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Le Sénat

Motion tendant à adopter l’Énoncé de politique en matière d’environnement et de durabilité--Suite du débat

3 mars 2022


Honorables sénateurs, dans son discours sur la motion no 7, la sénatrice Anderson a donné un témoignage accablant sur l’incidence que les changements climatiques ont sur son territoire. À mes yeux, il s’agit d’un contexte très important dans lequel donner le discours que je m’apprête à prononcer. Je suis ravi de prendre la parole pour proposer que le Sénat du Canada adopte un nouvel énoncé de politique en matière d’environnement et de durabilité. Il s’agit d’un appel à l’action pour notre institution.

Comme vous l’a appris la sénatrice Griffin lors de son excellent discours de mardi soir, l’adoption de cette motion guidera le Sénat dans l’atteinte de la carboneutralité d’ici 2030. Cet objectif ambitieux, mais atteignable, permettra au Sénat de faire preuve de leadership en matière de lutte contre les changements climatiques, de favoriser la reddition de comptes des institutions fédérales et d’acquérir une expérience concrète qui l’éclairera dans son processus législatif en lien avec cette question existentielle.

Chers collègues, je vais expliquer ce qu’on demande exactement au Sénat et pourquoi l’adoption de la motion est nécessaire pour que nous puissions remplir notre rôle parlementaire unique. Je présenterai également une proposition de feuille de route, ou les prochaines étapes, si c’est la volonté du Sénat d’adopter la motion.

Avant de commencer, permettez-moi d’expliquer brièvement comment nous en sommes arrivés à aujourd’hui. En mai dernier, le Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration a, à l’unanimité, autorisé les sénateurs Griffin, Carignan, Anderson et moi à former le Groupe de travail consultatif sur l’environnement et le développement durable.

Selon son ordre de renvoi, le groupe de travail devait examiner la politique environnementale actuelle du Sénat du Canada, qui remonte à 1993, d’en faire rapport, et de recommander des mesures à court, moyen et long termes. Nous avons été reconnaissants de pouvoir relever cet important défi. Les membres du groupe de travail ont rendu un rapport unanime en novembre dernier. Ce rapport, qui contient 11 recommandations, a été rendu public jeudi dernier et est maintenant disponible sur le site Web du comité.

Le rapport et la motion dont nous sommes saisis aujourd’hui sont le fruit d’une consultation menée au sein de notre organisation et au-delà. À ce propos, permettez-moi de souligner les réflexions et les conseils incroyablement judicieux de mes trois collègues du groupe de travail et de leurs infatigables équipes. Beaucoup d’efforts ont été investis dans ce projet, et je leur en suis reconnaissant. Je remercie aussi tous les échelons de l’Administration du Sénat ainsi que les diverses directions; leur aide a été fort précieuse. Je m’en voudrais d’oublier les analystes de la Bibliothèque du Parlement et les spécialistes de Services publics et Approvisionnement Canada.

Avant de conclure, j’aimerais remercier nos greffiers du Sénat pour leur dévouement. Leur savoir inestimable nous aide à retrouver notre chemin dans la jungle des contraintes dans laquelle nous nous retrouvons parfois pour appliquer le Règlement de Sénat. Je remercie également les membres du comité directeur et du Comité de la régie interne qui ont révisé et appuyé la motion que je vous présente aujourd’hui.

Je suis très reconnaissant et honoré de présenter les fruits d’un travail collectif qui est maintenant soumis à la Chambre haute aux fins d’adoption. Le rapport du groupe de travail consultatif présente les justifications sur lesquelles reposent les recommandations visant l’adoption d’un énoncé de politique fondé sur des principes. Cette recommandation a pour but de remplacer la politique sénatoriale de 1993. Nous avons proposé un énoncé de politique plutôt qu’une politique. Cet énoncé de politique ne constitue pas une norme, mais il donne les moyens à chaque direction, sénateur ou membre du personnel de faire leur part pour continuer à atteindre notre but commun de carboneutralité.

Selon nos recherches, aucune autre entité parlementaire canadienne ne s’est dotée d’un tel plan et de telles cibles. Voilà pourquoi il est important pour le Sénat de débattre cette motion et, je l’espère, de l’adopter. Ainsi, le Comité de la régie interne aura les pouvoirs requis pour examiner plus en profondeur la série de recommandations énoncées dans le rapport du groupe de travail consultatif.

Cela vous donne une idée de notre démarche. Voyons maintenant le pourquoi. Depuis l’adoption de la politique environnementale actuelle du Sénat, il y a trois décennies, le Sénat a mis de l’avant diverses initiatives conçues pour réduire l’empreinte écologique de notre institution. À ces efforts s’ajoute le travail que fait le Sénat, en coopération avec Services publics et Approvisionnement Canada, dans le cadre de la vision et du plan à long terme. C’est pourquoi l’une des premières activités du groupe de travail a été d’examiner les gestes qu’a posés le Sénat au fil des ans, afin de recenser les initiatives en matière d’environnement et de durabilité qui sont en cours dans les diverses directions du Sénat.

Le groupe de travail a aussi examiné les politiques et les mesures environnementales adoptées par d’autres administrations, tant au Canada qu’à l’étranger. Il a clairement constaté que le Sénat avait entrepris beaucoup de démarches mais que l’obtention de résultats dépendait d’une multitude de facteurs complexes, surtout en ce qui touche notre capacité de comparer l’empreinte carbone de notre organisation et de la réduire systématiquement, d’une manière efficace et économique.

C’est pour cette raison que nous avons conclu que ce nouvel énoncé de politique devait officialiser une obligation pour le Sénat du Canada, faisant passer de « souhaitable » à « nécessaire » l’atteinte de la durabilité, et engageant cette institution tout entière d’une façon claire et vérifiable.

L’énoncé de politique doit aussi reposer sur des principes visant à guider l’élaboration de politiques précises dans toutes les directions et dans tous les bureaux des sénateurs. Cela permettrait de faire preuve de flexibilité, de créativité et d’inclusivité dans nos efforts de mise en œuvre.

Enfin, nous devons officialiser un cadre de responsabilisation robuste. La politique de 1993 avait une structure de reddition de comptes, mais celle-ci n’a jamais été complètement intégrée à nos activités. Les nouvelles cibles doivent être définies et faire l’objet de rapports réguliers et transparents.

De surcroît, ce qui est devenu évident pour notre groupe de travail, c’est que le Sénat du Canada doit faire preuve de leadership devant cet enjeu existentiel. Pourquoi? Parce que le chemin vers la carboneutralité est très difficile. Si nous n’agissons pas, comment pourrons-nous demander des comptes au gouvernement et à ses représentants? Personne n’aime dire « faites ce que je dis, pas ce que je fais ». Cette approche n’est pas à la hauteur de nos importantes responsabilités. Elle ne nous apporte aucune connaissance ni aucune crédibilité directe, et nous avons besoin de ces dernières pour bien examiner les efforts du gouvernement et lui demander des comptes.

Les changements climatiques constituent une crise intergénérationnelle, et le temps nous est compté pour y remédier. Les enfants et les petits-enfants de notre pays et du monde entier sont maintenant considérés comme une population vulnérable, car nous savons déjà ce qui arrivera à notre planète non seulement si notre génération n’agit pas, mais si elle ne parvient pas aussi à inverser la tendance.

Aucune responsabilité n’est plus importante.

Au début du rapport de novembre 2021 qu’ils ont présenté au Comité de la régie interne, les membres du groupe de travail consultatif, ou GTC, ont fait une déclaration unanime pour faire comprendre la situation. J’aimerais vous la lire maintenant :

Nous subissons de plus en plus les effets dévastateurs du changement climatique. Seulement en 2021, les Canadiens ont vu tour à tour un dôme de chaleur mortel, des feux de forêt catastrophiques et des conditions de sécheresse qui auront mis à l’épreuve la résilience des producteurs de grain et des éleveurs de bétail de l’Ouest, en plus de l’érosion de nos rives et la fonte du pergélisol qui menacent les localités du Nord. Lors des élections de 2021, tous les grands partis politiques fédéraux ont reconnu les risques existentiels causés par le changement climatique. Le Sénat du Canada se doit de montrer l’exemple et de prendre des mesures pour assurer un environnement plus durable, tout en montrant les mesures à prendre pour obliger les autres institutions fédérales à rendre compte de leurs efforts dans ce sens.

Chers collègues, l’année dernière, le commissaire à l’environnement et au développement durable du Bureau du vérificateur général du Canada a publié un rapport intitulé Leçons tirées de la performance du Canada dans le dossier des changements climatiques. Voici la leçon numéro un : « Un leadership et une coordination plus efficaces sont nécessaires pour faire progresser les engagements envers la lutte contre les changements climatiques ». Nous savons tous que sans cela, peu de choses sont accomplies. Dans cette optique, le groupe de travail consultatif a conclu à l’unanimité qu’afin que nous puissions faire notre travail, le Sénat doit démontrer aux Canadiens qu’il est possible de progresser vers la carboneutralité. En outre, comment pourrions-nous assumer nos responsabilités parlementaires sans mieux comprendre les conditions requises pour réaliser de véritables progrès, au lieu de notre malheureuse habitude d’annoncer uniquement nos intentions? Voilà pourquoi le groupe de travail consultatif considère que le Sénat du Canada, à l’instar de toute organisation canadienne, doit devenir une organisation carboneutre.

Je vais souligner trois résultats clés qui découleront de l’adoption de cette motion pour vous donner une idée du travail à faire. Si la motion est adoptée, le Comité de la régie interne examinera plus en profondeur les recommandations du rapport du groupe de travail consultatif, qui, premièrement, obtiendra des avis d’experts; deuxièmement, habilitera les directions du Sénat, les sénateurs et leur personnel; et troisièmement, intégrera un cadre de responsabilisation robuste au sein de la gouvernance du Sénat.

Je vais tout d’abord vous expliquer pourquoi nous devons obtenir une expertise externe. J’ai déjà mentionné que le groupe de travail consultatif de l’environnement et du développement durable a étudié les directions du Sénat. Des idées fabuleuses ont été formulées. Toutefois, le Sénat en tant qu’organisation ne possède pas l’expertise nécessaire pour déterminer quelles sont les mesures qui produiraient les résultats les plus efficaces et les plus rentables. Comme un trop grand nombre d’organisations, le Sénat ne possède pas les outils pour mesurer son empreinte carbone totale et ses sources d’émissions. Nous ne pouvons rien entreprendre sans données.

Je vais vous donner un exemple de situation où les données ont permis de résoudre un cas complexe de coûts-avantages. L’État de la Californie a récemment annoncé son intention de bannir les souffleurs à feuilles à essence parce que les émissions produites par un souffleur en une heure équivalaient aux émissions produites par une Toyota Camry 2017 ayant roulé 1 700 kilomètres. J’ai été estomaqué par ces données.

Le Sénat doit investir dans les coûts initiaux pour obtenir l’aide d’experts qui permettront, premièrement, de mesurer les émissions découlant de ses activités et d’établir des jalons, deuxièmement, de recueillir des observations qui orienteront nos efforts de manière efficace et rentable et, troisièmement, de surveiller et de noter la réduction de nos émissions au fil du temps. Le groupe de travail a conclu que cette méthode produirait le meilleur rendement du capital investi en partant du principe qu’il vaut mieux dépenser intelligemment que beaucoup. Atteindre notre objectif de 2030 simplement en utilisant plus d’argent public est inacceptable aux yeux de tous. Cette approche ne nous aidera pas à démontrer que le Canada peut composer avec la crise des changements climatiques tout en accroissant sa prospérité.

Cette motion demande que le Comité de la régie interne, à titre d’unité de la gestion du Sénat, fasse appel à ses capacités pour obtenir et gérer le soutien d’experts. Nous pouvons aussi apprendre des autres. Nous avons trouvé au moins une assemblée législative provinciale qui poursuit les mêmes objectifs que les nôtres. Il s’agit de l’Assemblée nationale du Québec. Les responsables ont réalisé de grands progrès et je suis certain que nous pouvons tirer beaucoup d’enseignements de leurs efforts. C’est le premier pas que nous devons faire comme institution.

Deuxièmement, le Groupe de travail consultatif a recommandé l’adoption d’une approche qui accorde des responsabilités aux directions du Sénat, aux sénateurs et à leurs employés. Je vais vous faire part d’une observation personnelle. Selon mon expérience, les entreprises à la croissance la plus rapide, celles qui améliorent rapidement et constamment leur productivité, ont une culture qui favorise l’adoption progressive des changements à l’échelle de l’organisation. L’adhésion et la mobilisation des intervenants sont essentielles pour relever les occasions et réussir la mise en œuvre de solutions.

Troisièmement, je tiens à souligner la recommandation du Groupe de travail consultatif sur l’intégration d’un cadre de responsabilité rigoureux dans les structures de gouvernance du Sénat. Le Sénat s’est déjà engagé sur cette voie en établissant le Comité de l’audit et de la surveillance. Nous voulons adopter des normes de transparence et de reddition de comptes de calibre mondial. Nous croyons que nous pouvons y arriver en effectuant l’analyse comparative et le suivi de nos progrès vers la carboneutralité.

Je pense que nous sommes tous conscients que le Sénat ne pourra pas complètement éliminer ses émissions de carbone. En conséquence, nous devons veiller à ce que la réduction des émissions de carbone du Sénat se fasse par les moyens les plus économiques possible. Nous dégagerons ainsi des ressources pour compenser le reste des émissions avec des crédits de carbone.

En terminant, je veux insister sur l’importance d’établir un échéancier ambitieux. Récemment, en partenariat avec la Banque du Canada, le Bureau du surintendant des institutions financières a publié un rapport examinant les risques économiques associés à la transition climatique. Lors de l’étude de cette motion, il fallait tenir compte plus particulièrement d’une conclusion du rapport. Ces deux institutions, dont la responsabilité première est de superviser la stabilité de notre système financier, ont examiné les risques financiers associés à deux méthodes différentes de lutte contre la crise climatique. La Banque du Canada et le Bureau du surintendant des institutions financières ont conclu que si nous tardons à commencer la transition vers la carboneutralité d’ici 2050, cela augmentera considérablement les risques de volatilité des marchés financiers et de l’économie globale. Bref, plus nous tardons à agir, plus le coût économique sera élevé.

En outre, le Bureau du vérificateur général a affirmé que les « changements climatiques constituent une crise intergénérationnelle, et il reste peu de temps pour la résoudre ». Je crois que je suis loin d’être la seule personne à souscrire à ses paroles percutantes. Les générations futures de Canadiens ont besoin que notre génération agisse dès maintenant.

Honorables sénateurs, j’espère que vous suivrez le dernier conseil que nous donne la sénatrice Griffin avant son départ, soit d’appuyer la motion pour que nous puissions l’adopter rapidement et entamer la tâche vitale qui nous attend.

Merci, chers collègues.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Honorables sénateurs, il est maintenant 18 heures. Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement et conformément à l’ordre adopté le 25 novembre 2021, je dois quitter le fauteuil jusqu’à 19 heures, à moins qu’il y ait consentement pour que la séance se poursuive.

Par conséquent, la séance est suspendue jusqu’à 19 heures.

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