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La Loi constitutionnelle de 1867

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

22 septembre 2022


L’honorable Mary Jane McCallum [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer le projet de loi du sénateur Patterson, le projet de loi S-228, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (qualifications des sénateurs en matière de propriété). Je souligne que le sénateur Patterson a présenté une motion jumelle au Sénat, la motion no 19, qui porte sur le même sujet, et que j’appuierai avec ardeur ses deux initiatives.

Je veux d’abord féliciter le sénateur Patterson d’avoir présenté de nouveau cette mesure législative. Je souligne que c’est la troisième fois que notre collègue le fait et qu’il reprend le flambeau d’autres parlementaires qui nous ont précédés. J’espère que, cette fois, le Parlement conviendra que les qualifications en matière de propriété relatives à la recevabilité des candidatures des sénateurs sont dépassées et qu’elles ne cadrent plus avec la réalité de la société contemporaine.

Chers collègues, ce que prévoit le projet de loi du sénateur Patterson comporte deux volets : modifier les exigences relatives à la nomination des sénateurs afin de supprimer la nécessité de posséder des terres d’une valeur minimale de 4 000 $ dans la province pour laquelle est nommée le sénateur, et supprimer la nécessité de posséder des propriétés d’une valeur nette d’au moins 4 000 $.

En tant que sénateurs, nous sommes conscients de l’état actuel de notre pays et du climat en constante évolution et imprévisible dans lequel nous vivons. Il suffit d’examiner la grave crise du logement qui touche toutes les régions du Canada ou encore les taux d’inflation qui ne cessent de croître et qui rendent le coût de la vie insoutenable pour de nombreux Canadiens. Dans le contexte économique actuel et la réalité du marché de l’immobilier, nous devons reconnaître que ce sont des barrières immenses qui enlèvent à un grand nombre de Canadiens la possibilité de servir leur pays dans cette enceinte.

Chers collègues, les exigences en matière de propriété foncière pour les sénateurs sont élitistes et archaïques. Elles ne servent à rien dans la société d’aujourd’hui, sinon à marquer une distinction indésirable entre les nantis et les démunis.

Si l’on se rapporte au moment où cette exigence a été enchâssée dans notre Constitution, ces 4 000 $ de l’époque équivalent à plus de 100 000 $ aujourd’hui, en calculant l’inflation. Cette exigence avait pour objectif de veiller à ce que ceux qui occupent un siège dans cette auguste Chambre proviennent de l’élite de la société, la classe des propriétaires. Même si la valeur de 4 000 $ n’est plus ce qu’elle était, la seule existence de ce critère empêche d’innombrables Canadiens — dont la majorité constitue les classes moyenne et inférieure de notre pays — d’occuper les fonctions de sénateur. Pour quelle raison? Uniquement parce qu’ils sont locataires ou non-propriétaires de leur lieu de résidence?

Je soutiens, chers collègues, que cette enceinte fonctionne mieux lorsqu’elle reflète vraiment la population du Canada. Après tout, nous affirmons depuis longtemps que la diversité est notre force en tant que pays. Les voix de la classe ouvrière et des personnes économiquement marginalisées ont eu très peu d’espace au Sénat depuis la Confédération. Le système colonial profondément ancré dans lequel nous travaillons l’a pratiquement garanti. Cependant, ne serait-il pas avantageux pour nous, au Canada, que cette enceinte soit plus représentative du pays dans son ensemble?

Le sénateur Patterson a clairement mis cette question en perspective en parlant de sa région natale, le Nunavut. Il estime que 80 % des habitants de son territoire ne seraient pas admissibles à devenir sénateurs parce qu’ils ne possèdent pas de terres. Je ne peux pas concevoir d’exclure quatre personnes sur cinq de l’admissibilité à devenir sénateur simplement parce qu’elles ne possèdent pas une propriété d’une valeur de 4 000 $.

Honorables sénateurs, l’obligation de détenir une propriété me préoccupe particulièrement en raison de ce qu’elle signifie pour les Premières Nations du Canada. Beaucoup d’entre vous ne le savent peut-être pas, mais d’innombrables personnes qui vivent dans des réserves ne sont pas admissibles à ce poste parce qu’elles ne possèdent pas le titre de propriété de la terre sur laquelle elles vivent. Ce n’est pas un choix, bien sûr. C’est un sous-produit de la colonisation, qui a relégué les Premières Nations dans des réserves, qui sont des terres détenues par le gouvernement fédéral.

Ce problème a été décrit avec brio par Mme Francyne Joe, ancienne présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada, qui fait actuellement un important travail auprès de l’Association nationale des centres d’amitié. Outre ces rôles de premier plan, elle défend avec vigueur depuis des années les femmes des Premières Nations, inuites et métisses, comme on a pu le voir avec son travail au sujet des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées. Elle a déjà songé à soumettre sa candidature à un poste de sénatrice afin de devenir une solide porte-parole d’une population fortement marginalisée, mais la qualification en matière de propriété immobilière a rapidement mis fin à cette idée.

Voici ce que Francyne Joe avait à dire à ce sujet :

Je m’appelle Francyne Joe, et je suis membre de la nation de Shackan […] au centre de la Colombie-Britannique.

[…] j’ai voulu soumettre ma candidature au poste de sénatrice, car il y a un siège vacant pour la Colombie-Britannique. Je croyais que je ferais une bonne candidate pour ce poste. Je réponds à la plupart des critères, comme ceux sur l’âge, la citoyenneté, l’impartialité, les connaissances, les qualités personnelles et la résidence […]. Toutefois, le critère d’admissibilité portant sur la propriété immobilière représente un obstacle.

En tant que femme autochtone […] ce critère me déçoit. Je me demande s’il est vraiment nécessaire — et je m’interroge sur les motifs qui le sous-tendent.

Quand ma mère s’est mariée, la Loi sur les Indiens l’a automatiquement transférée à la bande de son époux, la bande de Shackan — et quand elle a divorcé, elle a dû présenter une demande pour retourner dans la bande de Lower Nicola. Pour des raisons de financement, je suis demeurée membre de la bande de Shackan -- je ne reçois aucun avantage relatif au logement parce qu’il y a peu de terrain disponible dans la réserve de Shackan. Ma mère a reçu une propriété dans la réserve de [Lower Nicola] — elle en a hérité au décès de mes grands-parents. C’est une propriété d’une bonne grandeur, située à quelques minutes de Merritt, en Colombie-Britannique — il y a environ 10 acres, qui servaient à l’agriculture et à l’élevage […].

Mes grands-parents ont eu cette terre pendant des décennies, puis elle est passée à ma mère et à son frère. Des maisons pour mes grands-parents et leurs enfants ont été construites sur la propriété; on a aussi installé une arène intérieure pour les rodéos qui soutenaient le côté agricole des affaires de mes grands-parents; le grand jardin cultivé chaque année produisait des aliments pour la famille et la communauté; des corrals, des granges et des ateliers ont été construits — il y a même un petit cimetière familial sur la propriété.

Pour un agent immobilier, toutefois, cette propriété n’a aucune valeur, puisqu’elle est située dans une réserve. Je ne pourrais donc pas m’en servir si je proposais ma candidature pour devenir sénatrice.

Ma mère aimerait que je passe à la bande de [Lower Nicola]. Elle pourrait alors ajouter mon nom aux documents de droit de propriété comme propriétaire conjointe, mais le problème est que la propriété nécessite des travaux, ce qui exige de l’argent. Si j’investis mon argent dans notre propriété de résidence, qui a une valeur inestimable pour mes deux enfants et moi, alors je ne peux pas acheter une propriété hors réserve pour répondre aux critères d’admissibilité pour devenir sénatrice. Cette propriété a évidemment de la valeur pour moi, ma famille et même d’autres membres de la bande.

Comme vous pouvez voir dans ce récit personnel, l’exigence concernant la propriété immobilière constitue un obstacle de plus pour les Autochtones qui veulent devenir sénateurs.

Honorables sénateurs, il y a eu beaucoup de discussions acrimonieuses lorsqu’un projet de loi visant à éliminer cet obstacle a été présenté au Parlement pour la première fois, surtout en raison du seuil très élevé qu’il fallait atteindre au fédéral comme au provincial pour satisfaire aux exigences de la formule de modification de la Constitution.

Cependant, la Cour suprême du Canada a apporté plus de clarté et de souplesse à ce sujet. En 2014, elle a en effet donné sa réponse très attendue à la question du renvoi relatif à la réforme du Sénat. Comme l’indique sa décision :

Nous concluons que le Parlement peut agir seul, en vertu de la procédure de modification unilatérale fédérale, pour abroger la condition relative à l’avoir net : par. 23(4). L’abrogation complète du par. 23(3) requiert toutefois le consentement de l’assemblée législative du Québec, suivant la procédure sur les arrangements spéciaux. En effet, l’abrogation complète de la condition relative à l’avoir foncier (par. 23(3)) constituerait également une modification du par. 23(6), qui prévoit un arrangement spécial applicable uniquement à la province de Québec.

Comme le sénateur Patterson l’a précisé dans son discours du 24 mars sur ce projet de loi :

[…] cette décision précise que le Parlement peut effectivement abroger unilatéralement la condition relative à l’avoir net pour tous les sénateurs de même que la condition relative à l’avoir foncier pour tous les sénateurs, à part ceux du Québec. C’est ce que ce projet de loi cherche à faire. Nous n’avons pas besoin de nous prévaloir de la formule de modification et de faire participer les provinces, sauf pour le Québec, qui est un cas à part […]

Chers collègues, tout au long de mon mandat au Sénat, j’ai été très fière de la modernisation et du rajeunissement continus de la Chambre haute. On peut dire que le Sénat est devenu plus accessible et plus inclusif. Il nous appartient de poursuivre cette évolution, et soutenir ce projet de loi représente une étape importante sur ce chemin.

L’exigence de posséder une propriété est un vestige du passé. Comme l’a fait valoir le sénateur Patterson, ce n’est plus une mesure appropriée ni pertinente de l’aptitude d’une personne à servir au Sénat. Non seulement elle est arbitraire de nos jours, mais elle représente également l’un des plus grands — sinon le plus grand — obstacles systémiques pour les Canadiens qui souhaitent servir dans cette enceinte.

Je trouve déconcertant le nombre de Canadiens qui ne sont pas admissibles à devenir sénateurs en raison de cette seule exigence. Cela me frustre encore plus lorsqu’il est évident que ceux qui continuent d’être exclus de la candidature sont ceux qui, historiquement, ont été — et continuent d’être — parmi les voix les plus marginalisées et les moins représentées au Sénat du Canada.

Honorables sénateurs, la voie à suivre pour redresser ce tort et corriger cette règle désuète nous est présentée. Le plus haut tribunal du pays a fourni un plan directeur qui nous permettra d’accomplir cette prouesse avec une relative facilité. Je vous presse d’appuyer le projet de loi S-228 du sénateur Patterson et sa motion jumelle afin que nous puissions éliminer un important obstacle à l’entrée au Sénat du Canada, l’enrichissant ainsi pour les générations à venir. Kinanâskomitin, merci.

Le sénateur Patterson [ - ]

Bravo!

Son Honneur la Présidente intérimaire

Sénatrice Omidvar, avez-vous une question?

L’honorable Ratna Omidvar [ - ]

Oui, s’il vous plaît.

La sénatrice accepterait-elle de répondre brièvement à une question?

La sénatrice McCallum [ - ]

Oui.

La sénatrice Omidvar [ - ]

Sénatrice McCallum, je vous remercie d’avoir donné votre avis sur cette question. Comme le sénateur Patterson et vous, je conviens tout à fait que ces exigences sont archaïques, mais je crois que c’est aussi une façon d’établir son attachement à l’endroit d’où on vient.

Même si les exigences concernant la propriété et la valeur nette sont archaïques, croyez-vous que les autres exigences concernant l’âge, la citoyenneté, le lieu de résidence et les critères fondés sur le mérite suffisent pour démontrer son attachement à l’endroit qu’on est censé représenter?

Je conviens, comme vous, que la valeur nette n’a rien à voir avec l’attachement, mais y a-t-il autre chose que vous aimeriez voir pour représenter cet attachement, ou vous contenteriez-vous de retirer cette exigence sans la remplacer par quoi que ce soit d’autre?

La sénatrice McCallum [ - ]

Je vous remercie de votre question. J’en ai discuté avec différentes personnes. Lorsqu’il s’agit des Canadiens qui paient un loyer, ce loyer lui-même constitue un attachement. Beaucoup d’entre eux n’ont pas les moyens d’acheter une maison. C’est le cas pour des jeunes ces derniers temps.

Quand je regarde les gens dans cette enceinte, je ne crois pas que nous pensions à la province dans laquelle nous vivons. Nous sommes déjà investis dans la mise en avant des préoccupations de la population. Pour moi, la collectivité que je représente est au premier plan, et c’est le Manitoba. C’est chez moi. Nous avons tous des racines profondes dans la province d’où nous venons. Merci.

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