maintenant vieux de 20 ans. Le Canada entretient de nombreux partenariats stratégiques et, comme je l’ai mentionné tout à l’heure, il arrive au Canada de trébucher sur la taxonomie ou la terminologie, mais elle est importante en Asie, et elle est importante pour la Chine. Ce partenariat stratégique qui date d’un autre temps comprenait des attentes qui ne sont prioritaires pour aucun des deux pays aujourd’hui.
Il y a des priorités — et la ministre Anand les a communiquées après sa récente rencontre avec Wang Yi, son homologue à Pékin — qui, dans le cadre d’une collaboration adaptée à 2025 ou au partenariat actuel avec la Chine, incluraient des domaines stratégiques, comme la coopération énergétique. Nous coopérons déjà en matière d’énergie.
La gestion même et les mécanismes nécessaires dépendront des domaines que nous aurons précisément définis comme étant prioritaires, mais, encore une fois, je suppose que l’énergie sera un élément clé.
Les sénateurs ici présents et les personnes qui nous regardent savent que PetroChina a investi dans LNG Canada 1 et qu’une grande partie de la production est destinée à la Chine. Le Canada compte également des entreprises qui participent au secteur énergétique chinois, et c’est un domaine qui devrait se développer.
Le sénateur Ravalia : Monsieur Epp, j’ai une question d’ordre philosophique, notamment en ce qui concerne nos relations avec la Chine et l’Inde. Pensez-vous que nous en sommes à un point où les impératifs économiques l’emportent sur les frictions idéologiques?
M. Epp : Avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas certain que mon point de vue sur une question aussi philosophique soit particulièrement utile au Sénat.
Nous savons que le Canada traverse une période de changements dynamiques incroyables, et cela vaut également pour bon nombre de nos partenaires d’optique commune qui partagent nos valeurs et nos intérêts. Le risque relatif lié à la manière dont nous gérons ces intérêts peut sembler différent aujourd’hui de ce qu’il était, par exemple, il y a 20 ans, quand nous avons établi des partenariats avec certains pays.
Les Canadiens comprennent qu’il est important de maintenir une économie forte, stable et moderne, y compris une économie qui dépend beaucoup du commerce international et qu’en 2025, cela représente un défi différent à relever pour les gouvernements, et que la gestion de ce défi nous conduira à un engagement créatif et urgent, notamment à un calendrier urgent d’accords de libre-échange avec des marchés en croissance dans des régions où, par le passé, les entreprises canadiennes étaient peut-être moins présentes.
[Français]
La sénatrice Hébert : Monsieur le sous-ministre, ma question fait suite à ce que ma collègue la sénatrice Deacon a dit plus tôt au sujet de l’évolution de l’environnement depuis, et même encore tout récemment.
Les États-Unis ont eu des rapprochements avec certains pays avec lesquels ils ont signé des accords. Je pense entre autres au Japon. Jusqu’à quel point cela affecte-t-il l’attractivité du Canada par rapport aux pays avec lesquels il tente de rétablir les ponts, de signer des accords bilatéraux ou de les stimuler davantage? Je me demande si cela ne mine pas le Canada dans ses efforts en vue de rester attractif.
M. Epp : Merci pour la question. Il va sans dire que le contexte est très dynamique et qu’il y a beaucoup de compétition. Cependant, il y a beaucoup de changement aussi en ce qui a trait à la marque nationale. Ce que fait le Canada, c’est consulter pour renforcer sa marque de fiabilité et de stabilité. Nous renforçons les possibilités que nous offrons à la région, que ce soit dans le secteur énergétique ou dans d’autres secteurs. Comme diplomates, on évite habituellement de faire des commentaires au sujet des pays tiers.
Pour ce qui est de l’économie de l’Amérique du Nord, il vaut mieux maintenir une croissance de l’autre côté de la frontière. Cela dépend des liens étroits qui sont construits au moyen des partenariats entre les États-Unis et les grands secteurs économiques dans la région.
Nous espérons voir davantage de stabilité entre la Chine et les États-Unis, par exemple, ou voir une meilleure utilisation du commerce, peut-être pas dans le cadre de la conclusion d’accords de libre-échange avec les États-Unis, mais nous souhaiterions au moins que ces pays suivent les règles. Cela nous aide et cela aide aussi nos partenaires commerciaux dans la région.
Le président : Merci.
[Traduction]
Je vais réduire le temps imparti aux questions et réponses à deux minutes afin de permettre aux trois derniers sénateurs de parler, car nous devrons ensuite faire une pause et nous tenir informés du vote.
[Français]
La sénatrice Gerba : Pour ma question, vous pouvez nous envoyer les réponses par écrit.
Pour la première partie, quand on a lancé la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique, je pense qu’il y avait une enveloppe de 2,5 milliards de dollars. Cette enveloppe a-t-elle été totalement utilisée? Le budget a-t-il touché à cette enveloppe? Comment cela a-t-il été utilisé, en fait? Ce serait bien d’avoir un document qui nous donne des détails sur l’utilisation de ces 2,5 milliards de dollars qui ont été accordés à la stratégie.
Pour la deuxième partie, je vais revenir sur la diaspora. On sait qu’elle joue un rôle de pont économique et culturel entre les pays. Vous avez évoqué les défis ayant trait à la diaspora, mais vous avez également parlé des exportations qui ont augmenté. Est-ce qu’on peut savoir si la diaspora et les entreprises dirigées par la diaspora ont eu un impact sur ce volume des échanges qui ont augmenté? Si l’on pouvait avoir des données désagrégées pour nous informer des pays où l’on a vendu des biens et des biens que l’on a vendus... Voilà.
Le président : Je suggère une réponse écrite pour cette question, parce que nous avons seulement 30 secondes. Ce n’est pas juste.
M. Epp : Absolument.
Le président : Parfait, merci.
[Traduction]
Le sénateur Al Zaibak : Avec le rétablissement des hauts-commissaires en 2025, comment évaluez-vous les perspectives de reconstruction d’un partenariat fonctionnel et tourné vers l’avenir avec l’Inde, compte tenu du rôle central de ce pays dans la stratégie pour l’Indo-Pacifique?
M. Epp : En bref, je dirais positivement. Nous avons constaté un revirement assez considérable de l’intérêt à Delhi. De plus, avec le nouveau gouvernement ici, nous avons eu l’occasion de faire deux choses à la fois afin d’avancer avec des relations plus positives au sommet, et c’est tout simplement une réalité importante. L’Inde avait toutes les raisons de vouloir tirer parti d’un changement issu de notre processus électoral, et nous avons agi rapidement pour le mettre à profit afin de stabiliser nos relations.
Je vais vous donner quelques exemples. Il y a un dialogue concret et productif en matière d’application de la loi, et c’est important. Il permettra de continuer à traiter les problèmes structurels de longue date qui touchent à la sécurité tant de l’Inde que du Canada, ainsi que les problèmes qui sont apparus récemment. Il y a une affaire judiciaire en cours liée au cas de M. Nijjar, qui est très importante. Rien de tout cela ne devrait empêcher le Canada et l’Inde d’établir des relations plus stables dans tous les domaines, que ce soit l’économie, l’éducation, etc.
Il y a donc deux documents que je recommanderais aux sénateurs de consulter s’ils n’ont pas encore eu l’occasion de le faire : une feuille de route issue de la récente rencontre entre la ministre Anand et son homologue, et, deuxièmement, une déclaration commune publiée la semaine dernière à la suite de la rencontre entre le ministre Sidhu et le ministre Goyal en Inde dans le cadre du Dialogue ministériel sur le commerce et l’investissement 2025. Ces deux documents vous donneront une idée de la dynamique actuelle, sénateur.
Le sénateur MacDonald : J’aimerais retourner à l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, ou PTPGP, un instant. L’administration Trump a décidé de s’en retirer, mais les administrations se succèdent. Si une nouvelle administration souhaite y reprendre place, quel sera l’impact de la participation américaine sur l’évolution de l’organisation et sur nous en particulier?
M. Epp : Ce sont là d’excellentes hypothèses, et je ne suis pas le mieux placé pour en témoigner. Quelle que soit la probabilité que les administrations américaines actuelles ou futures adhèrent au PTPGP, celui-ci a toujours été un accord de haut niveau destiné à ouvrir les marchés à ceux qui partagent des intérêts de haut niveau en matière de travail et d’environnement, mais aussi de domaines en évolution, comme le numérique, etc. Dans la mesure où une grande économie souhaiterait y adhérer, cela susciterait beaucoup d’intérêt. Ce n’est pas le cas actuellement, mais certaines économies aspirantes pourraient être importantes. Bon nombre d’entre elles sont des économies avec lesquelles le Canada a déjà conclu des accords de libre-échange.
Il y a également un débat plus large sur la manière d’utiliser la marque et la dynamique du PTPGP à une époque où le commerce fondé sur des règles est quelque peu remis en question, par exemple avec l’Union européenne, et le premier ministre s’est montré très proactif sur la manière de rapprocher des collectivités telles que l’Union européenne et le PTPGP afin de renforcer le commerce fondé sur des règles, ce qui ne semble pas être actuellement la priorité de tous nos partenaires commerciaux.
Le président : Merci beaucoup. Ce comité est toujours fascinant. Nous pouvons aborder des questions tant philosophiques qu’hypothétiques. Les trois témoins, en particulier le sous-ministre adjoint, ont très bien répondu aux questions.
Au nom du comité, je voudrais remercier le sous-ministre Epp, la directrice générale Samaan et le directeur Rajani d’être parmi nous aujourd’hui. Nous vous remercions pour vos observations et les renseignements que vous nous avez fournis. Nous aimerions obtenir par écrit certains éléments. Si vous pouviez les envoyer à la greffière, nous vous en serions très reconnaissants.
Je suis ravi d’accueillir par vidéoconférence Paul Evans, professeur émérite à l’Université de la Colombie-Britannique, et Hugh Stephens, membre émérite de la Fondation Asie-Pacifique du Canada et ancien collègue. Bienvenue, messieurs. Merci d’être avec nous aujourd’hui. Nous sommes prêts à entendre vos déclarations liminaires, qui seront suivies des questions des sénateurs. Monsieur Evans, vous avez la parole.
Paul Evans, professeur émérite, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Merci, sénateur Boehm, pour cette occasion de me joindre à vous, même si ce n’est pas tout à fait au moment prévu. La démocratie réserve parfois des surprises passionnantes.
Je comparais aujourd’hui à titre personnel, ayant récemment pris ma retraite de l’Université de Colombie-Britannique et résidant désormais pour quelque temps à l’Université nationale de Singapour, où je passe plusieurs mois chaque année.
Il y a plus de trois ans, le Canada a conçu et mis en œuvre sa stratégie pour l’Indo-Pacifique, succédant ainsi à trois décennies d’efforts intermittents pour mettre en œuvre une stratégie pour l’Asie-Pacifique qui n’était plus jugée adaptée au contexte stratégique. Les changements très récents dans le contexte géopolitique et géoéconomique rendent indispensables des modifications importantes de notre stratégie pour l’Indo-Pacifique.
La rivalité géopolitique entre les États-Unis et la Chine s’intensifie. La Chine présente un ensemble complexe de défis et de menaces. Ce qui a changé de manière radicale, c’est l’approche américaine à l’égard des normes et des institutions de l’ordre mondial. Comme les Canadiens en sont douloureusement conscients, cette nouvelle approche comprend l’imposition unilatérale de droits de douane, des négociations forcées et le retrait des processus multilatéraux, y compris l’Organisation mondiale du commerce. L’idée d’un ordre international fondé sur des règles et ancré dans les États-Unis est en ruines. L’idée d’entités « partageant les mêmes valeurs » semble désormais tout aussi superficielle.
En Asie comme au Canada, il est reconnu que le système commercial actuel, caractérisé par un libre-échange ouvert et fondé sur des règles, ainsi que par le multilatéralisme, est en train de s’effondrer, et il est largement admis que ce changement n’est pas temporaire. La plupart des voix au Canada et en Asie estiment que la politique « America First » — qui comprend la politique industrielle, la restriction des chaînes d’approvisionnement et la recherche d’avantages nationaux étroits — est là pour de bon. Les répercussions pour le Canada dans la région indo-pacifique sont considérables. Plusieurs ajustements s’imposent.
La région indo-pacifique est beaucoup, beaucoup plus vaste que la Chine, mais, en raison de la taille, du poids économique et de la présence régionale et mondiale de la Chine, notre politique à l’égard de ce pays doit être au cœur de l’« Indo-Pacifique 2.0 ».
Tout d’abord, la Chine ne peut plus être considérée comme le principal perturbateur. Cette distinction est désormais partagée avec les États-Unis. La région est très préoccupée par le renforcement des capacités militaires chinoises et sa domination croissante, son ingérence dans les affaires étrangères, etc. Cependant, cette préoccupation est désormais contrebalancée par la méfiance à l’égard des États-Unis, de leur fiabilité, de leurs droits de douane et de leurs exigences de paiements parallèles de la part de leurs alliés. Beaucoup se demandent quelle est la plus grande puissance révisionniste : la Chine ou les États-Unis?
Deuxièmement, la réinitialisation ou le recalibrage récemment signalé par le premier ministre Carney et le président Xi en Corée, dont nous avons entendu parler il y a quelques minutes, constitue une avancée prometteuse. Il annonce la reprise des relations au sommet et de la négociation sur certaines questions restées en suspens, notamment les exportations de canola et les droits de douane sur les véhicules électriques. Cependant, dans ce nouveau contexte, il convient d’envisager des mesures plus ambitieuses, notamment en ce qui concerne les accords d’approvisionnement à long terme dans les domaines de l’énergie et de l’agriculture.
En outre, cela pourrait inclure une coopération éventuelle dans le cadre de mécanismes multilatéraux de soutien au commerce fondé sur des règles, sans les États-Unis, ce qui conduirait à reconsidérer la composition et l’objectif de l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste.
Troisièmement, il convient de rétablir divers canaux de la voie 2 et pistes universitaires afin de permettre des dialogues avec Pékin et les homologues chinois sur des sujets et possibilités complexes qui ne sont pas encore mûrs pour être abordés officiellement. Un des sujets urgents est celui de la sécurité économique, qui entrave certaines des initiatives que nous souhaitons mener dans le cadre de nos discussions avec la Chine et d’autres pays. Nos collaborations de recherche dans des domaines tels que les technologies agricoles sont bloquées par des questions de sécurité nationale qui doivent être examinées avec attention par toutes les parties.
Enfin, les politiques du Canada pour la région indo-pacifique dépendent de nos relations avec les États-Unis. Le choix stratégique fondamental consiste à déterminer si le Canada préfère une diversification large et dynamique au-delà des États-Unis ou s’il opte pour une intégration économique plus profonde avec ce pays, éventuellement dans le cadre d’un accord de « forteresse nord-américaine ».
La diversification « grand D » implique la nécessité d’établir des liens beaucoup plus larges et plus profonds dans tout le Pacifique, y compris avec la Chine. L’intégration « grand I » avec les États-Unis entraînerait un alignement encore plus étroit sur les politiques américaines dans des domaines comme l’économie d’affinité, la collaboration avec des partenaires partageant les mêmes idées et le désengagement ou le découplage de la Chine, ce qui semble être la tendance à long terme de la pensée américaine. Pour l’instant, comme nos relations avec les États-Unis sont fluides et indéterminées, nous avons l’occasion de réfléchir de manière créative et indépendante à la forme que prendra la version 2.0 de notre stratégie pour l’Indo-Pacifique. Je vous remercie.
Hugh Stephens, attaché supérieur de recherche, Fondation Asie Pacifique du Canada, à titre personnel : Merci. Je comparais aujourd’hui à titre personnel.
Mes observations porteront sur trois points principaux : la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique et son renouvellement, le Canada et l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, ainsi que l’importance des relations et les réseaux interpersonnels.
Comme nous le savons, la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique a vu le jour en novembre 2022, il y a presque exactement trois ans, bien que nous en soyons maintenant à la quatrième année de sa mise en œuvre. Elle a apporté de nouvelles ressources et une énergie bienvenue à une relation qui avait été laissée à la dérive. Vous connaissez parfaitement ses cinq volets, je ne les répéterai donc pas. Le rapport de mise en œuvre, publié en juin dernier, présente une gamme impressionnante d’activités entreprises ou en cours, même si la stratégie a mis du temps à démarrer en raison de diverses exigences bureaucratiques, ce qui a réduit la première phase quinquennale, qui touche à sa fin, à environ trois ans et demi. L’année prochaine marquera la fin de la phase 1 de la stratégie et, en théorie, celle-ci devrait être renouvelée pour une deuxième phase couvrant les années 2027 à 2032.
Rappelons que cette stratégie a été élaborée en 2020-2021, puis finalement annoncée un an plus tard. Comme cela a été souligné, le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui est très différent. Il est évident que la phase 2 devra faire l’objet d’un certain réajustement et d’une réorientation. Le financement pourrait également poser un problème, compte tenu des réductions des dépenses annoncées par le gouvernement pour les trois prochaines années.
Toutefois, et c’est le message que je veux vraiment mettre en évidence, il est crucial que le Canada s’engage à renouveler ce programme. Réduire considérablement ou mettre fin à la stratégie à ce stade serait à la fois un gaspillage des ressources dépensées jusqu’à présent et enverrait le pire signal possible quant à l’engagement à long terme du Canada dans la région.
Nous avons déjà connu cette situation dans les années 1980 et 1990, lorsque le centre canadien de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, qui nous avait permis de nous faire connaître dans la région, a fermé ses portes. Cela a conduit de nombreux acteurs de la région à conclure que le Canada était un allié opportuniste. Nous ne pouvons pas permettre que cela se reproduise.
Il convient de revoir et de réajuster les programmes pour la phase 2, par exemple en mettant moins l’accent sur les infrastructures matérielles et davantage sur les infrastructures immatérielles, et en privilégiant des domaines comme l’énergie et la sécurité alimentaire. Parallèlement, nous devons éviter de donner l’impression que la région a cessé d’être une priorité. Nous commençons tout juste à rétablir notre crédibilité; ne la gaspillons pas.
En ce qui concerne le PTPGP, M. Evans a souligné avec éloquence que l’ordre fondé sur des règles établies, sur lequel nous nous appuyons depuis si longtemps, est aujourd’hui soumis à des pressions considérables. De plus, nous avons mis en place une stratégie de diversification visant à réduire notre forte dépendance à l’endroit des États-Unis, et la région indo-pacifique et ses principales économies, y compris la Chine, constituent manifestement des éléments importants à cet égard.
Les règles qui régissent ces relations sont tout aussi importantes : celles de l’OMC, bien sûr, mais plus précisément celles de l’accord commercial régional le plus avancé, le Partenariat transpacifique global et progressiste, ou PTPGP. Malgré l’attaque des États-Unis contre le système fondé sur des règles, les membres du PTPGP ont continué à se conformer à l’accord. Le Canada a un rôle important à jouer pour renforcer le respect des règles commerciales internationales en s’efforçant de mettre à jour le PTPGP, qui remonte maintenant à 2015, en élargissant la portée de l’accord pour accueillir de nouveaux membres — ce qui exigera de l’ingéniosité pour régler l’impasse entre Taïwan et la Chine — et en établissant un secrétariat permanent. L’adhésion au PTPGP est un atout que le Canada doit exploiter à bon escient.
Enfin, les relations et les réseaux interpersonnels constituent le fondement de l’engagement avec la région par le l’intermédiaire des associations professionnelles, des contacts de la voie 2 et des échanges étudiants et universitaires. Je crains quelque peu que les récentes restrictions en matière de visas étudiants, pour des raisons compréhensibles, ne conduisent à « jeter le bébé avec l’eau du bain ». Cette question doit être traitée avec prudence. Nous devons protéger les échanges d’étudiants de haut calibre entre les établissements tout en continuant à attirer des talents asiatiques au Canada. Les organisations de la voie 2, telles que le Conseil de coopération économique du Pacifique et le comité canadien, dont je suis vice-président, devraient être utilisées au maximum, en particulier avec la Chine, qui présidera et accueillera l’Asia-Pacific Economic Cooperation, ou APEC, l’année prochaine.
Merci.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Stephens. Nous allons maintenant passer aux questions et réponses.
Le sénateur Woo : Merci, monsieur Evans et monsieur Stephens, pour vos témoignages. Ma question s’adresse principalement à M. Evans.
Vous avez passé beaucoup de temps dans la région. Vous avez un poste à l’Université nationale de Singapour. Je sais que vous entretenez des relations avec des personnalités de haut rang au sein du gouvernement, de groupes de réflexion, du monde universitaire et du milieu des affaires en Asie du Sud-Est et dans d’autres régions d’Asie.
Pourriez-vous nous faire part de votre opinion sur ce que les dirigeants, les élites et les décideurs asiatiques pensent de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique sous sa forme actuelle?
M. Evans : L’Asie est vaste et les opinions divergent. Cependant, l’impression générale est qu’il s’agit d’une initiative louable de la part du Canada et que plusieurs aspects de celle-ci ont été importants pour certains pays.
Là où des questions se posent, c’est dans le cadre stratégique de notre stratégie actuelle pour l’Indo-Pacifique, en particulier en ce qui concerne la Chine. Même si les dirigeants et les intellectuels émettent toutes sortes de réserves sur les actions de la Chine et sur sa présence et sa domination croissantes dans la région, ils estiment que la région ne peut pas gérer efficacement ces questions sans que la Chine soit pleinement intégrée dans les processus.
Il convient donc de résister à la Chine, mais également de s’intégrer à elle. Ils ont constaté que les occasions canadiennes d’une époque révolue ont en quelque sorte disparu. Dans la mesure où nous avons des investissements géopolitiques et géostratégiques, nos questions militaires, économiques et commerciales sont importantes et semblent prendre de l’ampleur, mais notre rôle en tant que puissance diplomatique dans le cadre de la question chinoise est remis en question; cela ne fonctionnera pas nécessairement.
Cependant, une chose est claire : l’influence canadienne est désormais reconnue et respectée différemment. Un sondage récent a classé le Canada au 12e rang dans la région sur le plan de l’influence. Nous étions certes loin derrière en position 12, mais les choses évoluent. On espère que le Canada joue un rôle de premier plan dans de nouvelles négociations et de nouveaux partenariats qui pourraient inclure la Chine et d’autres acteurs importants, mais pas les États-Unis, et on s’y attend, dans une certaine mesure, en particulier avec le gouvernement de M. Carney.
Il existe un léger espoir et une certaine attente quant à la possibilité que nous puissions assumer un rôle plus important.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Harder : Merci à vous deux d’être ici et pour vos observations très éclairées et souvent stimulantes.
J’aimerais revenir sur les propos de M. Evans. Je ne suis pas tout à fait convaincu par le choix binaire que vous nous proposez, mais c’est une excellente tentative. Je ne pense pas qu’il soit possible pour le Canada, certainement dans les circonstances actuelles, et probablement à plus long terme, de s’engager dans une « forteresse nord-américaine ». Cela n’est ni politiquement possible ni économiquement judicieux. Cependant, votre autre proposition surestime ce que nous pourrions être en mesure de réaliser.
Je vous invite à approfondir ceci : dans quelle mesure le Canada peut-il renforcer son engagement dans la région indo-pacifique, y compris en Chine, tout en maintenant avec les États-Unis des relations économiques qui ne nuisent pas à leur relation résiduelle? Je pense qu’une partie de la réponse réside également dans la question suivante : dans quelle mesure pouvons-nous engager d’autres nations ou régions partageant les mêmes valeurs, telles que l’Union européenne, dans nos efforts pour collaborer avec la Chine?
M. Evans : Les professeurs ont l’avantage de pouvoir exagérer les options, et je pense que nous sommes tous conscients que nous naviguerons probablement dans les eaux entre les deux. La nature exacte de ces eaux commence seulement à se préciser.
Si nous souhaitons nous engager dans une stratégie de diversification dans le cadre de divers nouveaux accords avec la Chine, les États-Unis disposent-ils d’un droit de veto à cet égard? En ce qui concerne les accords de libre-échange ou autres accords de ce genre, nous disposons déjà d’une clause de sauvegarde grâce à notre accord actuel — peut-être vacant — avec les États-Unis. Je soupçonne que nous allons être confrontés à un certain nombre de clauses restrictives à presque chaque étape si nous décidons d’adopter une approche un peu plus étendue à l’égard de la Chine.
Cela va mettre M. Carney à rude épreuve : dans quelle mesure estime-t-il que la diversification soit réellement possible et quels coûts est-il prêt à assumer face aux États-Unis avant même que nous n’en arrivions à des choix importants en matière d’intégration ou de diversification?
Le sénateur Harder : Pourriez-vous vous parler un peu plus de l’Union européenne?
M. Evans : Oui. L’idée avancée par Hugh Stephens d’essayer d’intégrer l’Union européenne dans un accord semblable au PTPGP est excellente. Cependant, il sera important pour nous de ne pas nous limiter à traiter avec les pays dits « partageant les mêmes idées », qui semblent souvent être les pays anglo-saxons d’Europe, auxquels s’ajoutent le Japon et la Corée. Pour attirer l’ANASE et d’autres pays, nous devrons adopter une approche un peu plus large que celle consistant simplement à intégrer l’Union européenne, même si cela est très souhaitable. Si je peux me permettre d’être franc, cela ne suffira pas sans traiter sérieusement avec la Chine et l’Inde.
La sénatrice M. Deacon : Bonjour à nos témoins. Merci d’être avec nous virtuellement ce soir. Cette question s’adresse à M. Stephens.
Dans votre article publié dans le numéro de début avril du Policy Magazine que j’ai lu, vous laissez entendre que la stratégie pour l’Indo-Pacifique doit effectivement évoluer et que nous devrions nous concentrer sur les défis transnationaux, tels que la résilience au changement climatique, la sécurité alimentaire et hydrique, la sécurité énergétique, la santé publique et la sécurité numérique, lorsque nous nous engageons dans la région.
À la suite de la tournée diplomatique effectuée en octobre dernier par le premier ministre et les membres du gouvernement, je me demande si vous estimez qu’ils adoptent actuellement le ton et l’équilibre appropriés concernant les suggestions que vous avez formulées dans votre article.
M. Stephens : Merci pour cette question. Un des points abordés dans cet article concernait la géométrie asymétrique par rapport à la Chine. Bien que je ne pense pas que le premier ministre ait repris cette idée de cet article, je suis ravi de constater qu’il l’a approuvée, afin que nous puissions collaborer avec la Chine dans des domaines où cela est mutuellement avantageux, et être moins actifs dans d’autres domaines.
Je n’ai pas encore constaté de changement, car, bien entendu, la phase 2 de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique, si elle doit être renouvelée, n’a pas encore été publiée. Nous avons entendu plus tôt qu’il y aurait une révision et éventuellement une certaine participation du public.
Un domaine dans lequel elle a fait du bon travail — évidemment, cela a nécessité des investissements assez importants — est celui du financement des frégates, de l’ouverture d’un bureau de la Fondation Asie-Pacifique, de nouveaux bureaux d’Agriculture Canada, de nouveaux consulats, etc. Ce financement doit se poursuivre, mais les coûts ont été élevés. J’espère que l’accent sera désormais mis davantage sur les coûts indirects, tels que les programmes qui permettraient de rentabiliser ces investissements, et qu’il y aura un certain changement d’orientation. Nous avons déjà évoqué la manière dont le discours évolue à mesure que le contexte géostratégique de la région change, en mettant davantage l’accent sur la sécurité énergétique, la sécurité alimentaire et des questions plus contemporaines, des domaines dans lesquels le Canada peut vraiment changer les choses. La question des « navires clandestins » a été mentionnée.
Je ne minimise pas l’importance des rencontres entre ministres de la Défense et d’une présence militaire supplémentaire, mais je pense sincèrement que nous devons nous concentrer sur les domaines où nous disposons d’un avantage stratégique et avons réellement quelque chose à offrir. Il est possible qu’il y ait une réorientation de la stratégie lors de la phase 2. Il est encore un peu tôt à ce stade pour affirmer si cela se produira.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci à nos invités d’aujourd’hui. Trois ans après le lancement de la stratégie, il est important aujourd’hui qu’on s’attarde aux résultats. Les indicateurs et les mécanismes de suivi sont essentiels pour comprendre l’impact réel de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique et guider les futurs ajustements.
Professeur Evans, quels indicateurs ou méthodes de suivi recommanderiez-vous pour mesurer de manière objective l’efficacité de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique?
[Traduction]
M. Evans : M. Epp a présenté plusieurs exemples d’indicateurs pertinents, incluant les visites ministérielles, certaines statistiques commerciales et l’analyse du retour sur investissement des missions commerciales d’Équipe Canada. Ces éléments sont fort utiles. Comme je l’ai précédemment indiqué, des enquêtes menées dans la région démontrent que le Canada y exerce une influence, bien que modeste, qui s’avère néanmoins plus significative qu’auparavant.
Le véritable défi réside dans la recherche d’indicateurs plus novateurs. Au-delà des échanges commerciaux et des interactions diplomatiques, les facteurs prépondérants dans la région sont la technologie et l’innovation. Si je devais concevoir un tableau de bord pour évaluer la prochaine phase stratégique, il se concentrerait sur les progrès réalisés dans la production canadienne à valeur ajoutée et sur la stimulation de notre industrie nationale.
L’idée que la région indo-pacifique constitue un marché lointain avec lequel nous commerçons ne représente qu’une partie de l’équation. L’autre volet concerne les bénéfices nets et les retombées pour le Canada. Les indicateurs pertinents pour mesurer ces retombées devraient inclure la collaboration scientifique, la mobilité des étudiants avancés dans des secteurs économiques porteurs, ainsi que les avancées dans les domaines de la haute technologie et de l’intelligence artificielle. Il est impératif de trouver des méthodologies pour saisir ces données, au-delà des indicateurs conventionnels actuellement disponibles.
Le sénateur Al Zaibak : Je vous remercie, messieurs, de votre présence.
J’ai observé que l’ambition de la stratégie pourrait excéder les ressources diplomatiques et de défense dont dispose le Canada. Selon votre expertise, quelles sont les lacunes les plus urgentes auxquelles le Canada doit remédier pour maintenir sa crédibilité dans la région indo-pacifique? Dans l’éventualité où le financement de la stratégie telle qu’initialement conçue s’avérerait insuffisant, où devrait se situer la priorité : l’engagement sécuritaire, la diversification commerciale, les programmes de développement, ou la présence diplomatique? Je vous remercie.
M. Evans : L’une des ressources les plus précieuses du Canada est l’autorité morale de notre nouveau premier ministre et l’attention qui lui est portée. J’ai eu l’occasion d’intervenir dans huit contextes internationaux distincts, et de nombreuses questions ont été soulevées concernant M. Carney et son rôle potentiel dans la refonte d’un système commercial autour duquel la région pourrait se rallier. Il s’agit d’une observation non partisane, mais son autorité et sa réputation dans la région sont telles qu’il pourrait potentiellement accomplir des avancées significatives.
M. Stephens : En ce qui concerne votre question sur la priorisation ou la dissociation du commerce et de la sécurité, la stratégie a été élaborée avec une grande minutie afin d’intégrer tous ces éléments. Je ne pense sincèrement pas qu’il soit possible de les dissocier. Le commerce est indéniablement un moteur, quantifiable par des chiffres tangibles, mais il ne peut être mené sans considérer le cadre géostratégique global.
Le troisième pilier que j’ai mentionné concerne les fondations des relations interpersonnelles, le développement de la diaspora et l’investissement dans notre avenir collectif. Je ne saurais affirmer qu’un pilier est plus important qu’un autre; ils sont intrinsèquement liés et doivent fonctionner en synergie.
Le sénateur Ravalia : Merci, professeurs, d’être présents. Ma question est la suivante : l’exclusion du Canada des forums régionaux majeurs, tels que le Quad, l’AUKUS et l’IPEF, a-t-elle affecté notre position dans la région? Y a-t-il un impact préjudiciable à cette absence?
M. Evans : Mon sentiment est que l’absence du Canada au sein du Quad, de l’AUKUS et de certaines organisations liées à la défense n’a pas été préjudiciable. Je dirais plutôt que ces entités ne correspondent pas nécessairement à nos intérêts tels que nous souhaiterions les voir émerger dans la région. Il existe des moyens de faire contrepoids à la Chine et à d’autres nations sans s’engager dans des processus sécuritaires latéraux qui pourraient compromettre nos objectifs diplomatiques, lesquels visent à travailler au-delà des clivages idéologiques.
M. Stephens : Bien que certains aspects de l’AUKUS puissent potentiellement nous bénéficier, je m’accorde avec le professeur Evans pour dire que, dans les faits, notre absence n’est pas perçue comme un inconvénient majeur par de nombreux acteurs régionaux. Nous avons réussi à développer des relations bilatérales solides en matière de défense avec de nombreux partenaires. L’IPEF est une initiative évolutive, et le Quad a sa propre dynamique. Le fait est que le Canada dispose de nombreuses autres opportunités pour poursuivre ses intérêts, et notre non-participation n’est pas, à mon sens, un désavantage rédhibitoire.
Le sénateur Adler : Monsieur Evans, vous avez fait référence à la production à valeur ajoutée, qui est désespérément nécessaire au Canada pour atteindre les niveaux de productivité que le premier ministre et d’autres appellent constamment à améliorer. Êtes-vous optimiste quant à la possibilité d’attirer des capitaux d’investissement d’Asie pour créer des opportunités dans notre pays grâce au « moteur de l’opportunité » qu’est le capital? Allons-nous obtenir des fonds d’Asie?
M. Evans : M. Stephens est probablement mieux qualifié pour aborder cet aspect en raison de son expérience dans le monde des affaires. Concernant le facteur chinois, la question est cruciale. Actuellement, ce type d’investissement n’est pas au rendez-vous. Il existe plusieurs obstacles, dont certains sont d’ordre politique, comme nous l’avons constaté. D’autres obstacles pratiques à l’arrivée de ces investissements sont liés à l’application de nos lois sur la sécurité nationale.
Les collaborations en matière de recherche sont extrêmement complexes dans tous les domaines de la technologie de pointe. Bien que certaines restrictions soient absolument nécessaires, la liste des secteurs sensibles dans lesquels nous ne pouvons pas envisager de collaboration en matière de recherche ou d’investissement avec la Chine s’allonge rapidement, y compris dans le domaine de l’agrotechnologie. Il existe désormais 16 domaines distincts de l’agrotechnologie répertoriés comme secteurs sensibles. C’est l’un des problèmes que nous devons résoudre avant de pouvoir, du moins du côté chinois, approfondir ces possibilités d’investissement.
M. Stephens : Je pense que cela ne concerne pas uniquement la Chine. Certes, les investissements chinois sont limités par les obstacles mentionnés par M. Evans, mais il existe de nombreuses opportunités avec le Japon, la Corée et la Malaisie, notamment dans le secteur du GNL, comme nous l’avons observé, ces pays ayant investi dans la première phase.
J’ai récemment examiné des chiffres sur les investissements étrangers. Il est très intéressant de noter que Taïwan est actuellement le deuxième investisseur asiatique dans la région. Beaucoup de gens sous-estiment Taïwan. L’ampleur de leurs investissements est remarquable, majoritairement via des petites et moyennes entreprises. Je suis sincèrement convaincu que si nous diffusons notre message en Asie, si nous nous ouvrons aux investissements et si nous investissons dans la construction de nos marques grâce à la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique, nous attirerons davantage de capitaux. Nous avons beaucoup à offrir dans le domaine des minéraux essentiels à l’énergie, entre autres, et ces économies asiatiques en pleine croissance ont besoin de nos ressources. Les investissements suivront naturellement pour tirer parti de cette situation.
[Français]
La sénatrice Hébert : Professeur Evans, nous avons parlé de la position délicate du Canada par rapport aux États-Unis, par opposition à la Chine, à l’Inde et même à d’autres pays. J’ai l’impression que nous sommes des funambules qui marchent au-dessus d’un étang rempli de crocodiles. Nous devons être prudents.
Quelle devrait être la stratégie du Canada? Devrait-on précéder les États-Unis dans l’établissement ou la signature d’ententes avec certains pays, ou devrait-on attendre que les États-Unis aient fait certains rapprochements pour préserver notre relation avec eux?
Je suis perplexe quant à la séquence à adopter sur le plan stratégique.
[Traduction]
M. Evans : Je vous remercie, sénatrice. Sur la base de cette question et de vos précédentes interventions, j’aimerais vous inviter à l’Université de Colombie-Britannique pour y donner un cours, car vous posez toutes les questions fondamentales. Je vous remercie.
Si cette question m’avait été posée il y a un an, j’aurais préconisé une extrême prudence. Dans les circonstances actuelles, nous devrions promouvoir certains domaines d’intérêt national canadien, même si cela devait déplaire aux États-Unis. Nous n’avons pas à répéter l’expérience vécue avec Huawei. L’un de ces domaines concerne les véhicules électriques et nécessite une réévaluation, en partie parce que la position américaine sur l’avenir de l’industrie automobile demeure incertaine. Cela pourrait signaler notre volonté de prendre certains risques calculés avec la Chine si nous estimons que cela sert nos intérêts nationaux.
M. Stephens : Concernant la question des VE, il s’agit effectivement d’un test décisif. Nous avons pris un risque majeur durant l’administration Biden, avec des tarifs douaniers de 100 %. Nous avons investi 52 milliards de dollars dans l’industrie des VE en partant du principe que nous aurions un marché nord-américain intégré, fondé sur un accord contractuel qui a subséquemment été rompu.
Il est désormais impératif de veiller à nos propres intérêts. Nous devons agir de manière à ne pas nous exposer à des dommages catastrophiques, mais il ne faut pas oublier que, pendant que nous faisons preuve de prudence et surveillons attentivement les États-Unis concernant nos démarches envers la Chine, les États-Unis concluent également leurs propres accords avec la Chine. Un jour, nous pourrions constater que notre prudence excessive nous a fait prendre du retard par rapport aux États-Unis. Nous devons donc agir avec lucidité et détermination, en reconnaissant notre vulnérabilité tout en nous efforçant de la réduire, ce que la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique nous offre l’opportunité de faire. Soyons très prudents, mais priorisons avant tout les intérêts canadiens.
Le président : Merci beaucoup. C’est une excellente conclusion. Au nom du comité, je tiens à remercier monsieur Paul Evans et monsieur Hugh Stephens pour leurs précieux commentaires. Je vous prie de nous excuser, mais nous avons dû écourter la séance en raison d’un cas de force majeure. Nous reviendrons certainement vers vous à l’avenir. Au nom du comité, je vous remercie encore une fois de votre présence.
Chers collègues, notre prochaine réunion se tiendra demain matin à 10 h 30 dans cette salle pour discuter de la situation au Soudan.
(La séance est levée.)