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Projet de loi sur la diffusion continue en ligne

Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Débat

2 février 2023


L’honorable René Cormier [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en faveur de l’adoption à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-11, dont le titre abrégé est Loi sur la diffusion continue en ligne. Je tiens à souligner que les terres à partir desquelles je m’adresse à vous font partie du territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe.

L’objectif du projet de loi C-11 est clair, et je crois qu’il est important de le rappeler à cette étape-ci. Il a pour objectif d’inclure les diffuseurs en ligne dans le champ d’application de la Loi sur la radiodiffusion, afin qu’ils contribuent à notre système canadien de radiodiffusion et qu’ils assurent la découvrabilité du contenu canadien.

Bien que cet objectif puisse être résumé simplement, les enjeux complexes qu’il sous-tend vont bien au-delà de ces quelques lignes. En effet, le projet de loi C-11 est l’un des premiers jalons que pose le Canada dans le but d’adapter ses politiques culturelles à l’ère du numérique, et il nous donne un avant-goût du défi d’envergure que cela comporte.

J’aimerais remercier mes collègues du Comité sénatorial permanent du Transport et des Communications d’avoir communiqué leurs points de vue et d’avoir posé des questions tout au long de l’étude. Ce fut un véritable second examen objectif qui nous a permis d’aborder et d’explorer bon nombre des questions qui ont trait à cet important projet de loi et de proposer des amendements très pertinents, sans parler des nombreux témoins qui ont comparu devant le comité et des gens qui ont soumis des mémoires. Leur ferveur et leur engagement à l’égard du projet de loi C-11 témoignent de la vitalité de notre démocratie.

Bien qu’il ne soit pas parfait, le projet de loi C-11 procure des gains importants pour notre écosystème culturel et la société canadienne, le principal étant celui de l’équité qu’il crée entre les entreprises de radiodiffusion canadiennes dites traditionnelles et les entreprises de diffusion en ligne canadiennes et étrangères.

L’autre avancée importante, c’est qu’il actualise la façon dont la diversité canadienne et sa représentativité sont identifiées et prises en compte par le système canadien de radiodiffusion. En corrélation avec cette équité et cette diversité, je parlerai dans cette allocution de certains points techniques du projet de loi qui soutiennent ces deux aspects et je mettrai en relief quelques amendements adoptés par le comité qui permettent de les renforcer.

Pour commencer, le projet de loi modifie la politique en matière de radiodiffusion afin d’inclure dans le système canadien de radiodiffusion les entreprises étrangères, y compris les entreprises en ligne, qui offrent une programmation aux Canadiens et d’exiger de ces entreprises qu’elles contribuent à la mise en œuvre et aux objectifs de la politique du Canada en matière de radiodiffusion.

Plus d’un témoin entendu lors de notre étude s’est dit sceptique quant à l’idée de mettre les entreprises étrangères et canadiennes sur un pied d’égalité en ce qui concerne les contributions au système canadien de radiodiffusion. Des doutes ont aussi été émis au sujet de l’exception qui pourrait permettre d’inclure les médias sociaux dans le système de radiodiffusion.

En réponse à ces doutes, les sénatrices Simons et Miville-Dechêne ont proposé un important amendement. Cela dit, il est important de se rappeler, chers collègues, que la Loi sur la radiodiffusion donne au CRTC un cadre de réglementation et de surveillance de l’industrie et qu’un cadre trop rigide ne permettrait pas d’évoluer en même temps que les nouvelles technologies, par exemple.

Il est également important de se rappeler que le CRTC a le pouvoir de régir les plateformes, pas les personnes.

En outre, l’expertise du CRTC et les consultations qu’il mènera avant la mise en œuvre du projet de loi C-11 lui permettront de moduler les obligations de chaque type d’entreprises. D’ailleurs, pour l’exercice de ses pouvoirs de réglementation et de supervision, le CRTC doit — c’est à l’alinéa 5(2)a)(a.1) :

[...] tenir compte de la nature et de la diversité des services fournis par les entreprises de radiodiffusion, de même que de leur taille, de leur impact sur l’industrie canadienne de création et de production, particulièrement en ce qui concerne l’emploi au Canada et la programmation canadienne, de leur contribution à la mise en œuvre de la politique canadienne de radiodiffusion et de toute autre caractéristique pouvant être pertinente dans les circonstances [...]

En d’autres termes, une petite plateforme en ligne émergente et indépendante ne serait probablement pas soumise à la réglementation, alors qu’une grande plateforme détenant une part importante du marché canadien le serait.

Tout en saluant les avancées considérables de ce projet de loi sur le plan de l’équité, force est de constater que cette équité est bien imparfaite. Les alinéas 3(1)f) et 3(1)f.1), qui traitent de l’utilisation des ressources humaines canadiennes dans la création de la programmation canadienne, imposent un critère moins exigeant pour les entreprises étrangères. Ce sont d’ailleurs les seuls articles où le projet de loi effectue une telle différence de traitement entre ces deux types d’entreprises.

Dans son mémoire et dans son témoignage devant le comité, la Coalition pour la diversité des expressions culturelles, qui représente 50 organisations culturelles de tout le pays, nous a mis en garde sur les dangers du régime à deux vitesses que créent les alinéas 3(1)f) et 3(1)f.1). Ces alinéas envoient au CRTC le message qu’il est acceptable de réduire les exigences d’utilisation des talents canadiens pour les entreprises étrangères, ce qui a pour effet d’amoindrir l’objectif premier du projet de loi.

Cette inquiétude a retenu mon attention tout au long de l’étude au comité, et c’est la raison pour laquelle j’ai présenté un amendement qui offre une solution en uniformisant le critère d’utilisation des ressources humaines, tout en laissant de la latitude au CRTC dans sa mise en œuvre.

Malheureusement, cet amendement n’a pas été retenu par le comité et je ne le représenterai pas à l’étape de la troisième lecture. Cela dit, je souhaite tout de même partager avec vous, chers collègues, cet important élément du projet de loi qui soulève beaucoup d’inquiétude au sein de l’industrie quant à ses possibles répercussions à l’avenir.

Sur une autre note, grâce aux témoignages de l’Union des artistes, de l’Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists et de plusieurs autres, l’étude du comité aura permis de déceler une grave iniquité dans l’article 31.1 du projet de loi, qui rendait la Loi sur le statut de l’artiste inapplicable aux entreprises en ligne. Cette disposition aurait eu un impact désastreux sur les conditions de travail des artistes embauchés par les plateformes de diffusion en ligne et aurait entraîné des conséquences néfastes sur des ententes existantes.

Heureusement, le comité a adopté un amendement pour régulariser le profond déséquilibre qu’aurait provoqué une telle disposition pour les artistes canadiens. Encore une fois, je remercie les sénateurs et sénatrices de m’avoir appuyé lorsque j’ai présenté cet amendement.

Il y a un autre gain important : le projet de loi C-11 actualise la façon dont la diversité canadienne et sa représentativité sont identifiées et prises en compte dans le système canadien de radiodiffusion. Voici quelques exemples.

Comme d’autres collègues l’ont mentionné, le projet de loi reconnaît pour la première fois que la programmation autochtone, reflétant les cultures et les langues autochtones, devra être fournie par des entreprises de radiodiffusion exploitées par des Autochtones. Il s’agit d’un principe inspiré de l’article 16 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Je remercie sincèrement la sénatrice Clement de ses amendements, qui ont permis de bonifier le texte du projet de loi en assurant une meilleure reconnaissance des peuples et des langues autochtones.

Voici un deuxième exemple : la reconnaissance des communautés qui représentent la diversité par leur orientation sexuelle, identité ou expression de genre. En effet, le système de radiodiffusion devra, au moyen de sa programmation et des offres qu’il suscite en matière d’emploi, répondre à leurs besoins et à leurs intérêts et refléter leurs conditions de vie et leurs aspirations.

Voici un autre exemple : la présence de dispositions qui établissent que le système canadien de radiodiffusion doit tenir compte des besoins et intérêts des communautés noires et autres communautés racisées, en soutenant notamment leurs productions.

Enfin, le projet de loi C-11 ajoute d’importantes dispositions en ce qui a trait aux communautés de langue officielle en situation minoritaire. J’applaudis le fait que le CRTC devra désormais consulter les communautés de langue officielle en situation minoritaire lorsqu’il prendra toute décision susceptible d’avoir sur elles un effet préjudiciable, conformément à certains critères énumérés dans la loi.

Cette disposition est capitale pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire, comme l’ont fait valoir devant le comité la Fédération culturelle canadienne-française, l’Alliance des producteurs francophones du Canada, le Quebec English-language Production Council et l’Alliance nationale de l’industrie musicale.

C’est d’ailleurs en écoutant ces témoignages et plusieurs autres, dont celui de Me Monica Auer, directrice générale du Forum for Research and Policy in Communications, que des préoccupations ont ressurgi plus globalement au sein du comité quant aux liens qu’entretient le CRTC avec la société civile et à la transparence liée à l’exercice de ses pouvoirs.

Le comité a pris en considération ce besoin de transparence en adoptant l’amendement que j’ai proposé, qui étend les audiences publiques à la prise d’ordonnances et de règlements du CRTC, sauf s’il est estimé que l’intérêt public ne l’exige pas.

Bien qu’il soit positif, cet amendement est toutefois loin de régler la question. Il faudra trouver à l’avenir de meilleurs processus pour assurer la transparence et la reddition de comptes dans les décisions du CRTC.

Les problèmes associés à la propriété intellectuelle et à la notion de contenu canadien ont été amplement discutés par le comité. Dans sa forme actuelle, la définition de ce qui constitue du contenu canadien a été vertement critiquée par plusieurs, qui y voient un risque pour les investissements étrangers.

Grâce à son expertise dans le domaine de la programmation canadienne, Valerie Creighton, présidente et cheffe de la direction du Fonds des médias du Canada, a dit ceci au comité :

[...] si nous continuons de voir la production étrangère de services comme entièrement canadienne, tous les droits sont détenus par des sociétés étrangères et les revenus appartenant en majorité à cette production sortent du pays. Nos producteurs et créateurs de contenu deviennent une industrie de services pour les sociétés étrangères. Il faut trouver un juste équilibre. Ce ne peut pas être tout un ou tout l’autre.

Pour poursuivre dans la même veine, il faut absolument rappeler que les investissements étrangers ne s’opposent pas à une définition rigoureuse du contenu canadien.

La propriété intellectuelle des créateurs canadiens doit demeurer intacte. Cette notion sera au cœur de l’exercice de définition du contenu canadien, qui prendra la forme d’un règlement, et qui nécessitera un examen aussi soigneux qu’attentif de la part du CRTC.

À ce sujet, nous devrons aussi faire très attention à la directive que le gouverneur en conseil transmettra au CRTC une fois le projet de loi C-11 adopté.

En conclusion, chers collègues, je dirais qu’au-delà des enjeux spécifiques qui ont été soulevés et des amendements qui ont été proposés, l’étude du projet de loi C-11 soulève des questions fondamentales sur notre conception de la culture canadienne et sur le rôle de l’État canadien dans le soutien et la promotion de celle-ci.

Pour certains, les arts et la culture semblent assimilés à de simples produits de consommation. Conséquemment, ils traitent essentiellement la relation entre le citoyen et la culture comme une relation entre un consommateur et un produit. La loi du libre marché est la seule qui semble prévaloir.

Pour d’autres — et j’en fais partie —, les artistes et leurs créations doivent être traités comme des manifestations tangibles d’un dialogue dynamique entre le citoyen et les œuvres, et ce, tant sur nos scènes, musées, librairies et cinémas que sur les plateformes en ligne. C’est surtout avec ce regard que j’ai examiné le projet de loi.

Si nous souhaitons réellement respecter les auditoires, chers collègues, nous devons les encourager à découvrir de nouvelles œuvres. Il est faux de croire qu’en donnant au public uniquement ce qu’il veut, nous atteindrons nos objectifs en matière de politique culturelle. Il y a, en cette matière, un juste équilibre à atteindre.

Devant une œuvre, qu’elle soit offerte en direct, radiodiffusée ou en diffusée en mode virtuel, l’auditoire n’est pas passif; bien au contraire. C’est le début d’un processus citoyen et d’interactions qui participent activement à notre démocratie. Le public a le droit d’avoir accès à de nouvelles œuvres, et l’État canadien a le devoir et la responsabilité de favoriser cette accessibilité.

J’applaudis le succès des créateurs de contenu en ligne qui ont réussi à atteindre leur auditoire, et je les félicite de leur créativité et de leur succès économique. Or, ce n’est pas le cas de tous les créateurs. Le projet de loi C-11 cherche à soutenir encore davantage les créateurs d’ici et la diffusion de leurs œuvres dans l’univers du numérique. Il s’agit d’un pas important pour l’amélioration de nos politiques culturelles.

Si le Canada possède tant d’artistes talentueux aujourd’hui, si leurs œuvres rayonnent sur les scènes nationales et internationales, contribuant à accroître l’impact du Canada dans le monde, ce n’est pas uniquement grâce à leur talent. Les artistes canadiens ont du succès et rayonnent ici et à l’échelle internationale grâce à leur talent, bien sûr, mais aussi grâce au soutien de l’État canadien et à une réglementation qui permet d’encadrer la diffusion et l’accès à leurs œuvres. Ce n’est pas de la censure, ce n’est pas de l’idéologie, c’est du soutien.

Aujourd’hui, grâce au projet de loi C-11, nous reconnaissons et applaudissons la contribution des entreprises de diffusion en ligne étrangères à notre système de radiodiffusion.

Cela dit, ces entreprises qui œuvrent sur notre territoire et qui profitent du talent de nos créateurs canadiens doivent jouer selon nos règles. Il en va de notre souveraineté culturelle.

En d’autres mots, si tu viens sur notre patinoire et si tu embauches nos meilleurs joueurs, comme Gino Odjick, tu joues selon nos règles, point à la ligne.

Chers collègues, permettez-moi de conclure cette allocution en citant une ancienne collègue qui nous a quittés récemment, cette artiste acadienne remarquable que fut Mme Viola Léger. Elle affirmait ce qui suit dans son dernier discours dans cette Chambre, et je cite :

La culture canadienne est le fruit de l’union de cultures et de traditions différentes, aussi riches les unes que les autres. Nos traits distinctifs sont enrichis par la contribution des cultures autochtones et des autres traditions culturelles qui se sont ajoutées graduellement. Notre mode de vie est occidental, nord-américain et à la fois autochtone, ukrainien, pakistanais, sénégalais, acadien, irlandais et autre. [...]

Nous sommes un pays nordique, de froids extrêmes et de plusieurs saisons. Notre milieu intellectuel puise sa force dans l’extraordinaire synergie d’hommes et de femmes venus de partout pour participer au grand projet collectif qu’est le Canada. L’uniformité n’est pas ce qui nous caractérise. Nous sommes la diversité même, mais nous avons en commun notre attachement à nos valeurs, qui sont une importante dimension de notre culture.

C’est bien cela qui m’anime, chers collègues.

Je suis conscient que l’adoption de ce projet de loi n’est que le début d’une conversation que notre Chambre devra poursuivre en matière culturelle, et cela me réjouit grandement. Je nous invite à adopter dès aujourd’hui le projet de loi C-11, afin que les créatrices et créateurs canadiens puissent continuer de rayonner sur nos écrans, et que les plateformes en ligne étrangères qui ont accès à notre territoire soient conscientes de la chance incommensurable qu’elles ont de pouvoir compter sur des artistes canadiens talentueux et travaillants.

Je vous remercie.

Honorables sénateurs, le moins que l’on puisse dire, c’est que cette mesure législative est controversée. J’aimerais commencer sur une note positive en soulignant deux points sur lesquels je crois pouvoir dire, sans me tromper, que nous nous entendons tous : premièrement, la Loi sur la radiodiffusion a désespérément besoin d’être modernisée, et deuxièmement, le Canada possède une riche culture et un incroyable bassin d’artistes qui devraient pouvoir faire connaître leurs talents au monde entier.

Je ne suis pas d’accord avec le gouvernement et certains de mes collègues quant à la façon d’atteindre ces objectifs sans compromettre la notion de choix individuel qui est liée à l’essence même d’Internet.

Dans le monde numérique, les créateurs, les artistes et les consommateurs se heurtent à peu ou pas d’obstacles. C’est ce qui fait le charme de cet univers.

C’est une question de choix. Internet offre aux créateurs et aux consommateurs des possibilités illimités de contact en fonction de leurs choix individuels.

Mieux encore, les choix faits par une personne n’empêchent pas une autre personne de voir le contenu de sa préférence ou de son choix. Le succès d’un créateur ne se fait pas aux dépens d’un autre. Voilà la différence entre Internet et les services de radiodiffusion traditionnels. C’est peut-être ce que nous, les boomers, avons le plus de mal à comprendre et à accepter.

C’est le grand problème de ce texte. Le gouvernement et les bureaucrates qui ont rédigé le projet de loi — et, très franchement, beaucoup d’entre nous dans cette Chambre — continuent de considérer à tort Internet comme une forme de radiodiffusion. C’est loin d’être le cas. Il est impératif, dans le cadre de notre travail ici, que nous saisissions bien les différences.

Dans le cadre de notre étude préalable au comité, Vivek Krishnamurthy, de l’Université d’Ottawa, a dit ceci :

Il y a une limite au spectre [...] accessible à la radiodiffusion linéaire ou à la largeur de bande accessible à une connexion câblée traditionnelle, de sorte que certains types de restrictions en matière de contenu sont plus justifiés lorsqu’il est question de radiodiffusion plutôt que de diffusion sur Internet [...]

Il a ensuite indiqué qu’il n’y a aucune pénurie de spectre dans le monde virtuel, et qu’une personne peut donc voir autant de vidéos de chats qu’elle le veut sur une plateforme sans que cela ait une incidence sur la capacité d’autres personnes de voir également d’autres contenus en ligne.

Contrairement à la radiodiffusion traditionnelle, qui est limitée par le temps et les cases horaires disponibles dans une journée, la diffusion en ligne offre des possibilités de diffusion illimitées, et comme je l’ai dit, lorsqu’une personne a du succès, ce n’est pas aux dépens d’une autre personne, comme dans le cas de la radiodiffusion traditionnelle.

Au lieu de moderniser véritablement la Loi sur la radiodiffusion pour l’adapter aux réalités du monde numérique, ce projet de loi ne tient pas compte des réalités de l’ère numérique et vise à apporter des solutions à des problèmes qui n’existent plus.

Le projet de loi C-11 remet en place des limites et des barrières et perpétue un système de sélection des gagnants et des perdants en dictant, en fonction de facteurs autres que les préférences et les choix individuels des utilisateurs, ce que les Canadiens devraient afficher et ce qu’ils verront. Je ne fais pas fausse route en avançant cette idée; c’est justement l’objectif de ce projet de loi. Ce projet de loi aura une incidence sur ce qui apparaîtra sur les fils des utilisateurs canadiens — de nous tous. C’est le fondement même du projet de loi. Le gouvernement a clairement indiqué que c’était son objectif.

Tous les députés qui se sont prononcés en faveur de ce projet de loi ont reconnu que c’était là son objectif, c’est-à-dire s’assurer que les entreprises en ligne promeuvent et mettent en valeur le contenu en fonction de critères établis par le gouvernement par l’entremise de son organisme de réglementation.

Plutôt que ce soient les consommateurs qui décident de ce qui apparaîtra dans leur fil, ce sera le gouvernement, les bureaucrates du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes et d’autres chiens de garde qui ne veulent pas perdre leur emprise sur le pouvoir de choisir les gagnants et les perdants dans le cadre d’une structure qui, nous l’avons reconnu, est archaïque et défaillante.

Ce faisant, nous prendrons les industries dans lesquelles les créateurs canadiens prospèrent actuellement, et nous les tirerons vers le bas. Pourquoi? Si vous croyez vraiment, chers collègues, comme le sénateur Dawson, que les histoires canadiennes, la culture canadienne, la musique canadienne et les créateurs canadiens ont besoin de l’intervention du gouvernement pour prospérer à l’ère numérique, je dirais que vous n’écoutez pas.

Je comprends la principale raison d’être de ce projet de loi, une réaction instinctive visant à protéger notre souveraineté culturelle et à s’assurer que les sociétés étrangères de diffusion en continu qui fonctionnent comme des radiodiffuseurs et qui tirent des revenus du marché canadien « paient leur juste part ».

Cela peut sembler louable. Le problème c’est que je n’y crois pas. Je ne crois pas que cela soit nécessaire, et je ne crois pas que ce soit là ce qui motive véritablement ce projet de loi.

Pour faire écho aux propos du sénateur Dawson — ou peut-être que c’est l’inverse —, le ministre responsable de ce dossier, Pablo Rodriguez, voudrait nous faire croire que notre industrie cinématographique et télévisuelle perd de l’argent, se privant ainsi d’un manque à gagner imaginaire d’un milliard de dollars. Je dis « imaginaire », chers collègues, car ni le ministre ni son ministère n’ont été en mesure de justifier la provenance de ce chiffre. Il s’agit donc d’un chiffre pour le moins fictif.

Cela n’a pas empêché le parrain du projet de loi, plus tôt cette semaine, de nous livrer sa meilleure imitation d’Oprah Winfrey, en promettant tout et n’importe quoi à tout le monde.

C’est un fait, les radiodiffuseurs conventionnels au Canada voient leurs revenus diminuer et, par conséquent, des organisations comme le Fonds des médias du Canada ne reçoivent plus les mêmes montants qu’auparavant. L’argent se fait rare, chers collègues.

Cependant, l’idée que les diffuseurs étrangers ne paient pas leur juste part est aussi inexacte que le mythe d’une manne miraculeuse de milliards de dollars une fois le projet de loi adopté. L’investissement dans les productions canadiennes, dans la culture canadienne et dans les récits canadiens ne se tarit pas. Au contraire, chers collègues, l’investissement est bien présent. C’est juste qu’il n’emprunte plus le chemin le plus tortueux, le plus long et le plus sinueux. Les mesures de contrôle sont écartées du processus.

Je pourrais dire qu’en supprimant les intermédiaires et les mesures de contrôle qui décident des gagnants et des perdants, les artistes et les créateurs eux-mêmes gagnent plus d’argent. Ce n’est pas une mauvaise chose et ce devrait être notre objectif.

Selon Wendy Noss de l’Association cinématographique du Canada, cette association a dépensé plus de — écoutez bien ce chiffre — 5 milliards de dollars à l’échelle du Canada en 2021 seulement, ce qui représente plus de la moitié de la production au pays et 90 % de la croissance du secteur au cours de la dernière décennie. Cette association a embauché 200 000 des créateurs les plus talentueux du Canada, en plus de les former et de leur procurer des débouchés, et elle a soutenu plus de 47 000 entreprises rien qu’en 2021. Chers collègues, cela dépasse tellement les retombées des sociétés soutenues par l’État comme CBC/Radio-Canada que cela devrait nous faire tous réfléchir.

Notre comité a appris qu’à l’heure actuelle, dans l’industrie cinématographique pancanadienne, il n’y a pas assez de gens pour occuper les emplois. À l’instar de presque tous les autres secteurs, l’industrie cinématographique est aux prises avec une pénurie de main-d’œuvre.

Cependant, malgré les réussites et les retombées économiques impressionnantes de ces entreprises au Canada, le gouvernement leur demande de contribuer davantage à notre système paternaliste qui soutient les entreprises d’ici. Pendant ce temps, les radiodiffuseurs canadiens bénéficient d’avantages et de protections que les diffuseurs étrangers n’auront pas, même s’ils contribuent à la même cagnotte. Peut-on alors parler de règles équitables, chers collègues? Peut-on parler d’une bonne approche législative en matière de radiodiffusion et de communications?

Ce n’est certainement pas l’avis du gouvernement américain, comme l’a expliqué le sénateur Plett plus tôt. En fait, ses inquiétudes au sujet de la mesure législative et du fait qu’elle va à l’encontre de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique sont loin d’être apaisées : elles semblent prendre de l’ampleur. On rapporte que le sujet pourrait même faire l’objet de discussions lors de la première visite officielle du président Biden au Canada. Ce n’est pas un point à négliger, chers collègues. C’est très sérieux.

Si les États-Unis prennent des mesures de représailles contre le Canada, quelles industries en souffriront? Voilà la question. Il ne s’agirait plus seulement de choisir des gagnants et des perdants dans notre secteur culturel; d’autres secteurs de l’économie canadienne seraient aussi touchés.

Alors, comment se fait-il que la définition désuète de ce qu’est le contenu canadien soit aussi problématique?

Contrairement aux radiodiffuseurs conventionnels au Canada, qui ont l’avantage d’utiliser des émissions sportives et d’actualités locales pour satisfaire à leurs exigences minimales de contenu canadien, les diffuseurs en ligne œuvrent à l’échelle mondiale et ils ne peuvent pas faire cela. Parallèlement, ces diffuseurs ne sont pas reconnus pour les investissements qu’ils font dans la production d’histoires canadiennes et dans le soutien aux artistes canadiens, car la propriété intellectuelle est un facteur déterminant des exigences de contenu canadien.

S’il s’agit vraiment pour les diffuseurs étrangers de payer leur juste part et d’investir au Canada l’argent qu’ils gagnent sur le marché canadien, pourquoi les millions de dollars qu’une société de production ou de diffusion étrangère est prête à investir pour raconter une histoire canadienne et employer des artistes, des scénaristes, des acteurs, des producteurs, des monteurs, des cameramen et des techniciens de son canadiens ne sont-ils pas suffisants à moins qu’ils ne cèdent également la propriété du produit?

Au final, n’est-ce pas formidable que des investisseurs étrangers de Californie, de Paris ou de Londres veuillent venir au Canada et investir dans la culture canadienne? N’est-ce pas stimulant? N’est‑ce pas un succès dont nous devons nous inspirer?

C’est sans compter l’argent qu’ils injectent souvent dans l’économie des villes canadiennes. Combien de nos villes et régions du pays ont enregistré des profits directs grâce à l’industrie cinématographique qui est en plein essor? Des documentaires, des films, des productions de toutes sortes se tournent partout au pays. Sans compter les retombées touristiques dues à la visibilité que certaines régions de notre pays obtiennent dans le monde entier.

La question n’est pas de protéger ou de promouvoir la culture et les artistes du Canada, mais plutôt de protéger les grands diffuseurs du pays. Chers collègues, soyons honnêtes : c’est bien de cela qu’il s’agit. Si nous ne l’avons pas encore compris, il est temps de le faire. Il s’agit de protéger le statu quo. Il s’agit des gens qui occupent les grands bureaux chez Bell Média, Rogers et Québecor.

Nous avons adopté au comité un amendement qui vise à moderniser la définition désuète du contenu canadien. L’amendement dit qu’on ne doit pas définir le contenu canadien en fonction d’un seul facteur, comme la propriété intellectuelle. J’encourage fortement le gouvernement à faire ce qui s’impose pour la culture et les récits canadiens en adoptant cet amendement.

Chers collègues, nous avons entendu parler en comité du cas de La servante écarlate, une histoire écrite par une célèbre auteure canadienne, tournée au Canada avec des acteurs et des réalisateurs canadiens et ainsi de suite, qui n’est pas considérée comme étant du contenu canadien. Voyons donc. Une histoire de Margaret Atwood ne serait pas considérée comme étant du contenu canadien? Il faut se mettre à la page.

Cependant, cela nous laisse toujours beaucoup de questions concernant les diffuseurs spécialisés qui offrent exclusivement du contenu étranger, comme BritBox.

On ne sait pas encore avec certitude quelle incidence cette mesure législative aura sur eux et, par le fait même, sur ce que les applications de diffusion en continu offriront aux Canadiens. Est-ce à dire que les diffuseurs comme BritBox n’auront pas le droit d’exercer leurs activités au Canada?

La réponse reste à déterminer, chers collègues, et elle ne sera pas déterminée par nous mais par l’organisme de réglementation, le CRTC. Je ne sais pas ce que vous en pensez mais, personnellement, cela m’inquiète fortement. C’est une chose d’avoir un organisme de réglementation indépendant, mais c’est tout autre chose de lui céder le pouvoir et les responsabilités que nous avons, en tant que parlementaires, en matière d’élaboration des lois. On ne parle pas ici de cadres, comme la sénatrice Simons l’a mentionné hier en réponse à une question que je lui posais. On ne parle pas ici de cadres. Il ne s’agit pas non plus d’une motion. C’est un projet de loi, une mesure législative beaucoup plus lourde de conséquences qu’un cadre.

Je passe maintenant à une autre partie du projet de loi qui me préoccupe grandement. Il s’agit de l’autre volet des raisons invoquées par le gouvernement pour proposer ce projet de loi. Il dit souhaiter éliminer les obstacles auxquels se butent les artistes et les créateurs canadiens sous-représentés et garantir l’accès à ces créateurs. Qui pourrait s’opposer à un tel objectif?

Encore une fois, je ne suis malheureusement pas convaincu que le projet de loi sous sa forme actuelle atteint la cible, et les créateurs non plus. Ce fut on ne peut plus clair tout au long de notre étude en comité. Nous l’avons entendu de la bouche des créateurs des communautés autochtones, noires et de couleur ainsi que des créateurs francophones, qui ont aussi témoigné devant notre comité. Ces créateurs nous ont dit qu’ils ont beaucoup de succès en ligne parce qu’il y existe une liberté qu’aucune chaîne traditionnelle de radio et de télévision n’a jamais pu leur offrir. C’est presque mot pour mot ce que Darcy Michael a déclaré devant le comité. M. Michael, qui se présente comme étant un humoriste britanno-colombien homosexuel qui aime fumer un petit joint, a séduit les membres du comité avec son témoignage livré sur un ton léger, mais empreint de sincérité et de fougue. M. Michael a expliqué à quel point sa situation s’est améliorée grâce au monde virtuel, car il est propriétaire de tout le contenu qu’il crée. C’est tout le contraire pour le contenu qu’il a créé par le passé pour la chaîne de télévision CTV, car elle détient tous les droits.

Les témoins en désaccord avec l’affirmation de M. Michael, qui disent que les créateurs ne réussissent pas mieux dans le monde virtuel, représentent des associations et des lobbys, pas les créateurs. Autrement dit, les gardiens, les intermédiaires, ceux qui se graissent la patte, pas ceux qui produisent le contenu artistique ou culturel, mais bien les gardiens.

Ce qui m’amène au débat qui a eu lieu plus tôt cette semaine à la suite des remarques du sénateur Richard. Je crois effectivement qu’il existe un certain degré de romantisme dans le rôle que ces partisans institutionnels ont joué dans le succès de certains des grands chanteurs, dramaturges et acteurs du Canada. Des sénateurs ont pris la parole au sujet de tel ou tel autre Canadien qui, à ce qu’il paraît, n’aurait jamais connu autant de succès sans l’intervention et les subventions du gouvernement. Ma question est la suivante : combien de Canadiens extraordinaires et talentueux n’ont pas réussi parce qu’un chien de garde, à un moment donné, a décidé pour une raison quelconque qu’ils ne méritaient pas qu’on les aide? On n’a jamais entendu parler de ces histoires de réussite, alors pourquoi voudrait-on conserver un système qui décide des gagnants et des perdants alors que cela n’est plus nécessaire?

Sénatrice Miville-Dechêne, je respecte le fait que les choses sont un peu différentes dans notre province, le Québec. Je comprends les préoccupations que vous soulevez, tout comme j’admire et je respecte votre défense acharnée des artistes québécois. Je pense que vous avez abordé un sujet très important lorsque vous avez parlé du conflit générationnel et de la nostalgie des Québécoises et des Québécois à l’égard du quota de 65 % de musique francophone à la radio québécoise. Je crois sincèrement qu’il s’agit là d’une partie du problème que pose ce projet de loi : il tente de recréer quelque chose qui a fonctionné à l’époque, mais qui ne s’applique plus à l’ère numérique.

Vous parlez des jeunes Québécoises et Québécois qui n’écoutent plus les artistes locaux. Ils n’écoutent peut-être pas ceux et celles que nous connaissons, mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils n’écoutent pas les artistes québécois, simplement parce que cela n’apparaît pas dans notre collection de données préférées. Cela ne tient pas compte non plus de toutes les personnes partout dans le monde, à l’extérieur du Québec et du Canada, qui écoutent maintenant des artistes québécois et francophones canadiens.

Encore une fois, je vous assure et vous répète que je reconnais et respecte ce que vous dites au sujet des chanteuses, des chanteurs, des musiciennes et des musiciens québécois. Je comprends pourquoi l’amendement que vous avez proposé au comité à l’article 4 a du sens dans ce contexte.

En toute honnêteté, je pense que votre amendement est une amélioration, mais je pense aussi que nous aurions pu aller beaucoup plus loin. Et je suis déçu que le Sénat ait rejeté l’amendement du sénateur Plett, présenté plus tôt aujourd’hui — il y a un instant, en fait. Cependant, j’ai soutenu votre amendement au comité et je le soutiens encore aujourd’hui. Ce qui m’inquiète, c’est qu’il laisse encore beaucoup de discrétion au CRTC.

Le problème, c’est que bien que le gouvernement utilise continuellement le slogan « Les plateformes oui, les utilisateurs, non », ce n’est pas comme cela que fonctionne Internet, chers collègues. Les utilisateurs d’une plateforme sont directement affectés par toute réglementation qui s’applique à la plateforme elle-même, en particulier lorsqu’il s’agit de quelque chose comme la découvrabilité. Les plateformes sont des coquilles vides. Ce ne sont que des autoroutes. La matière est toujours fournie par les producteurs de contenu numérique — les Canadiens de tout le pays qui diffusent du contenu sur ces plateformes.

L’autre partie du problème, c’est que je ne suis pas convaincu que l’organisme de réglementation l’entende — peu importe combien de fois le gouvernement le répète. Vous vous souvenez peut-être de cet échange très révélateur entre la sénatrice Wallin et Ian Scott, alors président du CRTC, lorsqu’il a comparu devant notre comité en juin dernier. N’oubliez pas que c’est le CRTC qui aura toute latitude pour interpréter et créer les règlements.

La sénatrice Wallin a dit ceci à M. Scott — et c’est très important, chers collègues :

Je sais que le ministre, d’autres responsables et vous-même insistez pour dire que vous ne réglementez pas ce contenu, mais je pense qu’il faut décortiquer un peu les mots. Vous allez réglementer les plateformes, qui imposeront ensuite vos décisions et vos directives, comme vous l’avez dit. Vous n’allez pas manipuler les algorithmes; vous obligerez plutôt les plateformes à le faire. C’est une réglementation sous un autre nom. Que ce soit fait directement et explicitement ou indirectement, vous allez réglementer le contenu.

M. Scott a répondu ceci : « Vous avez raison. »

Cette question est devenue absolument cruciale, car les défenseurs du projet de loi tentent de défendre une disposition dans la mesure législative qui a manifestement des implications beaucoup plus larges que ce qu’ils veulent nous faire croire.

M. Scott n’était d’ailleurs pas le seul à avoir cette interprétation; un autre ancien président, M. Konrad von Finckenstein, a tenu les mêmes propos. Même lorsque M. Scott et d’autres représentants du CRTC ont comparu une deuxième fois devant le comité à la fin de l’étude, ils n’ont pas été en mesure de nous assurer qu’ils pouvaient appliquer les exigences en matière de découvrabilité aux plateformes en ligne sans que ces plateformes aient à modifier leurs algorithmes. Au cas où il y aurait encore des gens qui pensent que le gouvernement et le CRTC ne comprennent pas exactement ce qu’ils disent ici et ce que cela signifiera en pratique, permettez-moi de citer un autre extrait du témoignage de M. Scott devant le comité sénatorial :

Je vais vous donner des exemples simples. Plutôt que de dire — et la loi empêche de le faire — que nous allons changer les algorithmes, comme de nombreux pays européens l’envisagent, nous allons préciser ce que nous voulons : que les Canadiens puissent trouver de la musique canadienne. Quelle est la meilleure façon d’y parvenir? Comment va-t-on procéder? Je ne veux pas manipuler les algorithmes. Je veux plutôt que les fournisseurs le fassent pour obtenir un résultat donné.

Ce sont les paroles de l’ancien président du CRTC.

Permettez-moi de répéter la dernière partie : « Je ne veux pas manipuler les algorithmes. Je veux plutôt que les fournisseurs le fassent pour obtenir un résultat donné. »

M. Scott affirme que le projet de loi lui permettrait de dire aux plateformes : « Le gouvernement ne manipulera pas votre algorithme; nous allons plutôt vous demander de le faire pour nous. »

Chers collègues, c’est sérieux. M. Scott a reconnu que, même si le libellé du projet de loi affirme que l’organisme de réglementation ne peut contraindre une plateforme à manipuler son algorithme, il semble y avoir un moyen détourné lui permettant de le faire. Devant un tribunal, on parlerait d’un aveu d’intention clair et consigné.

Le gouvernement — et les parlementaires — ont beau dire que telle chose fait partie des intentions du projet de loi, mais pas telle autre, si cette intention n’est pas claire et coulée dans le béton à même le projet de loi et si nous ne faisons pas notre travail en ce qui concerne les directives données à l’organisme de réglementation, nous n’aurons aucun recours si ce dernier choisit une interprétation différente de la nôtre.

C’est maintenant que le Parlement doit faire connaître clairement sa volonté. C’est maintenant qu’il faut faire notre travail. Chaque fois que le Parlement délègue des tâches, que ce soit à un organisme de réglementation ou à d’autres organes, il perd de son influence. Si nous souhaitons conserver un certain contrôle, nous devons exprimer très clairement nos intentions. Nous devons éliminer le pouvoir discrétionnaire en précisant les règles, ou nous devons soumettre ces dernières au contrôle du Parlement, par exemple, au moyen d’une résolution de ratification affirmative ou d’un dépôt avant leur entrée en vigueur.

De toute évidence, tout ce que nous accomplissons au niveau de la loi reste beaucoup plus figé dans le temps, de sorte qu’il est souvent difficile de réagir à des situations nouvelles ou urgentes, surtout si elles se présentent après que le Parlement ait été dissout pour une raison ou pour une autre. Cependant, il s’agit de la Loi sur la radiodiffusion, et le fait de décider si elle doit s’appliquer à tel ou tel type de contenu ou de déterminer à quel type de contenu il faut donner la priorité n’est pas quelque chose qui se produirait dans une situation d’urgence.

Je comprends l’argument selon lequel l’organisme de réglementation doit disposer d’une certaine souplesse dans certains domaines, mais dans celui-ci, chers collègues, je ne crois pas que ce soit justifié. La souplesse, c’est justement ce qui pose problème dans cette mesure législative. Ce dont elle a besoin, surtout en ce qui concerne le contenu généré par les utilisateurs et la modification d’algorithmes, c’est de clarté, de certitude et d’absence d’ambiguïté. Même si je ne suis pas convaincu que nous ayons saisi l’occasion de mettre les choses bien au clair dans l’article 4, j’estime que nous avons une autre occasion de le faire dans les articles 3 et 10. À mon avis, nous pouvons le faire en éliminant l’exigence visant les plateformes. J’estime que nous devons préciser hors de tout doute que le choix individuel de l’utilisateur est primordial dans l’intervention du gouvernement en ce qui concerne ce que nous consommons et publions en ligne. Voilà pourquoi je proposerai un amendement relativement à la découvrabilité.

La « découvrabilité », chers collègues, s’entend de la promotion d’un certain contenu au détriment d’un autre. Il s’agit d’un outil qui permet de faire découvrir aux utilisateurs du contenu en le mettant à leur disposition dans ce qu’on appelle, le plus souvent, un fil ou un flux. Pensons à YouTube, que nous connaissons tous, car nous l’utilisons souvent. Quand on regarde une vidéo sur YouTube, d’autres vidéos nous sont suggérées dans la file d’attente de visionnement. Voilà ce qu’est la découvrabilité. Ces vidéos sont déterminées au moyen d’algorithmes. Habituellement, ces algorithmes sont conçus de manière à adapter le contenu qui nous est proposé en fonction de ce que nous avons consulté ou visionné auparavant et de nos préférences.

Ce que le gouvernement veut faire au moyen du projet de loi C-11, c’est s’assurer que votre fil — les vidéos qui vous sont suggérées, par exemple — affiche en priorité du contenu que le gouvernement considère comme représentant la culture canadienne ou racontant l’histoire du Canada ou qu’il juge approprié ou prioritaire.

C’est une chose pour le gouvernement et les parlementaires de dire vouloir veiller à ce que la culture et les récits canadiens sont disponibles, ou même de dire que nous voulons nous assurer que les Canadiens y sont exposés. C’est tout autre chose de légiférer et de forcer les gens à s’y intéresser. C’est le danger qui nous guette avec ce projet de loi qui, sous couvert de souveraineté culturelle et de récits canadiens, vise à imposer l’idée d’un gouvernement sur ce qui est ou n’est pas un contenu acceptable. Comme l’a dit le sénateur Richards dans son intervention en début de semaine, c’est de la censure sous couvert de l’inclusion.

Même si vous croyez sincèrement que le gouvernement a les meilleures intentions du monde et que l’organisme de réglementation respectera ces intentions à la lettre, que se passera‑t‑il s’il ne le fait pas? Voilà la question qui se pose. Ne parlons pas des parlementaires qui n’ont aucun recours. Quel recours auront les Canadiens, alors, pour signaler que ce n’est pas ce qui était prévu dans la loi et que ce n’est pas ce qu’on leur a dit? Que pourront-ils faire? Déposer un appel au CRTC? Je suis sûr que tout cela convient parfaitement à ceux qui font confiance les yeux fermés aux grandes bureaucraties gouvernementales. Pourtant, comme ma collègue, la sénatrice Batters, l’a mentionné hier en citant Monica Auer, la directrice générale du Forum for Research Policy in Communications :

Pour ce qui est de la responsabilisation et de la transparence, le problème en ce moment avec le CRTC, c’est qu’il ne rend pas ses décisions publiques. Chaque année, il publie des dizaines de décisions que vous ne pouvez pas voir parce qu’il n’y a pas d’hyperlien et qu’il ne publie pas. Lorsque nous disons que le CRTC est transparent, ce n’est tout simplement pas le cas. Il tient des audiences publiques sans témoins. Je suis désolée — vous avez été très aimables de m’inviter —, mais le CRTC choisit de ne pas inviter qui que ce soit à certaines audiences, y compris les transferts de propriété.

J’ai été particulièrement frappé par cette citation de Mme Auer parce que même si mes collègues s’inquiètent grandement de l’absence de transparence concernant les algorithmes utilisés par les plateformes en ligne, l’organisme de réglementation auquel on a confié cette tâche semble se préoccuper très peu de ce manque de transparence. Disons que c’est un peu fort.

Bien que je convienne que les consommateurs canadiens ont droit à une transparence accrue, je ne partage pas l’angoisse concernant ce qui se cache derrière les algorithmes. Les plateformes en ligne utilisent des algorithmes pour adapter le contenu proposé à l’utilisateur, habituellement en fonction des habitudes de consommation de ce dernier. Comme toute entreprise, ces plateformes portent attention au comportement de leurs clients. Elles portent attention à ce qu’ils aiment ou n’aiment pas, et elles adaptent le contenu qu’elles leur proposent en conséquence. C’est comme avoir un acheteur personnel qui fait une présélection en fonction de ce qu’il sait que vous aimez, ce qui vous évite de faire le tour de chaque boutique. C’est ce qu’on appelle le service à la clientèle, chers collègues.

La sénatrice Miville-Dechêne a d’ailleurs utilisé une analogie semblable en disant que certaines choses se retrouvent au fond du baril ou du placard. Cela dit, j’estime que nous devons nous efforcer à ce que rien dans les règlements ou la loi n’empêche les Canadiens de fouiller dans la gamme complète des produits offerts et d’accéder à ce qui se trouve au fond du baril s’ils le souhaitent. Quelque chose doit inévitablement se retrouver au fond du placard ou du baril. Je crois simplement qu’il n’appartient pas au gouvernement de dire à un propriétaire de magasin comment organiser ses étalages ni de dire aux consommateurs à quelles boutiques ils devraient magasiner. Voilà ce que sont, en gros, les médias sociaux : un nombre infini d’options et de possibilités, et des entreprises qui adaptent leur marchandise en fonction de vos préférences. Cependant, c’est vous qui êtes aux commandes. C’est vous qui décidez. Le gouvernement n’a aucun rôle à jouer, et il ne devrait pas en avoir.

Sénatrice Miville-Dechêne, vous avez dit que vous ne pouviez pas savoir si un algorithme était influencé par un partenariat entre la plateforme et un annonceur. Et si c’était le cas? Et alors? Cela se fait tout le temps dans le commerce du détail, tout comme dans la télédiffusion traditionnelle et lors d’événements culturels. D’ailleurs, est-ce différent en principe que lorsque le gouvernement commandite du contenu ou lorsqu’il donne des subventions? N’est‑ce pas la même chose? Oui, ce l’est. Le libellé du projet de loi fait en sorte qu’une société d’État obligerait les plateformes à changer leurs stratégies pour s’attirer la fidélité des utilisateurs.

Par ailleurs, on se trouve à s’ingérer dans les affaires des créateurs de contenu numérique canadien et dans leur façon de gagner leur vie. Morghan Fortier, présidente-directrice générale de Skyship Entertainment — qui est peut-être l’exportateur de contenu canadien qui a connu le plus de succès au pays sur YouTube —, a dit à notre comité que, lorsqu’on s’ingère là-dedans, cela équivaut essentiellement à s’ingérer dans la façon dont les stations de radio ont accès aux données sur les cotes d’écoute et apportent des ajustements en conséquence à leur programmation ou aux équipes de production.

La plupart des législateurs n’iraient jamais jusqu’à proposer un tel niveau d’ingérence dans les activités de mise en marché du secteur privé, mais c’est exactement ce qui est proposé dans ce projet de loi. Pourquoi ferions-nous cela, et pourquoi continue-t-on de prêter des intentions à ces entreprises? En ce qui concerne leur façon de mener leurs activités, pourquoi prête-t-on à ceux qui exploitent ces plateformes des intentions malveillantes qu’on ne prêterait pas à d’autres entreprises comme les stations de radio ou les librairies, ou même que nous ne devrions pas prêter au gouvernement?

Vous avez dit vous-même, madame la sénatrice, que, contrairement à moi, vous n’avez pas une confiance aveugle dans le libre marché. Or, contrairement à vous, je n’ai pas une confiance aveugle dans le gouvernement. Je suis désolé. Voilà la différence entre nous. Au bout du compte, je suis favorable à ce que l’on fasse davantage confiance aux utilisateurs de ces plateformes lorsqu’il s’agit de décider de ce qu’ils veulent regarder, écouter ou promouvoir. J’ai confiance en la capacité des Canadiens de faire leurs propres choix — je crois au libre choix — et de déterminer par eux-mêmes quelles sont les plateformes qui répondent le mieux à leurs besoins. Je suis favorable à ce que les consommateurs puissent faire leurs propres choix et à ce que l’on fasse confiance aux Canadiens lorsqu’il s’agit de promouvoir ce qui, selon eux, mérite de l’être.

J’ai entendu en comité les arguments de collègues et de fonctionnaires du ministère selon lesquels il existe d’autres moyens d’atteindre les résultats souhaités, sans manipuler les algorithmes, malgré les témoignages de créateurs, d’utilisateurs, de plateformes et de l’organisme de réglementation lui-même affirmant le contraire — et malgré le fait que personne n’a clairement indiqué quels pourraient être ces autres moyens.

M. Scott, qui était président du CRTC à l’époque, a fait référence au processus consultatif qui suivrait l’adoption de cette loi. Il a noté que ce processus jouerait un rôle central dans la détermination de la façon dont les plateformes pourraient et devraient atteindre des résultats particuliers de la meilleure façon possible. Cependant, pour beaucoup de ces plateformes, il n’y a tout simplement pas assez de surface d’écran pour accomplir le genre de résultats dont il est question sans manipulation des algorithmes. Ces plateformes n’offrent pas la possibilité d’avoir des onglets ou des menus déroulants qui permettent de diviser le contenu par catégories et donc de promouvoir ou de mettre en valeur de manière passive le contenu canadien. Beaucoup d’entre elles n’ont même pas la surface d’écran nécessaire pour inclure une barre latérale — comme Google — montrant de nombreuses vidéos parmi lesquelles on peut choisir. Les vidéos ne font que défiler sur l’écran.

C’est l’argument que Jennifer Valentyne, Scott Benzie, Justin Tomchuk, Darcy Michael, Morghan Fortier, J. J. McCullough, Frédéric Bastien Forrest et tant d’autres ont tous fait valoir au cours de leur témoignage devant notre comité. Chers collègues, vous avez vu à quel point différentes générations de Canadiens sont acrimonieuses et divisées sur ce projet de loi. Le gouvernement a massivement pris le parti de soutenir les entreprises traditionnelles de câblodistribution et de radiodiffusion alors qu’elles ont elles‑mêmes montré que leur modèle n’était plus efficace.

Ce n’est pas tout, chers collègues. L’expérience du consommateur sera encore davantage perturbée par le coût prohibitif entraîné par le fait de réglementer le contenu généré par l’utilisateur en assurant la découvrabilité de la manière décrite dans le projet de loi. Non seulement les coûts plus élevés pour les plateformes seront transmis aux consommateurs, mais, dans certains cas, ils pourraient aussi conduire certaines plateformes à se retirer complètement du marché canadien.

C’est là une réalité, en particulier pour les petites plateformes qui servent les communautés d’immigrants au Canada à partir de l’étranger ou les diffuseurs au public ciblé comme BritBox, que l’on a déjà mentionné. Ils pourraient très bien décider qu’ils n’ont plus les moyens de faire affaire au Canada. L’expérience des consommateurs se détériorera également parce qu’ils perdront confiance dans le système. Ils verront de moins en moins de contenu personnalisé selon leurs goûts et leurs intérêts. Bien qu’il puisse sembler séduisant de forcer les gens à sortir de leur zone de confort, je vous assure que cela aura un impact négatif à long terme.

Ces effets négatifs seront surtout ressentis par ceux-là mêmes que le projet de loi est censé protéger et promouvoir : les artistes et les créateurs canadiens. Il y a un risque que de nombreux consommateurs se détournent complètement de ce type de contenu. Ils iront ailleurs pour trouver sans entrave ce qu’ils recherchent.

Voici ce que le youtubeur Justin Tomchuk a dit à notre comité au sujet du contenu canadien imposé :

Le contenu canadien aura de mauvaises performances sur les plateformes, parce que l’auditoire n’y trouvera pas son intérêt. Vous pouvez forcer quelqu’un à présenter une vidéo, mais vous ne pouvez pas forcer les gens à la regarder. Les Canadiens cliqueront ailleurs et apprendront à éviter activement le contenu canadien.

C’est très important, car c’est exactement ce qu’on constate en ce moment avec la radiodiffusion traditionnelle. Les cotes d’écoute des médias traditionnels sont en chute libre car les consommateurs ont maintenant des choix grâce à la diffusion en continu. Ils ne sont plus obligés de consommer ce qu’on leur présente. Ce n’est pas la faute des plateformes de diffusion en continu, et ce n’est pas non plus une condamnation de la qualité du contenu canadien ailleurs. Combien d’entre vous, pendant le temps des Fêtes, ont regardé Netflix au lieu de la programmation locale de CTV ou de TVA? C’est un choix. C’est votre droit.

M. Tomchuk a expliqué un autre risque que courraient les créateurs de contenu numérique canadiens si les algorithmes sont modifiés pour satisfaire aux exigences relatives à la découvrabilité du contenu canadien : si on fait la promotion du contenu en fonction d’un critère autre que celui du contenu que le consommateur veut ou pourrait aimer regarder selon ses habitudes précédentes, il cliquera sur le contenu, réalisera que ce n’est pas quelque chose qu’il veut regarder et passera rapidement à autre chose sans le regarder jusqu’au bout. Les gens cliquent, on le sait. Un truc ne nous intéresse pas? On clique simplement sur autre chose, sur quelque chose qui nous intéresse. Ce comportement exercera une pression à la baisse sur le taux de fidélisation de l’audience de cette publication. Ce taux de fidélisation plus faible aura à son tour un effet négatif sur le classement mondial de la publication, entraînant ainsi une baisse de sa découvrabilité.

Ainsi, les artistes et les créateurs canadiens qui connaissent un immense succès à l’échelle mondiale verront ce succès grandement diminué en échange de la possibilité d’un succès ici au pays. Comme le disait un récent éditorial du Financial Post :

Même si le projet de loi C-11 les aide à obtenir un peu plus de succès ici au pays, et rien ne le garantit, cela pourrait nuire à tout succès qu’ils pourraient espérer au-delà des frontières du Canada.

Cette situation sera exacerbée par la menace des autres pays qui donneront suite à l’adoption de ce projet de loi en faisant la même chose de leur côté, c’est-à-dire adopter leurs propres lois protectionnistes. Cela aurait pour conséquence de bloquer le contenu canadien ici, chez nous. Toute la réussite et toutes les possibilités qui sont à la portée de nos artistes et de nos créateurs grâce à l’ouverture sur le monde que l’espace sans frontières sur Internet leur offre disparaîtront. La liberté possible sur Internet donne un grand pouvoir. Comme l’un des témoins l’a affirmé, tous les créateurs doivent relever le défi de gagner des clics et des abonnés, mais les règles du jeu sur Internet sont égales pour tous sur le plan de l’accessibilité.

Je comprends que certains sénateurs ressentent le besoin de conserver l’article 4 dans le projet de loi afin de protéger les auteurs-compositeurs, les chanteurs et les musiciens contre les compagnies de disque qui risquent de diffuser en continu leurs œuvres sans les rémunérer équitablement. Toutefois, l’étude de notre comité m’a permis de comprendre que ces protections sont déjà en place par l’entremise des droits d’auteur dans notre pays, ainsi que dans le cadre des obligations contractuelles. Il n’y a pas lieu que le projet de loi C-11 touche à ces aspects. C’est pourquoi je persiste à croire que la bonne chose à faire est de carrément supprimer le contenu généré par l’utilisateur de ces mesures législatives.

Cependant, à défaut de le faire, je crois qu’il nous est encore possible d’améliorer le projet de loi en supprimant les dispositions sur la découvrabilité et la manipulation des algorithmes. L’amendement que je propose est axé sur ces aspects.

En conclusion, avant de passer à mon amendement, je voulais simplement dire que les industries canadiennes du divertissement et de la création sont florissantes. C’est le système désuet de prestation et, nul doute, de financement qui est en mode de survie, et il devrait en être de même pour le système de réglementation vieillissant. C’est un système qui a bien fonctionné à une époque, à divers degrés, parce qu’il a été conçu pour la radiodiffusion conventionnelle qui s’arrêtait principalement à nos frontières nationales. Il a toutefois fait son temps. Son époque et son utilité sont passées. Il n’est certainement d’aucune utilité lorsqu’il s’agit des créateurs de contenu numérique et du contenu généré par les utilisateurs.

Ce sont les créateurs eux-mêmes qui nous le disent. Ils nous supplient de ne pas leur imposer l’ancien régime réglementaire. Ils nous montrent que, contrairement à la radiodiffusion conventionnelle, ils n’ont pas besoin de nous. Ce dont ils ont besoin, c’est que nous restions en dehors de leur chemin, ainsi que le gouvernement. Ils nous implorent de tenir compte de leur succès et de reconnaître que ce succès est le résultat de la production d’un contenu de qualité, intéressant et innovant, que les gens veulent voir et entendre.

En laissant les dispositions de découvrabilité dans ce projet de loi, nous déclarons qu’à notre avis, les créateurs canadiens sont incapables de réussir par eux-mêmes. Nous insinuons que ce qu’ils produisent n’est pas intéressant en soi et qu’ils ne réussiront pas sans notre intervention, en particulier les créateurs marginalisés et sous-représentés comme les autochtones, les personnes noires et de couleur et les artistes et créateurs francophones. Franchement, c’est non seulement décourageant pour ces créateurs, mais aussi extrêmement paternaliste. Si, comme l’affirme le gouvernement, l’objectif consiste à éliminer les barrières et à assurer la promotion et la découvrabilité des créateurs sous-représentés, la réponse est simple : n’érigez pas de barrières là où il n’y en a pas, et ne laissez pas le gouvernement ou les gardiens décider qui ou quoi les Canadiens doivent regarder ou écouter.

Voici ce qu’on a pu lire récemment dans un éditorial du Financial Post :

Si les bureaucrates du gouvernement obtiennent le droit de décider du contenu à imposer aux Canadiens, alors il y aura un risque bien réel que le gouvernement soit tenté de recourir à son pouvoir de filtration pour réduire ses critiques au silence.

Cela pourrait sembler une excellente idée pour certains dans cette Chambre, en particulier dans le contexte de ce qu’ils considèrent être des propos haineux sur Internet ou des opinions politiques qu’ils n’apprécient pas, mais cette idée leur paraîtra-t-elle aussi attrayante dans quelques mois, lorsque les libéraux ne seront plus au pouvoir?

Sur ces mots, chers collègues, j’attire votre attention sur le libellé actuel du paragraphe 3(7), page 8, ligne 29. On peut y lire ceci :

q) les entreprises en ligne qui fournissent les services de programmation provenant d’autres entreprises de radiodiffusion devraient, à la fois :

(i) assurer la découvrabilité des services de programmation canadienne ainsi que des émissions canadiennes originales [...]

Mon amendement remplacera le mot « assurer » par « permettre ». Cela encouragerait les plateformes en ligne à rendre le contenu canadien disponible, mais sans forcer un diffuseur en ligne comme BritBox à quitter le marché canadien.

En outre, il ne supprimera pas entièrement la référence à la découvrabilité, mais remplacera le mot « assurer » par « permettre » afin de donner une certaine souplesse aux plateformes pour qu’elles puissent éviter la manipulation des algorithmes.

La deuxième partie de mon amendement concerne l’article 10, à la page 14, aux lignes 26 à 31, qui décrit l’obligation du CRTC de réglementer comme suit, dans le paragraphe 9.1(1) proposé :

e) la présentation des émissions et des services de programmation que peut sélectionner le public, y compris la mise en valeur et la découvrabilité des émissions canadiennes et des services de programmation canadiens, notamment les émissions de langue originale française;

Mon amendement supprimera tout le texte après « que peut sélectionner le public ».

Je propose cet amendement au projet de loi C-11 afin de tenter une fois de plus, dans un ultime effort, de protéger le droit des Canadiens de déterminer ce qu’ils publient et ce qu’ils voient en ligne. Il éliminera pour les plateformes en ligne la menace de se faire dicter par le gouvernement ou le CRTC ce que devraient être leurs algorithmes ou quel contenu devrait être prioritaire tout en rendant d’autres contenus moins accessibles.

Essentiellement, il faut laisser le choix aux Canadiens. Il faut permettre au système de fonctionner tel que les Canadiens le veulent, en ce qui a trait à ce qu’ils voient, ce qu’ils entendent et ce qu’ils publient.

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