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La Loi sur l'hymne national

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Suite du débat

28 mars 2017


L’honorable Sénateur René Cormier :

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui pour apporter mon appui au projet de loi C-210, qui vise à remplacer dans la version anglaise de l'hymne national du Canada les mots « true patriot love in all thy sons command » par les mots « true patriot love in all of us command ».

D'entrée de jeu, je dirai que je bénéficie des allocutions fort éclairantes qui ont été faites dans cette Chambre par plusieurs d'entre vous au cours des derniers mois. J'affirmerai aussi que j'ai lu avec beaucoup d'attention les discours écrits à ce sujet, et que les arguments mis de l'avant, de part et d'autre, sont tout à fait valables et pertinents. Voilà donc la posture de départ qui sera la mienne, celle d'un jeune sénateur qui est avant tout admiratif de la rigueur des arguments énoncés et de la force de conviction de ceux qui les ont exprimés.

Dans vos déclarations, vous avez parlé avec émotion et conviction de bien des sujets : le respect de notre patrimoine et de notre histoire, la diversité et l'inclusion, l'égalité hommes-femmes, le respect des artistes et de leur travail, le pouvoir de nos symboles, le respect de la langue et de la grammaire, ainsi que l'évolution du pays et sa faculté d'adaptation.

Voilà autant de sujets abordés qui ont suscité chez moi de nombreuses réflexions et que je souhaite partager avec vous aujourd'hui dans ce que je considère être mon premier discours dans cette auguste Chambre.

Afin d'expliquer ma position à l'égard de ce projet de loi, permettez-moi d'abord, honorables collègues, de vous dire ce qui a traversé mon cœur et mon esprit, le 15 novembre 2016, quand j'ai eu le privilège de faire mon entrée dans cette enceinte en tant que sénateur.

Ce jour-là, j'étais habité d'une grande fierté et d'un sens aigu des responsabilités associées à cette nouvelle fonction. La présence des honorables sénateurs acadiens qui m'ont précédé imprégnait chacun de mes pas, notamment celle de Pascal Poirier, écrivain, avocat, homme de théâtre et président de la Société Nationale de l'Assomption qui est devenu, il y a exactement 132 ans ce mois-ci, le premier Acadien à siéger au Sénat du Canada. Il y est demeuré 17 732 jours, soit un peu plus de 48 ans, ce qui fait de lui encore à ce jour le sénateur ayant siégé le plus longtemps. Je suis, évidemment, très fier de son engagement envers notre pays, mais je vous rassure, mon mandat sera plus court.

J'ai aussi eu la nette impression, en accédant à cette Chambre, que j'y faisais entrer toutes les générations d'hommes et de femmes qui m'ont précédé et dont je suis l'humble descendant. Je suis le fils de Livin, à Adolphe, à Michel, à Charles, à Thomas, à Jean, à Jean-Baptiste, à Alexis, à Thomas, à Robert Cormier, maître-charpentier de Louisbourg. Je suis aussi le fils d'Anita, à Louisa, à Marguerite, à Marie-Marcelline, à Marie-Françoise, à Agathe, à Anne, à Marguerite.

Si je vous énumère ainsi ma généalogie, ce n'est pas pour vous convaincre que je suis un noble descendant de Louis XIV — je n'ai visiblement pas la coiffure de l'emploi —, mais avant tout pour témoigner de l'importance qu'occupent chez nous le patrimoine et l'histoire. En effet, dès mon jeune âge, le respect du passé a fortement imprégné mon éducation. D'ailleurs, comme mes neuf frères et sœurs, j'ai probablement su que j'étais Acadien avant même de connaître mon prénom.

C'est vous dire le respect que mes parents accordaient à la culture et aux origines, comme si la déportation de notre peuple au XVIIIe siècle nous obligeait à renommer, à chaque fois, toutes les générations qui nous ont précédés, pour bien retisser le fil de notre histoire, réaffirmer notre identité culturelle commune et manifester notre appartenance à ce territoire.

Je comprends donc tout à fait les préoccupations exprimées par certains d'entre vous concernant le respect du patrimoine et de l'histoire, et je les fais miennes. Cela dit, l'écrivain français Anatole France affirmait ce qui suit :

L'histoire n'est pas une science, c'est un art. On n'y réussit que par l'imagination.
En effet, l'histoire est sujette à interprétation et la lecture que nous en faisons n'est pas immuable. Elle s'affine selon les connaissances et la conscience que nous acquérons au fil des générations. J'en veux pour preuve les différents points de vue que les historiens peuvent avoir sur un même évènement historique. Au Canada, n'avons-nous pas malheureusement omis de raconter certains pans de notre histoire dans nos manuels scolaires? Voilà pourquoi, à mes yeux, le changement proposé n'a certainement pas de visées révisionnistes, mais cherche plutôt à mettre en lumière la richesse de la contribution de toutes les Canadiennes et de tous les Canadiens à notre histoire.

En faisant mes premiers pas dans cette Chambre, j'avais aussi dans le cœur une mélodie, celle de l'hymne national de l'Acadie. Eh oui! Honorables collègues, malgré le respect que le peuple acadien portait et porte toujours à notre pays, les premiers leaders acadiens ont donné à cet espace politique et culturel qu'on appelle l'Acadie les premiers symboles officiels de son identité.

À la Convention nationale acadienne de 1881, les délégués ont désigné le 15 août, fête de l'Assomption, comme la fête nationale de l'Acadie et, en 1884, à la deuxième convention qui a eu lieu à l'Île-du-Prince-Édouard, « berceau de la Confédération », ils ont choisi un drapeau, une devise, un insigne et un hymne national. Inspiré par le contexte social, culturel et religieux de l'époque, le chant qui a été choisi est un hymne catholique en latin, dédié à la Vierge Marie, l'Ave Maris Stella.

Au fil des générations, afin de maintenir la pertinence de ce symbole, pour qu'il soit représentatif de l'évolution de la société acadienne et qu'il ait un sens pour toutes les générations, des changements y furent apportés. Tout en conservant une partie du texte en latin, des paroles en français ont été introduites. Malgré la résistance de certains de nos compatriotes, cette nouvelle version s'est aujourd'hui imposée et je suis toujours ému d'entendre la jeunesse acadienne et les nouveaux venus en Acadie entonner cet hymne avec fierté. Grâce aux changements apportés, ce symbole demeure un pilier fondamental de notre identité collective et agit comme une source d'inspiration pour célébrer notre passé et projeter l'Acadie dans l'avenir.

Cet après-midi de novembre 2016, en accédant à cette Chambre, j'étais donc habité, comme vous tous, j'imagine, quand vous y avez été conviés, par de nombreuses pensées et de profondes émotions. J'avais un sourire accroché au visage pour ne pas laisser paraître la nervosité qui m'assaillait en raison du doute incessant qui me tiraille toujours en pareille occasion, celui de me demander si je serais accepté dans ce nouvel environnement et si j'y trouverais ma place comme citoyen pluriminoritaire : minoritaire francophone vivant au sein de la majorité anglophone au Canada; minoritaire francophone vivant à l'extérieur de la majorité francophone du Québec; minoritaire parce que je vis depuis 33 ans avec un conjoint du même sexe que moi; minoritaire dans cette Chambre, parce que non associé à un parti politique; et, enfin, pourquoi pas, minoritaire, parce que chauve parmi ces magnifiques et élégantes coiffures!

Or, ce qui a été le plus révélateur pour moi en entrant ici a été de constater la pluralité culturelle de cette Chambre, reflet de la diversité de notre pays. De la région francophone homogène dont je suis issu, ce portrait du Canada est moins visible et a moins imprégné le quotidien de mes concitoyens de la péninsule acadienne.

Cette diversité implique beaucoup d'ouverture et de compromis, j'en conviens, mais n'est-ce pas là un des paris du Canada? À celles et ceux qui croient que nous assistons au pays à une utilisation excessive de la notion d'inclusion attribuable à une vision trop « politiquement correcte », je dirai que je serai du même avis, si les actions posées pour affirmer cette inclusion et cette diversité restent de belles paroles et ne s'ancrent pas dans nos référents culturels communs, dans nos symboles, dans nos lois et dans nos actions.

Au-delà de la diversité culturelle, la présence d'un nombre important de femmes dans cette Chambre m'a aussi réjoui et rassuré. Celles qui composent 52 p. 100 de la population canadienne ne sont pas encore pleinement représentées dans cette enceinte, mais le Sénat tend vers un meilleur équilibre des genres, et cela est rassurant pour l'avenir de la démocratie et de notre pays.

Dans l'histoire du Canada, tant de citoyennes ont contribué au développement de notre société. Nous avons tous dans nos communautés des femmes qui, par de petites et grandes actions, transforment notre quotidien et contribuent à notre bonheur individuel et collectif. Elles sont artistes, travailleuses sociales — je leur rends hommage aujourd'hui —, femmes d'affaires, médecins, professeures, scientifiques, politiciennes et sénatrices. Elles sont nos sœurs, épouses, grand-mamans, mères, tantes, nièces et amies. N'est-il pas légitime alors que cette proportion si importante de la population canadienne puisse s'identifier pleinement aux symboles collectifs qui sont les nôtres?

En parcourant les nombreuses allocutions relatives au projet de loi C-210, j'étais ravi de lire les propos d'une de nos honorables collègues qui soulevait avec rigueur et passion l'enjeu du respect des artistes et de leurs œuvres. Au Canada, malgré des lois importantes comme celles sur le droit d'auteur et celle sur le statut de l'artiste, les créateurs canadiens font encore face à de nombreux défis liés au respect de leurs œuvres.

Nous nous souvenons tous de l'affaire Robinson, cette saga judiciaire entre l'auteur-dessinateur québécois Claude Robinson et la maison de production audiovisuelle Cinar, qui s'est amorcée en 1996 lorsque Claude Robinson a accusé les producteurs d'avoir plagié son dessin animé Robinson Curiosité. Les propriétaires de Cinar avaient en effet repris l'ensemble de son concept dans une série de dessins animés similaires intitulée Robinson Sucroé. Il s'en est suivi une longue série de poursuites et de démêlés judiciaires devant les tribunaux pour la reconnaissance des droits d'auteurs de Claude Robinson, qui a consacré plus de 18 ans de sa vie à obtenir justice dans cette affaire. La Cour suprême du Canada lui a finalement donné raison en 2013.

Le respect de la propriété intellectuelle est assurément non négociable, et le respect de l'intégrité des œuvres l'est tout autant. Voilà pourquoi l'examen de la Loi sur le droit d'auteur qui aura lieu l'automne prochain nécessitera une attention particulière de la part de cette Chambre.

Cela étant dit, l'œuvre dont il est question dans le projet de loi C-210 est aujourd'hui du domaine public et n'impose donc pas les mêmes exigences. L'article 6 de la partie I de la Loi sur le droit d'auteur précise ce qui suit, et je cite :

6 Sauf disposition contraire expresse de la présente loi, le droit d'auteur subsiste pendant la vie de l'auteur, puis jusqu'à la fin de la cinquantième année suivant celle de son décès.
Après cela, l'œuvre est du domaine public et peut être utilisée par quiconque, sans autorisation ou paiement de redevances. Comme le précise le ministère de l'Innovation, des Sciences et du Développement économique, au Canada, on peut même modifier l'œuvre sans autorisation.

La Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN), une organisation collective canadienne de droits qui gère les droits d'exécution de plus de 100 000 auteurs, compositeurs et éditeurs membres, confirme d'ailleurs cette affirmation.

À la lumière de ces renseignements, nous devons admettre que le projet de loi C-210 n'implique aucunement un non-respect de l'intégrité de l'œuvre de Robert Stanley Weir, d'autant plus qu'il propose de revenir à la version originale de son texte dans laquelle l'utilisation de l'expression of us apparaissait.

« Us », « nous », est un mot qui peut résonner avec force dans les deux langues officielles et qui a aujourd'hui un sens si profond qu'il est, sans l'ombre d'un doute, la raison pour laquelle je voterai en faveur de ce projet de loi.

Connaissant comme vous les problèmes qui assaillent actuellement notre pays et le monde, je suis convaincu que la principale préoccupation de nos contemporains en ce moment n'est pas le changement de deux mots dans notre hymne national. Je crois cependant fermement et sincèrement que l'enjeu du « nous », du vivre ensemble, est au cœur de nos défis actuels et à venir.

« Les hommes le plus souvent se querellent pour des mots. C'est pour des mots qu'ils tuent et se font tuer le plus volontiers », affirmait Anatole France. Certains dirigeants de notre planète l'ont bien compris et utilisent les mots comme des armes pour diviser, instaurer la peur, construire des murs entre les nations et justifier les guerres et les conflits.

Il y a quelques jours à peine, nous avons assisté encore une fois à des gestes d'une violence inouïe sur le pont de Westminster et dans l'enceinte du Parlement britannique. N'est-ce pas encore là un exemple flagrant de cette tentative répandue dans notre société occidentale de créer des ruptures et des divisions au sein de nos sociétés? Permettez-moi d'offrir nos plus sincères condoléances aux familles touchées, à nos collègues parlementaires et au peuple anglais.

Honorables collègues, je reconnais qu'il y a de multiples arguments pour maintenir notre hymne national tel qu'il est depuis 1980. Or, le Canada ne ressemble plus à celui des années 1980. Bien sûr, il possède toujours ses deux langues officielles qu'il faut constamment réaffirmer comme nos langues citoyennes, et cela, sans rien enlever aux autres langues parlées dans ce pays, que ce soit les langues autochtones ou celles d'autres communautés, mais le Canada qui fêtera sous peu son 150e anniversaire est transformé à jamais et de manière irréversible.

Je crois que nous faisons fausse route, honorables sénateurs, si nous n'intégrons pas dans nos lois et nos actions des stratégies culturelles qui permettent de renforcer nos référents culturels communs et notre identité collective. Cela signifie, en effet, que nous devons avoir le courage, parfois, d'apporter des changements à certains de nos symboles pour qu'ils soient encore plus forts, plus signifiants et plus mobilisateurs.

À celles et ceux qui disent que ce changement ouvre la porte à d'autres changements, je dis que vous avez sans doute raison. Cela dit, nous ne pouvons pas prévoir ce que les générations futures voudront faire, mais nous pouvons certainement agir sur notre époque, en sachant que nos enfants et petits-enfants auront la sagesse de faire leurs propres choix.

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