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Le Code criminel—La Loi réglementant certaines drogues et autres substances

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture

22 juin 2022


L’honorable Bernadette Clement [ - ]

Honorables sénateurs, comme mes collègues, j’interviens aujourd’hui au sujet du projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

Nous avons entendu beaucoup d’excellents débats à propos de ce projet de loi ainsi qu’au sujet des peines minimales obligatoires et de leurs effets sur les Canadiens. L’enjeu ne se résume toutefois pas aux peines minimales obligatoires. C’est plutôt une question de racisme systémique.

Vous serez peut-être surpris d’apprendre que, bien que je sois une ancienne mairesse, une avocate et maintenant une sénatrice, je ne suis pas à l’abri du racisme systémique. Alors que je prends la parole devant vous, mes pairs, j’aimerais que vous sachiez que le privilège que nous avons en commun ne m’empêche pas de subir du racisme.

Peu importe le chemin que vous suivez dans la vie, vous vivez dans la peau qui est la vôtre.

Imaginons ce qui se passerait si je n’étais pas sénatrice; si je n’avais pas la carrière que j’ai; si je n’avais pas la santé; si je n’avais pas mes diplômes, ni une famille qui me soutient, ni mes amis. Prenons une minute pour y penser. Si je subis moi-même du racisme, imaginez l’expérience d’une personne qui n’a pas les mêmes privilèges que moi.

C’est ainsi que fonctionne le racisme systémique. En tant que personne noire, vous êtes toujours exposée à la peur et au risque qu’il y ait encore des injustices qui en plus d’exister, sont renforcées dans des endroits comme le système juridique, les institutions et la démocratie du Canada; vous êtes exposée à cette réalité.

Pour les Canadiens noirs et les membres d’autres communautés racialisées, les peines minimales obligatoires ne commencent pas et ne finissent pas au moment de la détermination de la peine. Comme d’autres inégalités ancrées dans notre système de justice, elles peuvent être retracées et reliées aux réalités, aux expériences et aux injustices quotidiennes auxquelles ils sont confrontés.

Lorsqu’il s’agit de trouver des solutions à ces problèmes systémiques et de mieux comprendre leur lien avec d’autres aspects comme les peines minimales obligatoires, je me fonde sur les écrits d’intervenants communautaires comme le Black Legal Action Centre, qui a corédigé un mémoire soumis au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes qui dit ceci :

L’importance du projet de loi C-5 et les effets potentiels des changements qui y sont proposés ne peuvent être dissociés de la discrimination systémique perpétuée par le système de justice pénale du Canada envers les membres des communautés marginalisées du pays, plus particulièrement les femmes noires et les femmes autochtones.

Même s’ils continuent d’examiner les statistiques relatives à la surincarcération et à la surreprésentation des personnes racialisées au sein de notre système judiciaire, il est évident que la discrimination systémique fondée sur la race, le sexe et le revenu est étroitement liée à cet enjeu.

Cette analyse des iniquités systémiques trouve également écho dans le témoignage de M. Brandon Rolle, avocat principal de l’African Nova Scotian Institute, qui a pris la parole devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne.

Lors de son témoignage, M. Rolle a affirmé que les données montrent clairement l’impact disproportionné des peines minimales obligatoires sur les taux de détention des Noirs. Mais il faut comprendre le contexte.

Tout d’abord, les communautés noires sont la cible d’une surveillance et d’une activité policière excessive, ce qui contribue à la probabilité d’être arrêté et accusé, les Canadiens noirs étant exposés à un risque disproportionné d’être déclarés coupables d’infractions assorties d’une peine obligatoire.

Deuxièmement, un nombre disproportionné de Canadiens noirs sont détenus avant le procès, ce qui exerce une pression plus importante sur eux pour qu’ils plaident coupable, y compris pour des crimes avec des peines minimales obligatoires.

Troisièmement, les Afro-Canadiens ont reçu un héritage d’esclavage, de colonialisme, de ségrégation et de racisme qui a conduit à une tendance historique à subir des préjudices, qu’on parle de surreprésentation en détention, de l’implication dans certaines infractions, du refus de libération sous caution ou de l’imposition de peines d’emprisonnement plus longues, d’où une expérience plus difficile pendant leur détention.

Honorables sénateurs, étant donné que le racisme systémique est la cause sous-jacente de problèmes comme la surincarcération des personnes racialisées et qu’il est indissociable de pratiques comme les peines minimales obligatoires, je vais reprendre un refrain que vous avez entendu maintes et maintes fois.

Les peines minimales obligatoires ne fonctionnent pas. Elles n’ont aucun effet dissuasif. Elles ne rendent pas la société plus sûre. Elles ne font pas baisser le taux de récidive et, surtout, elles ne nous mènent pas vers un Canada plus équitable et plus juste pour tous les Canadiens. La communauté noire nous le dit depuis des décennies, et les données rendent également compte de cette situation.

L’agence correctionnelle fédérale du Canada indique que les Canadiens noirs représentaient 7,2 % des délinquants fédéraux en 2018 et 2019, alors qu’ils ne constituaient que 3,5 % de la population du Canada. Près de 1 jeune homme noir sur 15 en Ontario reçoit une peine d’emprisonnement. Pour les jeunes hommes blancs, on parle de 1 sur environ 70. Ces statistiques sont alarmantes et décourageantes. Toutefois, comme je l’ai dit, elles ne forment qu’une partie de l’équation.

Les peines minimales obligatoires ne sont pas que des éléments qui ont une incidence sur les chiffres et les pourcentages. Elles sont aussi des outils qui empêchent notre système de justice de considérer les contrevenants comme des personnes ayant des circonstances, des perspectives et des vécus distincts et étant désavantagées face à un système raciste et discriminatoire.

Alors que je soupèse ces facteurs ainsi que les réponses importantes et fondées sur des données déjà fournies par mes collègues, j’hésite à appuyer le projet de loi C-5. De nombreux intervenants, juristes et Canadiens attendent depuis si longtemps que ce projet de loi aille de l’avant. Le projet de loi C-5 accomplit vraiment un certain progrès, car il permet à nouveau aux juges d’imposer des peines plus justes en fonction des circonstances de chaque personne, ce qui remet lentement l’accent sur les coûts humains, sociaux et financiers associés à l’imposition de peines minimales obligatoires.

Cependant, chers collègues, le projet de loi C-5 n’élimine que 20 peines minimales obligatoires sur 73; il en reste donc 53 qui continueront de contribuer à la surincarcération des Canadiens racialisés. Il en reste 53.

Nos collectivités savent à quel point cela prend du temps pour obtenir ces changements et à quel point beaucoup de personnes souffrent pendant ces années d’attente, de militantisme et de plaidoyers.

Le projet de loi C-5 et l’ensemble du mouvement visant à éliminer les peines minimales obligatoires traite du racisme systémique qui continue de ruiner tant de vies, qui prive les gens d’options et de possibilités, et qui les empêche de rentrer dans leurs collectivités, où la possibilité de guérison et de réadaptation les attend.

Je reconnais que les peines minimales obligatoires sont un morceau du casse-tête, et que nous devons faire plus. Nous avons besoin de programmes, d’initiatives qui reposent sur une infrastructure communautaire complète, et d’une approche de la justice axée sur la communauté pour créer de vraies solutions pour les Canadiens racisés. Nous avons besoin de faire des efforts en amont, dans le système pénal, qui s’attaquent aux causes profondes des comportements criminels, au lieu de nous contenter de mesures qui traitent seulement des peines pour les infractions. Chers collègues, plus que tout autre chose, nous devons examiner cette question du point de vue des Canadiens qui sont touchés quotidiennement par notre système judiciaire.

Dans son discours, lundi, le sénateur Gold a déclaré que pour bon nombre d’entre nous, le droit pénal est personnel, et il a tout à fait raison.

Tous les jours, notre système de justice et nos institutions pénales ont une incidence sur la vie des Canadiens, que ce soit par leurs propres expériences, celles de leurs proches ou dans le cadre de leurs fonctions en tant que défenseurs et professionnels de notre système juridique.

Je crois que nous devrions toujours considérer que la loi a une incidence permanente sur nous en tant que personnes, en tant qu’êtres humains; elle a une incidence sur les expériences vécues, les possibilités et la prospérité des Canadiens, et pas seulement sur les données, les statistiques et les résultats financiers.

Les peines minimales obligatoires sont des outils inefficaces et dangereux dans notre système judiciaire. Ces outils nuisent aux Canadiens, en particulier à ceux qui sont issus de communautés racialisées qui luttent déjà contre un système encore marqué par les inégalités systémiques, le racisme et les pratiques discriminatoires.

Par conséquent, même si d’un point de vue politique et législatif, le projet de loi C-5 est un pas dans la bonne direction, d’un point de vue humain et personnel, je ne me fais pas d’illusions. Nous ne sommes pas allés assez loin. C’est la raison pour laquelle je me réjouis de participer à une solide étude du comité cet automne qui nous donnera la possibilité de voir ce que nous pouvons faire de plus pour les Canadiens. C’est la raison pour laquelle je suis impatiente d’en savoir plus sur le projet de loi C-5 et la place qu’il aura dans la Stratégie judiciaire pour les Noirs du gouvernement, dont il est question dans la lettre de mandat du ministre de la Justice. C’est la raison pour laquelle je cherche à savoir comment le projet de loi C-5 pourra contribuer à changer notre système de justice.

C’est louable, oui, c’est ce que nous avons entendu. Le projet de loi C-5 représente un effort louable, mais il ne vise pas à décrocher la lune. Il ne vise pas à décrocher la lune ou les étoiles ou tout autre objectif lointain qui plane bien au-dessus des réalités et des besoins des Canadiens. L’abrogation des peines minimales obligatoires est à portée de main, et non pas hors de portée. C’est un petit pas dans la bonne direction. Ce petit pas m’inspire à la fois de l’inquiétude et de l’espoir.

Je resterai sur une note d’espoir. J’espère que le chemin qui s’ouvre devant nous sera parsemé de solutions tangibles pour lutter contre le racisme dont sont victimes les Canadiens noirs dans notre système de justice. Merci. Nia:wen

Son Honneur la Présidente intérimaire

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois, avec dissidence.)

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