Projet de loi sur la Journée nationale de Thanadelthur
Deuxième lecture--Ajournement du débat
19 juin 2025
Propose que le projet de loi S-225, Loi instituant la Journée nationale de Thanadelthur, soit lu pour la deuxième fois.
— Merci. Je tiens également à remercier les sénateurs ici présents pour leur soutien.
Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-225, Loi instituant la Journée nationale de Thanadelthur. Comme bien des collègues s’en souviendront, il s’agissait auparavant du projet de loi S-274, que j’ai présenté au Sénat en septembre 2023 et qui a obtenu un vote unanime à l’étape de la deuxième lecture en novembre 2024.
Deux réunions de comité étaient prévues pour la fin du mois de janvier 2025, mais la prorogation a empêché ces réunions d’avoir lieu. Je le présente aujourd’hui dans l’espoir que nous pourrons le renvoyer rapidement à un comité afin qu’il puisse être étudié comme prévu.
Chers collègues, je tiens encore une fois à vous faire part de mon expérience de l’histoire orale chez les Dénésulines de Brochet et de Lac Brochet. Les Dénés ont conclu le Traité no 10 en 1906, et les Cris sont venus s’installer au début des années 1920. Mon père était l’un des Cris qui s’y sont installés.
Ils ont vécu ensemble à Brochet, au Manitoba, où ils se sont mariés entre eux et ont élevé des familles. Toutefois, les Cris ont commis des actes de violence à l’encontre des Dénés. En raison de la montée de la violence, les Dénés ont décidé de quitter leurs terres traditionnelles de Brochet pour s’installer à Lac Brochet en 1974. Les jeunes enfants dénés et cris de Brochet ont été envoyés au Pensionnat indien de Guy Hill, où, en tant qu’élèves, nous sommes devenus une famille.
Comme nous étions en pensionnat, beaucoup d’entre nous n’ont pas été témoins de la violence qui régnait à la maison. Nous rentrions chez nous et en entendions parler.
Grâce à cette proximité, j’ai eu le privilège d’entendre l’histoire de Thanadelthur, il y a 20 ans, de la bouche de Mme Lucy Antsanen, une habitante dénée de Brochet et de Lac Brochet, qui a subi des traumatismes intergénérationnels liés aux pensionnats. Historiquement, pendant les années où ils apprenaient l’histoire orale, les jeunes Dénés entendaient parler de cette jeune femme remarquable grâce aux histoires transmises par leurs grands-parents et leurs parents, et c’est encore le cas aujourd’hui.
D’entrée de jeu, chers collègues, je tiens à vous informer que le mot « Chipweyan » est utilisé dans les références historiques. Il s’agit d’un terme péjoratif qui devrait plutôt être remplacé par « Dénésuline », qui signifie les premiers peuples.
Honorables sénateurs, il y a plus d’une vingtaine d’années, Mme Antsanen, une jeune Dénée qui détenait une maîtrise en éducation, enseignait à Lac Brochet. Elle a raconté l’histoire de Thanadelthur à ses élèves. Depuis, les jeunes portent du rouge le 5 février afin d’honorer la mémoire de cette ambassadrice de la paix, puisque c’est ce jour-là qu’elle a rejoint le monde des esprits. Tous les jours, je porte moi aussi du rouge en signe de solidarité avec mes sœurs. Je porte aussi les mocassins qui m’ont été remis en 1979 par l’Aîné déné St. Pierre.
Cette histoire s’est produite avant que le Canada se métamorphose en pays et que le Manitoba devienne une province. Il n’y avait pas de frontières, seulement des limites aux territoires de chacune des nations autochtones. La traite des fourrures était à son apogée. La Compagnie de la Baie d’Hudon et la Compagnie du Nord-Ouest étaient toutes deux présentes dans les environs d’York Factory.
Thanadelthur est née à la fin des années 1600. Jadis, soit avant qu’ils commencent à coucher leurs histoires sur papier, les Dénés déterminaient l’âge d’une personne en comptant le nombre d’hivers qu’elle avait vécus. Si je le précise, c’est parce que l’âge qui est donné à Thanadelthur varie selon la source consultée, par exemple dans les archives de la Compagnie de la Baie d’Hudson ou dans les récits des historiens. Quoi qu’il en soit, Thanadelthur était une adolescente lorsqu’elle est arrivée au fort de la baie d’Hudson.
Honorables sénateurs, c’est très difficile de nos jours de retrouver le véritable nom des femmes autochtones qui ont marqué l’histoire. Généralement, on appelait simplement ces femmes des « Indiennes » ou des « femmes autochtones », ce qui a contribué à l’effacement de nos peuples et de notre histoire. À Lac Brochet, quand le prêtre français qui avait vécu parmi nous durant plus de 50 ans a écrit un livre sur nos vies et nos terres, il parlait seulement d’Indiens. Il n’a jamais donné leurs noms, même s’il vivait avec eux, comme ce n’étaient pas des êtres humains.
Ainsi, à une époque où les femmes autochtones figuraient rarement dans les livres d’histoire, vivait cette remarquable jeune fille dénée dont le nom, Thanadelthur, est gravé dans les livres d’histoire pour l’éternité. Comme telle, cette information fait partie de l’histoire orale, certes, mais elle transcende ce support puisqu’elle est également archivée et conservée dans les livres d’histoire ainsi que les outils d’enseignement utilisés dans les écoles. La publication de l’auteur Rick Book intitulée Blackships/Thanadelthur, qui présente la vie et les contributions de cette jeune femme, sert d’outil d’enseignement dans les Territoires du Nord-Ouest.
Chers collègues, durant la vie de Thanadelthur, les Dénés et les Cris sont de vieux ennemis en guerre. Les aînés des différentes communautés dénées du Manitoba et de la Saskatchewan racontent la guerre entre les deux nations. Lorsque des Cris tombent sur un campement déné, ils tuent la majorité des Dénés, mais capturent les jeunes filles, car elles sont réputées pour leur ardeur au travail. Inversement, lorsque des Dénés tombent sur un campement cri, ils ne font pas de prisonniers.
En 1712 et 1713, la famille de Thanadelthur chasse le caribou dans les environs d’Arviat, au Nunavut, lorsque des Cris l’attaquent dans son campement et la massacrent. Thanadelthur est emmenée en captivité. Les Aînés cris l’appellent Akwakan Iskwew, ce qui signifie « femme esclave ». Les Aînés dénés disent qu’elle a survécu parce qu’elle était d’une beauté stupéfiante et qu’elle était très habile.
Thanadelthur est réduite en esclavage pendant plus d’un an et, à la fin de l’année 1714, elle et une autre jeune femme échappent à leurs ravisseurs cris et se dirigent vers le nord pour retrouver leur peuple. Sans nourriture ni vêtements chauds, elles se retrouvent rapidement dans une situation désespérée. Les filles survivent grâce aux plantes comestibles, aux baies et au petit gibier qu’elles attrapent en chemin. On pense qu’elles ont utilisé leurs longs cheveux pour fabriquer des pièges. Au cours de ce voyage, la jeune compagne de Thanadelthur meurt tragiquement, ce qui oblige Thanadelthur à abandonner sa route et à se rendre au fort, dans l’espoir d’y rencontrer les Anglais. Thanadelthur connaît l’existence du fort, mais elle n’y a jamais mis les pieds.
Quand elle arrive au fort, elle rencontre le responsable, William Stuart. Il travaille avec une autre femme dénée pour conclure la paix entre les Dénés et les Cris afin de pouvoir étendre le commerce des fourrures. L’objectif est d’améliorer leur développement économique.
Lorsqu’ils rencontrent les Cris, Thanadelthur leur demande de venir rencontrer le peuple déné afin de conclure un traité de paix, et ils se mettent en route. Pendant ce périple dans le froid hivernal, Thanadelthur confectionne leurs habits d’hiver avec des peaux d’animaux ainsi que des raquettes avec des branches et des tendons d’animaux.
Thanadelthur sauve l’expédition de la famine à plusieurs reprises. On calme la faim avec du thé ainsi que de la soupe faite uniquement avec de la neige, des mûres et des peaux d’animaux. Finalement, le groupe ne compte plus que Thanadelthur, William Stuart, le Chef cri et une dizaine de Cris. Près de leur destination, ils trouvent les corps de neuf Dénés, apparemment tués par les Cris. Craignant qu’on leur attribue les morts, William Stuart et les Cris refusent d’aller plus loin. Thanadelthur demande au groupe de dresser un camp et d’attendre 10 jours pendant qu’elle part à la recherche de son peuple pour négocier les conditions de paix.
Elle s’aventure seule dans les terres inhospitalières et, quelques jours plus tard, elle tombe sur des centaines de Dénés. En raison de l’attaque précédente par des Cris, Thanadelthur doit se montrer très persuasive pour convaincre son peuple de l’accompagner jusqu’au camp cri. Au bout du compte, plus de 100 Dénés acceptent. Dans la plus pure tradition épique, elle arrive au camp cri le dixième jour.
Puis, les pourparlers de paix sont entamés. Thanadelthur mène les discussions, sermonnant les parties pour qu’elles fassent la paix. Enfin, à la tête d’une délégation de 10 Dénés, dont son frère, elle retourne à Fort York en mai 1716. Au poste de traite, elle devient rapidement conseillère principale du gouverneur James Knight, qui lui demande son avis sur toutes sortes de plans. Il estime qu’elle est l’une des personnes les plus remarquables qu’il ait jamais rencontrées.
Au début de 1717, Thanadelthur tombe malade. Comprenant qu’elle va mourir, elle passe des heures à enseigner le déné à l’un des jeunes travailleurs de la Compagnie de la Baie d’Hudson afin qu’il puisse la remplacer. Elle meurt le 5 février 1717, à l’âge de 16 ans.
Dans le livre intitulé Muskekowuck Athinuwick: Original People of the Great Swampy Land, l’auteur Victor P. Lytwyn donne plus de détails sur cette période :
Lorsque la Compagnie de la Baie d’Hudson a recolonisé York Factory en 1714, elle tenait beaucoup à faciliter la paix entre les Moskégons et les Dénés. La compagnie avait des motifs économiques pour encourager une telle initiative de paix; elle prévoyait d’établir un poste de traite à l’embouchure de la rivière Churchill pour recueillir des fourrures des Dénés. Il y avait également des rumeurs voulant que le territoire des Dénés renferme des métaux précieux, et la compagnie voulait forger une relation amicale pour exploiter ces ressources minérales. La motivation des Moskégons à faire la paix est plus difficile à établir. Ils n’avaient aucun avantage économique évident à faire la paix avec leurs ennemis ancestraux. Toutefois, l’initiative de paix est logique si on l’examine du point de vue de l’alliance entre les Moskégons et la Compagnie de la Baie d’Hudson. En tant qu’alliés de la compagnie, les Moskégons pourraient avoir participé à l’établissement de la paix avec les Dénés afin de solidifier leur relation avec les commerçants anglais. Un examen attentif de la mission de paix de 1715-1716 clarifie le rôle des Moskégons dans cette initiative. Cette mission de paix a précédemment été analysée par des érudits qui s’intéressent au rôle de la Compagnie de la Baie d’Hudson ou de la femme dénée qui a agi à titre d’interprète.
Grâce à des festins et à des présents, James Knight a persuadé le Chef des Moskégons d’entreprendre la mission de paix. Ainsi, 17 hommes et leur famille, soit environ 150 personnes, ont suivi le Chef moskégon. Accompagnant ce groupe se trouvaient William Stuart et Thanadelthur, qui avaient été capturés par les Moskégons.
Les membres du groupe quittent York Factory le 27 juin 1715, et se dirigent vers le Nord en direction de la rivière Churchill. Puis, on ne reçoit plus de nouvelles des pacificateurs jusqu’au 13 avril 1716, date à laquelle trois Moskégons arrivent à York Factory pour signaler que le groupe a souffert d’un manque de nourriture, ce qui l’a forcé à se diviser en quatre ou cinq sous-groupes. Selon leurs dires, le Chef des Moskégons a emmené quatre hommes, de même que Stuart et Thanadelthur, en direction des territoires de chasse d’hiver des Dénés. Un autre sous-groupe de huit hommes moskégons ont pris une route différente en direction de ces territoires de chasse. Ces huit hommes ont rencontré un groupe de Dénés et ont tué neuf personnes en légitime défense.
Le 7 mai 1716, le Chef des Moskégons est retourné à York Factory avec Stuart, Thanadelthur et quatre Dénés. Stuart s’était joint au Chef cri pour faire la démonstration que les deux groupes d’Indiens avaient fait la paix. D’après le rapport de Stuart, le groupe est tombé sur les dépouilles de Dénés tués par des Moskégons. Thanadelthur a accepté d’amener son peuple au camp afin de lui expliquer la situation et d’arriver à obtenir la paix. Au bout de dix jours, Thanadelthur est revenue avec 400 Dénés, dont 160 hommes. Le Chef des Moskégons a expliqué, par l’entremise de Thanadelthur, qui faisait office d’interprète, qu’une paix avait été conclue et qu’il avait offert son calumet en signe d’amitié. Les Chefs dénés ont accepté et, après deux jours de réunions et d’échange de présents, ils sont repartis chacun de leur côté dans la paix. Le Chef des Moskégons a emporté avec lui quatre garçons dénés « adoptés » en signe de paix. Un de ces garçons est demeuré avec le Chef et a été traité comme l’un de ses fils.
Honorables sénateurs, comme je l’ai mentionné au début de mon discours, de nos jours, on utilise des guides pédagogiques en classe pour faire connaître les expériences de Thanadelthur à des fins d’enseignement et de discussion sur des sujets sensibles.
Le 13 août 2017, une journée de commémoration a eu lieu à Churchill, au Manitoba, à l’occasion du 300e anniversaire de l’événement. De nombreux Dénés et de nombreux Cris se sont réunis à Churchill pour rendre hommage à Thanadelthur et commémorer ce qu’elle a accompli.
De plus, pour son courage, ses talents d’artisane de la paix et son apport à l’histoire du Manitoba et du Canada, Thanadelthur a été nommée « personnage historique national » en 2000 et « exemple historique pour les jeunes » en 2002.
De plus, en 2024, l’astéroïde 88786 de la ceinture principale a été nommé Thanadelthur en son honneur.
En août 2022, Mme Antsanen et des représentants de la nation dénée du Manitoba et de la Saskatchewan m’ont invitée à Churchill à l’occasion du changement de nom de la place Hudson, qui a alors été rebaptisée « place Thanadelthur ». À cette occasion, j’ai prononcé une deuxième allocution dans le but de présenter des excuses aux Dénés pour les souffrances qui leur ont été infligées.
Les Dénés ont signé le Traité no 10 à Brochet, au Manitoba, et, comme je l’ai dit, les Cris ont commencé à s’installer à cet endroit. À bien des égards, les relations entre les Cris et les Dénés ont longtemps été violentes, mais il y a eu des mariages entre ces deux peuples, et ces familles ont duré jusqu’à aujourd’hui. Ma tante et d’autres membres de ma famille sont d’ailleurs Dénés.
Ces relations violentes ont amené les Dénés à quitter leurs terres traditionnelles. Lorsqu’ils ont quitté Brochet en 1974, ils ont perdu la sagesse et le sentiment d’appartenance historique qui s’y rattachaient. Ils ont pris la décision extrêmement difficile de s’installer à Lac Brochet, un endroit sans électricité où ils ont réussi à s’y faire une place grâce à leur détermination inébranlable.
En 2009, lors de la célébration du centenaire du traité, j’ai prononcé mon premier discours d’excuses aux Dénés parce que c’était la chose à faire. Je reste une amie proche et une alliée de mes frères et sœurs, de mes grands-mères et de mes grands-pères dénés. Mon père et ma mère étaient proches des Dénés, et mon père a rendu visite aux Dénés de Lac Brochet. Puisque son terrain de piégeage était près de Lac Brochet, il les a aidés dans les moments difficiles et a célébré les bons moments avec eux.
Les Dénés m’ont raconté des histoires sur mes parents. Je n’aurais jamais connu cette facette de mon père si les Dénés ne m’avaient pas raconté ces histoires.
Tout au long de ces années, en tant que Cris et Dénés, nous avons continué à nous réunir pour discuter non seulement de notre histoire collective tumultueuse, mais aussi de ce qui nous unit.
Je me suis toujours sentie comme une étrangère sur ces terres, car nous nous trouvions sur le territoire historique des Dénés, alors que nous étions Cris. En 2005, lors de notre rassemblement annuel à Brochet, l’Aîné Joe Hyslop a déclaré ce qui suit : « Ceci est ma terre et mon territoire. » Prenant la parole après lui, j’ai déclaré que c’était bel et bien le cas, mais que ce territoire était aussi le mien. En effet, c’est sur ce territoire que je suis née et que j’ai grandi, et c’est à celui-ci que je suis attachée depuis ma naissance. J’ai toujours su que nous devions nous efforcer de maintenir la paix, car nous sommes tous membres de la même famille.
Vous voyez, nous étions déjà sur la voie de la réconciliation avant même que ce mot ne soit sur toutes les lèvres. Nous y travaillons activement depuis l’époque de Thanadelthur.
J’aimerais vous faire part des excuses que j’ai adressées aux Dénés :
Je remercie les Dénés de m’avoir invitée et de m’accueillir sur leur territoire.
J’aimerais commencer par un moment de réflexion sur les mauvais traitements qui ont été infligés aux Dénés tout au long de l’histoire, y compris par les Cris dans ce cas-ci. Je tiens à dire à quel point je suis désolée de la peur, de la douleur, de la souffrance et des humiliations que les Dénés ont vécues durant leurs contacts étroits avec les Cris.
Je sais qu’il n’y a rien que je puisse dire aujourd’hui qui pourrait effacer la douleur et la souffrance que vous-mêmes et vos ancêtres avez vécues, individuellement et collectivement. Cependant, je vous tends la main dans un esprit de sororité et de fraternité, dans l’espoir d’aider à régler notre passé et d’entreprendre un nouveau commencement — ce nouveau commencement pour lequel Thanadelthur a déployé tant d’efforts et œuvré sans relâche.
« Je me souviens [...] », alors que je rentrais du pensionnat autochtone :
[...] des tambours et des jeux de mains auxquels jouaient les Dénés, et ces activités culturelles font partie de mes souvenirs les plus chers. Quand les soirées étaient calmes, on pouvait entendre le son des tambours dans tout le village [...] Dans les moments de grand stress de ma vie, je recherchais le son des tambours parce qu’il me rappelait mon foyer et ma parenté à Brochet. Aujourd’hui encore, les tambours restent pour moi un moyen de guérison très puissant. Dans les moments de grand stress, j’ai sollicité les conseils de mes amis et de ma famille cris et dénés, et j’ai cherché du réconfort auprès d’eux. Les Dénés seront toujours un point d’ancrage solide dans ma vie, et j’espère continuer à cheminer avec vous tout au long de ma vie.
Je me souviens d’avoir entendu des anecdotes sur les traumatismes infligés à nos frères et sœurs dénés, qui avaient estimé devoir quitter Brochet pour rendre la vie de leurs enfants plus sûre. Leur décision de déménager leur avait demandé un grand courage, celui de quitter leur territoire d’origine et de refaire leur vie. Nous ne devons pas oublier les souffrances et les traumatismes qui ont marqué ce déplacement, ni ce que les Dénés continuent de ressentir [aujourd’hui] à la suite du traitement brutal que les Cris leur ont infligé. Nous devons faire face à la vérité crue et malaisante partout où la violence et les traumatismes sévissent, y compris à Churchill [...] Nous devons y faire face et y remédier. Commençons par le récit historique de Thanadelthur et, comme elle, défendons la justice.
Je dois aussi me souvenir de l’existence des traumatismes intergénérationnels. Les injustices historiques de ce genre, que ce soit à Lac Brochet, à Tadoule ou à Churchill, continuent aujourd’hui d’avoir des conséquences sur la pérennité et la vitalité des communautés en cause, leurs lois et coutumes, leur langue, la propriété de leur territoire et leur souveraineté.
Je ne connais pas l’ampleur des horreurs que certaines familles et certaines personnes ont vécues, non seulement à Brochet, mais aussi à Churchill. Dans son livre intitulé Night Spirits, Ila Bussidor a décrit bon nombre des préjudices qui en ont découlé et qui en découlent encore aujourd’hui.
Je comprends que les Inuit, les Métis, les Premières Nations et les peuples non autochtones ont infligé des traumatismes aux Dénés de Churchill. Comment entamer le processus de réconciliation ou conciliation? Comment entamer la conversation avec le gouvernement fédéral qui a arraché les Dénés à leur mode de vie nomade et à leurs terres pour les installer de force à Churchill, sans aucune ressource, y compris le logement? Comment le gouvernement reconnaît-il le préjudice que les politiques d’expulsion ont fait subir aux Dénés?
Cerner les conséquences sur les communautés et les individus est un moyen efficace de reconnaître le fondement des distinctions entre les Premières Nations. Comme vous le savez, Thanadelthur, interprète et négociatrice émérite, a joué un rôle diplomatique crucial qui a conduit à la paix entre son peuple, les Dénés, et son ennemi traditionnel, les Cris.
Au nom des Cris, je reconnais le mal qui a été fait à nos frères et sœurs, les Dénés. Les Cris et les Dénés ont leurs propres cultures, et à Brochet, il y a eu un mélange des deux parce que nous vivions ensemble et nous nous sommes aimés. Nous avons eu des familles ensemble. Le Créateur nous a réunis pour une raison, et nous devons honorer l’unité des deux tribus pour cette raison. Pour le bien de nos enfants, nous devons nous retrouver.
J’espère que cette reconnaissance et ces excuses conduiront à un processus de guérison — une reconnaissance de la valeur humaine et de la dignité des Dénés. Comment pouvons-nous commencer à mettre fin au cycle du ressentiment et de la souffrance?
Je ne m’attends pas à un pardon mais, personnellement, je promets de ne pas répéter les traumatismes dont vous avez souffert. Je présente mes excuses dans un esprit de guérison entre les nations crie et dénée. Il est important que nous ne restions pas les bras croisés. Je suis consciente que les Dénés — en tant que nations souveraines — ont le pouvoir de rejeter cette déclaration et ces excuses.
Je comprends qu’il est important d’accorder du temps pour une réponse, que cette réponse ne sera peut-être pas immédiate, et que lorsqu’elle viendra, elle pourrait ne pas être positive. L’important, c’est de reconnaître qu’une injustice a été commise. C’est pour cela que je suis profondément désolée.
Honorables sénateurs, en juillet 2023, je suis allée chez moi, à Brochet, pour participer aux célébrations du Traité no 10 avec les Chefs des Premières Nations de la Saskatchewan et du Manitoba signataires du traité. Nous avons souligné et célébré comme il se doit cette fraternité Dénés-Cris qui est la nôtre. Les Cris ont accueilli les Dénés chez eux, leur ont préparé tous les plats traditionnels, ont joué à des jeux de mains et se sont affrontés dans le cadre de diverses compétitions. On a dansé, chanté, joué du tambour et festoyé. Ce fut le rassemblement le plus réussi et le plus convivial que nous ayons eu.
Les célébrations du Traité no 10 se poursuivront pendant encore sept ans, parce que nous irons maintenant en Saskatchewan. Ces célébrations marqueront le renouvellement d’un traité de paix moderne entre les Cris et les Dénés, et nous avons commencé cela.
Cela correspond au principe selon lequel les excuses doivent toujours être suivies de gestes concrets. Une Cheffe dénée de la Saskatchewan m’a dit qu’elle n’aurait jamais pensé entendre un jour les mots « je suis désolé ». Nous avons terminé les célébrations par des tambours et une danse en cercle des Cris et des Dénés.
Chers collègues, avant de terminer, je tiens à citer ce qu’a dit le Chef Simon Denechezhe, de la nation dénée de Lac Brochet.
Le conseiller cri Billy Linklater, un excellent allié qui agissait au nom du Chef de la nation de Barren Lands, appuyait la résolution. Celle-ci — qui demandait au gouvernement fédéral d’adopter une loi désignant le 5 février comme la journée de Thanadelthur — a été adoptée à l’unanimité par les Chefs du Manitoba Keewatinowi Okimakanak, avec le plein appui du conseil tribal du Keewatin et de leur Grand Chef, Walter Wastesicoot. Lorsqu’il est intervenu à propos de la résolution, le Chef Denechezhe a dit ceci :
Voici un récit oral qui se transmet d’une génération à l’autre. Les événements dont je vous parle sont survenus au début des années 1700. Mes parents et des aînés me les ont aussi racontés. Ce n’est pas seulement une question de reconnaissance, c’est aussi nécessaire pour avancer sur le chemin de la vérité et de la réconciliation. En tant que Nations, nous devons apprendre à nous respecter et nous reconnaître mutuellement, car c’est ainsi que toutes les nations pourront collaborer. Vérité et réconciliation : nous nous sommes engagés sur cette voie. Il faut le comprendre clairement. Nous devons collaborer entre Nations en ces temps modernes. J’ai entendu très souvent que nous devons nous entraider les unes les autres. Toutefois, il semble toujours y avoir des différends. C’est à nous qui sommes autour de la table d’utiliser notre voix, la voix de nos Nations, car nous devons reconnaître que nous aussi, nous sommes sur le chemin de la réconciliation. Merci. Maci-chok!
Honorables sénateurs, j’aimerais conclure mon discours en citant notre ancien collègue, le sénateur Don Plett, qui était porte-parole pour ce projet de loi durant la dernière législature. Dans son discours de novembre dernier en réponse à ce projet de loi, le sénateur Plett a déclaré :
Même si je n’interviens pas très souvent sur ce genre de projets de loi où nous promulguons un mois ou une semaine de sensibilisation — je ne suis pas le plus grand partisan des journées, des semaines et des mois de sensibilisation à quelque chose —, selon moi, le projet de loi S-274 [...]
— c’était alors son numéro —
[...] présenté par la sénatrice McCallum, est différent. C’est une exception parce que, à mon avis, il s’agit d’une occasion pour le pays, et surtout pour les enfants, d’en apprendre un peu sur notre histoire.
Le sénateur Plett a poursuivi :
[...][La] contribution [de Thanadelthur] n’a pas été reconnue à sa juste valeur. Nous connaissons l’incidence qu’ont [eue] d’autres grandes figures au pays et dans différentes provinces, mais nous avons également besoin que des histoires comme celle de Thanadelthur soient mises en lumière. Dans un pays au passé aussi riche que le nôtre, trop de personnages importants sont relégués aux marges de l’histoire.
Le sénateur Plett a ensuite conclu avec ces mots :
Chers collègues, j’encourage tous les sénateurs à soutenir le projet de loi S-274 à l’étape de la deuxième lecture, afin qu’il soit étudié en comité et que celui-ci détermine s’il s’agit du meilleur moyen de reconnaître Thanadelthur, car il ne fait aucun doute que cette reconnaissance est méritée.
Merci.