Le Code criminel
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Débat
4 mai 2021
Propose que le projet de loi S-231, Loi modifiant le Code criminel et une autre loi en conséquence (mise en liberté provisoire et engagement en cas de violence familiale), soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, honorables sénatrices, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-231, Loi modifiant le Code criminel et une autre loi en conséquence (mise en liberté provisoire et engagement en cas de violence familiale).
Je tiens à débuter mon discours en honorant la mémoire des 10 femmes tragiquement assassinées dans un contexte de violence conjugale au cours des dernières semaines au Québec.
Elle s’appelait Elisapee Angma, et elle a été tuée le 5 février dernier, à Kuujjuaq.
Elle s’appelait Marly Édouard, et elle a été tuée le 21 février, à Laval.
Elle s’appelait Nancy Roy, et elle a été tuée le 23 février, à Saint-Hyacinthe.
Elles s’appelaient Sylvie Bisson et Myriam Dallaire, et elles ont été tuées le 1er mars, à Sainte-Sophie.
Elle s’appelait Carolyne Labonté, et elle a été tuée le 18 mars, à Notre-Dame-des-Monts.
Elle s’appelait Nadège Jolicœur, et elle a été tuée le 19 mars, à Saint-Léonard.
Elle s’appelait Rebekah Harry, et elle a été tuée le 23 mars, à Montréal.
Elle s’appelait Kataluk Paningayak-Naluiyuk, et elle a été tuée le 25 mars, à Ivujivik.
Elle s’appelait Dyann Serafica-Donaire, et elle a été tuée le 16 avril, à Mercier.
En 2020, ce sont 160 femmes qui ont été assassinées au Canada, dont 60 % ont été tuées par un partenaire intime.
Honorables sénateurs, c’est donc avec une sincère émotion et un sentiment d’espoir pour toutes les victimes de violence conjugale et familiale que je m’adresse à vous aujourd’hui pour vous présenter le projet de loi S-231.
Ce projet de loi me tient profondément à cœur, puisque je me bats de toutes mes forces et avec toute mon énergie depuis maintenant deux ans pour le concrétiser.
Comme vous le savez, depuis la mort de ma fille Julie, en 2002, je me suis vigoureusement engagé à contrer la violence faite aux femmes sous toutes ses formes.
Malheureusement, d’après les données à notre disposition, les crimes contre les personnes touchent majoritairement les femmes. Lorsque nous parlons de violence conjugale, les femmes sont surreprésentées. Près de huit personnes sur dix qui sont assassinées chaque année au Canada sont des femmes.
Au cours des deux dernières années, j’ai eu l’occasion de rencontrer des centaines de femmes aux quatre coins du pays qui provenaient de différents milieux. Avec douleur et dignité, elles ont ouvertement partagé avec moi leurs histoires et leurs témoignages face à la violence qu’elles ont dû endurer pendant de trop nombreuses années. Elles ont partagé des témoignages lourds en émotions, parfois difficiles à écouter et souvent révoltants.
Ces femmes ont survécu à des tentatives de meurtre, des voies de fait graves, des agressions sexuelles, de la violence psychologique, et ce, à répétition pendant les longues années qu’a duré leur calvaire. Ces femmes ont traversé des moments particulièrement éprouvants. Pour la plupart d’entre elles, les séquelles de ces violences sont toujours présentes. Pendant mes consultations, la plupart de ces victimes m’ont clairement fait comprendre que le système de justice ne répond pas « présent » lorsqu’elles trouvent le courage de dénoncer.
La plupart d’entre elles se réfugient dans des maisons d’hébergement ou se retrouvent dans des situations précaires où le retour à la vie sociale est souvent très compliqué. Elles sont livrées à elles-mêmes dans notre système de justice obsolète, inefficace et en lequel elles n’ont plus confiance. Aucune protection ne leur est garantie lorsqu’elles sortent de leur prison de silence. Certaines d’entre elles l’ont payé de leur vie. Je tiens aujourd’hui à remercier ces femmes, à qui j’ai donné un droit de parole pour qu’elles puissent écrire un projet de loi pour les femmes victimes de violence conjugale.
Lorsque j’ai déposé mon projet de loi dans cette Chambre le 30 mars dernier, j’ai organisé une conférence de presse en compagnie de deux femmes victimes de violence conjugale. L’une d’entre elles, Diane Tremblay, que je salue pour son courage, est venue témoigner devant le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles. Elle a livré un témoignage émouvant. J’aimerais vous en citer un extrait, qui décrit une situation où sa vie était menacée. Cette citation pourrait être attribuée à plusieurs femmes. Je la cite :
Mon agresseur m’a dit : « Viens avec moi, j’ai une surprise pour toi. » Je lui ai répondu que ça ne me tentait pas, mais il a insisté, comme d’habitude. [...]
Ensuite, nous avons emprunté le chemin de la Montagne, à Hull, qui mène sur un chemin de campagne très boisé. Nous nous sommes rendus au bout du chemin, près d’un terrain de golf. Il essayait de m’étourdir pour que je ne sache pas où nous étions, mais j’observais tout. Il faisait tout pour que je ne me retrouve plus et pour me terroriser encore plus.
Il m’a ordonné de lui remettre mon cellulaire, ce que j’ai fait. Il disait : « T’auras pas ton cellulaire, comme ça, tes enfants ne pourront pas te rejoindre ni me déranger, surtout pas ton Julien. » Nous avons fait le tour du collège jusqu’en arrière, dans un grand stationnement. Il a stationné la voiture juste à côté d’un boisé. Il a enlevé mes lunettes, il a commencé à m’embrasser, je n’avais pas le choix de me laisser faire. Je savais que si je ne faisais pas ce qu’il voulait, ma vie était définitivement encore plus en danger. On le ressent terriblement.
Malheureusement, j’ai été violée une nouvelle fois. Mes pleurs et mes cris étaient étouffés par la peur et la honte.
Cette partie du témoignage de Mme Tremblay ne représente qu’un des évènements qu’elle a dû subir pendant quatre longues années, de 2003 à 2007. Elle a subi plusieurs agressions sexuelles et plusieurs tentatives de meurtre, le plus souvent sous les yeux de ses deux enfants. Ce qui m’a le plus frappé dans son histoire, c’est que, pendant ces quatre années, Mme Tremblay a porté plainte à la police à plusieurs reprises sans être en mesure d’être protégée d’un agresseur dangereux.
Des témoignages comme celui-ci, j’en ai entendu des centaines, des centaines de témoignages où le système de justice n’a pas répondu « présent » à ces femmes qui demandaient de l’aide, souvent au risque de leur vie.
Lorsque j’ai eu l’idée de déposer un projet de loi pour contrer la violence familiale, je m’étais fixé l’objectif de le faire en me fondant sur les témoignages de ces femmes. Comme je le dis souvent, elles ont tenu le crayon pour le rédiger. Je les ai écoutées. Je sais à quel point l’écoute est importante, puisque je suis moi-même le père d’une jeune femme assassinée. Je sais que les victimes et leurs proches sont les personnes les mieux placées pour éduquer le législateur sur l’avenue à emprunter pour modifier et bonifier efficacement la loi existante.
Pour créer ce projet de loi, je me suis également entretenu avec plusieurs groupes d’intervenantes provenant en majorité de centres d’hébergement pour femmes violentées. J’aimerais souligner le travail colossal accompli tous les jours par ces intervenantes, souvent des victimes elles-mêmes, qui consacrent leur vie à ces centres d’hébergement dans l’espoir de sauver ces femmes qui se retrouvent en danger et qui n’ont d’autre choix que de se cacher pour fuir la violence de leur partenaire et sauver leur vie.
Les centres d’hébergement pour femmes ont été mis en place pour secourir les femmes et leurs enfants qui fuient la violence. Malheureusement, ces centres ont souvent tendance à remplacer le système de justice, qui est souvent trop timide lorsqu’il s’agit d’assurer la protection de ces femmes. Il n’est pas normal qu’une femme victime de violence conjugale doive se cacher, abandonner sa maison, déménager avec ses enfants, laisser son emploi et tout quitter pour fuir la violence de son agresseur et rester en vie, alors que c’est elle la victime.
J’aimerais vous citer une partie d’un document d’Elizabeth Sheehy, professeure émérite de droit de l’Université d’Ottawa, qui a témoigné devant le Comité des affaires juridiques lors de l’étude du projet de loi C-75. Je la cite :
Nous observons très peu de condamnations prononcées par les tribunaux criminels en raison de la violence faite aux femmes, et ce, pour les raisons que nous connaissons très bien : les femmes ne dénoncent pas pour de nombreuses bonnes raisons. Les dénonciations ne font pas l’objet d’enquêtes ou de poursuites appropriées; les femmes retirent leurs accusations; les hommes présentent des excuses et leur défense prévaut.
Je vais prendre quelques minutes pour brosser un portrait statistique qui me semble bien important pour vous faire comprendre à quel point le Canada se trouve dans une situation d’urgence quant à la violence conjugale. Dans son rapport de 2019, Statistique Canada dépeint une situation assez inquiétante pour ce qui est de l’évolution de la violence conjugale au Canada : la violence entre partenaires intimes représente 30 % des crimes violents déclarés à la police. Il est également à noter que ce taux est en augmentation constante de 2 % par rapport à l’année précédente, ce qui constitue le plus haut taux enregistré depuis 2012.
Entre 2008 et 2018, dans le cas de six homicides sur dix, les antécédents de violence conjugale des agresseurs étaient déjà connus par la police. Parmi les dix femmes assassinées au Québec depuis le début de la pandémie, neuf avaient fait des signalements à la police. Au cours de cette même période, le total des homicides au Canada se chiffrait à 945 personnes, et 747 victimes étaient des femmes.
Si je me penche uniquement sur la catégorie des filles et des jeunes femmes, c’est-à-dire les filles âgées de moins de 11 ans et les jeunes femmes âgées de 11 à 24 ans, la violence perpétrée envers elles est à 60% du temps causé par un membre de la famille ou un conjoint. Lorsque nous parlons d’homicide de filles et de jeunes femmes, 70% de ces homicides sont perpétrés par un membre de la famille ou un conjoint. Pire encore, dans 50% de ces homicides conjugaux, les auteurs étaient des récidivistes déjà condamnés par la justice pour des faits de même nature.
Un autre rapport, celui de l’Observatoire canadien du fémicide pour la justice et la responsabilisation, fait état de 118 décès de femmes en 2019, dont 51 % sont attribués à la violence exercée par un partenaire intime.
Comme vous pouvez le constater, les statistiques ne manquent pas pour montrer l’ampleur de ce fléau dans un pays aussi développé que le nôtre et l’inefficacité de notre système de justice à réduire le nombre d’incidents. Cette violence et ces homicides sont en constante augmentation au Canada et sont largement liés à la faiblesse et à l’impuissance de la réponse de notre système de justice en la matière. Lorsque je regarde les statistiques sur la dénonciation depuis 2015, je constate que 70 % des victimes de violence conjugale n’ont jamais parlé de leur expérience avec la police. Je comprends la peur qu’elles éprouvent de le faire, compte tenu du fait que dans 49 % des cas, les condamnations les plus sévères imposées aux agresseurs se résument à des périodes de probation et que moins du tiers de ces condamnations se soldent par une peine d’emprisonnement les fins de semaine, mais qui souvent ne sont pas purgées.
Pire encore, 85 % des causes de violence conjugale donneront lieu à une peine d’emprisonnement de moins de six mois. La majorité des agresseurs seront libérés entre le sixième et la moitié de leur sentence, ce qui signifie que la plupart des délinquants seront libérés sans avoir reçu un service d’aide ou sans avoir suivi un programme d’encadrement. Souvent, ils sortent de prison encore plus dangereux et plus en colère envers leur ex-partenaire qu’ils ne l’étaient au départ.
Je souligne que les délinquants qui purgent une peine de prison dans le cadre de la violence conjugale sont souvent les cas les plus lourds. Si je prends l’exemple du cas de Mme Tremblay, lequel est représentatif de centaines de femmes qui ont participé à la rédaction de ce projet de loi, son agresseur, qui lui a fait subir des voies de fait graves et des agressions sexuelles à répétition, a été condamné à une période de probation de moins de deux ans, et ce, pour avoir commis des viols et des tentatives de meurtre et d’agressions graves pendant quatre ans.
Dans le cas de la province de Québec, il y a eu l’an dernier 16 664 cas d’accusation en matière de violence conjugale, comparativement à 2015, où on a compté 11 549 cas. Une augmentation assez importante s’observe également au chapitre des plaintes qui, depuis 2015, se sont accrues de 45 % malgré le fait que seulement 5 % des femmes au Québec dénoncent leur agresseur. En 2018-2019, selon les réseaux d’aide pour hommes, 7 450 hommes ont eu des comportements violents dans un contexte conjugal et familial.
À la lumière du portrait statistique que je viens de vous donner, le Sénat du Canada doit comprendre que la violence familiale est une priorité nationale et que la seule façon d’y remédier, c’est de réfléchir à des moyens permettant de réformer le système judiciaire afin qu’il soit moins permissif à l’égard de ces criminels qui détruisent la vie de leur conjointe et de leurs enfants.
Pour y arriver, c’est à nous, les législateurs, qu’incombe la responsabilité de réformer le système judiciaire, car les Canadiens, surtout les Canadiennes, nous ont confié le pouvoir de modifier les lois en leur nom, dans leur intérêt et pour leur sécurité. C’est maintenant à nous d’agir grâce à ce projet de loi qui a été fait pour des femmes, par des femmes.
Comme j’ai eu l’occasion d’en parler à maintes reprises dans les médias depuis le dépôt du projet de loi, celui-ci vise à introduire dans le Code criminel de nouvelles mesures de protection préventives qui assureraient la sécurité des victimes de violence familiale lorsqu’elles décident de porter plainte auprès des services de police ou du système de justice afin de mettre un terme à la violence qu’elles subissent quotidiennement. Lorsque nous parlons de violence familiale, l’approche du législateur doit être préventive avant tout.
Sur ce sujet, j’aimerais citer l’opinion du juge Locke de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Goodyear Tire & Rubber Co. of Canada, et je le cite :
Le pouvoir de légiférer relativement au droit criminel n’est pas restreint, à mon avis, à la définition des infractions et à l’imposition de peines en sanctionnant la contravention. Le pouvoir du Parlement s’étend aussi bien à la prévention du crime qu’à son châtiment.
Mon projet de loi modifie deux sections du Code criminel. Le premier concerne les modifications que j’apporte à la section des mesures liées à la comparution d’un prévenu devant un juge de paix et à la mise en liberté provisoire, plus précisément aux articles 501 et 515 du Code criminel qui relèvent de l’arrestation et de la mise en liberté provisoire par voie judiciaire. De plus, j’apporte des modifications à la section relative aux déclarations de culpabilité par procédure sommaire, plus précisément à l’article 810 du Code criminel qui traite des engagements à ne pas troubler l’ordre public.
En résumé, mon projet de loi modifie deux étapes du processus judiciaire : la première, lorsqu’un prévenu est remis en liberté provisoire et qu’il est en attente de son procès, et la deuxième, lorsqu’un juge ordonne à un défendeur de signer un engagement de ne pas troubler l’ordre public et d’avoir une bonne conduite pour une période maximale de 12 mois, dans le but de protéger une personne qui a des motifs raisonnables de craindre pour sa sécurité.
Ces deux étapes ont lieu au début du processus judiciaire, à la suite d’une plainte déposée par une victime auprès des services de police, d’une dénonciation auprès d’un tribunal ou lorsqu’une victime se prépare à la tenue d’un procès. Si nous examinons les homicides conjugaux survenus au Québec au cours des dernières semaines, nous pouvons constater que, dans la plupart des cas, les femmes avaient déjà dénoncé leur situation de violence conjugale auprès des autorités. Elles sont toutes mortes pour avoir posé cet acte courageux de dénonciation.
Lorsqu’une victime décide de saisir la justice de sa situation, elle se met automatiquement en état de vulnérabilité face à son conjoint. Si le conjoint n’est pas incarcéré et qu’il bénéficie d’une remise en liberté provisoire, le risque d’aggravation du cycle de la violence pouvant entraîner la mort augmente de façon importante.
De plus, même si un prévenu accepte de signer une ordonnance ou de se soumettre aux conditions d’un juge de paix, il n’existe aucun moyen ni aucune garantie que la victime sera en sécurité. Comme je l’ai souvent entendu, une ordonnance, ce n’est qu’un bout de papier, la preuve étant que le non-respect des conditions imposées fait légion, et ce, sans qu’il y ait de conséquences pour le délinquant.
À cet égard, j’aimerais partager avec vous le témoignage d’Éric Boudreault, le père de Daphné Huard-Boudreault, qui a été assassinée à l’âge de 18 ans par son ex-partenaire le 22 mars 2017, témoignage qu’il a rendu lorsqu’il a participé à la conférence de presse. Je le cite :
Ma grande fille Daphné s’est fait enlever la vie par son ex-copain. La journée du drame, plusieurs signes avant-coureurs auraient dû alarmer les autorités. Malgré l’intervention de plusieurs policiers à la suite d’un appel à l’aide de Daphné, malgré plusieurs infractions commises, le futur assassin quitta en taxi, sans même avoir fait l’objet d’une enquête, malgré que les policiers impliqués connaissaient le niveau d’agressivité de l’individu. Daphné, inquiète, se rendit après son quart de travail au poste de police pour expliquer la situation et ainsi obtenir de l’aide ou, au minimum, des conseils.
Nous connaissons tous la fin de cette histoire : Daphné sera assassinée.
Il y a plusieurs facteurs qui peuvent expliquer le comportement d’un partenaire violent que la littérature scientifique peut expliquer mieux que moi. Chose certaine, il est difficile de prévoir quel sera le comportement d’un partenaire violent lorsqu’il est confronté à une conjointe qui n’accepte plus de vivre dans la violence. Quand une victime décide de dénoncer son agresseur, il peut se passer beaucoup de choses dans la tête du partenaire violent. Cette perte de contrôle de la situation peut amener le prévenu à prendre la décision d’agresser son conjoint ou sa conjointe, malgré la mise en accusation existante à son égard, car, finalement, les conditions de remise en liberté d’un individu ne sont suivies d’aucun mécanisme de surveillance.
L’objet de mon projet de loi est d’agir en amont pour sauver le plus de vies possible. Son seul objectif est de prévenir ou d’empêcher tout risque de violence pouvant entraîner la mort.
Derrière les portes closes des foyers, il est souvent difficile pour les policiers de cerner une situation d’urgence, compte tenu de la complexité que représente un cas de violence conjugale. C’est la raison pour laquelle la mise en œuvre d’une surveillance technique et adaptée à 2021 est nécessaire pour apporter une réponse crédible aux directives des juges.
Pour rédiger ce projet de loi, je me suis aussi appuyé sur l’expertise et les conseils des provinces canadiennes. J’ai communiqué avec neuf d’entre elles, notamment celles qui sont aux prises avec un taux de violence très élevé. J’ai collaboré avec la plupart des ministres de la Justice et de la Sécurité publique de ces provinces afin d’adapter mon projet de loi à leur réalité. Je peux désormais compter sur l’appui du Québec, de l’Alberta, de la Saskatchewan, du Manitoba, de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick. Les représentants de ces provinces appuient ce projet de loi, car l’approche que je préconise leur fournit des outils efficaces pour lutter contre le fléau de la violence conjugale, notamment en ce qui a trait à la surveillance technique. Je me suis inspiré de pays comme la France et l’Espagne qui ont déjà adopté l’usage du bracelet électronique pour les agresseurs.
J’aimerais m’arrêter quelques instants sur ce point crucial du projet de loi. Je souhaite ajouter la possibilité pour un juge d’imposer le port du bracelet électronique aux délinquants à toutes les étapes du projet de loi.
Dans un premier temps, ce serait au niveau policier. En effet, lorsqu’un policier met en arrestation une personne présumée coupable d’une infraction relevant de la violence conjugale, il a la possibilité de le remettre en liberté alors qu’il est en attente de sa première comparution devant un juge. À cette étape, le policier a la possibilité de remettre une promesse de comparaître avec certaines conditions à respecter. Dorénavant, avec la modification du paragraphe 501(3) du Code criminel, le policier pourra, dans ces conditions, imposer le port du bracelet électronique s’il considère que cela est nécessaire pour protéger la vie de la victime.
Le policier est l’extension de notre système de justice. Il doit être en mesure d’intervenir efficacement pour protéger les victimes de cette forme de violence, par respect pour l’un des principes de la Charte canadienne des droits des victimes, qui est le droit à la protection.
De plus, le projet de loi prévoit d’ajouter le port du bracelet électronique dans les conditions d’une remise de liberté provisoire en attente de procès, qui correspond à l’article 515 du Code criminel.
Lorsqu’un prévenu fait face à sa première comparution devant un juge, ce dernier détermine si oui ou non un procès devrait avoir lieu. Si la réponse est positive et que le juge décide de remettre le prévenu en liberté provisoire en attente de son procès, grâce à ce projet de loi, il pourra imposer le port du bracelet électronique comme condition à respecter s’il juge que la sécurité et la vie de la victime sont menacées.
Enfin, je souhaite ajouter la condition du port du bracelet électronique dans la nouvelle ordonnance d’engagement 810, que le projet de loi S-231 propose et que je décrirai plus tard dans mon discours. Lorsqu’une personne a des motifs raisonnables de craindre pour sa liberté, un juge peut ordonner au défendeur de contracter une ordonnance de ne pas troubler l’ordre public afin de l’empêcher de s’approcher de sa victime, ce qui est souvent le cas pour les homicides commis au Canada. Avec ce projet de loi, le juge pourrait lui imposer cette ordonnance avec le port du bracelet électronique.
La surveillance électronique permet de dresser un périmètre de sécurité entre la victime et l’agresseur. En cas de non-respect du périmètre de sécurité par la personne soumise à la condition, la victime et les autorités sont immédiatement alertées. Cela donne une chance à la victime de se mettre en sécurité et donne aux autorités la possibilité d’intervenir rapidement pour éviter un drame.
Certains d’entre vous diront que cette mesure est coûteuse, qu’elle n’est pas fiable à 100 % ou bien qu’elle ne sauvera pas tout le monde. J’en suis conscient. Cependant, que préférez-vous? Préférez-vous voir chaque matin aux nouvelles un nouveau féminicide ou, au contraire, que nous nous équipions d’un moyen technologique moderne pour sauver le plus de vies possible? Pour les groupes d’aide aux femmes violentées et moi-même, le choix est clair. Une vie sauvée suffit amplement pour justifier le port du bracelet électronique. C’est un moyen efficace et moderne de soutenir la police et d’aider le juge dans sa décision. Chaque cas est particulier. Avec le bracelet électronique, nous nous assurons au moins d’avoir une trace du prévenu. La victime, quant à elle, se sentira plus en sécurité et la preuve en cas de bris de conditions est facile à faire devant la justice.
L’Espagne, par exemple, a commencé sa politique de lutte contre la violence conjugale en 1997 après l’histoire d’une femme brûlée vive par son conjoint. Après plusieurs lois en 1999, 2001, 2003 et 2004, l’Espagne a finalement décidé d’instaurer le bracelet électronique en 2009. L’Espagne est le pays le plus avancé et le plus pragmatique sur cette question. Le nombre de personnes sauvées par le bracelet électronique est considérable. Il y a eu 47 homicides en 2018 contre 76 en 2008 lors de l’introduction du bracelet. Il y a maintenant 900 femmes qui ont un avertisseur pour le bracelet électronique, et on compte trois homicides depuis les deux ou trois dernières années. Les résultats sont réellement concluants.
Je me suis appuyé sur l’auteure Lorea Arenas Garcia, universitaire reconnue en Espagne qui a consacré plusieurs travaux à la surveillance électronique et qui nous montre à quel point l’Espagne a doté son pays d’une stratégie nationale efficace pour lutter contre la violence familiale.
Voici certaines observations de Mme Garcia, et je la cite :
Il existe une perception largement répandue parmi les policiers et les juristes et au sein des ministères selon laquelle cette mesure peut être un outil efficace pour lutter contre la violence faite aux femmes. Le débat public sur la surveillance électronique a surtout porté sur sa capacité à empêcher des décès. Les praticiens jugent que son efficacité est de ‘100 %’, alors que les organisations féministes et certains médias exigent un recours encore plus vaste aux outils de surveillance électronique.
J’aimerais citer à ce sujet l’opinion du juge Harris de la Cour supérieure de l’Ontario dans l’arrêt Henry :
[…] la surveillance électronique dissuade spécifiquement un dépositaire de violer la caution et de commettre d’autres infractions. La surveillance fournira des preuves pratiquement concluantes d’une violation et des preuves solides pour le poursuivre pour toute infraction commise. La présence peut être prouvée par l’équipement de surveillance électronique. Un accusé rationnel et intéressé sera au courant de ces faits.
L’Assemblée nationale française a adopté, à la proposition du député Aurélien Pradié, une loi similaire à celle de l’Espagne à la fin de 2019 sur l’instauration du bracelet anti-rapprochement. Voici un passage fort du discours qu’il a prononcé devant la représentation nationale française, et je le cite :
Chaque drame démontre les failles de notre arsenal législatif et de l’organisation de notre système judiciaire.
Les failles sont connues, les solutions possibles le sont aussi. Le manque de moyens budgétaires en matière de prévention et de répression l’est tout autant.
Aucun responsable politique, membre du Gouvernement ou législateur, ne peut s’excuser en disant qu’il ne sait pas. Aucun d’entre nous ne peut dire qu’il lui faut plus de temps pour réfléchir encore aux solutions à adopter. Le temps doit à être à l’action forte. Pas demain, pas après-demain, mais aujourd’hui.
La présente proposition de loi, que nous avons l’honneur de présenter devant l’Assemblée Nationale, ne règlera certainement pas tout, mais elle peut répondre à l’urgence vitale, aux appels de ces femmes, de leurs proches […] pour protéger les femmes et les éloigner du meurtre conjugal.
Il s’agit aujourd’hui de répondre à ces appels. Notre responsabilité collective est ici engagée.
Notre responsabilité collective doit aussi être engagée face à la violence conjugale et familiale dont sont victimes trop de femmes au Canada.
Grâce à la libération de la parole des femmes ces dernières années, plusieurs pays commencent à prendre conscience de la gravité que peut représenter ce fléau. Le Canada ne fait pas bonne figure sur ce plan. Notre population est bien inférieure à celle de la France et, pourtant, en proportion de notre population, nos statistiques sur la violence conjugale se rapprochent de celles de la France.
Au Québec, la surveillance électronique est déjà utilisée et mise en place pour des raisons qui peuvent différer de la violence familiale. Au niveau fédéral, en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, le Service correctionnel du Canada peut obliger un délinquant à porter un dispositif de surveillance à distance lorsque la permission de sortir, le placement extérieur, la libération conditionnelle ou d’office ou l’ordonnance de surveillance de longue durée est assorti de conditions interdisant au délinquant l’accès à une personne ou à un secteur géographique ou l’obligeant à demeurer dans un secteur géographique. Ce moyen est également utilisé en matière d’immigration par l’Agence des services frontaliers du Canada dans le cas de personnes qui pourraient présenter une menace pour la sécurité ou un risque de fuite.
Pour revenir à mon projet de loi, l’un de ses volets modifie l’article 515 du Code criminel, la mise en liberté provisoire par voie judiciaire. À cette étape du processus judiciaire, le juge devra alors déterminer non pas la culpabilité ou la peine à imposer à un individu accusé, mais uniquement si la détention est nécessaire eu égard aux critères prévus au paragraphe 515(10) du Code criminel, soit pour assurer sa présence au tribunal, soit pour des motifs de sécurité du public ou pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice.
La modification de l’article 515 du Code criminel prévoit des changements à plusieurs dispositions importantes de la loi, y compris celle du port du bracelet électronique, que je viens de mentionner. La première disposition vise à ce que la victime soit consultée, qu’elle puisse exprimer ses besoins et ses craintes pour sa sécurité et qu’elle ait l’occasion de se prononcer sur les conditions à être imposées au prévenu lors de sa mise en liberté provisoire.
Lorsqu’un juge prend une décision sur les conditions à imposer à un prévenu qui est inculpé d’une infraction perpétrée avec usage, tentative ou menace de violence contre son partenaire intime, il doit tenir compte de l’avis de la victime. Il doit prendre sa décision en ayant tous les éléments en sa possession. Le but est de recentrer la victime dans le processus judiciaire et de reconnaître le rôle qu’elle y joue, comme le prescrit le droit à la participation enchâssé dans la Charte canadienne des droits des victimes. La victime est la première personne concernée et, logiquement, la première personne qui doit être consultée relativement à une mesure qui touche sa sécurité, sa vie.
Je tiens à rappeler qu’il est déjà bien souvent difficile pour les victimes de dénoncer...
Je m’excuse, sénateur Boisvenu. Je regrette de devoir vous interrompre, mais vous aurez l’occasion de poursuivre votre allocution pour le temps de parole qu’il vous reste lorsque la séance reprendra.
Honorables sénateurs, comme il est 18 heures, conformément à l’article 3-3(1) du Règlement et aux ordres adoptés le 27 octobre 2020 et le 17 décembre 2020, je suis obligé de quitter le fauteuil jusqu’à 19 heures, à moins que le Sénat ne consente à ce que la séance se poursuive. Si vous voulez suspendre la séance, veuillez dire « suspendre ».
J’ai entendu un « suspendre ». La séance est suspendue jusqu’à 19 heures.
Honorables sénateurs, il semble y avoir un problème technique du côté du sénateur Boisvenu. Si vous êtes d’accord, nous allons passer à l’article suivant, et lorsque le problème...
Pardonnez-moi, mais je ne suis pas d’accord, car il reste 10 minutes au temps de parole du sénateur. Ce n’est pas comme s’il venait de commencer son discours. Je suis désolé, mais nous aimerions que les difficultés techniques soient réglées.
Nous allons suspendre la séance pour cinq minutes en attendant de pouvoir entendre le sénateur Boisvenu de nouveau.
Nous n’avons pas réglé le problème technique éprouvé par le sénateur Boisvenu. Nous allons poursuivre, et dès que ce problème sera réglé, nous reviendrons à lui, et il lui restera 10 minutes pour poursuivre son intervention.