La Loi sur l'hymne national
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
1 décembre 2016
L’honorable Sénateur David M. Wells :
Honorables collègues, je prends la parole aujourd'hui au sujet du projet de loi C-210, Loi modifiant la Loi sur l'hymne national (genre).
L'hymne national du pays est sans doute l'un des plus importants aspects de son histoire et un symbole de son patriotisme. Chez nous, l'Ô Canada est une composition qui évoque et loue notre histoire, nos traditions et nos luttes.
Dans quelques instants, je vais dire quelques mots de plus au sujet de la nature, des origines et de l'histoire de notre hymne national. Mais je voudrais d'abord vous parler un peu de tradition.
La tradition, c'est la transmission des coutumes ou des croyances d'une génération à l'autre. Cela est important pour moi, comme pour la plupart des Canadiens. C'est une chose pour laquelle nous avons combattu, une chose qui a résisté à l'épreuve du temps et oui, chers collègues, une chose qui a résisté aussi à l'épreuve de la politique et de la mode politique. Le vent du changement peut souffler aussi fort qu'on voudra, il n'arrivera pas à faire bouger nos traditions parce que nous nous les sommes transmises de génération en génération.
Les traditions sont importantes parce qu'elles nous rappellent qui nous sommes et d'où nous venons. Elles constituent la fondation que nous avons sous les pieds dans cette salle. Nos séances s'ouvrent et se terminent avec les mêmes traditions. Elles sont les arts, la culture et la trame même de notre pays. Nous pouvons changer beaucoup de choses qui nous concernent, mais nous ne pouvons pas changer nos traditions parce que nous perdrions alors une partie essentielle de nous-mêmes.
En cette nouvelle ère de rectitude politique, certains ont décidé de changer nos traditions, comme notre hymne national, parce qu'ils veulent refaire notre histoire. Ils veulent réécrire notre histoire comme pays et comme peuple. Forts de leurs convictions, ils sont disposés à supprimer un élément de notre passé, une partie de nos traditions, mais ils ne sont pas en majorité parmi les Canadiens.
Nous ne pouvons pas permettre que leur voix supplante le chœur des Canadiens qui chantent depuis longtemps l'O Canada dans les deux langues officielles. Les changements proposés dans le projet de loi, les modifications envisagées de notre hymne national feront une tache sur nos traditions, une tache qui modifiera notre tradition et réécrira notre histoire de façon à l'adapter à un point de vue politique.
Pour moi, c'est un dangereux précédent. J'espère que vous serez d'accord. J'ai déjà parlé de nos traditions comme partie de nos arts et de notre culture à titre de pays. Si vous regardez cette salle, vous verrez les traditions que nous avons maintenues et que nous nous sommes transmises de génération en génération. Tout autour de nous, ce sont non seulement des symboles, mais aussi l'incarnation de notre démocratie et de nos traditions démocratiques.
Au-dessus de nous, sur les murales qui font le tour de cette salle, nous avons une collection d'art qui porte le titre collectif de tableaux de guerre. Lorsque les édifices du Parlement ont été reconstruits après l'incendie de 1916, ces œuvres ont été commandées, puis exposées afin de rendre hommage aux sacrifices des troupes canadiennes au cours de la Grande Guerre. Elles ont été placées dans la salle du Sénat en 1998 pour illustrer « la pleine mesure de leur dévouement dans leur vaillante lutte pour préserver la paix et la justice ».
Tous ces tableaux présentent des scènes de la Première Guerre mondiale, mais personne ici ne songerait jamais à demander qu'ils soient retirés parce qu'ils évoquent la guerre. Personne ne songerait à les altérer, parce qu'ils font partie de notre histoire et de nos traditions. Le tableau intitulé En permission est l'œuvre de l'artiste britannique Clare Atwood. Il montre une cantine de guerre du YMCA dans l'une des gares de Londres.
Je signale qu'on ne voit aucune femme soldat dans ce tableau et que la seule femme qui y figure est en train de servir dans la cantine. Est-ce qu'un puriste de la rectitude politique va demander que ce tableau soit décroché, puis modifié pour montrer des femmes soldats et peut-être quelques militaires autochtones? Ces gens voudraient nous voir présenter leur version de l'histoire, même s'il faut pour cela modifier la représentation qu'une artiste a faite de ce qu'elle a vu à Londres pendant les jours terribles de la guerre. Notre hymne national est semblable à cette représentation.
En parlant de traditions, je voudrais rappeler à mes collègues que nous avons une longue série de règles, de procédures et de traditions parlementaires. L'une d'elles permet à n'importe quel député de l'autre chambre de notre Parlement de proposer des modifications à nos lois. C'est ce qu'on appelle là-bas le projet de loi d'initiative parlementaire. C'est exactement cela qui s'est produit pour que nous soyons saisis du projet de loi que nous avons devant nous aujourd'hui.
Le projet de loi C-210 est un projet de loi d'initiative parlementaire. Ce n'est ni une loi du Canada ni une politique du gouvernement, de l'opposition ou du Sénat, qui a l'obligation d'examiner les projets de loi d'initiative parlementaire. Cela dit, nous avons toute latitude pour le débattre, exprimer des opinions personnelles et porter un jugement sur la question de savoir s'il mérite de devenir une loi du Canada, que tous les Canadiens doivent respecter. Il n'y a pas de ligne de parti dans ce débat. Nous n'avons que notre conscience pour nous guider.
Comme plusieurs le savent, le regretté Mauril Bélanger, député d'Ottawa±Vanier, avait proposé ce projet de loi d'initiative parlementaire qui a obtenu à l'autre endroit les approbations préliminaires nécessaires pour qu'il nous soit présenté. Nous sommes tous conscients de l'excellent travail que Mauril Bélanger a fait au Parlement et dans sa circonscription.
Il n'y a pas de doute que Mauril Bélanger nous manquera, mais je dois rappeler à mes collègues que son décès ne justifie pas en soi l'adoption et la mise en vigueur de ce projet de loi, comme certains l'ont suggéré. En fait, c'est probablement la pire raison qu'on puisse invoquer pour adopter un projet de loi ou définir une politique publique.
Nous n'avons ni l'habitude ni la tradition de donner à des projets de loi le nom de personnes afin de les honorer de cette façon. Au Canada, nous nommons des parcs, apposons des plaques et érigeons des statues en l'honneur des gens qui ont gagné notre respect. Nous ne faisons pas honneur à Mauril Bélanger en adoptant ce projet de loi et nous ne déshonorerons pas sa mémoire en le rejetant afin de protéger nos traditions sacrées. Le Sénat doit prendre de bonnes décisions en examinant les faits et en jugeant chaque cas d'après son mérite.
Pour ce qui est du projet de loi, j'estime que les partisans de ce changement n'ont pas avancé des arguments assez solides pour me faire changer d'avis. Le défi qu'offre le projet de loi n'est ni recherché ni requis pour que notre pays soit plus libre, plus égal et plus équitable. Il est vrai que le changement proposé est minime, mais on ne saurait minimiser un changement qui touche une tradition d'aussi longue date que notre vénéré hymne national.
L'Ô Canada est une composition musicale qui nous touche au cœur et qui nous rassemble. Aux matchs de hockey et sur la scène internationale, nous nous réjouissons en le chantant de concert avec notre famille, nos amis et nos voisins. L'hymne fait partie de la trame de notre nation, il invoque et louange tous les autres éléments de notre histoire et de nos traditions. Quel Canadien, quelle Canadienne ne ressentirait pas une profonde fierté en entendant jouer notre hymne national 14 fois parce que notre collègue, la sénatrice Petitclerc, a remporté la médaille d'or aux Olympiques d'Atlanta, de Sydney, d'Athènes et de Pékin, ou que notre collègue, la sénatrice Greene Raine, a remporté la médaille d'or à Grenoble aux Olympiques de 1968? C'est l'hymne que nous connaissons, l'hymne de notre tradition.
Les paroles françaises de l'Ô Canada ont été écrites en 1880 par Adolphe-Basile Routhier, et la musique a été composée par Calixa Lavallée. Beaucoup de versions anglaises ont suivi, mais la plus populaire a été écrite par Robert Stanley Weir en 1908. Les deux versions ont été adoptées comme hymne national officiel en 1980. Depuis, bien des tentatives ont été faites pour modifier les paroles, mais aucune n'a réussi.
Même si les deux hymnes partagent la même mélodie, leurs paroles offrent des messages différents. Par exemple, la version française parle de religion, en mentionnant la croix, et de conflit, en mentionnant l'épée, tandis que la version anglaise évoque la liberté et le patriotisme. Tous les symboles sont d'honorables aspects de notre histoire.
Honorables sénateurs, le projet de loi C-210 vise à modifier la version anglaise. Ce n'est pas le changement proposé en soi qui est inquiétant. L'aspect troublant réside plutôt dans les raisons sous- jacentes qui motivent ce changement.
La substitution des mots « in all of us command » vise un apaisement symbolique. C'est une pente glissante qui peut inspirer d'autres demandes de changement. Nous renoncerions, en fait, à une importante partie de notre histoire et de nos traditions par souci de rectitude politique.
En allant à l'extrême — car c'est là que mène la rectitude politique —, nous pourrions nous demander pourquoi faire les choses à moitié. Pourquoi ne pas aller jusqu'au bout? Il y a, par exemple, l'expression « Our home and native land ». Le Canada est la patrie de tous ses habitants, mais il ne serait pas correct de garder « our » devant « native land ». Faudrait-il réserver l'expression aux Canadiens de naissance? Non. Elle est censée inclure tous les Canadiens. Peut-être faudrait-il, par souci de rectitude politique, appliquer « native land » aux seuls membres des Premières Nations. Les cultures d'Europe, d'Asie et d'Afrique ne sont pas indigènes du Canada. Le Canada est la terre natale des Autochtones, pas la nôtre. Est-ce que ce ne serait pas là une façon beaucoup plus exacte de refléter la réalité?
Honorables collègues, voilà à quoi la rectitude politique peut nous mener.
L'expression « God keep our land glorious and free » pourrait aussi être problématique pour beaucoup de gens. Lorsque les paroles de l'hymne national ont été écrites, le Canada était très différent de ce qu'il est aujourd'hui. Comme je l'ai déjà dit, les paroles françaises de l'Ô Canada ont été écrites par M. Routhier en 1880. À l'époque, on pouvait affirmer sans craindre de se tromper que les catholiques romains avaient une présence dominante dans le Bas-Canada. Même s'ils sont encore très présents dans le Canada d'aujourd'hui, il y a dans notre pays une multitude d'autres religions et non-religions qu'il faudrait également reconnaître par souci de rectitude politique. Des millions de Canadiens sont athées, agnostiques ou humanistes. Faut-il faire abstraction d'eux? Pourquoi ne pas les prendre en considération au nom de la rectitude politique? Ne sont-ils pas représentatifs de ce qu'est le Canada aujourd'hui? Ne faudrait-il pas apporter des modifications? Les Premières Nations et les Canadiens de toutes les autres religions ou sans religion méritent-ils moins que les autres un traitement qui soit politiquement correct?
Permettez-moi de parler également de ma propre expérience dans ma province, Terre-Neuve-et-Labrador. L'Ode to Newfoundland est l'hymne provincial officiel de Terre-Neuve-et-Labrador. Elle a été composée par sir Cavendish Boyle en 1902. Elle a été choisie comme hymne national officiel par la province en mai 1904. En 1949, lorsque notre province s'est jointe au Canada, elle a adopté l'hymne national canadien, et je peux vous dire que nous le chantons à toutes les cérémonies officielles. Par contre, nous avons conservé aussi l'Ode to Newfoundland.
En 1980, lorsque l'Ô Canada a été officiellement proclamé hymne national du Canada, Terre-Neuve-et-Labrador a réadopté, et ce n'est pas une coïncidence, son Ode comme hymne provincial officiel. C'était la première province à le faire. Si vous avez la chance de venir dans ma province, vous nous entendrez certainement chanter cette ode avec beaucoup de fierté également.
Si je parle de cette ode, c'est pour vous dire sans hésitation aucune que les habitants de ma province ne toléreraient jamais qu'on modifie les mots que beaucoup pensent avoir le devoir sacré de protéger. Tous les mots de cet hymne ne sont pas politiquement corrects. Dans chacun des refrains, le terme « Dieu » est répété plusieurs fois, mais je n'ai jamais entendu qui que ce soit proposer sérieusement la suppression de ce mot. Si quelqu'un le faisait, la proposition serait descendue en flammes, voire pire. Mes honorables collègues, les sénateurs Baker, Doyle, Manning et Marshall, et le Président Furey connaissent tous les paroles et savent que ce texte est sacré pour tous les Terre-Neuviens et Labradoriens.
Je le sais parce que les habitants de ma province, comme la plupart des Canadiens, sont en faveur du maintien de nos traditions. À preuve, voici les résultats d'un sondage réalisé par VOCM, le média le plus populaire à Terre-Neuve-et-Labrador.
Le 16 juin 2016, la question du jour était la suivante : « Pensez- vous qu'il faudrait modifier les paroles de l'hymne national en remplaçant ``in all thy sons'' par ``in all of us command''? » Près de 13 000 Terre-Neuviens et Labradoriens ont répondu. Une majorité a dit qu'il ne fallait rien changer, que nos traditions sont sacrées.
En proposant le projet de loi C-210, nous avons décidé de rafistoler nos fondements pour apporter un apaisement, au nom de la rectitude politique. Avec le temps, notre hymne prendra un aspect différent parce que nous aurons décidé de tourner le dos à notre histoire, et nous aurons un hymne qui sera un témoignage politiquement correct au lieu d'un chant patriotique et d'une représentation de notre passé.
Honorables collègues, il nous faut décider si nous devons avoir un hymne qui retient des éléments de notre fière histoire, qui est représentatif de cette histoire ou s'il nous faut plutôt un hymne qui sera sans nul doute la première étape vers son édulcoration par la rectitude politique. Un vote pour le projet de loi C-210 irait très certainement dans le deuxième sens.
Je voudrais vous laisser sur une citation et un vœu. Voici d'abord la citation :
Les Canadiens peuvent être radicaux, mais ils doivent l'être à leur manière propre, et cette manière, ce doit être celle de l'harmonie avec nos traditions nationales et nos idéaux.
Chers collègues, c'est là une citation d'Agnes Macphail, la première femme élue au Parlement du Canada.
Mon vœu, c'est que vous vous joigniez à moi, au Sénat, pour appuyer notre hymne et nos traditions. La rectitude politique est peut-être une mode passagère de nos jours, mais ce qui nous soutiendra, nous et notre pays, c'est le fondement de nos traditions.
Lorsque le projet de loi sera mis aux voix au Sénat, j'espère que vous obéirez à votre cœur et à votre conscience. Un proverbe veut que changer et changer pour le mieux soient deux choses différentes. Le projet de loi C-210 ne changera pas notre hymne ni notre pays pour le mieux.