Le rôle et le mandat de la GRC
Interpellation--Suite du débat
16 février 2023
Honorables sénateurs, cet article a été ajourné au nom de la sénatrice Busson, et je demande le consentement du Sénat pour que, à la suite de mon intervention, le reste de son temps de parole sur cet article lui soit réservé.
Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Honorables sénateurs, je prends la parole pour intervenir au sujet de l’interpellation du sénateur Harder concernant la Gendarmerie royale du Canada — la GRC —, ses rôles et son mandat.
Comme certains d’entre vous le savent, j’ai eu le plaisir de servir dans la République d’Irlande quand j’étais plus jeune, et j’ai pris part à la création d’un inspectorat visant à superviser la réforme et la modernisation de son service de police national. Plus particulièrement, nous examinions sa structure, son mandat, ses rôles et ses responsabilités. C’est dans cette optique que je parlerai de la GRC.
La Garda, comme on l’appelle en Irlande, exerce des mandats locaux, régionaux, nationaux et internationaux au nom de la république et de ses 3,5 millions d’habitants. Ce que j’ai appris en travaillant là-bas, et je crois que cela s’applique parfaitement au Canada, c’est que l’histoire policière s’inscrit dans l’histoire nationale. Je pense qu’on peut dire la même chose à propos de la GRC. À la base, les problèmes au sein de la GRC sont de nature structurelle. Cent cinquante ans après la création de la GRC, il est temps de mettre en place un service de police adapté aux besoins.
La GRC sert 8 provinces, 3 territoires et 150 municipalités, dont certaines comptant jusqu’à 1 million d’habitants, de même que de vastes territoires ruraux et du Nord parsemés de petits villages. Elle maintient l’ordre dans des centaines de collectivités des Premières Nations et inuites. Cela dit, j’estime que son rôle le plus important est celui de force de l’ordre fédérale, car c’est ce qui fait que notre pays demeure un lieu sûr. La GRC lutte, à l’échelle nationale et internationale, contre le crime organisé, la cybercriminalité, les fraudes majeures, la traite de personnes, la contrebande de stupéfiants, le terrorisme et d’autres menaces d’envergure à la sécurité de notre pays ayant une incidence sur nous tous.
Si on l’examine à l’échelle mondiale, le maintien de l’ordre représente un vaste mandat qui, depuis un siècle, est demeuré principalement inchangé. Il s’agit d’un mélange de responsabilités et d’obligations redditionnelles qui, inévitablement, embrouille les cartes plutôt que d’offrir plus de clarté. Évidemment, c’est la difficulté qui découle de la fédération sur laquelle repose notre pays, mais c’est également le fondement sur lequel la GRC a été fondée et, en retour, c’est là qu’elle s’est développée.
En ce qui concerne la GRC, je crois qu’il existe un obstacle structurel au maintien de l’ordre au Canada, une structure organisationnelle qui, en dépit des efforts individuels et collectifs, ne sert ni l’intérêt de l’organisation ni celui des citoyens. En tant que Canadiens, nous devons fournir à notre service de police fédéral le financement et les ressources dont il a besoin pour relever les défis de demain. Les technologies ont complètement révolutionné le monde, mais je peux vous assurer qu’elles ont tout particulièrement transformé le monde de la criminalité et de la lutte contre la criminalité.
Ce point a été renforcé dans le rapport du Groupe de travail Brown en 2007, il y a plus de 15 ans. Ce rapport soutenait que :
[...] le modèle de gouvernance de la GRC demeure un modèle et un style de maintien de l’ordre élaborés à une autre époque.
Ni des changements progressifs ni des réformes menées à l’interne ne feront de la GRC le service de police que notre époque réclame. Il faut un changement structurel. Un tel changement de mandat doit être mené par le gouvernement — il ne peut être mené de l’intérieur — et les gouvernements successifs n’ont pas pris cette initiative.
Dans le cadre de cette enquête, nous devons nous poser plusieurs questions. Un service de police fédéral moderne devrait-il fournir des services policiers sur une base contractuelle à 8 provinces, 3 territoires, 150 municipalités ainsi qu’à des centaines de localités rurales et de Premières Nations? Je soutiens que nous devrions avoir une image très claire de ce que nous voulons comme résultat avant de nous engager dans cette direction. Cela nécessiterait également de légiférer et d’obtenir la collaboration des provinces, qui sont responsables des services policiers. Comme nous l’avons vu en observant la transition des services de police dans la ville de Surrey, cela peut être un désordre compliqué et chaotique.
Les deux tiers du personnel de la GRC travaillent à offrir des services de police contractuels. Kevin Lynch, dans un récent rapport, a dit :
[L]es véritables obstacles à l’abandon des services de police contractuels sont principalement des obstacles politiques, à l’échelle fédérale et provinciale, et non des obstacles opérationnels. Ce qui est en cause, c’est l’inaction ainsi que des facteurs historiques et culturels.
Je crois sincèrement que l’indifférence du milieu politique y contribue également. Le résultat, c’est qu’on ne fournit pas de ressources adéquates pour renforcer des aspects cruciaux des services de police fédéraux au Canada, ce qui peut gravement compromettre la sécurité publique dans l’ensemble du pays.
Vous savez autant que moi que la situation actuelle est complexe. La GRC doit implanter une culture moderne et des principes clairs en matière de leadership, et cela devra se refléter dans les mesures de recrutement, de formation et de perfectionnement. Les mesures de formation doivent être adaptées en fonction des objectifs de l’organisation.
Le Canada doit aussi adopter un nouveau modèle en ce qui concerne les services de police autochtones. L’Ontario a fait bien des progrès à cet égard depuis que la première entente tripartite de cinq ans a été conclue, au début des années 1990. J’ai eu le privilège d’être présente lors de la signature de cette entente, et j’ai vu de près comment les services de police des Premières Nations ont pu se développer et croître dans l’ensemble de la province. Ils se sont très bien établis.
Au sein des communautés autochtones, les agents de la GRC en uniforme sont souvent perçus comme un reflet du passé colonial. On ne devrait pas maintenir l’approche actuelle. Pour qu’on puisse rendre des comptes adéquatement, il faut mettre en œuvre un modèle de services de police adapté aux besoins des Premières Nations.
Le gouvernement doit doter cette GRC adaptée aux besoins de ressources adéquates pour qu’elle puisse être un service de police sophistiqué et efficace doté d’un mandat bien défini. Les changements structurels proposés et toute mesure transitoire connexe ne seront pas bon marché, mais ils sont nécessaires. L’inaction ne fera qu’exacerber les problèmes, ce qui devrait être une perspective très peu attrayante pour tout futur gouvernement, tous partis confondus.
Le processus de réforme est difficile. Il exige une large compréhension publique de son objectif. Par ailleurs, la réforme structurelle devra notamment être fondée sur la consultation des intervenants, nommément les provinces, les municipalités et le public.
Le Canada a longtemps eu tendance à sous-financer ses obligations à l’égard du maintien de l’ordre, du renseignement et de la sécurité. Cet échec s’accompagne de risques et de conséquences qui ne sont que trop apparents à la GRC aujourd’hui. Il nous faudra un cadre de gouvernance plus efficace et un conseil d’administration doté de pouvoirs suffisants pour assurer une surveillance et une orientation externes efficaces. Le conseil consultatif actuel manque de transparence, de limpidité dans son mandat et d’une surveillance judicieuse.
Je suis toutefois encouragée par la récente nomination de Kent Roach à la présidence du comité consultatif. Beaucoup d’entre nous au Sénat connaissent M. Roach pour ses témoignages devant les comités des affaires juridiques et de la défense. Je pense qu’il apportera de la sagesse à ce poste et qu’il contribuera à apporter les changements nécessaires.
Cependant, nous devons tracer une limite claire et nette entre l’orientation du gouvernement et l’indépendance opérationnelle de la GRC. Cela doit faire partie de l’examen. Aucun gouvernement n’a pris cette question aussi au sérieux qu’il l’aurait dû.
Je pense donc que le Sénat se trouve dans une position exceptionnelle pour entreprendre ce travail, et j’appuie sans réserve la proposition du sénateur Harder. Merci beaucoup.
Honorables sénateurs, conformément à l’ordre adopté, l’ajournement du débat demeure au nom de la sénatrice Busson.