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Projet de loi sur la protection des jeunes contre l’exposition à la pornographie

Deuxième lecture--Suite du débat

7 décembre 2021


Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi S-210, Loi limitant l’accès en ligne des jeunes au matériel sexuellement explicite. Je veux remercier la sénatrice Miville-Dechêne de l’important travail qu’elle accomplit dans ce dossier à titre de marraine du projet de loi.

Il est tout à fait à propos et urgent qu’une telle mesure législative soit présentée, car il existe un lien insidieux entre la pornographie et la traite des personnes. L’élément catalyseur de ce lien est la consommation dangereuse de pornographie par des hommes et des femmes qui peut mener ces personnes à chercher des moyens louches d’assouvir leurs pulsions. Ces moyens louches comprennent la traite des personnes, une activité horrible pour laquelle un nombre incalculable de filles et de femmes autochtones ont été faites esclaves.

Il faut s’attaquer au problème de la pornographie au moyen d’une intervention en amont, comme le prévoit le projet de loi S-210. Autrement, l’offre et la demande en matière de traite des personnes, dont la pornographie est l’une des causes sous-jacentes, perpétueront le cercle vicieux de la violence et des agressions. Lorsque le projet de loi C-45 sur la légalisation de la marijuana a été adopté, un des sénateurs a demandé à un membre de gang de rue ce que les gangs feraient pour compenser la perte de revenus qui surviendrait. Sa réponse était qu’il ne s’inquiétait pas, parce que le trafic sexuel ne demandait pas autant de travail que la marijuana. Une personne qui pratique la traite des personnes peut amasser 250 000 $ par année sans grands efforts.

Honorables sénateurs, je tiens à saluer notre collègue, la sénatrice Yvonne Boyer, de même que Peggy Kampouris, qui ont publié en mai 2014 un rapport intitulé Traite de femmes et de filles autochtones. La plupart des informations que je vais présenter proviennent de ce rapport de recherche.

Selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, la traite des personnes désigne toute situation où :

[on a recours] à la force, à la coercition, à l’enlèvement, à la fraude, à la tromperie, à l’abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité ou à l’offre de paiements ou d’avantages à une personne en charge […]

 — afin d’exploiter une autre personne. Si l’une de ces caractéristiques est présente, il s’agit de traite des personnes.

Dans son article intitulé Unequal Communities : Exploring the Relationship between Colonialism, Patriarchy and the Marginalization of Aboriginal Women, Jessica Stark dit ceci :

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur les Indiens, l’État canadien a soumis les communautés des Premières Nations à un mode de vie de dépendance qui les ont forcées à accepter et à intérioriser ses composantes coloniales et patriarcales […] Des études ont montré que les femmes sont particulièrement vulnérables à cette oppression.

Honorables sénateurs, la Loi sur les Indiens a créé des secteurs de marginalisation et de vulnérabilité pour les Premières Nations qui sont devenus un environnement propice à d’autres abus, notamment la traite.

Dans son article de 2016 intitulé Red Intersectionality and Violence-Informed Witnessing Praxis, Natalie Clark parle de la diversité émergente des filles autochtones et de l’interprétation des filles autochtones dans la Loi sur les Indiens. Elle dit ceci :

L’« intersectionnalité rouge » [...] nous aide à comprendre la violence contre les filles autochtones et à y remédier puisqu’elle met en premier plan le contexte, lequel, dans le cas du Canada, doit inclure les formes de colonialisme fondées sur le sexe, ainsi que la dépossession des terres autochtones.

L’auteure continue :

L’application d’une analyse de l’« intersectionnalité rouge » aux traumatismes et aux filles nous oblige à tenir compte de la manière dont l’industrie dite du traumatisme...

 — ce qui comprend les pensionnats —

... perpétue un héritage colonial qui consiste à étiqueter les filles autochtones et à les considérer comme étant anormales, puis à gérer leur comportement en les criminalisant ou en les traitant avec des médicaments et des programmes de thérapie conversationnelle, ce qui, au bout du compte, ne fait que « renforcer un sentiment d’impuissance et miner la capacité de résistance des femmes ».

En lien avec ceci, la sénatrice Yvonne Boyer et Peggy Kampouris déclarent :

Cette étude a révélé que l’exploitation sexuelle et la traite des êtres humains ne se produisent pas dans l’isolement, mais bien sous différentes formes en raison d’une multitude de facteurs socio-économiques connexes. Les membres de la famille, les gangs et les amis recrutent des femmes et des filles, en utilisant des contraintes financières et psychologiques, ainsi que la violence physique. Le fait que les femmes et les filles autochtones sont soumises à la pauvreté, à une faible estime d’elles-mêmes, à la toxicomanie, à des troubles de santé mentale et à une mauvaise santé les rend particulièrement vulnérables et susceptibles de devenir les victimes de la traite des personnes à des fins d’exploitation sexuelle.

Honorables sénateurs, la dépendance à la pornographie a notamment comme conséquence de créer la demande qui incite les gens à procéder à la traite des personnes à des fins sexuelles. Comment avons-nous abouti dans un monde où des personnes peuvent mettre en rapport le milieu de la dépendance à la pornographie et celui de la traite des personnes à des fins sexuelles? Certains voient les enfants, les filles ou les femmes vulnérables comme une source potentielle d’argent et comme une personne qu’ils peuvent exploiter. Pourquoi la société a-t-elle créé cet univers de vulnérabilité et d’exploitation? La traite des personnes à des fins sexuelles est l’une des conséquences les plus injustes et horribles de la consommation de pornographie.

Comment commence la traite des personnes? Qui est ciblé et comment conditionne-t-on ces personnes, qu’il s’agisse de personnes cherchant de la pornographie sur Internet ou de jeunes vulnérables n’ayant aucune stabilité, sécurité ou protection, comme des enfants pris en charge ou des jeunes filles et femmes autochtones?

Tout comme les comportements déshumanisants dans les cas de violence familiale normalisent la dominance, la violence, l’exploitation et la chosification, il y a aussi un lien entre ces actes et l’amour, les relations et l’intimité. Le lien étroit entre ces émotions si variées ouvre la voie à une acceptation éventuelle des relations violentes et agressives comme des relations normales. La violence familiale menace la vie des femmes, des enfants et des hommes.

Honorables sénateurs, quand la pornographie devient-elle insuffisante, et comment les femmes et les filles victimes de la traite des personnes rencontrent-elles les trafiquants? Dans l’étude mentionnée plus tôt, une personne responsable de l’application de la loi a précisé ceci :

[...] les proxénètes sont plutôt des « proxénètes de rue » qui « attirent les femmes et les filles autochtones, les forment, les extorquent et les exploitent; un processus souvent violent et brutal ».

L’étude précise ensuite que les proxénètes fournissent souvent de la drogue et de l’alcool :

[...] puis ils s’assurent que les filles deviennent dépendantes aux opiacés. La victime sera ainsi plus facile à contrôler et deviendra dépendante de la drogue et du proxénète.

L’étude indique aussi ce qui suit :

[...] il y avait toujours un lien entre les pensionnats indiens et ce problème [...] Selon [un expert en la matière], le fait qu’un proche ait fréquenté les pensionnats indiens place ces femmes en position de vulnérabilité et indique qu’elles courent un risque élevé d’être victimes de traite. [...] le recrutement des victimes dans les collectivités autochtones se fait souvent par des jeunes femmes qui ont elles aussi été recrutées. Par exemple, la Société d’aide à l’enfance, les centres pour jeunes délinquants et les foyers de groupes sont des milieux propices qui donnent l’occasion aux filles plus âgées de recruter les plus jeunes avec lesquelles elles partagent des liens familiaux ou de parenté.

Honorables sénateurs, quels sont les conséquences et les effets cumulatifs de la pornographie et de la traite des personnes? Cette activité détruit la vie des personnes exploitées et de leur famille, et les coûts associés peuvent être liés aux ressources inadéquates des services de police pour lutter contre la traite ainsi qu’à l’incapacité des procureurs et des juges de traiter adéquatement les questions relatives à la pornographie et à la traite.

Un organisme d’aide albertain a observé que les cas de traite de personnes autochtones dont il a entendu parler sont devant les tribunaux ou sont entrés dans le système judiciaire et a rapporté les éléments suivants :

Les besoins des femmes et des filles autochtones qui ont été, ou qui sont, exploitées sexuellement, vont au-delà de ce que la plupart des organisations de soutien peuvent faire pour elles. [...] Outre les soins médicaux immédiats, le counseling en matière de traumatismes et/ou de toxicomanie, les femmes et les filles victimes ont souvent besoin d’un logement sécuritaire, d’études, de compétences nécessaires à la vie courante supplémentaires, d’un travail durable, d’aide en matière de santé mentale, de soins de santé sécuritaires et appropriés à la culture et d’une approche complète et coordonnée en matière de prestation de services.

Sont aussi rapportés des cas de violence de la part des proxénètes :

[...] qui, par exemple, leur ont brûlé les pieds, cassé le nez, battu avec un cintre détorsadé, brisé des doigts ou qui leur ont sauté sur leur ventre à pieds joints pour provoquer une fausse couche. [...] Ces femmes confiaient également que leurs proxénètes exerçaient un contrôle sur elles en régulant leur cycle menstruel, en leur ordonnant de prendre des contraceptifs oraux pour qu’elles puissent continuer à travailler.

Le rapport se poursuit ainsi :

La violence physique et mentale est monnaie courante [...] Un expert en la matière a fourni une description détaillée de la vie de ces femmes : « Les hommes veulent recréer exactement ce qu’ils voient dans l’industrie de la pornographie. Les femmes et les filles sont torturées, droguées, elles subissent de la violence mentale, sont attachées, tombent enceintes, subissent des avortements forcés, sont électrocutées, on les prive de nourriture et elles vivent dans de mauvaises conditions. On les taillade, on les viole — parfois avec des objets — on les asphyxie et on les force à regarder de la violence. »

D’après cette étude :

Un certain nombre de participants estiment que la traite de femmes et de filles autochtones fait partie d’une « crise canadienne » plus vaste.

Honorables sénateurs, en ce qui a trait aux réalités de la traite des personnes qui touchent les femmes et les filles autochtones, il y a un autre rapport de recherche troublant qui porte sur la Loi sur la reconnaissance de l’adoption selon les coutumes autochtones, au Nunavut. Cette loi reconnaît les coutumes autochtones en matière d’adoption qui permettent aux enfants de passer plus facilement d’une famille ou famille élargie à l’autre.

Selon un expert en la matière :

[...] beaucoup de bébés et d’enfants inuits sont adoptés à l’extérieur du Nunavut puisque ces « bébés sont vus comme une marchandise de grande valeur ». Ce participant [...] avait appris que [...] « [s]elon les dernières données, 100 bébés avaient été vendus à des familles non inuites vivant à l’extérieur du territoire. »

On fait cependant cette mise en garde :

le moment où les prédateurs, les pédophiles, les clients ou les proxénètes sauront (si ce n’est pas déjà le cas) à quel point il est facile d’adopter un enfant, cette situation pourrait devenir problématique. [...] Un organisme d’aide du Nunavut a souligné qu’il y avait probablement un lien entre ces adoptions et la vulnérabilité des enfants...

 — y compris les bébés —

... à la traite de personnes.

Ce genre d’adoption à l’extérieur de la communauté ressemble à la rafle des années 1960, pendant laquelle des enfants ont été adoptés par des familles de Blancs. Aux États-Unis et au Canada, bon nombre de ces enfants ont été victimes d’agressions sexuelles.

Honorables sénateurs, les participants à l’étude que je viens de mentionner ont décrit la traite des personnes comme un « crime invisible », ajoutant que les gens ne dénoncent pas ce genre de crime.

On cite également les propos d’un policier de la Colombie-Britannique, qui dit ceci :

« Il y a plusieurs années, quand je menais des enquêtes, j’aurais dû porter des chefs d’accusation pour traite de personnes, mais, à l’époque, je n’étais pas conscient du problème. »

« La traite de personnes est un problème beaucoup plus répandu que ce que les gens croient [...] Le problème se propagera avec les médias sociaux », a affirmé un agent de police du Sud de l’Ontario.

« C’est comme si nous, les policiers, nous nous tenions sur les rails. Nous pouvons voir le problème venir des années à l’avance », a mentionné un agent de police de l’Ouest canadien.

Honorables sénateurs, chaque enfant a droit à une existence exempte de violence. Les pensionnats autochtones, les écoles de jour et la rafle des années 1960, qui ont fait subir aux enfants autochtones une forme de déracinement de leur habitat naturel et d’institutionnalisation, ont des concepts en commun avec la traite des personnes : l’assimilation, le conditionnement et les avantages économiques.

Ces jeunes enfants avaient perdu leur droit à une existence exempte de violence, et il ne faut jamais oublier cette perte. Cela devrait aussi être un catalyseur suffisant pour nous motiver à résoudre le problème immédiatement, avant que d’autres femmes et filles autochtones ne deviennent victimes de cette activité innommable.

Comme l’a déclaré la sénatrice Miville-Dechêne dans son communiqué de presse du 24 novembre :

Les parents et les pédiatres demandent de l’aide, et il est grand temps que les parlementaires les appuient. Il en va de la protection et la sécurité des jeunes.

Chers collègues, nous, en tant que parlementaires, devrions tout mettre en œuvre pour résoudre le problème de la traite des personnes à des fins sexuelles. Un premier pas en ce sens consiste à nous attaquer au lien qui existe entre la pornographie et la traite des personnes. C’est ce que propose le projet de loi S-210.

Son Honneur le Président [ + ]

Je regrette de vous interrompre, sénatrice McCallum, mais votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus pour terminer?

Oui, s’il vous plaît.

Son Honneur le Président [ + ]

Que les sénateurs qui s’opposent à cette demande veuillent bien dire non. Le consentement est accordé.

Honorables sénateurs, je vous exhorte à vous joindre à moi pour appuyer cette mesure législative essentielle. Merci.

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