Le Code criminel—La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat
2 avril 2019
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à titre de critique de l’opposition officielle pour le projet de loi C-75, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d’autres lois et apportant des modifications corrélatives à certaines lois.
Le projet de loi a été présenté aux Canadiens et aux Canadiennes comme étant une réforme historique, une réforme qui est censée réduire les délais du système de justice. Lorsqu’on analyse de plus près ce projet de loi omnibus de près de 200 pages, et lorsqu’on discute avec les avocats de la défense, les avocats de la Couronne et les victimes, on entend beaucoup plus de critiques que de commentaires positifs à son sujet. Quand on parle aux gens qui fréquentent les palais de justice, on entend surtout des commentaires négatifs.
J’aimerais d’abord signaler à quel point, à titre de père d’une victime d’acte criminel, je suis déçu de la manière expéditive dont le leader du gouvernement au Sénat, le sénateur Harder, a agi dans ce dossier. À titre de critique, j’ai droit à des renseignements de la part du ministère de la Justice. Ce n’est pas un privilège, c’est un droit. Or, j’ai dû demander moi-même ces renseignements, que je n’ai reçus qu’hier, 24 heures avant que je puisse lire ce projet de loi, parce que personne au sein du groupe du gouvernement ne l’a proposé à mon bureau.
J’ai posé des questions aux fonctionnaires que j’ai vus hier, et je n’ai évidemment reçu aucune réponse à mes questions en si peu de temps. En tant que défenseur des victimes d’actes criminels et de leur famille, vous comprendrez que je prends ce projet de loi très au sérieux. D’ailleurs, celui-ci aura des impacts sur des vies humaines; je pense notamment aux victimes d’actes criminels, aux victimes d’agressions sexuelles, aux victimes de terrorisme et, surtout, aux victimes de violence conjugale. Je pense aux proches de personnes assassinées, enlevées ou disparues, que j’ai accompagnés et que j’accompagne toujours depuis le décès de ma fille.
Premièrement, le projet de loi est censé réduire les retards au sein du système de justice. La dernière fois que j’ai posé une question au critique du projet de loi, le sénateur Sinclair, j’ai demandé combien de sièges de juges nommés par le gouvernement fédéral étaient vacants. On n’a pas pu me donner la réponse à l’époque, mais elle aurait été loin d’être rassurante. Au 1er février 2016, 27 postes étaient vacants; au 1er juillet 2016, 41 postes; au 5 août 2016, 44 postes; au 1er juin 2017, 53 postes; au 1er mai 2018, 61 postes; au 3 décembre 2018, 55 postes; et, enfin, au 4 mars 2019, 61 postes. Au lieu de s’améliorer, comme l’avait promis le gouvernement libéral, la situation n’a jamais cessé de se dégrader. Bref, cette supposée réforme a été rédigée alors que la magistrature de nomination fédérale a subi une pression constante et marquée par la baisse d’un nombre sans cesse croissant de juges.
Deuxièmement, le projet de loi doit moderniser et simplifier le système de libération sous caution. Des amendements proposés à la libération sous caution adopteront un « principe de retenue » pour les services de police et les tribunaux, afin de privilégier la mise en liberté dès la première occasion. On sait déjà que les forces policières sont parfois outrées de voir des criminels arrêtés retourner confortablement à la maison après avoir commis des crimes sérieux. Je suis très inquiet pour la sécurité publique si ce projet de loi est adopté.
Malheureusement, derrière cette belle promesse, on risque de rendre la vie des victimes encore plus difficile. En effet, ce que propose ce projet de loi, c’est de rendre la liberté à plus d’accusés dans l’attente de leur procès. Pour une victime de violence conjugale, pour une victime d’agressions sexuelles, pour les parents d’un enfant qui a été agressé sexuellement, cela rendra leur expérience du système de justice encore plus tragique, douloureuse et traumatisante. Mettez-vous à la place de ces victimes, ne serait-ce qu’une seule minute. Le fait de penser que leur agresseur risque d’être libéré après son arrestation ne fera que dissuader les victimes de porter plainte. On sait que, déjà, le taux de dénonciation est l’un des plus bas. Si c’est ainsi que le gouvernement espère réduire les délais, en limitant le nombre de poursuites criminelles, je trouve cela outrageant et totalement déconnecté de la réalité des victimes.
En ce sens, le projet de loi C-75 imposera davantage le silence aux victimes et placera les droits des criminels avant ceux des victimes. Les taux de signalements diminueront, particulièrement dans les communautés marginalisées comme les collectivités autochtones et les milieux pauvres, parce que les libérations sous caution deviendront encore plus faciles à obtenir dans des milieux de vie où tout le monde se côtoie et se connaît, victime et agresseur.
Troisièmement, on a prétendu que ce projet de loi favorisait un avancement à l’égard de la violence conjugale. L’ajout proposé de l’alinéa 515(6)b.1) renversera le fardeau de la preuve pour quiconque est accusé d’un acte de violence conjugale et a déjà été déclaré coupable d’un autre acte de violence conjugale. À première vue, c’est encourageant. Cependant, si vous relisez bien le texte de l’alinéa, cela signifie qu’une victime ne bénéficiera du renversement du fardeau de la preuve, transféré au prévenu, que dans les cas de récidive, et seulement pour des actes bien précis de violence conjugale. Encore une fois, on protège d’abord l’agresseur plutôt que les victimes de violence conjugale.
Honorables sénateurs, comme l’a affirmé Nancy Roy, présidente de l’AFPAD, accompagnée de Bruno Serre, père de Brigitte, assassinée en 2016, « ces victimes n’ont pas eu, malheureusement, de deuxième chance. »
S’il faut une première infraction de violence conjugale pour pouvoir renverser le fardeau de la preuve, s’il faut attendre qu’un criminel ait battu une femme, l’ait agressée ou séquestrée pour faire en sorte que, lors de la deuxième infraction, s’applique un renversement de la preuve, je crois que nous faisons fausse route. Les victimes de violence conjugale savent que l’escalade de la criminalité des conjoints ou des partenaires fait en sorte que le deuxième acte peut être mortel.
Par ailleurs, le projet de loi restreindra l’application des enquêtes préliminaires dans les cas d’infractions passibles d’une peine d’emprisonnement à perpétuité. À première vue, cette mesure semble pouvoir réduire les délais; cependant, lorsqu’on parle aux gens qui pratiquent le droit, on constate de graves inquiétudes chez ceux qui ne vivent pas dans un monde théorique.
Dans une lettre envoyée en mars 2017 à la ministre fédérale de la Justice de l’époque, Jody Wilson-Raybould, avant qu’elle ne fasse l’objet d’une rétrogradation, l’Association du Barreau canadien qualifie de « hautement spéculative » la relation de cause à effet entre les enquêtes préliminaires et les délais judiciaires. Permettez-moi de citer une partie de cette lettre :
Le point de vue de la Section du droit pénal de l’Association du Barreau canadien (la « Section ») à ce sujet se fonde sur l’expérience quotidienne de ses membres dans les tribunaux partout au pays, tant à titre de procureurs que d’avocats de la défense. Plutôt que d’être source de retards pour les cours supérieures, l’enquête préliminaire leur épargne temps et argent. Avant d’agir sur cette question, nous vous invitons à faire l’examen complet et minutieux des différents défis auxquels fait face le système de justice pénale canadien, à la lumière des perspectives de l’ensemble de ses intervenants et des recherches les plus récentes.
J’ajoute que seulement 3 p. 100 des cas font l’objet d’une enquête préliminaire. Les victimes ont-elles été consultées à ce sujet? Non. Cela demeure un mystère.
Les enquêtes préliminaires permettent également à la Couronne de tester la solidité de la preuve et, souvent, de combler des lacunes ou de régler des difficultés liées à la preuve, ce qui permet de mieux soutenir l’accusation au moment du procès.
Cinquièmement, le projet de loi C-75 vise à reclassifier plus de 150 infractions criminelles. Pour être plus précis, plus de 110 infractions poursuivables par acte criminel seront transformées en infractions mixtes. Parmi les infractions poursuivables par acte criminel qui deviendront des infractions mixtes, citons la fraude envers le gouvernement, l’abus de confiance et le complot.
En réduisant les peines pour fraude et autres crimes de col blanc, ce projet de loi découragera les sonneurs d’alerte qui sont si essentiels à la dénonciation des crimes de fraude. Pensons aux personnes qui ont dénoncé avec courage la criminalité dans l’industrie de la construction au Québec. Rappelons le tristement célèbre Michael Applebaum, ancien maire de Montréal, qui a été reconnu coupable de huit chefs d’accusation, y compris de fraude envers le gouvernement et d’abus de confiance. Le projet de loi C-75 ouvrira la porte à la possibilité de réduire les peines des criminels en col blanc à l’aide de poursuites sommaires et de peines de deux ans moins un jour.
Pourquoi réduire les peines de criminels qui, comme Michael Applebaum, volent les contribuables et réduisent la crédibilité de nos institutions? Rappelons aussi le cas de Bernard Trépanier, tristement célèbre, lui aussi. Vous vous souvenez sûrement de son surnom, « Monsieur 3 % ». Il devait être jugé dans le cadre de deux procès liés à la criminalité dans l’industrie de la construction au Québec : l’un pour sa participation présumée au scandale du Faubourg Contrecœur, et l’autre pour des accusations de fraude et de corruption liées à un système de partage des contrats municipaux.
Aujourd’hui, le gouvernement tente de nous dire que des peines plus clémentes sont souhaitables pour ce genre de criminels. C’est incompréhensible.
À cause du projet de loi C-75, le crime d’entrave à la justice, au paragraphe 139(2), deviendra un crime potentiellement poursuivable par acte sommaire avec des peines de moins de deux ans de prison. Au paragraphe 139(3), il est mentionné que cela couvre le fait de dissuader une personne par des menaces, des pots-de-vin, et cetera. Où est la logique de punir avec douceur des crimes qui minent le système de justice? Une condamnation pour entrave à la justice peut entraîner à l’heure actuelle une peine maximale de 10 ans d’emprisonnement, et avec raison. On communique avec des victimes pour les empêcher de venir témoigner au moyen de menaces ou de pots-de-vin. En quoi est-ce que cela servira la cause des victimes et la protection des témoins?
Ronald Weinberg, fondateur de Cinar, a été trouvé coupable de neuf des 16 chefs d’accusation portés contre lui, y compris fraude, faux, usage de faux et publication d’un faux prospectus. La fraude de prospectus, au paragraphe 400(1), se retrouverait aussi parmi les infractions réduites par une possible poursuite sommaire. Les victimes de fraude en col blanc soutiennent-elles ce type de changement? J’en doute énormément.
L’infraction de mariage forcé peut avoir des conséquences dramatiques chez les victimes. Pensons aux jeunes femmes et aux jeunes filles qui s’installent au pays. D’où vient cette étrange idée de réduire les possibilités de peine en les faisant passer de cinq ans maximum à deux ans moins un jour ou à une amende? Je vous réfère à l’article 293.1, mariage forcé, et à l’article 293.2, mariage forcé d’une personne de moins de 16 ans. Encore aujourd’hui, des Québécoises sont menacées par leur famille, maltraitées et parfois mariées de force au nom de l’honneur. Ce projet de loi, en réduisant la peine à moins de deux ans pour mariage forcé, risque d’envoyer un message très négatif aux victimes. Le conjoint violent pourrait ne pas rester bien longtemps en prison. C’est quasiment une invitation à ne pas dénoncer le coupable, encore une fois.
Les criminels qui font la traite des personnes et les criminels qui abusent des jeunes filles dans le monde de la prostitution juvénile profiteront de ces nouveaux amendements. À titre d’exemple, l’utilisation criminelle de faux passeports est souvent liée au trafic d’immigrants clandestins, au crime de la traite des personnes et au terrorisme international. Les victimes de ces crimes sont souvent traumatisées à vie. Pourquoi réduire les peines pour ces crimes à moins de deux ans et un jour de prison? Le crime d’avantage matériel, traite des personnes, est actuellement passible d’un maximum de 10 ans. Pourquoi réduire les peines pour un crime aussi répandu dans le sale monde de l’exploitation des jeunes filles à moins de deux ans et un jour de prison? Où est la logique? Où est l’humanité derrière ces amendements?
Le projet de loi C-75 propose de transformer en infractions mixtes de deux ans moins un jour des infractions aussi graves que l’enlèvement d’un enfant de moins de 16 ans et l’enlèvement d’un enfant de moins de 14 ans. Mettez-vous à la place d’un parent qui vit ce genre de drame. Comment justifier le fait que ce type de criminel puisse se retrouver dans des prisons provinciales et bénéficier d’une remise en liberté après avoir purgé le sixième de sa sentence? Le projet de loi C-75 propose de réduire les retards pour les cours fédérales en pelletant les problèmes et les criminels vers les cours provinciales et les prisons provinciales. Les prisons provinciales débordent déjà. De plus, elles n’ont pas les ressources nécessaires pour traiter ce genre de criminalité. Ce projet de loi envoie tout simplement des criminels vers la récidive.
J’étais hors de moi quand j’ai constaté que le crime d’outrage à un cadavre — vous avez bien compris, outrage à un cadavre — allait devenir une infraction mixte. Ce crime peut être associé à un crime d’homicide involontaire. Lorsque je visitais les familles de personnes assassinées, j’ai entendu de telles histoires d’horreur plus souvent qu’à mon tour. Comment le gouvernement peut-il expliquer sa décision de rendre cette infraction passible d’une peine de deux ans moins un jour ou d’une amende, alors que le maximum est de cinq ans en ce moment?
Selon l’avocate Kyla Lee, les dispositions du projet de loi C-75 qui modifient la loi en ce qui concerne les enquêtes sur le cautionnement sont « inutiles », « trop générales » et « restreignent gravement les droits des accusés ». Elle ajoute aussi ceci : « Les modifications proposées dans ce projet de loi sont à la fois inconstitutionnelles et non nécessaires. » Ce que cela signifie, c’est que les avocats de la défense lanceront des litiges et des recours judiciaires qui, tôt ou tard, aboutiront à la Cour suprême avec des déclarations d’inconstitutionnalité.
Sixièmement, le projet de loi C-75 bouleversera le processus de sélection des jurés. Le projet de loi propose d’éliminer les récusations péremptoires. Me Laurelly Dale, une avocate de la défense qui a plaidé dans l’affaire R. c. Kokopenace en 2015, souligne, dans le Lawyer’s Daily, que cette affaire révèle à quel point le problème se manifeste dans le cadre des processus de sélection, et donc des listes, et je cite :
Nous nous sommes retrouvés avec un jury composé de non-Autochtones, non pas à cause de défis péremptoires, mais à cause du processus de sélection du jury. Je suis d’accord, il faudrait modifier notre sélection de jury pour faire en sorte qu’il s’agisse d’un jury composé de nos pairs.
Si le projet de loi C-75 vise à améliorer la représentativité, il doit viser une plus grande collaboration avec les provinces, qui sont les grandes responsables de cette composante du processus de nomination du jury. Cela signifie également que le Parlement ne peut aborder que marginalement l’enjeu de la représentativité. À cette fin, il convient d’entretenir un scepticisme sain sur la législation fédérale qui vise à modifier, au nom de la « représentativité », des procédures de procès bien enchâssées.
Septièmement, le projet de loi renforcera les pouvoirs de gestion de l’instance des juges.
Il est important de souligner que les principaux intervenants, telle la Criminal Lawyers’ Association, n’ont pas été consultés au sujet du projet de loi C-75. J’attends toujours de savoir quelles victimes ont été consultées. De plus, ce projet de loi est censé améliorer l’approche pour traiter des infractions contre l’administration de la justice, y compris pour nos jeunes, mais lorsqu’on l’examine de plus près, il s’agit d’un retour en arrière.
Voilà qui conclut ma présentation sur le projet de loi C-75 qui, à mon avis, a été préparé en vitesse par le gouvernement afin de réduire les délais, de prévoir un processus plus inclusif pour les victimes et de mieux protéger les femmes contre la violence conjugale. Or, je crois que ce projet de loi fera tout le contraire. Ce qui m’inquiète le plus, c’est l’élément lié à la violence conjugale. Comment accepter dans notre pays que la notion de renversement de la preuve soit liée au nombre de victimes que l’agresseur doit connaître? Je ne comprends pas cela. Lorsqu’on a posé la question au fonctionnaire du ministère de la Justice, on a reçu une réponse politique. S’il y a des amendements à apporter à ce projet de loi, j’en retiens un en particulier : chaque fois qu’une femme est agressée, l’agresseur doit faire la preuve qu’il n’est plus dangereux. Sinon, on dirige tout simplement des femmes vers l’assassinat. Merci beaucoup.
Honorables sénateurs, j’aimerais dire quelques mots sur le projet de loi C-75. Je parlerai un peu des ententes qui ont été conclues relativement à ce projet de loi, mais mes remarques s’inscriront dans le contexte de ce dernier.
Ce matin, honorables collègues, le sénateur Smith est venu à mon bureau pour me demander quel genre d’entente j’avais conclue avec le sénateur Harder sur les projets de loi C-75 et C-85. Je lui ai répondu que nous nous étions entendus pour débattre des deux mesures législatives cette semaine, puis les renvoyer au comité. Le sénateur Smith m’a dit que le sénateur Harder avait plutôt l’impression que nous débattrions de ces mesures législatives aujourd’hui et qu’elles seraient ensuite renvoyées au comité.
Nous avons donc décidé d’aller voir le sénateur Harder. À environ 11 h 45, nous nous sommes rendus au bureau du sénateur Harder pour discuter avec lui. Le sénateur Harder m’a assuré que j’avais promis que nous débattrions de ces deux projets de loi aujourd’hui. Je lui ai dit que j’étais désolé, mais que ce n’était pas ce que j’avais cru comprendre. Je croyais que le débat aurait lieu cette semaine.
Il m’a dit que si nous ne le faisions pas aujourd’hui, il proposerait une motion de programmation. Nous avons discuté. Je suis peut-être un dur à cuire, je suis peut-être parfois déplaisant et il n’est peut-être pas toujours facile de s’entendre avec moi, mais je lui ai dit : « s’il y a une chose dont je m’enorgueillis, c’est que je suis un homme de parole. Si je m’engage à quelque chose, j’y donnerai suite. »
Ainsi, sénateur Harder, puisque vous croyez et estimez que j’ai dit aujourd’hui, j’ai parlé à mes collègues pour que ceux qui souhaitent intervenir le fassent aujourd’hui. Comme en témoigne le discours que nous venons d’entendre, le sénateur Boisvenu a accepté. La sénatrice Frum a également accepté de prendre la parole au sujet du projet de loi C-85. J’ai dit au sénateur Harder : « Je vous en donnerai des nouvelles lorsque nous reviendrons dans l’enceinte. » Il a répondu : « Ce n’est pas suffisant. Je veux le savoir d’avance. » J’ai lui donc dit : « D’accord. Serez-vous à votre bureau? » Il a répondu : « Vous pouvez m’envoyer un texto pour m’aviser. » J’ai dit que c’était d’accord, en ajoutant : « Je tiens à vous assurer, sénateur Harder, que, comme j’estime être un homme de parole, je vais essayer. »
À 12 h 15, depuis notre réunion de caucus, j’ai envoyé au sénateur Harder le texto suivant :
Nos interventions au sujet des projets de loi 75 et 85 se feront aujourd’hui.
Le sénateur Harder m’a envoyé dans la minute même, à 12 h 15, le texto suivant :
Don, par souci de transparence et conformément à l’engagement que j’ai pris lors de notre dernière rencontre…
— l’engagement que le sénateur Harder a pris, il le dit lui-même —
...ce matin, j’ai eu des entretiens avec d’autres leaders et je présenterai cet après-midi une motion de programmation...
— une motion de programmation, c’est probablement du jamais vu en 150 ans au Sénat.
Chers collègues, je crois que si nous voulons faire preuve de collégialité et de collaboration, il faut respecter les accords conclus. Il y a quelques semaines, nous avons eu ce genre de conversation après un accord conclu avec le sénateur Harder à propos, je crois — mais je n’en suis pas entièrement certain —, du projet de loi C-55. À cette occasion, le sénateur Harder avait présenté un avis de motion le même jour. Ce n’est pas une façon d’agir, chers collègues. Que nous soyons d’accord ou non au plan politique, il faut agir avec honneur et tenir parole.
Faire ce dont nous avons été témoins aujourd’hui est tout le contraire de tenir parole. Je suis offensé et stupéfait de voir mon bon ami le sénateur Harder agir ainsi.
Avant de perdre mon calme, je préfère m’arrêter là. Je demanderai simplement que le débat soit ajourné à mon nom.
Nous sommes saisis d’une motion d’ajournement.
Avez-vous une question, sénateur Woo?
J’ai une question pour le sénateur Plett.
Acceptez-vous de répondre à une question, sénateur Plett?
Certainement.
Sénateur Plett, pourriez-vous dire aux sénateurs quelles discussions vous avez eues avec moi ou avec un des membres de mon équipe de direction, nous qui représentons le groupe le plus important au Sénat, au sujet des ententes que vous auriez apparemment conclues avec le sénateur Harder?
Cela me fera plaisir, sénateur Woo. Je n’ai eu aucune discussion avec vous, parce que, bien honnêtement, vous ne représentez personne. Comme vous le dites, vous représentez 58 sénateurs indépendants. Parler d’un groupe d’indépendants est paradoxal. Soit vous formez un groupe, soit vous êtes indépendants. Nous, nous sommes l’opposition officielle. Le sénateur Harder, lui, est le gouvernement. Pourquoi irions-nous discuter avec un groupe qui n’est rattaché à rien?
S’il vous plaît, vous m’avez demandé de répondre à votre question. Je n’ai pas terminé.
Le sénateur Day représente un groupe organisé qui, en toute honnêteté, formera probablement l’opposition officielle dès le 31 octobre, car nous formerons le gouvernement.
N’est-ce pas un peu doux-amer?
Sénateur Plett, avez-vous aussi discuté avec le sénateur Day? Pourriez-vous aussi indiquer s’il y a, chaque mardi, une rencontre des leaders, comme on l’appelle? Le sénateur Smith y participe, le sénateur Day y participe, c’est le sénateur Harder qui préside et moi aussi j’y participe.
Eh bien, franchement, non, je ne pourrais dire quel genre de réunions vous, le sénateur Smith, le sénateur Harder et le sénateur Day tenez. Je peux vous parler des rencontres que j’ai eues avec le sénateur Smith et le sénateur Day. Je n’ai pas d’objection à ce que vous organisiez des réunions des leaders. Vous m’avez demandé ce que moi j’avais fait. En ce qui concerne ma rencontre avec mon leader aujourd’hui, nous sommes allés voir le leader du gouvernement, nous avons eu une rencontre et nous avons obtenu des engagements. Le jour où vous, sénateur Woo, serez en mesure de vous engager au nom de votre caucus, notre caucus sera ravi de commencer à tenir de telles rencontres avec vous.
Pouvez-vous nous dire alors ce que le sénateur Smith vous a dit de la réunion des leaders, à laquelle j’ai assisté et pendant laquelle il a été question de planification, notamment de la motion de programmation qui semble tant vous étonner?
Encore une fois, sénateur Woo, non, je ne peux pas vous dire exactement ce que le sénateur Smith a dit dans mon bureau à propos de la motion de programmation, car je ne suis pas certain qu’il en ait parlé. Le sénateur Harder, par contre, en a parlé. Il a promis de ne pas présenter une telle motion. Encore une fois, sénateur Woo, la motion de programmation n’a rien à voir avec vous. Elle provient du sénateur Harder et du gouvernement. Ce sont eux qui l’ont présentée. Les discussions que vous avez pu avoir avec toute autre personne ici n’ont donc aucune importance.
Sénateur Plett, je comprends la vigueur avec laquelle vous tenez à nous faire comprendre que vous êtes un homme de parole. Je sais comment on peut se sentir quand on est accusé personnellement d’une chose, ne serait-ce qu’indirectement. C’est ce qui vous arrive actuellement.
Je crois que c’est le manque de communication qui a fini par causer le problème que l’on sait. Quelles que soient les motions dont nous serons saisis, je dois admettre que, quand vous dites que vous tenez toujours parole, même si c’est vrai la plupart du temps, ce n’est pas ce que m’ont appris le projet de loi sur l’Ô Canada, les mois de discussion qui ont suivi et les nombreuses fois où vous m’avez fait une promesse à laquelle vous n’avez jamais donné suite. Vous finissiez toujours par me dire : « Vous ne m’avez pas vraiment cru, n’est-ce pas? »
Le ton de la conversation est encore jovial entre nous, mais je vous en prie. Il se passe assez de choses à Ottawa, ces jours-ci, qui entraînent des discours moralisateurs, et c’est un peu dans le même esprit que vous nous dites cela aujourd’hui. J’imagine que ma question serait : « Êtes-vous d’accord? » Vous répondriez sans doute non, mais je tiens à l’entendre de votre bouche.
J’espère que je ne manquerai pas de temps avant de pouvoir ajourner le débat.
Sénatrice Lankin, je vous répondrais probablement oui, au contraire. Je suis le premier à admettre qu’il m’est arrivé de ne pas parvenir à tenir parole. Comme le sénateur Harder vient de me le signaler, je lui ai dit une chose, mais il en a compris une autre. Je me suis donc repris. Je ne le nie pas. Je me souviens, en effet, sénatrice Lankin, du projet de loi sur l’hymne national et de nos discussions à ce sujet. Je ne crois pas vous avoir menti à ce moment-là et je ne crois pas avoir jamais menti au Sénat non plus.
Sénateur Plett, vous pourriez peut-être me fournir des éclaircissements sur certains points qui me rendent perplexe. Premièrement, convenez-vous, sénateur Plett, que depuis notre arrivée au Sénat il y a une décennie, c’est la première fois qu’une telle motion est présentée? Il s’agit d’une motion d’attribution de temps dopée aux stéroïdes. Voilà ma première question.
Deuxièmement, nous sommes en train d’ergoter avec le leader du Groupe des sénateurs indépendants, sénateurs nommés par le gouvernement, et avec le leader du gouvernement, qui a été nommé par le même gouvernement, à propos des personnes avec lesquelles vous avez négocié alors qu’il me semble, sénateur Plett, qu’ils appuient tous les deux la motion. Ce n’est pas la motion qui leur pose problème, mais les personnes avec lesquelles vous avez négocié.
Pouvez-vous tirer tout cela au clair pour moi parce que je trouve que c’est un peu déroutant, et je suis sûr que la population canadienne est du même avis que moi?
Sénateur Plett, avant que vous répondiez à ces questions, je précise que seul un préavis de motion a été présenté jusqu’à maintenant. Il serait donc inapproprié de discuter de la motion. Vous pouvez répondre à la question du sénateur Housakos, à condition de ne pas débattre de la motion parce que seul un préavis de motion a été donné jusqu’ici.
Je m’excuse si je n’ai pas tout compris, Votre Honneur. J’essaierai de répondre brièvement aux questions du sénateur Housakos.
La réponse à votre première question, c’est qu’en 10 ans ici, au Sénat, je n’ai jamais vu pareil préavis de motion. J’imagine qu’en 150 ans, cela ne s’est jamais vu.
Quant à votre deuxième question, sur la négociation, je crois que j’ai déjà dit au sénateur Woo — que je respecte beaucoup comme personne et comme honorable sénateur — que je désapprouve le fait que les indépendants forment un groupe organisé. Donc, je ne crois pas que nous, en tant qu’opposition officielle, devions négocier avec eux, à moins que l’honorable sénateur veuille se joindre au caucus du gouvernement. On me dit parfois : « Don, ton jupon dépasse. » Cela peut aussi s’appliquer au cas actuel.
Honorables sénateurs, une motion d’ajournement a été proposée. L’honorable sénateur Plett, avec l’appui de l’honorable sénateur Wells, propose que le débat soit ajourné à la prochaine séance du Sénat.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
À mon avis, les oui l’emportent. Le débat est ajourné.