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Le Code canadien du travail

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Suspension du débat

14 février 2017


L’honorable Sénateur Tony Dean :

Honorables sénateurs, je souhaite intervenir aujourd'hui dans le débat sur le projet de loi C-4, qui, à mon sens, propose une approche juste et équilibrée à l'égard des relations de travail au Canada en abrogeant les dispositions mises en place par deux projets de loi d'initiative parlementaire adoptés au cours de la dernière législature, dont nous connaissons bien les numéros maintenant : le projet de loi C-525 et le projet de loi C-377.

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J'avais été préoccupé par ces projets de loi lorsqu'ils avaient été présentés et adoptés, et je suis donc heureux d'avoir l'occasion de les réexaminer maintenant.

Comme vous le savez, le projet de loi C-525 a retiré la capacité des travailleurs de se syndiquer lorsque 50 p. 100 des employés signent une carte d'adhésion au syndicat, en exigeant plutôt la tenue d'un vote dans tous les cas, ce qui rend plus difficile le fait d'accréditer les syndicats.

Le projet de loi C-377 a imposé des exigences de déclaration publique excessives aux syndicats en ce qui concerne les salaires, les dépenses de plus de 5000 $ — en demandant notamment la divulgation du nom et de l'adresse de toute personne dont le syndicat achète des produits — et les dépenses relatives aux activités syndicales et aux activités politiques.

Je tiens à faire valoir plusieurs points sur l'incidence de ces deux projets de loi, tant en ce qui concerne le processus qu'en ce qui concerne le contenu des modifications. J'ai trouvé intéressant d'entendre les antécédents de la sénatrice Bellemare. Voici les miens.

Mon point de vue s'appuie sur 33 ans d'expérience dans le domaine des relations de travail et des politiques en matière d'emploi et de travail d'un côté comme de l'autre, comme représentant syndical, cadre supérieur, gestionnaire responsable de la politique du travail du secteur public, sous-ministre du Travail et, plus récemment, comme médiateur dans des conflits de travail majeurs du secteur public. Mon premier point est le suivant : le Canada dispose de lois sur le travail et l'emploi pour remédier à l'inégalité des pouvoirs entre les employeurs et les employés en milieu de travail. Cela a été reconnu par la Cour suprême du Canada.

Il en est ainsi en politique du travail, quel que soit le domaine. Il ne s'agit pas seulement des relations de travail. C'est aussi le cas des normes du travail et de la législation régissant la santé et la sécurité dans le milieu de travail.

C'est pourquoi nous avons des lois sur le travail. Elles contribuent à remédier aux inégalités en milieu de travail.

La réglementation des relations entre employeurs et employés a été peaufinée au cours des décennies, et la consultation et la recherche de consensus ont toujours été des éléments importants. Ce fut le cas lors de l'examen des lois fédérales du travail effectué en 1995 par Andrew Sims et lors de l'examen de 2010 du Comité consultatif d'experts de la santé et de la sécurité au travail de l'Ontario, que j'ai eu le privilège de présider.

Dans le cadre de l'examen du comité d'experts, les employeurs, les syndicats et les experts universitaires sont arrivés à un consensus, et tous les partis de l'Assemblée législative de l'Ontario ont ensuite appuyé le projet de loi qui a découlé de l'examen.

Les personnes qui ont une grande expérience des relations de travail dans la fonction publique ont des points de vue communs à cet égard. George Smith a passé 37 ans à négocier du côté de l'employeur dans le secteur public fédéral et il est maintenant professeur auxiliaire à l'école de relations industrielles et de commerce de l'Université Queen's. À l'étape de l'étude au comité du projet de loi C-525, M. Smith a dit aux députés que celui-ci allait à l'encontre des décennies de réformes fondées sur la consultation et le consensus et appuyées par les gouvernements libéraux et conservateurs qui reconnaissent le monde complexe des relations de travail.

Le fait est que, dans l'élaboration de ces deux projets de loi d'initiative parlementaire des conservateurs, aucun effort n'a été déployé pour consulter les principaux intervenants des milieux de travail ou pour arriver à un quelconque consensus entre des intérêts manifestement divergents.

Mon second point découle du principal déséquilibre des pouvoirs dans les milieux de travail, déséquilibre entre les employeurs et les employés. Dans les régimes de relations de travail, particulièrement les processus visant l'accréditation syndicale, le déséquilibre des pouvoirs est très évident.

C'est particulièrement vrai là où les votes obligatoires aux fins de l'accréditation sont nécessaires, puisque ceux-ci se tiennent souvent dans les locaux de l'employeur. L'employeur peut donc y participer activement et l'intimidation est souvent masquée sous forme de divulgation d'information.

Autrement dit, les lieux de travail n'offrent pas un terrain neutre pour la discussion et la prise de décisions quant aux droits en milieu de travail. Pas du tout.

Ne vous y trompez pas. Lorsque les employeurs décident d'intervenir dans ces processus, ils le font d'une manière hautement sophistiquée et parfois brutale, avec l'appui de cabinets d'avocats spécialisés et de groupes de lobbyistes bien financés, comprenant quelques organisations américaines qui défendent les lois dites du droit au travail.

Certains employeurs opposés à la représentation syndicale iront très loin pour influencer une campagne d'accréditation, n'hésitant pas à menacer et à intimider leurs employés et à brandir le spectre des pertes d'emplois et des fermetures d'usines.

Plus les travailleurs sont vulnérables, moins ils ont de choix, moins ils sont mobiles et plus l'intervention de l'employeur aura d'effets, touchant justement les travailleurs qui peuvent le plus bénéficier de la négociation collective.

D'après mon expérience, les employeurs qui agissent de cette manière sont également susceptibles de fonctionner à la limite des normes d'emploi et des lois sur la santé et la sécurité au travail. Les choses ne s'arrêtent pas aux lois sur les relations de travail.

Toutefois, même de grands employeurs canadiens auraient adopté des comportements inacceptables, selon les témoins qui ont comparu devant le comité lors de l'étude du projet de loi C-525.

Plus les systèmes de vote obligatoire sont complexes, plus ils prennent de temps et plus l'employeur a d'occasions d'intervenir à chaque étape du processus. En fait, cela semble avoir été délibérément inclus dans le projet de loi C-525, qui impose qu'une majorité d'employés membres de l'unité de négociation vote en faveur de l'accréditation, par opposition à une simple majorité de ceux qui choisissent de voter. Un récent processus d'accréditation mené dans une grande compagnie aérienne, qui a échoué parce que l'employeur est intervenu pour contester le soutien des employés, a été cité comme victime possible du projet de loi C-525.

De nombreux observateurs ont remarqué que, même si ces projets de loi d'initiative parlementaire étaient présentés par leurs parrains comme étant nécessaires pour protéger les travailleurs contre les syndicats, ils étaient probablement conçus pour favoriser l'employeur lors des campagnes d'accréditation.

En fait, il est exceptionnel qu'on entende les principaux partisans de ces projets de loi parler en faveur des droits des employés dans le cadre de l'étude de ces mesures.

Je vais signaler certaines choses évidentes. Les partisans de ces mesures ont peut-être appuyé les projets de loi C-525 et C-377, mais on ne les entendra pas prendre la parole pour appuyer un relèvement du salaire minimum. On ne les entendra pas se prononcer en faveur du renforcement des lois sur les normes du travail. On ne les verra pas défendre les lois sur la santé et la sécurité au travail. Cela est vraiment très rare.

Le témoignage du Congrès du travail du Canada tend à appuyer ce point de vue. Contrairement à l'impression créée par les partisans du projet de loi C-525 au sujet de l'intimidation des travailleurs par le syndicat lors de la présentation des demandes d'accréditation, les rapports du Conseil canadien des relations de travail montrent que la plupart des cas d'intimidation de travailleurs au cours des campagnes d'accréditation sont attribuables aux employeurs.

Quoi qu'il en soit, cela ne signifie pas qu'il n'arrive pas aux syndicats de mal agir. De toute façon, en vertu des lois existantes, si le Conseil des relations de travail trouve des preuves de coercition syndicale, il a le pouvoir d'ordonner un vote officiel d'accréditation. Le projet de loi C-4 rétablira cette disposition.

Je vais maintenant passer brièvement au projet de loi C-377, qui faisait pendant au projet de loi C-525. Cette mesure législative aussi était présentée comme moyen de défendre la démocratie en milieu de travail et de protéger les travailleurs. Le projet de loi ne se fondait ni sur des recherches ni sur des consultations, et aucun effort n'avait été fait pour en arriver à un degré quelconque de consensus.

Contrairement à ce qu'il en est dans le cas du projet de loi C-525, il y avait là une question qui méritait de recevoir une réponse au sujet du degré et de la nature des renseignements d'ordre financier à communiquer couramment aux membres des syndicats. Cette question a été soulevée ici il y a quelques minutes, mais je m'attends à ce que certains syndicats se montrent plus proactifs que d'autres à cet égard.

Le problème est que, de toute évidence, cette question n'a pas fait l'objet de recherches. En fait, il est douteux que cet effort ait été vraiment conçu dans l'intérêt des travailleurs plutôt que comme moyen de lancer une attaque idéologique contre les dirigeants syndicaux dont nous avons tant entendu parler en 2015 et avant.

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Le projet de loi C-377 établit des exigences tellement rigoureuses et prescrit des formes de rapports financiers telles que certains étaient d'avis que le gouvernement et les syndicats auraient à débourser des dizaines de millions de dollars pour assurer et vérifier la conformité à un processus inutilement lourd. Certains ont affirmé que le projet de loi C-377 a entraîné un gaspillage de l'argent des contribuables et des cotisations syndicales, et qu'il a ajouté sans nécessité beaucoup trop de tracasseries administratives.

Cela nous amène à nous demander pourquoi le projet de loi exigeait des syndicats de communiquer beaucoup plus de renseignements financiers qu'on n'en demande aux sociétés et aux œuvres de bienfaisance auxquelles les syndicats étaient comparés par les partisans du projet de loi.

Les projets de loi C-525 et C-377 ne se fondaient pas sur de vastes considérations de politique, sur des consultations ou sur des efforts quelconques visant à former un consensus dans un domaine du droit et de la réglementation qui, depuis des décennies, fait l'objet de mesures soigneuses tendant à réaliser l'équilibre entre les droits et les responsabilités.

Le lien entre les projets de loi — car, ne vous y trompez pas, ils vont de pair — était qu'ils visaient tous deux à réduire la viabilité de syndicats légalement constitués dans le secteur public fédéral canadien.

Chers collègues, nous admettons tous que l'élaboration et l'adoption de ces projets de loi constituaient à ce moment un choix politique légitime du gouvernement d'alors, un choix que nous devons certainement respecter. Toutefois, il est courant que les politiques à fondement idéologique établies sans la participation active de ceux qu'elles touchent soient continuellement contestées par ceux qui ont été exclus. Nous avons affaire à un cas de ce genre.

Pour toutes ces raisons, j'appuie l'objet du projet de loi C-4 qui vise à abroger les changements apportés par les projets de loi C-525 et C-377 et, ce faisant, à rétablir un plus grand équilibre dans les codes fédéraux du travail au Canada.

Sur le plan de la politique publique et dans l'intérêt de relations de travail harmonieuses, je crois que c'est la bonne chose à faire. Honorables sénateurs, si le projet de loi C-4 ne nous avait pas été renvoyé par l'autre endroit, je suis persuadé que la question aurait été soulevée à juste titre au Sénat, probablement par moi-même ou par d'autres. Je vous remercie.

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