Projet de loi sur la radiation de condamnations constituant des injustices historiques
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat
8 février 2018
L’honorable Sénateur René Cormier :
propose que le projet de loi C-66, Loi établissant une procédure de radiation de certaines condamnations constituant des injustices historiques et apportant des modifications connexes à d’autres lois, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je sais que la journée avance, mais je me permettrai de livrer ce discours important pour témoigner de ces années d’attente qu’ont vécues les victimes des injustices historiques dont je vais vous parler. C’est avec émotion que je prends la parole en cette Chambre aujourd’hui en tant que parrain du projet de loi C-66, la Loi sur la radiation de condamnations constituant des injustices historiques.
Permettez-moi d’entrée de jeu de citer le romancier français Gilbert Cesbron, dont la pensée exprime avec précision les motivations profondes qui m’ont incité à parrainer ce projet de loi. Gilbert Cesbron a dit ce qui suit, et je cite :
Que ce monde soit absurde, c’est l’affaire des philosophes et des humanistes, mais qu’il soit injuste, c’est notre affaire à tous.
Le projet de loi C-66 a été déposé à l’autre endroit à l’occasion des excuses présentées à la communauté LGBTQ2 par le gouvernement canadien pour des décennies d’oppression et de discrimination systématiques et systémiques cautionnées par l’État. Il a été adopté à l’unanimité à l’autre endroit.
Le projet de loi C-66 vise à corriger une injustice historique de criminalisation d’une activité sexuelle entre adultes consentants de même sexe. Il reconnaît que la criminalisation d’une telle activité peut constituer une injustice historique en raison du fait que, si elle avait lieu aujourd’hui, elle serait incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés.
Par la mise en place d’une telle procédure, ce projet de loi donne à la Commission des libérations conditionnelles du Canada le pouvoir d’exiger la radiation des condamnations qualifiées d'injustes par la destruction et l’élimination permanente de ces dossiers judiciaires dans les dépôts du gouvernement, c’est-à-dire dans toutes les bases de données fédérales. Ainsi, une personne injustement condamnée pour une infraction liée à une activité sexuelle consensuelle entre partenaires de même sexe qui serait légale aujourd’hui sera réputée n’avoir jamais été condamnée pour cette infraction.
Les Canadiennes et Canadiens visés par cette procédure sont les membres de la communauté LGBTQ2 qui ont été injustement condamnés en vertu des articles du Code criminel ou de la Loi sur la défense nationale touchant les actes de grossière indécence, de sodomie ou de relations sexuelles anales.
Avant d’examiner plus en détail le projet de loi, permettez-moi, chers collègues, de vous présenter un bref contexte historique qui explique les raisons derrière son élaboration.
D’abord, nous devons reconnaître que la discrimination contre la communauté LGBTQ2 s’enracine dans les fondations mêmes des lois canadiennes. Au cours des 150 dernières années, le Parlement du Canada a souvent échoué à accomplir son devoir de protection des minorités sexuelles du pays.
Malgré l’adoption du projet de loi C-150, qui décriminalisait l’homosexualité en 1969 à la suite de la cause d’Everett George Klippert, le dernier Canadien qui a été emprisonné pour homosexualité, la communauté LGBTQ2 a continué d’être la cible d’une discrimination éhontée dans toutes les sphères de la société canadienne.
En ce qui concerne le gouvernement du Canada, c’est plus précisément entre les années 1950 et le début des années 1990 que des milliers de travailleurs LGBTQ2 de la fonction publique canadienne, y compris des militaires et des membres du corps diplomatique et de la Gendarmerie royale du Canada, ont été ciblés, ont fait l’objet d’enquêtes, et ont vu leur carrière et leur vie ruinées par une campagne d’oppression honteuse décrite par les victimes comme « la purge ». Les membres de la communauté LGBTQ2 qui travaillaient alors au sein des ministères et organisations ont fait face à des sanctions de toutes sortes : renvoi, mutation, rétrogradation. Des notes étaient souvent ajoutées à leurs états de service stipulant qu’ils ou elles étaient « déviants » et « ne pouvaient être employés avantageusement ».
Il n’était pas rare que les personnes ayant confessé leur homosexualité ou ayant été forcées de le faire soient invitées à suivre des traitements psychiatriques ou, carrément, à démissionner. Le gouvernement canadien leur refusait souvent leurs avantages sociaux, leur indemnité de départ et leur pension, et ceux qui réussissaient à demeurer en poste se voyaient expressément refuser toute possibilité de promotion.
La plupart des personnes qui travaillaient dans la fonction publique et qui étaient soupçonnées d’être homosexuelles à cette époque ont fait l’objet de surveillance et d’interrogatoires humiliants, y compris des questionnements dégradants de nature personnelle. Pour réaliser les interrogatoires, les enquêteurs du gouvernement fédéral utilisaient notamment un appareil créé par un professeur de l’Université Carleton qui pouvait supposément prouver « scientifiquement » l’homosexualité d’une personne. La GRC l’avait baptisé « The Fruit Machine », un terme péjoratif utilisé en anglais pour désigner les gais.
En 1967, une ordonnance administrative des Forces canadiennes, mieux connue sous le nom de OAFC 19-20, est entrée en vigueur. Cette infâme ordonnance exigeait que des militaires enquêtent sur leurs confrères et consœurs que l’on soupçonnait d’être gais, puis de mettre fin à leurs carrières en leur demandant d’être libérés du service. Si certains étaient libérés honorablement à la suite de ces interrogatoires, nombreux sont celles et ceux qui faisaient l’objet d’une destitution ignominieuse. C’est le cas de Mme Martine Roy.
Martine Roy s’est enrôlée dans les Forces armées canadiennes en 1981, à l’âge de 19 ans, car elle voulait servir et protéger son pays.
Elle a fait son entraînement de base à Saint-Jean-Sur-Richelieu et a ensuite suivi une formation linguistique et médicale sur la Base des Forces canadiennes Borden, en Ontario. Elle était fière, motivée et se réjouissait à l’idée d’avoir une carrière militaire longue et gratifiante.
Un jour, alors qu’elle participait à un entraînement sur le terrain, une voiture banalisée s’est approchée d’elle. Deux personnes en sont sorties et lui ont demandé d’entrer dans la voiture. Elle s’est dit que c’étaient deux citoyens civils qui s’étaient perdus sur la base, mais ce n’était pas le cas. Ils lui ont dit qu’ils faisaient partie d’une unité d’enquête spéciale et qu’ils étaient là pour l’arrêter.
Ils l’ont emmenée dans un petit immeuble qu’elle ne connaissait pas à la limite de la base. C’est là, dans une petite salle mal éclairée, qu’elle a été interrogée pendant près de cinq heures. Ils lui ont posé des questions sur ses antécédents sexuels ainsi que sur ses habitudes et préférences sexuelles. Ils lui ont demandé avec qui elle avait couché et combien de fois. Les interrogateurs de Martine lui ont dit qu’elle pourrait rester dans les Forces armées canadiennes si elle avouait ses perversions sexuelles. Épuisée, effrayée et humiliée, elle a dit qu’elle était jeune, qu’elle se cherchait et qu’elle n’avait pas les idées claires.
Plus tard, elle a été convoquée au bureau du psychologue afin qu’il puisse décider si elle était normale ou anormale. Elle a participé à plusieurs séances humiliantes et dégradantes avec lui.
Enfin, en décembre 1984, Martine s’est vu ordonner de se présenter au bureau du colonel de la base. Il lui a demandé si elle savait pourquoi elle était là. Elle lui a répondu qu’elle ne le savait pas. Martine s’est fait dire qu’elle était déviante et qu’elle allait être libérée de ses fonctions parce qu’elle était homosexuelle.
Bien qu’elle ait été appréciée de ses supérieurs pour la qualité de son travail, et malgré son profond engagement à l’égard de l’institution et de son pays, Martine Roy n’a disposé que de neuf jours pour rassembler ses effets personnels et quitter la base. Neuf jours seulement, honorables collègues, pour dire un dernier au revoir à ce rêve qui était le sien.
Mme Roy a vécu avec un sentiment de honte et de culpabilité, parce qu’elle avait l’impression que ces événements étaient de sa faute. Elle a dû, malgré elle, avouer son orientation sexuelle à des étrangers sans qu’elle l’ait décidé et sans qu’elle puisse choisir le moment qui lui convenait pour le faire. Ce fut le cas de nombreuses autres victimes de la purge et de ces persécutions licites. Martine est revenue au Québec où elle a subi un important traumatisme émotionnel, lequel subsiste à ce jour. Elle a combattu pendant des années une dépendance à la drogue, elle a dû subir une thérapie intensive et a eu de la difficulté à maintenir des relations affectives. Elle a vécu dans la peur et dans un état de constante anxiété, ne pouvant être elle-même et craignant être rejetée par son employeur ou par ses proches.
Honorables collègues, l’armée canadienne n’a mis un terme à ces politiques d’exclusion qu’au début des années 1990, à la suite de l’action en justice de Mme Michelle Douglas. Ce n’est qu’une fois sa cause contre le ministère de la Défense nationale réglée, en 1992, que la politique expresse de discrimination institutionnelle a été officiellement abolie.
Au Canada, il existe des centaines, voire des milliers d’histoires comme celle de Martine. Je vous invite à lire l’article paru dans le Globe and Mail en novembre 2017 et signé par John Ibbitson. On y découvre plusieurs histoires semblables, comme celle de l’ancien diplomate Orde Morton.
En raison des lois discriminatoires, des politiques et des programmes fédéraux, des milliers de citoyennes et citoyens innocents comme Martine Roy, Orde Morton ou ma compatriote acadienne, Diane Doiron, ont ainsi perdu leur gagne-pain, ou ont été rejetés par leur famille ou leur communauté. Plus important encore, nombreux sont celles et ceux qui ont perdu leur dignité.
Au cours des décennies, des premiers ministres tels que l’honorable Brian Mulroney ont condamné devant le Parlement les campagnes de sécurité nationale visant la communauté LGBTQ2. Cependant, aucune excuse n’a été présentée et aucune réparation n’a été effectuée pour cette terrible faute historique à l’endroit de milliers de Canadiennes et de Canadiens, accusés en raison de leur orientation sexuelle, de leur identité sexuelle ou de leur expression de genre.
Honorables collègues, les actions ou inactions des gouvernements canadiens successifs ont causé des traumatismes psychologiques irréparables aux membres de la communauté LGBTQ2 qui ont été injustement condamnés. Bien qu’ils aient été en mesure d’obtenir un pardon, aucun recours n’existait pour effacer de façon permanente les condamnations dont ils ont fait l’objet, même après que les lois sur lesquelles reposait la condamnation se sont révélées discriminatoires.
Alors, après une si longue attente, le projet de loi C-66 cherche à rendre ce recours possible pour ces personnes. Ce projet de loi s’appuie donc sur les longues luttes menées par la communauté LGBTQ2 dont fait état le Fonds Egale Canada pour les droits de la personne dans son incomparable rapport intitulé Just Society Report, un document qui brosse un tableau éclairant et interpellant de la situation de la communauté LGBTQ2 dans notre pays.
Concentrons-nous sur le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui. Honorables collègues, permettez-moi de vous donner quelques détails sur des dispositions du projet de loi C66, plus particulièrement celles concernant les critères d’admissibilité, la production et le traitement des demandes et les condamnations admissibles.
Comme je l’ai déjà dit, le projet de loi C66 donne compétence à la Commission des libérations conditionnelles du Canada pour ordonner ou refuser la radiation de condamnations constituant des injustices au titre de certains articles du Code criminel ou de la Loi sur la défense nationale. Plus précisément, ce sont les condamnations pour actes de grossière indécence, de sodomie ou de relations sexuelles anales.
La radiation permettra d’éliminer de façon permanente les dossiers liés aux condamnations de toutes les bases de données fédérales. Ce sera une des solutions les plus efficaces qu’on puisse trouver pour les personnes qui souhaitent être innocentées.
Les personnes qui ont été victimes de ces condamnations pourront déposer directement et gratuitement une demande de radiation à la commission. Dans certains cas, il se peut que le demandeur présente une demande à titre posthume au nom d’un membre de la famille ou d’un être cher décédé. En effet, le projet de loi offre cette possibilité en permettant à des représentants opportuns, tels qu’un conjoint, un parent, un frère ou une sœur, un enfant ou un représentant personnel de présenter une demande en leur nom.
Dans chacun des cas, en présentant une demande, le demandeur devra démontrer que les condamnations répondent aux trois critères suivants, présentés à l’article 25 du projet de loi : la personne doit démontrer que l’activité visée était exercée par des personnes de même sexe; elle doit démontrer que l’activité était consensuelle; enfin, elle doit démontrer que les participants étaient âgés de 16 ans ou plus au moment des faits, ou étaient assujettis à une exception de proximité d’âge en vertu de l’article 150.1 du Code criminel.
Dans la plupart des cas, cette preuve proviendrait de la police et des archives des tribunaux. Cela dit, compte tenu de la nature historique de ces archives, le gouvernement reconnaît toutefois que, dans certains cas, il ne sera pas toujours possible d'avoir accès aux archives officielles fournissant la preuve que les critères sont remplis ou qu’il est possible de les obtenir. C’est la raison pour laquelle le projet de loi permet alors qu’une déclaration sous serment ou une déclaration solennelle soit faite et agisse comme preuve. Dans la déclaration, le demandeur devra alors expliquer que tous les efforts ont été faits pour obtenir les documents permettant de confirmer les trois critères énoncés plus haut. Les demandeurs devront également démontrer qu’ils ont fait preuve de diligence raisonnable pour obtenir ces archives et que celles-ci n’étaient plus accessibles.
La commission fera ensuite des enquêtes et, si elle ne trouve aucune preuve du contraire et aucune preuve que l’activité serait actuellement interdite en vertu du Code criminel, elle ordonnera la radiation. Si les demandes de radiation sont complètes et répondent aux critères fixés, la commission ordonnera alors la radiation des dossiers de condamnation et en informera les demandeurs par écrit.
La procédure de destruction des dossiers qui est prévue est la suivante. D’abord, la commission avertira la GRC, qui détruira tout dossier de condamnation sous sa garde, qu’il soit en format papier ou numérique. Elle avertira également tout autre ministère ou organisme fédéral pertinent qui aurait des dossiers de condamnation et leur ordonnera de les détruire.
En outre, tous les tribunaux pertinents et les forces policières d’autres compétences administratives, par exemple les forces policières provinciales ou municipales, seront avertis de la même ordonnance et seront invités à détruire tous les dossiers pertinents en leur possession. Bien qu’elles ne soient pas assujetties à la législation fédérale, les cours et les forces policières provinciales et municipales respectent habituellement les suspensions de casiers judiciaires. Le gouvernement s’attend donc à ce qu’elles en fassent autant pour les ordonnances de radiation.
En ce qui concerne les infractions admissibles, le projet de loi les présente dans une annexe afin de bien préciser l’admissibilité du demandeur. Les deux premières infractions citées à l’annexe et rendues admissibles à la radiation, en vertu du procédé établi par le projet de loi C-66, sont la grossière indécence et la sodomie. Ces deux infractions remontent à la rédaction du Code criminel canadien en 1892 et, de par leur ambiguïté, elles ont permis aux instances policières et judiciaires de viser injustement et de façon discriminatoire la population homosexuelle et transgenre du Canada.
Honorables collègues, il a fallu attendre près d’un siècle, 1988 pour être plus précis, avant de voir la grossière indécence retirée du Code criminel. Quant à la sodomie, elle a été remplacée cette même année par l’expression « les relations sexuelles anales », une infraction qui est aussi inscrite à l’annexe des infractions admissibles et qui est toujours inscrite au Code criminel, bien qu’elle soit désormais inopérante. En effet, chers sénateurs, quelques tribunaux, y compris des cours supérieures provinciales comme la Cour d’appel de l’Ontario en 1995 et la Cour fédérale du Canada la même année, ont statué que l’article 159 du Code criminel sur les relations sexuelles anales était inconstitutionnel. Des démarches sont en cours pour l’abroger grâce aux projets de loi C-39 et C-32, qui ont été déposés à l’autre endroit.
Comme je l’ai précisé plus tôt, dans les critères d’admissibilité, le projet de loi tient aussi compte des membres du service militaire qui ont pu être condamnés aux termes de la Loi sur la défense nationale pour avoir exercé une activité sexuelle consensuelle avec des partenaires de même sexe. Voilà donc, honorables sénateurs, les infractions admissibles dans le cadre du présent projet de loi.
Depuis son adoption à l’autre endroit, plusieurs organisations et individus se sont exprimés sur le projet de loi C-66 en réclamant des clarifications et un élargissement de la liste des condamnations prévues à l’annexe du projet de loi. Certains demandent, par exemple, que les infractions visant les maisons de débauche soient incluses dans la liste des infractions admissibles. Depuis 1968, c’est en vertu des articles portant sur les maisons de débauche dans le Code criminel canadien que les policiers criminalisent non seulement les travailleuses et les travailleurs du sexe, mais aussi les espaces de rencontre pour homosexuels. On se souviendra des rafles historiques importantes qui ont été effectuées en vertu de ces articles dans différents bars et saunas gais pendant les années 1970.
En tant que membre de la communauté LGBTQ2, je comprends tout à fait cette demande de la part de certains individus. Le 21 octobre 1977, j’avais 21 ans, j’habitais Montréal et, ce soir-là, des amis m’avaient invité à aller prendre un verre avec eux dans un bar sécuritaire pour nous, un endroit où nous pourrions discuter, danser et nous divertir sans crainte d’être agressés ou humiliés. Ce soir-là, ils avaient décidé de me faire découvrir un bar de la rue Stanley. Heureux, insouciants, nous nous dirigions vers ce bar, quand soudainement, un homme est sorti de l'établissement à la course, nous sommant de ne pas entrer, car la police y était et elle procédait à de nombreuses arrestations. Ce soir du 21 octobre 1977, 147 accusations ont été portées. Des hommes de tous les milieux de la société ont été accusés. Pour certains, en raison de la couverture médiatique de l’événement, leur orientation sexuelle a été révélée au grand jour, sans leur consentement et sans qu’ils soient en mesure de prévenir leurs proches. Des descentes similaires ont eu lieu à Toronto et dans divers endroits partout au Canada.
Si j’étais entré dans ce bar, ce soir-là, honorables collègues, j’aurais sans doute été accusé moi aussi. J’aurais sans doute un casier judiciaire, et je ne serais peut-être pas dans cette enceinte à vous parler aujourd’hui. Je comprends donc les revendications de certains individus quant à l’ajout de certaines condamnations dans ce projet de loi.
Cela dit, je comprends aussi pourquoi ces infractions n’ont pas été incluses dans la mouture actuelle du projet de loi. La raison principale qui a été donnée pour ne pas inclure les infractions associées aux maisons de débauche est que la grossière indécence, la sodomie et les relations sexuelles anales sont des infractions qui discriminent de la façon la plus manifeste contre les partenaires de même sexe, ce qui constitue une injustice historique. Ces infractions ont été poursuivies en grande partie de façon ciblée, et ont criminalisé des comportements de personnes membres des communautés LGBTQ2 qui seraient légaux aujourd’hui.
Par ailleurs, l’un des critères établis par le projet de loi vise à inclure seulement des condamnations d’activités qui ne sont plus considérées comme illégales et au sujet desquelles les articles du Code criminel sont désormais jugés anticonstitutionnels et inopérants. Les infractions relatives aux maisons de débauche visaient à cibler des actes plus vastes qui étaient considérés comme immoraux à l’époque, notamment les activités entre des partenaires de sexe opposé, les activités liées à l’exploitation et à la fréquentation de maisons de prostitution, et les activités liées à l’échange d’argent pour des services sexuels. Les articles 210, 179 et 173 du Code criminel, qui traitent des maisons de débauche, des actions indécentes ainsi que du vagabondage, demeurent inscrits au Code criminel et ne sont pas jugés contraires à la Charte canadienne des droits et libertés. Voilà pourquoi ce projet de loi n’est pas ouvert à ce type de condamnations.
Cela dit, le gouvernement reconnaît que d’autres condamnations injustes que celles qui sont inscrites à l’annexe de la loi pourraient éventuellement y être intégrées.
C’est la raison pour laquelle le projet de loi C-66 prévoit d’appliquer la procédure de radiation à d’autres condamnations constituant des injustices historiques, si on le juge opportun.
Au terme de l’article 23 du projet de loi, le gouverneur en conseil peut ajouter à l’annexe d’autres infractions si la criminalisation de l’activité visée constitue une injustice historique. Au titre de l’article 24, le gouverneur en conseil peut prévoir les critères à remplir relativement à une infraction mentionnée à l’annexe, s’il le juge nécessaire.
Honorables sénateurs, comme la plupart des projets de loi, le projet de loi C-66 n’est certainement pas parfait. Il n’est pas une panacée qui peut faire cesser la stigmatisation, la discrimination et le préjudice que vit la communauté LGBTQ2, mais il s’agit d’un pas en avant important. Il cherche à corriger certaines injustices historiques et offre la possibilité d’en corriger d’autres à l’avenir.
Le Canada n’est d’ailleurs pas le seul pays à adopter de telles mesures. En ce sens, le projet de loi C-66 s’arrime aux législations adoptées ailleurs dans le monde. De nombreux territoires de compétence de l’Australie, ainsi que l’Angleterre, le pays de Galles et l’Allemagne ont présenté des processus de radiation semblables pour les condamnations liées aux activités sexuelles entre partenaires consentants de même sexe. De plus, la radiation posthume est possible dans toutes ces administrations, à l’exception de l’Australie-Méridionale. L’Allemagne radie automatiquement tous les dossiers admissibles, et l’Angleterre et le pays de Galles ne le font que pour les cas posthumes. À l’instar du Canada, les autres territoires de compétence exigent la présentation d’une demande.
Je vous rappelle que le processus canadien de radiation doit être fondé sur les demandes des victimes ou de leurs représentants pour veiller à ce que seules les condamnations admissibles soient radiées. Le recours à un processus automatique pourrait entraîner la destruction de dossiers qui traitent d’actes qui sont encore criminels, y compris les activités sexuelles non consensuelles.
Parmi les territoires mentionnés, aucun n’impose des frais et la plupart permettent aux demandeurs d’attester des circonstances de l’acte. Le projet de loi est donc conforme à la plupart des processus en cours à l’échelle internationale.
L’adoption du projet de loi C-66, honorables sénateurs, témoignerait de l’engagement du Canada à faire avancer les droits des minorités sexuelles.
Cet engagement fait écho, après 50 ans, aux demandes incessantes de la part de militants de la communauté LGBTQ2 en vue d’obtenir des excuses et pour que des mesures soient prises afin de réparer les erreurs du passé et les torts subis.
Il représente une étape importante dans le processus de guérison de milliers de Canadiennes et de Canadiens qui font partie de la communauté LGBTQ2.
Le grand philosophe, auteur et journaliste français Albert Camus a dit ceci, et je cite :
J’ai compris qu’il ne suffisait pas de dénoncer l’injustice. Il fallait donner sa vie pour la combattre.
Camus a ajouté aussi ceci :
Seule la vérité peut affronter l’injustice. La vérité ou bien l’amour.
Je nous invite donc, honorables sénateurs, à nous inspirer de ces pensées éclairantes pour entreprendre cette conversation qui nous permettra d’approfondir ce projet de loi et d’en assurer l’acheminement dans les meilleurs délais à un comité afin qu’il soit adopté dans cette Chambre dans un avenir rapproché.
Je vous remercie de votre écoute et de votre collaboration.