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La Loi sur les aliments et drogues

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

3 novembre 2016


L’honorable Sénatrice Chantal Petitclerc :

Honorables sénateurs, vous ne serez pas surpris de me voir prendre la parole pour appuyer le projet de loi S-228, qui est parrainé par la sénatrice Nancy Greene Raine. Cette loi sur la protection de la santé des enfants vise l'interdiction de faire la publicité d'aliments ou de boissons s'adressant aux enfants âgés de moins de 13 ans. En tant qu'ardente militante quand il s'agit des saines habitudes de vie, j'ai reconnu l'importance du principe qui anime ce projet de loi dès sa première lecture.

Pour être honnête, sénatrice Raine, je dois vous dire que ce ne sont pas l'éloquence et la passion dont vous avez fait preuve dans votre discours qui m'ont persuadée que ce projet de loi peut jouer un rôle essentiel.

En fait, je suis devenue une ardente partisane de ce projet de loi exactement deux jours après son dépôt, après avoir perdu une bataille contre un craquelin vert en forme de poisson. Je m'explique. Je prends aujourd'hui la parole en tant que sénatrice, mais aussi en tant que mère d'un enfant de trois ans, dont je suis très fière. Cela étant, j'aurais bien dû me douter que c'était une mauvaise idée d'aller au supermarché à l'heure du dîner avec un bambin de cet âge. Mais voilà, c'est ce que font les parents dans un monde où tout le monde est très occupé. On fait de son mieux chaque jour.

Me voilà donc avec mon petit Elliot, dont l'œil perçant tombe sur le fameux craquelin. Il s'exclame alors : « Oh, maman, maman! Poisson, poisson! » Pire encore, la boîte portait l'image de son personnage favori. Très bon marketing. Elliot a maintenant une mission à accomplir. Il veut avoir ces poissons, qui sont interdits chez nous pour des raisons de santé, mais j'étais au supermarché, en territoire ennemi.

Bref, j'ai dit non. En un clin d'œil, Elliot, qui était sur mes genoux, s'élance. Heureusement, je suis encore un peu plus rapide que lui. Je l'ai donc rattrapé avant qu'il ne puisse mettre la main sur cet aliment vide hautement sucré et à coloration chimique.

Elliot s'est alors effondré par terre devant tout le monde, ne comprenant pas pourquoi sa mère refusait de le laisser prendre une boîte qui portait l'image de son personnage favori. Honorables sénateurs, c'est depuis ce moment précis que j'appuie sans réserve le projet de loi S-228.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Petitclerc : Je sais bien que la crise de colère d'un bambin ne constitue pas, en soi, une preuve scientifique. Je suis donc retournée chez moi faire mes devoirs.

J'ai lu le projet de loi S-228, une mesure relativement simple.

Le projet de loi prévoit d'interdire la publicité d'un aliment ou d'une boisson s'adressant aux enfants de 13 ans et moins, ainsi que l'étiquetage ou l'emballage d'un aliment ou d'une boisson s'adressant principalement aux enfants, ce qui inclut la manière dont l'étiquetage ou l'emballage est présenté. Il serait également interdit d'offrir ou de donner, pour l'achat d'un aliment ou d'une boisson, toute contrepartie directe ou indirecte — comme des cadeaux ou des surprises — destinée principalement aux enfants.

Ce projet de loi, il faut le dire, arrive au bon moment et reçoit un accueil positif de la part des chefs de file du domaine de la santé. D'une part, il vise à concrétiser l'une des importantes recommandations énoncées dans l'excellent rapport du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, qui a été présenté en mars 2016. Ce rapport propose que le gouvernement fédéral entreprenne une évaluation de la mesure d'interdiction de la publicité des aliments destinés aux enfants, laquelle est en vigueur au Québec, et qu'il établisse et mette en œuvre à l'échelle nationale une interdiction de la publicité d'aliments et de boissons destinés aux enfants.

D'autre part, ce projet de loi s'inscrit clairement dans la stratégie en matière de santé qui a été dévoilée récemment par la ministre Philpott.

La stratégie pour un Canada en santé présentée par la ministre Philpott s'articule autour de trois piliers : l'alimentation saine, qui comprend notamment le nouveau guide alimentaire et les nouvelles règles en matière d'étiquetage et de publicité; les saines habitudes de vie; et un esprit sain.

Je suis tout à fait en phase avec la ministre lorsqu'elle affirme que la complexité de l'environnement légal et réglementaire du marketing visant les enfants ne doit pas servir d'excuse à l'inaction. Il faut protéger la société et nos jeunes.

En fait, dans la lettre de mandat qu'il a adressée à la ministre de la Santé, le premier ministre lui demande de promouvoir la santé publique en adoptant de nouvelles restrictions, semblables à celles maintenant en vigueur au Québec, sur la publicité visant la consommation de boissons et d'aliments mauvais pour la santé destinée aux enfants.

Comme plusieurs personnes l'ont déjà souligné, ma province, le Québec, fait figure de chef de file quand il s'agit de protéger les enfants contre les tactiques publicitaires agressives. Le projet de loi S-228 est d'ailleurs bien accueilli au Québec, puisqu'il viendrait combler certaines des failles actuelles.

À ce titre, la Coalition québécoise sur la problématique du poids n'a cessé de nous rappeler que les exceptions de la législation québécoise, qui permet les emballages et la publicité exposés dans les vitrines et les présentoirs des magasins, continuaient de poser problème. Or, le projet de loi S-228 a le mérite de corriger ces failles. Au Québec, ce sont les articles 248 et 249 de la Loi sur la protection du consommateur qui protège nos enfants à cet égard. La loi québécoise interdit, depuis 1980, la publicité destinée aux enfants âgés de moins de 13 ans, parce que les experts ont conclu que, avant l'adolescence, les jeunes enfants ne peuvent pas faire la distinction entre l'information et la promotion.

C'est à l'issue d'une bataille judiciaire qui a duré neuf ans que la Cour suprême a finalement décidé, en 1989, que la loi québécoise était constitutionnelle. La loi québécoise a produit des effets très positifs sur la santé de nos enfants.

Le 6 octobre 2016, on a pu lire ce qui suit dans l'Ottawa Citizen :

Se montrant fort avant-gardiste, le Québec bannit depuis 1980 la publicité de tout bien ou service qui cible des enfants de moins de 13 ans. Résultat : d'après une étude réalisée en 2011, si la probabilité qu'un jeune achète des aliments de malbouffe a diminué de 13 p. 100, c'est en partie grâce à cette loi. L'étude conclut qu'une telle interdiction peut avoir un effet considérable sur le bien-être de la population. Chez les enfants de 6 à 11 ans, le Québec affiche le taux d'obésité le plus bas du Canada, de même que la plus forte consommation de fruits et légumes. 

Nous savons que le projet de loi S-228 permettra de renforcer la mesure législative québécoise, et c'est une bonne nouvelle pour ma province. Avec le projet de loi S-228, si nous arrivons en plus à éloigner nos enfants de leurs écrans et à les encourager à jouer plus souvent à l'extérieur, honorables sénateurs, nous sommes sur la bonne voie.

Bien sûr, tous ne sont pas d'accord avec le projet de loi. Certains sont sceptiques et se demandent si la publicité ciblant les enfants est vraiment si efficace. Elle l'est, selon l'étude réalisée par notre Comité des affaires sociales et également selon l'Organisation mondiale de la Santé, qui attribue notamment l'obésité chez les enfants à la publicité.

Il suffit de faire 30 minutes de recherche pour trouver une quantité immense de données fiables sur l'efficacité de la publicité ciblant les enfants. Voici l'un de mes exemples préférés. Une étude fiable réalisée aux États-Unis révèle que, lorsqu'un personnage sur une boîte de céréales est placé 23 pouces au-dessus du sol avec les yeux regardant vers le bas à 9,6 degrés, la préférence des enfants va à ces céréales 28 p. 100 plus souvent, en moyenne.

Je ne sais pas ce qui me fait le plus peur, que la publicité fonctionne si bien ou que ces grosses entreprises investissent autant de temps et d'argent à cibler nos enfants.

Certains diront que nous ne faisons qu'enlever aux enfants le plaisir de manger. Je n'ai qu'une chose à répondre à ces personnes. Croient-elles que nous nous amuserons lorsque nos enfants seront devenus des adultes obèses et en mauvaise santé et qu'ils souffriront de toutes sortes de problèmes de santé bien documentés?

La priorité, ici, est la santé de nos enfants et l'importance de nous donner tous les outils nécessaires pour les protéger. D'autres nous diront que c'est de l'ingérence, que l'on tombe dans le piège de l'État moraliste. Il est vrai que, quand il s'agit de s'immiscer dans la vie des gens, il faut être très prudent. Le vrai piège, dans ce cas-ci, serait de faillir à notre responsabilité de protéger nos enfants par peur de devenir trop interventionnistes.

La sénatrice Raine l'a dit elle-même :

 

En tant que conservatrice, j'estime que le gouvernement ne doit pas s'ingérer inutilement dans nos vies. Il incombe aux parents d'être des parents. Toutefois, nous devons les appuyer pour qu'ils puissent faire la bonne chose.

Le sénateur Eggleton abonde dans le même sens lorsqu'il affirme que le moment est venu pour le gouvernement fédéral d'agir pour soutenir les parents qui essaient de faire de bons choix. Je ne peux qu'être entièrement d'accord avec eux. La situation est alarmante, et il est juste d'intervenir.

Un autre argument que j'ai lu dans quelques journaux, c'est que le projet de loi va priver les parents d'une excellente occasion d'enseigner à leurs enfants comment faire de bons choix.

Permettez-moi de ne pas mâcher mes mots et de dire : « Allons donc! S'il vous plaît, soyons sérieux! » C'est vrai. Je sais, puisque je suis une mère au travail, que la famille canadienne a besoin de toute l'aide qu'elle peut obtenir. C'est un effet positif du projet de loi. Il aide les parents.

Ce n'est pas pour cette raison que je l'appuie, mais s'il peut aider les parents tout en sauvant nos enfants, pourquoi pas? Je peux vous garantir que les parents vont trouver des dizaines d'autres occasions d'enseigner de bonnes leçons de vie à leurs enfants.

Par ailleurs, croyez-le ou non, certaines personnes se demandent encore si la santé de nos enfants est vraiment si préoccupante ou si problématique que cela. Eh bien, c'est plus qu'un problème. Toutes les ressources que j'ai consultées parlent d'une épidémie, car c'est ce que c'est.

À l'échelle mondiale, le nombre de cas d'obésité a doublé depuis 1980 et a triplé au Canada. Le mot « épidémie » n'est donc pas trop fort.

Ne soyons pas dupes. Cette loi ne réglerait pas tout. La réalité est que la principale cause du surpoids et de l'obésité de l'enfant tient sa source d'un déséquilibre énergétique entre les calories consommées et les calories dépensées. En gros, il en entre plus qu'il n'en sort. Il va rester beaucoup de travail à faire. La malbouffe et son marketing sont une facette du problème, mais l'activité physique est un autre défi qu'il faudra relever. Or, ce projet de loi est un excellent point de départ.

Ma question est fort simple, honorables sénateurs et sénatrices : qu'est-ce qu'on attend pour agir? Manifestement, les études, les recherches et les recommandations ont été faites. Malgré tout, l'épidémie d'obésité chez nos jeunes n'est toujours pas réglée.

Le projet de loi serait un premier pas très concret dans la bonne direction. En réalité, si nous ne faisons rien, la bataille sera perdue d'avance.

Dans un coin, nous avons des sociétés multimillionnaires qui investissent des milliards de dollars dans le marketing de produits et, soyons honnêtes, elles ne le feraient pas si cela ne fonctionnait pas. Puis, dans l'autre coin, nous avons Elliot, trois ans, qui veut un craquelin en forme de poisson, qui n'a pas de discernement et est incapable de faire la distinction entre un personnage fictif et un personnage réel. Le combat est perdu d'avance, à moins d'avoir un arbitre au centre qui impose quelques règles de base, et c'est exactement notre travail de protéger les plus vulnérables, dans le cas présent, les enfants.

C'est pourquoi je salue l'initiative de la sénatrice Raine et que j'appuie avec plaisir son projet de loi.

L'honorable Joan Fraser : Merci beaucoup, sénatrice Petitclerc. J'ai eu moi-même de jeunes enfants qui faisaient des scènes au supermarché et, comme la plupart des sénateurs, j'ai énormément de sympathie pour vous quant à l'épreuve que vous avez surmontée.

Je viens du Québec et, comme vous l'avez signalé, depuis 40 ans ou plus, on y a interdit toute publicité destinée aux enfants. Je comprends que le projet de loi de la sénatrice Greene Raine s'est inspiré de l'étude du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie qui traitait de l'obésité, dont c'était la cible. Par contre, croyez-vous que nous aurions la moindre chance de succès si nous tentions d'amender ce projet de loi pour interdire toute publicité s'adressant aux enfants? Quand mes enfants étaient petits, lorsqu'on allait dans d'autres provinces, je me souviens que, chaque fois, j'étais choquée de constater l'inondation de publicités, non seulement pour les aliments, mais, pour toutes sortes de jouets qui étaient tous plus nocifs les uns que les autres. Pourquoi faudrait-il se contenter de protéger les enfants uniquement de la publicité axée sur l'alimentation et les boissons?

La sénatrice Petitclerc : J'ai grandi au Québec, et j'avais 10 ans au moment où cette loi a été adoptée. Je n'ai donc connu que cela, et j'en reconnais les bienfaits. Avec toute votre expérience, vous seriez davantage en mesure que moi de répondre à cette question. Personnellement, j'aimerais que ce projet de loi encadre aussi d'autres d'aspects que les boissons et les aliments, mais comme je l'ai dit dans mon discours, c'est un excellent départ. Répond-il à tous les problèmes qu'engendre le marketing? Bien sûr que non. Est-ce que le projet de loi pourrait être amendé? Je n'ai pas les connaissances requises pour répondre à cette question en ce moment. L'objectif du projet de loi que parraine la sénatrice Greene Raine est de s'attaquer à l'épidémie d'obésité qui a cours chez nos jeunes en ce moment.

La sénatrice Fraser : Si j'ai bien compris, la réponse est que, trop souvent, le mieux est l'ennemi du bien et qu'il faut se concentrer sur le bien qui serait peut-être atteignable. Merci, madame la sénatrice.

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