Projet de loi d’harmonisation no 4 du droit fédéral avec le droit civil
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture
8 décembre 2022
Chers collègues, je prends aujourd’hui la parole pour appuyer le projet de loi S-11 à l’étape de sa deuxième lecture. Son titre abrégé est la Loi d’harmonisation no 4 du droit fédéral avec le droit civil.
D’abord, comme l’a bien noté la sénatrice Clement dans son discours, le projet de loi S-11 est « une mesure législative technique et volumineuse » qui modifie 639 articles de loi relevant de différents ministères.
Le sommaire du projet de loi décrit bien le contexte et l’objectif de cette loi omnibus, et je le cite :
Le texte est le quatrième d’une série de textes rédigés dans le cadre de l’harmonisation des lois fédérales entreprise par le ministère de la Justice du Canada par suite de l’entrée en vigueur en 1994 du Code civil du Québec, lequel a modifié substantiellement les concepts, les institutions et la terminologie du droit civil. Il modifie cinquante-deux lois dont les lois régissant les institutions financières […], afin que chaque version linguistique tienne compte du droit civil et de la common law.
J’appuie l’objectif du projet de loi.
Par ailleurs, je reconnais que le dépôt de ce projet de loi est la conclusion d’un travail de longue haleine des fonctionnaires, précédé de consultations.
En effet, en 2017, le gouvernement a contacté — je cite sa présentation de breffage aux sénateurs — « plus de quatre cents intervenants clés et membres de la communauté juridique ».
Avant ces consultations publiques, des consultations ciblées avaient été menées auprès des institutions financières au sujet des lois régissant ces dernières, que le projet de loi propose de modifier.
Si le projet de loi est adopté en deuxième lecture, je trouve important qu’il soit étudié par un comité sénatorial — même s’il est prévu que son étude soit courte — afin de nous permettre d’entendre, notamment, des représentants de Justice Canada.
Je m’interroge à savoir la raison pour laquelle il a fallu plus de cinq ans après la fin de la période des consultations publiques, en 2017, pour déposer le projet de loi S-11. Y a-t-il eu, au cours de ces cinq années, de nouveaux jugements pertinents des tribunaux dont les fonctionnaires ont tenu compte lors de leur rédaction du projet de loi?
Il aurait été utile que les sénateurs reçoivent sur ces sujets plus d’information, et ce, plus tôt, particulièrement dans le contexte où les prochaines étapes de l’étude du projet de loi S-11 s’annoncent très courtes et se feront à un rythme accéléré. Le projet de loi S-11 reste une loi omnibus de plus de 600 articles.
Cela étant dit, l’étude du comité sénatorial nous donnera au moins l’occasion de faire un survol des suggestions de modifications au projet de loi que des intervenants auraient faites aux fonctionnaires, mais qui n’auraient pas été retenues. À ce sujet, j’espère bien que des intervenants qui ont fourni des commentaires précis et détaillés aux fonctionnaires pendant les consultations de 2017 pourront être invités au comité. Je pense par exemple à la Chambre des notaires du Québec et à la Chaire de rédaction juridique Louis-Philippe-Pigeon de l’Université Laval.
Je sais par exemple qu’en 2017, la Chambre des notaires du Québec avait fait part aux fonctionnaires de questionnements quant à la décision statuant que certaines lois fédérales ne seraient pas modifiées par ce projet de loi d’harmonisation. La chambre avait alors fourni aux fonctionnaires plusieurs suggestions d’amendements techniques. Celles-ci ont-elles toutes été intégrées au projet de loi?
Cela dit, comme je l’ai expliqué, je m’attends à ce que l’étude de ce projet de loi soit complétée très rapidement par les deux Chambres, étant donné que les mesures proposées par le projet de loi S-11, quoique techniques, sont susceptibles de faire consensus. Cela s’explique par le principe qui a guidé la conception de ce projet de loi. Ce principe est expliqué dans la présentation de breffage des fonctionnaires envoyée aux sénateurs, et je cite :
Les modifications d’harmonisation ont un caractère technique, sont non controversables et ne visent pas à modifier la politique législative qui sous-tend les dispositions visées.
Bien que ce principe semble avoir été suivi, il demeure nécessaire que le comité sénatorial s’en assure en invitant des témoins, notamment des représentants de Justice Canada.
D’ailleurs, je porte à votre attention qu’il n’y a aucune loi qui n’exige ou ne prévoit ce principe que je viens de nommer, à savoir qu’une loi d’harmonisation ne doit pas apporter de modifications de fond aux lois.
Cela dit, ce principe n’est pas prévu dans une loi; par contre, il a été respecté dans les trois dernières lois d’harmonisation adoptées en 2001, 2004 et 2011.
C’est cette tradition qui a permis aux lois d’harmonisation précédentes d’être adoptées par les sénateurs par consensus, car elles ne faisaient que préciser la terminologie des articles de loi en évitant de changer leur effet, c’est-à-dire la règle de droit se trouvant au cœur des articles.
J’ajoute que j’appuie le projet de loi S-11 à l’étape de la deuxième lecture, parce qu’il cherche à favoriser l’épanouissement du bijuridisme au Canada. Comme l’a expliqué l’honorable Michel Bastarache, la rédaction de lois fédérales bilingues qui tiennent compte du contexte de bijuridisme pose des défis importants.
Je cite sur ce point le discours qu’il a prononcé le 4 février 2000 quand il était juge à la Cour suprême, car je crois que c’est un jugement comportant un défi juridique et linguistique que notre étude du projet de loi S-11 contribue à relever :
[...] la législation fédérale doit être rédigée en français et en anglais et d’une manière qui soit compatible avec les deux systèmes juridiques. Il existe quatre langages juridiques au Canada et la législation fédérale doit non seulement être bilingue mais bijuridique. En fait, la législation fédérale doit s’adresser simultanément à quatre groupes de personnes différents :
1. les avocats de common law anglophones;
2. les avocats de common law francophones;
3. les civilistes québécois anglophones;
4. les civilistes québécois francophones.
Il est impératif que chacun de ces quatre auditoires puisse lire les lois et les règlements fédéraux dans la langue officielle de son choix et puisse y retrouver une terminologie et une formulation qui soient respectueuses des concepts, des notions et des institutions propres à la tradition juridique dont il relève. Cela est plus facile à dire qu’à faire [...]
Je conclus mon discours en remerciant les fonctionnaires du ministère de la Justice qui m’ont fourni rapidement, plus tôt cette semaine, une série de documents que je leur ai demandés pendant une séance d’information. L’un de ces documents comporte 1 196 pages et explique le projet de loi article par article.
Je vous cite donc la déclaration de l’ancien ministre Peter MacKay qui, bien qu’elle ait été faite le 7 mai 2001 à la Chambre des communes pendant l’étude de la Loi d’harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil, s’applique tout autant, 21 ans plus tard, au contexte du projet de loi S-11 :
[...] un projet de loi aussi technique et volumineux a certainement exigé beaucoup de travail de la part des employés du ministère de la Justice et d’autres employés, qui ont fait des efforts surhumains pour nous présenter un tel document.
Tout comme l’ont fait ce député et ceux des autres partis, c’est pour moi un plaisir de collaborer aux initiatives visant à harmoniser la législation au pays.
Les trois dernières lois d’harmonisation ont été adoptées par les deux Chambres par consensus. Pour illustrer le tout, ces trois lois ont été adoptées à l’étape de la troisième lecture, de façon transpartisane, sans qu’un député ou un sénateur ait voté contre. Se peut-il que ce soit ce qui attend cette quatrième loi d’harmonisation? Je l’espère. Je pense que j’ai atteint mon objectif et que j’ai respecté l’engagement que j’avais fait auprès de mon leader de lire mon discours sur le projet de loi S-11 en 11 minutes. Merci.
Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Cela nous fera dépasser les 11 minutes, mais oui.
Merci pour ce discours d’appui au projet de loi. Vous avez bien parlé du bijuridisme. Je suis contente d’entendre ces propos. J’ai pris note de vos commentaires concernant la chambre des notaires. Nous avons l’intention d’étudier la question au comité. Je vais vous poser la même question que j’ai posée à vos collègues civilistes dans cette Chambre. Accueillent-ils bien cette loi d’harmonisation en général, tout comme le bijuridisme en général?
Oui, cette loi est bien accueillie, même si l’on souhaiterait que cela se fasse beaucoup plus rapidement. Nous sommes conscients que c’est une situation complexe et qu’il faut énormément de temps pour réviser l’ensemble de la législation fédérale. Nous accueillons favorablement toute loi d’harmonisation, mais nous aimerions que cela se fasse plus rapidement, pour que les gens ne soient pas obligés de mener toute leur carrière sans avoir pu bénéficier des règles de bijuridisme et de bilinguisme.
Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)