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Droits de la personne

Motion tendant à autoriser le comité à étudier la stérilisation forcée ou contrainte des personnes --Suite du débat

17 mars 2021


Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de la motion que j’ai présentée le 19 novembre 2020. Cette motion autoriserait le Comité sénatorial permanent des droits de la personne à étudier la stérilisation forcée des femmes autochtones au Canada.

Je vais revenir brièvement sur les grandes lignes de mon intervention de novembre, puis je raconterai au Sénat l’histoire de femmes qui ont été stérilisées sans leur consentement, car leur histoire doit être entendue et leur vécu et leur sagesse doivent éclairer nos actions.

Cette pratique atroce a touché et continue de toucher de nombreuses générations de femmes et de filles autochtones. Ce n’est pas un problème du passé. Tragiquement, il se produit toujours à l’heure où l’on se parle, des cas ayant été rapportés publiquement en 2018.

Cette épidémie ne se limite pas aux femmes et aux filles autochtones. Nous avons également entendu des histoires de femmes noires, de personnes handicapées et de personnes intersexuées qui ont été stérilisées sans leur consentement.

L’étude que je propose permettrait au comité d’entendre des témoignages d’experts qui ont été témoins de cette pratique. La diversité des voix permettra au comité d’élaborer des recommandations pratiques et de prendre des mesures concrètes pour mettre fin à cette pratique odieuse.

Même si le gouvernement a reconnu que cette pratique a lieu et qu’il s’est engagé à y mettre fin, des femmes autochtones sont forcées, encore de nos jours, de subir une ligature des trompes. Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne et le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes ont tous les deux conclu qu’il était nécessaire d’intensifier la recherche et la collecte de données pour comprendre toute la portée de ce problème et ainsi prendre des mesures concrètes dans ce dossier.

Les comités en question ne sont pas les seuls à demander que d’autres enquêtes soient menées. En effet, en décembre 2018, le Comité contre la torture des Nations unies a exhorté le Canada à réaliser une enquête impartiale sur toutes les allégations et à mettre en place des politiques visant à empêcher une telle pratique. Deux ans se sont écoulés depuis que les Nations unies ont formulé leurs recommandations, et le gouvernement n’a toujours pas lancé d’enquête.

Je vais maintenant vous parler des femmes qui subissent ce calvaire et vous expliquer comment le gouvernement les laisse tomber.

Le cabinet d’avocats Semaganis Worme Lombard est à la tête d’un recours collectif en Saskatchewan concernant la stérilisation forcée et contrainte de plus d’une centaine de femmes autochtones. Ce recours collectif a fait ressortir des histoires troublantes de femmes qu’on empêchait de voir leur nouveau-né tant qu’elles n’étaient pas stérilisées, qui se faisaient harceler pour qu’elles remplissent un formulaire de consentement pendant ou immédiatement après leur accouchement et qu’on signalait au personnel de l’hôpital, qui leur demandait alors si elles voulaient d’autres enfants sans qu’elles sachent que leur réponse pourrait entraîner leur stérilisation. Ce sont des histoires épouvantables de chirurgies pratiquées sans consentement, et ce ne sont pas des cas isolés.

Honorables sénateurs, certaines de ces femmes veulent vous faire connaître leurs expériences. Bien que ces histoires puissent être choquantes pour certains, pour ceux d’entre nous qui ont été victimes de racisme dans le système de santé canadien, ces histoires ne sont que trop familières. Ces survivantes veulent que vous sachiez ce qui leur est arrivé, et nous devons tous les écouter.

S.A.T. est une femme crie qui, après avoir donné naissance à son sixième enfant, s’est vu présenter un formulaire de consentement pour sa stérilisation. Après avoir lu ce formulaire, elle a entendu son mari s’exclamer, et je cite : « Je ne signerai pas ce [censuré] document ». Elle a été emmenée en fauteuil roulant dans la salle d’opération malgré ses protestations. Elle a essayé d’en ressortir et de s’échapper, mais le médecin l’a ramenée dans la salle. Elle a crié à plusieurs reprises, en pleurant, qu’elle ne voulait pas de cette opération, alors que des infirmières la tenaient et lui administraient une péridurale. En salle d’opération, elle n’a pas arrêté de demander au médecin si c’était déjà fait. Il a répondu : « Oui, c’est coupé, attaché et brûlé. Il n’y a rien qui puisse passer à travers cela. »

S.A.T, à qui on a récemment demandé ce qu’elle pensait de cette étude, avait ceci à dire :

La stérilisation forcée a traumatisé d’innombrables femmes autochtones partout au pays. Je vis avec ce traumatisme tous les jours. J’ai vraiment peur du système de soins de santé et je ne lui fais absolument pas confiance. Le gouvernement fédéral et les autorités de santé doivent enfin rendre des comptes pour ce qu’ils ont fait. Ensuite, ce qu’il faudra faire, c’est protéger les générations futures.

Voici encore un exemple. Une autre femme autochtone a déclaré ce qui suit :

Durant mon accouchement spontané, je me rappelle qu’on m’a demandé si je voulais me faire ligaturer les trompes puisqu’il y avait eu une annulation de chirurgie. J’ai eu des contractions pendant deux jours avant d’aller à l’hôpital. Il est bien connu que la privation de sommeil fait perdre à une personne ses facultés et que des décisions susceptibles de changer sa vie ne devraient pas être prises quand elle est dans cet état. Pourtant, moins de deux heures après mon accouchement, j’étais dans une salle d’opération en train de me faire stériliser.

Ces expériences troublantes montrent l’importance cruciale d’établir d’importantes sauvegardes pour les procédures de stérilisation et témoignent directement de la nécessité d’une reddition de comptes et d’une cohérence accrues en ce qui concerne le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, d’une personne à une procédure pouvant changer sa vie.

Seules les femmes ayant connu les affres du racisme et, en l’occurrence, s’étant fait couper, sectionner ou brûler les trompes de Fallope peuvent nous éclairer et nous guider sur la démarche à suivre. En l’absence de l’expérience qu’elles ont vécue et de leur voix, nous risquerions de répéter les erreurs passées et de concevoir des solutions qui n’ont aucune chance de fonctionner.

En conclusion, j’aimerais vous raconter une autre histoire. Une femme anishinaabe m’a conté la stérilisation qu’elle a subie de force quand elle n’avait que 18 ans.

Comment pouvais-je me battre contre ces gens qui avaient déjà décidé que ma vie était sans intérêt et, en plus, que la vie de l’enfant que j’attendais était sans intérêt? À tel point qu’ils m’ont contrainte et ont aussi jugé que mon droit de porter la vie était sans intérêt. Ils m’ont rabaissée et, qui plus est, ils m’ont enlevé toute possibilité de jamais me prévaloir de mon droit fondamental de porter la vie à nouveau. Ce système s’est fait mon juge, jury et bourreau. Pire encore, il s’est fait ceux de l’enfant que je portais.

Depuis que je suis devenue sénatrice, mon bureau a pris la forme d’un carrefour pour les femmes stérilisées à la recherche d’aide et de conseils. J’ai dénoncé la stérilisation forcée et contrainte de ces femmes, et chaque fois que des personnes en apprennent l’existence, elles sont à juste titre choquées et horrifiées. Le personnel de mon bureau a travaillé avec des organismes communautaires, le milieu médical et de la santé, des groupes nationaux et internationaux de défense des droits de la personne, des barreaux et des universités pour faire de la sensibilisation. De nombreuses personnes à qui j’ai parlé n’arrivent pas à croire que cela se produise encore en 2021.

Je sais que bon nombre des personnes présentes dans cette Chambre ont été et sont toujours troublées d’entendre parler de cette pratique et d’apprendre qu’elle existe toujours. J’ai consacré une grande partie de ma vie professionnelle à réparer cette horrible injustice, et maintenant, j’ai besoin de votre aide.

Honorables collègues, il y a des moments où il faut tirer des leçons, faire preuve de compassion et agir. J’espère que vous appuierez ma motion pour que cette question soit étudiée au Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Nos enfants et nos petits-enfants comptent sur nous pour agir. Meegwetch. Marsee. Merci.

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