Projet de loi no 2 d’exécution du budget de 2017
Troisième lecture
13 décembre 2017
L’honorable Sénateur Yuen Pau Woo :
Honorables collègues, je voudrais participer au débat sur le projet de loi C-63, particulièrement en ce qui a trait à la section 2 de la partie 5, quant à l’adhésion du Canada à la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures.
Cette mesure, l’une des nombreuses du projet de loi, est beaucoup plus qu’un simple élément budgétaire. Elle concerne l’implication du Canada dans la région la plus dynamique du monde, celle qui connaît la plus forte croissance. J’appuie cette disposition du projet de loi, parce qu’elle contribuera aux investissements en infrastructure dans des régions d’Asie moins développées, ce qui mènera à la possibilité de croissance économique dans ces régions, réduisant ainsi la pauvreté et améliorant la qualité de vie de nombreuses personnes.
Depuis une dizaine d’années maintenant, l’économie mondiale est, au mieux, stagnante. Les moteurs traditionnels de croissance dans les pays industrialisés ne performent plus aussi bien que durant les décennies précédentes, ce qui explique l’urgence de trouver de nouvelles sources de création de richesse dans le monde. L’investissement en infrastructure, surtout dans les régions à faible revenu, peut stimuler la croissance économique dans ces régions, créant des retombées dans les régions avoisinantes et dans l’économie mondiale en général.
Le Canada a toujours joué un rôle important dans le développement international, notamment en investissant dans l’infrastructure des pays moins développés, et il a emprunté à la fois les voies bilatérale et multilatérale pour la prestation de ses programmes d’aide internationale. La participation du Canada dans les banques multilatérales de développement remonte à 1945, à la création des institutions de Bretton Woods, soit la Banque internationale pour la reconstruction et le développement, aussi connue sous le nom de Banque mondiale, et le Fonds monétaire international. En tant que pays de taille moyenne dépendant du commerce avec le monde et de relations amicales avec les autres pays, le Canada dépend du multilatéralisme pour réaliser nombre de ses objectifs internationaux.
Aujourd’hui, le Canada est membre de toutes les principales banques multilatérales de développement, et notre contribution aux institutions financières internationales représente plus du tiers de notre aide au développement dans le monde. Cela comprend la Banque africaine de développement, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, la Banque de développement des Caraïbes, la Banque asiatique de développement et la Banque interaméricaine de développement. Devenir membre de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures serait conforme à l’engagement de longue date du Canada en matière de développement international, ce qui est bon pour les bénéficiaires d’aide internationale et bon pour le Canada.
Selon la Banque asiatique de développement, il y a un déficit de 20 billions de dollars en matière d’infrastructure en Asie. Des investissements s’imposent pour le transport routier, aérien, ferroviaire et maritime, pour la production et la distribution d’électricité, pour les installations sanitaires de base, pour les télécommunications, et beaucoup plus encore. Certains des projets envisagés ou en cours de réalisation permettront à d’importantes populations marginalisées d’avoir un accès à l’information, aux idées, aux services et aux marchés que nous tenons pour acquis dans le monde industrialisé.
En tant que pays ayant surmonté de nombreux défis au chapitre des infrastructures en raison de son vaste territoire et de sa géographie diversifiée, le Canada possède une expertise reconnue internationalement dans les divers aspects de l’aménagement d’infrastructure, depuis l’ingénierie et la conception jusqu’à l’évaluation des incidences environnementales et sociales. Les entreprises canadiennes seront avantagées par l’investissement massif dans les infrastructures qui se dessine en Asie, en partie stimulé par la création de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures. Le fait que nous soyons membre de la banque donnera aux entreprises accès à l’information et aux réseaux qui leur permettront de mieux se positionner pour gagner des appels d’offres relativement à des projets partout dans la région.
Je ferai remarquer que la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures n’est qu’un élément parmi d’autres de l’initiative globale placée sous le thème « Une ceinture, une route », qu’a prise la République populaire de Chine pour stimuler les investissements en Asie, en Afrique et en Europe. L’initiative « Une ceinture, une route » est l’équivalent du plan Marshall qui avait été prévu pour l’Europe après la guerre, sauf qu’elle est beaucoup plus ambitieuse. Elle prévoit la construction d’infrastructures qui relieront l’Asie, l’Europe et l’Afrique en prenant pour modèle la route de la soie, qui a favorisé les échanges commerciaux et culturels entre environ 200 ans avant Jésus-Christ et les années 1400 de notre ère. L’initiative s’inspire également des routes maritimes qui reliaient l’Asie de l’Est et l’Europe et par lesquelles les échanges commerciaux entre les deux régions se sont faits pendant des siècles.
Le 3 janvier dernier, un train a quitté la côte est de la Chine pour arriver, 12 000 kilomètres plus loin et 15 jours plus tard, à Londres, en transportant 34 conteneurs remplis de produits de consommation. Londres est la 15e ville européenne à être desservie par train de marchandises à partir de la Chine. D’ici 2020, 5 000 de ces liaisons ferroviaires devraient s’effectuer chaque année entre la Chine et l’Europe, grâce à des investissements massifs — déjà en cours, d’ailleurs — dans les infrastructures.
J’aimerais maintenant aborder la crainte que, sous la houlette de la Chine, la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures ne viole les normes internationales en matière de gouvernance et ne fasse fi des inquiétudes que les projets qu’elle finance pourraient susciter au plan social et environnemental. Ce sont des aspects qu’il faut surveiller et, en tant que membre de la banque, le Canada et d’autres pays aux vues similaires devraient y accorder une attention particulière. Justement, c’est l’avantage que présente une institution multilatérale s’occupant d’investissements internationaux dans les infrastructures par rapport à des projets menés de façon bilatérale. En créant la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, la Chine déclare sa volonté d’être un acteur multilatéral dans ce secteur.
Certes, Pékin ne connaît peut-être pas encore bien son rôle quand il s’agit de s’ajuster aux normes et pratiques internationales, mais l’on devrait se réjouir de voir la prochaine superpuissance mondiale choisir la voie multilatérale plutôt que des objectifs strictement bilatéraux.
D’ailleurs, en ce qui concerne les évaluations environnementales des projets, les premiers rapports sur l’approche de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures sont encourageants. Au sujet du cadre environnemental et social de la banque, le World Resources Institute a déclaré ceci :
[…] la vision du cadre reconnaît un grand nombre des questions auxquelles la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures devra réfléchir lorsqu’elle commencera à octroyer des sommes, notamment les changements climatiques, l’égalité entre les sexes, la biodiversité et les écosystèmes, la réinstallation, les pratiques de travail et les peuples autochtones. Le cadre inclut également des engagements très importants par rapport à la transparence, à la divulgation de renseignements et à la participation publique, qui surpassent ceux de plusieurs banques de développement nationales […]
Le Canada s’est notamment joint à la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures pour exercer une influence sur les normes sociales et environnementales s’appliquant aux projets qui seront financés.
En fait, nous sommes en bonne compagnie parmi les quelque 80 membres de la banque, dont le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, la Norvège, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Nous devrions avoir l’humilité de reconnaître que nous pourrions bien apprendre une chose ou deux de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures en ce qui concerne la planification, le financement et la mise en œuvre de grands projets d’investissements. Notre bilan récent en ce qui a trait à la construction de barrages, de ponts et de pipelines n’est pas particulièrement brillant.
Depuis la création de la banque, 24 projets ont été approuvés. Permettez-moi de vous donner une idée des types de projets appuyés par la banque jusqu’à maintenant.
Le projet d’amélioration de la route reliant Douchanbé à la frontière avec l’Ouzbékistan, d’un coût de 106 millions de dollars américains, a été financé par la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. Le projet national d’assainissement des quartiers insalubres en Indonésie, qui s'appuie sur un budget de 1,7 million de dollars américains, a été cofinancé par la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures et la Banque mondiale. Le projet d’amélioration des routes rurales du Gujarat, en Inde, d’un coût de 658 millions de dollars américains, est financé par la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures et le gouvernement du Gujarat.
Honorables collègues, en plus de permettre au Canada de prendre part à la gouvernance de la banque et de contribuer à la réussite des projets, notre adhésion à la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures renforcera la réputation du Canada comme un intervenant de poids en Asie, non seulement afin de vendre nos produits de l’autre côté du Pacifique, mais aussi pour participer au développement économique à long terme de la région.
Elle montre aussi que nous reconnaissons l’influence croissante de la Chine sur l’économie internationale et le désir de Pékin de jouer un rôle plus important dans la gouvernance économique internationale. Nous pouvons prétendre que la Chine ne joue pas un grand rôle dans la région, et qu’elle n’y cause pas parfois des perturbations. Nous pouvons la laisser faire ce qui lui chante, ou nous pouvons collaborer avec elle au moyen d’outils multilatéraux comme la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures qui diminuent de facto la capacité de Pékin d’agir à sa guise.
Honorables collègues, la création de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures est le Bretton Woods de notre génération. Le Canada était fier de participer en 1944 à ce que les historiens de l’économie appellent « la création » de ce système, et nous avons contribué à l’établissement de l’ordre d’après-guerre qui a fixé les règles du jeu qui ont été suivies lors des 70 années subséquentes. Alors que nous songeons à l’évolution de ces règles et normes au cours des 70 prochaines années, le Canada ne devrait pas demeurer en retrait. Pour ce faire, l’adhésion à la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures est une mesure nécessaire, bien qu’insuffisante.
Il est tard pour nous joindre à la banque, mais pas trop tard. Nous pouvons concrétiser cette adhésion dès aujourd’hui en votant en faveur du projet de loi C-63.