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Le Code criminel

Projet de loi modificatif - Deuxième lecture

3 juin 2016


L’honorable Sénatrice Chantal Petitclerc :

Honorables sénateurs et sénatrices, je prends la parole avec émotion aujourd'hui, pour la première fois, dans cette Chambre.

C'est un privilège incroyable d'être ici. En fait, c'est plus qu'un privilège. En écrivant ce discours, très tôt ce matin, j'avais le cœur rempli d'émotion et d'une grande, grande fierté de faire partie de ce groupe.

Je vous dis donc à chacun un grand merci. Les débats d'hier étaient inspirants et les questions étaient pertinentes.

 

Permettez-moi d'être tout à fait honnête avec vous. Je ne prévoyais pas prendre la parole aujourd'hui. Je ne le voulais pas. Je ne me sens pas du tout prête à intervenir dans cette impressionnante enceinte. Je me rappelle mon ancienne vie d'athlète, ce matin, et l'impression que j'ai maintenant est celle que j'aurais ressentie si mon entraîneur m'avait fait prendre le départ d'une finale aux Jeux paralympiques, contre les meilleures au monde, sans aucun entraînement. Cela ne me plaît pas.

Ce matin, toutefois, pour l'une des premières fois de ma vie, il n'est pas question de performance. Il s'agit plutôt de faire entendre mon point de vue dans une discussion qui me semble cruciale et qui définira le pays que nous aimons tant.

Je me rends compte, bien sûr, qu'il me reste beaucoup de choses à apprendre, alors soyez indulgents à mon égard. La loi et la procédure s'apprennent, je les apprendrai, mais les convictions et les valeurs profondes s'acquièrent à travers notre vécu. C'est ce que j'ai à offrir au Sénat ce matin.

Je serai brève et j'imputerai cela à mes habitudes de sprinteuse. Je vous dirai surtout que je n'ai pas l'intention de parler très longtemps parce qu'énormément de choses ont déjà été dites et qu'il n'en reste pas beaucoup à ajouter. Je ne parlerai ni de la Constitution, ni du libellé du projet de loi, ni de demandes anticipées. Je pense que mes questions, mes inquiétudes et mes doutes ont déjà été portés à l'attention du Sénat par beaucoup d'entre vous d'une manière dont, bien franchement, je ne serais pas capable. Alors, je vous en remercie.

J'ai quelque chose à apporter à ce riche dialogue, non seulement en tant que sénatrice, mais aussi en tant que personne handicapée.

Vous comprendrez que le projet de loi C-14 me touche profondément et personnellement sur trois plans. Avant de les aborder, permettez-moi de vous dire en toute franchise que j'espère de tout cœur pouvoir appuyer ce projet de loi. Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été pour l'aide médicale à mourir. Depuis que nous avons reçu le projet de loi, je veux sincèrement l'appuyer, mais force est de constater que ce n'est pas tout à fait le projet de loi auquel je m'attendais personnellement. J'espère que, par notre contribution, nous serons en mesure de l'améliorer autant que possible.

Permettez-moi donc de vous donner un témoignage personnel.

Il est vrai que je suis ici en tant que sénatrice, mais comme je vous le disais et vous le voyez, je suis aussi une personne handicapée. Vous comprendrez qu'il m'est impossible d'avoir un détachement complet dans ce débat. Il y a donc trois choses que je tenais à vous dire.

Je veux parler des souffrances intolérables, parce qu'au fond, c'est de cela qu'il est question. J'ai entendu des commentaires qui semblaient insinuer que la douleur peut toujours être soulagée et que les souffrances ne sont jamais assez vives pour justifier la mort. Eh bien, je peux vous assurer que ce n'est pas vrai. Je sais très bien ce qu'est une douleur intolérable. Ce n'est pas que je veuille m'attirer la pitié de quiconque, car ce n'est pas dans ma nature mais, comme certains le savent peut-être, j'ai eu un accident qui m'a rendue paraplégique à l'âge de 12 ans. Une porte de grange est tombée sur moi, et j'ai passé les quatre mois suivants à l'hôpital. Je n'ai jamais raconté cette histoire.

Les 19 premiers jours ont été tout simplement un calvaire. Je n'entrerai pas trop dans les détails d'ordre médical, mais je souffrais de fractures à la colonne vertébrale et aux côtes. Les médecins ne pouvaient pas réparer les os fracturés avant que les enflures aient diminué, et cela a pris 19 jours. Même si j'étais très jeune, je n'ai jamais oublié ces 19 jours de douleurs insupportables. D'ailleurs, j'étais tellement sous forte médication que je crois avoir pratiquement tout oublié, sauf les douleurs que je ressentais à cause de mes fractures.

Je n'oublierai jamais la grosse horloge blanche qui était accrochée au mur devant mon lit d'hôpital. Toutes les heures, les infirmières devaient venir me retourner dans le lit afin qu'il n'y ait pas de points de pression. Je vous le jure, je fixais sans arrêt cette horloge et je commençais à pleurer chaque fois que l'heure approchait, car je savais à quel point j'allais souffrir quand les infirmières me retourneraient. Lorsqu'elles le faisaient, je hurlais et je suppliais ma mère de m'aider; c'est ce que j'ai enduré à chaque heure, durant 19 jours.

Dans mon cas, je savais que c'était temporaire, et je savais que j'allais rapidement retomber sur mes pattes ou sur mes roues, mais je ne peux m'empêcher de penser aux personnes qui vivent avec ce genre de souffrance intolérable sans aucun espoir de guérison. C'est réellement pour eux, et eux seuls, qu'il faut que cette loi soit la meilleure possible. Comprenez-moi bien, j'ai le plus grand respect pour la vie. Ceux qui me connaissent le savent, je chéris la mienne chaque instant, et je suis bien placée pour savoir que la vie apporte de grandes joies et aussi de grands défis. Je suis aussi très bien placée pour comprendre l'importance d'être libre de ses choix.

Cela m'amène à mon deuxième point, soit le droit de faire ses propres choix. Depuis que nous avons été saisis du projet de loi C- 14, j'essaie, en tant que nouvelle sénatrice, de bien comprendre le concept de mort prévisible. J'ai lu des documents à ce sujet, étudié la question et réfléchi à tout cela, pour tenter de comprendre le sens exact de cette expression. Bien honnêtement, je n'arrive toujours pas à comprendre de quoi il retourne. J'étais persuadée que, en écoutant les intervenants et les experts, j'arriverais tout à coup à comprendre clairement de quoi il s'agit. De nouveau, je vous le dirai bien honnêtement, je n'en ai pas la moindre idée. Pour moi, cela pose problème.

Un problème plus important encore — et le sénateur Pratte et d'autres collègues en ont glissé mot —, c'est le fait que, en n'accordant pas le droit à l'aide médicale à mourir à une personne qui endure des souffrances intolérables, mais qui n'est pas mourante, on se trouverait à priver tout un groupe de personnes du droit de décider comment elles souhaitent vivre et mettre fin à leurs jours.

Assurément, nous sommes tous d'accord là-dessus.

Ces personnes sont les plus vulnérables d'entre toutes, et nous avons l'obligation de les protéger. J'en conviens, mais il faut le faire de façon différente. Cette question me touche énormément, car, même si la plupart du temps je me sens invincible, je sais que, en tant que personne handicapée, je fais partie de la catégorie des personnes dites « vulnérables ».

Ce n'est pas parce qu'une personne est vulnérable qu'elle n'a pas de droits et qu'il ne faut pas les respecter. Que l'on trouve des mesures de protection, des garanties, pour protéger cette personne; c'est notre devoir de le faire.

Il va sans dire que notre devoir consiste à les protéger.

Toutefois, nous n'avons pas à nous octroyer le droit de prendre une telle décision à la place d'un individu qui est lucide, qui subit des souffrances extrêmes, et qui veut avoir accès à l'aide médicale à mourir, même si sa mort n'est pas raisonnablement prévisible, selon les termes de cette loi. C'est un manque de respect envers ces individus. Je comprends que c'est un réflexe naturel et humain que de vouloir aider, protéger et, parfois, surprotéger les personnes handicapées, lourdement handicapées ou gravement malades. Nous le faisons tous. Cela part du cœur, d'une empathie et d'une bonne intention.

Croyez-moi, quand vous avez un handicap et que vous êtes vulnérable, rien n'est plus exaspérant que le sentiment de ne pas être maître de votre vie. Quand vous avez un handicap, l'aspect le plus difficile, c'est de sentir que vous ne contrôlez ni votre corps, ni votre vie. Toutes les personnes handicapées sont confrontées à ces sentiments, je peux vous le garantir. Cela m'arrive aussi. L'hiver prochain, il y aura quelques journées où, malgré toute ma force et mon autonomie, je serai physiquement incapable de me rendre de ma voiture à la porte du Sénat après une tempête de neige. La situation me mettra sérieusement en rogne, et j'aurai besoin d'aide. C'est normal. On se sent trahi par son propre corps. Plus le handicap est sérieux, plus on se sent vulnérable et trahi. Je peux seulement m'imaginer comment se sentent les personnes vulnérables qui éprouvent des souffrances atroces et sont incapables de faire leurs propres choix. À leur place, je me sentirais trahie non seulement par mon corps, mais aussi par mon pays.

Lorsqu'on cherche à protéger les personnes vulnérables, on en vient parfois à les traiter avec condescendance. Personnellement, j'estime que c'est ce que fait le projet de loi. C'est inacceptable.

Enfin, si j'ai voulu intervenir aujourd'hui, c'est parce que le projet de loi C-14 touche de près des gens que je connais. J'ai deux amis — un Canadien et un Suisse — qui ont décidé de mettre fin à leur vie il y a longtemps; le premier était gravement handicapé et le deuxième atteint d'une maladie incurable. Ils souffraient tous deux beaucoup sans aucune perspective d'amélioration, mais ils avaient encore chacun de longues années à vivre.

C'étaient deux hommes brillants, lucides, dans la quarantaine et qui n'étaient pas sur le point de mourir. Je ressens toujours, encore aujourd'hui, une certaine paix en sachant qu'ils ont quitté ce monde de la façon dont ils le désiraient. J'ai toujours respecté leur choix et le droit qu'ils avaient de faire ce choix.

En lisant le projet de loi C-14, je sais que notre pays ne leur permettrait pas d'exercer ce droit, et cela me dérange beaucoup. En même temps, penser à ces deux individus me fait sourire, car c'étaient des gars forts, des têtes dures, et je sais qu'ils se battraient jusqu'au bout pour faire respecter leurs droits, peu importe la loi. C'est en pensant à eux que je vous dis, en terminant, sénateurs et sénatrices, que je compte appuyer fortement les amendements qui seront proposés en ce sens, dans l'espoir que tous les Canadiens et Canadiennes aient accès à la loi qu'ils méritent.

 

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