La Loi sur les douanes—La Loi sur le précontrôle (2016)
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat
10 mai 2022
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016). Je parlerai dans mon discours de plusieurs problèmes concernant ce projet de loi. Premièrement, je pense qu’il est important d’examiner la justification du gouvernement pour cette mesure législative et de comprendre que ce projet de loi arrive au Parlement très en retard, ce qui signifie qu’il y a un vide juridique sur le plan de l’application de la loi à nos frontières. Deuxièmement, je veux aborder quelques questions et difficultés sérieuses qui émanent de certaines dispositions du projet de loi. Enfin, j’aimerais faire des observations sur la façon dont le projet de loi a été présenté et sur ce que cela révèle, selon moi, au sujet du problème très grave que représente l’approche réactive du gouvernement en matière d’élaboration des politiques.
Malheureusement, chers collègues, ce projet de loi fait partie d’une tendance. La tendance, c’est celle d’un gouvernement qui élabore des politiques de façon très réactive et qui est extrêmement lent à mettre ces politiques en œuvre.
Premièrement, j’aimerais répondre aux arguments du gouvernement sur l’objet du projet de loi, que la sénatrice Boniface a présentés la semaine dernière, dans cette enceinte. Dans ses observations, la sénatrice a indiqué que le projet de loi S-7 découle d’une décision rendue en octobre 2020 par la Cour d’appel de l’Alberta, selon laquelle les procédures d’examen employées par l’Agence des services frontaliers du Canada, ou ASFC, étaient inconstitutionnelles en ce qui concerne le contenu des appareils numériques personnels. Jusqu’à tout récemment, ces appareils étaient examinés au titre de l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes. La cour a décidé d’invalider cette disposition de la loi pour les appareils numériques personnels, au motif que la loi ne limitait aucunement la portée de ces examens.
Depuis de nombreuses années, les agents de l’ASFC se fondent sur l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes ainsi que sur la définition du terme « marchandises » qui se trouve dans cette loi.
Comme la sénatrice Boniface l’a indiqué, les appareils numériques sont en mesure de contenir des documents pouvant renfermer des renseignements sur toute la vie d’une personne ainsi que des données très intimes sur sa vie privée.
La Cour d’appel a établi que, en ce qui a trait à la vie privée, même si une personne qui franchit des frontières internationales doit avoir des attentes réduites par rapport aux normes d’une société libre et démocratique, l’ampleur de l’information à laquelle les agents frontaliers ont accès lorsqu’ils examinent des appareils numériques personnels tend à indiquer que des limites raisonnables doivent être établies.
La sénatrice Boniface a cité cet extrait de la décision de la Cour d’appel :
Nous sommes conscients que la protection de la confidentialité du contenu des appareils électroniques personnels d’un individu tout en reconnaissant la nécessité d’assurer une sécurité efficace à la frontière fait appel à un équilibre complexe et fragile. Il reviendra au Parlement de définir, s’il le choisit, une nouvelle approche imposant des limites raisonnables à la possibilité de réaliser de telles fouilles à la frontière.
Chers collègues, voilà ce que nous faisons aujourd’hui avec ce projet de loi.
Bien que le tribunal ait indiqué que le Parlement doit décider s’il souhaite promulguer une loi à cet égard, en réalité, notre système politique fait en sorte qu’il revient au gouvernement de présenter un projet de loi pour combler le vide juridique qui résulte de la décision de la Cour d’appel.
À cet égard, nous devons être tout à fait conscients qu’il existe maintenant un vide juridique majeur. En effet, bien que la décision de la Cour d’appel de l’Alberta ne s’applique que dans cette province, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a elle aussi statué que le même article de la Loi sur les douanes est inconstitutionnel, ce qui étend ce vide juridique à l’Ontario.
Chers collègues, je crois qu’il importe de signaler la nature des affaires qui ont mené à ces jugements en Alberta et en Ontario. Dans les deux cas, l’affaire portait sur l’importation de pornographie juvénile. Je sais que tous les sénateurs conviendront qu’une telle infraction représente l’un des actes criminels les plus dégoûtants et les plus dangereux qui puissent être perpétrés, puisque l’auteur s’en prend aux membres les plus vulnérables et les plus innocents de notre société.
Dans ses observations, la sénatrice Boniface a déclaré :
Il est impératif que nous prenions au sérieux cette incongruité entretemps. Je vous exhorte, chers collègues, non pas en tant que marraine de ce projet de loi, mais en tant que personne ayant travaillé dans le milieu de l’application de la loi pendant longtemps, à accorder la priorité d’examen au projet de loi S-7. Nous ne pouvons pas laisser cette incongruité persister une journée de plus qu’il le faut pour deux raisons. D’abord, les modules de formation des agents des services frontaliers ne peuvent pas être rédigés avant que la version définitive du projet de loi soit adoptée par le Parlement. Ensuite et par-dessus tout, chaque jour qui passe à partir de maintenant pourra servir à l’importation au Canada de matériel obscène, comme de la pornographie juvénile.
Je suis bien sûr d’accord avec la sénatrice sur ce point, chers collègues. Je pense que nous le sommes tous. Je dois toutefois souligner le fait que la cour a donné au gouvernement 18 mois pour répondre à sa décision. Elle lui a accordé initialement 12 mois, puis elle a prolongé le délai de 6 mois. Or, la sénatrice Boniface a parlé pour la première fois du projet de loi au nom du gouvernement la journée même où le prolongement des dispositions de l’alinéa 99(1)a) de la Loi sur les douanes a pris fin. Comment expliquer cela? En fait, deux jours plus tôt, j’ai souligné au sénateur Gold que l’expiration du prolongement accordé par la cour était imminente. Chers collègues, je ne suis que le porte-parole pour le projet de loi.
À mon avis, rien ne justifie une telle situation. C’est d’autant plus vrai que les mesures que le gouvernement propose maintenant au moyen du projet de loi S-7 — pour utiliser les mots de la sénatrice Boniface — existent déjà. Le projet de loi S-7 prend les politiques internes existantes de l’Agence des services frontaliers du Canada concernant l’examen des appareils numériques personnels et propose de les inscrire dans la loi. Pour une raison qui m’échappe, il aura fallu 18 mois pour y arriver, et ce n’est pas fini.
À ce sujet, je vais encore une fois citer la Cour d’appel de l’Alberta :
Nous savons que l’atteinte d’un équilibre entre la protection de la confidentialité du contenu des appareils électroniques personnels d’un individu et la nécessité d’assurer une sécurité efficace à la frontière sera un exercice complexe et délicat.
Or, le projet de loi S-7 n’a rien à voir avec un exercice complexe et délicat visant l’atteinte d’un équilibre. Il se contente de reproduire dans la loi la politique interne de l’Agence des services frontaliers du Canada. C’est ce que j’ai appris lors de la séance d’information ministérielle, ainsi que dans la séance d’information s’adressant aux porte-parole.
C’est extrêmement malheureux parce qu’il y a des graves préoccupations en matière de protection de la vie privée. Je vais en énumérer quelques-unes. Tout d’abord, il y a le critère juridique qui sera utilisé pour justifier l’examen d’un appareil numérique personnel, à savoir l’existence de « préoccupations générales raisonnables ». Lorsque je parle de « préoccupations générales raisonnables », chers collègues, je cite le projet de loi. Les notes d’information de l’Agence des services frontaliers du Canada précisent que ces préoccupations pourraient être engendrées par une multiplicité d’indicateurs ou par un indicateur particulièrement important. Cela ne nécessite pas d’infraction précise. La préoccupation doit seulement être liée à l’infraction d’une loi concernant l’importation ou l’exportation de biens.
Cela signifie que l’expression « préoccupations générales raisonnables » pourrait, en fait, signifier presque n’importe quoi. Les termes « préoccupations », « générales » et « raisonnables » constituent les normes les plus basses qu’on pourrait fixer. Si un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada trouve qu’un voyageur semble nerveux, ce serait suffisant pour justifier la fouille complète d’un appareil. Il n’y a pas que les malfaiteurs qui seraient pénalisés, mais tous les Canadiens faisant l’objet d’une fouille secondaire. Durant le débat de la semaine dernière, notre collègue, la sénatrice Busson, a dit qu’elle craignait que « ce projet de loi rende plus difficile pour les agents des services frontaliers de fouiller des appareils numériques douteux ».
En revanche, notre collègue, la sénatrice Simons a affirmé ceci :
Je crains que cela ouvre la porte à plus de fouilles intempestives que sous le régime réglementaire utilisé actuellement par les agents frontaliers.
En réalité, chers collègues, ces fouilles n’étaient même pas effectuées dans le cadre d’un régime réglementaire, mais d’une politique n’offrant aucun contrôle ni aucune protection aux Canadiens.
La sénatrice Omidvar a dit que si des préoccupations générales raisonnables sont engendrées par un comportement qu’un agent frontalier observe, ce serait quelque chose de « profondément subjectif ».
Je suis d’accord avec la sénatrice, puisque cette subjectivité serait rendue encore plus présente par le fait que les interventions pourraient être déclenchées par de nombreux indicateurs, qui n’ont pas été définis. Ce pourrait être en raison d’un seul indicateur, encore une fois, qui n’a pas été défini, ou même, comme l’a dit quelqu’un avec justesse lors de la séance d’information, il pourrait s’agir de profilage racial. Il pourrait n’y avoir aucune raison. Chers collègues, une fois qu’un Canadien passe à la fouille secondaire, on pourrait fouiller dans ses appareils numériques sans aucune raison valable.
Ce qui ajoute à la confusion est le fait que, comme l’a souligné à juste titre la sénatrice Simons, il n’y a pas de précédent en droit canadien concernant l’utilisation des termes « préoccupations générales raisonnables » dans une loi. Le gouvernement a rejeté l’idée d’employer l’expression juridique « motifs raisonnables de soupçonner », qui est mieux connue, prétextant que cette expression n’était pas appropriée dans le contexte frontalier. Je pense qu’il faut bien comprendre les arguments juridiques en présence. Le fait que la Cour d’appel de l’Alberta ait apparemment refusé d’imposer un seuil concernant les « motifs raisonnables de soupçonner » dans sa décision semble appuyer cet argument. En tant que législateurs, il faut comprendre pourquoi il en est ainsi et pourquoi la codification simple de la politique de l’Agence des services frontaliers du Canada constitue la meilleure approche. Le gouvernement n’a fourni aucune explication sur cet élément important et on lui a posé directement la question. Il est impossible de savoir ce que signifie exactement « préoccupations générales raisonnables ». Comme je l’ai dit plus tôt, le simple fait qu’une personne paraisse nerveuse pourrait suffire.
Si nous devons nous conformer à la consigne de la cour de définir « une nouvelle approche imposant des limites raisonnables à la possibilité de réaliser des fouilles à la frontière », cette question sera étudiée par un comité. Il est question de limites raisonnables, chers collègues. C’est ce qu’a indiqué la cour. En fait, la notion de préoccupations générales raisonnables revient à une absence de limites. Je crois que le gouvernement ne s’est pas livré à cet exercice en rédigeant ce projet de loi, l’ayant tiré directement de sa politique. Il incombe donc au Parlement, c’est-à-dire à nous, chers collègues, de combler cette lacune, tout en composant avec la pression du vide juridique que le gouvernement a créé en laissant s’écouler plus de 18 mois.
En ce qui concerne l’examen des appareils numériques personnels à la frontière, des questions fondamentales se posent quant à la manière exacte dont les agents s’y prendront. On nous a affirmé que ces examens seront encadrés par des règlements dont nous n’avons pas vu la couleur et que nous n’élaborerons pas.
Chers collègues, comme vous le savez, bien qu’une mesure législative comme le projet de loi S-7 permette l’élaboration de règlements, nous n’aurons pas notre mot à dire sur ces derniers, car notre rôle se limite à rédiger la loi qui permet l’élaboration de ces règlements. Par conséquent, il est de notre devoir de veiller à ce que les fouilles que subissent les Canadiens soient équitables, mais aussi à ce que les fouilles nécessaires puissent être effectuées lorsqu’elles sont justifiées. Cela doit l’emporter sur des « préoccupations générales raisonnables ».
En ce qui concerne ces règlements, le gouvernement a seulement indiqué deux choses. Premièrement, les agents seront tenus de prendre des notes lorsqu’ils examineront des appareils numériques personnels. Deuxièmement, ces examens se limiteront au matériel présent ou stocké dans les appareils au moment où une personne traverse la frontière.
À l’heure actuelle, nous savons très peu de choses sur la protection concrète qui sera offerte par la prise de notes et sur la manière dont seront régies les limites imposées quant au matériel qu’un agent frontalier peut examiner dans un appareil numérique personnel. Cela inclura-t-il de simples liens vers un site Web ou des fichiers stockés en nuage qui ne se trouveraient évidemment pas dans un appareil numérique?
Ce que nous voulons dans ce contexte, c’est donner aux agents frontaliers des moyens suffisants pour intercepter du matériel obscène ou autrement illégal tout en donnant aux Canadiens l’assurance que leur vie privée ne sera pas compromise lorsqu’il n’y a absolument rien qui le justifie. C’est l’équilibre que nous devons établir.
Dans ce contexte, on m’a dit lors d’une séance d’information s’adressant aux porte-paroles que les agents de l’ASFC qui fouillent un appareil numérique personnel doivent d’abord désactiver la connectivité mobile — ou, comme on le dit communément, « mettre l’appareil en mode avion » — afin de ne pas avoir accès au matériel qui peut simplement être consulté sur le Web et qui n’est pas stocké sur l’appareil. Chers collègues, si c’est enregistré et accessible sur l’appareil, c’est légitime. C’est bel et bien ce qu’on m’a dit.
Chers collègues, voici une anecdote personnelle. Il y a plusieurs années de cela, on m’a retenu à la frontière. En fait, en remplissant la déclaration de douane, j’avais déclaré avoir en ma possession 1 000 $ de marchandises. Comme je savais que la limite était de 800 $, je suis entré au poste frontalier pour dire que je voulais payer la taxe et les droits de douane pour la différence. On m’a alors soumis à une fouille secondaire. Les agents m’ont demandé mon téléphone et je le leur ai donné. Ils m’ont demandé de le déverrouiller, ce que j’ai fait. Ils ont examiné mes relevés de compte Visa. Je ne connaissais pas la politique, car je n’avais pas de raison de la connaître. On ne peut invoquer comme excuse le fait d’ignorer la loi, mais c’est peut-être différent en ce qui concerne la politique de l’Agence des services frontaliers du Canada. L’agent des douanes a examiné mes relevés de compte Visa et m’a demandé : « Où avez-vous acheté ceci? Qu’est-ce que c’est? À quoi correspond ce montant? » Cette façon de faire portait atteinte à ma vie privée. Les agents ne m’ont pas dit qu’ils devaient mettre mon téléphone en mode avion, ce qu’ils n’ont pas fait, évidemment. En fait, je pense qu’ils ne le font pas dans la majorité des cas, peut-être même dans tous les cas.
J’ai demandé à la sénatrice Boniface, après son discours, s’il serait approprié que les agents des services frontaliers conseillent également aux voyageurs de désactiver leur connexion. Bien sûr, on ne m’avait pas conseillé de le faire. Or, cela pourrait rassurer les voyageurs que leurs renseignements personnels soient protégés, mais aussi faire en sorte que le matériel illégal stocké sur l’appareil soit accessible aux agents des services frontaliers.
La sénatrice Boniface a suggéré que nous nous penchions sur cette question lors de l’étude en comité, et je crois que nous devons le faire, car il s’agit d’un élément essentiel. Nous devons nous assurer que le processus réglementaire est transparent et qu’il offre aux Canadiens les garanties auxquelles ils ont droit.
Les dispositions de ce projet de loi soulèvent d’autres questions qui méritent notre attention. Par exemple, l’une des mesures intégrées au projet de loi prévoit de diminuer l’amende maximale pour entrave au travail d’un agent des services frontaliers qui effectue une fouille. Chers collègues, on propose dans le projet de loi de réduire l’amende de 50 000 $ à 10 000 $ dans le cas d’une procédure sommaire et de 500 000 $ à 50 000 $ dans le cas d’une mise en accusation.
Je ne sais trop comment la réduction importante des amendes pour la contrebande de matériel de pornographie juvénile servira à protéger les enfants qui font l’objet de ces abus odieux. En fait, je ne vois pas très bien ce que cette disposition a à voir avec l’un des objectifs du projet de loi. Chers collègues, les peines pour des crimes comme celui-ci devraient être renforcées et non réduites.
Au Sénat, nous avons pu constater une tendance à nous renvoyer des projets de loi soudainement, en urgence, souvent à la suite d’un moment de panique lié à des mesures mal planifiées ou des échéances imminentes. Chers collègues, cela a été le cas il y a plus d’un an avec le projet de loi sur la santé et la sécurité dans la zone extracôtière. Le gouvernement avait eu cinq ans pour mettre en œuvre un règlement sur la santé et la sécurité extracôtière. Il a demandé deux ans de plus, que nous lui avons accordés dans une loi d’exécution du budget. Le gouvernement a aussi demandé un délai supplémentaire de deux ans au sujet du projet de loi du sénateur Ravalia, manifestement présenté au Sénat. Nous avons répondu non et lui avons dit de se contenter d’un an. Le projet de loi a été adopté à l’unanimité par le comité, le Sénat et l’autre endroit.
Il est clair que l’échéance est imminente dans le cas du projet de loi maintenant à l’étude. En fait, elle est passée. Je n’ai entendu aucun argument démontrant que cette approche était inévitable. Je ne veux pas trop m’éloigner du sujet, chers collègues, mais cette approche est devenue tellement courante que beaucoup d’entre nous ont à peine sourcillé lorsqu’on nous a dit : « ah oui, en passant, la date d’échéance est aujourd’hui. »
Il y a 18 mois, la Cour d’appel de l’Alberta a indiqué s’attendre à une approche très différente de la part du gouvernement. Je vous rappelle la déclaration de la cour :
Nous sommes conscients que la protection de la confidentialité du contenu des appareils électroniques personnels d’un individu tout en reconnaissant la nécessité d’assurer une sécurité efficace à la frontière fait appel à un équilibre complexe et fragile.
Chers collègues, je suis entièrement d’accord. Comme la cour l’a statué, il incombe maintenant aux parlementaires de concevoir une approche qui impose des restrictions relatives aux fouilles faites dans les postes frontaliers, tout en préservant la sécurité de nos frontières.
Chers collègues, nous savons maintenant que cette approche ne peut reposer sur des définitions vagues de type « préoccupations générales raisonnables » qui n’ont aucun fondement dans la législation canadienne, encore moins dans la pratique. Merci, chers collègues.
Merci, sénateur Wells. J’estime que vous avez soulevé des questions très pertinentes, surtout en ce qui concerne les échéances. J’ai des inquiétudes similaires au sujet du projet de loi. De plus, vous n’avez pas mentionné — mais je pense que vous en êtes conscient — qu’on a refusé le renvoi de cette affaire à la Cour suprême. Par conséquent, il y a un manque d’uniformité dans le travail des agents des services frontaliers d’un bout à l’autre du pays. Selon moi, il serait très important d’appliquer une approche pancanadienne, une approche normalisée que nous pourrions facilement faire connaître à nos partenaires américains et d’ailleurs.
Alors, malgré notre frustration à l’égard de la lenteur avec laquelle ce projet de loi a franchi les étapes pour se rendre au Sénat, convenez-vous que, dans l’intérêt des agents des services frontaliers qui essaient d’accomplir leur travail, nous devrions procéder à un examen exhaustif et ne pas ralentir intentionnellement le processus sous prétexte que nous ressentons de l’insatisfaction à l’égard du gouvernement?
Je vous remercie, sénatrice Boniface. Parmi les gens qui sont près de moi et que je conseille, personne ne ralentira ce processus. Selon moi, il faut régler ce dossier le plus tôt possible, avec la rigueur nécessaire pour protéger les Canadiens.
Sénateur Wells, vous avez brièvement parlé du mode avion. Votre téléphone est peut-être différent du mien, mais, sur le mien, il suffit de cliquer sur un bouton pour mettre l’appareil en mode avion. Cela signifie que les agents des services frontaliers peuvent facilement désactiver le mode avion et regarder ce qui se trouve sur votre téléphone. Vous avez peu parlé de ce point. À titre de porte-parole pour ce projet de loi, j’aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.
Je vous remercie, sénatrice Moncion. Vous avez raison : cette fonction est facile à activer et à désactiver. Il est aussi facile de déverrouiller un téléphone au moyen de l’empreinte faciale, de l’empreinte digitale sur certains appareils, ou simplement du mot de passe.
À ma connaissance — cela a été dit, je crois, dans le discours qu’a prononcé la sénatrice Boniface à l’étape de la deuxième lecture et dans l’une des deux séances d’information qui m’ont été offertes par des fonctionnaires du ministère —, vous devez donner le mot de passe qui permet de déverrouiller votre téléphone. C’est une exigence. Si vous choisissez de ne pas donner votre mot de passe, l’Agence des services frontaliers du Canada a le droit de prendre le téléphone et de le déverrouiller en utilisant les méthodes à sa disposition.
Je ne me souviens pas du terme exact, mais les gens de l’agence m’ont dit avoir pour politique de faire une recherche dans le contenu du téléphone seulement en mode non connecté. C’est ce que j’appelle le mode avion et, oui, il est facile de le désactiver. Un agent qui le fait va toutefois à l’encontre de la politique de l’agence, comme cela s’est produit dans mon cas. En fait, je n’avais même pas activé le mode avion parce que j’ignorais avoir cette option. Je crois que les Canadiens ont le droit fondamental d’être informés qu’ils ont cette option, notamment au titre de la politique. La loi, par contre, ne le prévoit peut-être pas.
Vous avez raison : désactiver le mode avion est simple, mais, selon la politique — à ce qu’on m’a dit —, une fouille doit être menée sans connectivité. Désactiver le mode avion est très simple et peut-être que, si nous amendons le projet de loi, la loi pourrait exiger qu’ils soient informés. Je pense que cet amendement mérite d’être considéré pour la protection des droits des Canadiens.
Sénateur Wells, lorsque vous avez prononcé votre discours sur le projet de loi, vous avez parlé du délai proposé par le gouvernement et vous avez également, je crois, qualifié d’ignobles et de révoltants certains des crimes dont nous parlons aujourd’hui.
Je pense que l’adage « mieux vaut tard que jamais » s’applique peut-être ici. Certes, vous dites qu’il est difficile d’établir un juste équilibre, mais ne seriez-vous pas d’accord pour dire que le projet de loi devrait être renvoyé immédiatement au comité, pour qu’on discute et débatte de cet équilibre, en acceptant que, dans l’intervalle, il y ait des victimes innocentes, comme vous les avez appelées, qui sont le sujet de toute cette discussion?
Merci, sénatrice Busson. Vous soulevez un très bon point. Cette mesure législative doit être prise le plus rapidement possible. Je ne veux pas dire que cela aurait pu être fait il y a 18 mois, mais cela aurait dû être fait il y a longtemps. Je ne vois aucune raison de ralentir le processus visant à renvoyer le projet de loi au comité.
Bien entendu, nous avons tous le droit de nous exprimer à ce sujet et cela pourrait être long. Je ne sais pas si certains des collègues de mon caucus veulent prononcer un discours sur ce projet de loi. Je ne crois pas — on ne me l’a pas indiqué —, mais renvoyons cette mesure au comité, qui pourra l’examiner au titre qu’il mérite. C’est un enjeu important. Ce n’est pas banal. Dans la situation actuelle, le pire scénario se produit parfois. Je n’ai aucune raison de vouloir retarder cette mesure ni de la voir retardée.
Sénateur Wells, vous avez parlé du fait que votre iPhone a déjà été fouillé et que les agents avaient trouvé des relevés de votre carte Visa. J’aimerais que vous nous disiez si vous vous êtes senti absolument lésé quand ils ont trouvé ces relevés sur votre iPhone. En outre, comment vous sentez-vous quand ils fouillent votre valise de fond en comble?
Sénatrice Busson, ma vie est monotone. Il est vrai que j’ai senti une atteinte à ma vie privée, puisqu’il s’agissait de mes relevés bancaires. J’effectue mes transactions bancaires à l’aide de mon téléphone. J’ai ressenti une atteinte à ma vie privée, mais je me suis dit que c’était la façon de procéder dans un pays libre. En outre, je n’avais rien à cacher.
D’ailleurs, sur le formulaire de déclaration, j’ai indiqué que j’avais plus que le montant. Lorsqu’on occupe une position officielle comme la nôtre, il est inutile de tenter de contourner la loi, parce que les manchettes ne diront pas qu’un homme a tenté de contourner la loi, mais qu’un sénateur a tenté de le faire.
Il y a de nombreuses années, j’ai ressenti une atteinte à ma vie privée. Dans les années 1970, ma voiture était garée dans mon entrée et les portes étaient verrouillées. Le lendemain matin, quand je me suis réveillé, on s’était introduit dans ma voiture pour voler mes cassettes. Il ne s’agissait pas de cartouches à huit pistes, sénatrice Simons. Il s’agissait de bonnes vieilles cassettes ordinaires.
Deux semaines plus tard, en retournant à ma voiture, j’ai trouvé une de ces cassettes sur le siège du passager. On m’avait rapporté une cassette.
Attendez. C’est peut-être vrai. C’est à ce moment-là que j’ai senti qu’on portait atteinte à ma vie privée, lorsque j’ai été la cible d’un geste posé sans motif raisonnable. Ils ne sont pas venus pour voler quelque chose. Ils l’avaient déjà fait. J’ai senti qu’on portait atteinte à ma vie privée parce qu’il n’y avait aucun motif raisonnable de poser ce geste, et je pense que c’est un aspect essentiel de ce débat.
Ils n’ont pas trouvé de lecteur.
Sénateur Wells, lors de votre intervention, vous avez dit qu’un nouveau critère était introduit au moyen du projet de loi S-7; c’est le cas.
Vous avez aussi renvoyé à d’autres interventions de sénateurs et de sénatrices qui reprochent à ce projet de loi l’introduction d’un nouveau concept. Ne diriez-vous pas que l’étude que vous souhaitez voir faite en comité — et je pense qu’il est important de faire cette étude — ne doit pas porter sur l’introduction ou non d’un nouveau concept?
Le problème n’est pas que ce soit un nouveau concept, parce que c’est la Cour d’appel qui l’a elle-même introduit. Quand la Cour d’appel dit que le concept existant est peut-être trop sévère pour la situation qu’on veut couvrir, le législateur pourrait privilégier un concept moins sévère et qui crée moins d’obligations pour les agents des douanes.
Le fait que ce soit un nouveau concept est donc dans l’ordre des choses. Ne devrait-on pas plutôt tenter de savoir si le concept retenu par le gouvernement dans son projet de loi est approprié sur le plan juridique pour la situation qu’on veut couvrir?
Il ne faut pas non plus créer d’épouvantails. Comme de nouveaux concepts sont souvent inclus dans les nouvelles lois, ne faudrait-il pas étudier la question à savoir si ce concept, qui a été retenu par le gouvernement, est approprié dans le contexte qu’on veut couvrir dans cette loi?
Sénatrice Dupuis, vous avez tout à fait raison; c’est ce que la Cour d’appel a dit. Ce qui me pose problème, c’est le nouveau concept choisi par le gouvernement, les « préoccupations générales raisonnables », car j’estime qu’avec ce terme, il n’y aurait pas de limite à ce qui pourrait justifier un examen. Nous sommes censés être rassurés lorsqu’on nous dit que l’ASFC prendra des notes. Or, selon moi, les notes serviront certainement à protéger l’ASFC, et non la personne visée par l’examen. Les notes diront que la personne semblait nerveuse, qu’elle ne semblait pas venir du Canada, qu’elle était en sueur, qu’elle était agitée, etc.
Exactement comme vous, je crois que le critère des préoccupations générales raisonnables, le nouveau concept présenté par le gouvernement, probablement sur la recommandation de l’ASFC, est un seuil trop bas pour assurer la protection du droit à la vie privée qui devrait être garanti à tous les Canadiens respectueux des lois.
Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Oui.
Merci beaucoup. Il est extrêmement difficile de parler des questions liées à la pornographie juvénile parce qu’il s’agit d’un crime et d’une forme d’exploitation ignobles. L’exploitation sexuelle des enfants en ligne est un fléau au Canada. Personne au Sénat ne la défend.
Ce qui me préoccupe, c’est une question d’équilibre et de volume. Tous les jours au Canada, des milliers de fichiers de pornographie juvénile sont achetés, vendus et échangés en ligne. La quantité disponible en ligne est pratiquement infinie.
Pourtant, au cours des cinq dernières années, plus précisément du 5 mai 2017 au 5 mai 2022, l’Agence des services frontaliers du Canada n’a saisi que 392 fichiers de pornographie juvénile sur des supports numériques; on peut penser aux téléphones cellulaires et aux ordinateurs, aux disques durs, aux clés USB, aux CD et aux DVD, ce genre de choses. Nous parlons donc de 392 articles saisis en cinq ans, et tous ne se trouvaient pas sur des téléphones cellulaires et des ordinateurs. En fait, une petite proportion se trouvait probablement sur des téléphones et des ordinateurs. Je n’en suis pas certaine.
Il me semble que nous violons potentiellement les libertés civiles de tous les voyageurs qui vont à l’étranger pour colmater un très petit trou dans un barrage étant donné que des millions de fichiers de pornographie juvénile déferlent sur Internet. Je voudrais savoir si vous êtes d’avis que l’empiétement sur nos libertés civiles est suffisamment circonscrit compte tenu de l’infime quantité de fichiers de pornographie juvénile effectivement détectée de cette façon.
Il s’agit d’une excellente question. Autrefois, les gens qui voulaient importer de la pornographie juvénile — ce qui est un acte odieux, nous en convenons tous — mettaient ces images dans une chemise, un classeur, un album, un magazine ou quelque chose du genre. Cependant, comme vous l’avez dit, maintenant, la vaste majorité — et je ne saurai trop insister sur le terme « vaste » — ne se trouve pas dans les pages d’un ouvrage, mais est stockée en ligne, sur un nuage, dans des pièces jointes de documents seulement accessibles par Internet.
Il y a une façon d’empêcher les gens de traverser la frontière canadienne avec ces images stockées sur leurs appareils numériques. Il faut fouiller tout le monde et permettre à l’Agence des services frontaliers du Canada d’avoir pleinement accès à tous les appareils. Nous savons que ce n’est pas raisonnable. Ce serait comme dire que nous savons que nous pouvons empêcher les accidents de la route en imposant une limite de vitesse de 5 kilomètres à l’heure. Ce n’est guère pratique. Les libertés dont nous jouissons, en particulier le droit à la vie privée, qui est fondamental dans notre société et au Canada, sont importantes.
Il est également important d’empêcher ce matériel de traverser la frontière, mais vous avez raison. C’est comme colmater un trou dans une digue avec un doigt, car même si vous mettez le doigt sur le trou, l’eau continuera de s’écouler par-dessus. C’est ce qui se passe. Je ne pense vraiment qu’aux Canadiens qui entrent au pays, et non aux autres. De toute évidence, cela ne me préoccupe pas autant que les droits des Canadiens à la vie privée. Je pense qu’il est important de trouver un juste milieu et de ne pas se limiter au strict minimum, soit aux « préoccupations générales raisonnables ».
Vous soulevez un excellent point. Nous nous concentrons sur la petite monnaie alors que les dollars affluent.
Sénateur Wells, saviez-vous que même si votre téléphone est en mode avion et que la fonction de localisation n’est pas activée, ils sauront où vous êtes allé et combien de temps vous avez passé à divers endroits?
Oui, je sais que les téléphones suivent et stockent beaucoup de ces informations. Je sais que toutes les données géographiques sur nos activités sont suivies et stockées. La politique qui exige que les appareils soient mis en mode avion ou déconnectés, s’il s’agit bien de la politique, est raisonnable. Bien sûr, vous devez déclarer d’où vous venez. Il peut sembler évident d’obtenir cette information à partir de votre carte d’embarquement, mais je suis conscient que d’autres renseignements peuvent être tirés des vos appareils personnels déconnectés.
Le sénateur Wells accepterait-il de répondre à une autre question?
Bien sûr, sénatrice, je vous en prie.
Sénateur Wells, en vérité, j’aurais dû poser cette question à la marraine du projet de loi, mais j’ai manqué l’occasion. Je ne me souviens plus exactement ce qui s’est passé, mais peut-être pourriez-vous m’aider à comprendre la chose suivante.
Avec ces nouveaux pouvoirs de procéder à des fouilles en cas de préoccupations générales raisonnables, que dit le projet de loi sur la surveillance des agents de l’ASFC? Devons-nous simplement attendre le projet de loi sur la surveillance indépendante qui devrait arriver à un moment donné?
C’est une bonne question. Dans mon discours, j’avais un paragraphe à ce sujet, mais je l’ai laissé de côté pour me concentrer sur la teneur du projet de loi. La question de la surveillance des agents de l’ASFC, qui est insuffisante, n’est pas abordée dans le projet de loi.
Cette question pourrait être posée en comité lors de la comparution des témoins de l’ASFC, ou peut-être que la sénatrice Boniface en saura davantage à ce sujet à l’étape de la troisième lecture? C’est en effet une question importante.
Sénateur Wells, je me demande ce qu’est un « indicateur raisonnable ». Auriez-vous la moindre idée de ce que cela peut être? C’est très subjectif pour les gardes-frontières. Pour les avoir vus à la tâche en Norvège et en Espagne, je sais ce que cela peut signifier. Parfois, ils ne sont pas très objectifs. Que serait un « indicateur raisonnable » au Canada?
Sénateur Richards, j’aimerais bien le savoir. Je sais que, dans son discours à l’étape de la deuxième lecture, jeudi dernier, la sénatrice Boniface a mentionné que ces agents sont des professionnels, qu’ils ont de l’expérience et qu’ils savent repérer les signes.
Je n’ai aucune expérience en la matière. Je ne saurais pas quels signes guetter. Un homme pourrait ne pas s’être rasé depuis trois jours, ne pas avoir pris de douche depuis quatre jours, être mal habillé et être simplement un citoyen modèle qui a eu une semaine difficile; des membres du clergé pourraient arriver à la frontière et porter leur col; un bel homme pourrait se présenter fraîchement rasé et propre, mais avoir dans ses appareils les pires choses imaginables. Je ne le sais pas. Des professionnels le sauraient, mais pas moi.