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ILLE - Comité spécial

Drogues illicites (spécial)


LE CANNABIS : 
POSITIONS POUR UN RÉGIME DE POLITIQUE PUBLIQUE POUR LE CANADA

RAPPORT DU COMITÉ SPÉCIAL DU SÉNAT SUR LES DROGUES ILLICITES

VOLUME II : PARTIE III

Président: Pierre Claude Nolin
Vice-président: Colin Kenny

SEPTEMBRE 2002


TABLE DES MATIÈRES

GLOSSAIRE DES PRINCIPAUX TERMES

INTRODUCTION

VOLUME I

PREMIÈRE PARTIE - ORIENTATIONS GÉNÉRALES

CHAPITRE 1 - NOTRE MANDAT
LIBELLÉ
ORIGINES
NOTRE COMPRÉHENSION

CHAPITRE 2 - NOS TRAVAUX
DEUX PRINCIPES DE TRAVAIL
L'ÉTAT DES CONNAISSANCES
Le programme de recherche
Audiences de témoins experts
Le défi de la synthèse
TENIR COMPTE DES OPINIONS
INTERPRÉTER À LA LUMIÈRE DE PRINCIPES

CHAPITRE 3 - NOS PRINCIPES DIRECTEURS
L'ÉTHIQUE, OU LE PRINCIPE DE L'AUTONOMIE RÉCIPROQUE
LA GOUVERNANCE : MAXIMISER L'ACTION DES INDIVIDUS
La gouvernance de la collectivité
La gouvernance de soi
Le rôle de la gouvernance
LE DROIT PÉNAL OU LES LIMITES DE L'INTERDICTION
Nécessité de la distinction
Critères de distinction
Application aux drogues illicites
LA SCIENCE OU LA CONNAISSANCE APPROCHÉE
CONCLUSIONS

CHAPITRE 4 - UN CONTEXTE EN MOUVANCE
MUTATIONS DU CONTEXTE INTERNATIONAL
Globalisation et intégration
Errances d'un discours sécuritaire
Des politiques antidrogues aux politiques sur les drogues
MUTATIONS AU CANADA
L'activisme judiciaire
Une stratégie nationale de prévention du crime
La lutte au crime organisé
UN DÉBAT DE SOCIÉTÉ


PARTIE II - LE CANNABIS : EFFETS, USAGES, ATTITUDES

CHAPITRE 5 - LE CANNABIS : DE LA PLANTE AU JOINT
UNE PLANTE, DIVERSES DROGUES
ROUTES DU CANNABIS
PROPRIÉTÉS DU CANNABIS
Concentration en D9THC
PHARMACOCINÉTIQUE
CONCLUSIONS

CHAPITRE 6 - USAGERS ET USAGES : FORMES, PRATIQUES, CONTEXTES
TENDANCES D'USAGE
Consommation en population générale
Consommation chez les jeunes
Tendances d'usage dans d'autres pays
Éléments de synthèse
FORMES ET MODES D'USAGE
Le cannabis dans l'histoire
Trajectoires d'usages
Facteurs reliés à l'usage
Éléments de synthèse
UNE ESCALADE VERS D'AUTRES DROGUES?
CANNABIS, VIOLENCE ET CRIMINALITÉ
CONCLUSIONS

CHAPITRE 7 - LE CANNABIS : EFFETS ET CONSEQUENCES
EFFETS ET CONSÉQUENCES DU CANNABIS : CE QU'ON NOUS A DIT
EFFETS AIGUS DU CANNABIS
CONSÉQUENCES DE LA CONSOMMATION CHRONIQUE
Conséquences physiologiques de l'usage chronique
Conséquences cognitives et psychologiques
Conséquences comportementales et sociales
TOLÉRANCE ET DÉPENDANCE
Dépendance au cannabis
Sévérité de la dépendance
La tolérance
ÉLÉMENTS DE SYNTHÈSE
CONCLUSIONS

CHAPITRE 8 - CONDUITE SOUS L'EFFET DU CANNABIS
MODES DE DÉPISTAGE
DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES
Études hors contexte accidentel
Études en contexte accidentel
Enquêtes épidémiologiques auprès des jeunes
Évaluation du risque
ÉTUDES EXPÉRIMENTALES
Activités hors conduite
En activité de conduite
CONCLUSIONS

CHAPITRE 9 - APPLICATIONS THÉRAPEUTIQUES DU CANNABIS
ASPECTS HISTORIQUES
CONNAISSANCES CONTEMPORAINES
Utilisations thérapeutiques
Le cannabis comme médicament?
PRATIQUES THÉRAPEUTIQUES ACTUELLES
CONCLUSIONS

CHAPITRE 10 - OPINIONS ET ATTITUDES DES CANADIENS
LES MÉDIAS
ENQUÊTES ET SONDAGES
ATTITUDES ET OPINIONS EXPRIMÉES AU COMITÉ
CONCLUSIONS


VOLUME II

PARTIE III - POLITIQUES ET PRATIQUES AU CANADA

CHAPITRE 11 - UNE STRATÉGIE CANADIENNE ANTIDROGUE?
PHASE I - ÉLABORATION ET MISE EN PLACE
Création du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies
Création du Secrétariat de la Stratégie canadienne antidrogue
PHASE II - RENOUVELLEMENT
PHASE III - LE RENOUVELLEMENT SANS FINANCEMENT PRÉCIS
LA STRATÉGIE CANADIENNE ANTIDROGUE - UNE RÉUSSITE?
CONCLUSIONS

CHAPITRE 12 - LE CONTEXTE LÉGISLATIF NATIONAL
1908-1960 : L'HYSTÉRIE
La Loi sur l'opium de 1908 
Loi sur l'opium et les narcotiques de 1911
Les amendements à la Loi sur l'opium et les narcotiques (1920-1938)
Les modifications à la Loi sur l'opium et les narcotiques en 1954
Le rapport du Sénat de 1955
DE 1960 À LA COMMISSION LE DAIN : À LA RECHERCHE DES RAISONS PERDUES
La Loi sur les stupéfiants (1961)
La Loi sur les aliments et drogues et les barbituriques (1961)
La Commission Le Dain (1969-1973)
Le projet de loi S-19 et le cannabis
APRÈS LE DAIN : LA FUITE EN AVANT
La Loi réglementant certaines drogues et autres substances
CONCLUSIONS

CHAPITRE 13 - RÉGLEMENTER L'UTILISATION DU CANNBIS À DES FINS
THÉRAPEUTIQUES 
CADRE ENTOURANT LA RÉCENTE RÉGLEMENTATION
Article 56 - Loi réglementant certaines drogues et autres substances
Contestations fondées sur la Charte - utilisation de la marijuana à des fins thérapeutiques
Réaction du gouvernement
RÉGLEMENTATION SUR L'ACCÈS À LA MARIJUANA À DES FINS MÉDICALES
Autoristion de posséder
Licences de production 
Autres dispositions
ACCÈS HUMANITAIRE ?
Admissibilité
Accès au cannabis
Produits
Coûts
POURSUIVRE LA RECHERCHE
Recherche scientifique
Marijuana propre à la recherche
CONCLUSIONS

CHAPITRE 14 - PRATIQUES POLICIÈRES 
ORGANISMES D'EXÉCUTION DE LA LOI
GRC 
L'Agence des douanes et du revenu du Canada
Polices municipales et provinciales
COÛTS
POUVOIRS POLICIERS
Fouilles perquisitions et saisies
La provocation policière et les activités illégales
Conclusion
STATISTIQUES
Incidents relatés
Accusations
Inquiétudes
La Loi sur les douanes - amendes
SAISIES
CONCLUSIONS

CHAPITRE 15 - LE SYSTÈME DE JUSTICE PÉNALE
POURSUITES
TRIBUNAUX
Les tribunaux de traitement de la toxicomanie
DÉCISION ET DÉTERMINATION DE LA SANCTION
SERVICE CORRECTIONNEL
CASIER JUDICIAIRE
CONTESTATIONS JUDICIAIRES
CONCLUSIONS

CHAPITRE 16 - PRATIQUES PRÉVENTIVES
DES ACTIONS QUI NE SONT PAS À LA HAUTEUR DES DISCOURS
On ne fait pas suffisamment de prévention
La prévention est insuffisamment ciblée
On ne fait pas suffisamment l'évaluation des mesures de prévention
Les messages sociaux contredisent les messages de prévention
Il existe une connaissance dont il faut s'inspirer
PRÉVENIR : QUOI ? COMMENT?
RÉDUCTION DES RISQUES, RÉDUCTION DES MÉFAITS
CONCLUSIONS

CHAPITRE 17 - PRATIQUES DE SOINS
DÉPENDANCES AU CANNABIS
FORMES DE TRAITEMENT
L'EFFICACITÉ DES TRAITEMENTS
CONCLUSIONS

CHAPITRE 18 - OBSERVATIONS SUR LES PRATIQUES
DES DIFFICULTÉS D'ARTICULATION ENTRE LES ACTEURS
UN ARRIMAGE DIFFICILE ENTRE LES APPROCHES
DES COÛTS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX IMPORTANTS
CONCLUSIONS

VOLUME III

PARTIE IV - OPTIONS DE POLITIQUE PUBLIQUE

CHAPITRE 19 - LE CONTEXTE JURIDIQUE INTERNATIONAL
ÉLÉMENTS DE GÉNÉALOGIE
La Conférence de Shanghai (1909)
La Convention internationale de l'opium de 1912 (La Haye)
Les Conventions de l'opium de Genève (1925)
La Convention de Genève pour limiter la fabrication et réglementer la distribution
des stupéfiants (1931) / Accord de Bangkok sur la consommation d'opium (1931)
La Convention pour la répression du trafic illicite des drogues nuisibles (Genève, 1936)
La Deuxième Guerre mondiale
Le Protocole de LakeSuccess (1946)
Le Protocole de Paris (1948)
Le Protocole de l'opium de New York (1953)
LES TROIS CONVENTIONS ACTUELLES
La Convention unique sur les stupéfiants de 1961
Convention sur les substances psychotropes
Protocole portant amendement à la Convention unique sur les stupéfiants de 1961
Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes
UNE MARGE DE MANŒUVRE ?
CONCLUSIONS


CHAPITRE 20 - POLITIQUES PUBLIQUES DANS D'AUTRES PAYS
FRANCE
Des logiques distinctives
Une politique publique intégrée
Cadre législatif
Quelques rapports clés
Statistiques sur l'usage et la répression
Coûts
PAYS-BAS
Le pragmatisme néerlandais?
Des rapports d'experts fondateurs
La législation
Le régime des coffee shops
Données sur l'usage
ROYAUME-UNI
Stratégie décennale de lutte contre la toxicomanie
Cadre législatif 
Autres lois pertinentes au domaine de la toxicomanie
Débats au RU
Études et rapports récents
Administration
Coûts
Statistiques
LA SUÈDE
Stratégie nationale
Cadre législatif 
Le débat en Suède
Rapports récents
Coûts
Administration
Statistiques
LA SUISSE
Une politique de réduction des risques
Évolution du régime juridique
Un projet de dépénalisation du cannabis
Administration de la politique suisse en matière de drogue
Statistiques sur l'usage de stupéfiants et les infractions à la LStup
L'AUSTRALIE
Stratégie nationale sur les drogues
Le cadre législatif
Décriminalisation du cannabis
Administration
Statistiques
LES ÉTATS-UNIS
Le cadre législatif de l'administration fédérale et des États
La législation actuelle et son application
Buts et objectifs de la politique fédérale de lutte contre les stupéfiants
Administration de la politique
Sujets d'actualité et débats
Statistiques

CHAPITRE 21 - OPTIONS DE POLITIQUE PUBLIQUE
L'INEFFICACITÉ DES POLITIQUES PÉNALES
Des impacts sur la consommation?
Des impacts sur l'offre?
Conclusion
ÉCONOMIE GÉNÉRALE D'UNE POLITIQUE PUBLIQUE SUR LE CANNABIS
COMPOSANTES D'UNE POLITIQUE PUBLIQUE
Un centre de responsabilité fort
Interconnexion
Élaboration en commun d'objectifs partagés
Des outils de connaissance
OPTIONS LÉGISLATIVES
Clarifications terminologiques
Critères pour une politique juridique sur le cannabis


CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

IL Y A TRENTE ANS, LE DAIN
L'INEFFICACITÉ DES PRATIQUES ACTUELLES
UNE POLITIQUE PUBLIQUE BASÉE SUR DES PRINCIPES DIRECTEURS
UNE STRATÉGIE FÉDÉRALE CLAIRE ET COHÉRENTE
UNE STRATÉGIE NATIONALE SOUTENUE PAR DES MOYENS ET DES OUTILS
UNE POLITIQUE DE SANTÉ PUBLIQUE
UNE APPROCHE RÉGLEMENTAIRE SUR LE CANNABIS
UNE APPROCHE DE COMPASSION POUR LES USAGES THÉRAPEUTIQUES
DISPOSITIONS SUR LA CONDUITE SOUS L'INFLUENCE DU CANNABIS
POURSUIVRE LA RECHERCHE
POSITIONNEMENT INTERNATIONAL DU CANADA

PROPOSITIONS DE MISE EN ŒUVRE DE LA RÉGLEMENTATION DU CANNABIS AUX FINS THÉRAPEUTIQUES ET RÉCRÉATIONNELLES

BIBLIOGRAPHIE

ANNEXE


Glossaire des principaux termes

Abus
Terme vague qui reçoit une grande variété de significations, selon les contextes sociaux, médicaux, et juridiques.  Selon certains, tout usage de drogues illicites est un abus : ainsi, les conventions internationales considèrent l’usage de toute substance prohibée pour des fins autres que médicales ou scientifiques comme un abus.  Le Manuel diagnostic de l’Association américaine de psychiatrie définit l’abus comme un mode d’utilisation inadéquat d’une substance conduisant à une altération du fonctionnement ou à une souffrance cliniquement significative, et suggère 4 critères (voir le chapitre 7 du rapport).  Nous lui préférons le concept d’usage excessif (ou usage nocif).

 

Accoutumance (de l’anglais addiction)
Terme général renvoyant aux phénomènes de tolérance et de pharmacodépendance.  Le terme accoutumance est rarement utilisé en français qui utilise plutôt le terme toxicomanie.

 

Addiction
Certains auteurs utilisent ce terme issu de l’anglais pour désigner le processus par lequel un comportement, pouvant permettre une production de plaisir et d’écarter une sensation de malaise interne, est employé de façon caractérisée par l’impossibilité répétée de contrôler ce comportement et sa poursuite en dépit de la connaissance de ses conséquences négatives.  Ces auteurs le préfèrent au concept de dépendance, celui-ci ne permettant pas de travailler sur la période qui précède la dépendance. Nous lui préférons le terme dépendance.

 

Agoniste
Se dit entre autres d’une substance qui agit sur un récepteur pour produire certaines réponses. 

 

Anandamide
Neurotransmetteur agoniste du système cannabinoïde endogène.  Bien que les rôles spécifiques de ces neurotransmetteurs ne soient pas encore définis, ils semblent agir comme des neuromodulateurs ; en effet, le THC augmente la libération de dopamine du noyau accumbens et du cortex préfrontal.

 

Cannabinoïdes
Récepteurs endogènes des molécules actives du cannabis, notamment le THC.  Deux récepteurs endogènes ont été identifiés : CB1 existent en grande densité dans l’hippocampe, le ganglion basal, les corps cérébelleux, et le cortex cérébral et CB2, ils sont particulièrement abondants dans le système immunitaire Les effets centraux du cannabis semblent être exclusivement reliés aux récepteurs CB1 .

 

Cannabis
Il existe trois variétés de plantes de cannabis, le cannabis sativa, le cannabis indica, et le cannabis ruredalis.  La plante de la variété cannabis sativa est la plus répandue poussant dans presque tous les sols.  La plante de cannabis est connue en Chine depuis environ 6 000 ans.  À partir des sommités florifères de la plante de cannabis, mais aussi parfois des feuilles, on obtient le tabac à fumer.  Sous cette forme, l’appellation la plus courante est le pot, mais on le désigne aussi sous le nom de mari, herbe, dope, ganja.  La résine extraite de la plante sert à fabriquer le haschich.  Généralement classifié sous les psychotropes, le cannabis est un perturbateur du système nerveux central.  Le cannabis contient plus de 460 produits chimiques connus, dont plus de 60 sont désignés sous le nom de cannabinoïdes.  Le principal ingrédient actif du cannabis est le delta-9-tétrahydrocannabinol, communément appelé THC.  D’autres cannabinoïdes présents incluent le delta-8-tétrahydrocannabinol, le cannabinol et le cannabidiol mais ils sont présents en faibles quantités et n’exercent pas d’effets significatifs sur le comportement des individus, comparativement au THC.  Ils peuvent cependant contribuer à moduler l’effet global du produit.   Dans le rapport, nous utilisons le terme cannabis pour désigner l’ensemble des produits, et n’utilisons marijuana ou haschich que lorsque nous désignons ces dérivés spécifiquement.

 

Commission sur les drogues (CND)
La Commission sur les narcotiques a été créé en 1946 par le Conseil économique et social des Nations Unies.  La Commission est le principal organisme d’élaboration de politiques sur les drogues au sein du système onusien.  Elle examine la situation mondiale relativement à l’abus de drogues et fait des propositions pour renforcer le contrôle international des drogues.

 

Conduite (ou usage) à risque
Comportement d’usage qui met la personne à risque de développer des problèmes de dépendance à la substance. La conduite à risque se compose de l’interaction complexe entre au moins quatre facteurs : le contexte d’usage, la quantité consommée, la fréquence de la consommation et la durée et l’intensité de la consommation.  (Nous proposons des critères à la conclusion du rapport).

 

Conventions internationales
Sous l’égide de la Société des Nations en 1908 puis des Nations Unies, diverses conventions internationales réglementent la possession, l’usage, la fabrication, la distribution, le commerce, etc., des substances psychotropes.  Les trois principales conventions sont celles de 1961, 1971 et 1988.  Le Canada a ratifié ces trois conventions.  Ces conventions, dont l’application est assujettie aux lois constitutionnelles des signataires, établissent un système de réglementation où seuls les usages aux fins médicales et scientifiques sont permis.  Ce système est axé sur la prohibition des plantes source (coca, opium et cannabis) et sur le contrôle des dérivés synthétiques fabriqués par les compagnies pharmaceutiques.

 

Décriminalisation
Opération consistant à retirer un comportement de la « compétence » du système de justice criminelle.  On distingue habituellement entre décriminalisation de droit (ou de jure) impliquant une modification législative du Code criminel (ou de toute loi de nature criminelle)et décriminalisation de fait (ou de facto) où il s’agit d’une décision administrative de ne pas poursuivre le comportement qui demeure cependant illégal.  La décriminalisation ne concerne que le Code criminel (ou toute loi de nature criminelle), et ne signifie pas que l’on retire la compétence du système juridique dans son ensemble.  D’autres lois non criminelles peuvent réguler et contrôler le comportement qui a été décriminalisé (infractions civiles, réglementaires, etc.).

 

Déjudiciarisation
Réfère aux mesures alternatives à la poursuite ou à la condamnation pénale d’un acte qui demeure par ailleurs prohibé.  La déjudiciarisation peut se faire avant la mise en accusation, par exemple si la personne inculpée consent à suivre un traitement.  Elle peut aussi se faire au moment de la sanction, et prend alors la forme de sanctions de travail communautaire ou de traitement.

 

Demi-vie
Temps requis pour la diminution de moitié de la concentration d’une drogue dans le sang.  La demi-vie d’élimination du THC est en moyenne de 4,3 jours.  Suite au phénomène de tolérance métabolique, les consommateurs réguliers métabolisent et excrètent le produit plus rapidement que les usagers occasionnels.  D’autre part, à cause de sa très grande liposolubilité, l’administration répétée du THC provoque son accumulation dans les graisses.  Du fait de ce stockage graisseux, la demi-vie d’élimination tissulaire du THC peut atteindre 7 à 12 jours chez les consommateurs réguliers.  La consommation prolongée du cannabis se traduit donc par une période d’élimination plus longue du THC.  Ainsi, même après une semaine, 20 à 30 % du THC administré et ses métabolites demeurent dans l’organisme.  Le THC et ses métabolites sont graduellement excrétés dans l’urine (environ un tiers) et dans les matières fécales (environ deux tiers).  Des traces de THC ou de ses métabolites peuvent être détectées dans l’urine jusqu’à 30 jours après sa consommation

 

Dépénalisation
Opération consistant à modifier les peines (sanctions) associées à un acte dans le Code criminel.  La dépénalisation signifie la plupart du temps le fait d’abroger les dispositions permettant une sanction d’incarcération.

 

Dépendance
État où l’usager de drogue continue de consommer même si l’usage entraîne des problèmes qui peuvent être d’ordre physique, psychologique, relationnel, familial, ou social.  La dépendance est un phénomène complexe qui peut avoir des composantes génétiques.  La dépendance psychologique renvoie aux effets psychiques caractérisés par le désir insistant et persistant de consommer la drogue.  La dépendance physique renvoie aux mécanismes d’adaptation de l’organisme à la consommation prolongée et peut s’accompagner d’une tolérance acquise.  L’Association psychiatrique américaine propose 7 critères (voir chapitre 7). 

 

Dopamine
Neuromédiateur impliqué notamment dans les mécanismes de perception du plaisir.

 

Drogue
Terme qui renvoie généralement aux substances illicites par opposition à d’autres substances telles l’alcool, la nicotine ou des médicaments psychotropes.  En pharmacologie, le terme réfère à tout agent chimique qui modifie les processus biochimiques ou physiologiques des tissus ou de l’organisme.  En ce sens, le terme drogue s’applique à toute substance qui est consommée principalement pour ses effets psychoactifs.

 

Effets aigus
Se dit des effets résultant de l’action ponctuelle d’un médicament et généralement des effets à court terme.  Ces effets peuvent être centraux (sur les fonctions cérébrales) ou périphériques (sur le système nerveux).

 

Effets chroniques
Se dit des effets qui se développent avec le temps, à la suite de la prise ou de l’administration régulière d’une substance.  Dans le rapport, nous avons préféré parler des conséquences de l’usage prolongé plutôt que d’effets chroniques.

Escalade (théorie de)
Théorie qui suggère une séquence progressive dans l’utilisation des drogues, nicotine, alcool, cannabis, puis les drogues « dures ».  Elle repose sur une association statistique entre l’usage de drogues dures et le fait que ces personnes aient d’abord consommé du cannabis.  Cette théorie n’a reçu aucune validation empirique et est tombée en désuétude.


Haschic
Résine issue de la plante de cannabis et transformée en pâte.

 

Intoxication
Perturbations qu’exerce une substance sur l’organisme.  On distingue généralement quatre niveaux d’intoxication : légère, modérée, grave et mortelle.


Joint
Cigarette de marijuana, avec ou sans tabac.  Le fait que deux cigarettes ne soient jamais identiques  rend difficile l’analyse scientifique des effets du principe actif, notamment pour les études sur le cannabis thérapeutique.

 

Légalisation
Système de réglementation permettant la culture, production, fabrication, commercialisation, vente et usage de substances.  Un système de légalisation peut être avec (réglementation) ou sans (libre marché) contrôles de l’État. 

 

Liposolubilité
Propriété biophysique d’une substance de se répandre et se dissoudre plus ou moins facilement dans les graisses de l’organisme.  Le THC est très liposoluble.

 

Marijuana
Nom mexicain qui désigne initialement une cigarette de mauvaise qualité.  Par extension est devenu un équivalent pour désigner le cannabis.


Narcotique
Substance provoquant un état de torpeur ou un sommeil artificiel.

 

Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT)
L’OEDT a été créé en 1993 pour apporter à la Communauté européenne et à ses États membres "des informations objectives, fiables et comparables au niveau européen sur le phénomène des drogues et des toxicomanies et leurs conséquences".  Les informations statistiques, documentaires et techniques traitées ou produites par l'Observatoire fournissent à son audience une image d'ensemble sur le phénomène des drogues en Europe.  L'Observatoire travaille uniquement dans le domaine de l'information.  Il est composé d’un réseau de correspondants nationaux dans chacun des pays de l’Union.

 

Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS)
L'Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS ou Organe) est un organisme de contrôle indépendant et quasi-judiciaire chargé de l'application des conventions des Nations Unies sur les drogues; il a été créé en 1968 par la Convention unique sur les stupéfiants de 1961.  Il a eu des prédécesseurs créés par les précédentes conventions sur les drogues, dès l'époque de la Société des Nations.  L’organe est maintenant chargé de faire des recommandation à la Commission sur les narcotiques relativement aux substances à placer dans les annexes des conventions.

 

Organisation mondiale de la santé (OMS) 
Créée en 1948, l’OMS est l’agence des Nations Unis spécialisée dans les questions de santé.  Son mandat est de favoriser le plus haut degré de santé possible.  La santé est définie comme un état global de bien-être physique, psychologique et social et non seulement comme l’absence de maladie ou d’infirmité.

 

Office of national drug control policy (ONDCP) USA
Office national sur la politique de contrôle des drogues.  Créé en 1984 sous la présidence Reagan, l’Office relève de la Maison Blanche.  L’Office coordonne la politique américaine sur les drogues et gère un budget d’environ 18 milliards $ US par année.

 

Opiacé
Substance contenant de l’opium ou exerçant une action comparable à celle de l’opium. 

 

Pharmacodépendance
Voir dépendance.

 

Porte d’entrée (théorie de la)
Aussi nommée théorie de l’introduction.  Semblable à la théorie de l’escalade mais renvoie plus spécifiquement au fait que les personnes qui se procurent du cannabis viennent en contact avec des milieux potentiellement criminogènes du fait que le cannabis soit illégal.

 

Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues (PNUCID)
Mieux connu sous l’acronyme anglais UNDCP.  Fondé en 1991, le Programme a pour objectif d’informer le monde sur les dangers de l’abus de drogues.  Le programme vise à renforcer l’action internationale contre la production, le trafic et la criminalité reliée aux drogues en proposant des programmes de développement alternatif, de monitoring des cultures et de lutte au blanchiment d’argent.  Le programme d’évaluation globale veut aussi fournir des données fiables et le programme d’assistance juridique aide les pays à rédiger des lois adéquates ainsi qu’à former le personnel du système de justice.  Le PNUCID relève du Bureau des Nations Unies pour le contrôle des drogues et la prévention du crime.

 

Prohibition
Terme issu historiquement de la prohibition de l’alcool aux États-Unis entre 1919 et 1933.  Par extension, ce terme renvoie aux politiques poursuivies par les États et par les Nations Unies qui visent une société sans drogue.  La prohibition est un système fondé sur l’interdiction de la fabrication et de l’usage de drogues à l’exception des usages scientifiques et médicaux.

 

Psychotrope
Substance qui agit sur le psychisme en modifiant le fonctionnement mental, entraînant des changements dans les perceptions, l’humeur, la conscience, le comportement et diverses fonctions psychologiques et organiques.  De manière spécifique réfère aux médicaments utilisés dans le traitement de désordres mentaux, tels les neuroleptiques, les anxiolytiques, etc.   Renvoie aux médicaments couverts par la Convention de 1971.

 

Réglementation
Système de contrôle qui précise les conditions sous lesquelles il est permis de fabriquer, produire, commercialiser, prescrire, vendre ou acheter une substance.  La réglementation peut être axée sur la prohibition (comme c’est le cas actuellement pour les drogues illicites) ou sur l’accès contrôlé (comme pour les médicaments psychotropes et l’alcool). Notre proposition de régime d’exemption sous conditions repose sur une approche réglementaire.

 

Société des Nations (SDN)
Prédécesseur de l’ONU, la SDN était l’organisation internationale des états jusqu’en 1938.

 

Stupéfiant
Se dit souvent des substances dont les effets psychoactifs peuvent entraîner des effets de tolérance et de dépendance.  Plus correctement, ce terme ne devrait s’utiliser que pour désigner les dépresseurs du système nerveux central tels les opiacés.

 

Substance psychoactive
Substance qui modifie les processus mentaux tels la pensée ou les émotions.  Terme plus neutre que drogue, et qui ne distingue pas les substances selon leur statut juridique (licites, illicites) c’est celui que nous préférons utiliser dans le rapport.

 

Tétrahydrocannabinol (D9-THC)
Principal composant actif du cannabis, le D9-THC est très liposoluble, a une demi-vie d’élimination très longue, et ses effets psychoactifs sont modulés par les autres cannabinoïdes du cannabis.  À l’état naturel, le cannabis contient entre 0,5 % et 5 % de concentration en THC.   Les modes de culture sophistiqués, la sélection des plants, le choix entre des plants femelles, permettent d’atteindre des concentrations plus élevées, pouvant dans certains cas aller jusqu’à 30 %.

 

Tolérance
État induit par la consommation chronique d’une substance menant à une diminution de la réponse de  l’organisme et une capacité plus grande de supporter ses effets.
 

Toxicité
Qualité spécifique à une substance d’entraîner l’intoxication.  Le cannabis a une toxicité très faible et ne présente à peu près aucun risque de surdose.

 

Toxicomanie
Terme le plus fréquemment utilisé en langue française pour désigner les phénomènes que l’anglais désigne sous le terme addiction.  Usage répété d’une ou plusieurs substances de telle sorte que l’usager (alors désigné sous le terme « toxicomane ») est en état régulier ou chronique d’intoxication, ressent le besoin de consommer, a de la difficulté à cesser la prise, et cherche à se procurer la substance.  Cet état est généralement caractérisé par la tolérance et la dépendance à la substance ainsi que par un usage compulsif.  Malgré son usage répandu, l’OMS a recommandé dès 1960 d’en abandonner l’usage pour cause d’imprécision, et de lui préférer le terme de dépendance. 


Partie III

Politiques et pratiques au Canada



Chapitre 11

Une stratégie canadienne antidrogue?

Les usages de substances psychoactives, licites et illicites, ont diverses conséquences sur la société canadienne, positives et négatives, directes et indirectes.  La partie précédente a démontré que la consommation de substances psychoactives (licites comme illicites) est un phénomène répandu, autant chez les adultes que les jeunes du pays.  Nous avons aussi vu que certaines formes d’usages peuvent entraîner des problèmes pour les usagers et leur environnement social.  Ces constats suggèrent que les enjeux des substances psychoactives, du cannabis en particulier, devraient représenter une priorité pour tout gouvernement et la société en général.

Or, plusieurs Canadiens seront probablement étonnés d’apprendre que le Canada n’a financé une stratégie canadienne sur les drogues qu’entre 1987 et 1993.  Certes, les législations criminelles sur les drogues n’ont pas manqué depuis l’adoption de la Loi prohibant l'importation, la fabrication et la vente de l'opium à toutes fins autres que celles de la médecine en 1908.  Plusieurs lois pénales ont été adoptées depuis qui ont considérablement augmenté le champ d’application de la loi ainsi que la liste des substances contrôlées.[1]  De manière générale, ces lois se sont concentrées sur la lutte contre l’offre et la demande, consacrant une approche prohibitionniste envers l’usage des drogues illicites, incluant le cannabis.  Mais une législation pénale ne constitue pas une politique publique : elle n’en est qu’une composante.  D’ailleurs, au cours des dernières années, plusieurs analystes ont souligné la nécessité d’une approche plus équilibrée pour mieux répondre aux enjeux de l’abus de substances  psychoactives.  

Ce chapitre retrace les étapes entourant l’élaboration et la mise en place de la Stratégie canadienne antidrogue de 1987.  Cette stratégie avait précisément pour objectif de promouvoir une approche équilibrée.  Nous verrons quelles en étaient les composantes et comment elle a été mise en œuvre.

  

Phase I – Élaboration et mise en place

En mai 1987, le gouvernement fédéral a annoncé la mise en place d’un plan d’action quinquennal financé à hauteur de 210 millions $ pour lutter contre l’abus de drogues.  Le gouvernement indiquait que ce plan d’action répondait aux préoccupations croissantes associées à l’augmentation des problèmes liés à la drogue.  D’autres ont suggéré que « cette mesure politique sévère était, sans aucun doute, influencée par la plus récente lutte antidrogues américaine ».[2] 

Intitulée Action contre les drogues, la Stratégie canadienne antidrogue (SCA) avait été placée sous la responsabilité du ministre de la Santé et du Bien-être social[3] mais, afin de coordonner l’action stratégique du gouvernement fédéral en matière d’abus de drogues, elle impliquait plusieurs autres ministères.  La SCA devait « réduire les préjudices causés par la consommation d’alcool et d’autres drogues aux personnes, aux familles et aux communautés, grâce à une approche équilibrée acceptable pour les Canadiens »[4].  Les gouvernements provinciaux et municipaux, les entreprises, les autorités policières, les organismes professionnels et bénévoles étaient les autres partenaires du gouvernement fédéral.   

Le gouvernement fédéral reconnaissait que par le passé il avait essentiellement mis l’accent sur les mesures de contrôle de l’offre, tandis que les communautés, les provinces et les territoires, ainsi que plusieurs groupes professionnels et bénévoles avaient plutôt mis l’accent sur la réduction de la demande de drogues par la prévention et le traitement.  Bien que conforme à la séparation constitutionnelle des pouvoirs entre les ordres de gouvernement, cette division des responsabilités avait limité la capacité à établir une stratégie nationale globale. 

« En raison de la séparation des pouvoirs entre les provinces canadiennes et le gouvernement fédéral, une action contre les drogues et l’alcool complète et concertée s’avère très difficile à mettre en place.  Par exemple, la plupart des stratégies de programmes servant à la prévention sont, généralement, associées aux systèmes de santé ou d’éducation; ce sont des sujets relevant de la juridiction provinciale, sur lesquels le gouvernement fédéral n’a que peu de contrôle direct.  Par contre, alors que les activités policières sont contrôlées au niveau municipal, dans la plupart des cas, les autorités relèvent du gouvernement fédéral; ce dernier a donc un important contrôle. » [5] 

Reconnaissant que les provinces, les territoires et les collectivités locales avaient créé plusieurs programmes novateurs de counselling, de thérapie et de traitement, développant ainsi une expertise forte en ces matières, le gouvernement fédéral constatait aussi l’absence d’un mécanisme fort de collaboration nationale.  Le cadre de travail national de la SCA visait à combler cette lacune, le gouvernement présentant la Stratégie comme un « programme de coopération qui regroupe les efforts et les ressources du gouvernement fédéral avec celles des gouvernements provinciaux et territoriaux et des organismes de lutte contre la toxicomanie partout au Canada ».[6]

La SCA reposait sur six composantes : éducation et prévention, application de la loi, traitement, coopération internationale, recherche et information, et priorités nationales.  Des 210 millions $ de fonds fédéraux attribués à l’amélioration des programmes existants et au financement de nouvelles initiatives, 20 millions $ ont été versés la première année, 40 millions $ la deuxième et 50 millions $ chacune des trois dernières années de la stratégie.  Le plan d’action prévoyait que 70 % des ressources devait servir à l’éducation et à la prévention (32 %), ainsi qu’au traitement (38 %) ; 20 % à l’application de la loi ; et le dernier 10 % à l’information et la recherche (6 %), à la coopération internationale (3 %) et à l’intérêt – focus – national (1 %).[7]  L’équilibre recherché dans la stratégie devait donc se concrétiser dans l’allocation des fonds : même si les autorités policières recevaient de nouvelles ressources pour combattre l’offre, la majeure partie des budgets étaient consacrés à la réduction de la demande.[8]  Selon des renseignements fournis par Santé Canada, les ressources ont bel et bien été attribuées tel que prévu.

Les objectifs et initiatives de la SCA se déclinaient comme suit :

 

Prévention, traitement, recherche et contrôle[9] 

v     Pour mieux sensibiliser et informer le public :

·              Élaboration d’une campagne médiatique de concert avec les provinces ;
·              Parrainer la Semaine de sensibilisation aux drogues ;
·              Installer des lignes téléphoniques de renseignements.

 

v     Pour encourager l’implication dans les activités de prévention :

·              Appuyer l’élaboration d’actions de prévention dans les communautés ;
·              Soutenir l’élaboration de programmes novateurs de traitement au niveau communautaire ;
·              Élaborer et améliorer les programmes et documents de formation ;
·              Tenir une Conférence d'action nationale sur l'usage des drogues.

 

v     Pour favoriser les initiatives en matière de prévention destinées à des groupes particuliers :

·              Soutenir des initiatives susceptibles d’améliorer les habiletés sociales des jeunes et leurs aptitudes à l’emploi ;
·              Soutenir les projets pilotes des autorités policières pour la prévention auprès des jeunes en milieu scolaire, ainsi que
pour les jeunes à risque en milieu urbain et les communautés Autochtones ;
·              Réviser les programmes de lutte à la consommation de drogues chez les Autochtones ;
·              Élaborer de nouvelles initiatives visant les jeunes Autochtones ;
·              Soutenir les actions de partage d’expérience  entre les communautés du Nord en bordure de l’Arctique.

 

v     Pour encourager la création de services de traitement plus efficaces et mieux adaptés aux besoins :

·              Examiner les programmes de partage de coûts du gouvernement fédéral pour soutenir la création de nouveaux programmes de réadaptation et de traitement ou l’amélioration des programmes existants ;
·              Implanter des mesures pour mieux détecter les problèmes de toxicomanie parmi les professionnels de la santé et
soutenir leur réadaptation ;
·              Établir un comité consultatif sur la méthadone et sur les mesures à prendre pour éviter son trafic illégal ;
·              Élaborer du matériel de formation et d’information destiné aux professionnels de la santé et des autres personnes qui travaillent dans le domaine de la toxicomanie ;
·              Examiner les actions menées pour répondre aux problèmes de la consommation de drogues en milieu de travail ;
·              Déployer des efforts soutenus aux plans national et international pour éliminer la consommation de drogues illicites dans le sport.

 

v     Pour mettre à jour et améliorer les lois et les règlements antidrogue du Canada :

·              Déposer un projet de loi pour remplacer l’ancienne Loi sur les stupéfiants et Loi sur les aliments et drogues ;
·              Améliorer la coordination entre les organismes fédéraux et provinciaux pour une meilleure réglementation entourant la consommation de drogues ;
·              Augmenter la capacité du gouvernement fédéral à identifier, analyser et surveiller les drogues ;
·              Adopter des politiques coordonnées touchant l’offre de drogues illicites au Canada.

 

v     Pour améliorer les connaissances dans le domaine de la consommation de drogues :

·              Soutenir la recherche sur les tendances et les cycles de la consommation de drogues, et sur la prévention et le traitement;
·              Mener une étude et faire des recommandations sur les besoins prioritaires en matière de données.
 

v     Pour assurer un engagement à long terme, parce que l’abus de drogues demande des solutions à long terme :

·              Créer un groupe de travail qui examinera les divers moyens susceptibles de faire en sorte que l’expertise et l’expérience des provinces profitent au pays tout entier, et qui assurera la continuité de l’engagement national à connaître et prévenir l’usage des drogues.

 

L’application de la loi[10] 

v     Pour renforcer et mieux coordonner l’application de la loi sur les drogues :

·              Renforcer les services de renseignements sur les drogues de la GRC et ses mécanismes de liaison avec les autres corps policiers ;
·              Adopter une approche coordonnée en matière de surveillance côtière pour contrer le trafic des stupéfiants ;
·              Améliorer la coordination entre les différents services fédéraux, ainsi qu’entre les organismes fédéraux et provinciaux.
 

v     Pour réduire la rentabilité et les profits issus du trafic des stupéfiants :

·              Renforcer le Programme des enquêtes économiques antidrogue de la GRC et mieux informer le public des activités et objectifs de ce programme ;
·              Améliorer les techniques pour retracer les fonds illicites.

 

v     Pour renforcer les efforts du Canada au niveau international :

·              Assurer une formation spéciale par la GRC en matière de lutte antidrogue destinée aux policiers œuvrant dans les pays producteurs de drogues ou dans ceux où elles transitent.

v     Pour mieux sensibiliser et informer le public sur l’abus de drogues :

·              Augmenter la capacité de la GRC à faire de la sensibilisation aux drogues.

 

v     Pour répondre aux problèmes de consommation de drogues dans les établissements correctionnels fédéraux :

·              Mener une étude sur la consommation de drogues chez les détenus, ainsi qu’une étude sur l’efficacité des programmes de traitement présentement offerts dans les établissements correctionnels ;
·              Améliorer les mécanismes de contrôle des stupéfiants dans les pénitenciers ; 
·              Élaborer des programmes pour les détenus aux prises avec des problèmes de consommation de drogues, afin de faciliter leur réinsertion dans la communauté ;
·              Améliorer les programmes de prévention par la formation du personnel, et créer des programmes d’information pour les détenus.

 

Répression du trafic[11] 

v     Pour renforcer la capacité de Douanes Canada à réprimer le trafic des stupéfiants au Canada :

·              Augmenter les ressources de Douanes Canada, afin de renforcer ses capacités dans les domaines critiques du ciblage et de l’examen des marchandises à risque élevé transportées par cargo ou par des voyageurs quel que soit le mode de transport, ainsi que d’examen du courrier à haut risque ; 
·              Acquérir des détecteurs à rayons X pour accroître les capacités de détection des drogues durant l’examen des cargos, des bagages et du courrier ;
·              Étendre le Service de chiens détecteurs de Douanes Canada à tous les bureaux régionaux des douanes au Canada, et 
augmenter ses capacités actuelles dans les points d’entrée les plus occupés ;
·              Améliorer la formation des inspecteurs des douanes pour qu’ils puissent mieux identifier les passeurs de drogues et les envois commerciaux à risque élevé ; cette formation permettra aux inspecteurs des douanes de mieux reconnaître les indicateurs pertinents durant l’examen d’une personne ou d’un envoi commercial ;
·              Accentuer l’implication de Douanes Canada dans les programmes Info-Crime des forces policières municipales partout au Canada ;
·              Améliorer la coopération avec les lignes aériennes et les sociétés de transport maritime œuvrant dans le domaine du transport international des personnes et des marchandises, pour qu’elles aident Douanes Canada à détecter les drogues illicites destinées au marché canadien ;
·              Coopérer avec les services de douanes étrangères pour mieux cibler les passeurs de drogues en transit.

 

v     Pour assurer l’application de politiques appropriées en immigration :

·              Réviser les politiques d’immigration concernant les trafiquants de drogues.

 

International[12] 

v     Pour s’assurer que le Canada joue un rôle actif dans les forums internationaux sur la consommation de drogues :

·              Participer activement à la Conférence internationale sur l'abus et le trafic illicite des drogues qui a eu lieu à Vienne, du 17 au 26 juin 1987 ;
·              Adhérer à la Convention de 1971 sur les substances psychotropes des Nations Unies ;
·              Augmenter la contribution du Canada au Fonds des Nations Unies pour la lutte contre l'abus des drogues (FNULAD), qui devait atteindre 1 million $ en 1991 ;
·              Prendre en compte la réduction de la consommation de drogues comme facteur d’évaluation des demandes d’aide soumises à l’Aide publique au développement
·              Tenir une conférence internationale d’experts sur les méthodes de dépistage biologique des drogues.

 

v     Pour mieux sensibiliser et informer le public :

·              Mieux informer les Canadiens voyageant à l’étranger sur les dangers associés à la possession de drogues illicites dans les pays étrangers.

 

Produits de la criminalité[13] 

v     Pour rendre moins rentable le trafic de drogues illicites :

·              Adopter une loi sur les produits de la criminalité.

 

Création du Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies

Créé en 1988 par une loi du Parlement, le Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies (CCLAT) est un organisme non gouvernemental dont la mission est de promouvoir « la sensibilisation des Canadiens envers les problèmes de consommation d’alcool et de drogues, et leur participation accrue relativement à la réduction des préjudices associés à cette consommation; il doit promouvoir l’utilisation et l’efficacité de programmes d’excellence associés à la consommation d’alcool et de drogues. »[14]  Plus spécifiquement, il a pour objectifs de :

 

v     Promouvoir et appuyer la consultation et la coopération entre les gouvernements, les entreprises et les syndicats, les organismes professionnels et bénévoles, pour ce qui est des sujets touchant la consommation d’alcool et de drogues.

v     Contribuer au partage efficace des renseignements sur la consommation d’alcool et de drogues.

v     Faciliter et contribuer à l’élaboration et l’application des connaissances et de l’expertise dans le domaine de la consommation d’alcool et de drogues.

v     Promouvoir et appuyer l’élaboration de politiques et de programmes réalistes et efficaces pour réduire les préjudices associés à la consommation d’alcool et de drogues.

v     Sensibiliser de façon accrue, les Canadiens relativement à la nature et à la portée des efforts déployés au niveau international pour réduire la consommation d’alcool et de drogues, et en appuyant la participation du Canada dans ses efforts.[15]

 

Le Centre doit donc offrir vision et leadership dans le domaine de la réduction des préjudices associés à la consommation d’alcool et de drogues.  Il travaille de concert avec les partenaires fédéraux et provinciaux, autant gouvernementaux que non gouvernementaux.  Tel que l’indiquait la SCA, le gouvernement reconnaissait ainsi la nécessité d’une réponse coordonnée et regroupant tous les partenaires pour trouver des solutions à long terme.  La coopération et la coordination sont des fonctions clés du CCLAT.

 

« Le Centre travaille avec le secteur privé, les organismes de lutte contre la toxicomanie provinciaux et plusieurs groupes d’intérêt spéciaux pour que tous les Canadiens puissent tirer profit des meilleurs programmes de prévention.  À cette fin, il s’assure que les gens travaillant dans le domaine savent ce qui se passe dans le pays. » [16] 

Le CCLAT doit fournir « des renseignements et des politiques crédibles et objectifs sur les toxicomanies au gouvernement fédéral, aux secteurs privé et sans but lucratif, aux gouvernements provinciaux et territoriaux et aux gouvernements municipaux.[17]  Il a établi les sept objectifs suivants : 

v     Élaboration des politiques

·              Objectif 1 : Suivre les développements dans les domaines de la recherche et des politiques, et soumettre des avis éclairés sur des sujets d’importance nationale.

 

v     Développement des connaissances

·              Objectif 2 : Maintenir et améliorer continuellement les données nationales sur la nature, la portée et les conséquences de la consommation de drogues et du jeu compulsif au Canada.

 

v     Élaboration de meilleures pratiques

·              Objectif 3 : Suivre l’évolution des programmes et pratiques importants, et contribuer à l’identification et à la diffusion des meilleures pratiques.

 

v     Communications

·              Objectif 4 : Élaborer une stratégie de communication comprenant des activités et documents d’information afin de sensibiliser les Canadiens sur les problèmes de toxicomanies, et d’influencer et informer le public cible.

·               

v     Développement du réseau

·              Objectif 5 : Élaborer, coordonner et soutenir les réseaux pour améliorer le partage de l’information et de l’expertise et leur mise en application.

 

v     Service d’information et de référence

·              Objectif 6 : Maintenir un service d’information et de référence efficace et proactif.

 

v     Administration/gestion

·              Objectif 7 : D’organiser l’élaboration de ses politiques, son administration et ses ressources humaines de façon efficace et financièrement responsable.[18]

L’une des principales contributions du CCLAT a été la création du Centre national de références sur l’alcoolisme et les toxicomanies qui relie les principales sources d’information sur l’alcoolisme et les autres drogues en un seul réseau informatique.

Le CCLAT, sous la direction du ministre de la Santé, a une structure corporative, dotée d’un président et d’un conseil d’administration.  Il est financé par la SCA et par les revenus que ses activités génèrent.  Au départ, le Centre disposait d’un financement annuel de base de 2 millions $.  Par contre, suite à l’Examen des programmes de 1997, son financement de base a été réduit à 500 000 $.  En raison de cette mesure, presque tous les employés à temps plein ont été mis à pied.  Michel Perron, le directeur général du CCLAT, nous a indiqué que les coupures budgétaires ont influé sur la capacité du CCLAT d’exécuter son mandat.    

« Depuis 1997, le CCLAT a survécu en travaillant à contrat pour certains ministères.  Ces contrats ont assuré notre survie, mais ont nui, de façon importante, aux efforts que nous avons déployés pour exécuter notre mandat statutaire d’une manière proactive. » [19] 

Au début de 2002, le gouvernement a augmenté le financement de base du CCLAT à 1,5 million $.  Selon le Centre, cette augmentation lui permettra de stabiliser ses activités.  Le Canada risque moins de perdre la seule mémoire collective et les seuls spécialistes en toxicomanies qui œuvrent au niveau fédéral.[20]

 

Création du Secrétariat de la Stratégie canadienne antidrogue

En 1990, le Secrétariat de la Stratégie canadienne antidrogue a reçu le mandat de coordonner les activités au sein du gouvernement fédéral et avec les autres gouvernements (autant au Canada qu’ailleurs dans le monde).  Le Secrétariat avait plusieurs responsabilités : assurer la visibilité de la SCA, coordonner l’évaluation de la SCA et examiner le problème de la consommation de drogues d’un point de vue stratégique.  Le fait d’agir comme un facilitateur était l’une de ses responsabilités clés.  

« Parmi ses fonctions importantes, le Secrétariat doit devenir une source d’information, un point d’entrée central pour le gouvernement fédéral, pour diriger les personnes qui ont des questions vers celles qui ont des réponses.  Les membres du Secrétariat proposent aussi des conseils, offerts par des groupes externes, aux partenaires fédéraux.  Ils essaient de regrouper les gens pour simplifier les sujets d’intérêt commun. »[21]  

En 1996, durant la Phase II de la stratégie, le Secrétariat a été démantelé.  L’évaluation de la Phase II de la SCA avait suggéré que la fonction de supervision de la coordination devrait relever d’un organisme ne faisant pas partie intégrante d’un des ministères participants – sinon un tel organisme risquait de se retrouver en conflit d’intérêt réel ou perçu.[22]  Par le passé, certains ont considéré le Secrétariat comme un organisme représentant principalement les intérêts de Santé Canada, plutôt qu’un organisme représentant la stratégie antidrogue.  

Le Bureau de la Stratégie canadienne antidrogue du ministère de la Santé est désormais le coordonnateur de la stratégie antidrogue du gouvernement fédéral.  Il se décrit comme suit :  

« Le Bureau de la Stratégie canadienne antidrogue de Santé Canada est l’agent coordonnateur du gouvernement fédéral responsable de la réduction des méfaits ainsi que des initiatives de prévention, de traitement et de réadaptation associées aux problèmes d’alcoolisme et d’autres drogues.  Nos efforts servent à éviter que des personnes qui ne consomment pas présentement de drogues commencent à le faire, à réduire les méfaits chez celles qui les consomment et à promouvoir des traitements et des réadaptations efficaces et novateurs pour celles qui ont des problèmes de consommation.  Le Bureau travaille de concert avec les autres ministères fédéraux et les gouvernements provinciaux et territoriaux.  Il propose un leadership national et une coordination pour les problèmes de consommation de drogues, effectue des recherches sur les facteurs de risque et les causes profondes de la consommation de drogues, résume et diffuse des renseignements et des meilleures pratiques dernier cri aux partenaires clés, et collabore avec les organismes multilatéraux pour aborder le problème international de consommation de drogues. » [23]

 Dans son rapport déposé en 2001, la vérificatrice générale a indiqué que l’autorité de Santé Canada, en tant que coordonnateur, a des limites.  Elle a recommandé que le gouvernement « revoie les mécanismes en place pour le leadership et la coordination au sein du gouvernement fédéral, ainsi que les mécanismes de coordination avec les gouvernements provinciaux/territoriaux et municipaux lorsqu’ils abordent les problèmes des drogues illicites ».[24] 

Nous sommes d’accord avec la conclusion de la vérificatrice générale et recommandons la création d’un poste de Conseiller national sur les substances psychoactives et les dépendances  qui devrait assurer la coordination interministérielle au niveau fédéral.  De plus, le CCLAT aurait le rôle de coordonnateur national de la recherche.

 

Phase II - Renouvellement 

En mars et avril 1991, le gouvernement fédéral a mené une consultation nationale auprès de ses partenaires municipaux et provinciaux sur l’avenir de la SCA.  Ces consultations devaient préparer le renouvellement possible de la Stratégie, recueillir des renseignements sur ses forces et faiblesses et identifier les priorités d’action.  Ces consultations ont révélé que l’abus d’alcool, suivi de l’abus et la mauvaise utilisation de médicaments d’ordonnance, constituaient les problèmes de toxicomanie les plus importants au Canada.  L’usage du tabac était aussi considéré comme une source importante d’abus et un problème de santé grave.  Les drogues de la rue, c’est-à-dire les drogues illicites, quoique toujours préoccupantes, ne représentaient pas un problème important selon les personnes consultées.  On a noté que la consommation de cannabis était toujours répandue.

Lors des consultations, plusieurs ont suggéré d’intégrer la Stratégie nationale de lutte contre la conduite avec facultés affaiblies à la SCA et souhaitaient l’adoption d’une politique nationale sur l’alcool.  Certains ont aussi suggéré que l’utilisation de stéroïdes chez les athlètes et les jeunes soit intégrée à la SCA.  Finalement, d’autres personnes ont demandé l’adoption d’une politique sur le tabac et l’inclusion du tabac dans la SCA.  Les participants soulignaient qu’une stratégie antidrogues nécessite un engagement à long terme.  

« Pour aborder les nombreux problèmes associés à la consommation de drogues, les participants au processus de consultation ont mis l’accent sur le besoin d’un engagement à long terme envers la SCA.  Depuis des siècles, la consommation de drogues est un problème.  Le fait d’obtenir des changements importants au niveau et à la nature de la consommation de drogues dans les cinq ou les dix prochaines années est irréaliste.  L’impact des initiatives servant à contrer le problème de consommation de drogues ne sera peut-être pas visible avant quelques générations.  C’est pourquoi la SCA doit devenir un programme permanent ayant un appui politique et gouvernemental.  Le fait d’obtenir des changements sociétaux fondamentaux à long terme au niveau de l’attitude et du comportement exige un financement de base sans mesure de temporisation. » [25]

 

En 1992, la Stratégie nationale antidrogue est devenue la Stratégie canadienne sur les drogues (SCD) et son financement a été porté à 270 millions $ pour une période de cinq ans.  La Stratégie impliquait principalement six ministères fédéraux.[26]  Donnant suite aux consultations, la Stratégie sur les drogues incorporait la stratégie nationale de lutte contre la conduite avec facultés affaiblies.  Ce ne fut cependant pas le cas pour le tabac.  Comme la stratégie précédente, la SCD insistait sur une approche équilibrée pour réduire la demande et l’offre associées aux drogues.  Les fonds devaient être attribués comme suit : la prévention (30 %), le traitement (30 %), l’application de la loi et le contrôle du trafic (28 %), l’information et la recherche (5 %), l’intérêt –focus – national (5 %) et la coopération internationale (1 %).  Selon Santé Canada, pendant la période de cinq ans, la SCA a reçu environ 104,4 millions $.[27]  En fait, en raison des coupures dans les dépenses gouvernementales, les sommes initialement prévues ne se sont jamais matérialisées. 

En accord avec les intervenants sur la nécessité d’un engagement à long terme et qu’un horizon de 5 ou même 10 ans n’était pas réaliste pour arriver à des changements importants, le gouvernement a souligné que la SCA devrait être un programme permanent engageant les partenaires (autant gouvernementaux que non gouvernementaux) à tous les niveaux (municipaux, nationaux et internationaux) dans une stratégie équilibrée.[28]      

Poursuivant sur la lancée de la Phase I, la Phase II devait rendre les interventions du Canada en matière d’alcoolisme et de drogues plus efficaces pour ce qui est de la réduction des préjudices aux personnes, aux familles et aux communautés, causés par le l’usage à problème – « problem use » – d’alcool et de drogues.  Cet objectif se déclinait comme suit :

 

v     Mieux cibler les programmes en se concentrant sur les populations à risque élevé (surtout les jeunes enfants, les enfants de la rue, les décrocheurs, les autochtones ne vivant pas sur une réserve, les personnes sans emploi, les personnes âgées et les femmes).

v     Améliorer la coordination et la collaboration entre les ministères fédéraux et les partenaires externes (gouvernements provinciaux et territoriaux, les organismes non gouvernementaux, etc.).

v     Mettre au point la base d’information sur les problèmes associés à la consommation de drogues, pour aider les décideurs, les concepteurs de programme, les chercheurs, les professionnels et les autres personnes touchées par les problèmes de consommation à mieux répondre à ce problème.

v     Augmenter les ressources permettant aux ministères de poursuivre certaines activités permanentes et de rediriger leur attention vers des problèmes émergents ou de nouvelles activités.[29]

 

La décision de renouveler la SCD a été accompagnée d’une condition exigeant son évaluation.  En juin 1997, Santé Canada a publié un rapport sur l’évaluation de la Phase II de la SCA.  Ses principales conclusions étaient les suivantes :

 

v     Les ministères participants ont mieux ciblé leurs actions, tenant compte des variations imputables à leurs mandats respectifs;

v     La coordination interministérielle au niveau opérationnel et pour les initiatives spécifiques était efficace.  Par contre, la coordination interministérielle au niveau de la planification stratégique présentait des faiblesses qui n’avaient pas été réglées (des objectifs de coordination clairs n’ont pas été identifiés, et le rôle du Secrétariat de la SCD n’a pas été défini adéquatement);

v     La SCA n’a pas eu de visibilité nationale ni au niveau politique ni au niveau public ;

v     Suite au financement de la Phase II, la quantité de renseignements offerts au Canada sur l’abus de drogues a augmenté;

v     Durant la Phase II, les ministères ont augmenté le niveau de ressources consacré aux drogues.  Par contre, des coupures importantes à certains budgets ministériels ont limité l’atteinte de certains objectifs de la Phase II; et

v     Les ressources de la Phase II ont été utilisées d’une façon conforme à l’approche de réduction des méfaits, même si une politique formelle de réduction des méfaits n’était pas en place durant le mandat de la Stratégie.

 

Notant que le leadership, la coordination et la planification stratégique étaient des éléments essentiels au succès de la Stratégie, le rapport a observé des faiblesses durant la Phase II.  De plus, une vision commune et un ensemble d’objectifs clairs et mesurables, qui sont aussi des conditions fondamentales de succès, faisaient défaut, tout comme étaient floues les lignes d’imputabilité quant à l’atteinte des objectifs de la Stratégie.  Comme nous le verrons un peu plus loin, la vérificatrice générale du Canada a de nouveau mentionné la plupart de ces problèmes dans son rapport 2001 (soit cinq ans plus tard).      

Pour coordonner la Stratégie, deux groupes ont été créés au niveau fédéral sous la direction de Santé Canada, soit le Comité directeur des sous-ministres adjoints sur l'alcool et les autres drogues et le Groupe de travail interministériel sur l'alcool et les autres drogues.  Ils ont pour mandat :

 

« Le Comité directeur doit se réunir au moins deux fois par année pour améliorer l’efficacité générale de la Stratégie et pour orienter le Groupe de travail.  Il doit coordonner les activités fédérales, obtenir un avis consensuel relativement aux priorités, aborder les problèmes émergents et surveiller la mise en œuvre de la stratégie fédérale. » [30]

 

Phase III – Le renouvellement sans financement précis 

En 1996, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances a été adoptée.  Partie intégrante de la SCD, cette loi visait, selon le gouvernement, à moderniser et améliorer les politiques de lutte contre la drogue sous-jacentes aux lois précédentes, et à permettre au Canada de respecter ses obligations internationales.  Nous observons au passage que, depuis l’adoption de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la majorité des modifications apportées aux lois fédérales touchant les drogues illicites ont porté sur la réduction de l’offre.

En 1998, la SCD a été renouvelée en théorie mais sans ligne budgétaire précise, malgré les avertissements donnés quant aux conséquences négatives d’une telle décision.  Une évaluation de la contribution de Santé Canada à la SCD avait observé :

« Nous devons en venir à la conclusion que des initiatives à court terme, comme la Phase II de la SCA, sont utiles, car elles inspirent un sens élevé des priorités associées à un problème particulier.  En même temps, elles offrent des désavantages inhérents lorsqu’on aborde un problème, tel que celui de la consommation de drogues, qui, selon plusieurs sources, exige une intervention à plus long terme que ne le permet le financement à court terme. » [31]

 

Le rapport poursuivait : 

« La composante de la Phase II de la Stratégie canadienne antidrogue relevant de Santé Canada a effectué plusieurs investissements dans la recherche et l’élaboration de programmes et les systèmes de suivi de l’information.  Dans plusieurs domaines, Santé Canada peut tirer profit des avantages qu’offrent les connaissances acquises.  Par contre, cette situation pourrait ne pas continuer en raison du non-renouvellement.  

Il existe aussi des préoccupations concernant le fait que la mesure de temporisation –sunsetting – de la composante relevant de Santé Canada de la Stratégie canadienne antidrogue laissera un vide et un déséquilibre dans la politique fédérale défavorable à la réduction des méfaits et conséquemment beaucoup trop concentrée sur la réduction de l’offre.  La crédibilité du Canada au niveau international pourrait aussi en souffrir. » [32]  

Les ministères et agences fédéraux étaient les seuls participants à ce renouvellement de la Stratégie.  La SCD poursuit encore une approche équilibrée de réduction de l’offre et de la demande de drogues et a toujours pour objectif la réduction des méfaits associés à la consommation d’alcool et de drogues aux personnes, aux familles et aux communautés.  Spécifiquement, la Stratégie a pour objectifs de : 

 

v     Réduire la demande de drogues ;

v     Réduire les taux de mortalité et de morbidité associés aux drogues ; 

v     Améliorer l’efficacité et l’accès aux renseignements et aux interventions sur la consommation des substances ;

v     Restreindre l’offre de drogues illicites et réduire sa rentabilité ; et

v     Réduire les coûts de la consommation de drogues pour la société canadienne.[33] 

 

La Stratégie dit se fonder sur quatre piliers : la prévention; l’application de la loi et le contrôle du trafic; le traitement et la désintoxication; et la réduction des méfaits.  Dans ce cadre de travail général, elle a identifié sept composantes : la recherche et le développement des connaissances ; la diffusion des connaissances ; la prévention ; le traitement et la désintoxication ; l’application des lois et le contrôle ; la coordination nationale ; et la coopération internationale[34]

Le programme de la direction de la Stratégie antidrogue et des substances contrôlées, au sein de la Direction générale de la Santé environnementale et de la sécurité des consommateurs de Santé Canada, dépense présentement 34 millions $ chaque année pour lutter contre la consommation de drogues.[35]  Le Bureau de la Stratégie canadienne antidrogue gère 16,5 millions $ du budget total.  Le Programme de traitement et de réadaptation des alcooliques et toxicomanes, qui était au départ géré par le ministère des Ressources humaines, a été transféré à Santé Canada en octobre 1997.  Ce programme est présentement géré par le Bureau de la Stratégie canadienne antidrogue, qui dispose d’un fonds de 14 millions $ pour les provinces aux fins des programmes de traitement et de réadaptation.  Les autres 2,5 millions $ sont versés au CCLAT (1,5 millions $) et à la recherche et à la gestion des programmes (1 million $).  Les 17,5 millions $ restants sont versés par la Direction générale de la Santé environnementale et sécurité des consommateurs comme suit : l’administration des règlements autres que la réglementation sur l’accès à la marijuana à des fins médicales (5 millions $); le Programme de recherche sur l'usage de la marijuana à des fins médicinales (5 millions $); le service d’analyse des drogues (4,5 millions $); et les politiques, la recherche et les affaires internationales (3 millions $).[36]

Santé Canada engage d’autres ressources sur la consommation de drogues, par l’entremise d’activités diverses du ministère.  Par exemple, la Direction générale de la santé de la population et de la santé publique offre des ressources permettant d’aborder le sujet du VIH/SISA et de l’hépatite C, ainsi que celui du syndrome d’alcoolisme foetal.

 

 

La Stratégie canadienne antidrogue – une réussite? 

Nous n’avons pas la prétention de faire une analyse en profondeur de la SCD depuis son élaboration et son lancement en 1987.  Nous pouvons par contre examiner certains objectifs clés pour déterminer si la SCA est une réussite ou non.  Il est important de noter que, malgré les sommes importantes investies au niveau fédéral pour contrôler les drogues psychoactives, plusieurs personnes pensent que le Canada ne dispose pas d’une stratégie nationale antidrogue adéquatement financée. 

« En 1997, le gouvernement a lancé un examen des programmes.  D’importantes coupures budgétaires ont été faites dans tous les ministères, y compris Santé Canada.  La Stratégie antidrogue a écopé et a été temporisée en 1997.  En fait, aucun argent frais n’a été injecté par le gouvernement fédéral dans le domaine des toxicomanies depuis ce temps-là.  Présentement, le Canada ne dispose d’aucune stratégie nationale.  Nous n’avons donc aucune donnée de recherche pour nous guider.  En fait, personne ne connaît la portée de la consommation de drogues ou de la prévalence des drogues au Canada, car aucune enquête n’a été effectuée depuis 1994.  Nous devons donc nous fonder sur des hypothèses et utiliser d’autres outils pour obtenir un aperçu de la situation présente au Canada. » [37] 

Nous avons déjà vu au chapitre 6 que la recherche, le développement et la diffusion des connaissances sont gravement déficients au Canada, malgré que les diverses stratégies fédérales sur les drogues les aient identifiés comme éléments essentiels.  Ainsi, seulement deux enquêtes épidémiologiques nationales sur l’usage de drogues ont été effectuées, la première en 1989 et la seconde en 1994.  Le sous-financement chronique du CCLAT explique pour partie cette faiblesse de la recherche et du développement des connaissances.  Il est évident qu’avec les moyens dérisoires qui lui étaient conférés, même dans les meilleures années, le CCLAT n’a jamais disposé du financement nécessaire au développement des connaissances sur les tendances et les coûts et conséquences de la consommation de drogues au Canada.  L’augmentation récente de son budget de fonctionnement est sûrement une bonne nouvelle, mais ne permettra pas au Canada d’acquérir les outils nécessaires pour effectuer des recherches vitales et nécessaires dans le domaine et de se mettre au niveau de ses partenaires occidentaux en ce domaine.

Depuis sa mise en place, la SCD a dit soutenir une approche équilibrée entre la réduction de l’offre et de la demande de drogues.  Il est facile de faire un énoncé de ce genre ; encore faut-il que les faits puissent le valider.  Récemment, la vérificatrice générale a indiqué que, des 500 millions $ dépensés chaque année par 11 ministères ou organismes fédéraux pour combattre l’usage de drogues illicites au Canada, environ 95 % de ce montant sert à la réduction de l’offre.  Évidemment, ce montant n’inclut pas les dépenses des provinces en santé (traitement) et éducation (prévention), ni non plus les dépenses qu’elles encourent au titre de l’application de la loi et de l’administration de la justice ; nous verrons au chapitre 18 que rien ne permet de penser qu’elles dépensent moins pour la répression que le fédéral.  Il est difficile dans ces conditions de continuer à prétendre qu’il s’agit d’une approche équilibrée.    

La coordination et la collaboration entre les ministères fédéraux, les provinces et les municipalités est un autre objectif clé de la SCD.  Récemment, la vérificatrice générale a critiqué le leadership offert au niveau fédéral.  Elle a recommandé la mise en œuvre d’une stratégie antidrogue comprenant une coordination fonctionnelle, ainsi que des objectifs et des résultats clairs.  

« Le Canada a besoin d’un leadership fort et d’une coordination plus cohérente, afin d’établir une stratégie, des objectifs communs et des attentes relatives au rendement collectif.  Il doit être en mesure de répondre rapidement aux préoccupations émergentes associées à la consommation ou au trafic des drogues illicites.  La structure courante du leadership et de la coordination des efforts déployés par le gouvernement fédéral doit être revue et améliorée.  Les mécanismes de coordination avec les provinces et les municipalités doivent aussi être revus, car ils touchent les trois paliers gouvernementaux. » [38] 

L’incapacité à évaluer l’atteinte de ses objectifs – inévitable en l’absence d’indicateurs clairs – est l’une des faiblesses évidentes de la SCA.  Ainsi, aucune évaluation des programmes de prévention et de traitement n’a été financée par le gouvernement fédéral.  Ce manque d’évaluation est préoccupant.  

« Même si le gouvernement fédéral propose un leadership et une coordination pour aborder le problème de la consommation de drogues illicites, il n’a pas produit de rapport complet qui démontre comment le Canada gère le problème.  Il serait logique que Santé Canada, le ministère responsable, publie les résultats des efforts que déploie le gouvernement pour réduire l’offre et la demande de drogues illicites. » [39] 

En l’absence d’outils de base pour déterminer si elle a atteint ses objectifs – études sur les tendances d’usage, étude des coûts et bénéfices, études d’impacts, et critères d’évaluation clairs – il  est difficile de prétendre que la SCA est une réussite.  Il est clair qu’elle comporte plusieurs faiblesses fondamentales.  Comme plusieurs l’ont indiqué, nous devons nous poser la question de savoir si le Canada dispose réellement d’une stratégie nationale globale sur les substances psychoactives.

  

Conclusions 

Bien que nous reconnaissions que le gouvernement fédéral ne peut pas agir seul, nos conclusions relatives à une stratégie canadienne sur les substances psychoactives sont, de façon générale, limitées au rôle que joue le gouvernement fédéral. 

 

 

Conclusions du chapitre 11

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ø            Le Canada a un besoin urgent d’une stratégie nationale sur les substances psychoactives coordonnée et globale, pour laquelle le gouvernement fédéral doit offrir un leadership clair.

Ø            Toute stratégie future sur les substances psychoactives, doit porter sur l’ensemble des substances incluant l’alcool et le tabac.

Ø            Pour réussir, une stratégie nationale doit reposer sur des partenariats entre tous les paliers gouvernementaux et avec les organismes non gouvernementaux.

Ø            Au fil des ans, le financement a été irrégulier, diminuant la capacité de coordonner et de mettre en œuvre la stratégie; des ressources adéquates et un engagement à long terme sont nécessaires pour que la stratégie soit une réussite.

Ø            Il faut déterminer des objectifs clairs et mener des études d’évaluation complètes sur leur mise en œuvre et les résultats obtenus.  

Ø            Des critères clairs et partagés de réussite doivent être identifiés dès le début.

Ø            Le financement de base de la SCD a été insuffisant, ce qui l’a empêché d’exécuter son mandat; le financement adéquat d’une stratégie nationale est essentiel.

Ø            Un organisme indépendant comme le CCLAT est nécessaire pour effectuer des enquêtes nationales au moins tous les deux ans; il conviendrait aussi que le CCLAT travaille avec les provinces et les territoires pour que les enquêtes en milieu scolaire soient plus régulières, cohérentes et comparables.

 

 

Ø            La coordination, au niveau fédéral, devrait être confiée à un organisme qui ne fait pas partie intégrante d’un des ministères partenaires.

Ø            Une stratégie nationale sur les substances psychoactives devrait adopter une approche réellement équilibrée – il est inacceptable que 95 % des dépenses fédérales en ce domaine concernent la réduction de l’offre.

 

 

 

 

 

 



[1] Le chapitre 12 examine l’évolution du contexte législatif du Canada relativement aux substances psychoactives. 

[2]  Giffen, P.J., Endicott, S., et S. Lambert, (1991)  Panic and Indifference: The Politics of Canada’s Drug Laws, Ottawa : Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies, page 587.

[3]  Gouvernement du Canada, communiqué de presse, Federal Government Launches Co-ordinated Action on Drug Abuse, 25 mai 1987.

[4]  Gouvernement du Canada, (1988) Action contre les drogues : bilan et perspectives nouvelles, page 5.

[5]  Giffen, P.J. et coll., op. cit., page 585.

[6] Gouvernement du Canada, Action contre les drogues : bilan et perspectives nouvelles, 1988, page 7.

[7]  Ibid.

[8]  De 1987 à 1991, un montant additionnel de 19,5 millions $ a été versé à la Stratégie nationale de lutte contre la conduite avec facultés affaiblies.  Cette stratégie comprenait des programmes nationaux de sensibilisation, des programmes d’éducation routière, des sondages nationaux et des centaines d’initiatives municipales dont l’objectif était de rendre la conduite en état d’ébriété socialement inacceptable pour les Canadiens.

[9] Gouvernement du Canada, National Drug Strategy: Prevention, Treatment, Research, Control Components, 25 mai 1987.

[10] Gouvernement du Canada, National Drug Strategy: Enforcement Components, 26 mai 1987.

[11] Gouvernement du Canada, National Drug Strategy: Interdiction Components, 27 mai 1987.

[12] Gouvernement du Canada, National Drug Strategy: International Components, 28 mai 1987.

[13] Gouvernement du Canada, National Drug Strategy: Proceeds of Crime Components, 29 Mai 1987.

[14]  Loi sur le Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies, L.R., 1985, chapitre 49 (4e suppl.), article 3.

[15]  Ibid.

[16]  Gouvernement du Canada, Stratégie canadienne antidrogue, 1991, page 4.

[17]  Rapport du vérificateur général du Canada à la Chambre des communes, 2001, Chapitre 11, « Les drogues illicites – Le rôle du gouvernement fédéral », page 6.

[18]  Pour obtenir de plus amples renseignements sur le Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies, voir le site Web à http://www.ccsa.ca et le document du Gouvernement du Canada, Stratégie canadienne antidrogue - Phase II - Situation actuelle, Canada, 1994, pages 38-40.

[19]  Michel Perron, directeur administratif, Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies, Délibérations du Comité spécial sur les drogues illicites, Sénat du Canada, première session de la trente-septième législature, 2001-2002, 10 juin 2002, numéro 22, page 69.

[20]  Ibid.

[21]  Gouvernement du Canada, Stratégie canadienne antidrogue - Phase II - Situation actuelle, Canada, 1994, pages 11-12.

[22]  Santé Canada, Évaluation de la stratégie canadienne antidrogue -- rapport final, juin 1997, page 22.

[23]  On peut trouver des renseignements sur le Bureau de la Stratégie canadienne antidrogue sur le site Web de Santé Canada à http://www.hc-sc.gc.ca/hppb/cds-sca/cds/about.html

[24] Rapport de la vérificatrice générale du Canada à la Chambre des communes, 2001, Chapitre 11, « Les drogues illicites – Le rôle du gouvernement fédéral », page 24.

[25] Gouvernement du Canada, Canada’s Drug Strategy: Consultations 1991, page 7.  Pour obtenir de plus amples renseignements sur les commentaires effectués sur les problèmes d’offre, les problèmes de demande et le rôle et l’impact de la SCA, pages 3-7.

[26] Santé et Bien-être social Canada, Solliciteur général Canada, Revenu Canada (Douanes et Accise), Travail Canada, Affaires étrangères et Commerce international Canada et ministère de la Justice Canada.

[27] Gillian Lynch, directrice générale, Programme de la stratégie antidrogue et des substances contrôlées, Santé Canada, Délibérations du Comité spécial sur les drogues illicites, Sénat du Canada, première session de la trente-septième législature, 2001-2002, 10 juin 2002, numéro 22, page 27.

[28] Gouvernement du Canada, Stratégie canadienne antidrogue - Phase II, 1992, page 3.

[29]  Santé Canada, Évaluation de la stratégie canadienne antidrogue -- rapport final, juin 1997, page iv.

[30] Rapport de la vérificatrice générale du Canada à la Chambre des communes, 2001, Chapitre 11, « Les drogues illicites – Le rôle du gouvernement fédéral », page 6.

[31] Santé Canada, Évaluation de la composante relevant de Santé Canada de la Stratégie canadienne antidrogue -Rapport Final, décembre 1996, pages 33-34.

[32]  Ibid., pages 34-35.

[33]  Gouvernement du Canada, Stratégie canadienne antidrogue, 1998, pages 4-5.

[34]  Alors que la SCD traite des drogues licites et illicites, une stratégie séparée a été élaborée pour identifier des approches spécifiques à l’usage du tabac.

[35]  Ne comprend pas les dépenses effectuées par la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits, qui totalisent environ 70 millions $.

[36]  Santé Canada, Présentation au Comité spécial sur les drogues illicites, 10 juin 2002. 

[37]  Michel Perron, op. cit., page71.

[38]  Rapport de la vérificatrice générale du Canada à la Chambre des communes 2001, Chapitre 11, « Les drogues illicites – Le rôle du gouvernement fédéral », page 1.

[39]  Ibid., page 22.


Chapitre 12

Le contexte législatif national 

 

La prohibition des drogues a moins de cent ans, celle du cannabis un peu plus de 75.  Il est tentant de penser que les décisions prises au fil des ans de lutter contre la production et la consommation de certaines drogues au moyen du droit pénal s’inscrivent dans le droit fil du progrès social et de la mobilisation des connaissances scientifiques sur les drogues.  Les sociétés d’avant le XXe siècle étaient moins « évoluées » et ne disposaient pas des outils sophistiqués que la médecine, la biologie moléculaire et la biochimie, la psychologie et les sciences cognitives, ont apportés au cours de ce siècle des révolutions technologiques.  Les mesures de prohibition adoptées par les parlements et plus largement par la communauté internationale étaient donc le reflet plus ou moins exact du savoir construit peu à peu par les scientifiques.  La conquête graduelle des territoires il y a peu de temps encore occupés par l’irrationnel et ses cohortes de charlatans et autres shamans, se poursuivait, pour le plus grand bien de l’humanité.  Témoins, les fabuleux progrès techniques de la médecine et de la pharmacologie au cours de ce siècle qui auraient mené à l’augmentation de la longévité et surtout à la diminution de la mortalité infantile, du moins en Occident.

Mais est-ce bien le cas ?  La civilisation est-elle une marche constante vers le progrès, vers une rationalité de plus en plus grande, de plus en plus invincible ?  À regarder l’état de la planète et les signaux d’alarme lancés par plus d’un scientifique aujourd’hui, il est permis d’en douter.  Au plan social, le XXe siècle n’a pas causé moins de guerres, de destructions, d’inégalités entre les peuples, que les siècles précédents.  En matière de drogues, les législations sont-elles une traduction plus ou moins fidèle de la connaissance scientifique pour le plus grand bien de tous ?  Peut-on discerner une architecture rationnelle aux lois nationales et aux conventions internationales qui régissent certaines drogues et autres substances ?  Sont-elles basées sur la connaissance des effets des drogues sur le psychisme et sur le comportement humain ?  Traduisent elles une volonté d’assurer le bien-être des populations ?

L’historique de la législation sur les drogues illicites au Canada, comme l’analyse que fait le chapitre 19 de l’architecture des conventions internationales, permet d’en douter fortement.  Nous ne nions pas que les connaissances aient progressé ; la seconde partie de notre rapport en témoigne.  Mais les connaissances scientifiques sont elles mêmes des constructions qui se produisent dans un contexte historique donné et qui répondent à des paradigmes dans la manière de poser les problèmes et de mener des recherches.  Le positivisme scientifique dominant est le résultat temporaire d’une longue évolution de la démarche de connaissance.  Il n’en constitue pas la « fin de l’histoire ».  Il se produit, à l’intérieur de la démarche scientifique, une « sélection » des questions pertinentes comme des manières de les poser, faisant en sorte que toute question n’est pas bonne à poser et que certaines manières d’y répondre sont plus acceptables par la communauté des chercheurs.

Par ailleurs, les législations adoptées par les parlements sont influencées au moins autant par des préjugés et préconceptions issus de la « pop science » que par des considérations partisanes, personnelles, internationales.  Le parlementaire n’est pas, en ce sens, différent de chacun des citoyens ; c’est ce que nous rappelions dans l’introduction générale du rapport.

On ne peut comparer les effets du cannabis à ceux de l’alcool ou du tabac nous a-t-on dit à plusieurs reprises.  Pourtant, sauf à risquer d’être illisible sinon irrecevable par la collectivité, une politique publique sur les « drogues » doit proposer une certaine rationalité du genre : « ceci est prohibé parce que… et cela ne l’est pas parce que… »  La plupart du temps, la « raison » – ou la justification ? – se présente sous l’angle de risques ou de dangers d’une part, et de l’utilité médicale d’autre part.  Ainsi, le régime actuel qui gouverne les « drogues » soutient que certaines d’entre elles, en raison des risques ou des dangers qu’elles présenteraient doivent être réglementées, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas en vente libre.  Lorsqu’elles présentent des dangers et qu’elles n’ont pas d’application médicale reconnue, la réglementation en prohibe la fabrication, la production, la culture, l’usage, la possession, etc.  C’est le cas, dans les lois et conventions, de l’opium et ses dérivés (héroïne), de la plante de coca et ses dérivés (cocaïne, crack), et de la plante de cannabis et ses dérivés (marijuana, haschich).  Lorsque la drogue présente des dangers mais qu’elle a une utilité médicale, elle est sujette à une réglementation plus ou moins sévère : c’est le cas des benzodiazépines et autres médicaments puissants, qui ne peuvent être obtenus que sous ordonnance médicale et vendus par un pharmacien.  D’autres drogues présentent un « risque » pour la santé : nicotine, alcool, mais aussi plusieurs médicaments en vente libre.  L’emballage doit indiquer les risques (sauf pour l’alcool – ce n’est pas anodin) de manière à « prévenir » l’usager.

Dans quelle mesure cette rationalité tient-elle la route ?

 

« Trois chercheurs de l’Université de Toronto (Lazarou, Pomeranz, Corey, 1998) ont estimé que des médicaments licites correctement prescrits tuaient en moyenne cent mille personnes par année en Amérique du Nord.  Même si pour des raisons méthodologiques on venait à réduire ce chiffre de la moitié ou des deux tiers, il n’en illustre pas moins les énormes pertes humaines qui échappent à tout système de contrôle, y compris juridique.  Or, personne ne pense écarter ce danger en interdisant les prescriptions médicales, c’est-à-dire les décisions risquées des médecins ou le « droit à la consommation » des médicaments.  Pourquoi ?  Parce que l’on ne voit pas comment cette solution pourrait être préférable à celle de prendre des risques de façon responsable.  Face à ce problème, on essaiera alors de trouver d’autres solutions, comme un meilleur contrôle de la qualité des produits, etc.  Et on ne pense pas non plus (heureusement) à attribuer une responsabilité criminelle aux médecins pour avoir pris le risque d’écrire une prescription correcte en étant conscients que même les médicaments correctement prescrits peuvent causer la mort. » [1]

 

Le rapport pour 2001 de l’Organe international de contrôle des stupéfiants fait état de l’augmentation « inquiétante » de l’abus de divers médicaments prescrits sur ordonnance aux États-Unis et note que plusieurs de ces médicaments se retrouvent sur les marchés illicites notamment par le biais de l’Internet.[2]

Le tabac ferait plus de 400 000 morts par an aux États-Unis, environ 45 000 au Canada.  L’alcool quant à lui est relié aux violences et agressions physiques, notamment intraconjugales, aux accidents de la route, et l’abus cause des milliers de décès par an.

 

« C’est une erreur que de situer les drogues illicites dans une catégorie distincte des drogues légales, dans l’histoire de la criminalisation.  Nous avons compliqué les choses, de nos jours, parce que nous ne tendons pas à voir les drogues légales sous le même jour que les drogues illicites.  Pour le démontrer, nous parlons de « l’alcool et des drogues » comme si l’alcool n’état pas une drogue, comme si les agents de police qui interviennent dans les conflits familiaux ne savaient pas pertinemment que le principal problème de toxicomanie qu’ils trouveront dans ce conflit est celui de l’alcool, comme si nous ne savions pas déjà que l’alcool est un facteur essentiel dans 70 % de tous les homicides.  Le fait de prétendre que la consommation de d’alcool est différente de la consommation de drogues illicites semble être une folie culturelle qui en dit long sur les oeillères culturelles que nous portons dans la vie quotidienne. » [3]

 

La rationalité du système de contrôle tient-elle la route aux yeux de la société civile, usagers comme non-usagers ?  Quels sont les critères qui ont présidé aux décisions des législateurs ?  De fait, ont-ils eu recours à des critères ?  Qu’est-ce qui a motivé les parlementaires canadiens et d’ailleurs à prohiber certaines substances, à contrôler l’accès de certaines autres, et à en laisser d’autres en vente libre ?

Savoir d’où l’on vient aide à comprendre où l’on va.  C’est l’ambition de ce chapitre, retraçant l’évolution de la législation canadienne sur les drogues, de 1908 jusqu’à maintenant.[4]  Nous avons identifié trois périodes législatives.  La première, la plus longue, va de 1908 à 1960.  C’est la période que nous appelons de l’hystérie.  La seconde, beaucoup plus courte, va de 1961 à 1975.  C’est la période de la recherche des raisons perdues.  Enfin, la période contemporaine, qui commence vraiment au début des années 1980, est la période de la fuite en avant.  Comme il serait trop long de décrire les différents articles des divers projets de loi adoptés au cours des années, nous avons inséré en annexe un tableau qui explique et présente les dispositions des lois qui furent adoptées de 1908 à 1996 sur le contrôle des stupéfiants.

 

 

1908-1960 : L’hystÉrie

 

Au moment où se réunit la Conférence de Shanghai sur l’opium en 1909[5], l’opium, la feuille de coca, le cannabis, étaient connus depuis des centaines d’années des sociétés européennes qui les avaient découvertes au fil des contacts avec d’autres sociétés.  Ces « drogues » étaient utilisées dans la pratique médicale, mais aussi par une certaine élite, mondaine ou artistique, et surtout comme outil commercial par les puissances coloniales.  Dans la foulée des progrès de la chimie, le XIXe siècle avait vu l’apparition d’une quantité importante de nouvelles drogues – principalement les médicaments à base d’opiacés – et leur adoption enthousiaste par les médecins, pharmaciens, propriétaires de magasins généraux et vendeurs itinérants d’élixirs miracles.  Que s’est-il passé pour que le Canada en 1908, les sept pays réunis à Shanghai en 1909, décident de prohiber cette « drogue » ?  Quatre facteurs au moins forment la constellation des jeux du hasard et de la nécessité qui ont mené à la prohibition.

Des enjeux géopolitiques d’abord, notamment les relations commerciales avec la Chine et plus généralement la stabilité politique de l’Empire du Milieu, y jouent un rôle non négligeable comme le démontre le chapitre 19.  Mais sur le plan interne, ces facteurs n’expliquent pas tout, d’autant que les préoccupations du Dominion du Canada et de sa population pour les enjeux de politique internationale étaient encore relativement mineures.

Dans un premier temps, les médecins ont remarqué, parfois à partir de leur expérience personnelle d’usagers, que la consommation des produits dérivés de l’opium entraînait une certaine dépendance et des problèmes de santé.[6]  Au début, ces cas de toxicomanie étaient limités aux classes sociales aisées, aux artistes, qui se voyaient rarement imposer l’étiquette de « délinquants ».  Cependant, l’accessibilité de plus en plus grande de ces médicaments[7] et le développement conséquent de problématiques de dépendance au sein des classes ouvrières ont profondément modifié l’opinion publique sur ces drogues.  On ne parlait plus de « malades » mais de « délinquants » qui « ne peuvent affronter les exigences d’une vie de bon citoyen et de travailleur ».[8]  Quelques médecins, soucieux de conserver leur monopole, n’ont pas hésité à réclamer des gouvernements des lois afin de restreindre l’usage des médicaments produits par les compagnies pharmaceutiques et éviter la propagation de ce « fléau » qui menaçait les fondements de la société nord-américaine.

Même si l’usage de l’opium n’a pas provoqué de crise sociale avant le début des années 1880, les Blancs qui fréquentaient les fumeries chinoises étaient souvent perçus comme suspects ou dangereux.  À l’époque : « Fréquenter le quartier chinois et ses fumeries est interprété chez plusieurs groupes moraux comme une préférence pour l’étranger, une volonté de déroger aux valeurs blanches et anglo-saxonnes.  Ce jugement est encore plus sévère à l’égard des femmes. »[9]

Associée au problème de l’alcoolisme parmi les classes ouvrières, la question des drogues devenait alors la métaphore par excellence de la dégénérescence de la civilisation occidentale judéo-chrétienne, et le cheval de bataille des ligues de tempérance aux États-Unis comme au Canada.  Nés au XIXe siècle, ces mouvements avaient un fondement religieux très fort, notamment dans l’éthique protestante de la responsabilité du salut personnel par le travail et le contrôle de soi : « la valorisation du travail et la sobriété pour éviter les pertes de production et maintenir la supériorité de la race blanche anglo-saxonne dans l’économie .»[10]  La « guerre » contre l’alcool, responsable de la violence masculine et de l’adultère, contre les drogues qui tuent la jeunesse,  mais aussi contre la prostitution, les cigarettes et les jeux de hasard convenait parfaitement à ces mouvements.[11]  De groupes communautaires d’entraide visant à soutenir ceux qui voulaient se débarrasser de leurs mauvaises habitudes, ces ligues se sont transformées en groupes de pression puissants pour réclamer la prohibition complète de l’alcool d’abord, soutenir ensuite celle de l’opium et des autres drogues.

Troisième facteur, étroitement relié aux deux précédents, les mouvements de population et tout spécialement l’immigration chinoise – il serait plus juste de dire l’importation de travailleurs chinois.  Les Chinois avaient immigré aux États-Unis au milieu du XIXe siècle afin de travailler dans les mines et la construction de chemins de fer dans l’Ouest des États-Unis.  Une fois ces grands projets terminés, certains conflits de travail éclatèrent sur la côte Ouest américaine, opposant les Chinois qui offraient leur travail à bon marché aux propriétaires d’entreprises agricoles et les puissants syndicats formés majoritairement de travailleurs blancs.  Suite à l’apparition d’un mouvement antichinois d’origine syndicale et des lois qui empêchent toute nouvelle immigration chinoise, plusieurs Chinois n’auront d’autres choix que de développer le commerce de l’opium à même les ghettos où ils habitent dans les grandes villes américaines.  Les mouvements de tempérance n’hésiteront pas à accaparer le sentiment raciste qui anime certains segments de la société américaine afin de dénoncer la consommation d’opium, perçue comme un fléau qui favorise l’immoralité, la criminalité et la déchéance de la race blanche et anglo-saxonne.  C’est dans ce contexte d’agitation sociale, pourtant limitée à la côte Ouest américaine, que furent adoptées les premières lois aux États-Unis encadrant le commerce de l’opium.

Au Canada, les Chinois devinrent au milieu du XIXe siècle une source importante de main-d’œuvre employée dans la construction du chemin de fer Canadien Pacifique.  À mesure que l’économie de la Colombie-Britannique se diversifiait, ces immigrants se sont trouvés des emplois dans les usines de transformation des produits de la pêche, les mines de charbon ou l’industrie forestière bien que les emplois disponibles pour eux demeuraient limités.  Cela a aggravé l’aspect compétitif du marché local du travail et augmenté leur marginalisation au sein de la société.[12]  À partir des années 1880, l’arrivée massive de Chinois, juxtaposée au ralentissement économique provoqué par la fin de la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique et la récession économique qui a marqué la fin du XIXe siècle et les premières années du XXe siècle, ont provoqué plusieurs manifestations syndicales et populaires demandant la fin de l’immigration chinoise, source des problèmes économiques et de moralité en Colombie-Britannique. 

Selon Giffen, cette crainte était injustifiée puisque l’immigration blanche en provenance d’autres régions du Canada a largement annulé l’augmentation de la population chinoise en Colombie-Britannique.  En effet, la proportion de Chinois dans cette province est passée de 20 % au début des années 1880 à moins de 6 % en 1921,[13] juste avant que ne soit adoptée une disposition dans la Loi sur l’opium et les narcotiques autorisant la déportation d’un immigrant condamné pour une infraction liée aux drogues.

Mais :

 

[Traduction]  « La tolérance pour l’habitude de fumer de l’opium s’est maintenue aussi longtemps que celle des Britanno-Colombiens pour les Chinois.  Au cours des premières années du XXe siècle, le surplus de main d’œuvre et le sentiment antiasiatique dans la population se sont tous deux accentués.  La Asiatic Exclusion League a été créée et fut appuyée par les chambres de commerce et les syndicats de Vancouver, d’une part, et par les députés fédéraux Conservateurs, d’autre part.  La ligue était opposée aux politiques d’immigration des Libéraux [de Sir Wilfrid Laurier] et réclamait la fin de l’immigration asiatique en affirmant que le « péril jaune » submergerait la Colombie-Britannique blanche. » [14]

 

En effet, bien avant l’apparition de cette « crise sociale », le gouvernement de la Colombie-Britannique avait tenté de mettre un frein à l’immigration asiatique en adoptant, en 1884, la Chinese Immigration Act qui imposait une taxe annuelle de 10 $ aux Chinois et aux autres Asiatiques installés en Colombie-Britannique et leur interdisait l’achat de terrains appartenant à la province.  Le gouvernement fédéral désavoua cette loi, mais créa en 1885 la Commission royale d’enquête sur l’immigration chinoise qui a recommandé l’imposition d’un droit d’entrée de 10 $ à tout immigrant asiatique.  En 1885, suite aux pressions populaires, il adopta la Chinese Immigration Act qui imposait un droit d’entrée de 50 $ qui fut augmenté à 500 $ en 1904, plusieurs ayant critiqué le fait que malgré le tarif imposé 20 000 Asiatiques avaient émigré au pays entre 1889 et 1900.

Un événement majeur survenu en 1907 a amené le gouvernement fédéral à intervenir dans les dossiers de l’immigration chinoise et des conflits de travail en Colombie-Britannique.  Au cours de cette année, une manifestation organisée par la Asiatic Exclusion League rassemblant plus de 10 000 personnes, pour la plupart des travailleurs syndiqués et des gens de la classe moyenne, s’est transformée en émeute lorsque la foule en colère s’est dirigée dans le quartier chinois de Vancouver, s’attaquant aux gens et causant des dégâts matériels importants.  Après avoir convaincu le Premier ministre Laurier du bien-fondé de dédommager les Chinois, William L. Mackenzie King, alors sous-ministre du Travail, est retourné à Vancouver au printemps 1908 et rédigea, à son retour, un rapport[15] qui allait mener à l’adoption de la Loi sur l’opium.  Basé principalement sur des considérations d’ordre moral, éthique, politique, diplomatique ou ethnique, le rapport de Mackenzie King, plutôt que de s’attaquer au conflit de travail entre les travailleurs blancs et chinois, a déplacé le problème sur l’usage de l’opium par les étrangers d’origine asiatique.

 

« (l)a quantité (d’opium) qui se consomme au Canada, si elle était connue, épouvanterait la moyenne de nos concitoyens canadiens qui est portée à croire que l’habitude de l’opium se borne aux Chinois et que ceux-ci ne s’y adonne que dans une mesure restreinte.  […] il se vend presque autant d’opium aux Blancs qu’aux Chinois et […] l’habitude de fumer de l’opium fait des progrès parmi les garçons de race blanche mais aussi parmi les femmes et les jeunes filles. » [16]

 

Tout comme aux États-Unis, les immigrants chinois n’ont pas qu’apporté leur force de travail mais également la pratique de fumer de l’opium.  Ils préféraient cette pratique à celle largement répandue chez les travailleurs blancs de la consommation d’alcool ou de médicaments à base d’opiacés afin de guérir une maladie ou d’oublier momentanément leurs conditions sociales ou professionnelles.[17]  Ainsi, la première fumerie d’opium a ouvert ses portes à Vancouver en 1870.  Certains Chinois ont même ouvert des usines fabriquant de l’opium à fumer qui était par la suite utilisé dans les fumeries du quartier chinois de Vancouver ou tout simplement vendu à la clientèle blanche.  Comme l’a mentionné le professeur Boyd lors de son témoignage devant le Comité : 

 

« Au fil du temps, autant d’opium à fumer était vendu aux Blancs qu’aux Chinois.  On retrouve des annonces publicitaires dans les vieux numéros du “Province” de Vancouver ou du “Time Colonist” de Victoria.  Aucune inquiétude ou colère ne transparaît au sujet de ces établissements d’opium à fumer, mais on trouve des annonces publicitaires. » [18]

 

En 1883, on dénombrait trois usines de fabrication d’opium à fumer à Victoria et, en 1891, on trouvait plus de 10 fumeries dans les quartiers chinois des grandes villes de l’Ouest canadien.[19]  L’essor de cette industrie favorisait le gouvernement de la Colombie-Britannique puisque ce dernier imposait un tarif douanier sur l’opium brut de 10 %  à 25 %.

 

« Si je pouvais nous ramener il y a une centaine d’années à Vancouver, Victoria et New Westminster, je pourrais vous montrer des établissements de consommation d’opium qui avaient ouvert leurs portes au cours des années 1870 et ont été exploités pendant une trentaine d’années sans que personne ne s’en plaigne.  Ce sont des préoccupations reliées au surplus de main d’œuvre et à la dépression, pendant la première décennie du XXe siècle, qui ont été à l’origine de la première loi.  Il convient de noter que la Loi sur l’opium et les drogues narcotiques de 1908 a été proposée par le ministre du Travail.  Lorsqu’il a proposé la loi, il a déclaré : « nous allons pouvoir tirer parti de cette émeute » en parlant de l’émeute contre les Asiatiques qui sévissait à Vancouver en septembre 1907.

Imaginez aujourd’hui qu’un ministre du Travail propose une loi antidrogue pour essayer de tirer parti d’une crise de la main d’œuvre sur la côte ouest du Canada.  C’était un peu la même chose en Californie. » [20]

 

Même si la Commission royale d’enquête de 1885 n’a pas recommandé de mesures spécifiques concernant la production ou l’usage d’opium à fumer, elle a tout de même indiqué que fumer une telle substance était une habitude païenne incompatible avec le mode de vie d’une nation chrétienne.[21]  Selon Line Beauchesne, la croisade contre l’opium qui a succédé à ce rapport entraînera peu à peu le rejet du fumeur d’opium.[22]  Les résultats d’une enquête produite par l’American Pharmaceutical Association en 1903 sur l’usage des drogues affirmait que la consommation de drogues était répandue dans toute la société américaine, mais plus spécifiquement au sein de deux groupes sociaux, soit les immigrés chinois et les Noirs.  Cette étude a probablement eu une influence sur certains parlementaires fédéraux et les mouvements de tempérance qui ont utilisé des arguments similaires jusqu’au début des années 1930 pour justifier la prohibition de l’opium et d’autres drogues.[23]

En somme, bien que des considérations économiques furent au cœur du sentiment antiasiatique, les mouvements de tempérance et les groupes religieux ont tiré profit de cette situation afin de promouvoir leur discours non seulement dans la région immédiate de la Colombie-Britannique, mais également dans le reste du pays.  Ces événements ont attiré l’attention de la population sur les « dangers » de l’opium pour la société canadienne.

 

La Loi sur l’opium de 1908

Le 10 juillet 1908, le ministre du Travail proposa à la Chambre des communes l’adoption d’une motion pour interdire : « l’importation, la fabrication et la vente de l’opium à des fins autres que des fins médicales. »[24]  Cette motion fut adoptée sans débat.  Le ministre déposa le projet de loi 205, la Loi prohibant l’importation, la fabrication et la vente de l’opium à toutes fins autres que celles de la médecine (Loi sur l’opium de 1908).[25]  L’article premier de la loi interdisait l’importation d’opium sans autorisation du ministre des Douanes.  De plus, on ne pouvait utiliser cette drogue à des fins autres que médicales.  La fabrication, la vente et la possession en vue de la vente d’opium brut ou préparé à l’usage des fumeurs étaient également prohibées.  Quiconque enfreignait ces dispositions pouvait être déclaré coupable d’un acte criminel passible d’une peine d’emprisonnement maximale de trois ans, d’une amende minimale de 50 $ pouvant aller jusqu’à un maximum de 1 000 $ ou de l’une de ces deux peines.  Même si elle interdisait l’usage de l’opium, cette loi visait les commerçants d’opium, en majorité des Chinois, et non les simples usagers.  Le projet de loi a été sanctionné le 20 juillet 1908.

 

Loi sur l’opium et les narcotiques de 1911

L’adoption de la Loi sur l’opium allait entraîner jusqu’au début des années 30 le dépôt de 8 nouvelles lois visant à la rendre à la fois plus contraignante et efficace.  Le 26 janvier 1911, Mackenzie King, devenu ministre du Travail, déposa le projet de loi 97, la Loi à l’effet de prohiber l’usage illicite de l’opium et d’autres drogues (Loi sur l’opium et les narcotiques de 1911).[26]  Lors du débat à l’étape de la deuxième lecture, Mackenzie King a invoqué trois raisons qui l’ont motivé à déposer ce texte législatif : la Commission de Shanghai, la panique suscitée à Montréal par l’usage de cocaïne et l’octroi de pouvoirs spéciaux aux policiers afin de garantir l’application efficace de loi.  La Commission de Shanghai avait adopté certaines résolutions non-contraignantes incluant : mettre fin graduellement à l’habitude consistant à fumer de l’opium, en tenant compte de circonstances particulières de chaque pays; interdire l’usage de l’opium ainsi que de ses alcaloïdes ou dérivés (morphine, héroïne, etc.) et d’autres drogues à des fins autres que médicales; et interdire l’exportation de ces substances dans les pays qui prohibent leur usage. 

Aucun député n’a soulevé d’objections quant aux quatre drogues ajoutées à l’annexe de la loi, soit la cocaïne, l’opium, la morphine ou l’eucaïne.  L’article 14 de la loi prévoyait aussi que le gouverneur en conseil pouvait, par décret, ajouter à l’annexe tout alcaloïde, sous-produit ou préparation des drogues dont l’addition était jugée nécessaire dans l’intérêt public – pouvoir que l’on retrouve encore aujourd’hui.  Ceci fut justifié en précisant que si l’usage d’une nouvelle drogue se répandait rapidement dans la société, l’ajout de cette dernière à l’annexe se ferait plus rapidement par règlement que par l’adoption d’un projet de loi.[27]  D’autres dispositions de la loi concernaient l’usage de l’opium, les pouvoirs de perquisition octroyés aux policiers, les ordonnance de confiscation ou de restitution des drogues saisies ainsi que le renversement du fardeau de la preuve dans le cas d’une affaire de simple possession de drogues au détriment de l’accusé.  On a aussi éliminé la possibilité de demander à un tribunal supérieur l’émission d’un bref de certiorari lors de poursuites intentées en vertu de ce texte législatif. 

La période de l’après Première Guerre mondiale a entraîné une série de modifications importantes aux infractions, sanctions, pouvoirs policiers et procédures criminelles prévus par la Loi sur l’opium et les narcotiques.  Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette effervescence législative : les inquiétudes suscitées par les textes d’Emily Murphy sur l’ampleur du « fléau » de la drogue au Canada[28] ; la reprise des conflits entre les Blancs et les Asiatiques en Colombie-Britannique ; la mobilisation des associations de médecins et de pharmaciens afin d’éviter que la loi n’enfreigne leurs activités ; la création, en 1919, du ministère de la Santé et de la puissante Division des narcotiques (l’ancêtre de l’actuel Bureau sur les substances contrôlées), chargés de l’application des accords internationaux en matière de stupéfiants au Canada ; la création, en 1919, de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), responsable de l’application de la Loi sur l’opium et les narcotiques ; l’adoption du Harrison Narcotic Act aux États-Unis en 1914 ; et la mobilisation de la communauté internationale afin d’appliquer la Convention internationale de l’opium (La Haye - 1912), application qui fut imposée à certains pays par le Traité de Versailles de 1919.

 

La création de la Division des narcotiques

L’adoption du Harrison Narcotic Act aux États-Unis et la mobilisation de la communauté internationale afin d’appliquer la Convention de La Haye avaient rapidement révélé trois lacunes majeures de la Loi sur l’opium et les narcotiques de 1911.[29]

La première difficulté est apparue au moment de contrôler les importations et les exportations de stupéfiants.  La loi ne contenait qu’une vague indication concernant le commerce de drogues à des fins médicales ou scientifiques.  Dans ce contexte, les douaniers hésitaient à saisir les cargaisons d’opium ou d’autres drogues.

La deuxième difficulté provenait de l’adoption aux États-Unis du Harrison Narcotic Act, une loi semblable à celle adoptée au Canada en 1911.  Toutefois, elle imposait un système de licences émises aux entreprises par le gouvernement fédéral qui autorisaient l’importation ou l’exportation de drogues.  Cela a eu pour résultat de créer une demande importante de stupéfiants illicites aux États-Unis.  Comme l’offre de ces substances au Canada excédait la demande des consommateurs, les trafiquants ont vite saisi l’occasion d’affaire et exporté leurs surplus aux États-Unis.  Cette activité était devenue tellement rentable qu’en 1918, un comité du Sénat américain a déposé une plainte officielle au gouvernement canadien à propos du trafic de stupéfiants.

La troisième et dernière difficulté relevait du fait que, très tôt, les trafiquants ont pu échapper aux dispositions de la Loi de 1911 puisque son application n’était pas centralisée au sein d’un seul organisme gouvernemental.  D’un côté, le ministère des Douanes tentait tant bien que mal de contrôler le commerce légal de drogues alors, que de l’autre, les services de police municipaux s’occupaient du trafic illégal, activité qui devenait toujours plus sophistiquée d’année en année, nécessitant ainsi l’octroi de nouveaux pouvoirs aux policiers.[30]

Les nombreuses modifications à loi afin de corriger ces problèmes seront, en partie, orchestrées par F. W. Cowan premier patron de la nouvelle Division des narcotiques du ministère de la Santé (1919-1927) et, surtout, par le Colonel C. H. L. Sharman, un ancien officier de la GRC son successeur (1927-1946).  Cowan a vite compris après son arrivée à la tête de cette nouvelle division qu’il devait centraliser le contrôle du commerce licite et illicite de drogues pour garantir une application efficace de la loi et, par le fait même, assurer la survie à long terme de son organisation.  Sous sa gouverne, un réseau imposant de communication fut créé et, à la fin des années 20, il englobait les autres directions du ministère de la Santé, le ministère de la Justice ainsi que les avocats engagés pour mener les poursuites relatives aux stupéfiants, la GRC, les médias, les services de police municipaux, les associations représentant les médecins et les pharmaciens, les gouvernements et agences d’autres pays chargées d’appliquer la loi, notamment les États-Unis, et les organismes internationaux de contrôle des stupéfiants créés par la Société des Nations.

Sous l’impulsion de Sharman, l’administration des renseignements en provenance de tous ces acteurs sera éventuellement menée uniquement par la Division, et non plus au ministère de la Justice ou à la GRC.  Ainsi, le directeur pouvait avoir un portrait de l’évolution de la situation des drogues et, par le fait même, devenait un « expert » dans ce domaine.  Un ancien fonctionnaire de la division a d’ailleurs qualifié le Colonel Sharman de « tzar dirigeant son propre empire. »[31]  Son influence s’est accrue lorsque la Division fut placée sous l’autorité du sous-ministre de la Santé.  Cette réorganisation a favorisé une relation plus étroite et directe avec le ministre et les parlementaires, lui permettant ainsi de court-circuiter les propositions venant d’autres divisions du ministère.  D’ailleurs, lorsque viendra le temps de proposer des nouvelles infractions, sanctions, procédures criminelles ou de nouveaux pouvoirs policiers, au cours des années 20, la Division n’hésitera pas à utiliser la « panique » provoquée par les médias à Vancouver ou les textes d’Emily Murphy pour justifier ces modifications.[32]

Du point de vue de l’application de la loi, cette structure fut très utile.  Par exemple, jusqu’aux années 50, du moment qu’un policier ou un avocat, peu importe où il se trouvait au Canada, informait le directeur de la Division d’une faille dans la loi, ce dernier rédigeait des propositions d’amendements, recourait à son réseau afin de mener des consultations rapides sur les modifications proposées et, incitait, si nécessaire, le ministre de la Santé à déposer une loi afin de corriger la situation problématique.  La bureaucratie fédérale des drogues, telle qu’on la connaît aujourd’hui, était née !

Dans ce contexte, la création d’un tel réseau a eu des conséquences importantes sur l’orientation de la législation canadienne sur les drogues :

 

 [Traduction] « À court terme, l’établissement d’une autorité administrative [la Division] pour appliquer les lois sur les narcotiques aura comme conséquence imprévue la création d’un groupe de pression centralisé qui avait l’influence et la motivation pour jouer un rôle important dans l’évolution future de la loi.  Cette centralisation des pouvoirs et de l’expertise combinée au fait que les ressources [loi, policiers, etc.] étaient dirigées vers les groupes les plus faibles de la société permet d’expliquer l’absence virtuelle de critiques efficaces ou propositions d’alternatives pour le contrôle des drogues entre 1920 et 1950. » [33]

 

Les amendements à la Loi sur l’opium et les narcotiques (1920-1938)

De nombreuses modifications ont été faites à la Loi de 1911, avant qu’elle ne soit revue en profondeur en 1938.  C’est au cours de cette période que le cannabis fut ajouté à l’annexe de la loi.

 

Modifications de la liste des substances à l’annexe : l’ajout du cannabis

De 1911 à 1938, plusieurs drogues furent ajoutées à l’annexe de la Loi sur l’opium et les narcotiques.  La Loi de 1911 ne visait le contrôle que de quatre drogues.  En 1938, lorsque la Loi modifiant la Loi sur l’opium et des narcotiques[34] fut adoptée, l’annexe comptait plus de 15 drogues, incluant leurs dérivés ou sels, dont le cannabis, ajouté en 1923.

Lors des travaux du Comité plénier entourant l’étude de la Loi de 1923, le ministre de la Santé, Henri-Séverin Béland, a tout simplement déclaré au sujet de cette substance: « Il y a un nouveau narcotique dans la liste. »[35]  C’est de cette façon que le cannabis s’est retrouvé à l’annexe de la Loi.  Selon Giffen, les circonstances qui ont mené à cette décision demeurent obscures puisque, jusqu’en 1932, la question des effets du cannabis sur la santé physique, psychologique ou morale d’un individu n’avait jamais été soulevée par les parlementaires.  Giffen a d’ailleurs qualifié la criminalisation de cette drogue de « solution sans problème ».

Aux États-Unis, à partir de 1890, certains médecins américains se sont inquiétés du fait que la puissance du cannabis était trop variable et que les réactions individuelles lorsqu’il était ingéré par voie orale semblaient imprévisibles.  Ainsi, en dépit de la présence de drogues beaucoup plus dangereuses telles les barbituriques et les opiacés, le cannabis fut délaissé par les médecins.  Au début du siècle, la découverte du caractère hallucinogène du cannabis a largement contribué à établir sa réputation comme drogue dangereuse.  Toutefois, les rédacteurs du Harrison Narcotic Act n’avaient pas jugé nécessaire de l’assujettir aux contrôles prévus par la loi.[36]  Mais, en 1915, la Californie est devenue le premier État américain à prohiber l’usage de cette drogue et au début des années 20, la marijuana « était devenue une drogue marginale d’importance associée à l’afflux de travailleurs mexicains au sud des États-Unis dans les années 1910 et 1920. »[37]  Tout comme dans le cas de l’opium, les conflits de travail, les intérêts économiques des grandes entreprises ainsi que la moralité allaient servir de catalyseurs pour créer un mouvement populaire favorisant la prohibition du cannabis aux États-Unis, menant à l’adoption de la Marijuana Tax Act en 1937 qui interdisait l’usage et la production du cannabis.

Contrairement aux États-Unis, il n’existe pas de compte rendu de l’utilisation du cannabis à des fins médicales avant 1930 au Canada.[38]  Et contrairement à la Californie, le Canada ne faisait pas face à une immigration de travailleurs mexicains.  Qu’est-ce qui explique l’ajout du cannabis à l’annexe de la Loi sur l’opium ?

En 1922, Emily Murphy faisait référence aux effets nocifs du cannabis sur le comportement humain dans un livre intitulé « The Black Candle » où elle reprenait la plupart des articles qu’elle avait publiés dans le magazine MacLean’s.  Dans le chapitre intitulé : « Marijuana – Une nouvelle menace » elle rapportait les propos du chef de police de Los Angeles qui décrivaient les effets « terribles » du cannabis.

Mais les recherches de Giffen dans les archives du ministère de la Santé indiquent que ce discours alarmiste et fortement imprégné de moralité ne serait pas à l’origine de l’ajout du cannabis à l’annexe de la Loi de l’opium et des narcotiques, d’autant plus qu’à l’époque, il était à peu près inconnu au pays et sa consommation n’était pas un problème.[39]  Cette affirmation est confirmée par l’article 7 de la Loi de 1932 qui modifiait une disposition de la Loi de 1920 en permettant la fabrication, la vente ou la distribution, sans permis, de médicaments s’ils ne contiennent que de faibles quantités de certaines drogues inscrites à l’annexe.  En 1932, cette mesure pouvait désormais s’appliquer au cannabis.  D’ailleurs, lors des débats parlementaires entourant l’adoption de ce texte législatif, la découverte de l’existence de cette drogue semble avoir suscité l’intérêt de certains parlementaires.  Lors du Comité plénier, le député Ernest Lapointe a demandé au ministre de la Santé : « Qu’entend-on par cannabis sativa? »  Le ministre lui a répondu : « Jusqu’ici cette drogue n’était pas incluse dans la liste des produits qu’on pouvait employer.  Je crois que c’est une forme de drogue qui s’emploie dans l’Inde et qu’on nomme communément haschisch.  […] On ne s’oppose pas à son emploi. »[40]

En somme, il est remarquable que, plus de soixante-quinze ans plus tard, on ne sache toujours pas pourquoi le cannabis s’est retrouvé parmi les drogues prohibées.  Par contre, on n’a pas manqué de « trouver des raisons » au cours des années subséquentes.

Sous l’influence des campagnes médiatiques américaines reprises par les journaux canadiens et de récits horrifiants de policiers au sujet de jeunes Canadiens physiquement et moralement détruits après avoir consommé du cannabis, le discours des parlementaires fédéraux allait en effet devenir de moins en moins tolérant envers cette drogue.  La Loi de 1938, adoptée un an après l’adoption aux États-Unis du Marijuana Tax Act, allait marquer l’aboutissement de cette « nouvelle panique ».  L’article 3 de cette loi interdisait à quiconque la culture du cannabis ou du pavot somnifère sans avoir préalablement obtenu un permis du ministère de la Santé.  Les peines pour cette nouvelle infraction étaient les mêmes que celles prévues pour le trafic ou la simple possession de cannabis.  Cette mesure était exceptionnelle puisque, contrairement aux autres drogues de l’annexe, la Canada jouissait, pour la première fois, de conditions climatiques favorables à la culture et la production d’une drogue sur son territoire.  D’ailleurs, en analysant les débats parlementaires, on apprend que le ministère de l’Agriculture a mené des expériences scientifiques au sujet du chanvre industriel en faisant pousser du cannabis sur le territoire de la Ferme expérimentale à Ottawa et dans un autre centre de recherche, situé près de Montréal.  De plus, certains entrepreneurs en Ontario cultivaient toujours le chanvre.  La Loi de 1938 allait mettre fin définitivement à cette pratique.

Suite à l’introduction du projet de loi, le ministre de la Santé, Charles Power, a déclaré, au sujet de l’article 3 : «  […] les amendements proposés se rapportent aux efforts tentés par le ministère pour contrôler ce qui constitue, non pas une nouvelle drogue, mais une menace pour la jeunesse de notre pays. »[41]  Plus loin, il a mentionné qu’il était très dangereux de fumer des cigarettes de marijuana.  Afin de démontrer cette affirmation, il a cité un rapport préparé par Harry J. Anslinger, premier commissaire du Federal Bureau of Narcotics dans lequel il qualifiait cette drogue : « de tueuse de jeunesse [et] qu’on doit y voir l’un des plus grands dangers pour les États-Unis. »[42]  Le ministre de la Santé déclarera néanmoins que la situation, au Canada, n’était pas aussi grave qu’aux États-Unis.  Les déclarations du ministre de la Santé sur la nocivité du cannabis ne seront contestées par aucun député et ce, même s’il n’a étayé ses propos d’aucune donnée de recherche.

Les modifications les plus importantes à l’annexe sont survenues en 1932, suite à l’adoption de la Loi modifiant la Loi sur l’opium et les narcotiques (Loi de 1932).[43]  À cette occasion, plus de 10 substances psychoactives furent ajoutées à l’annexe, nouvelles drogues naturelles (comme la feuille de coca) ou synthétiques.  L’inclusion de ces substances coïncidait avec l’adoption, en 1931, de la Convention de Genève pour limiter la fabrication et réglementer la distribution des stupéfiants, le Colonel Sharman, ayant largement contribué aux négociations menant à la signature de cette convention.  C’est d’ailleurs à cette époque que le Canada a commencé à jouer un rôle actif sur la scène internationale en matière de drogues, appuyant les efforts des États-Unis et de Harry J. Anslinger pour mieux contrôler le commerce de stupéfiants à l’échelle internationale, notamment dans les pays producteurs.[44]

Lors du débat sur l’adoption de la Loi de 1932, loi qui devait mettre en oeuvre les dispositions de la Convention de 1931 dans le droit canadien, aucune question ne fut posée au ministre de la Santé, Murray McLaren, au sujet des raisons qui ont incité son ministère à insérer dans l’annexe les drogues précitées.

 

Modifications des peines

Les peines imposées pour trafic ou possession illégale de stupéfiants furent modifiées à plusieurs reprises au cours de cette période.  De plus, d’autres infractions ont été créées au fur et à mesure que les techniques des trafiquants pour contourner la loi devenaient de plus en plus sophistiquées.  Selon Giffen, plusieurs raisons expliquent la recherche de flexibilité par les autorités responsables de l’application de la loi :

 

[Traduction]  « La flexibilité dans les peines a permis de contourner les hésitations des tribunaux à condamner sévèrement les crimes moins graves ou qui impliquaient des gens de classes sociales aisées.  À cette époque, les situations de ce genre étaient fréquentes puisque la population de toxicomanes était relativement hétérogène.  De plus, l’appui populaire à la loi dans les communautés locales pouvait être maintenu en évitant l’imposition de peines injustes. » [45]

 

Cette flexibilité élargissait le nombre d’options offertes aux policiers et aux procureurs de la Couronne leur permettant de négocier plus facilement des plaidoyers de culpabilité, décider du type de poursuite ou d’utiliser les accusés comme informateurs ou agents d’infiltration en leur promettant une peine moindre ou le retrait des accusations.  Elle permettait également, dans certains cas, l’imposition d’une peine minimale en réduisant la discrétion accordée au tribunal dans la détermination de la peine.  L’augmentation des peines envoyait aussi un message clair aux juges sur la gravité ainsi que le niveau de réprobation sociale des crimes relatifs aux drogues.  La possibilité de poursuite par procédure sommaire réduisait, quant à elle, les délais entre le moment d’une arrestation et celui de l’imposition d’une sentence.  On pouvait ainsi augmenter sensiblement le nombre de condamnations.  Cela était particulièrement important puisque plus le nombre de condamnations était élevé, plus la population constatait l’efficacité de la loi ainsi que l’ampleur du problème.[46]

La Loi de 1911 prévoyait une peine d’emprisonnement maximale d’un an, une amende maximale de 500 $ ou l’une de ces deux peines.  En 1920, suite à la l’adoption de la Loi modifiant la Loi sur l’opium et les narcotiques (Loi de 1920)[47], une amende minimale de 200 $ était imposée et son maximum était augmenté à 1 000 $.  En 1921, la Loi modifiant la Loi sur l’opium et les narcotiques (Loi de 1921)[48] a modifié de façon importante la peine imposée pour ce type d’infraction.  Ainsi, on créait des infractions mixtes (procédure sommaire et mise en accusation) pour ces deux activités illégales.  Dans le cas d’une poursuite par mise en accusation, une peine d’emprisonnement maximale de sept ans pouvait être imposée.  Dans le cas d’une déclaration de culpabilité par procédure sommaire, la peine de prison maximale était portée à 18 mois à laquelle une période additionnelle de 12 mois pour défaut de paiement d’une amende pouvait être ajoutée par le tribunal.  En 1922, la Loi modifiant la Loi sur l’opium et les narcotiques (Loi de 1922)[49] a modifié la peine d’emprisonnement imposée pour une déclaration de culpabilité par procédure sommaire en prévoyant l’imposition d’une peine de prison minimale de six mois.  En 1925, le Parlement a adopté une modification prévoyant l’imposition, à la discrétion du juge, d’une peine de travaux forcés lors d’une condamnation par procédure sommaire pour simple possession d’une drogue.

En 1921, on créa une infraction concernant la vente, le don ou la distribution de drogues par un trafiquant auprès d’un mineur.  On ne pouvait poursuivre cette personne que par mise en accusation et quiconque était reconnu coupable pouvait écoper d’une peine d’emprisonnement maximale de sept ans.  Suite à un débat hautement émotif, on retira la peine de fouet à l’infraction, peine qui avait été proposée par un député.  Toutefois, l’année suivante, lors de l’étude de la Loi de 1922 en Comité plénier, ce même député proposa à nouveau l’imposition de la peine de fouet pour le trafiquant qui vend de la drogue à un mineur.  À la fin du débat, le ministre de la Santé accepta d’ajouter la peine du fouet à la loi.  Il est à noter qu’en 1929, les parlementaires fédéraux se sont prononcés sur l’élargissement de la peine de fouet aux infractions de trafic et simple possession de drogues prévue par la Loi modifiant et codifiant la Loi sur l’opium et des narcotiques (Loi de 1929).[50]

Une autre peine importante fut introduite dans la Loi de 1922, la déportation des immigrants.  L’article 5 de ce texte législatif, prévoyait que, nonobstant les dispositions contraires de la Loi sur l’immigration, tout immigrant déclaré coupable de trafic, de simple possession ou de vente de drogues à un mineur pouvait être déporté hors du Canada.  De 1922 à 1944, date des dernières déportations d’immigrants pour une affaire de drogue, plus de 1 082 Chinois (82 %) furent déportés comparativement à 163 Américains (13 %) et 68 autres personnes d’origines ethniques diverses (5 %) pour un total de 1 313 déportations.  En 1930, la « panique » en Colombie-Britannique était chose du passé, mais au cours des huit années précédentes, plus de 638 Chinois avaient été déportés par les autorités canadiennes.[51]

On trouve aussi d’autres infractions dans la législation à l’époque, par exemple : la possession de pipes, lampes ou tout autre équipement pour la préparation ou consommation d’opium ; le trafic de drogues par courrier ; et l’obtention de drogues en consultant deux médecins.  Entre 1922 et 1930, 7 096 personnes furent condamnées pour une infraction à la Loi sur l’opium et les narcotiques.  De ce nombre, plus de 4 900 étaient des Chinois, soit une proportion de 69 %.[52]

 

Les pouvoirs policiers

De 1920 à 1930, grâce à plusieurs modifications à la Loi sur l’opium et les narcotiques, les policiers ont obtenu de nouveaux pouvoirs.  Ces modifications ont porté plus particulièrement sur les pouvoirs de perquisition.  L’article 7 de la Loi de 1911 prévoyait la délivrance d’un mandat de perquisition autorisant, si le policier avait des motifs raisonnables, la fouille des lieux suivants : maison d’habitation, magasin, boutique, entrepôt, jardin ou navire, et la saisie de drogues qui s’y trouvaient ainsi que les contenants dans lesquels elles avaient été découvertes.  L’article 3 de la Loi de 1922 prévoyait la possibilité de mener sans mandat une fouille ou perquisition de drogues, le jour comme la nuit, dans les lieux précités.  Toutefois, dans le cas d’une maison d’habitation, le policier devait obtenir un mandat.

L’article 8 de la Loi de 1911 prévoyait que les drogues saisies ainsi que les contenants dans lesquels elles avaient été trouvées pouvaient être confisqués, par le biais d’une ordonnance, au profit du tribunal et détruites après la condamnation de l’accusé.  Toutefois, l’article 9 imposait certaines conditions à la procédure prévue par l’article 8.  En effet, si l’accusé avait été acquitté, il disposait d’une période maximale de trois mois pour demander que le tribunal lui émette une ordonnance de restitution des drogues saisies.  Si elles n’étaient pas réclamées au cours de cette période, elles devaient être détruites.  La Loi de 1921 a légèrement modifié ces deux dispositions en précisant que, dorénavant, les drogues ainsi que les contenants dans lesquels elles étaient trouvées seraient confisqués au profit du ministre de la Santé qui en disposerait à sa guise.  Cette modification avait été jugée nécessaire par la Division des narcotiques puisque plusieurs juges, plutôt que d’ordonner la destruction des ces matières, les envoyaient dans les hôpitaux.  La Division craignait que les drogues ainsi retournées ne retombent entre les mains des trafiquants.

En 1923, les pouvoirs de perquisition et l’application des ordonnances de confiscation ont été étendus aux véhicules dans lesquels une drogue était trouvée.  En 1929, cette procédure fut élargie à tous les véhicules de trafiquants peu importe s’il y avait eu ou non une telle substance à l’intérieur.  On voulait ainsi nuire aux activités des trafiquants et éviter qu’après leur condamnation une automobile ne soit utilisée par un autre criminel.  Cette procédure fut ensuite étendue aux aéronefs.  En 1925, le Parlement, avec l’adoption de la Loi modifiant la Loi sur l’opium et les narcotiques (Loi de 1925)[53] autorisa un policier à fouiller toute personne se trouvant sur les lieux de la perquisition avec ou sans mandat.

La Loi de 1929 a accordé un pouvoir de perquisition extraordinaire aux policiers.  L’article 22 de ce texte législatif permettait l’émission à un policier d’un mandat de main-forte.  Il s’agissait d’un pouvoir général, sans restriction de temps ni de lieu, qui demeurait valide pendant toute la carrière de l’agent de la paix.  Ce mandat autorisait son récipiendaire à entrer à toute heure, avec l’aide des personnes qu’il estimait nécessaires, dans une maison d’habitation pour y faire des fouilles et saisir des drogues.  Le mandat de main-forte permettait ainsi de contourner l’interdiction de fouiller ou saisir des drogues dans une maison d’habitation sans mandat.  Au même moment, la loi fut également amendée afin d’autoriser les policiers lors de fouilles ou saisies avec ou sans mandat de recourir, si nécessaire, à la force pour réaliser une perquisition et d’être assistés par d’autres personnes que des agents de la paix. 

 


La procédure criminelle

Au cours des années 20, une autre modification importante aura pour but de faciliter les condamnations dans les poursuites impliquant des stupéfiants : le renversement du fardeau de la preuve au détriment de l’accusé.  C’est dorénavant à ce dernier, et non plus au procureur de la Couronne, qu’il appartient de prouver qu’il n’a pas commis le crime pour lequel il est accusé.  En droit pénal britannique, la tâche de prouver la culpabilité d’un accusé revient traditionnellement à la Couronne, d’où l’origine de l’expression : « présumé innocent jusqu’à preuve du contraire ».

L’article 10 de la Loi de 1911 prévoyait que, dans le cas d’une poursuite pour simple possession ou trafic de drogues (à l’exception de l’importation et l’exportation), l’accusé devait prouver soit l’existence d’une excuse légitime, soit l’utilisation de telles substances à des fins thérapeutiques ou scientifiques pour être acquitté.  Lorsqu’en 1920, le Parlement a modifié la Loi sur l’opium et les narcotiques afin de mieux encadrer les importations et les exportations, la fabrication, la vente et la prescription par les médecins des drogues inscrites à l’annexe par le biais d’un permis, la procédure établie en 1911 fut modifiée afin de spécifier que l’accusé devait prouver qu’il disposait d’un permis dûment émis par le ministère de la Santé pour être acquitté.

Or, l’article premier de la Loi de 1921 a élargi l’application du renversement du fardeau de la preuve à toute personne qui possédait ou occupait un endroit (logement, magasin, boutique, entrepôt, jardin ou navire) où une drogue avait été trouvée.  Selon le libellé de l’article, elle était réputée posséder une telle substance si elle était incapable de prouver qu’elle était à cet endroit sans son consentement ou ignorait que la drogue s’y trouvait.

L’article prévoyait également l’application de cette procédure lorsqu’une personne était accusée de trafic d’opium brut ou préparé pour l’usage des fumeurs sans avoir préalablement obtenu un permis émis par les autorités fédérales.  En 1923, la Loi à l’effet de prohiber l’usage illicite de l’opium et autres drogues (Loi de 1923)[54] a étendu l’application de la procédure de renversement du fardeau de la preuve aux infractions relatives à l’exportation ou l’importation d’une drogue sans permis.  Dans les cas impliquant la prescription ou l’administration à des fins non-thérapeutiques d’une substance inscrite à l’annexe, un médecin ou un pharmacien devait prouver que cette substance avait été uniquement utilisée à des fins médicales.

La Loi de 1923 a annulé une autre garantie juridique fondamentale : le droit d’appel.  En effet, l’article 25 annulait le droit d’appel dans le cas d’une déclaration de culpabilité par procédure sommaire dans les cas de simple possession, de trafic de drogues sans permis ou lors de la vente, du don ou de la distribution d’une drogue à un mineur, une infraction qui était pourtant uniquement punissable par voie de mise en accusation !  L’article 26 de la Loi de 1929 a élargi cette procédure à la possession ou au trafic d’une substance qui s’apparente à une drogue.  Cette nouvelle procédure rendait caduque la disposition adoptée en 1911 interdisant toute demande de bref de certiorari et la Division des narcotiques a jugé bon de la retirer de la loi, ce qui fut fait en 1929.[55]

Deux autres modifications importantes furent apportées à la Loi sur l’opium et les narcotiques entre 1920 et 1930 : l’admissibilité du certificat d’un analyste fédéral et l’application des dispositions de la Loi sur l’identification des criminels suite à une déclaration de culpabilité par procédure sommaire.  L’article premier de la Loi de 1921 avait modifié la procédure judiciaire applicable en matière de poursuites relatives aux drogues en permettant l’admissibilité du certificat d’un analyste fédéral en preuve relativement à une ou plusieurs drogues saisies par les policiers.  Les tribunaux, cependant, hésitaient à accepter le certificat parce qu’ils étaient incapables d’authentifier la signature de l’analyste[56] ou de confirmer sa nomination.  En 1929, un amendement fut apporté à la Loi sur l’opium et les narcotiques (article 18) précisant que, dorénavant, le certificat constituait une preuve prima facie et péremptoire du statut de la personne qui le donnait ou l’émettait.  Dans ce contexte, la preuve de la nomination de cette personne ou l’authentification de sa signature n’était plus nécessaire.

En 1923, la Loi sur l’opium et les narcotiques fut amendée pour que s’appliquent aux personnes condamnées suite à une déclaration de culpabilité par procédure sommaire les dispositions de la Loi sur l’identification des criminels.  L’article 2 de cette loi autorisait la prise des empreintes digitales, des photographies ainsi que des mensurations par un policier uniquement dans le cas de poursuites par voie de mise en accusation.  Ces renseignements constituent le « casier judiciaire » officiel d’un individu qui est conservé dans les fichiers nationaux de la police avec toutes les conséquences que cela implique en matière de stigmatisation sociale, professionnelle ou familiale.  Or, du point de vue de la Division des narcotiques, cette modification était avantageuse puisqu’elle permettrait dorénavant d’établir des dossiers et de mieux surveiller les toxicomanes condamnés par procédure sommaire.

 

Les mesures de contrôle

La Loi modifiant la Loi de l’opium et des drogues narcotiques (Loi de 1920)[57] établissait un régime de contrôle du commerce légal de stupéfiants via un système de permis qui étaient émis aux entreprises, pharmaciens ou médecins par le ministère de la Santé le tout dans le but de mieux encadrer l’approvisionnement du Canada en drogues pour des fins médicales ou scientifiques.  Ainsi, la Loi prévoyait : l’interdiction d’importer ou d’exporter des drogues dans un port non-désigné à cette fin par les autorités fédérales ; l’émission de permis pour l’importation, l’exportation, la fabrication, la vente et la distribution de drogues ; l’imposition de critères concernant l’emballage et l’étiquetage de paquets contenant de telles substances ; l’obligation pour une entreprise de tenir un registre sur ses activités d’importation, d’exportation, de fabrication, de vente et de distribution de stupéfiants dûment autorisées par les autorités fédérales ; l’obligation pour les médecins de fournir les renseignements demandés par les autorités fédérales relativement à l’achat, la fabrication ou la prescription de médicaments contenant des drogues ; l’obligation pour un pharmacien de tenir un registre concernant ses achats ou ventes de drogues, la fabrication de ses propres médicaments contenant de telles substances et le renouvellement des ordonnances signées par un médecin[58] ; et l’autorisation de vendre des médicaments (tels les onguents ou liniments) contenant de très faibles quantités de drogues inscrites à l’annexe de la loi, sans permis, à condition qu’ils ne soient pas administrés à des enfants de moins de deux ans et qu’ils respectent certains critères d’étiquetage.

 

Les modifications à la Loi sur l’opium et les narcotiques en 1954

En 1954, le Parlement fédéral a adopté la Loi modifiant la Loi sur l’opium et les narcotiques (Loi de 1954)[59]  Cette loi abrogeait les infractions relatives à l’usage d’opium ou la possession d’équipements destinés à cette fin, la vente de drogues à un mineur et le trafic de stupéfiants par courrier.  Elle apportait également deux autres modifications importantes à la loi.

Sous l’impulsion de R. E. Curran, sous-ministre de la Santé, elle comprenait maintenant une définition de l’infraction de trafic de stupéfiants afin de rendre la loi plus compréhensible et augmentait la durée de la période d’emprisonnement maximal qui s’y rattachait de sept à quatorze ans.  La peine minimale d’emprisonnement de six mois ainsi que l’amende furent abrogés.  Désormais, cette infraction ne pouvait être poursuivie que par voie de mise en accusation seulement.  Ce crime était par contre toujours passible du fouet et de la déportation.[60]

Le paragraphe 4(3) de la Loi de 1954 créait une infraction de possession en vue de trafic à laquelle les nouvelles peines prévues pour le trafic de stupéfiant s’appliquaient.  Cette nouvelle infraction ferait en sorte que les détenteurs d’importantes quantités de stupéfiants ne puissent plus être condamnés pour simple possession.  Comme nous l’avons vu plus tôt, de 1911 à 1929 un renversement du fardeau de la preuve s’était opéré dans la législation canadienne en matière de drogues.  En 1954, le paragraphe 4(4) ajouta une nouvelle procédure pénale afin de faciliter les condamnations pour possession de stupéfiants à des fins de trafic.

Ainsi, dans toute poursuite criminelle impliquant cette infraction, le procureur de la Couronne devait d’abord prouver que l’accusé était illégalement en possession de la drogue.  L’intimé devait alors prouver qu’il ne possédait pas cette substance à des fins de trafic.  S’il réussissait sa démarche, il était trouvé coupable de simple possession, sinon, il était condamné pour trafic.  Les tribunaux canadiens, dans ce cas précis, ont établi une distinction entre le fardeau dit secondaire qui consiste à fournir la preuve d’un fait particulier (en l’occurrence le fait de prouver l’intention de trafic) et le fardeau primaire (la possession illégale) qui consiste à prouver ce fait lorsque tous les éléments de preuve sont réunis.  Ainsi, c’est toujours au procureur de la Couronne que revient le fardeau primaire d’établir qu’il y a bel et bien eu acte criminel.  Mais, dans le cas qui nous intéresse, la Couronne n’a pas à prouver l’intention de l’accusé en matière de trafic.  La preuve de possession illégale suffisait au tribunal pour conclure à l’intention de trafic.

L’adoption de cette modification faisait suite à une recommandation de la GRC et du Bureau des stupéfiants (anciennement Division des narcotiques) puisqu’à défaut d’un aveu de l’accusé, il était très difficile de prouver l’intention de trafic.  Or, cette nouvelle procédure affaiblissait considérablement les droits de l’accusé, surtout que la loi ne précisait pas la quantité de stupéfiants nécessaire à déterminer s’il s’agissait vraiment de possession en vue de trafic.  Tout compte fait, l’accusé était désormais coupable, jusqu’à preuve du contraire.[61]

 

Le rapport du Sénat de 1955

Eh oui !  Nous avions un prédécesseur.  Le 24 février 1955, le Sénat a adopté une motion prévoyant la création d’un Comité spécial sur le trafic de stupéfiants au Canada suivant la proposition faite, quelques semaines plus tôt, par le sénateur Thomas Reid.  À cette occasion, ce dernier avait demandé au Leader du gouvernement au Sénat, W. Ross MacDonald, si le gouvernement fédéral avait l’intention de créer un tel comité puisque, selon ses informations, dans la ville de Vancouver, le trafic de l’opium et d’autres stupéfiants échappait au contrôle des autorités policières.  Au cours du débat sur la motion, le sénateur MacDonald a bien résumé la tâche qui attendait les membres de la commission sénatoriale spéciale:

 

« Le travail du comité consistera surtout à étudier les causes de ce problème tragique [le trafic de stupéfiants] auquel doit faire face notre pays, à entendre des témoignages de spécialistes en la matière et à établir la façon dont le gouvernement peut le mieux contribuer à résoudre cette triste situation.  Le rapport du comité, fondé sur une appréciation objective, prudente et réaliste du problème, peut fort bien devenir un document de la plus grande importance qui influera en fin de compte sur la ligne de conduite à suivre pour résoudre efficacement cette question. » [62]

 

Suite à l’adoption de la motion, le sénateur Reid fut nommé président du Comité.  Du 15 mars au 17 juin 1955, le Comité a organisé des audiences publiques à Ottawa et fut le premier à voyager à l’extérieur de la capitale fédérale en organisant des séances à Montréal, Toronto et Vancouver.  Les sénateurs ont également rencontré, en plus des spécialistes, fonctionnaires et policiers, un groupe de 150 toxicomanes à la prison d’Oakalla à Vancouver afin de mieux comprendre les raisons qui les incitaient à consommer des stupéfiants.  Le Comité a entendu 52 témoins dont 13 provenaient d’organisations chargées d’appliquer la loi, 10 œuvraient au sein des différents ministères fédéraux concernés par la lutte au trafic de stupéfiants et 12 étaient spécialisés dans le traitement des toxicomanes.  Le 23 juin 1955, le sénateur Reid a déposé le rapport du Comité contenant une série de recommandations visant le traitement des toxicomanes et la lutte au trafic de stupéfiants.

Selon le rapport, les chiffres fournis par le ministère de la Santé révélaient qu’il y avait au Canada 515 « toxicomanes malades », c’est-à-dire devenus dépendants à une drogue suite au traitement d’une maladie, 333 « toxicomanes professionnels » (médecins, pharmaciens, etc.) et 2 364 « toxicomanes criminels », soit un total de 3 212.  Des personnes appartenant à cette dernière catégorie, 1 101 résidaient à Vancouver.[63]  Seulement 26 des 2 364 « toxicomanes » criminels étaient âgés de moins de 20 ans!

Pour établir un lien entre la criminalité et la toxicomanie et expliquer les difficultés d’établir des programmes de traitement, le Comité a cité une étude réalisée par la GRC mentionnant que sur 2 009 toxicomanes criminels, 341 avaient d’abord été déclarés coupables d’une première infraction à la Loi sur l’opium et les narcotiques, 1 220 avaient d’abord été condamnés pour d’autres crimes et les 478 autres avaient déjà un casier judiciaire.  La GRC en concluait que vraisemblablement 1 668 toxicomanes sur un total de 2 009 étaient des criminels, ce qui fut suffisant aux yeux des membres du Comité pour confirmer la thèse de l’usager « criminel » ou « contaminateur ».[64]  Même si les calculs et les déductions de la GRC étaient nébuleux, il devenait par contre « clair » pour les sénateurs que la toxicomanie n’était pas une maladie. 

Selon le comité, la plupart des toxicomanes provenaient de milieux défavorisés où la criminalité et les problèmes familiaux étaient omniprésents :

 

« Les témoignages des médecins rapportaient que la toxicomanie ne constitue pas une maladie proprement dite.  C’est un symptôme d’une faiblesse du caractère et des défauts de la personnalité de la victime.  Le toxicomane est d’ordinaire une personne émotivement déséquilibrée et instable à laquelle les stupéfiants donnent du “cran”.  Le Comité a appris avec consternation qu’on avait pu établir avec certitude dans relativement peu de cas que des toxicomanes, pendant qu’ils étaient en liberté, avaient réussi à se passer de drogues pour une période prolongée.  Les complications et les difficultés que présente le traitement de la toxicomanie eu égard aux habitudes du toxicomane et à ses tendances criminelles presque invariables ne sauraient être trop fortement soulignées. » [65]

 

Dans ce contexte, le Comité a rejeté à l’unanimité la création de cliniques gouvernementales qui fourniraient, moyennant certaines conditions, des cures d’entretien aux « toxicomanes criminels ».  Le rapport soulignait d’ailleurs qu’une résolution adoptée, à l’époque, lors de la 10e session annuelle de la Commission des stupéfiants des Nations-Unies, indiquait que cette forme de traitement n’était pas à conseiller.[66]  Il a également rejeté l’application du modèle du Royaume-Uni après avoir confirmé, à l’aide de spécialistes britanniques, que les médecins ne devaient pas encourager un toxicomane à persister dans sa toxicomanie s’il ne pouvait pas s’abstenir de consommer des stupéfiants, même après un long traitement impliquant la réduction graduelle des doses prescrites.  À cet égard, le rapport mentionne : « […] les drogues dangereuses sont assujetties au Royaume-Uni dans une large mesure à la surveillance qu’exigent les normes sévères des accords internationaux auxquels le Royaume-Uni, de même que le Canada, sont parties. »[67]

Puisque les « toxicomanes » sont « à l’origine des criminels, se livrant quotidiennement à des délits outre leurs violations de la Loi sur l’opium et les narcotiques », les autorités municipales et policières, plus particulièrement celles de Vancouver, devraient appliquer plus rigoureusement les dispositions du Code criminel concernant le vol, le vagabondage ainsi que la prostitution.  Citant un témoignage de Harry J. Anslinger devant un comité du Congrès américain, le rapport indiquait qu’une telle initiative réglerait une bonne partie du problème causé par la toxicomanie.  Dans un deuxième temps, le rapport notait que : « les dépositions de beaucoup de témoins ont recommandé la ségrégation et l’isolement de tous les toxicomanes pendant de longues périodes aux fins de traitements et de guérison. »[68]

Ainsi, afin d’éviter la propagation de ce « fléau » dans les pénitenciers et guérir les toxicomanes criminels condamnés pour un crime quelconque, le rapport proposait : « que les autorités des pénitenciers approfondissent les problèmes particuliers de la toxicomanie en vue de les isoler et leur imposer un traitement comprenant une formation spécialisée, une rééducation et autres mesures nécessaires à la solution des problèmes particuliers que l’usage des stupéfiants complique. » [69]  À vrai dire, tout comme l’avait fait le ministre de la Santé, Paul Martin, un an auparavant, le Comité a plutôt insisté sur les limites de la compétence fédérale et sur les efforts que les provinces devraient consacrer au traitement des toxicomanes qui n’avaient pas été condamnés pour un crime.  Préconisant toujours l’isolement de ces personnes, le rapport indiquait que le gouvernement fédéral voulait mettre à la disposition de la Colombie-Britannique la station fédérale de quarantaine de William‑Head, dans l’Île-de-Vancouver, pour qu’elle puisse la transformer en centre de traitement, semblable à celui qui existait à Lexington, dans l’État du Kentucky, aux États-Unis.  De plus, il proposait la création d’un programme national de santé afin d’appuyer financièrement les initiatives provinciales en matière de toxicomanie. 

Le Comité a également encouragé la création de groupes semblables aux Alcooliques anonymes.  Par contre, il a rejeté la création de campagnes nationales d’éducation auprès de la population et des adolescents sous prétexte : « que de tels programmes ne devraient pas être utilisés s’ils peuvent éveiller une curiosité indue chez les jeunes. »[70]  Le Comité a jugé bon d’appuyer la position prise par la Commission des stupéfiants des Nations Unies recommandant plutôt la création d’un programme « d’hygiène mentale » visant à détecter dans les écoles les comportements pouvant mener à la toxicomanie.

Puisque les programmes de traitement ne pouvaient pas guérir tous les toxicomanes, le Comité a aussi proposé l’adoption de certaines mesures pour mieux combattre le trafic illicite de stupéfiants.  Ainsi, il recommandait :

·                La création d’une infraction distincte concernant l’importation ou l’exportation illicite de stupéfiants afin de mettre fin à la contrebande ;

·                L’imposition d’une peine minimale d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à un maximum de 25 ans (perpétuité) pour cette nouvelle infraction ;

·                L’augmentation de la peine d’emprisonnement maximale de 14 à 25 ans pour les infractions de trafic ; et

·                La possibilité d’établir une preuve de complot afin de faciliter la condamnation des dirigeants d’organisations criminelles qui ne sont pas directement impliqués dans la vente de stupéfiants mais qui en retirent les bénéfices (le fameux « patron »).

 

Selon le Comité, la sévérité de ces peines aurait : « un effet préventif pour un grand nombre de toxicomanes qui pourraient être tentés d’aider à la distribution des stupéfiants; et qu’en les empêchant de se faire distributeurs de drogues, on fera en sorte que le « patron » ait plus de difficultés à écouler ces produits. »[71]  Plutôt que des gaspiller de précieuses ressources policières et judiciaires pour faire condamner les têtes dirigeantes du crime organisé qui étaient à l’origine du problème, il faillait éliminer les « trafiquants-toxicomanes » des quartiers des grandes villes et le problème serait réglé.   

Même si les propositions du Comité furent beaucoup plus conservatrices que celles proposées au cours des débats qui avaient précédé sa formation, la plupart de ses recommandations seront suivies par les autorités fédérales.  Dans un premier temps, il a contribué à la réalisation, en 1956, de plusieurs projets de recherche en Colombie-Britannique et en Ontario.  Dans un deuxième temps, le rapport du Comité du Sénat fut à l’origine de la plupart des nouvelles dispositions de la Loi sur les stupéfiants, adoptée en 1961, qui allait remplacer la Loi sur l’opium et les narcotiques.

de 1960 À la Commission Le Dain : À la recherche des raisons perdues

 

La période suivant la Deuxième Guerre voit l’arrivée de nouveaux discours en matière de contrôle des stupéfiants qui remettront en question l’approche adoptée par le Canada depuis 1908 pour lutter contre l’abus et le trafic de stupéfiants.  Ainsi, le mouvement international en faveur du respect des droits de l’homme, la création d’organismes voués à la défense des libertés civiles, la démocratisation graduelle de l’accès aux études universitaires, l’apparition et le développement de nouvelles disciplines appartenant au domaine des sciences sociales telles la criminologie, la psychologie, la sociologie, la science politique ou la sociologie du droit, les progrès scientifiques et les recherches en matière de toxicomanie ont contribué à créer de nouveaux groupes de pression formés de personnes plus articulées qui contestent l’utilisation du droit pénal comme solution « miracle » pour traiter les problèmes des drogues.  Mais il faudra attendre l’explosion de la consommation de drogues des années 1960, le mouvement de contestation hippie et les travaux de la Commission Le Dain, avant de voir se matérialiser ces revendications.

 

La Loi sur les stupéfiants (1961)

L’adoption de la Loi sur les stupéfiants (Loi de 1961)[72] a coïncidé avec l’entrée en vigueur de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961.  Cette dernière a joué un rôle important dans la création du système moderne de contrôle international des stupéfiants.  Il s’agissait d’un prolongement et d’un élargissement de l’infrastructure juridique internationale élaborée entre 1909 et 1953.  Les travaux visant le regroupement des neuf traités multilatéraux adoptés au cours de cette période en un seul texte international ont débuté en 1948 et le Canada a joué un rôle important dans la rédaction et les négociations qui ont mené à son adoption.

Même si la loi conserve la plupart des procédures criminelles ainsi que les infractions établies au cours des années précédentes, deux modifications feront l’objet de débats parlementaires importants : la création d’une infraction pour l’importation ou l’exportation illégale de stupéfiants et l’augmentation des peines pour l’infraction de trafic, et le traitement des toxicomanes.  Seront abrogées la peine d’emprisonnement minimal de six mois imposée lors d’une infraction pour simple possession, la procédure prévoyant l’application de la Loi sur l’identification des criminels dans le cas d’une déclaration de culpabilité par procédure sommaire ainsi que celle annulant le droit d’appel pour certaines infractions.

La Loi de 1961 était divisée en deux parties : la première, intitulée « Infractions et exécution de la Loi », placée sous l’autorité du ministre de la Santé, et la deuxième, « Détention préventive et détention aux fins de traitement », administrée par le ministre de la Justice.

L’article 5 de la Loi de 1961, créait, comme l’avait recommandé le Comité du Sénat, l’infraction d’importation et d’exportation de stupéfiants.  Quiconque en était reconnu coupable (par voie de mise en accusation seulement) était passible d’une peine minimale d’emprisonnement de sept ans jusqu’à un maximum de 25 ans.  Cette disposition visait à combattre la contrebande de stupéfiants entre les États-Unis et le Canada ainsi qu’à respecter les engagements internationaux contractés par le Canada en ratifiant la Convention unique.[73]

L’article 4 de la Loi de 1961 portait de 14 à 25 ans, comme le recommandait aussi le rapport du Comité du Sénat, la peine d’emprisonnement maximale pour le trafic de stupéfiants.  Le recours au fouet est éliminé.  Ces modifications s’appliqueront aussi à la peine prévue pour possession en vue de trafic.

La Partie II de la loi (articles 15 à 19) définissait la nouvelle politique fédérale en matière de détention préventive ou de traitement.  Dans un premier temps, le tribunal pouvait dorénavant ordonner, après une infraction de trafic, de possession en vue de trafic ou d’exportation ou importation de drogues et seulement si l’accusé avait déjà été condamné pour des infractions semblables, que ce dernier soit placé en détention préventive pour une période indéterminée.  Cette mesure remplaçait toute autre sentence qui avait pu lui être imposée.  Dans un deuxième temps, lorsqu’une personne était accusée pour une infraction de possession simple, de possession en vue de trafic, de trafic, ou d’exportation ou d’importation, le tribunal, sur demande du procureur de la Couronne ou de l’accusé, pouvait renvoyer ce dernier en détention pour examen afin de déterminer s’il était admissible à un programme de traitement pour toxicomanie.  Si tel était le cas, l’accusé devait être condamné à la détention aux fins de traitement dans une institution fédérale spécialisée pour une période indéterminée au lieu de toute autre sentence prévue par la loi.  Dans le cas d’une première infraction, la détention préventive ne pouvait excéder 10 ans.  La personne disposait d’un droit d’appel, était assujettie à la Loi sur les libérations conditionnelles et, à tout moment, pouvait être renvoyée en détention préventive si elle avait fait usage de drogues au cours de sa période de probation.

Enfin, la Loi de 1961 prévoyait que, si une province adoptait une politique de détention préventive accompagnée d’un programme de traitement pour toxicomanie (dans les cas qui n’impliquent pas une infraction à la loi), le gouvernement fédéral pouvait conclure une entente avec les autorités compétentes de cette province afin de transférer les toxicomanes dans les institutions fédérales spécialisées.  Ces nouvelles dispositions reprenaient en fait les propositions du Comité du Sénat.

Malgré l’intervention de deux ministres, cette politique de traitement, ayant toujours en trame une approche pénale et orientée jusqu’à un certain point vers la répression de « l’usager contaminateur » ou « l’usager criminel », n’a pas suscité l’intérêt des parlementaires.  Ces mesures furent adoptées sans opposition mais, pour des raisons obscures, ne furent jamais proclamées.  La Commission Le Dain s’est d’ailleurs interrogée sur cette décision du gouvernement fédéral : « Peut-être a-t-on eu des doutes sur la constitutionnalité de ces dispositions, ou a-t-on négligé de mettre au point les méthodes de traitement et les établissements nécessaires, ou encore le gouvernement s’est-il interrogé sur l’opportunité de la cure obligatoire. »[74]

Une autre disposition de la Loi de 1961, et non la moindre, fut adoptée par le Parlement sans débat.  Il s’agit de l’annexe.  La Convention unique de 1961 contenait une série d’annexes établies par l’Organisation mondiale de la santé comportant la liste des drogues soumises à un contrôle rigoureux afin d’éviter qu’elles ne soient utilisées à des fins autres que médicales ou scientifiques.  La majorité d’entre elles se retrouvaient à l’annexe de la Loi de 1961 qui, désormais, comptait plus de 92 drogues ou leurs dérivés répartis dans 14 grandes catégories (opium, cannabis, coca, phénypipédridine, etc.).  Aucun député n’a questionné le ministre de la Santé afin de déterminer les critères ou les raisons invoquées par son ministère afin d’assujettir un nombre aussi important de substances aux dispositions contraignantes de la loi.

 

La Loi sur les aliments et drogues et les barbituriques (1961)

Au début des années 60, la consommation de drogues qui n’étaient pas incluses dans l’annexe de la Loi sur l’opium et les narcotiques ou, plus tard, dans la Loi sur les stupéfiants a commencé à inquiéter les autorités médicales et gouvernementales.  Il s’agissait des acides barbituriques ou « goof balls », des amphétamines, des méthamphétamines ainsi que les sels et dérivés de ces trois substances.  Tombant dans la catégorie des drogues dites psychotropes, elles peuvent être utilisées pour réduire le stress, éliminer l’insomnie, stimuler l’activité musculaire et cérébrale ou éliminer l’appétit.

Or, lorsque les médecins et autres professionnels de la santé ont commencé à recenser au cours des années 50 plusieurs cas de dépendance aux barbituriques et l’existence de graves effets secondaires, ils ont demandé au gouvernement de mieux réglementer leur distribution et leur usage.  De plus, en 1957, suivant une enquête du ministère de la Santé auprès de 2 500 pharmacies, plus de 300 condamnations furent prononcées contre des pharmaciens qui n’avaient pas respecté les règlements concernant la prescription de barbituriques ou d’amphétamines.  Cette fois, il convient de le signaler, le discours des professionnels de la santé a davantage influencé les autorités gouvernementales que celui des policiers ou celui du Bureau des stupéfiants.  Deux facteurs furent à l’origine de l’inclusion de ces substances dans la Loi sur les aliments et drogues sous l’appellation de « drogues contrôlées » et non de la Loi sur les stupéfiants.  Dans un premier temps, certaines dispositions sévères de la Loi de 1961 étaient de plus en plus critiquées.  Dans un deuxième temps, l’utilisation de ces substances dans plusieurs médicaments vendus sous prescription faisait en sorte que leur usage était très répandu dans la population, notamment chez les personnes occupant de bons emplois, ce qui, en fin de compte, était bien différent du portrait peu élogieux du toxicomane dressé jusqu’alors.  Dans ce contexte, le recours aux dispositions de la Loi de 1961 était à proscrire.[75]

En 1961, le Parlement a donc adopté la Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (Loi sur les aliments et drogues de 1961)[76] afin de mieux réglementer le commerce de barbituriques et des amphétamines.  La nouvelle loi créait la Partie III concernant les « drogues contrôlées » inscrites à l’annexe G.  Elle créait une infraction de trafic ou de possession en vue de trafic passible, par mise en accusation, d’un emprisonnement maximal de 10 ans et, par procédure sommaire, d’une peine de prison maximale de 18 mois.  Toutefois, la simple possession de ces substances n’était pas illégale.  De plus, contrairement à la Loi sur les stupéfiants, la définition de trafic excluait la distribution ou le don d’une drogue contrôlée mais englobait les infractions d’importation et d’exportation.

Dans le cas des procédures criminelles applicables lors d’un procès, elles reprenaient plusieurs éléments de la Loi de 1961 tels la procédure concernant le renversement du fardeau de la preuve dans une poursuite pour possession à des fins de trafic, le recours à un certificat d’un analyste fédéral pour confirmer la nature de la drogue, les pouvoirs de perquisition et de saisie, la délivrance d’un mandat de main-forte, la restitution des substances saisies et la confiscation de ces dernières.

Enfin, l’annexe G de la loi comportait trois drogues soit les amphétamines, les acides barbituriques, les méthamphétamines ainsi que les sels ou dérivés de ces dernières.  Pendant les débats, un député a demandé pourquoi d’autres substances du même type n’étaient pas incluses dans l’annexe.  Le ministre de la Santé a répondu que selon les recherches scientifiques, seulement ces trois drogues étaient considérées dangereuses pour la santé humaine.[77]  De plus, tout comme dans l’ancienne Loi sur l’opium et les narcotiques et la nouvelle Loi sur les stupéfiants, le gouverneur en conseil pouvait adopter des règlements sur recommandation du ministre de la Santé et si l’intérêt public le justifiait afin de modifier l’annexe.[78]

 

La Loi sur les aliments et drogues et les hallucinogènes (1969)

En 1969, le Parlement a étendu l’application des contrôles législatifs et bureaucratiques aux drogues hallucinogènes en adoptant la Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (Loi sur les aliments et drogues de 1969).[79]  Ce texte législatif créait la Partie IV qui devait régir l’usage et le commerce des drogues à « usage restreint » énumérées à la nouvelle annexe J.  On y retrouvait la diéthylamide de l’acide lysergique (LSD), la N-Diéthyltryptamine (DET) ou la Méthyl-2,5-diméthoxyamphétamine (STP).

Afin de mieux contrôler l’usage et le commerce des drogues hallucinogènes, cette loi comprenait les mêmes infractions et procédures que celles s’appliquant aux barbituriques.  Elle créait également une infraction de simple possession afin de dissuader une personne de faire usage d’une telle drogue, passible, par voie de mise en accusation, d’une peine d’emprisonnement maximale de trois ans ou d’une amende de 5 000 $.[80]  Dans le cas d’une condamnation suite à une déclaration de culpabilité par procédure sommaire, s’agissant d’une première infraction, d’une peine de prison d’une durée maximale de six mois, d’une amende maximale de 1 000 $ ou l’une de ces deux peines.  Pour les infractions subséquentes, la loi prévoyait une peine d’emprisonnement maximale d’un an, une amende de 2 000 $ ou l’une de ces deux peines.

 

La Loi sur les stupéfiants et l’infraction de simple possession de cannabis

Lors des débats parlementaires concernant la Loi sur les aliments et drogues de 1969, le ministre de la Santé a proposé un amendement très important à la Loi sur les stupéfiants.  De 1921 jusqu’à l’adoption de la Loi sur les stupéfiants, la législation canadienne avait contenu une infraction mixte dans le cas de simple possession d’une drogue.  Or, depuis 1961, elle avait été uniquement considérée comme un acte criminel punissable d’une peine d’emprisonnement maximale de sept ans.  La modification proposée en 1969 conservait cette infraction, mais offrait à nouveau la possibilité d’une poursuite par procédure sommaire, recréant ainsi une infraction mixte. Dans le cas d’une condamnation suite à une déclaration de culpabilité par procédure sommaire, s’il s’agissait d’une première infraction, la loi prévoyait une peine d’emprisonnement maximale de six mois, une amende maximale de 1 000 $ ou l’une de ces deux peines  Pour les infractions subséquentes, une peine de prison d’une durée maximale d’un an, une amende de 2 000 $ ou l’une de ces deux peines.  Cette modification avait été jugée nécessaire par le ministre de la Santé puisque le nombre de poursuites pour simple possession de cannabis était passé de 493 en 1966 à 1 727 en 1969.[81] Selon lui :

 

« […] malgré l’énorme diversité des situations en cause, l’article pertinent de cette loi ne permet guère de flexibilité de la part des procureurs de la Couronne ni des juges ou des magistrats.  Aucune disposition ne permet de juger sommairement.  […] Cette rigidité a provoqué de plus en plus de critiques dans bien des milieux, par exemple, les agences de recherches sur la toxicomanie de plusieurs provinces. » [82]

 

Enfin, la Loi sur les aliments et drogues de 1969 apporta une modification à la procédure adoptée en 1929 prévoyant l’admissibilité du certificat d’un analyste fédéral au cours d’un procès pour une infraction concernant une drogue inscrite à l’annexe de la Loi sur les stupéfiants ou aux annexes G et J de la Loi sur les aliments et drogues.  Désormais, il serait permis au procureur de la Couronne de prouver oralement sous serment, par affidavit ou déclaration solennelle, le statut du signataire du certificat qui n’avait plus à se présenter devant le tribunal.  Toutefois, un juge pourrait exiger de l’analyste qu’il se présente devant lui afin d’être interrogé ou contre-interrogé pour mieux évaluer les renseignements inscrits dans l’affidavit ou la déclaration solennelle.  Cette modification visait à garantir un plus grand respect des droits fondamentaux de l’accusé.

 

La Commission Le Dain (1969-1973)

Les parlementaires ont réclamé lors de l’étude des dispositions de la Loi sur les aliments et drogues de 1969 la création d’un comité spécial qui étudierait la problématique des drogues au Canada, plus particulièrement le cannabis, ce que le gouvernement libéral de Pierre-Elliott Trudeau fit le 29 mai 1969 par l’arrêté en conseil 1969-1112 qui créa la Commission d’enquête sur l’usage des drogues à des fins non médicales, mieux connue sous le nom de Commission Le Dain.  L’un des motifs invoqués pour justifier sa création était :

 

« Que malgré lesdites mesures législatives et la surveillance exercée par la Gendarmerie royale du Canada et par d’autres forces policières pour assurer une stricte observation des prescriptions de la loi, le nombre des cas de possession et d’utilisation de ces substances à des fins non-médicales [sic] va en croissant, au point de nécessiter la tenue d’une enquête immédiate sur la cause de tels abus. » [83]

 

L’organisation des travaux et les rapports de la Commission

Les travaux de la Commission se sont déroulés de la mi-octobre 1969 jusqu’au 14 décembre 1973, date du dépôt du rapport final.  Au cours de cette période, elle a entendu 639 témoignages de groupes ou de particuliers ; 295 organismes ont présenté des mémoires et 43 ont témoigné devant les membres de la Commission ; 212 personnes ont présenté des mémoires et 89 ont témoigné oralement.  Au total, elle a siégé dans 27 villes, incluant Ottawa et les dix capitales provinciales, et parcouru 50 000 milles à travers le pays.  Au cours de son mandat, la Commission a publié quatre rapports : un rapport intérimaire (1970), un rapport spécial sur le cannabis (1972), un rapport sur le traitement (1972) et un rapport final (1973).  Outre son président, Gérald Le Dain, elle était composée de quatre commissaires : Ian L. Campbell, Heinz Lehman, Peter Stein et Marie-Andrée Bertrand.

Avant de revoir les recommandations de la Commission sur le cannabis, il est utile de soulever quatre aspects des travaux de la Commission que madame Marie‑Andrée Bertrand a soulevés devant de notre Comité.

Le premier concerne le mandat de la commission qui était « extrêmement généreux et ouvert » à savoir :

a)      Utiliser les sources disponibles au Canada et à l'étranger, les données et l'information existant au sujet de l'usage à des fins non médicales des stupéfiants sédatifs, stimulants, tranquillisants, hallucinogènes et d'autres drogues et substances psychotropiques ;

b)     Rédiger un rapport sur la situation actuelle de la connaissance médicale par rapport aux effets de ces drogues [...];

c)      Faire enquête et rédiger un rapport au sujet des motifs qui sous-tendent l'usage à des fins non médicales figurant en a) ; 

d)     Faire enquête et rédiger un rapport sur les facteurs sociaux, économiques, éducatifs et philosophiques relatifs à l'usage à des fins non médicales [...] en particulier, sur l'ampleur du phénomène, des facteurs sociaux qui le sous-tendent, les tranches d'âge des utilisateurs, et des problèmes de communication ; et 

e)      Faire enquête et établir des recommandations relatives à des orientations qui devraient être adoptées par le gouvernement fédéral, seules ou en collaboration avec d'autres paliers de gouvernement, pour réduire l'ampleur des problèmes d'un tel usage.

 

« L'amplitude de ce mandat a entraîné les commissaires et le personnel de la Commission dans un travail d'une grande envergure qui, à mon avis, a eu beaucoup d'impact sur la société canadienne.  Malgré l’absence totale d’effet sur la législation pénale, la Commission Le Dain a provoqué un changement considérable des mentalités dans la population canadienne, suscitant une prise de conscience des effets des drogues traditionnelles… » [84]  

 

Deuxièmement, la méthode utilisée par la Commission pour aller chercher l'opinion des Canadiens.  Après avoir mentionné les voyages de la commission, elle a rappelé que les audiences publiques donnaient au public l’opportunité de poser des questions et de confronter les experts. 

 

« Nous avons donc suscité un grand débat national sur les facteurs qui font que la société canadienne …peut recourir à des substances psychotropes pour alléger certains de ses maux.  À mon avis, la générosité du mandat, la méthode de consultation, le style et l'attitude des commissaires - et en particulier du président de la commission - ont engendré ce brassage d'idées sur la démocratie, sur le fonctionnement de l'État, et sur le sentiment d'aliénation que ressentaient et ressentent encore un grand nombre de Canadiens à l'endroit de leur gouvernement national, provincial ou municipal. » [85] 

 

Troisièmement, les recherches de la commission.  Madame Bertrand a rappelé qu’au meilleur de son mandat, elle avait 100 personnes à son emploi, dont 30 chercheurs à temps plein.  Ces chercheurs travaillaient essentiellement sur quatre cibles : (1) les effets des drogues, et notamment du cannabis, (2) l'usage des drogues, (3) les problèmes de traitement, et (4) l'influence des médias sur le phénomène.

Enfin, l'impact de la commission.  Selon elle, le débat démocratique que la commission a suscité a eu des effets considérables au niveau des connaissances sur les drogues.  Nombreux sont ceux qui ont compris que les stéréotypes du consommateur drogué et criminel étaient vraiment des stéréotypes.  Concernant les prises de conscience sur les facteurs expliquant le désir de consommer, la commission a aussi provoqué une réflexion fondamentale.  Enfin, rapidement après les débuts des travaux de la Commission, est apparu le sentiment d'aliénation de la population à l'endroit des politiques et des législateurs canadiens, ainsi que la frustration des citoyens de ne pas être entendus.

 

Le rapport spécial sur le cannabis

Avant de présenter leurs recommandations sur une nouvelle politique publique en matière de cannabis, les Commissaires ont fait plusieurs observations au sujet de la législation canadienne à l’égard de cette drogue.

 

v     La décision de criminaliser le cannabis a été prise « sans fondement scientifique évident ni même la conscience réelle d’un problème social […] ».[86]

v     Le renversement du fardeau de la preuve qui s’opère au niveau de la procédure d’établissement de la preuve pour une infraction de possession en vue de trafic impose un fardeau très lourd à l’accusé – ce qui affaiblit grandement le principe de la présomption d’innocence – puisqu’il doit prouver par la supériorité des preuves (prépondérance des probabilités) qu’il n’avait pas l’intention de trafiquer et non pas uniquement en soulevant un doute raisonnable dans l’esprit du juge ou du jury.

v     L’application de la loi est rendue très difficile par la nature même des infractions qui se produisent dans un milieu clandestin et souvent sur une base consensuelle, ce qui nécessite le recours à des méthodes exceptionnelles d’exécution de la loi.  Or, « l’effet de leur application dans le cadre des lois sur les stupéfiants est l’une des principales causes de l’inquiétude que suscitent les répercussions du droit criminel dans ce domaine. ».[87]

v     Les policiers de la GRC ainsi que ceux à l’emploi des services de police provinciaux ou municipaux ne disposent pas des ressources financières, humaines et techniques nécessaires pour faire, à la fois, échec au trafic de stupéfiants et s’occuper des délits de simple possession.  Trop souvent, les cas de simple possession sont découverts par hasard au cours d’autres enquêtes policières ou de filatures s’échelonnant sur plusieurs mois, provoquant ainsi une application discriminatoire de la loi.

v     Les choix de poursuites (mise en accusation ou procédure sommaire) varient considérablement d’une région à l’autre du pays, influencés par le nombre de causes impliquant des stupéfiants et la discrétion importante qu’exercent les procureurs de la Couronne en cette matière.  Cette inégalité dans l’application de la loi peut avoir des conséquences extrêmement graves sur l’avenir d’un accusé notamment s’il hérite d’un casier judiciaire.[88] 

v     L’imposition de sentences pour des infractions relatives aux drogues varie considérablement au Canada en raison des perceptions qu’ont les juges du problème de la toxicomanie, de leur expérience en droit pénal et des causes impliquant la simple possession ou le trafic de stupéfiants.  Selon les recherches de la Commission, plus les juges étaient expérimentés dans ces deux domaines, moins sentences étaient sévères.  Par exemple, dans le cas de simple possession, ils imposaient une amende ou la mise en liberté surveillée lorsqu’un accusé n’avait pas de casier judiciaire et, dans une affaire de trafic, une peine d’emprisonnement inférieure à deux ans.[89]

v     De 1968 à 1971, la proportion des peines d’amendes imposées pour simple possession de cannabis est passé de 1 % de toutes les condamnations à plus de 77 %.[90] 

 

Même si les commissaires s’entendaient sur ces observations, leurs conclusions et recommandations n’ont pas été unanimes.

 

 

L’opinion de la majorité : Les recommandations de Gérald Le Dain, Heinz Lehman et Peter Stein

Dans le but de mieux expliquer l’origine de ses recommandations, la majorité a fondé ses conclusions sur la notion de préjudice comme principal critère qui devait définir une nouvelle politique sociale en matière de cannabis.  Ce principe est associé à la fois au préjudice que l’individu subit lorsqu’il utilise une substance nocive, plus particulièrement en ce qui a trait à sa santé physique ou mentale, et à celui qu’il fait subir à la société, c’est-à-dire les conséquences sur son milieu familial ou professionnel.  La notion de préjudice était importante aux yeux de la majorité puisqu’elle permettait d’évaluer si la société devait se préoccuper des effets nuisibles du cannabis sur la santé humaine et la société et, si tel était le cas, dans quelles limites le droit pénal devait s’appliquer afin de les réduire.  Devait-on criminaliser la simple possession de cannabis ou seulement son trafic ?  Devait-on prévoir l’application de mesures telles la décriminalisation ou légalisation?

Dans un premier temps, la majorité a voulu éliminer certains mythes à l’égard des dangers du cannabis :

 

« La nocivité du cannabis est loin d’avoir été démontrée de façon complète et concluante.  On trouve dans presque toute la preuve des défauts de méthodologie ou de raisonnement.  […] Dans l’ensemble, les effets physiques et psychiques du cannabis aux niveaux actuels de la consommation en Amérique du Nord semblent beaucoup moins graves que ceux de l’alcoolisme.  Toutefois, notre connaissance d’usages excessifs et persistants ne nous permet pas encore de tirer des conclusions fermes et définitives. » [91]

 

En ce qui concerne le syndrome amotivationnel, elle a déclaré que la Commission n’avait pas de données concluantes sur la modification de la personnalité qu’entraînerait l’usage de cannabis.

 

« Certains observateurs évoquent l’apathie, la perte d’intérêt, la concentration sur le présent et le souci de l’avenir.  Tous ces symptômes peuvent aussi bien témoigner d’une profonde transformation du système de valeurs et de l’attitude, transformation salutaire aux yeux de plusieurs. »[92]  Selon la majorité, toutes « ces préoccupations justifient l’élaboration d’une politique restrictive visant à restreindre l’usage du cannabis, surtout chez les adolescents.» [93]

 

La Commission ne disposait pas de données scientifiques précises et concluantes pour déterminer les effets nocifs ou bénéfiques du cannabis.  Par contre, même si elle croyait que les dangers du cannabis étaient exagérés notamment en ce qui concerne la conduite d’un véhicule automobile, la polytoxicomanie, l’activité cérébrale à long terme et la criminalité, elle a tout de même reconnu que le cannabis, comme toutes les autres drogues, peut avoir des effets particulièrement nocifs lorsqu’il est consommé avec d’autres drogues et qu’il pouvait nuire au processus de développement des adolescents.  La majorité a aussi expliqué que, même si l’usage du cannabis ne menaçait pas les fondements de la société canadienne ainsi que son système de valeurs basé, entre autres, sur une vie productive, on ne pouvait exclure cet élément comme facteur d’influence dans l’élaboration d’une nouvelle politique sur le cannabis.

Dans un deuxième temps, comme l’usage de cette substance comporte, en plus des problèmes de santé, des coûts familiaux et socio-économiques importants, la majorité a légitimé le recours au droit pénal en affirmant :

 

« À notre avis, il incombe à l’État de restreindre l’accessibilité des substances nocives [surtout pour les jeunes], et cette restriction relève à juste titre du droit pénal […] lorsqu’à son avis la possibilité d’un tort quelconque semble exiger de telles mesures. » [94]

 

Pour cette raison, la majorité a rejeté le modèle de politique publique basée sur la légalisation de l’usage et de la distribution du cannabis.  Même si la légalisation avait eu pour avantage de mieux contrôler l’offre et la qualité de cette drogue sans entraîner une augmentation considérable du nombre d’usagers à long terme, elle aurait pu entraîner le déplacement de certains consommateurs vers le haschich, dont la concentration de THC est plus forte ou inciter les usagers à consommer plus de cigarettes ou d’autres produits de cannabis afin d’obtenir l’effet psychoactif recherché.  Ce qui aurait annulé l’efficacité des mesures de contrôle et augmenté les risques d’abus.  Cette politique aurait également rendu le produit plus accessible aux jeunes. [95]

Ainsi, la majorité préconisait le maintien des infractions de trafic, de possession en vue de trafic, d’importation et d’exportation de cannabis.  Toutefois, dans le cas du contrôle de la demande, elle a adopté une position beaucoup plus libérale:

 

« Il ne faut pas avoir recours au droit pénal pour sanctionner la moralité sans égard à la nocivité réelle ou possible de l’acte lui-même.  […] Si nous admettons que la société a le droit d’avoir recours au droit pénal pour restreindre l’accessibilité à des substances nocives afin de protéger les individus [en particulier les jeunes] et la société, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’il faudrait appliquer les dispositions du droit pénal à l’usager tout comme au distributeur. » [96]

 

Dans ce contexte, des modifications à la Loi sur les stupéfiants s’imposaient puisque, selon la majorité : « nous ne croyons pas qu’un changement à la loi fausserait nécessairement les jugements et la prudence qui, à notre avis, doit entourer le cannabis. »[97]  Ainsi, il fallait rétablir la confiance et le respect de la population canadienne envers la politique sur le cannabis en modifiant la classification des drogues inscrites à l’annexe de la loi, notamment celle du cannabis.  La majorité s’appuyait sur le fait que :

 

« La Convention unique classe le cannabis avec les opiacés, mais elle n’exige pas des Parties qu’elles l’assujettissent aux mêmes dispositions pénales.  Si on assimile à tort le cannabis aux opiacés, la Convention unique n’empêche certainement pas les législations nationales de corriger cette erreur.  La classification et les dispositions législatives sont si généralement considérées comme erronées et indéfendables que toute modification propre à les rendre plus conformes aux faits susciterait probablement un plus grand respect et d’attention [envers la loi]. » [98]

 

Le rétablissement de la confiance de la population dans la Loi sur les stupéfiants passait également par une révision complète des sanctions pénales relatives au cannabis.  Pour ce faire, la majorité a insisté sur le fait que le préjudice qu’impose le droit pénal, plus particulièrement aux simples usagers, est plus grave que celui que pose la consommation de cette drogue sur leur santé ou leur environnement.  Dans son analyse, la majorité s’est attardée aux conséquences des peines sur les jeunes puisque plus 85 % de tous ceux qui avaient été condamnés pour simple possession ou trafic de cannabis en 1970 et 1971 avaient moins de 25 ans.

Ainsi, l’imposition d’un casier judiciaire pouvait avoir des conséquences néfastes sur l’avenir des jeunes limitant les possibilités de déplacement et provoquait une certaine forme de stigmatisation familiale, sociale ou professionnelle à leur endroit.  Selon la majorité, la possibilité d’obtenir un pardon, n’est pas suffisante pour amoindrir cette situation puisque : « la condamnation est inévitablement connue d’un plus grand nombre et, le cas échéant, toute personne peut la découvrir par une investigation poussée. »[99]  En effet, la Loi sur le casier judiciaire prévoit seulement l’élimination des données du casier judiciaire entreposé dans les fichiers nationaux de la police suite à un pardon, mais non celles des rapports d’enquêtes policières ni des documents juridiques entreposés dans les Palais de justice relativement au procès et à la sentence et, encore moins des articles de journaux.

De plus, la majorité a condamné les peines excessives pour usage de cannabis en affirmant : « Elles sont loin de correspondre aux préjudices que pourrait causer le cannabis.  Elles sont d’ailleurs exagérées par comparaison avec celles qu’imposent la plupart des autres pays. »[100]  Elle a critiqué l’imposition d’une peine d’emprisonnement maximale de sept ans pour la culture de cannabis à des fins personnelles, l’existence d’une peine minimale de sept ans de prison pour l’importation ou l’exportation de drogues ainsi que la possibilité d’être emprisonné à vie pour trafic de cette drogue.  La critique de la majorité portait aussi sur la définition de cette infraction.  Comprenant le « don » ou « l’offre », des personnes pouvaient être accusées de trafic en raison du simple échange d’« un joint » lors d’une soirée entre amis.  La majorité mentionnait aussi que la sévérité de ces peines était exacerbée parce que :

 

v     Dans les poursuites relatives à la possession de cannabis en vue de trafic, la Couronne ne pouvait procéder que par voie de mise en accusation avec pour résultat l’imposition de peines plus élevées ; et

v     L’application de la Loi sur les stupéfiants était discriminatoire (enquêtes policières, discrétion des procureurs de la Couronne dans le choix du mode de procès, le renversement du fardeau de la preuve au détriment de l’accusé et l’expérience des juges).

 

La criminalisation du cannabis avait un autre effet négatif puisque, comme la simple possession et la culture étaient illégales, cela encourageait la création d’un monde clandestin ou certains doivent commettre des crimes pour payer leur drogue ou, à tout le moins, fréquenter d’autres délinquants pour s’en procurer.  Dans certains cas, la fréquentation d’un tel milieu pouvait inciter à l’utilisation de drogues dangereuses.  Selon la majorité, pour un faible nombre d’usagers de cannabis :

 

« La légalisation du cannabis n’empêchera pas le recours au marché clandestin des autres drogues.  Du point de vue de l’influence, les contacts entre usagers sont beaucoup plus redoutables qu’avec les trafiquants.  La plupart des usagers sont amenés à d’autres drogues par des habitués, et il ne faudrait pas croire que la légalisation du cannabis ferait tomber l’intérêt pour les autres drogues. » [101]

 

Enfin, l’utilisation de pouvoirs policiers extraordinaires tels les mandats de main‑forte, souvent envers les usagers, ne faisaient que contribuer au discrédit de la loi et minait conséquemment le moral des forces policières.[102]

Pour toutes ces raisons, la majorité a recommandé que :

 

v     L’importation et l’exportation soient comprises dans la définition de trafic, comme dans la Loi sur les aliments et drogues, et non passibles d’un période minimale d’emprisonnement ;

v     La possibilité de procéder sommairement dans les affaires impliquant la possession de cannabis en vue de trafic et que la peine pour cette infraction soit ramenée, dans le cas d’une mise en accusation, à cinq ans et, lors d’une procédure sommaire, à 18 mois avec la possibilité d’une amende comme alternative à l’emprisonnement ;

v     L’élimination de l’infraction de simple possession de cannabis ;

v     Le retrait de la notion de « don » dans la définition de trafic si le cannabis est susceptible d’être consommé en une seule fois ;

v     L’élimination de l’infraction de culture de cannabis pour des fins personnelles ; et

v     L’allégement du fardeau de la preuve exigé de l’accusé dans le cas d’une poursuite pour possession à des fins de trafic en précisant dans la loi qu’il n’a qu’à susciter un doute raisonnable dans l’esprit du tribunal afin de ne pas être condamné pour trafic de stupéfiants.

 

 

Opinion minoritaire : Les recommandations de Marie-Andrée Bertrand

Pour Marie-Andrée Bertrand, la politique canadienne en matière de cannabis avait besoin d’une réforme sérieuse qui allait bien au delà de simples modifications à la Loi sur les stupéfiants.  En ce sens, elle a adopté une approche beaucoup plus libérale que celle de la majorité et plus particulièrement, comme nous le verrons plus loin, de Ian L. Campbell.  Selon elle, les recherches de la commission : « […] établissent qu’un grand nombre de personnes en ont consommé – un million ou davantage au Canada – et que très peu d’entre elles ont dû recourir aux soins d’un médecin ou d’un psychiatre pour en avoir fait usage.  D’une manière générale, fumer de la marijuana ou du haschisch n’entraîne pas de graves problèmes personnels ni ne développe la criminalité. »[103]  De plus, les cas d’usage abusif du cannabis étaient exceptionnels puisque la majorité des usagers l’utilisait occasionnellement pour des fins récréatives.  Ainsi, toute nouvelle politique publique visant à contrôler efficacement son usage sans toutefois causer de préjudice à la fois aux consommateurs et à la société devait tenir compte de ces éléments déterminants.  Il fallait donc éliminer le recours au droit pénal.  Selon la Commissaire, plusieurs arguments militaient en faveur d’une telle conclusion.

Tout comme la majorité, elle a d’abord rejeté plusieurs préjugés à l’égard de la nocivité du cannabis sur la santé humaine, notamment ses effets sur l’activité cérébrale et la conduite d’un véhicule automobile, reconnaissant néanmoins qu’à forte dose cette substance pouvait causer des psychoses.  Même si Marie-Andrée Bertrand a reconnu que le cannabis pouvait nuire au développement d’un adolescent, elle a affirmé que bien peu de faits étayaient l’hypothèse avancée par la majorité.[104]  Elle a également conclu que cette drogue ne provoquait pas la criminalité, l’agressivité ou le fameux syndrome amotivationnel.[105]  Enfin, elle a rejeté l’argument voulant que le cannabis favorise la polytoxicomanie chez la plupart des usagers :

 

« Il est vrai qu’une certaine proportion d’usagers de cannabis prennent d’autres drogues.  […] Il ne s’agit pas d’un phénomène se limitant au cannabis, au L.S.D. et aux amphétamines, combinaison n’atteignant qu’une petite proportion d’usagers, – [sic] mais d’un recours presque aveugle à des produits agissant sur l’humeur de notre société.  Compte tenu de la consommation d’alcool, on peut dire que les Canadiens font une grande consommation de psychotropes multiples, même si l’on exclut le cannabis. »[106]

 

Deuxièmement, les usagers ne pouvaient pas s’assurer de la qualité du cannabis qu’ils achetaient avec toutes les conséquences que cela implique vu le caractère illégal et clandestin des moyens de production et de commercialisation.  En ce sens, elle a répondu à l’argument de la majorité voulant que le contrôle de la qualité du cannabis dans un marché légal fasse en sorte que plusieurs consommateurs se déplaceraient vers le haschisch en précisant qu’aucune preuve d’une telle possibilité n’avait été établie.[107]

Troisièmement, la répression du commerce et de l’usage illicite de cannabis était coûteuse et inefficace.  Le contrôle du trafic, malgré tous les efforts déployés par les agents de la GRC et les policiers municipaux ainsi que l’imposition de sanctions pénales sévères, était inefficace.  Les peines prévues pour la simple possession n’avaient plus aucun effet dissuasif puisqu’un million de Canadiens faisaient ou avaient déjà fait usage de cannabis.

Quatrièmement, dans sa forme actuelle, la loi n’avait pas de caractère éducatif ou dissuasif puisque la perception qu’ont les Canadiens des préjudices que cause le cannabis n’était plus la même que celle du gouvernement.  À ce sujet, Marie‑Andrée Bertrand indiquait :

 

« Mais facteur plus important et sous-tendant les problèmes d’application de la loi, un changement progressif s’est opéré chez les Canadiens quant à la nocivité de cette substance.  Il a fallu se rendre à l’évidence, le cannabis n’engendre pas de dépendance physique.  On a contesté les opinions reçues.  […] Cependant, le maintien de l’interdiction du cannabis a provoqué chez de nombreux usagers un mépris général de la loi. » [108]

 

Pour toutes ces raisons, Marie-Andrée Bertrand recommandait la « légalisation contrôlée » du cannabis.  En somme, le gouvernement fédéral devait retirer cette drogue de la Loi sur les stupéfiants et entreprendre des pourparlers avec les provinces en vue d’en soumettre la vente et la consommation à des contrôles semblables à ceux qui s’appliquent à l’alcool.  Un tel système s’appuierait sur une réglementation permettant, d’une part, l’interdiction de la distribution ou la vente aux mineurs et, d’autre part, la mise en marché d’un produit de qualité et à un prix qui éliminerait tout risque de contrebande.  Afin de garantir le succès d’une telle réforme, les gouvernements fédéral et provinciaux devaient collaborer afin de mettre au point des méthodes de production et de commercialisation tout en menant des recherches épidémiologiques multidisciplinaires afin d’évaluer les répercussions d’une politique de légalisation contrôlée sur la santé ou le comportement humain et déterminer les modalités d’usage.[109]

Enfin, pour Marie-Andrée Bertrand, cette politique serait bénéfique non seulement pour les usagers, mais également pour les gouvernements fédéral et provinciaux en raison des revenus considérables prévisibles provenant de la taxation des ventes d’un produit aussi populaire.[110]

 

 

Opinion minoritaire : Les recommandations d’Ian Campbell

Contrairement aux recommandations très libérales de Marie-Andrée Bertrand, celles proposées par Ian Campbell avaient un ton beaucoup plus conservateur.  Bien qu’il se soit rallié aux conclusions de la majorité, il croyait fermement que la décriminalisation de la simple possession de cannabis serait mal interprétée par les médias et la population.  Dans le cas de la légalisation, le signal envoyé à la société, plus particulièrement aux jeunes, serait que le cannabis est une drogue inoffensive et pourrait éventuellement mener à l’acceptation de l’usage d’autres drogues beaucoup plus dangereuses.  À cet égard, il affirme que, dans les deux cas :

 

« Il y a risque aussi, à mon avis, que la levée de l’interdiction de la possession de cannabis, même par des adolescents, soit faussement interprétée comme une indication que la société est prête à accepter avec indulgence l’usage de la drogue, ce qui n’a pas été établi.  Que les raisons d’une levée de l’interdiction soient mal interprétées ou non, je suis convaincu que cette libéralisation entraînerait une augmentation du nombre d’usagers.  […] Le risque de cette progression est probablement moindre chez ceux pour qui la loi actuelle a eu un effet préventif que chez ceux qui ont déjà fait usage de cannabis, mais il est néanmoins réel pour un grand nombre. » [111]

 

Selon lui, le maintien de la prohibition avait un avantage bénéfique, celui de protéger les jeunes contre les préjudices du cannabis :

 

« Les dangers du cannabisme sont probablement moins graves chez les adultes que les jeunes, mais suffisamment de raisons, à mon avis, militent en faveur d’une interdiction absolue.  L’une d’elle, et non la moindre, est l’impossibilité pratique où l’on se trouve actuellement d’avoir recours à la loi pour faire comprendre les dangers du cannabisme sans maintenir l’interdiction pour tous, jeunes ou vieux. » [112]

 

Dans ce contexte, la loi servait les intérêts de la prévention et de la moralité en protégeant l’individu et la société.  Poursuivant sur cette lancée, il a déclaré, à propos du cannabis et de l’immaturité des jeunes :

 

« On s’est inquiété récemment à juste titre des préjudices causés aux personnes qui doivent assumer prématurément trop d’obligations et de responsabilités.  Il me semble, par contre, qu’on ne s’est pas assez préoccupé ces derniers temps des conséquences que peut avoir pour les jeunes un excès de libertés. » [113]

 

Malgré tout, à l’instar des autres commissaires, il reconnaissait le fait que certaines sanctions pénales prévues par la loi puissent causer à certaines personnes un préjudice disproportionné par rapport à la nocivité réelle du cannabis sur la santé humaine et la société.  Il a donc proposé le maintien des infractions de simple possession et de culture de cannabis, tout en précisant qu’elles ne devraient être jugées que par procédure sommaire et seraient passibles d’une amende de 25 $ pour la première infraction et de 100 $ à chaque récidive.  Non seulement le maintien de la prohibition serait à l’avantage de l’usager, mais également des policiers puisqu’il :

 

« est tout à fait raisonnable de penser, en effet, que la plupart des personnes qu’on arrête pour possession de drogue, à la suite d’une enquête systématique de la police, sont effectivement coupables de trafic. » [114]  

 

Les travaux de la Commission Le Dain se sont terminés le 14 décembre 1973 avec le dépôt du rapport final.  Le 31 juillet 1972, le ministre de la Santé, John Munro, avait dévoilé la politique que le gouvernement fédéral voulait suivre suite au dépôt du rapport spécial de la Commission sur le cannabis.  Même s’il a refusé de légaliser l’usage du cannabis, le ministre a déclaré son intention de soustraire le cannabis à la Loi sur les stupéfiants afin de l’inscrire à la Loi sur les aliments sur les drogues.  Cette mesure serait accompagnée d’un allégement des peines pour certaines infractions relatives à cette drogue, de programmes de recherche et d’éducation concernant son usage non médical et d’une atténuation des conséquences juridiques pour les usagers.  Cette mesure aurait également englobé le haschisch puisque le gouvernement « voulait faire une distinction claire entre cette drogue [cannabis] et les stupéfiants dangereux comme l’héroïne. »[115]  Deux ans plus tard, le 26 novembre 1974, le gouvernement fédéral déposait au Sénat le projet de loi S‑19 afin de remplir ses engagements.

 

Le projet de loi S-19 et le cannabis

Le projet de loi S-19 créait la Partie V de la Loi sur les aliments et drogues intitulée « Cannabis ».  Ainsi, comme le recommandait l’opinion de la majorité dans le rapport spécial de la Commission Le Dain, cette drogue ainsi que ses usagers n’étaient plus soumis aux dispositions sévères de la Loi sur les stupéfiants.

L’article 7 du S-19 définissait « cannabis » comme étant le haschisch, la marijuana, le cannabidol ainsi que le THC.  Il maintenait l’infraction de simple possession qui, toutefois, ne pouvait être poursuivie que par procédure sommaire.  Quiconque en était déclaré coupable serait passible, dans le cas d’une première infraction, d’une amende maximale de 500 $ ou, à défaut de paiement, d’une peine d’emprisonnement maximale de six mois.  Dans le cas d’une récidive, l’amende serait fixée à un montant ne pouvant dépasser 1 000 $ ou, à défaut de paiement, d’une peine de prison d’une période qui ne pouvait excéder six mois.  Comme on peut le constater, le législateur privilégiait désormais l’amende à l’emprisonnement pour la simple possession.

Le projet de loi maintenait également les infractions de trafic, de possession en vue de trafic ainsi que de culture de cannabis sans permis prévues par la Loi sur les stupéfiants, passibles, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, d’une amende maximale de 1 000 $, d’un emprisonnement maximal de 18 mois ou l’une de ces deux peines et, par une mise en accusation, d’une peine de prison d’une durée maximale de 10 ans.  Les peines prévues étaient donc moins élevées que celles prévues par la Loi de 1961 sauf pour la culture de cannabis.  En effet, même si le projet S‑19 créait une infraction mixte pour ce crime, la peine d’emprisonnement maximale était beaucoup plus élevée (dix ans plutôt que sept lors d’une poursuite par voie de mise en accusation).

Enfin, lorsqu’une personne était reconnue coupable d’exportation ou d’importation de cannabis, elle s’exposait, dans le cas d’une déclaration de culpabilité par procédure sommaire, à une peine d’emprisonnement maximale de deux ans et, lors d’une mise en accusation, d’une peine minimale d’emprisonnement de trois ans pouvant aller jusqu’à quatorze ans.  On voulait ainsi démontrer que les activités de trafic et de contrebande de cannabis étaient des crimes que le législateur jugeait encore et toujours comme très graves.

Outre ces infractions, le projet de loi S-19 comportait également les procédures criminelles incluses dans les parties III et IV de la Loi sur les aliments et drogues (preuve de possession en vue de trafic, certificat de l’analyste, pouvoirs policiers, etc.).  Enfin, les dispositions concernant les règlements qui pouvaient être adoptés par le gouverneur en conseil concernant la délivrance de permis pour la culture et la simple possession de cannabis étaient désormais inscrites dans la nouvelle Partie V.

Le projet de loi a été étudié par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.  Le rapport de ce dernier recommandait trois amendements.  Le premier ajoutait une disposition prévoyant une dérogation à Loi sur le casier judiciaire à l’effet que toute personne qui fut absoute inconditionnellement ou sous condition bénéficierait automatiquement du pardon.  Cette mesure avait pour but d’éliminer du Centre d’information de la police canadienne (CIPC) toute possibilité qu’un casier judiciaire subsiste après absolution.  Le deuxième amendement portait de 10 à 14 ans moins un jour la peine d’emprisonnement maximale pour le trafic de stupéfiant.  Le troisième abrogeait la peine minimale de trois ans pour contrebande.

Le projet de loi S-19 fut adopté le 15 juin 1975 en troisième lecture et a été envoyé à la Chambre des communes où il n’a jamais franchi l’étape de la deuxième lecture.  À l’automne 1976, Mitchell Sharp a déclaré dans une entrevue que le projet ne serait pas réintroduit puisque des projets de lois plus importants étaient à l’étude.

 

 

AprÈs Le Dain : la fuite en avant

 

Tout au long des années 70, plusieurs politiciens fédéraux ont promis des réformes majeures afin d’alléger, voire d’éliminer, les sanctions pénales imposées aux usagers de cannabis.  En 1972, le Parti libéral du Canada a inscrit dans sa plate-forme électorale son intention de modifier la politique canadienne sur la marijuana[116], ce qui a probablement donné naissance au projet de loi S-19.  En 1978, le chef du Parti progressiste-conservateur, Joe Clark, a déclaré qu’un gouvernement formé par sa formation politique décriminaliserait la simple possession de cette drogue.[117]  Toutefois, au début des années 80, les promesses de réforme ont cessé.

Au milieu des années 80, les Canadiens vont assister à une modification importante de la position du gouvernement fédéral à l’égard des drogues.  Cette nouvelle réalité n’était peut-être pas étrangère à la politique américaine de « guerre contre la drogue » adoptée au début des années 80 par le Président Ronald Reagan.  Désormais, les États-Unis redeviendront très actifs au sein des organisations internationales de contrôle des stupéfiants afin d’inciter la communauté internationale à prendre des mesures énergiques pour mettre fin au trafic de stupéfiants qui « menace la jeunesse américaine ».

En 1987, le Canada s’est activement impliqué dans les travaux de la Conférence internationale sur l’abus et le trafic de drogues illicites.[118]  Deux événements importants se sont produits lors de cette réunion organisée sous l’égide des Nations Unies.  Dans un premier temps, les délégués ont adopté un Schéma multidisciplinaire complet pour les activités futures de lutte contre l’abus des drogues encourageant les États à respecter leurs obligations en vertu des traités existants.  Cette initiative ciblait quatre domaines importants : la prévention et la réduction de la demande de drogues illicites, le contrôle de l’offre, la suppression du trafic illicite, et le traitement et la réadaptation.  Pour la première fois, les instruments juridiques internationaux prévoyaient explicitement la réduction de l’offre.  Dans un deuxième temps, les délégués ont mis la dernière touche au traité visant à réprimer le trafic de stupéfiants à l’échelle mondiale.  Ce traité fut adopté à Vienne le 20 décembre 1988 sous le nom de Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes (Convention de 1988).

En plus de sa participation aux travaux ayant mené à l’adoption de cette convention, dès le milieu des années 1980, le Canada a multiplié ses activités sur la scène internationale en matière de drogues.  En juin 1987, le Canada ratifie la Convention sur les substances psychotropes de 1971[119]; et promet d’accroître sa participation financière au Fonds des Nations Unies pour la lutte contre l’abus des drogues à 1 million $ d’ici 1991.  Le gouvernement canadien justifiait sa participation sur la scène internationale en matière de stupéfiants en précisant que:

 

[Traduction] « Le gouvernement agit pour endiguer le flux de drogues qui entrent ou sortent du Canada, non seulement parce que les Canadiens sont victimes de toxicomanie, mais parce que nous avons aussi un rôle important à jouer comme citoyens responsables dans le monde. » [120]  

 

Cette lutte sur la scène internationale s’est transportée au pays lorsque le Parlement a adopté le 13 septembre 1988 avant même que le Canada n’ait signé ou ratifié la Convention de 1988 – ce qu’il fera en 1990 – le projet de loi C-61 qui visait à combattre le recyclage des produits de la criminalité (blanchiment d’argent, criminalité érigée en entreprise, etc.).  Ce texte législatif visait le crime organisé et le financement de ses activités par le trafic des stupéfiants.  Ainsi, le Code criminel et la Loi sur les stupéfiants étaient amendés afin de créer deux nouvelles infractions : le recyclage des produits de la criminalité et la possession de biens obtenus grâce au trafic de stupéfiants.  Ces deux nouvelles dispositions s’appliquaient également aux activités illégales de culture, de trafic, d’exportation et d’importation de drogues au Canada ou à l’étranger si elles étaient commises par des citoyens canadiens.  Le Parlement n’avait pas besoin de légiférer pour criminaliser les autres activités interdites par la Convention de 1988 puisque, comme nous l’avons vu, la plupart d’entre elles l’étaient déjà depuis 1961.

 

La Loi réglementant certaines drogues et autres substances

Conformément à l’engagement pris en 1987 par le gouvernement fédéral, le ministre de la Santé, Perrin Beatty, a déposé le projet de loi C-85, la Loi sur les substances psychotropes, le 11 juin 1992.  Ce texte législatif fusionnait les Parties III et IV de la Loi sur les aliments et drogues ainsi que la Loi sur les stupéfiants en une seule loi.  Le projet de loi C‑85 n’a jamais franchi l’étape du rapport à la Chambre des communes et est mort au Feuilleton, en septembre 1993, lors de la dissolution de la 34e Législature pour la tenue d’élections fédérales.

Le 2 février 1994, la nouvelle ministre de la Santé, Diane Marleau, a ressuscité la mesure législative proposée par l’ancien gouvernement sous un nom différent : la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRDS).  Il a été adopté par la Chambre des communes le 30 octobre 1995.  Après la prorogation de la première session de la 35e Législature, il fut réintroduit au Sénat le 6 mars 1996 et renuméroté C‑8.  Il est entré en vigueur le 20 juin 1996.

Il s’agissait de la première réforme majeure de la législation canadienne antidrogue depuis la fin des années 60.  Excepté les modifications apportées en 1988 avec le projet C-61, la Loi sur les stupéfiants avait été modifiée en 1985 afin d’abolir le recours au mandat de main-forte et la procédure permettant d’établir la preuve pour possession de stupéfiants en vue de trafic.  En 1987, la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Smith, avait en effet déclaré inconstitutionnelle la peine d’emprisonnement minimale de sept ans pour une infraction d’exportation ou d’importation en vertu de l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés (peine cruelle ou inusitée), entraînant ainsi son abrogation.

Un des objectifs du projet de loi C‑8 était de satisfaire aux obligations internationales du Canada dans le cadre de la Convention unique sur les stupéfiants (1961), de la Convention sur les substances psychotropes (1971), ainsi que de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes (Convention de Vienne, 1988). »  De plus, il visait à instaurer un cadre législatif permettant de réglementer l’importation, la production, l’exportation, la distribution et l’utilisation des substances se trouvant aux annexes des lois antérieures.  Les sections suivantes décrivent les principales dispositions de cette nouvelle mesure législative.

 

Les substances

La fusion de l’annexe de la Loi sur les stupéfiants avec les annexes des Lois sur les aliments et drogues de 1961 et 1969, combiné à l’ajout de nouvelles substances telles les benzodiazépines ainsi que les précurseurs de cette longue liste de substances, a considérablement augmenté le nombre de drogues soumises aux dispositions et procédures contraignantes de la LRDS.

L’expression «substance désignée» s’entend aux substances inscrites à l’une ou l’autre des annexes I, II, III, IV et V.  De plus, la loi définit le terme « analogue » comme toute substance dont la structure chimique est essentiellement la même que celle d'une substance désignée.  Aussi, toute chose contenant une substance désignée et servant, ou destinée à servir ou conçue pour servir, à la produire ou à l'introduire dans le corps humain sera traité comme cette substance illicite. 

 

v     Annexe I :         des stupéfiants comme l'opium, la morphine et la cocaïne. 

v     Annexe II :       le cannabis, le haschisch, cannabinol, etc.

v     Annexe III :     des stimulants comme les amphétamines, des hallucinogènes comme la mescaline, le LSD et le DET, et des sédatifs comme le méthaqualone, communément appelé quaalude. 

v     Annexe IV :      entre autres les stéroïdes anabolisants, et les hypnotiques comme les barbituriques et les benzodiazépines (mieux connus sous leurs marques de commerce Seconal, Luminal, Valium et Librium). 

v     Annexe V :        énumère autres substances pouvant donner lieu à abus.

v     Annexe VI :      les précurseurs – ils ne produisent pas d'effet sur le psychisme, mais ils peuvent être convertis ou utilisés pour produire des drogues "designer", des "simili-drogues" ou des substances figurant dans les annexes suivant les obligations internationales que le Canada a contractées en vertu de la Convention unique sur les stupéfiants (1961) et de la Convention de Vienne de 1988.

v     Les annexes VII et VIII :      concernent l’application des peines pour les infractions liées au cannabis.

 

Au total, plus de 150 drogues, substances psychotropes et précurseurs se trouvent maintenant dans les annexes de la loi.  Il est à noter que l’article 60 de la LRDS maintient la disposition adoptée en 1911 prévoyant que le gouverneur en conseil peut, par décret, modifier l’une ou l’autre des annexes de la loi en y ajoutant ou supprimant une ou plusieurs substances si cela lui paraît nécessaire dans l’intérêt public.

 

Partie I : Les infractions et les peines

La participation aux activités susmentionnées n'entraînerait pas nécessairement de sanctions criminelles.  Comme on le verra plus loin, la loi prévoit des règlements autorisant la possession, l'importation ou l'exportation et la production à des fins médicales, scientifiques, industrielles ou d'application de la loi.  La Partie I de la LRDS énumère plusieurs types d’infractions :

 

(1)   La possession d’une substance inscrite à l'annexe I, II ou III (paragraphe 4(1)); l’obtention, ou chercher à obtenir, une substance inscrite à l'annexe I, II, III ou IV, ou l'ordonnance nécessaire à son obtention auprès d'un praticien (paragraphe 4(2).  Le tableau qui suit indique les peines maximales pour l’infraction de possession[121]:

 

Possession d’une substance inscrite à l’annexe I

Acte criminel

Procédure sommaire

Récidive :

Emprisonnement de sept ans

Amende de 1 000 $ ou 6 mois de prison, ou les deux

Amende de 2 000 $ ou emprisonnement d'un an, ou les deux

Possession d'une substance de l'annexe II (cannabis sous toutes ses formes) :

Acte criminel

Procédure sommaire

Récidive

Emprisonnement de 5 ans moins un jour

Amende de 1 000 $ ou 6 mois de prison ou les deux

Amende de 2 000 $ ou un an de prison ou les deux

Possession d'une substance de l'annexe VIII

(moins de 1 g de résine de cannabis (haschich) ou moins de 30 g de marijuana)

Procédure sommaire seulement

Amende de 1 000 $ ou 6 mois de prison ou les deux

 

Possession d’une substance inscrite à l’annexe III

Acte criminel

Procédure sommaire

Récidive

Emprisonnement de 3 ans

Amende de 1 000 $ ou 6 mois de prison ou les deux

Amende de 2 000 $ ou un an de prison ou les deux

 

Les pénalités imposées pour l’infraction au paragraphe 4(2) sont semblables mais varient légèrement des peines prévues pour l’infraction de possession.

 

(2)   De faire le trafic de toute substance inscrite aux annexes I, II, III ou IV ou de toute substance présentée ou tenue pour telle.  Le trafic est défini comme toute opération de vente, d'administration, de don, de cession, de transport, d'expédition ou de livraison relativement à la substance inscrite, ou toute offre d'effectuer l'une de ces opérations.  La « vente » comprend le fait de mettre en vente, d'exposer ou d'avoir en sa possession pour la vente ou de distribuer, que la distribution soit faite ou non à titre onéreux (paragraphe 5(1)) ; de posséder toute substance inscrite aux annexes I, II, III ou IV en vue d'en faire le trafic (paragraphe 5(2)).  Le tableau qui suit indique les peines maximales pour ces infractions :

 

 

Trafic d’une substance inscrite à l’annexe I ou à l’Annexe II

(sauf dans les cas de moins de 3 kg de cannabis)

Acte criminel :

Pas de procédure sommaire

Emprisonnement à vie

 

Trafic d'une substance inscrite à l'Annexe III

Acte criminel

Procédure sommaire

 

Emprisonnement de 10 ans

Emprisonnement de 18 mois

 

Trafic d'une substance inscrite à l’Annexe IV

Acte criminel

Procédure sommaire

Amende de 1 000 $ ou 6 mois de prison ou les deux

Emprisonnement d’un an

 

Le trafic de cannabis ne donnerait pas toujours lieu à une peine maximale d'emprisonnement à vie.  Dans les cas de trafic de moins de 3 kg de cannabis, la personne est coupable d’un acte criminel et sujet à une peine maximale de 5 ans moins un jour.   

                                   

(3)   De faire importation ou exportation de toute substance inscrite à l'une ou l'autre des annexes I à VI (paragraphe 6(1)); d'avoir en sa possession toute substance inscrite à l'une ou l'autre des annexes I à VI en vue de son exportation (paragraphe 6(2)).  Le tableau qui suit indique les peines maximales pour ces infractions :

 

 

Importation ou exportation d’une substance inscrite à l’Annexe I ou II

Acte criminel :

Pas de procédure sommaire

Emprisonnement à vie

 

Importation ou exportation d'une substance inscrite à l'Annexe III ou VI

Acte criminel

Procédure sommaire

 

Emprisonnement de 10 ans

Emprisonnement de 18 mois

 

Importation ou exportation d'une substance inscrite à l’Annexe IV

Acte criminel

Procédure sommaire

Emprisonnement de 3 ans

Emprisonnement d’un an

 

 

(4)   La production de toute substance inscrite aux annexes I, II, III ou IV.  La production est définie comme le fait de l'obtenir par quelque méthode que ce soit, et notamment par la fabrication, la synthèse ou tout autre moyen altérant ses propriétés physiques ou chimiques, ou la culture, la multiplication ou la récolte de la substance ou d'un organisme vivant dont il peut être extrait ou provenir de toute autre façon.  Le tableau qui suit indique les peines maximales pour cette infraction : 

 

 

Production d’une substance inscrite à l’annexe I ou II

(autre que le cannabis ou la marijuana)

Acte criminel

Pas de procédure sommaire

 

Emprisonnement à vie

 

Production de cannabis (marijuana)

(moins de 1 g de résine de cannabis (haschich) ou moins de 30 g de marijuana)

Acte criminel

Pas de procédure sommaire

 

Emprisonnement de 7 ans

 

Production d'une substance inscrite à l’Annexe III

Acte criminel

Procédure sommaire

Emprisonnement de 10 ans

Emprisonnement de 18 mois

 

Production d’une substance inscrite à l’annexe IV

Acte criminel

Procédure sommaire

 

Emprisonnement de 3 ans

Emprisonnement d’un an

 

 

(5)   La possession de biens d’origine criminelle (article 8); et les infractions liées au recyclage du produit d'activités criminelles (article 9).

 

Il est évident que les peines pour les infractions sont liées de près à l'annexe où figure la substance en cause.  De plus, les peines fixées pour les infractions relatives au cannabis varient également beaucoup selon la quantité confisquée, sujet qui sera discuté plus en détail ci-dessous.

L’article 10 de la loi énonce l'objectif des peines prononcées : de contribuer au respect de la loi et au maintien d'une société juste, paisible et sûre tout en favorisant la réinsertion sociale des délinquants et, dans les cas indiqués, leur traitement et en reconnaissant les torts causés aux victimes ou à la collectivité.  De plus, cet article énumère une liste de facteurs que le tribunal doit considérer comme circonstances "aggravantes" en déterminant la peine à imposer à une personne reconnue coupable d'une infraction désignée.  Les facteurs à considérer sont les suivants :  l'utilisation d'une arme ou le recours ou la menace de recourir à la violence, le trafic d'une substance sur le terrain d'une école ou dans un lieu public fréquenté par des mineurs, ou auprès d'une personne de moins de 18 ans, et toutes condamnations antérieures pour une infraction liée à la drogue.  De plus, l’utilisation des services d'un mineur pour perpétrer une infraction désignée constitue des circonstances aggravantes.  Le juge qui déciderait de n'imposer aucune peine d'emprisonnement en présence d'une ou de plusieurs des circonstances aggravantes est tenu de justifier sa décision.

 

Partie II : Exécution et mesures de contrainte

Les articles 11 et 12 de la loi traitent des activités de perquisitions, de fouilles et de saisies.  Ces thèmes sont discutés plus en profondeur dans le chapitre 14.   

L'article 13 incorpore certaines dispositions du Code criminel établissant un plan détaillé pour la restitution, le renvoi ou la détention des biens saisis.  Dans le cas de biens infractionnels, les articles Code criminel s'appliquent sous réserve des articles 16 à 22 de la loi.  De plus, une procédure distincte est établie dans les articles 24 à 29 pour déterminer la disposition des substances désignées.  Il est à noter que l'article 14 permet d'émettre une ordonnance de blocage contre un bien infractionnel 

Les articles 16 et 17 traitent de la confiscation de biens infractionnels.  Un bien infractionnel est défini comme tout bien situé au Canada ou non – à l'exception des substances désignées ou des biens immeubles, sauf si ces derniers ont été construits ou ont subi d'importantes modifications en vue de faciliter la perpétration d'une infraction désignée – qui sert ou donne lieu à la perpétration d'une infraction désignée ou qui est utilisé de quelque manière dans la perpétration d'une telle infraction, ou encore qui est destiné à servir à une telle fin.  Le tribunal qui déclare une personne coupable d'une infraction désignée doit ordonner la confiscation des biens infractionnels s’il est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que les biens sont liés à la perpétration de l’infraction.  Lorsque les biens infractionnels ne peuvent être liés à l'infraction dont la personne est accusée, le tribunal pourrait quand même en ordonner la confiscation.  Le tribunal peut rendre cette ordonnance à la condition d'être convaincu, hors de tout doute raisonnable, qu'il s'agit de biens infractionnels.  De plus, des biens infractionnels peuvent être confisqués même si des procédures judiciaires n'ont jamais été engagées.  Le juge doit rendre une ordonnance de confiscation s'il est convaincu que les conditions suivantes sont réunies : les biens sont, hors de tout doute raisonnable, des biens infractionnels; des procédures ont été engagées relativement à une infraction désignée ayant trait à ces biens; la personne accusée de l'infraction est décédée ou s'est esquivée.

Les articles 18 à 22 reprennent essentiellement les mêmes éléments que ceux qui figurent dans les articles 462.4 à 462.45 du Code criminel.  Le but de ces articles est de protéger les intérêts des tiers innocents et des acheteurs de bonne foi.  Règle générale, si le tribunal est convaincu de la véracité de la réclamation, il peut ordonner que le bien soit restitué (ou le paiement de sa valeur si ce n’est pas possible de le restituer) à la personne qui en est le propriétaire légitime ou qui a droit à sa possession.

L'article 23 ne fait qu'incorporer les dispositions du Code criminel ayant trait à la confiscation du produit de la criminalité.  En conséquence, les mêmes modalités sont établies dans le cas de la confiscation du produit d'infractions désignées.

 

Partie III – Disposition des substances désignées

En vertu du paragraphe 13(4) de la loi, lorsqu'une substance désignée a été saisie un rapport décrivant le lieu perquisitionné, la substance saisie et l'endroit où elle est gardée doit être déposé au juge de paix de la circonscription concernée.  Les articles 24 à 29 de la loi régissent la disposition des substances désignées. 

L'article 24 établit la procédure avant le procès pour la restitution de substances désignées.  Par exemple, toute personne peut, dans les 60 jours suivant la date où une substance désignée a été saisie, trouvée ou obtenue par un agent de la paix ou un inspecteur, demander à un juge de paix de lui en ordonner la restitution.  Si le juge est convaincu du bien-fondé de la demande, il ordonne que la substance soit restituée au demandeur.  Dans le cas contraire, le juge ordonne la confiscation au profit de la Couronne.  La substance est alors disposée conformément aux règlements applicables ou, à défaut, selon les instructions du ministre.  À défaut de demande de restitution la substance est remise au ministre et est disposée conformément aux règlements applicables ou, à défaut, selon les instructions du ministre.

Il est à noter que l'article 26 permet au ministre de demander au juge de paix d'ordonner qu'une substance désignée soit confisquée, à tout moment, s'il a des motifs de croire que celle-ci risque de porter atteinte à la sécurité ou à la santé publique.  La demande se fait essentiellement par procédure ex parte.  Si le juge de paix décide que le ministre a des motifs raisonnables de croire que la substance risque de porter atteinte à la sécurité ou à la santé, il en ordonne la confiscation.  La substance est disposée conformément aux règlements applicables ou, à défaut, selon les instructions du ministre.

L'article 27 réglemente la procédure après le procès pour la restitution des substances désignées saisies - la personne qui s'est fait saisir la substance a droit à sa restitution si le tribunal juge ses activités légitimes.  Autrement, la substance est restituée au véritable propriétaire légitime, pourvu que cette personne puisse être identifiée.  Dans ni l'un ni l'autre des cas, la substance est confisquée au profit de la Couronne qui en dispose conformément aux règlements applicables ou, à défaut, selon les instructions du ministre. 

L'article 28 permet au ministre à disposer d'une substance désignée avec l'assentiment du propriétaire. 

Finalement, l’article 29 permet au ministre de faire détruire les plantes dont peuvent être extraites les substances inscrites aux annexes I, II, III ou IV et qui sont produites sans permis réglementaire ou en violation de celui-ci.

 

Partie IV : Contrôle d'application

Cette partie porte sur les pouvoirs attribués aux inspecteurs pour veiller à ce que le titulaire d'une autorisation ou d'une licence réglementaire l'habilitant à se livrer à des opérations à l'égard de substances désignées or des précurseurs soit respectueux des règlements.

L'inspecteur peut procéder, à toute heure convenable, à la visite de tout lieu où il a des motifs raisonnables de croire que le titulaire exerce son activité commerciale ou professionnelle.  La loi autorise les inspecteurs à commettre une série d’actes reliés à l’inspection, y compris saisir et retenir toute substance désignée ou tout précurseur dont il juge, pour des motifs raisonnables, la saisie et la rétention nécessaire.  La loi prévoit des dispositions traitant de la restitution des biens saisis.  Il est à noter que dans le cas de local d’habitation, il faut d'abord que l'inspecteur obtienne le consentement de l'occupant ou qu'il soit muni d'un mandat. 

  

Partie V : Ordonnances administratives pour violation de règlements spéciaux

Cette partie a pour effet de prévoir la procédure administrative à suivre lorsqu'il y a contravention des règlements désignés "spéciaux" par le gouverneur en conseil.  L’article 33 de la LRDS permet au gouverneur en conseil de proclamer certains textes réglementaires adoptés en vertu de l’article 55 comme étant des « règlements spéciaux ». Le non-respect de ces derniers peut entraîner des ordonnances administratives comportant des sanctions sévères, y compris la révocation du permis ou de licence qui avait été délivré par le ministère de la Santé (paragraphes 40(4)).  

              

Partie VI :  Dispositions générales

Les articles 44 à 60 prévoit des dispositions générales.  Par exemple, les articles 44, 45 et 51 traite de la désignation des analystes, l'envergure de leurs fonctions et l'admissibilité de leurs rapports dans un procès. 

L'article 46 crée une peine générale qui s'applique à quiconque contrevient à une disposition de la présente loi pour laquelle aucune peine n'est spécifiquement prévue ou à un règlement.  Un acte criminel est puni d'une amende maximale de 5 000 $ et/ou d'un emprisonnement de trois ans.  Une infraction menant à une déclaration de culpabilité par procédure sommaire donne lieu à une amende de 1 000 $ et/ou à six mois de prison. 

En vertu de l'article 47, la période pour entreprendre les poursuites par procédure sommaire pour certaines infractions à la loi et aux règlements est d’un an.  Toutes les autres questions de procédure sommaire se prescrivent par six mois à compter de la perpétration. 

D’autres articles traitent des questions suivantes :  que le poursuivant n'a pas, sauf pour réfutation, à établir qu'un certificat, une licence, un permis ou tout autre titre ne joue pas en faveur de l'accusé(article 48) ;  qu'une copie d'un document déposé auprès d'un ministère est admissible en preuve sans qu'il soit nécessaire de prouver l'authenticité de la signature de l'autorité (article 49) ; qu’un certificat délivré à un agent de police exemptant ce dernier de l'application de la loi ou de son règlement est admissible en preuve dans le cadre d'une procédure et, sauf preuve contraire, fait foi de la validité de sa délivrance et de son contenu sans qu'il soit nécessaire de prouver l'authenticité de la signature qui y est apposée ou la qualité officielle du signataire - la défense peut, avec l'autorisation du tribunal, contre-interroger la personne qui a délivré le certificat (article 50); que la signification de tout document peut être prouvée par témoignage, affidavit ou déclaration solennelle, bien que le tribunal puisse quand même exiger que le signataire comparaisse (article 52); que la continuité de la possession d'une pièce présentée comme preuve dans le cadre d'une procédure peut être établie par le témoignage de la personne qui prétend l'avoir eue en sa possession, ou par l'affidavit ou la déclaration solennelle de celle-ci (article 53) ; et que des copies certifiées de livres, registres, données électroniques ou autres documents saisis peuvent être présentes comme preuve admissible par le procureur - la version copiée aurait la même force probante que l'original, à moins que l'accusé présente des preuves à l'effet contraire (article 54).

Le paragraphe 55(1) établit le pouvoir du gouverneur en conseil de prendre des règlements.  L’un des objectifs de la politique canadienne antidrogue était le contrôle du commerce légal des drogues inscrites à l’annexe à des fins médicales ou scientifiques.  La LRDS augmentait de façon importante le pouvoir du gouverneur en conseil de prendre des règlements relativement aux substances désignées et aux précurseurs.  Les règlements pris en vertu de la LRDS s’appliquent notamment aux entreprises, aux médecins et aux pharmaciens.  Ainsi, le gouverneur en conseil peut adopter les règlements qui suivent concernant les substances désignées ou les précurseurs :

 

v     Régir, autoriser contrôler ou restreindre l’importation et l’exportation, la production, l’emballage, l’expédition, le transport, la livraison, la vente, l’administration, la possession ou l’obtention.

v     Délivrer les permis aux entreprises ou personnes permettant les activités susmentionnées, définir les modalités de paiements et leur révocation, et déterminer les qualifications requises des titulaires de permis.

v     Contrôler les méthodes de production, d’entreposage, d’emballage et restreindre la publicité, si nécessaire, pour la vente de ces substances;

v     Régir les livres, registres, données électroniques ou autres documents que doivent établir les entreprises, les médecins, les pharmaciens ou toute autre personne titulaire d’un permis qui se livrent aux activités mentionnées au premier point.

v     Autoriser, si nécessaire, la communication de renseignements obtenus en vertu des enquêtes menées par les inspecteurs du ministère de la Santé aux autorités provinciales lors d’une contravention grave aux règlements concernant les activités définies au premier point afin qu’elles puissent prendre des mesures disciplinaires.

v     Soustraire, aux conditions précisées dans les règlements, toute personne ou catégorie de personne à l’application de l’article 55.

 

Le paragraphe 55(2) permet au gouverneur en conseil, sur la recommandation du Solliciteur général du Canada, de prendre des règlements ayant trait aux investigations et à d'autres activités d'application de la loi.  Cela comprend des règlements soustrayant les agents de police, dans certaines circonstances, de l'application de la partie I de la loi (les infractions et les peines). 

En vertu de l'article 56, le ministre peut soustraire, aux conditions qu'il ou elle fixe, à l'application de tout ou partie de la présente loi ou de ses règlements toute personne ou catégorie de personnes, ou toute substance désignée ou tout précurseur ou toute catégorie de ceux-ci, s'il ou elle estime que des raisons médicales, scientifiques ou d'intérêt public le justifient.  L’article 57 traite de la délégation des pouvoirs du ministre et du Solliciteur général.

L’article 58 précise que les dispositions de la loi ou de ses règlements l'emportent respectivement sur les dispositions incompatibles de la Loi sur les aliments et drogues ou de ses règlements.

L’article 59 crée une infraction de faire ou consentir à ce que soit faite une déclaration fausse ou trompeuse, participer à une telle déclaration ou y acquiescer, dans un livre, registre, rapport ou autre document à établir aux termes de la loi ou de ses règlements,.

Tel que mentionné, le gouverneur en conseil est habilité, en vertu de l'article 60, à modifier l'une ou l'autre des annexes pour y ajouter ou en supprimer une substance nommée.

 

Le cas particulier du cannabis

La première version de la LRDS maintenait le cannabis à l’annexe où l’on trouvait les drogues les plus dangereuses et auxquelles les sanctions criminelles les plus sévères décrites plus haut s’appliquaient.  Afin de faire taire les critiques, le gouvernement a accepté de retirer le cannabis de l’annexe I et a créé les annexes II, VII et VIII qui portent exclusivement sur cette drogue.  Ainsi, l’annexe II définit le cannabis comme étant la marijuana, la résine de cannabis (haschisch), le cannabinol, etc.  L’annexe VII établissait à 3 kilogrammes de cannabis ou haschisch la quantité maximale qui permettait l’imposition d’une peine moins sévère pour trafic ou possession en vue de trafic de cette substance.  Enfin, l’annexe VIII précisait qu’une personne qui avait en sa possession pour des fins personnelles moins d’un gramme de haschisch ou moins de 30 grammes de cannabis était passible de sanctions criminelles moins sévères que celle prévues pour l’annexe II.

Ainsi, si une personne est reconnue coupable de simple possession, de possession en vue de trafic ou de trafic d’une quantité supérieure à celle définie aux annexes VII et VIII, les peines plus sévères prévues par la Partie I pour les drogues inscrites aux annexes I ou II s’appliquent.  Dans le cas contraire, la LRDS définit des nouvelles sanctions pénales.  Ainsi pour ce qui est de l’annexe VIII, l’article 4 de la LRDS prévoit qu’une personne accusée de simple possession de cannabis ne peut être poursuivie que par procédure sommaire et prévoit une peine d’emprisonnement maximale de six mois, une amende maximale de 1 000 $ ou l’une de ces deux peines.  Contrairement à ce qu’avait recommandé l’opinion majoritaire dans le rapport spécial de 1972 de la Commission Le Dain relativement à la réduction de la peine imposée aux infractions d’importation et d’exportation de cannabis, l’emprisonnement à perpétuité continue de s’y appliquer.  Enfin, la peine d’emprisonnement maximale de sept ans prévue par la Loi sur les stupéfiants pour l’infraction de culture (production) de cette drogue demeure inchangée avec la LRDS.

 

Conclusions

 

Conclusions du chapitre 12

 

Ø      Les premières législations sur les drogues étaient largement fondées sur une panique morale, des sentiments racistes et une absence notoire de débats.

Ø      Les législations sur les drogues ont souvent prévu des dispositions particulièrement sévères, telles le renversement du fardeau de la preuve et des sentences cruelles et inusitées.

Ø      Les travaux de la Commission Le Dain ont jeté les bases d’une approche plus rationnelle de la politique sur les drogues illicites en tentant de s’appuyer sur des données issues de la recherche.

Ø      Les travaux de la Commission Le Dain n’ont eu aucune suite législative, sauf en 1996 dans certaines dispositions de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, notamment en matière de cannabis.

Ø      Les propositions de réforme lancées au cours des années 1970, notamment pour la décriminalisation du cannabis, n’ont eu aucune suite.

Ø      Trente ans après la Commission Le Dain, les dispositions législatives et leur application n’ont eu aucun effet notable sur l’offre et la demande de cannabis.

Ø      La Loi actuelle ne tient pas compte des données issues de la recherche sur les effets comparés de diverses substances, notamment sur les effets du cannabis.

 


 



[1]  Pires, A.P., (2002) op. cit., page 43.

[2]  OICS (2002) notamment aux pages 58-60.

[3]  Témoignage de Neil Boyd, professeur de criminologie, Université Simon Fraser, devant le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites, Sénat du Canada, deuxième session de la trente-sixième législature, 16 octobre 2000, fascicule 1, page 49.

[4]  Ce chapitre s’inspire largement de l’excellent rapport préparé à la demande du Comité par François Dubois, assistant de recherche au bureau du sénateur Pierre Claude Nolin : Le Parlement fédéral et l’évolution de la législation canadienne sur les drogues illicites, Ottawa : Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites, juin 2002.  Ce rapport est disponible en ligne à www.parl.gc.ca/drogues-illicites.asp

[5]  Voir le chapitre 19 pour plus de détails.

[6]  Observons ici au passage qu’il s’agissait effectivement des dérivés synthétiques de l’opium tels la morphine.  On ne redécouvrira que beaucoup plus tard que l’héroïne fumée est moins dommageable pour l’usager que l’héroïne injectée ou que des dérivés synthétiques.  On peut aussi faire le parallèle avec les dérivés synthétiques du cannabis qui causeraient plus de problèmes que le cannabis fumé, comme nous l’avons vu au chapitre 9.

[7]  Line Beauchesne parle d’inondation du marché par les grandes compagnies pharmaceutiques qui les fabriquaient en quantité industrielle et qu’elles cherchaient ensuite à écouler par tous les moyens.  Beauchesne, L., (1991) La légalisation des drogues… Pour mieux en prévenir les abus.  Montréal : Méridien, pages 95-96.

[8]  Beauchesne, L. op. cit., page 98.

[9]  Ibid., page 126

[10] Beauchesne, L. (1999) « À propos du cannabis, que faire? »  L’écho-toxico, page 14.

[11]  Ati-Dion, G., (1999) La construction en droit international et en droit pénal canadien de la prohibition des drogues (Travail de doctorat), Montréal, Université de Montréal, École de criminologie, page 24.

[12]  Giffen, P.J. et coll., (1991) Panic and Indifference: The Politics of Canada’s Drugs Laws, Ottawa : Centre canadien de lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies, p. 53.

[13]  Ibid., page 53.

[14]  Boyd, N. (1991) High society : Illegal and Legal Drugs in Canada, Toronto, Key Porter Books, page 27.

[15] William L. Mackenzie King, Rapport sur la nécessité de supprimer le commerce de l’opium an canada. Ottawa, Document parlementaire 36b, 1908, 18 pages

[16]  Ibid., pages 7-8.

[17] Beauchesne, L., (1991) op. cit., page 125.

[18]  Ibid.

[19]  Giffen, P.J. et coll., (1991) op. cit.  page 125.

[20]  Témoignage de Neil Boyd, professeur de criminologie, Université Simon Fraser, devant le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites, Sénat du Canada, deuxième session de la trente-sixième législature, 16 octobre 2000, fascicule 1, page 49.

[21]   Beauchesne, L., op. cit. page 128.

[22]  Ibid., page 128.

[23]  Ati-Dion, G., (1999) op. cit. page 25.

[24]  Hansard, Chambre des communes, 10 juillet 1908, page 13182

[25]  Statuts du Canada 1908, Ch. 50

[26]  Statuts du Canada 1911, Ch. 17

[27]  Hansard, Chambre des communes, 26 janvier 1911, page 2665

[28]  Nous en avons discuté au chapitre 10.

[29]  Giffen, P.J., et coll., op. cit. page 105.

[30]   Ibid., page 105-121.

[31]  Ibid., page 144.

[32]  Ibid., pages 138-146.

[33] Ibid., page 127.

[34]  Statuts du Canada, 1938, Ch. 9.

[35]  Hansard, Chambre des communes, 23 avril 1923, page 2117.

[36]  Beauchesne, L., (1991) op.cit, page 117.

[37]  Spicer, L., (2002) Utilisations historiques et culturelles du cannabis et le débat sur la marijuana au Canada, Ottawa : Division de la recherche parlementaire, Bibliothèque du Parlement, rapport préparé pour le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites, page 20.  Disponible en ligne à www.parl.gc.ca/drogues-illicites.asp  

[38]  Ibid., page 21.

[39] Giffen, P.J. et coll., op. cit. page 179.

[40] Hansard, Chambre des communes, 1932, page 1780.

[41] Hansard, Chambre des communes, 24 février 1938, page 793.

[42] Hansard, Chambre des communes, 24 février 1938, page 794.

[43]  Statuts du Canada, 1932, Ch. 20.

[44]  Sinha, J. (2001) L’historique et l’évolution des principales conventions internationales de contrôle des stupéfiants, Ottawa : Bibliothèque du Parlement, Division de la recherche parlementaire, rapport préparé pour le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites, page 15.  Disponible à www.parl.gc.ca/drogues-illicites.asp  

[45]  Ibid., page 199.

[46]  Ibid., pages 199-200.

[47]  Statuts du Canada, 1920, Ch. 31.

[48]  Statuts du Canada, 1921, Ch. 42.

[49]  Statuts du Canada, 1922, Ch. 22.

[50]  Statuts du Canada, Ch. 49.

[51]  Giffen, P.J. et coll., op. cit., page 596.

[52]  Ibid., page 594.

[53]  Statuts du Canada, 1925, Ch. 20.

[54] Statuts du Canada, Ch. 22.

[55] Giffen, P.J. et coll., op. cit., page 261.

[56]  Ibid., pages 278-279.

[57]  Statuts du Canada, 1920, Ch. 31.

[58]  Cette disposition fut ajoutée à la Loi de 1911.  Au cours des années qui vont suivre, les critères concernant le renouvellement de prescriptions émises par des médecins furent restreints afin de mieux contrôler le commerce légal des stupéfiants et éviter que des toxicomanes obtiennent des ordonnances et utilisent les drogues ainsi obtenues à des fins de trafic.  Par exemple, la Loi de 1921 précisa qu’un pharmacien ne pouvait remplir ou renouveler une prescription que si elle avait été signée par un médecin.  La Loi de 1923 allait plus loin en interdisant le renouvellement à plusieurs reprises d’une drogue à partir de la prescription d’origine.  Le patient devait donc consulter un médecin à chaque fois qu’il voulait la renouveler.

[59]  Statuts du Canada, 1954, Ch. 38.

[60]  Les dispositions concernant la déportation des immigrants furent transférées à la Loi sur l’immigration en 1952, mais s’appliquaient toujours aux infractions liées aux drogues.

[61]  Giffen, P.J. et coll., op. cit., pages 448-450.

[62]  Hansard, Sénat, 24 février 1955, page 239.

[63]  Hansard, Sénat, 23 juin 1955, page 739.

[64]  Hansard, Sénat, 23 juin 1955, page 739.

[65]  Hansard, Sénat, 23 juin 1955, page 742.

[66]  Hansard, Sénat, 23 juin 1955, page 740.

[67]  Hansard, Sénat, 23 juin 1955, page 740.

[68]  Hansard, Sénat, 23 juin 1955, page 744.

[69]  Hansard, Sénat, 23 juin 1955, page 745.

[70]  Hansard, Sénat, 23 juin 1955, page 741.

[71]  Hansard, Sénat, 23 juin 1955, page 746.

[72]  Statuts du Canada, 1961, Ch. 35.

[73]  Hansard, Chambre des communes, 7 juin 1961, page 6794.

[74]  Le Dain, G., et coll., (1972) Le cannabis : rapport de la Commission d’enquête sur l’usage des drogues à des fins non-médicales, Ottawa, Gouvernement du Canada, pages 222-223.

[75]  Giffen, P.J. et coll., op. cit., pages 471-475.

[76]  Statuts du Canada, 1961, Ch. 37.

[77]  Hansard, Chambre des communes, 30 mai 1961, page 5799.

[78]  Paragraphe 37(2) de la Loi sur les aliments et drogues de 1961.

[79] Statuts du Canada, Ch. 41.

[80] Article 9 de la Loi sur les aliments et drogues de 1969.

[81] Hansard, Chambre des communes, 27 mars 1969, page 7203.

[82] Hansard, Chambre des communes, 27 mars 1969, page 7203.

[83] Le Dain, G., et coll., (1973)  Rapport final de la Commission sur l’usage des drogues à des fins non-médicales, Ottawa : Gouvernement du Canada, page 4.

[84]  Marie-Andrée Bertrand, professeure émérite de criminologie, Université de Montréal, Témoignage du comité spécial sur les drogues illicites, Sénat du Canada, Première Session de la trente-septième législature, 2001, page 45.

[85]  Ibid., page 46.

[86] Le Dain, G., et coll., (1972) Le cannabis : rapport de la Commission d’enquête sur l’usage des drogues à des fins non-médicales, Ottawa : Gouvernement du Canada, page 231.

[87] Ibid., page 241.

[88] Ibid., page 247.

[89] Ibid., pages 249-250.

[90] Ibid., page 251.

[91] Ibid., pages 268-269.

[92] Ibid., page 272.

[93] Ibid., page 276.

[94] Ibid., page 283.

[95] Ibid., pages 285-288.

[96] Ibid., page 283.

[97] Ibid., page 292.

[98] Ibid., page 292.

[99] Ibid., page 293.

[100] Ibid., page 294.

[101] Ibid., page 297.

[102] Ibid., pages 295-299.

[103] Ibid., page 303.

[104] Ibid., page 308.

[105] Ibid., pages 307-309.

[106] Ibid., page 308.

[107] Ibid., page 309.

[108] Ibid., page 304.

[109] Ibid., pages 310-311.

[110] Ibid., page 304.

[111] Ibid., page 312.

[112] Ibid., page 313.

[113] Ibid., page 314

[114] Ibid., page 316

[115] Valois, D, « La marijuana et le haschisch ne seront pas légalisés », Le Droit, Ottawa, 1er août 1972.

[116] Spicer, L., op. cit.

[117] Giffen, P.J., et coll., op. cit., page 571.

[118] Note d’information du Bureau de recherche du Parti progressiste-conservateur du Canada, 1er juin 1987

[119] International Narcotics Control Board, (1988) Report of the International Narcotics Control Board for 1987, Vienne : Organisation des Nations Unies, page 21.

[120] Note d’information du Bureau de recherche du Parti progressiste-conservateur du Canada, 1er juin 1987

[121] Les tableaux des peines dans cette section sont reproduits du texte Projet de loi C-8 :Loi réglementant certaines drogues et autres substances, Résumé législatif 240, préparé par Jane Allain, Division du droit et du gouvernement, Direction de la recherche parlementaire, Bibliothèque du Parlement, 20 mars 1996 (révisé le 1er mai 1997).


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