DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS — La discrimination linguistique
26 mars 2021
Honorables sénateurs, le Mois de la Francophonie s’achève et ça a été l’occasion de réfléchir à notre identité, à ce qui nous unit et à ce qui nous divise encore. La question de l’accent, des accents, a longtemps été une blessure pour moi. Élevée entre deux pays durant mon enfance, le Canada et la France, je parle un français qui m’a valu des insultes à l’école, puis comme journaliste. J’étais la « maudite Française » forcément snob, colonisée, élitiste, car j’empruntais, me reprochait-on, l’accent français, le bien-parler pointu. Or, je n’ai jamais cherché à avoir tel ou tel accent.
Voilà ma petite histoire de privilégiée, j’en suis consciente, qui n’est rien par rapport à la véritable discrimination vécue par des francophones partout dans le monde. Cette discrimination linguistique porte le nom de glottophobie.
Dans les années 1960, pour être embauché comme animateur à Radio-Canada, il ne fallait pas avoir d’accent québécois marqué. Il y avait donc une grande déconnexion entre notre télévision publique et le peuple. Les choses ont changé à la faveur de notre affirmation nationale, mais pas partout. J’ai rencontré des journalistes francophones hors Québec dont la carrière était bloquée à cause de leur accent. J’en ai vu d’autres tout faire pour perdre leur accent régional afin de réussir à percer. Paradoxe plus grand encore : les immigrants de France avaient souvent plus de chance d’être embauchés que des francophones hors Québec dans les médias.
Or, l’accent est révélateur de nos racines, c’est un marqueur d’identité profond, mais l’on juge les gens, trop souvent rapidement et sans appel, d’après ce qui est le plus évident : l’accent. Le quotidien La Presse cite à ce sujet le linguiste français Philippe Blanchet :
Selon le type de prononciation que vous avez, on va vous considérer comme pas fiable, pas sérieux, mal éduqué, pas assez présentable pour la clientèle et le public.
En France, les accents chantants du sud et du nord du pays, mais aussi certains accents étrangers du Maghreb ou de l’Afrique de l’Ouest, font l’objet de railleries. C’est l’accent de l’élite parisienne qui est la norme du bien-parler dans la sphère publique, celui qu’on associe au savoir, au pouvoir, à l’esprit. Les conséquences sont sérieuses : 16 % des Français interrogés dans un sondage il y a un an disent avoir été victimes de discrimination à l’embauche ou dans leur progression professionnelle, à cause de leur accent.
Un député originaire du sud de la France, Christophe Euzet, a réussi à faire adopter en première lecture en novembre dernier une proposition de loi qui fait de la discrimination par l’accent une infraction pénale, punissable de trois ans de prison et d’une amende de 70 000 $, au même titre que l’origine ethnique, le sexe, ou le handicap, question d’amorcer un changement de mentalité.
Cela ne peut que nous faire réfléchir à nos propres préjugés.