Le discours du Trône
Motion d'adoption de l'Adresse en réponse--Suite du débat
12 décembre 2024
Honorables sénateurs, le débat a été ajourné au nom du sénateur Plett pour le reste de son temps de parole. Je demande le consentement du Sénat pour qu’il conserve son temps de parole après mon intervention d’aujourd’hui.
Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Il en est ainsi ordonné.
Honorables sénateurs, je suis heureux de faire quelques observations aujourd’hui au sujet du discours du Trône.
Chers collègues, par une froide nuit de février 1985, je me suis joint à de nombreux autres Terre-Neuviens et Labradoriens à l’hôtel Newfoundland, à St. John’s, pour assister à la signature de l’Accord atlantique entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador. Il s’agissait d’un document détaillé qui établissait la gestion conjointe du développement de l’industrie pétrolière et gazière dans la province.
Ce jour de 1985 a été un jour historique pour les habitants de la province. Un accord historique a été signé ce soir-là et il a changé la donne pour Terre-Neuve-et-Labrador.
Chers collègues, je crois sincèrement que le jour d’aujourd’hui — le 12 décembre 2024 — restera gravé dans l’histoire de la province et du pays non seulement comme le jour où la donne a changé, mais aussi comme le jour où le monde tel que nous le connaissons a changé.
Lors d’une conférence de presse il y a quelques heures à peine, le premier ministre de Terre-Neuve, l’honorable Dr Andrew Furey, et le premier ministre du Québec, l’honorable François Legault, ont signé un protocole d’entente en vue d’un nouvel accord concernant Churchill Falls qui change effectivement la donne.
Pour ceux d’entre vous qui ne connaissent peut-être pas l’histoire de Churchill Falls, permettez-moi de vous en dire quelques mots.
Le contrat initial de Churchill Falls a été signé il y a 55 ans, en 1969. Je n’avais que cinq ans à l’époque. Joey Smallwood était le premier ministre de la province. En 1969, la conclusion de l’entente a suscité une activité économique intense et a créé des emplois dont la population de la province avait grand besoin.
La grande fierté liée à cet énorme projet hydroélectrique a été de courte durée : on a découvert que, même si l’eau coule abondamment à Churchill Falls, les retombées économiques, elles, couleraient à flots dans les coffres du Québec, et non pas dans ceux de la population de Terre-Neuve-et-Labrador.
L’entente de 1969 devait venir à échéance en 2041. Partout à Terre-Neuve-et-Labrador, cette affaire est une source de ressentiment depuis longtemps. Le contrat initial n’incluait pas de disposition d’indexation.
Sans disposition d’indexation, Hydro-Québec a pu acheter l’électricité produite à Churchill Falls pour le prix dérisoire de 0,2 cent le kilowattheure, puis la revendre au prix fort.
Depuis 1969, le contrat a rapporté 28 milliards de dollars à Hydro-Québec contre seulement 2 milliards de dollars aux habitants de Terre-Neuve-et-Labrador. Comme je l’ai dit plus tôt, ce taux fixe et cet accord inéquitable devaient s’appliquer jusqu’en 2041.
C’était le cas jusqu’à aujourd’hui, quand le premier ministre Andrew Furey a déchiré l’accord de 1969. Avec le premier ministre du Québec, M. Legault, il a annoncé et signé un nouvel accord de partenariat historique qui changera véritablement la vie des habitants de ma province et qui, de surcroît, profitera à des générations de Terre-Neuviens et de Labradoriens pendant des dizaines d’années.
Le nouvel accord est important notamment parce qu’il bénéficie du soutien de la nation innue. Le grand chef Simon Pokue était l’un des signataires de l’accord d’aujourd’hui. Il a qualifié cette journée d’historique pour les deux provinces et pour les Innus.
L’accord signé aujourd’hui respecte également l’entente dite de la Nouvelle aube, qui garantit que les Innus du Labrador seront inclus dans tous les futurs projets énergétiques de notre province.
Que prévoit ce nouvel accord? Que signifie-t-il pour les habitants de Terre-Neuve-et-Labrador?
À partir de maintenant, le coût payé par Hydro-Québec passera de 0,2 à 5,9 ¢ le kilowattheure. C’est 30 fois le coût actuel.
Le coût actuel de 0,2 ¢ rapporte 20 millions de dollars par année aux caisses de Terre-Neuve-et-Labrador. Le nouveau prix, qui entrera en vigueur l’année prochaine, rapportera à la province 1 milliard de dollars par année.
D’ici à 2041, année où l’ancien contrat devait expirer, ce nouveau prix apportera 17 milliards de dollars supplémentaires à Terre-Neuve-et-Labrador, car, une fois l’accord finalisé, il sera rétroactif au 1er janvier 2025. En 2041, ce montant doublera une première fois, pour atteindre 2 milliards de dollars par an, et une seconde fois, pour atteindre 4 milliards de dollars par an en 2056.
Le nouvel accord comprend également une clause d’indexation des prix — qui n’existait pas dans le contrat de 1969, comme je l’ai mentionné précédemment — qui tiendra compte de la valeur du marché pendant la durée de ce nouvel accord de 50 ans.
Nous profitons enfin de la hausse des prix.
Trois nouveaux projets sont également inclus dans l’accord et on s’attend qu’ils vont tous augmenter la capacité du Labrador de 3 900 mégawatts. Le Québec a accepté de verser 3,5 milliards de dollars à Terre-Neuve-et-Labrador pour le codéveloppement des projets susmentionnés.
Au cours des 55 dernières années, Terre-Neuve a perdu des milliards de dollars. Grâce au nouvel accord conclu aujourd’hui, Terre-Neuve et le Labrador récolteront des milliards de dollars au cours des 50 prochaines années.
Pour le Québec, le protocole d’entente signifie un demi-siècle d’énergie hydroélectrique fiable qu’Hydro-Québec peut fournir à ses clients. Ce nouvel accord représentera entre 200 et 250 millions de dollars pour chaque province.
La deuxième partie de l’accord concerne le projet hydroélectrique de Gull Island, qui fait l’objet de discussions depuis longtemps et qui est l’un des derniers grands projets hydroélectriques non développés en Amérique du Nord.
À lui seul, ce projet va produire 2 250 mégawatts d’électricité, créer des milliers d’emplois bien rémunérés dans le secteur de la construction et rapporter des milliards de dollars à Terre-Neuve-et-Labrador pour les générations à venir. Ce projet, dans le cadre de l’entente signée aujourd’hui, va à lui seul changer la donne.
Le projet Gull Island sera une nouvelle entité détenue à 60 % par Newfoundland Hydro et à 40 % par Hydro-Québec. Hydro-Québec sera responsable du projet, gérera la construction et absorbera tout dépassement de coûts. Croyez-moi, après le dossier Muskrat Falls, c’est une bonne nouvelle pour nous.
Chers collègues, si j’ai l’air heureux aujourd’hui, c’est parce que je le suis. Je crois sincèrement qu’aujourd’hui, Terre-Neuve a tourné la page sur un accord conclu en 1969 qui nous avait laissé un goût amer dans la bouche. Nous nous étions sentis floués. Les gens de ma province s’étaient sentis floués.
Quand j’étais jeune, à Terre-Neuve-et-Labrador, assis autour de la table de cuisine, j’ai entendu à maintes reprises les gens parler de Churchill Falls, et c’était toujours de façon négative.
Lorsqu’on mentionnait le Québec pour une raison ou une autre, des sentiments négatifs remontaient à la surface à cause d’un accord déséquilibré que nous avons détesté en tant que peuple. Cela n’a rien à voir avec le peuple québécois. Après tout, je suis un partisan de la Sainte-Flanelle.
Pendant des années, les premiers ministres de Terre-Neuve, les uns après les autres, ont tenté de réparer cette injustice, que ce soit par des voies diplomatiques ou le système judiciaire. Tous ces efforts ont échoué.
Aujourd’hui, je suis convaincu que nous avons tourné la page et qu’un avenir meilleur se profile à l’horizon pour mes enfants, mes petits-enfants et les générations à venir.
En tant que Terre-Neuvien et Labradorien, j’ai prié pour que je vive jusqu’à 2041 — pour que je sois en vie et que je sois témoin de la réparation d’un tort. Grâce à cet accord, 2041 est arrivé sur les côtes de notre province 17 ans plus tôt que prévu.
Comme le premier ministre Furey l’a dit plus tôt cet après-midi, aujourd’hui, tout change pour Terre-Neuve-et-Labrador. Comme le premier ministre Legault l’a dit cet après-midi, c’est un accord gagnant-gagnant.
Je sais que je parle au nom de tous mes collègues de Terre-Neuve-et-Labrador — les sénateurs Wells, Ravalia et Petten — lorsque je dis que nous avons entendu l’histoire des chutes Churchill tout au long de notre vie. Aujourd’hui, c’est un nouveau départ.
Avec mes quelques mots ici aujourd’hui, je ne suis pas tout à fait en mesure d’expliquer ce que Churchill Falls a signifié pour le psychisme de mes concitoyens de Terre-Neuve-et-Labrador. J’ai toujours été un fier Terre-Neuvien et Labradorien. Je dois admettre que je suis un peu plus fier aujourd’hui. J’aimerais que mon père soit vivant pour être témoin de cet événement historique.
En conclusion, cela peut paraître étrange de la part d’un conservateur, et d’un fier conservateur de surcroît, mais à tout seigneur tout honneur. Je dis donc merci à toutes les personnes qui, ces dernières années, ont travaillé dans l’ombre, loin des projecteurs, tant à Terre-Neuve-et-Labrador qu’au Québec. Je suis persuadé que l’histoire montrera que leurs longues heures de travail et leur dévouement ont permis d’offrir un avenir plus brillant et plus sûr aux habitants de nos deux provinces.
De tous les premiers ministres du Québec, François Legault est le premier à avoir admis publiquement que Terre-Neuve-et-Labrador n’avait pas fait une bonne affaire en signant le contrat de Churchill Falls, en 1969. Je pense que c’est cette déclaration qui a créé un environnement de travail favorable à l’atteinte de l’accord d’aujourd’hui.
Je remercie sincèrement l’honorable Andrew Furey, le premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, ma province, pour son travail acharné et sa détermination à parvenir à cet accord historique. Aucune entente ne plaira à tout le monde, mais je pense que le premier ministre Furey et son équipe ont conclu aujourd’hui une entente formidable pour les habitants de Terre-Neuve-et-Labrador. Pour beaucoup de gens dans ma province, il s’agit de quelque chose qu’ils ne pensaient jamais voir. Nombreux sont ceux qui, dans ma province, croyaient que c’était impossible.
C’est une chose de corriger les erreurs du passé et d’en tirer des gains financiers, mais, dans cet accord, la cerise sur le gâteau c’est le fait qu’on a mis la touche finale aux perspectives économiques de demain. Il s’agit d’une approche équilibrée où les deux parties sont gagnantes. Je pense que les livres d’histoire retiendront ce jour comme celui où Terre-Neuve-et-Labrador a tourné la page, et on se souviendra du premier ministre Furey comme de son maître d’œuvre.
Que mes compatriotes de Terre-Neuve et du Labrador soient conservateurs, libéraux, néo-démocrates, verts ou sans affiliation politique, je pense que la grande majorité d’entre eux sont fiers et heureux de ce qui a été accompli aujourd’hui. L’entente d’aujourd’hui vise à corriger les erreurs du passé, à permettre au merveilleux peuple de Terre-Neuve-et-Labrador d’entamer un nouveau chapitre et à jeter les bases solides d’un avenir plus prospère pour tous ceux qui nous suivront. C’est assurément un jour de grande fierté pour nous tous.
Je vais conclure avec les derniers vers d’Ode to Newfoundland :
[...] Pour notre Terre-Neuve, patrie bien-aimée.
L’amour de nos aïeux, un phare;
Leurs valeurs, notre espoir; au ciel nous offrons leur prière.
Que Dieu protège Terre-Neuve [...]
Sénatrice Audette, avez-vous une question?
J’ai une question à poser au sénateur Manning.
Sénateur Manning, acceptez-vous de répondre à une question?
Avec plaisir.
Il reste peu de temps, la question doit être brève.
Je vous remercie de faire enfin en sorte que les peuples innus du Labrador et du Québec — car pour nous, ce ne sont pas les mêmes frontières — fassent partie du protocole d’entente. Puis-je compter sur vous, sénateur Manning, pour que la nation innue soit toujours honorée dans cette entente et qu’elle soit partie prenante? De plus, me soutiendrez-vous lorsque je rappellerai au gouvernement du Québec que nous avons droit nous aussi à ce genre d’entente? Je vous remercie.
Sénateur Manning, voulez-vous plus de temps pour répondre aux deux questions qui ont été posées?
Oui. Je peux parler vite, mais pas si vite.
Est-ce d’accord, honorables sénateurs?
Je vous remercie de la question. Vous comprendrez que je n’ai pas vraiment mon mot à dire pour ce qui est de déterminer qui est inclus et qui ne l’est pas, mais j’ai été ravi aujourd’hui de voir le grand chef parmi les signataires de l’entente.
Le grand chef a dit que l’entente de la Nouvelle aube garantit la participation des Innus, et qu’aucun autre projet au Labrador ou ailleurs dans la province n’ira de l’avant sans la participation des Innus. Je pense que ce message est on ne peut plus clair.
Encore une fois, comme je l’ai dit, je pense que l’entente d’aujourd’hui vient corriger les erreurs du passé en ce qui concerne l’aspect financier à Terre-Neuve-et-Labrador, mais je crois aussi que la participation de dirigeants innus aux discussions est aussi une façon de corriger les erreurs du passé. Je suis convaincu qu’il n’y aura pas de projet qui ira de l’avant à Terre-Neuve-et-Labrador — ni ailleurs au Canada, d’ailleurs — sans la participation des Premières Nations aux discussions, et je serai toujours en faveur de cela.