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Projet de loi sur une approche axée sur la santé en matière de consommation de substances

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat

25 mai 2021


L’honorable Gwen Boniface [ + ]

Propose que le projet de loi S-229, Loi concernant une stratégie nationale de décriminalisation des substances illégales et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et d’autres lois en conséquence, soit lu pour la deuxième fois.

J’interviens aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture de la Loi concernant une stratégie nationale de décriminalisation des substances illégales et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et d’autres lois en conséquence, plus simplement intitulée Loi sur une approche axée sur la santé en matière de consommation de substances. Ce projet de loi m’est extrêmement important. En tant qu’ancienne policière de première ligne, j’ai été directement témoin des conséquences souvent tragiques de la consommation de substances. Un rapport sur la question a été publié récemment par l’Association canadienne des chefs de police, un groupe qu’on ne s’attendrait pas normalement à voir appuyer un tel projet de loi. Je soutiens que la criminalisation actuelle des drogues, communément appelée la guerre contre les drogues, s’est révélée inefficace. Opérer une transition vers une approche axée sur la santé est bénéfique non seulement pour les personnes qui consomment des substances, mais aussi pour la police, le système judiciaire, les services de santé et les services sociaux.

Le Canada n’est pas à l’abri des drogues et de la consommation de substances. À l’heure actuelle, nous sommes dépassés par une épidémie de surdoses, en grande partie causée par la présence de fentanyl et de carfentanil dans les drogues vendues dans les rues au Canada. Ces opiacés synthétiques et toxiques se sont infiltrés non seulement dans les grands centres urbains, mais aussi dans les villages, y compris les communautés autochtones et rurales. Vers la fin de l’an dernier, j’ai parlé avec Matt Ingrouille, un ancien officier qui a servi 14 ans au sein du service de police de Saskatoon, au sujet de son expérience à travailler dans la rue auprès de consommateurs de drogues. Il a dit :

Le bas de l’échelle du commerce de la drogue est un endroit violent et désespéré [...] Le fentanyl, qui était initialement utilisé pour couper l’héroïne, est maintenant devenu la drogue de choix pour plusieurs. En 2018, la crise des opiacés a entraîné un décès toutes les deux heures au Canada; en 2019, 3 823 décès ont été enregistrés [...] Chacun de ces décès a causé de la douleur et des souffrances pour les familles canadiennes en plus d’accaparer les ressources des premiers intervenants.

Les données de 2019 de Statistique Canada confirment ce que l’officier Ingrouille observe à Saskatoon. Parmi toutes les drogues, le taux de possession de méthamphétamine au Canada est de 29 pour 100 000 habitants. Ce taux de prévalence n’est dépassé que par celui de l’importation et exportation de cannabis, qui demeure une infraction au Canada après la légalisation. Les services de police du Canada ont indiqué que la consommation illégale de méthamphétamine est un problème croissant et qu’elle pourrait contribuer à l’augmentation d’autres types de crimes, notamment les crimes violents et les crimes contre les biens.

La Colombie-Britannique, qui demeure un carrefour de la toxicomanie au Canada, a obtenu en 2020 son plus grand nombre de demandes de services médicaux pour surdoses à ce jour. Elle a reçu 27 067 appels, soit une moyenne de 74 appels par jour ou d’un appel toutes les 20 minutes. En 2020 en Colombie-Britannique, il est survenu 1 724 décès présumés attribuables à des drogues illicites. En 2021, on a recensé 174 décès en janvier seulement, et 155 en février. Quatre régions sanitaires sur cinq ont constaté une augmentation des surdoses, et les appels pour surdose ont grimpé dramatiquement dans les régions rurales de cette province. Ce problème n’est pas exclusif aux grandes villes. Prenons Fort Nelson, par exemple. Cette ville a reçu 20 appels liés à des surdoses. Bien qu’il puisse s’agir d’un petit nombre, la population de Fort Nelson est de 3 700 personnes. Avec 20 appels, on arrive à une hausse de 233 % par rapport à 2019. Pour bien illustrer la situation, signalons qu’en 2020, les surdoses ont causé presque 500 décès de plus que la COVID-19 en Colombie-Britannique.

De janvier 2016 à septembre 2020, près de 20 000 décès ont été causés par une surdose apparente au Canada. Selon les statistiques du gouvernement du Canada, il y a eu plus de 1 628 décès par surdose apparente en un seul trimestre, d’avril à juin 2020. Il s’agit d’une hausse de 58 % comparativement au premier trimestre de 2020 et d’une hausse de 54 % comparativement à la même période en 2019. Les appels à l’aide se multiplient partout.

Il est évident que le Canada est aux prises avec un problème de consommation et de surdoses. La politique actuelle, qui criminalise les consommateurs de drogue, a peu de pouvoir dissuasif. D’après des statistiques, en 2017, 30 % des infractions liées aux drogues au Canada concernaient la possession de substances autres que le cannabis. Cela correspond à près d’un tiers de toutes les arrestations concernant des substances. Selon Statistique Canada, de 2010 à 2019, le nombre d’incidents et d’accusations liés à la possession a augmenté chaque année pour la plupart des drogues. La cocaïne et l’ecstasy font exception, mais dans l’ensemble, les incidents et les accusations sont à la hausse.

Ce que j’essaie de démontrer à mes honorables collègues, c’est que les cas de toxicomanie et de surdoses augmentent rapidement et dangereusement, tout comme le nombre d’arrestations et de mises en accusation. Si la criminalisation était la solution à la toxicomanie, j’estime que nous aurions au moins constaté une diminution des cas de consommation et de surdose. Or, cela ne correspond tout simplement pas à la réalité. Nous devons envisager une autre façon d’aider ceux aux prises avec des problèmes de consommation et de dépendance. C’est, je l’espère, ce que permettra le projet de loi.

Le projet de loi S-229 aura deux conséquences : il enjoindra le gouvernement de mettre en place une stratégie nationale de décriminalisation de la possession de substances illégales pour usage personnel et fera de cette décriminalisation une réalité en abrogeant certaines dispositions de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, dont l’application est fédérale.

Une stratégie nationale donnerait aux gouvernements les outils dont ils ont besoin pour discuter de cet enjeu complexe. De nombreux facteurs doivent être pris en considération lorsqu’on propose de modifier une politique aussi cruciale et d’une portée aussi vaste que celle dont nous sommes saisis aujourd’hui. L’idée de décriminaliser la possession de substances illégales pour usage personnel exigerait, sur le plan constitutionnel, de consulter les provinces et les territoires puisque ce sont les administrateurs de la santé. Il est cependant nécessaire de tenir compte également de la sécurité publique et de l’aspect judiciaire au moment d’examiner tous les facteurs pertinents. La décriminalisation implique de nombreux établissements; il faut donc faire appel au leadership et à l’expertise de tous les ordres de gouvernement.

En plus du gouvernement, le milieu de la santé, les forces de l’ordre, les Autochtones — un groupe essentiel —, les associations et les organismes provinciaux et nationaux, les organismes réglementaires concernés, les toxicomanes, et cetera auront tous un point de vue pertinent à présenter pour rendre la stratégie aussi complète et globale que possible. Des consultations seront requises pour l’élaboration de la meilleure stratégie possible et le projet de loi en exige la tenue.

Le projet de loi présente de nombreux éléments qui contribueront à l’établissement d’une stratégie nationale, par exemple, l’établissement d’objectifs nationaux précis en vue d’améliorer la santé des personnes atteintes de troubles liés à la consommation de substances, la modification des services sanitaires et sociaux afin d’en accroître l’accès et la disponibilité, et la définition du rôle des intervenants du système de santé, des services sociaux, des services de police et des autres intéressés concernant le régime de décriminalisation. Le projet de loi indique également qu’il faut envisager l’établissement d’un régime de sanctions administratives. Cela ne signifie pas nécessairement qu’il faut créer un tel régime, simplement qu’il convient d’étudier cette possibilité pour en vérifier l’utilité dans le contexte canadien. Si cette mesure est jugée inapplicable, le gouvernement concerné pourra l’omettre. Cette liste n’est pas exhaustive non plus et les discussions pourront également porter sur d’autres questions pertinentes qui n’ont pas été prévues dans le projet de loi.

Une fois qu’une stratégie nationale aura été conçue, un rapport devra être déposé devant chaque Chambre du Parlement et publié sur le site Web du ministère de la Santé.

La seconde partie de ce projet de loi décriminalisera véritablement la possession de substances illégales pour usage personnel. Ce n’est pas la première fois que nous employons le mot « décriminalisation ». Permettez-moi de vous expliquer ce qu’il signifie et ce qu’il ne signifie pas. Un rapport de 2014 de la Global Commission on Drug Policy définit la décriminalisation ainsi :

Utilisé le plus souvent en référence à l’abolition ou la non-application de peines criminelles habituellement infligées pour la consommation ou la possession de drogues, ou la possession d’un attirail de consommation, à des fins personnelles [...]

Donc, des sanctions existent toujours, mais pas des sanctions pénales. La décriminalisation peut être soit de facto, c’est-à-dire informelle et non législative — une approche actuellement étudiée à Vancouver —, ou de jure, c’est-à-dire reflétée dans les politiques ou les lois officielles.

L’article 4 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances serait abrogé. Cet article de la loi énonce les infractions et les peines pour la possession de substances illégales. L’abrogation de cet article éliminerait également les peines criminelles associées à ce comportement. Ce projet de loi adopte une approche de jure, ou reflétée dans les politiques officielles, à l’égard de la décriminalisation. Je signale toutefois que d’autres sanctions associées aux substances illégales, telles que le trafic, demeureraient en place et inchangées.

Un aspect important du projet de loi S-229 se trouve dans la disposition sur l’« entrée en vigueur » qui se fait en deux parties. La partie relative à la stratégie nationale commence à la sanction royale, mais la partie relative à la décriminalisation proprement dite entre en vigueur à une date qui sera fixée par décret du gouverneur en conseil. Il y a une raison très particulière à cela, et on l’explique le mieux dans le rapport de juillet 2020 de l’Association canadienne des chefs de police sur la décriminalisation. On peut y lire ce qui suit :

Dans le contexte canadien, il sera essentiel que les centres de traitement soient établis et opérationnels avant la décriminalisation et qu’ils aient la capacité d’accueillir les personnes redirigées par la police […]

La stratégie nationale doit être prise en considération et achevée avant la décriminalisation de la possession de substances illégales à des fins de consommation personnelle. Sinon, nous mettrions la charrue devant les bœufs. Si tous les ordres de gouvernement ne disposent pas du temps nécessaire pour mettre en place les mesures de soutien appropriées, la décriminalisation des substances illégales créera un scénario dans lequel les premiers intervenants, qui sont habituellement des policiers, n’auront aucun centre de traitement où rediriger les personnes ayant besoin de soutien et exacerbera plutôt les problèmes auxquels ils sont actuellement confrontés. Des mesures de soutien doivent être en place avant la décriminalisation si nous voulons obtenir des résultats positifs.

Honorables sénateurs, maintenant que j’ai expliqué ce que fait le projet de loi, et en gardant à l’esprit les statistiques dont j’ai parlé tout à l’heure au sujet de la situation du Canada, je vais vous dire pourquoi j’estime que le projet de loi est nécessaire. Depuis plus d’un siècle, le Canada maintient le statu quo : il incrimine les gens qui consomment des drogues. Il ne s’agit pas seulement d’une réalité canadienne. La criminalisation n’a pas non plus permis de freiner la consommation de drogues dans les pays comparables.

Criminaliser la possession de drogue pour usage personnel stigmatise et marginalise la consommation de drogue, ceux qui en consomment et les collectivités où ils vivent. J’en parlerai davantage plus tard. À cause de cette mesure, les gens, notamment de nombreux jeunes, se retrouvent avec un casier judiciaire, ce qui peut ensuite les empêcher d’étudier ou de se trouver un emploi, et, par conséquent, accroît leur vulnérabilité aux problèmes sociaux, sanitaires et économiques. Ils tombent dans un cercle vicieux. Cette mesure dissuade aussi ceux qui consomment de la drogue de se prévaloir des services de santé et des services sociaux qui leur sont offerts et qui visent à les aider. Ils craignent des poursuites criminelles seulement pour tenter d’obtenir de l’aide. La criminalisation accroît la vulnérabilité des gens à la criminalité, à la violence et aux risques pour la santé. Plus important encore, il s’avère que la criminalisation n’a aucun effet dissuasif. Il suffit d’examiner les statistiques.

Le système judiciaire est engorgé et lent en partie à cause des poursuites pour des infractions non violentes liées aux drogues. La criminalisation fait augmenter les coûts dans tout le système de justice pénale parce qu’il faut consacrer les ressources nécessaires aux forces de l’ordre, au système judiciaire et aux établissements correctionnels seulement pour respecter la norme actuelle. Par conséquent, il manque de ressources pour les approches de santé publique et de développement social. La criminalisation contribue aussi à la propagation d’infections comme le VIH et l’hépatite C en raison de pratiques d’injection non sécuritaires, comme la réutilisation ou le partage d’aiguilles dans des lieux insalubres.

C’est dû en grande partie à la consommation visible de drogue dans les rues des villes, et c’est ce que beaucoup de gens imaginent lorsqu’on aborde le sujet des drogues illégales. Les gens que l’on voit aux coins des rues sont parmi les plus vulnérables, mais ils ne représentent pas la majorité des toxicomanes ni même des personnes qui décèdent par surdose. Selon un rapport de novembre 2019 de Santé publique Ontario — la province où je vis — plus de 75 % des personnes ayant fait une surdose se trouvaient dans des résidences privées. Voilà ce que fait ressortir la pandémie.

Les consommateurs de substances illicites sont des personnes de toutes races et origines ethniques, d’une diversité de genres et de statuts socioéconomiques. Afin d’obtenir des résultats, les services de santé doivent être prêts à prendre en charge les personnes de tous les milieux, que celles-ci leur soient envoyées par les services d’urgence ou qu’elles s’adressent elles-mêmes à eux pour obtenir de l’aide.

Aborder la consommation de drogues comme un problème de santé serait utile pour atténuer la crise à laquelle nous sommes confrontés au Canada ainsi que la consommation de drogues en général. La décriminalisation permet de faire quelques pas dans cette direction, mais pas en l’absence de mesures de soutien et de traitements appropriés. J’espère que la stratégie nationale abordera ces mesures de soutien afin de trouver une voie à suivre de manière globale et holistique.

Honorables sénateurs, beaucoup de données probantes recueillies au Canada et à l’échelle internationale montrent que les tactiques actuelles, fondées sur l’interdiction de la possession et de l’usage personnel de drogues et l’imposition de sanctions criminelles à ce chapitre, sont inefficaces. La décriminalisation est la voie recommandée par des intervenants et des organismes du monde entier, dont l’Organisation mondiale de la santé, l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, le Conseil des chefs de secrétariat des organismes des Nations unies pour la coordination, la Commission mondiale sur la politique des drogues et la Drug Policy Alliance aux États-Unis, pour n’en nommer que quelques-uns.

Au Canada, ce même changement est demandé par l’Association canadienne de santé publique, l’Association canadienne pour la santé mentale, l’Association des infirmières et infirmiers du Canada, la Coalition canadienne des politiques sur les drogues et, récemment, l’Association canadienne des chefs de police. Je n’en nomme que quelques-uns, encore une fois.

Le Comité de la santé de la Chambre des communes a fait la recommandation suivante dans le rapport intitulé Répercussions de l’abus de méthamphétamine au Canada :

Que le gouvernement du Canada travaille avec les provinces, les territoires, les municipalités, les communautés autochtones et les organismes d’application de la loi afin de décriminaliser la possession simple de petites quantités de substances illicites.

Cette recommandation correspond exactement à la stratégie nationale que j’ai à l’esprit et qui doit faire partie du projet de loi actuel, mais avec des consultations plus vastes que celles qui sont énumérées dans la recommandation. Comme nous l’avons déjà mentionné, de nombreuses questions gravitant autour de la décriminalisation font partie intégrante d’un système de santé efficace et empreint de compassion. La collaboration avec les provinces, les territoires et les autres acteurs du milieu devrait faire partie de la mise en œuvre d’une stratégie nationale.

De nombreux éléments doivent être considérés lorsqu’un aborde la question de la toxicomanie en suivant une approche sanitaire. On trouve déjà des centres de consommation supervisée dans de nombreuses villes canadiennes, et des données nous indiquent que la présence de ces centres a des effets bénéfiques, notamment la réduction du nombre de surdoses fatales, la diminution des pratiques à haut risque lorsque les gens s’injectent de la drogue ainsi que l’utilisation accrue des services sanitaires et sociaux, y compris les traitements contre la toxicomanie pour les personnes marginalisées.

Il est vrai toutefois que les constats ne sont pas tous favorables. On note une augmentation des déchets jonchant le sol et une diminution de la clientèle des entreprises locales. Chaque fois qu’on cherche à établir un nouveau centre de consommation supervisé, il faut se battre pour lui trouver un emplacement, quels que soient les avantages pour ceux qui ont besoin des services offerts et qui, grâce à eux, ont parfois la vie sauve.

Par exemple, à Barrie, en Ontario, tout près de mon lieu de résidence, un groupe de chefs d’entreprise de la ville ont soulevé des préoccupations sur les centres de consommation supervisée dans le centre-ville. C’est une ville où le nombre de cas de surdose traités par les services de santé est huit fois plus élevé que dans le reste de l’Ontario, mais c’est une importante discussion à amorcer. C’est toujours une question d’équilibre. Les points de vue sur l’utilisation de ces centres varient selon la collectivité concernée et son degré de tolérance à l’égard de la toxicomanie et des surdoses, mais les effets positifs sur les consommateurs de drogues sont indéniables.

Il y a une autre option axée sur la santé qui pourrait — et devrait — être prise en compte dans la stratégie nationale : l’accès accru à des drogues sûres. Le fentanyl et le carfentanil ont un effet dévastateur sur les drogues vendues dans la rue, tandis que les additifs et les contaminants y sont présents depuis longtemps. L’introduction du fentanyl et du carfentanil dans le marché canadien a rendu mortelles les drogues de rue traditionnelles et a fait augmenter le risque de surdose. En ce qui concerne l’augmentation du risque de surdose, les services du coroner de la Colombie-Britannique rapportent que les opioïdes ordinaires sont maintenant contaminés avec des benzodiazépines, comme le Valium ou le Xanax. Bien qu’il soit possible d’annuler les effets d’une surdose d’opioïdes avec du naloxone, le naloxone ne peut pas annuler les effets d’une surdose de benzodiazépines. Résultat : le naloxone ne prévient pas les morts par surdose. Le gendarme Ingrouille, mentionné plus tôt, signale un autre problème lié à l’afflux du fentanyl dans la société :

Lorsque le fentanyl est arrivé sur le marché, le Canada a été témoin d’une baisse marquée du prix des méthamphétamines. La drogue qui, en raison de son prix relativement élevé, était autrefois consommée par un petit groupe de consommateurs a connu une baisse de prix renversante. Ce qui coûtait jadis 30 $ coûte seulement 5 $ désormais. La baisse marquée du prix montre que l’offre de méthamphétamine au Canada est liée à l’offre de fentanyl [...] La méthamphétamine à 5 $, ça veut dire que chaque consommateur peut se permettre d’être trafiquant. La dépendance à la méthamphétamine se répand comme une MTS partout au pays.

Le fentanyl et le carfentanil ont engendré une situation dans laquelle la drogue qui se vend dans les rues est plus toxique, ce qui entraîne un nombre accru de surdoses tout en faisant baisser le prix des drogues qui contiennent ces opiacés synthétiques, les rendant ainsi plus faciles à obtenir et à revendre.

Que pouvons-nous faire pour lutter contre cette tendance?

Rendre plus sûr l’approvisionnement en drogues réduit les risques de surdoses, puisque les produits sont plus « propres », pour ainsi dire. Il est beaucoup plus facile d’administrer la dose appropriée si la substance est réglementée et si on sait ce qu’elle contient et, surtout, ce qu’elle ne contient pas. Un approvisionnement sûr peut signifier un traitement avec des médicaments de qualité pharmaceutique ou une réduction des effets nocifs avec des solutions de rechange à qualité contrôlée. Cependant, pour obtenir la réduction des effets nocifs recherchée, l’approvisionnement sûr doit être à la fois accessible et souple. Les options de distribution pourraient comprendre des cliniques mobiles, des centres de consommation supervisée ou des centres de santé communautaires. Voici ce que l’agent Ingrouille affirme à propos de l’approvisionnement sûr :

Une fois que les toxicomanes n’auront plus besoin du marché criminel pour se procurer leurs substances, il y aura une baisse importante des crimes connexes. Nos prisons débordent de personnes nées dans des situations traumatisantes qui développent des problèmes de toxicomanie. Or, le crime constitue leur seul moyen de financer leur toxicomanie, et cette criminalité accable les services de police partout au pays.

Ainsi, non seulement un approvisionnement sûr de drogues est requis pour prévenir les décès par surdose, mais il a également le potentiel de prévenir les crimes connexes à la toxicomanie, comme les vols et les introductions par effraction.

Un approvisionnement sûr en drogues suppose un approvisionnement sûr en seringues. Un approvisionnement sûr en seringues diminuerait la réutilisation et le partage et pourrait contribuer à réduire les cas d’hépatite C, de VIH et d’autres infections et virus transmissibles par le sang.

La vérification des drogues est un processus qui est utilisé à grande échelle en Europe depuis plus de 25 ans. Il s’agit d’analyser les drogues dans le but de réduire le risque de contamination par des substances dangereuses comme le fentanyl. Bien qu’il n’y ait pas eu beaucoup de recherches sur les résultats sanitaires de la vérification des drogues, certaines données laissent croire que le processus peut être une composante d’une stratégie globale de réduction des risques. La vérification des drogues aide en diminuant la présence de drogues contaminées dans une collectivité, en contribuant à surveiller l’approvisionnement local en drogues pour contribuer aux initiatives de santé publique et en fournissant des occasions d’intervention, d’éducation et d’aiguillage vers des services au besoin.

On trouve d’autres stratégies créatives de réduction des méfaits au niveau municipal ou communautaire. Par exemple, Abbotsford, en Colombie-Britannique, a déployé une stratégie appelée Project Angel. Cette stratégie fait le pont entre les personnes qui consomment des drogues, qui présentent des problèmes de santé mentale, qui vivent dans l’itinérance ou qui éprouvent des problèmes connexes et les importants soutiens et services offerts. Ce programme a été créé par le Service de police d’Abbotsford et des personnes ayant des antécédents de consommation de drogue. Essentiellement, n’importe qui peut aiguiller une personne vers Project Angel, et alors ces excellentes personnes vont les jumeler à un préposé au soutien qui va les aider, quels que soient leurs besoins. Il peut s’agir d’une conversation autour d’un café ou d’une liaison avec un programme de traitement.

Selon le chef du Service de police d’Abbotsford, Mike Serr, de nombreux crimes perpétrés dans la collectivité sont simplement des crimes de survie commis par des récidivistes. Par exemple, une personne dont la dépendance aux drogues coûte 100 $ par jour a besoin de voler des biens d’une valeur d’au moins 1 000 $. Le chef Serr a déclaré : « Si nous pouvons empêcher 10 personnes de faire cela, ce serait un changement important. » La stratégie Project Angel est l’une des façons de déjudiciariser le problème.

Les sénateurs savent peut-être également qu’il existe des programmes communautaires à Ottawa. La capitale nationale n’est pas à l’abri de la toxicomanie. Ottawa Inner City Health, situé dans le marché By, à quelques coins de rue de l’édifice du Sénat, offre de nombreux programmes aux personnes les plus vulnérables de la ville, notamment celles qui ont des problèmes de santé mentale, qui sont itinérantes ou qui sont atteintes de troubles liés à la toxicomanie.

Cet organisme, dirigé par le Dr Jeff Turnbull, constate que le fait de traiter la consommation de drogue au moyen d’approches sanitaires et de traiter les gens avec dignité mène à des résultats positifs. En 2017, l’organisme a lancé le premier centre d’injection supervisée d’Ottawa, aujourd’hui l’un des plus importants au Canada avec 100 000 visites la première année. Selon le Dr Turnbull, il y a environ cinq surdoses par jour, mais aucun décès n’est survenu à la suite d’une surdose.

L’organisme offre également un programme de résidences supervisées pour les consommateurs d’opioïdes, une première au Canada. Le programme compte 25 participants dépendants à l’héroïne à qui on a offert un logement dans Hintonburg, à l’ouest du centre-ville, ainsi qu’un approvisionnement en héroïne de qualité pharmaceutique, appelée hydromorphone. Un an après la mise en œuvre de ce programme, aucune surdose et aucun décès n’ont été rapportés au sein de ce groupe vulnérable.

Toutes ces approches sanitaires ne peuvent fonctionner en vases clos; elles doivent être interreliées si l’on veut réduire les méfaits et les décès liés à la consommation de drogue. Or, pour que ces solutions de traitement un peu controversées puissent être envisagées partout au Canada, il faut que la perception qu’a la population de la consommation de drogue change.

L’approche actuelle consistant à criminaliser les consommateurs a clairement conduit à un effet de stigmatisation et de marginalisation. De plus en plus, ces personnes sont mises à l’écart, car toute tentative de leur part de consulter ou d’améliorer leur vie se heurte à la résistance de nombreux secteurs de la société. Elles craignent même de demander de l’aide. L’équipe de coordination de la mise en œuvre de la Position commune du système des Nations unies sur les questions liées à la drogue a déclaré dans son rapport de 2019 :

La criminalisation de la consommation de drogues à des fins autres que médicales et scientifiques peut [...] accroître la stigmatisation et la discrimination et ainsi dissuader les personnes concernées de solliciter des services de traitement et de réhabilitation, les rendant ainsi plus vulnérables à la violence et aux abus de la part d’organismes privés et publics.

Par ailleurs, selon un rapport de la Johns Hopkins – Lancet Commission on Drug Policy and Health :

Non seulement les lois punitives éloignent [les consommateurs de drogues] des services de santé, mais elles peuvent également contribuer à un traitement stigmatisant ou irrespectueux à leur endroit dans les services de santé.

Si le système actuel de criminalisation des toxicomanes suscite leur stigmatisation et les éloigne des services de santé, il est clair que nous avons un problème de perception des drogues. Le fait que cette stigmatisation soit ancrée en nous depuis des décennies n’arrange rien. La consommation de drogues a été présentée comme un problème moral, éthique et sociétal et s’est perpétuée depuis la création de la Loi sur l’opium et les drogues narcotiques de 1911.

Honorables sénateurs, si le statu quo concernant la criminalisation est maintenu au Canada, c’est en partie parce qu’on a l’impression que la consommation de drogues est nuisible sur les plans judiciaire, moral et social. Si nous voulons adopter une approche sanitaire à l’égard de la toxicomanie, nous devons nous éloigner de la terminologie erronée et condescendante qui l’entoure.

C’est pourquoi, dans le projet de loi S-229, on a sciemment choisi le mot « illégales » au lieu d’utiliser le terme « illicites ». Le mot « illicites » laisse entendre que la consommation de drogues est interdite, non seulement par la loi, mais aussi sur les plans moral et social ainsi que sur le plan des principes. On nuirait au projet de loi en disant que la toxicomanie doit être traitée avec une approche axée sur la santé tout en insinuant par les mots utilisés que c’est toujours moralement ou socialement inacceptable. Pour changer les perceptions, il faut parfois changer la terminologie afin de rendre un sujet plus acceptable et de dissiper les idées fausses. Le terme « illégales », qui est plus approprié, indique que la consommation de drogue est seulement interdite ou inacceptable au titre de la loi. Il se pourrait que j’utilise encore la mauvaise terminologie à l’occasion, mais j’essaie de faire un effort conscient pour normaliser le mot « illégales » au lieu du mot « illicites ».

Il ne sera pas facile de changer les perceptions au sujet de la consommation de drogues. L’approche « ni vu ni connu » ou « le bonheur est dans l’ignorance » est profondément ancrée dans la société. Il faudra des acteurs politiques et une position audacieuse pour faire avancer ce dossier, que la prochaine génération pourra reprendre afin de le mener à bien.

Un rapport de 2014 de l’Association canadienne de santé publique corrobore cette affirmation. Dans ses recherches, l’association a constaté ce qui suit :

[...] en Suisse, la perception des jeunes face à l’accoutumance aux opioïdes est passée d’un acte de rébellion à une maladie nécessitant une substitution et un traitement, et ce, grâce à l’adoption d’une politique liée aux drogues axée sur la santé publique.

Un grand pas en avant pour changer les perceptions entourant la consommation et l’abus de drogues serait de décriminaliser les substances illégales et de fournir des options de traitement axées sur la santé. Cette mesure deviendrait de plus en plus normale au fur et à mesure qu’elle serait appliquée et elle modifierait les mentalités des générations futures.

Avec l’avancement de la décriminalisation, les consommateurs de drogues craindraient moins les sanctions pénales et pourraient chercher à obtenir le soutien en santé dont ils ont besoin, soit par eux-mêmes, soit par des mesures de déjudiciarisation, s’ils ont affaire à la police ou à d’autres premiers intervenants. Cela permettrait ainsi de réduire certains des préjugés entourant la consommation de drogues. La décriminalisation est probablement l’initiative la plus importante pour changer les mentalités.

Honorables sénateurs, la consommation de drogues et la façon de gérer la situation sont des problèmes avec lesquels de nombreux pays sont aux prises, et le Canada peut apprendre de leurs expériences. D’autres pays ont agi rapidement et efficacement. Le Canada pourrait s’inspirer de leur expérience et de leurs pratiques exemplaires.

Le Portugal a procédé à une réforme législative en 2001 pour décriminaliser la possession pour usage personnel, et ce, pour toutes les drogues. Le Portugal est un exemple à suivre, puisqu’il aborde la question de la consommation de substances sous l’angle de la santé. Il a établi une commission de dissuasion qui a pour tâche de mettre en œuvre le modèle de décriminalisation et d’imposer des sanctions administratives, bien qu’elle préfère opter pour d’autres solutions, par exemple offrir un aiguillage volontaire vers des traitements, la réduction des méfaits ou d’autres services de santé ou services sociaux. Quand une personne est en possession d’une substance, il revient aux policiers de déterminer s’il s’agit d’une possession pour usage personnel, qu’on définit généralement comme la quantité prévue pour 10 jours. S’ils considèrent qu’il s’agit bien de substances pour usage personnel, les policiers renvoient la personne à la commission de dissuasion. Si la quantité détenue dépasse le seuil prévu pour 10 jours, une poursuite pénale est lancée. Les tribunaux peuvent toutefois tenir compte de la situation de la personne et d’autres facteurs pour déterminer si les substances étaient, en fait, destinées à un usage personnel.

Au Portugal, cette réforme législative était accompagnée d’investissements considérables dans la réduction des méfaits, les traitements et la prévention. Grâce à ces investissements, le Portugal a vu baisser le nombre de surdoses, la transmission de virus et d’infections transmises par le sang et l’encombrement des prisons. En parallèle, l’accès aux traitements s’est amélioré, et les forces de l’ordre peuvent se concentrer davantage sur le crime organisé et le trafic de substances.

En 1999, avant la décriminalisation, il y a eu au Portugal 369 décès par surdose, 907 nouveaux cas de VIH causés par des injections, et 3 863 personnes incarcérées pour des infractions liées aux drogues. En 2016, 17 ans plus tard, le Portugal a enregistré 30 décès par surdose, 18 nouveaux cas de VIH causés par l’injection de drogues et 1 140 personnes incarcérées pour une infraction liée à la drogue. Certes, la décriminalisation n’explique pas à elle seule l’ampleur de ces réductions, celles-ci sont suffisamment marquées pour montrer que la décriminalisation a eu un effet au Portugal.

Le régime de décriminalisation en Suisse existe depuis 2013. Si on est trouvé en possession de drogues autres que le cannabis par la police, les pénalités administratives peuvent inclure une amende, une confiscation du permis de conduire, un traitement volontaire ou, dans le cas d’un mineur, un cours. Il est intéressant de souligner que cela s’applique aussi au fait de fournir de la drogue sans qu’il y ait de gain financier, comme lorsqu’on la partage avec un ami. En Suisse, il n’existe pas de seuil en deçà duquel la police peut déterminer qu’il s’agit de possession à des fins de consommation personnelle. Chaque cas est évalué individuellement et c’est ce qui distingue ce modèle de celui du Portugal.

En République tchèque, c’est aussi la police qui décide d’entamer des procédures au criminel ou d’imposer des sanctions administratives. La police ne fait pas qu’évaluer la quantité de drogues que l’on possède. Elle évalue aussi l’intention de la personne. Tout comme au Portugal, la police se concentre davantage sur les crimes plus graves liés aux drogues que sur les personnes qui les consomment. Cela diminue les préjugés, tout en suscitant une plus grande confiance envers les premiers intervenants.

Si nous jetons un coup d’œil à ce qui se passe aux États-Unis, nous voyons qu’en Oregon, la mesure 110, qui décriminalise la possession des drogues, vient d’être adoptée en novembre dernier. L’Oregon est le premier État qui, aux États-Unis, fait le choix de la décriminalisation, et on voit déjà que d’autres États s’apprêtent à suivre son exemple. Ainsi, les projets de loi S1284 et HD3439 ont été déposés respectivement dans l’État de New York et au Massachusetts. De plus, l’État de Washington, la Virginie et la Californie ont manifesté le désir d’opter pour la décriminalisation sous une forme ou une autre. La mesure législative de l’Oregon élimine les sanctions pénales dans les cas de possession d’une drogue pour en faire un usage personnel. Des sanctions administratives leur sont substituées, c’est-à-dire une amende qui peut être au maximum de 100 $ ou encore l’obligation d’obtenir un bilan de santé fourni par un professionnel spécialisé dans le traitement de la toxicomanie.

La mesure 110 va encore plus loin. Elle prévoit l’établissement obligatoire d’au moins un centre de désintoxication dans chaque région délimitée par l’État pour la coordination des services sanitaires. Ces centres se chargent du triage des patients selon leurs besoins urgents, sans frais, et les mettent en relation avec d’autres services. D’où vient l’argent nécessaire? L’Oregon a précédemment légalisé le cannabis et prélève une taxe sur la vente de ce produit. Chaque trimestre, la somme de plus de 11 millions de dollars qui provient de cette taxe est versée au conseil de surveillance et de responsabilisation qui a, lui aussi, été créé par la mesure 110. Ce conseil subventionne les organismes qui établissent les centres, dont l’ouverture doit se faire d’ici le 1er octobre 2021. Il n’existe donc pas encore de données longitudinales à partir desquelles on pourrait tirer des conclusions, mais utiliser les recettes fiscales issues de la vente du cannabis est certainement une idée que les gouvernements du Canada peuvent envisager dans le cadre de notre approche.

Comme vous pouvez le constater, d’autres pays ont déjà adopté une approche de droit ou législative à l’égard de la décriminalisation. De nombreux modèles cités en exemple sont en vigueur depuis un certain temps et peuvent offrir des conseils utiles et des pratiques exemplaires potentielles pour ce que pourrait être le modèle canadien. Devrions-nous utiliser des seuils comme le Portugal et la République tchèque? Le cas échéant, quels devraient être ces seuils? Qui sera le décideur initial? Dans tous les exemples, ce sont les policiers qui établissent les premiers constats, étant donné qu’ils sont les premiers à rencontrer ces personnes. La stratégie nationale comprend deux questions auxquelles il faut réfléchir.

Voici la dernière question qu’on pourrait se poser : la décriminalisation est-elle conforme aux engagements pris par le Canada à l’égard du droit international? Puisque ce projet de loi ne cherche pas à légaliser ces substances à l’heure actuelle, la réponse courte est : oui. Comme plusieurs d’entre nous l’avons appris à l’étude du projet de loi C-45 sur la légalisation du cannabis, durant la 42e législature, le Canada fait partie de trois conventions internationales sur le contrôle des drogues : la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, la Convention sur les substances psychotropes de 1971 et la Convention des Nations unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988.

Certains articles de ces conventions indiquent clairement que la possession et l’usage de drogues doivent être criminalisés à l’échelle nationale. Par exemple, l’article 4 dit :

Les Parties prendront les mesures législatives et administratives qui pourront être nécessaires [...]

c) Sous réserve des dispositions de la présente Convention, pour limiter exclusivement aux fins médicales et scientifiques la production, la fabrication, l’exportation, l’importation, la distribution, le commerce, l’emploi et la détention des stupéfiants.

L’article 33 de la même convention dit simplement : « Les Parties ne permettront pas la détention de stupéfiants sans autorisation légale. » Bien que ces articles aient un caractère absolu, la convention contre le trafic illicite, la plus récente des trois conventions, prévoit, à son article 3, une certaine clémence pour l’usage et la possession. L’article dit :

[...] dans les cas appropriés d’infractions de caractère mineur, les Parties peuvent notamment prévoir, au lieu d’une condamnation ou d’une sanction pénale, des mesures d’éducation, de réadaptation ou de réinsertion sociale, ainsi que, lorsque l’auteur de l’infraction est un toxicomane, des mesures de traitement et de postcure.

Line Beauchesne, professeure de l’Université d’Ottawa, approuve cette interprétation. Dans son mémoire au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international dans le cadre de l’étude de certains éléments du projet de loi C-45, elle déclare :

Si les Conventions obligent à la prohibition, ce sont aux États à décider du niveau plus ou moins sévère de répression. Il est dit que les sanctions pénales doivent être proportionnelles à la gravité de l’infraction, toutefois c’est l’État qui est juge de cette gravité.

Le niveau de gravité doit être établi en fonction des données disponibles. Le fait que, dans leur préambule, autant la Convention unique sur les stupéfiants que la Convention sur les substances psychotropes des Nations unies commencent par la phrase « Les parties, soucieuses de la santé physique et morale de l’humanité [...] » est très révélateur. En ce qui a trait aux questions relatives aux problèmes individuels liés à la consommation de drogue, c’est la santé qui devrait primer. Cela ne vient pas seulement du préambule de la législation internationale en matière de drogue; c’est ce qu’indiquent de façon évidente les données à ce sujet recueillies depuis la création et l’adoption de ces conventions.

Honorables sénateurs, l’objectif est la décriminalisation, pas la légalisation. Par conséquent, le projet de loi S-229 ne placerait pas le Canada en porte-à-faux avec ses obligations internationales en matière de drogue. On reconnaît que la santé était le fondement de la création de ces conventions et on fait explicitement référence à des solutions de rechange aux poursuites pénales pour les affaires de nature mineure, comme la possession à des fins personnelles. L’intention du projet de loi est notamment de faire en sorte que les substances illégales demeurent illégales, mais aussi d’exiger que des solutions plus sûres et plus saines soient offertes à ceux qui en ont besoin.

Honorables sénateurs, avant de conclure, j’aimerais vous lire des manchettes que j’ai trouvées dans les derniers mois. Un article de janvier 2021 s’intitule « Les ambulanciers paramédicaux de la Colombie-Britannique ont répondu en moyenne à un nombre sans précédent de 74 appels pour surdose par jour en 2020, selon les services d’urgence de santé de la Colombie-Britannique ». Un article de CBC s’intitule « Des rangées de croix blanches dans le centre-ville de Sudbury, en Ontario, pour honorer la mémoire des victimes de la crise des opioïdes ».

Un article du Globe and Mail publié en février s’intitule « “J’abandonne. Aidez-moi, s’il vous plaît” : le message bouleversant d’un fils à ses parents révèle la douleur causée par la toxicomanie ». Un article du Toronto Star s’intitule « Le Bureau de santé publique de Toronto révèle un nombre sans précédent de 38 décès liés aux opioïdes en un mois ». Un article du Toronto Star s’intitule « Les préjugés, l’isolement et les services inadéquats seraient responsables du plus haut taux de décès liés aux opioïdes dans le Nord de la Colombie-Britannique ». Un article du Globe and Mail s’intitule « Les opioïdes ont tué mon frère, mais c’est à cause de l’inaction de la société ».

Un article publié par CBC en mars s’intitule « Le nombre de décès liés à une surdose continue d’augmenter au Manitoba, et le gouvernement est de nouveau appelé à intervenir ». Un article du Globe and Mail s’intitule « Le nombre de décès liés aux opioïdes augmente de 59 % en Ontario ». Un article de CBC s’intitule « Les toxicomanes ont besoin de solidarité et de soutien, pas de se faire juger ». Un article du Toronto Star s’intitule « Le mois de février a été le plus meurtrier en Colombie-Britannique au chapitre des décès liés aux surdoses de drogues illicites ».

Un article publié par CBC en avril 2021 s’intitule « Selon le chef de police de Regina, les méfaits se produisent déjà avec l’augmentation des surdoses ». Un article du OrilliaMatters, un journal de ma ville, s’intitule « Toute la collectivité doit participer à la lutte contre l’augmentation du nombre de surdoses ». Un article du Toronto Star s’intitule « La mère d’une victime de surdose met en garde contre la démonisation de la toxicomanie : “Ce n’est pas ce qui fera disparaître la drogue contaminée” ». Un article du Globe and Mail s’intitule « La criminalisation de la dépendance à la drogue est-elle la solution? Non ».

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Sénatrice Boniface, je suis désolée, votre temps de parole est écoulé. Il faut passer au prochain intervenant.

L’honorable Mohamed-Iqbal Ravalia [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-229, Loi concernant une stratégie nationale de décriminalisation des substances illégales et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et d’autres lois en conséquence. Le titre abrégé du projet de loi est Loi sur une approche axée sur la santé en matière de consommation de substances.

Notre approche nationale à l’égard des substances désignées devrait avoir pour principal objectif la santé au lieu des sanctions, et c’est ce qui lui fait défaut. Pendant plus de 35 ans, j’ai pratiqué la médecine familiale en milieu rural dans ma province, Terre-Neuve-et-Labrador, et, à ce titre, je m’en remets toujours instinctivement à une approche axée sur la santé, et mes observations d’aujourd’hui reposeront sur ce principe.

Je tiens d’abord à remercier la sénatrice Boniface des efforts exceptionnels qu’elle a déployés pour défendre cette cause, de nous avoir fait part de ses expériences et de nous avoir communiqué sa sagesse. En tant qu’ancienne commissaire de la Police provinciale de l’Ontario et grâce à son point de vue international, elle est bien placée, plus que la plupart des gens, pour connaître les conséquences souvent tragiques de la toxicomanie et elle reconnaît les iniquités qui découlent trop souvent du fait de traiter comme des criminels ceux qui ont besoin de soins de santé.

Honorables sénateurs, les preuves ne manquent pas : la criminalisation de la dépendance et des substances illégales ne répare pas le tort causé aux personnes et à la société. Comme la sénatrice Boniface l’a si bien expliqué, malgré les efforts constants visant à en criminaliser l’usage personnel, la consommation de drogues illégales se poursuit et prend de l’ampleur. Le nombre de personnes accusées de possession de drogues proscrites, outre celles à base de cocaïne ou d’héroïne, a triplé au Canada au cours de la dernière décennie, alors que le nombre de personnes accusées de possession d’héroïne a quintuplé.

Chacune de ces milliers de mises en accusation a un coût. Elles représentent du temps et de l’argent consacrés aux policiers, aux procureurs de la Couronne et à l’appareil judiciaire — du temps qui pourrait servir à régler d’autres besoins urgents. Le coût de ces mises en accusation se calcule aussi en vies humaines, en familles et communautés bouleversées, ainsi qu’en soins médicaux requis reportés.

En effet, la dure réalité, c’est que tous ces coûts n’achètent pas de solutions. L’incarcération des personnes n’améliore pas leur santé ni ne les libère de leur dépendance. La consommation de drogues illégales se poursuit. Chaque jour, des Canadiens meurent de surdoses qui auraient pu être évitées. On ne peut plus fermer les yeux sur l’augmentation du nombre de décès par surdose au cœur de la pandémie, surtout en Colombie-Britannique et en Ontario.

Le temps est venu pour notre pays de tirer des leçons de l’histoire et de cesser de vouloir résoudre une crise de santé publique au moyen des outils de coercition prévus par le droit pénal. Ne vous méprenez pas, honorables sénateurs : il s’agit là d’une crise de santé publique.

Même si on comprend que nous sommes obnubilés par la pandémie actuelle, comme l’a souligné récemment l’ancien sénateur Hugh Segal dans une lettre d’opinion publiée par OrilliaMatters, « Certains jours, le nombre de décès dus à des surdoses de drogues a dépassé celui des décès combinés causés par la COVID-19 et par des accidents de la route ». Chaque vie perdue est une tragédie; chacune d’elles nous rappelle que nous pouvons faire mieux.

Sur le plan pratique, nous avons besoin d’une autre approche pour maintenir et améliorer la santé des différents groupes de la population, une approche fondée sur les principes d’une politique et d’une pratique qui reposent sur les données probantes, la justice sociale, et la prise en compte des droits de la personne et de l’équité, tout en s’attaquant aux déterminants sous-jacents de la santé.

Honorables sénateurs, il existe un vaste éventail de problèmes liés à la toxicomanie et à la consommation de drogues. Certains patients peuvent recevoir une ordonnance pour des médicaments réglementés pour traiter une maladie ou une blessure, ou pour composer avec le stress lié à un traumatisme. Certaines personnes ont aussi accès à un approvisionnement dangereux ou non réglementé de médicaments par voie illégale. Certains peuvent aussi subir les répercussions négatives de leur utilisation de médicaments et développer une dépendance physique ou psychologique aux médicaments, comme je le sais trop bien.

Les raisons pour lesquelles les gens souffrent de problèmes de toxicomanie sont complexes. Elles peuvent découler de facteurs génétiques, biologiques et sociaux, dont des expériences traumatiques. Cependant, les statistiques montrent que les groupes marginalisés, comme les minorités autochtones et raciales, sont démesurément touchés par les résultats sociaux et de santé négatifs habituellement associés à la toxicomanie. Des facteurs structurels contraignent ces personnes à vivre dans des environnements dangereux et créent des obstacles à l’accès aux soins de santé et aux services sociaux.

À titre d’exemple, on sait, dans le domaine médical, que la criminalisation contribue à la promotion et à l’accélération d’infections telles que le VIH et l’hépatite C. En effet, les conséquences juridiques et la stigmatisation associées à la consommation peuvent pousser les gens à adopter des pratiques dangereuses, par exemple à partager ou à réutiliser des seringues dans des endroits non sécuritaires. Je me suis déjà occupé de patients qui étaient dans cette situation, et je peux vous assurer qu’il s’agit d’un énorme fardeau non seulement pour les patients et leur famille, mais pour l’ensemble de la société. Les données probantes démontrent que la décriminalisation encourage généralement les consommateurs de drogues à les consommer dans des endroits sécuritaires, où ils auront accès à des soins médicaux et à du matériel propre.

Honorables sénateurs, différents ordres de gouvernement prennent des mesures en vue d’atténuer les risques et les méfaits associés à la consommation de substances. À titre d’exemple, nous avons, à Terre-Neuve-et-Labrador, un programme de surveillance des médicaments qui vise à contrer la crise des opioïdes, qui va en s’intensifiant. Ce programme aide les personnes qui prescrivent et préparent des médicaments à prendre des décisions éclairées lorsqu’elles choisissent d’employer un médicament surveillé pour traiter un patient. Grâce au dossier de santé électronique, les personnes qui prescrivent et celles qui préparent les médicaments ont accès à des renseignements exacts et à jour sur les médicaments d’un patient, ce qui les aide à bien répondre à ses besoins. Ce programme permet notamment d’offrir aux patients des soins de meilleure qualité, plus efficients et mieux coordonnés, en plus de donner plus d’assurance aux prescripteurs et aux préparateurs de médicaments. Il empêche le recours à de multiples médecins. Il est conçu pour réduire la mauvaise utilisation des drogues et prévenir ou réduire les hospitalisations et les décès qui y sont liés. Toutes les provinces, mis à part le Québec, ont un programme de surveillance des médicaments.

Sur la côte Ouest, où la Colombie-Britannique a récemment souligné le cinquième anniversaire de l’urgence de santé publique que constituent les décès par opioïdes, le gouvernement provincial a annoncé qu’il demandera officiellement à ce que la province soit la première à décriminaliser la possession simple de drogues illicites. Cela nécessite une exemption de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances à l’échelle de la province, afin d’éliminer les sanctions criminelles pour les personnes qui possèdent de petites quantités de drogues pour usage personnel. Le gouvernement a également annoncé un financement de 45 millions de dollars sur les trois prochaines années pour élargir les services de prévention de surdose comme les centres de consommation supervisée, la fourniture de Naloxone et des équipes d’intervention intégrées.

Les autorités sanitaires locales de Toronto, de Montréal et de Vancouver ont aussi assorti leur stratégie de principes de santé publique. Il y a quelques semaines, le gouvernement fédéral a versé 7,7 millions de dollars à Toronto pour l’aider à lutter contre la crise des opioïdes. Les fonds sont destinés à trois projets qui augmenteront l’accès à des substances plus sûres et offriront de nouvelles options de réduction des méfaits et de traitement aux habitants de la ville qui ont un trouble lié à l’usage d’opioïdes.

Honorables sénateurs, le projet de loi S-229 pourrait bonifier davantage ces mesures et les réunir en un tout cohérent, en créant une stratégie nationale axée sur la santé, l’équité et les principes de réduction des méfaits.

Partout au Canada, plusieurs établissements se sont prononcés fermement en faveur de la décriminalisation et recommandent d’aborder la consommation de substances comme une question de santé et de droits de la personne. La liste de ces établissements est longue. Cela comprend notamment l’Association canadienne de santé publique, l’Association canadienne pour la santé mentale, l’Association des infirmières et infirmiers du Canada et la Coalition canadienne des politiques sur les drogues.

Plus récemment, des institutions qui n’ont pas appuyé la décriminalisation par le passé, comme le Service des poursuites pénales du Canada et l’Association canadienne des chefs de police, ont reconnu l’inefficacité de la criminalisation de la consommation de drogue.

C’est un changement radical auquel font écho plusieurs services et autorités en santé publique ainsi que des groupes locaux, provinciaux et nationaux.

À l’extérieur de nos frontières, nous constatons que plusieurs pays, comme la Suisse, la Norvège, l’Autriche et le Portugal, ainsi que l’État de l’Oregon, ont adopté au moins un volet de l’approche axée sur la santé publique à l’égard de la toxicomanie. Ces changements stratégiques se sont avérés efficaces.

Honorables collègues, avec la pandémie qui creuse les inégalités, il est urgent que le Canada se penche davantage sur un autre modèle qu’il pourrait adopter. Il reste plusieurs questions en suspens qui vont au-delà de la portée de ce projet de loi. La décriminalisation est-elle une option viable pour le Canada? Les différents ordres de gouvernement et les intervenants concernés peuvent-ils s’entendre sur ce qu’on devrait inclure dans la stratégie nationale? Comment assurera-t-on l’évaluation et le suivi des objectifs?

Quoi qu’il en soit, le projet de loi S-229 oblige tous les ordres de gouvernement à examiner comment ils peuvent le mieux établir une approche axée sur la santé pour la toxicomanie. Le gouvernement fédéral disposerait de deux ans pour abroger la criminalité de la possession de stupéfiants à des fins d’usage personnel. La possession simple de certaines catégories de stupéfiants entraînerait des amendes, des ordonnances de traitement ou d’autres mesures correctives.

Chers collègues, nous devons adopter une approche factuelle pour nous attaquer à cette crise de santé publique. Ce projet de loi constitue un pas dans la bonne direction pour créer une vaste stratégie nationale équitable, et surtout efficace, afin de contribuer à réduire les méfaits complexes associés à la toxicomanie.

Autrement dit, la criminalisation ne constitue pas une prescription appropriée.

Merci. Meegwetch.

Honorables sénateurs, je prends la parole à l’appui du projet de loi S-229, Loi concernant une stratégie nationale de décriminalisation des substances illégales et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et d’autres lois en conséquence. Dans sa forme simplifiée, il est également appelé Loi sur une approche axée sur la santé en matière de consommation de substances. En dépit de son long titre, ce projet de loi est essentiel.

J’aimerais remercier la sénatrice Boniface d’avoir pris la décision courageuse et historique de diriger cette assemblée dans la lutte contre un problème socioéconomique aussi urgent. Je suis fière de m’associer à elle et d’appuyer ce projet de loi.

Chers collègues, nous discutons et débattons ensemble de nombreux dossiers, mais je dirai que nous nous attaquons rarement à un problème national aussi grave et immédiat. D’un océan à l’autre, le pays continue d’être en proie à une crise d’usage et d’abus de drogues et de substances illégales. Chaque jour, des gens meurent. Statistiquement, rien que dans la première moitié de 2020, 15 personnes par jour, en moyenne, sont décédées d’une surdose au Canada. Nous n’avons pas encore calculé le plein impact de la pandémie de COVID-19 sur ces chiffres horribles pour le reste de l’année dernière et cette année. Même d’ici la fin de la séance du Sénat, une personne mourra d’une surdose.

Il s’agit d’une tragédie humaine qui laisse dans son sillage chagrin et angoisse pour de trop nombreuses familles canadiennes, ainsi que des traumatismes pour les policiers, les premiers répondants, le personnel hospitalier et bien d’autres.

La Colombie-Britannique, que je suis fière de représenter, est, pour de nombreuses raisons, l’épicentre de cette épidémie, mais la crise a des effets partout au pays, de Vancouver à St. John’s en passant par Toronto, ainsi que dans de nombreuses autres villes et villages; toutes les communautés culturelles sont touchées.

Dans son discours réfléchi, la sénatrice Boniface a méticuleusement décrit les faits terrifiants et les chiffres choquants relatifs à la toxicomanie, surtout en ce qui concerne ma province, alors je ne les répéterai pas.

Les drogues en vogue changent au fil du temps. Présentement, ce sont le fentanyl et le carfentanil qui font les manchettes. Dans le passé, c’était l’héroïne, l’oxycodone, l’OxyContin et la cocaïne. Le problème demeure le même, peu importe de quelle drogue ou de quelle catégorie de drogues on parle. Que pouvons-nous faire dès maintenant pour mettre fin à cette tragédie, puisque l’approche actuelle ne fonctionne pas? Il est urgent de répondre à cette question pressante.

Comme c’est le cas pour la sénatrice Boniface, il s’agit d’un sujet qui me tient à cœur. Avant d’être nommée au Sénat, j’ai fait carrière dans la police et j’ai souvent vu de jeunes vies gâchées par la dépendance. À mon avis, ce n’est pas par hasard que l’Association canadienne des chefs de police s’est jointe à l’Association canadienne de santé publique, à l’Association canadienne pour la santé mentale et à l’Association des infirmières et infirmiers du Canada, pour ne nommer que celles-là, afin de demander une nouvelle approche à cette crise. Le projet de loi S-229 est une solution concrète et sérieuse pour contrer ce nombre inacceptable de décès.

Le problème de la toxicomanie est en soi une interaction complexe entre la dépendance, la maladie mentale, l’itinérance, la pauvreté, le stress familial et bien d’autres facteurs — qui sont tous actuellement exacerbés par la pandémie de COVID-19. Toute solution doit être intégrée et appuyée par une volonté politique confirmée à l’échelle fédérale, provinciale, territoriale et municipale et doit bénéficier de ressources et d’un soutien public suffisants et durables.

Aussi complexe que ce problème soit, l’essence de ce projet de loi est d’une simplicité presque radicale. La clé consiste à décriminaliser la possession simple de drogues illicites. Il s’agit d’un problème de santé plus que d’application de la loi. La solution réside sans équivoque dans une approche axée sur la santé. Par conséquent, nous devons nous concentrer sur le traitement et sur la réduction des méfaits dans l’immédiat, ainsi que sur le logement abordable et les mesures d’aide à la santé mentale, qui se trouvent au centre du défi de santé publique. Les policiers sont équipés pour faire beaucoup de choses afin de remplir leur mission de protection de la sécurité publique, mais ils ne sont pas équipés pour résoudre les dilemmes de santé publique et de santé mentale.

Cela explique la structure du projet de loi S-229. La première partie propose l’élaboration d’une stratégie nationale pour décriminaliser la possession simple de substances illicites. La complexité de ce défi exige une stratégie d’envergure véritablement nationale qui rassemble tous les intervenants, toutes les connaissances des experts et toute l’expertise pour concevoir une solution.

La décriminalisation ne peut pas se faire dans le vide. Il lui faut un plan qui offre des programmes de traitement de la toxicomanie, ainsi que de réduction des méfaits et de l’itinérance. Le projet de loi propose la décriminalisation par l’abrogation de certaines dispositions de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, mais seulement après l’adoption d’une stratégie nationale. Cette souplesse est à la fois réaliste et nécessaire.

À mes yeux, l’itinérance et la toxicomanie sont clairement liées. L’expérience que j’ai acquise en tant que jeune policière est certes personnelle et anecdotique, mais des recherches menées au cours des dernières années ont confirmé ma conclusion à propos de cette tragédie. Le centre de toxicomanie des États-Unis a résumé la solution différemment, comme suit :

Hélas, l’itinérance et la toxicomanie vont de pair. L’itinérance mène souvent à la toxicomanie, et la toxicomanie contribue souvent à l’itinérance.

Au Canada, dans la région du Grand Vancouver, 48 % des itinérants signalaient avoir une dépendance, et ce, déjà en 2005. Je mentionne cela pour souligner le fait que le problème n’est pas nouveau.

Ce lien inextricable entre la toxicomanie et l’itinérance contribue à une catastrophe sociale qui va bien au-delà de la souffrance personnelle tragique : il crée aussi des tensions sociales. En effet, des conflits se produisent lorsque des gens partagent l’espace public, notamment dans des parcs ou ailleurs, avec leurs concitoyens qui vivent dans la rue. En outre, les coûts économiques sont élevés. Il est difficile d’en estimer les répercussions, mais on a avancé que le coût financier de l’itinérance pour les contribuables du Grand Vancouver uniquement s’élevait à 55 000 $ par année par personne itinérante et, globalement, à plus de 200 millions par année. Ces chiffres n’incluent pas l’analyse des décès par surdose.

Il est raisonnable de se demander pourquoi une ancienne commissaire de la Gendarmerie royale du Canada appuierait si vigoureusement un avant-projet de loi visant à décriminaliser la possession de drogues, une mesure présentée par une ancienne commissaire de la Police provinciale de l’Ontario. Je suppose que tous les sénateurs constatent que la soi-disant « guerre contre la drogue » est menée depuis très longtemps dans notre monde et qu’ils en sont aussi arrivés à la conclusion que ce « modèle répressif » ne fonctionne tout simplement pas.

Toutefois, une autre raison repose sur un principe fondamental du maintien de l’ordre dans une société démocratique moderne. Paradoxalement, il faut remonter plus de 100 ans en arrière, quand sir Robert Peel, secrétaire de l’Intérieur, a exposé sa vision des services professionnels de police lorsqu’il a créé la police métropolitaine au Royaume-Uni. En résumé, sa philosophie du maintien de l’ordre soulignait que l’efficacité de la police ne se mesurait pas en fonction du nombre d’arrestations, mais par l’absence de criminalité. Pour prévenir la criminalité, la police doit collaborer avec le public pour appuyer des principes communautaires. Voici ce qui est probablement la plus célèbre citation attribuable à M. Peel : « La police, c’est le public, et le public, c’est la police [...] »

Nos concitoyens qui meurent chaque jour de surdoses de drogue dans des ruelles, qui vivent dans la rue ou qui sont aux prises avec une maladie mentale sont le public. L’efficacité de la police pour lutter contre cette crise ne peut pas se mesurer en fonction du nombre d’arrestations au titre de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ou d’autres lois, mais plutôt en fonction de la réduction du nombre de décès ou de personnes qui se retrouvent malgré elles dans la rue, qui commettent souvent des crimes pour assouvir leur besoin de drogues.

Dans ce contexte, je suis ravie que la sénatrice Boniface ait délibérément choisi d’utiliser le mot « illégal » pour éviter les préjugés démoralisants liés à la dépendance. Si le problème est présenté comme une question de santé publique plutôt qu’une question de criminalité, cela permettra de mieux cibler les efforts communautaires pour concentrer les ressources sur la réduction de la criminalité plutôt que sur l’augmentation des statistiques sur le nombre d’arrestations.

Le projet de loi S-229 nous fournit une feuille de route pour réinventer la solution à la crise mortelle qui sévit actuellement au Canada. Il nous invite à décriminaliser la possession simple de drogues et à renforcer les efforts et les ressources disponibles pour réduire la criminalité et traiter les personnes atteintes de troubles mentaux et les toxicomanes.

La pandémie de COVID-19 a touché le Canada et chacun d’entre nous de bien des façons. Cependant, l’une des statistiques les plus consternantes que la sénatrice Boniface a fournies au Sénat dans son discours est la suivante : selon un rapport de novembre 2019 de Santé publique Ontario, la majorité de surdoses de drogues ont lieu dans des résidences privées. La pandémie a évidemment aggravé la situation. Elle a également mis en lumière un certain nombre de problèmes sociaux et a suscité des appels à des mesures correctives dès que la pandémie de COVID-19 sera maîtrisée. Je soutiens que, de concert avec cette autre épidémie dévastatrice, l’itinérance liée à la drogue et les décès inutiles correspondants font également des ravages au Canada. Le projet de loi S-229 est un appel à des mesures correctives à cet égard.

Dans l’histoire du Canada, il est arrivé à plusieurs reprises qu’on ait cherché, avec succès, à créer une réelle transformation. Ce genre de changement requiert de nouvelles façons de penser et un engagement total à tous les niveaux. L’exemple qui me vient immédiatement à l’esprit est celui de la création de notre système de santé public, dans les années 1960. L’identité canadienne comprend désormais un attachement très répandu envers un système de santé universel et accessible. Le projet de loi S-229 nous donne l’occasion de chercher une fois de plus une véritable transformation et d’abandonner la « guerre contre les drogues », qui est un échec, pour adopter une nouvelle approche audacieuse axée sur la santé afin de sauver des vies. Cette nouvelle approche s’intégrera, elle aussi, à nos façons de faire canadiennes. Merci, meegwetch.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) [ + ]

Votre Honneur, j’aimerais savoir si la sénatrice Busson accepterait de répondre à une question.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Sénatrice Busson, accepteriez-vous de répondre à une question?

Je le ferai avec plaisir, sénateur Plett.

Le sénateur Plett [ + ]

Merci, et merci pour votre discours. J’ai en fait deux questions à vous poser. J’essaie de comprendre le raisonnement qui sous-tend ce projet de loi, et je n’ai pas eu le temps de poser une question à la sénatrice Boniface. Il y a deux choses dont vous avez parlé, et j’essaie de comprendre comment ce projet de loi va les prévenir. Au début de votre discours, vous avez longuement parlé du nombre de décès et du fait que nous voulons les prévenir, et je pense que nous sommes tous d’accord là-dessus, mais je n’arrive pas à comprendre comment le fait de rendre les drogues plus accessibles va prévenir les surdoses. Cela n’a rien à voir avec le caractère légal de la chose. Je suis allé dans votre province et dans votre ville, et j’ai traversé des quartiers horribles. Je ne peux pas comprendre comment la décriminalisation empêchera les décès. Pourriez-vous me donner la version abrégée du raisonnement?

Je vais poser mon autre question tout de suite pour gagner du temps. Vous avez également parlé des préjugés démoralisants associés à la toxicomanie. Qu’elle soit illégale, décriminalisée ou légale, la toxicomanie reste la toxicomanie. Si vous êtes toxicomane, vous l’êtes. Alors comment le projet de loi S-229 prévient-il les préjugés démoralisants qui y sont associés? Voilà mes deux questions, sénatrice Busson. Merci beaucoup.

Merci beaucoup de vos questions, sénateur Plett. Je ne suis pas certaine de pouvoir résoudre le casse-tête de la distinction entre la décriminalisation et la légalisation des drogues, et la manière dont la décriminalisation pourrait contribuer à régler le problème. Toutefois, vous avez mentionné avoir déjà séjourné en Colombie-Britannique. Si on se rend au coin d’Hastings et de Main, on se rend compte qu’en fait, l’approche utilisée à l’heure actuelle exacerbe la situation, parce que les ressources sont absentes ou insuffisantes, ou que très peu de ressources sont disponibles pour répondre au véritable problème, qui est un problème de réduction de la criminalité.

On ne devient pas toxicomane sans raison et, comme vous le savez, bien sûr, le problème devient le mode de vie et l’aide qu’il faut trouver. Le fait d’être arrêté pour possession simple de drogues et se faire placer dans un programme de désintoxication pour deux ou trois semaines ne remédiera en rien au problème. Il faut trouver un nouveau paradigme pour résoudre la situation. Réduire la criminalité et régler le problème de l’itinérance plutôt que de s’attaquer au symptôme de la consommation de drogues est une approche qui, selon moi, est plus à même d’avoir un effet positif sur le mode de vie d’un grand nombre de personnes. Les chiffres ne font qu’empirer.

Comme vous l’avez dit, « la toxicomanie reste la toxicomanie ». Eh bien, la guérison reste la guérison. Si on pouvait utiliser autrement l’argent dépensé pour l’application de la loi et le traitement du problème comme une affaire policière, je crois que nous pourrions traiter la toxicomanie comme une maladie, faire des progrès et améliorer les choses.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Merci, sénatrice Busson. Votre temps de parole est écoulé.

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