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La constitutionnalité de l’attestation exigée pour le programme Emplois d’été Canada de 2018

Interpellation—Ajournement du débat

5 juin 2018


L’honorable Sénatrice Pamela Wallin :

Je ne serai pas aussi brève que certains de mes collègues, mais je vous promets que je ne vous retiendrai pas très longtemps.

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de cette interpellation qui vise la constitutionnalité de l’attestation exigée pour le programme Emplois d’été Canada, une question que j’ai déjà soulevée ici à de nombreuses reprises.

Sénateur Harder, je suis très contente que vous soyez présent, car je sais que vous connaissez bien ma position. Peut-être pourriez-vous nous dire si des vérifications ont été faites quant à la conformité avec la Charte et quant à l’obligation pour le gouvernement de présenter des preuves montrant que ses politiques concernant certains droits conférés par la Charte ne viennent pas empiéter sur d’autres droits qu’elle confère.

L’attestation exigée pour le programme Emplois d’été Canada a été introduite en 2018 par le gouvernement actuel. Elle semblait sortir de nulle part. Elle force les employeurs à cocher une case pour indiquer que l’emploi concerné et le mandat de l’organisme respectent les droits de la personne au Canada tels qu’ils sont définis par le gouvernement, ce qui comprend les valeurs qui sous-tendent les droits conférés par la Charte des droits et libertés et d’autres droits, notamment les droits en matière de procréation.

La case à cocher a presque immédiatement soulevé l’opposition de divers groupes, notamment de groupes confessionnels. Ceux-ci soutenaient qu’en signant cette attestation, ils renonçaient à leurs droits constitutionnels de liberté de croyance, de parole, d’expression et de religion. Plus de 1 500 demandes ont été rejetées par le gouvernement pour défaut de signature de l’attestation. Je suis convaincue que de nombreuses autres ont été signées à contrecœur et avec de véritables préoccupations.

Le ministre a ensuite clarifié la nouvelle règle, déclarant que le mandat principal ne renvoyait qu’aux principales activités et que le respect signifiait que les activités ne visaient pas à éliminer ou à miner activement ces droits existants, ce qui, encore une fois, a soulevé des questions, à savoir comment les activités d’un camp d’été minent la Charte des droits et libertés.

Une contestation a maintenant été portée devant la Cour fédérale, soutenant que le gouvernement agit de mauvaise foi. L’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, qui s’autodécrit comme « résolument pro-choix », s’est jointe à la cause contre le gouvernement. Je suis moi aussi « résolument pro-choix », mais, pour moi, cela signifie que les gens ont un choix, y compris celui d’être en désaccord avec moi.

Au cœur de la controverse se pose la question de savoir si l’attestation est constitutionnelle en demandant aux gens de respecter les droits d’autrui, mais de renoncer aux leurs. L’intention de la Charte consiste à trouver un équilibre entre les droits concurrentiels, de même qu’à protéger le public des gouvernements s’ils vont trop loin.

Le 25 avril, lors de la période des questions à l’autre endroit, le premier ministre a défendu le financement d’organismes militants anti-pipelines, disant que le gouvernement défend la liberté de parole et d’expression. Cependant, il n’a offert aucune défense du genre pour les organismes confessionnels. Le gouvernement a tout à fait le droit de croire que l’accès à l’avortement est un droit de la personne. Par contre, les autres ont le droit d’être en désaccord avec lui.

La Charte garantit le respect des droits des Canadiens, et pas uniquement des droits du gouvernement de l’heure. Ainsi, il est certainement injuste et fort probablement inconstitutionnel que le gouvernement impose ses croyances aux Canadiens en accordant ou en refusant l’accès à un programme financé par des fonds publics.

Bien que personne n’ait automatiquement droit à des fonds publics, dans ce cas-ci, l’État a offert des fonds au public. La Charte exige donc que l’État fasse cette offre de manière ouverte, juste et respectueuse des libertés fondamentales de tous les Canadiens. Les gens ont le droit de manifester sur la Colline du Parlement en tant que partisans du mouvement pro-vie ou du mouvement pro-choix. Ils ont également droit à ces convictions lorsqu’ils présentent une demande de fonds publics dans le but d’aider un jeune à gagner un peu d’argent pendant l’été.

A-t-on dit au gouvernement que ces mesures étaient constitutionnelles? Ici, au Sénat, le 22 mai dernier, en réponse à une question de mon honorable collègue, le sénateur Joyal, la ministre Hadju a dit ce qui suit :

Je vous remercie de votre question, même si je vois un certain paradoxe à demander une analyse au regard de la Charte sur le respect de la Charte.

La ministre devrait réfléchir à ce commentaire.

Si l’objet de la Charte est d’offrir un mécanisme pour assurer un équilibre entre des droits divergents, un député libéral, John McKay, a également soulevé la question. Il a déclaré ce qui suit dans une lettre :

À mon avis, le gouvernement actuel est malencontreusement tombé dans un piège, celui d’accorder la priorité à un droit plutôt qu’à un autre et de recourir à la Charte pour se protéger d’éventuelles critiques de la part des citoyens.

La partie des propos de M. McKay qui retient particulièrement mon attention est celle-ci : « accorder la priorité à un droit plutôt qu’à un autre », car on dirait justement que c’est ce que fait le gouvernement.

L’attestation du programme Emplois d’été Canada mentionne expressément les droits en matière de procréation parmi les droits qui doivent être respectés pour qu’un demandeur soit admissible à des fonds.

(2310)

En exigeant cette attestation, le gouvernement cherche querelle aux groupes confessionnels, et pourtant, des organismes controversés comme Dogwood, LeadNow et Tides Canada obtiennent du financement public de l’initiative Emplois d’été Canada.

Honorables sénateurs, je suis convaincue que le gouvernement pratique une politique de deux poids, deux mesures dans le cas présent, en traitant les groupes confessionnels injustement, voire inconstitutionnellement, alors qu’il appuie les groupes avec lesquels il partage un programme environnemental ou politique.

Cette attestation n’était pas la bonne façon de procéder. Des groupes ont été ciblés sans le savoir par un plan mal exécuté qui aurait dû être présenté et débattu avant sa mise en œuvre. Le gouvernement aurait dû examiner les conséquences possibles d’imposer ses valeurs, ses croyances et ses priorités dans le cadre d’un processus où les Canadiens se voient accorder ou refuser des fonds publics.

L’année prochaine, le gouvernement doit retirer l’attestation et trouver une autre façon certaine de régler de manière constitutionnelle ce qu’il a déterminé comme étant un problème politique. Entre-temps, plus de 1 500 jeunes au pays n’ont pas pu vivre l’expérience formidable d’occuper un emploi d’été.

Merci. Le sénateur Joyal a demandé à ce que le débat soit ajourné à son nom, si l’on m’autorise à le faire.

 

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