Projet de loi modifiant certaines lois et d'autres textes en conséquence (armes à feu)
Motion d'amendement--Report du vote
11 décembre 2023
Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :
Que le projet de loi C-21 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à la page 28, par adjonction, après la ligne 24, de ce qui suit :
« 13.01 L’article 231 de la même loi est modifié par adjonction, après le paragraphe (6.2), de ce qui suit :
(6.3) Indépendamment de toute préméditation, le meurtre que commet une personne est assimilé à un meurtre au premier degré lorsque celle-ci cause la mort en déchargeant une arme à feu en direction ou à l’intérieur d’un endroit public au sens de l’article 150. ».
Sénateur Carignan, acceptez-vous de répondre à des questions? Vous avez deux minutes.
Je m’excuse, Votre Honneur, mais je suis à la limite avec ma voix et je préfère la préserver.
Je prends part au débat, mais je comprends que vous avez un problème de voix. J’avais des questions à poser et peut-être qu’une personne qui a travaillé avec vous au sujet du projet de loi serait en mesure d’y répondre.
Évidemment, nous venons d’entendre l’amendement et je viens à peine de le lire. Je dois le remettre dans le contexte du reste du projet de loi. Je veux poser une question au sujet de l’impact global de l’amendement. Pour avoir discuté avec des membres de votre caucus en réponse à mes questions à propos de certaines craintes que j’ai au sujet du projet de loi, je sais que certains s’interrogeaient sur la nécessité d’ajouter des peines minimales, par exemple, et un éventail d’autres éléments.
Ma question porte sur un enjeu un peu différent. Elle porte sur le type d’accusation qui serait approprié compte tenu des circonstances dans lesquelles le crime dont vous parlez est commis. C’est une situation absolument ignoble que vous avez décrite, alors je comprends pourquoi vous voulez une réponse à ce genre de situations.
Ce que je ne sais pas, c’est dans quelle mesure les dispositions actuelles du Code criminel accordent aux procureurs et aux avocats le pouvoir discrétionnaire nécessaire, dans le cadre des procédures judiciaires, pour que l’on tienne compte des circonstances et de tous les facteurs auxquels on peut penser lorsqu’il est question du pouvoir discrétionnaire des juges en ce qui concerne la détermination de la peine. Cela fait partie des préoccupations qui sont soulevées par des gens et auxquelles je m’intéresse. J’aimerais savoir si des gens qui ont participé à l’étude du comité se sont penchés là-dessus et ont compris la situation. Je ne sais pas si on a abordé la question au comité ou si c’est tout nouveau.
Ce qui me préoccupe, c’est que les procureurs et les policiers ont un certain pouvoir discrétionnaire quant aux accusations qui sont portées dans certains cas. Je ne sais pas si cet amendement limiterait ce pouvoir, et j’ignore si on s’est penché sur les problèmes ou les conséquences qui pourraient en découler. Cela peut sembler raisonnable, mais je dois en avoir la certitude, et pour cela, je dois savoir quelle incidence cet amendement pourrait avoir sur l’application des dispositions en vigueur en ce qui a trait aux peines minimales prévues pour ce genre d’infraction.
J’aimerais connaître l’avis d’autres personnes avec qui vous avez travaillé, avec qui vous avez parlé ou qui s’opposent à ce projet de loi au sujet de cet aspect de votre amendement. Je suis désolée que l’état de votre voix vous empêche de répondre directement à cette question.
Honorables sénateurs, permettez-moi tout d’abord de remercier le sénateur Carignan pour ses observations et pour son travail au sein du comité sur le projet de loi C-21.
Tout d’abord, je voudrais dire que je n’appuie pas l’amendement et que je demanderais à mes collègues de le rejeter, mais je pourrais contribuer à répondre à certaines des questions que la sénatrice Lankin vient de soulever à propos de l’amendement.
L’article 231 du Code criminel, que cet amendement vise à modifier, traite de la classification des meurtres. Cet article du Code traite des règles de détermination de la peine relatives au meurtre au premier degré et au meurtre au second degré. Il définit le meurtre au premier degré comme étant un « meurtre commis avec préméditation et de propos délibéré » et le meurtre au second degré comme étant l’inverse, c’est-à-dire un meurtre qui n’est ni prémédité ni délibéré.
Honorables collègues, il est important de noter que toute personne qui commet un meurtre, quel que soit le degré de culpabilité d’un acte criminel, sera condamnée à la même peine d’emprisonnement à vie.
La différence de peine entre un meurtre au premier degré et un meurtre au deuxième degré réside simplement dans le degré de discrétion judiciaire. Les personnes reconnues coupables de meurtre au premier degré sont condamnées à perpétuité et inadmissibles à une libération conditionnelle avant un minimum de 25 ans. En revanche, une personne condamnée pour un meurtre au deuxième degré est inadmissible à une libération conditionnelle pour une période allant de 10 à 25 ans, qui est fixée par le juge qui prononce la peine, qui a entendu tous les témoignages relatifs à l’affaire et qui peut prendre une décision éclairée sur la période d’inadmissibilité à imposer à un délinquant en fonction des faits de l’affaire.
L’amendement proposé vise à modifier les règles de détermination de la peine pour les meurtres et prévoit que tout meurtre commis à l’intérieur d’un endroit public soit assimilé à un meurtre au premier degré, indépendamment de toute préméditation. Un tel amendement priverait de son pouvoir discrétionnaire le juge de première instance, alors que c’est lui qui connaît le mieux les faits et qui a la meilleure idée de la peine à infliger.
Honorables sénateurs, il est important de se rappeler que les personnes qui commettent un meurtre, quel qu’en soit le degré, sont condamnées à perpétuité. Il convient de noter que cet amendement vise à ajouter un nouveau paragraphe à l’article 231 du Code criminel, qui n’avait pas été envisagé par ses rédacteurs.
Cet amendement ferait en sorte que certains meurtres commis avec une arme à feu seraient traités plus sérieusement que d’autres. Par exemple, un meurtre au deuxième degré commis dans une maison avec une arme à feu serait considéré comme moins grave qu’un meurtre au deuxième degré commis avec une arme à feu dans un lieu public.
De plus, chers collègues, l’article 231 du Code criminel donne déjà de nombreux exemples de meurtres qui doivent être considérés comme des meurtres au premier degré, qu’il s’agisse ou non d’un meurtre délibéré et prémédité. En vertu de ces exceptions, certains meurtres seront toujours considérés comme des meurtres au premier degré, notamment le meurtre à forfait, le meurtre d’un officier de police, le meurtre commis dans le cadre d’un détournement, d’une agression sexuelle ou d’un enlèvement, de harcèlement criminel, d’activités terroristes, d’intimidation, et le meurtre commis au profit d’une organisation criminelle, sous sa direction, ou en association avec celle-ci.
Ces exceptions au critère relatif au caractère prémédité ou délibéré d’un meurtre visent à faire en sorte que les criminels qui commettent les infractions les plus graves soient condamnés aux peines les plus sévères que prévoit le système canadien de justice pénale. L’amendement dont nous sommes saisis aujourd’hui est trop large et ne tient pas compte des exceptions déjà prévues par le Code criminel. Une fois de plus, on cherche à priver les juges de leur pouvoir discrétionnaire.
Je voudrais qu’on me dise pourquoi un tel amendement serait nécessaire et qu’on m’explique quelles en seraient les conséquences juridiques. Par ailleurs, le projet de loi C-21 inclut beaucoup d’autres dispositions ayant pour but de renforcer le Code criminel dans sa version actuelle et de fournir à la police de nouvelles autorisations d’écoute électronique. La police sera ainsi mieux outillée pour faire enquête plus efficacement sur les crimes commis avec des armes à feu, y compris leurs liens avec le crime organisé. Ce sont des modifications tout à fait sensées qui répondent aux appels lancés par nos partenaires des provinces.
Mais surtout, le projet de loi C-21 augmenterait la peine maximale pour cinq infractions avec des armes à feu. Le maximum serait désormais de 14 ans, y compris pour les infractions de trafic et de contrebande d’armes à feu. C’est un changement important quoiqu’il ait été critiqué par certains sénateurs.
Selon la Cour suprême du Canada, lorsque le Parlement décide d’accroître la sévérité des peines pour des infractions qui existent déjà, c’est un signal que les législateurs envoient aux tribunaux pour que les juges considèrent ces infractions comme plus graves. Les législateurs leur donnent une fourchette plus grande de peines à infliger aux personnes déclarées coupables de ces infractions. Le projet de loi C-21 constitue un signal sans équivoque afin que les tribunaux traitent le trafic et la contrebande d’armes à feu comme des crimes très graves. Ceux qui critiquent les modifications législatives contenues dans le projet de loi et qui militent pour que l’on sévisse plus durement contre la criminalité pensent que la seule approche suffisamment ferme contre les crimes graves est de prévoir dans la loi des peines minimales obligatoires. Or, c’est faux. Je ne souscris pas du tout à ce point de vue.
Je ne suis pas en train de dire que les peines minimales obligatoires sont toujours inappropriées ou que les outils de détermination de la peine comme celui-là n’ont pas leur place dans notre droit pénal. Elles peuvent être pertinentes dans certains cas et peuvent avoir un effet dissuasif significatif.
Je crois que le gouvernement comprend cela, étant donné que les réformes de la détermination de la peine prévues dans le projet de loi C-5, que le Sénat a adopté il n’y a pas si longtemps, maintenaient certaines peines minimales obligatoires, y compris pour des infractions liées aux armes à feu mettant en cause le crime organisé, par exemple. Par ailleurs, les récentes réformes de la détermination de la peine apportées par le gouvernement prennent en considération le fait qu’il y a plus d’une façon de lutter contre les crimes graves. Le projet de loi C-21, avec la hausse des peines maximales qu’il propose, le montre bien.
À mon avis, ceux qui affirment que les peines minimales obligatoires sont la seule façon de punir les auteurs de crimes graves simplifient beaucoup trop les choses et donnent un faux sentiment de sécurité. Pour lutter contre la criminalité, il faut agir intelligemment, et les peines minimales obligatoires qui s’appliquent à des infractions qui peuvent être commises de diverses manières dans des circonstances à gravité variable n’ont rien d’intelligent. Elles ne sont certainement pas un bon moyen de sévir contre les criminels si elles débouchent sur des poursuites qui finissent par les invalider.
Les longs délais retardent l’application de la justice pour les victimes et peuvent faire perdre confiance à celles-ci dans le système de justice pénale.
Honorables sénateurs, en conclusion, nous devons aux victimes et, en fait, à tous les Canadiens de tenir compte de cela lorsque nous examinons des politiques touchant à la justice pénale. Je répète que cet amendement est trop vaste, ne tient pas compte des exceptions qui sont déjà prévues dans le Code criminel et réduit encore une fois le pouvoir discrétionnaire des juges.
Je vous exhorte donc, honorables sénateurs, à rejeter l’amendement et à adopter le projet de loi C-21.
Merci.
Honorables sénateurs, je n’avais pas l’intention d’intervenir dans le débat, et j’ai un immense respect pour la sagesse du sénateur Carignan en ce qui concerne les questions de droit criminel, mais je tiens à faire deux observations.
Premièrement, si la nature de cette mesure est d’essayer d’augmenter la peine minimale obligatoire pour certains crimes très graves, il semble un peu inhabituel de le faire en aggravant la nature de l’infraction, en particulier lorsqu’il s’agit du meurtre au premier degré.
Deuxièmement, d’une manière plus générale, et peut-être d’un point de vue un peu défensif en ce qui concerne le rôle et les responsabilités du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, le comité fait constamment face à des difficultés quand vient le temps d’ajuster — pour ne pas dire « bricoler » — le Code criminel de façon ponctuelle. Il est déjà assez difficile de nous assurer que nous abordons les questions d’une manière structurée, logique et cohérente.
En ce qui concerne le meurtre au premier degré, le régime qui consiste essentiellement à prendre le concept de préméditation, à le mettre de côté et à maintenir le statut de meurtre au premier degré pour d’autres types d’infractions, en particulier en fonction de la victime, est un cadre très fragile et soigneusement élaboré. Je ne parle même pas de « régime », mais bien de « cadre ». Avec tout le respect que je vous dois, il s’agit d’une manière problématique de modifier et d’élargir la portée du meurtre au premier degré sans réfléchir à cette catégorie dans son ensemble.
Comme vous le savez sans doute, le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles n’a pas reçu le mandat d’étudier le projet de loi et je pense qu’il s’agit d’une question qui, si elle mérite d’être étudiée, devrait l’être de manière indépendante et avec un degré de réflexion plus élevé.
Merci beaucoup.
Sénateur Cotter, accepteriez-vous de répondre à une question?
Bien sûr.
Merci, sénateur Cotter.
L’intervention du sénateur Carignan et ma lecture de l’amendement concernant l’arrêt R. c. Martineau de 1990 m’ont rappelé des souvenirs. Je me souviens de cet arrêt parce que, bien des années plus tard, j’ai couvert une affaire dans laquelle un juge, qui avait oublié que l’arrêt Martineau avait invalidé un article du Code criminel, a tenté de condamner quelqu’un pour meurtre au deuxième degré puisque le crime a été commis pendant la perpétration d’un des actes criminels énumérés à cet article, soit un vol qualifié.
Étant donné que vous êtes professeur de droit constitutionnel et que je ne le suis pas, je me demande si vous pouvez me dire si vous pensez que le raisonnement de la cour dans l’arrêt Martineau pourrait rendre l’amendement inconstitutionnel, car la cour a conclu dans l’arrêt Martineau qu’une personne accusée de meurtre doit avoir formé l’intention de commettre ce crime. Dans le cadre de l’amendement, même si vous n’aviez pas l’intention de commettre un meurtre au premier degré, vous seriez possiblement touché. Je me demande si vous pensez que l’argument présenté dans l’arrêt Martineau serait illustré dans l’amendement.
En ce qui me concerne, je dois réfléchir davantage à la question. C’est ce qui se passe dans le Code criminel en ce moment : ce qui est habituellement considéré comme une exigence pour avoir enlevé la vie à une personne en posant un geste prémédité et délibéré est contourné dans le libellé du Code criminel pour un ensemble précis d’infractions presque toujours axées sur certaines victimes. Je ne pourrais dire si ce cas précis correspondrait à ce régime ou s’il serait contesté. Je crois qu’il serait contesté. Il est certes possible de soutenir que si on souhaite considérer la chose comme entrant dans la catégorie du meurtre au premier degré, il faut songer à l’ensemble des dispositions qui portent sur le meurtre au premier degré, et cela contourne l’exigence concernant le caractère prémédité et délibéré.
En tout respect, je ne crois pas que cette question a été suffisamment approfondie. Je crois que le Sénat ne s’y est pas attardé suffisamment pour que nous puissions aller de l’avant.
Les gens posent des gestes terribles, et les dispositions de meurtre au premier degré représentent un des mécanismes associés à la plus importante reddition de comptes. C’est tout à fait légitime, mais nous devons nous assurer de mettre en place un tel mécanisme pour les bons types d’infractions. Il est prématuré d’affirmer que c’est le cas en l’occurrence.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
L’honorable sénateur Carignan propose en amendement que... puis-je me dispenser de lire l’amendement?
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
À mon avis, les non l’emportent.
Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente sur la durée de la sonnerie?
Conformément à l’article 9-10 du Règlement, le vote est reporté à 17 h 30 le prochain jour où le Sénat siégera et la sonnerie retentira à 17 h 15.