LE CANNABIS :
POSITIONS POUR UN RÉGIME DE POLITIQUE PUBLIQUE POUR LE CANADA
RAPPORT DU COMITÉ SPÉCIAL DU SÉNAT SUR LES DROGUES ILLICITES
VOLUME III : PARTIES IV ET CONCLUSIONS
Président: Pierre Claude Nolin
Vice-président: Colin Kenny
SEPTEMBRE 2002
GLOSSAIRE DES PRINCIPAUX TERMES
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE - ORIENTATIONS GÉNÉRALES
CHAPITRE 1 - NOTRE MANDAT
LIBELLÉ
ORIGINES
NOTRE COMPRÉHENSION
CHAPITRE 2 -
NOS TRAVAUX
DEUX PRINCIPES DE TRAVAIL
L'ÉTAT DES CONNAISSANCES
Le programme de recherche
Audiences de témoins experts
Le défi de la synthèse
TENIR COMPTE DES OPINIONS
INTERPRÉTER À LA LUMIÈRE DE PRINCIPES
CHAPITRE 3 - NOS PRINCIPES DIRECTEURS
L'ÉTHIQUE, OU LE PRINCIPE DE L'AUTONOMIE RÉCIPROQUE
LA GOUVERNANCE : MAXIMISER L'ACTION DES INDIVIDUS
La gouvernance de la collectivité
La gouvernance de soi
Le rôle de la gouvernance
LE DROIT PÉNAL OU LES LIMITES DE L'INTERDICTION
Nécessité de la distinction
Critères de distinction
Application aux drogues illicites
LA SCIENCE OU LA CONNAISSANCE APPROCHÉE
CONCLUSIONS
CHAPITRE 4 - UN CONTEXTE EN MOUVANCE
MUTATIONS DU CONTEXTE INTERNATIONAL
Globalisation et intégration
Errances d'un discours sécuritaire
Des politiques antidrogues aux politiques sur les drogues
MUTATIONS AU CANADA
L'activisme judiciaire
Une stratégie nationale de prévention du crime
La lutte au crime organisé
UN DÉBAT DE SOCIÉTÉ
PARTIE II - LE CANNABIS : EFFETS, USAGES, ATTITUDES
CHAPITRE 5 - LE CANNABIS : DE LA PLANTE AU JOINT
UNE PLANTE, DIVERSES DROGUES
ROUTES DU CANNABIS
PROPRIÉTÉS DU CANNABIS
Concentration en D9THC
PHARMACOCINÉTIQUE
CONCLUSIONS
CHAPITRE 6 - USAGERS ET USAGES : FORMES, PRATIQUES, CONTEXTES
TENDANCES D'USAGE
Consommation en population générale
Consommation chez les jeunes
Tendances d'usage dans d'autres pays
Éléments de synthèse
FORMES ET MODES D'USAGE
Le cannabis dans l'histoire
Trajectoires d'usages
Facteurs reliés à l'usage
Éléments de synthèse
UNE ESCALADE VERS D'AUTRES DROGUES?
CANNABIS, VIOLENCE ET CRIMINALITÉ
CONCLUSIONS
CHAPITRE 7 - LE CANNABIS : EFFETS ET CONSEQUENCES
EFFETS ET CONSÉQUENCES DU CANNABIS : CE QU'ON NOUS A DIT
EFFETS AIGUS DU CANNABIS
CONSÉQUENCES DE LA CONSOMMATION CHRONIQUE
Conséquences physiologiques de l'usage chronique
Conséquences cognitives et psychologiques
Conséquences comportementales et sociales
TOLÉRANCE ET DÉPENDANCE
Dépendance au cannabis
Sévérité de la dépendance
La tolérance
ÉLÉMENTS DE SYNTHÈSE
CONCLUSIONS
CHAPITRE 8 - CONDUITE SOUS L'EFFET DU CANNABIS
MODES DE DÉPISTAGE
DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES
Études hors contexte accidentel
Études en contexte accidentel
Enquêtes épidémiologiques auprès des jeunes
Évaluation du risque
ÉTUDES EXPÉRIMENTALES
Activités hors conduite
En activité de conduite
CONCLUSIONS
CHAPITRE 9 - APPLICATIONS THÉRAPEUTIQUES DU CANNABIS
ASPECTS HISTORIQUES
CONNAISSANCES CONTEMPORAINES
Utilisations thérapeutiques
Le cannabis comme médicament?
PRATIQUES THÉRAPEUTIQUES ACTUELLES
CONCLUSIONS
CHAPITRE 10 - OPINIONS ET ATTITUDES DES CANADIENS
LES MÉDIAS
ENQUÊTES ET SONDAGES
ATTITUDES ET OPINIONS EXPRIMÉES AU COMITÉ
CONCLUSIONS
VOLUME II
PARTIE III - POLITIQUES ET PRATIQUES AU CANADA
CHAPITRE 11 - UNE STRATÉGIE CANADIENNE ANTIDROGUE?
PHASE I - ÉLABORATION ET MISE EN PLACE
Création du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies
Création du Secrétariat de la Stratégie canadienne antidrogue
PHASE II - RENOUVELLEMENT
PHASE III - LE RENOUVELLEMENT SANS FINANCEMENT PRÉCIS
LA STRATÉGIE CANADIENNE ANTIDROGUE - UNE RÉUSSITE?
CONCLUSIONS
CHAPITRE 12 - LE CONTEXTE LÉGISLATIF NATIONAL
1908-1960 : L'HYSTÉRIE
La Loi sur l'opium de 1908
Loi sur l'opium et les narcotiques de 1911
Les amendements à la Loi sur l'opium et les narcotiques (1920-1938)
Les modifications à la Loi sur l'opium et les narcotiques en 1954
Le rapport du Sénat de 1955
DE 1960 À LA COMMISSION LE DAIN : À LA RECHERCHE DES RAISONS PERDUES
La Loi sur les stupéfiants (1961)
La Loi sur les aliments et drogues et les barbituriques (1961)
La Commission Le Dain (1969-1973)
Le projet de loi S-19 et le cannabis
APRÈS LE DAIN : LA FUITE EN AVANT
La Loi réglementant certaines drogues et autres substances
CONCLUSIONS
CHAPITRE 13 - RÉGLEMENTER L'UTILISATION DU CANNBIS À DES FINS
THÉRAPEUTIQUES
CADRE ENTOURANT LA RÉCENTE RÉGLEMENTATION
Article 56 - Loi réglementant certaines drogues et autres substances
Contestations fondées sur la Charte - utilisation de la marijuana à des fins thérapeutiques
Réaction du gouvernement
RÉGLEMENTATION SUR L'ACCÈS À LA MARIJUANA À DES FINS MÉDICALES
Autoristion de posséder
Licences de production
Autres dispositions
ACCÈS HUMANITAIRE ?
Admissibilité
Accès au cannabis
Produits
Coûts
POURSUIVRE LA RECHERCHE
Recherche scientifique
Marijuana propre à la recherche
CONCLUSIONS
CHAPITRE 14 - PRATIQUES POLICIÈRES
ORGANISMES D'EXÉCUTION DE LA LOI
GRC
L'Agence des douanes et du revenu du Canada
Polices municipales et provinciales
COÛTS
POUVOIRS POLICIERS
Fouilles perquisitions et saisies
La provocation policière et les activités illégales
Conclusion
STATISTIQUES
Incidents relatés
Accusations
Inquiétudes
La Loi sur les douanes - amendes
SAISIES
CONCLUSIONS
CHAPITRE 15 - LE SYSTÈME DE JUSTICE PÉNALE
POURSUITES
TRIBUNAUX
Les tribunaux de traitement de la toxicomanie
DÉCISION ET DÉTERMINATION DE LA SANCTION
SERVICE CORRECTIONNEL
CASIER JUDICIAIRE
CONTESTATIONS JUDICIAIRES
CONCLUSIONS
CHAPITRE 16 - PRATIQUES PRÉVENTIVES
DES ACTIONS QUI NE SONT PAS À LA HAUTEUR DES DISCOURS
On ne fait pas suffisamment de prévention
La prévention est insuffisamment ciblée
On ne fait pas suffisamment l'évaluation des mesures de prévention
Les messages sociaux contredisent les messages de prévention
Il existe une connaissance dont il faut s'inspirer
PRÉVENIR : QUOI ? COMMENT?
RÉDUCTION DES RISQUES, RÉDUCTION DES MÉFAITS
CONCLUSIONS
CHAPITRE 17 - PRATIQUES DE SOINS
DÉPENDANCES AU CANNABIS
FORMES DE TRAITEMENT
L'EFFICACITÉ DES TRAITEMENTS
CONCLUSIONS
CHAPITRE 18 - OBSERVATIONS SUR LES PRATIQUES
DES DIFFICULTÉS D'ARTICULATION ENTRE LES ACTEURS
UN ARRIMAGE DIFFICILE ENTRE LES APPROCHES
DES COÛTS ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX IMPORTANTS
CONCLUSIONS
PARTIE IV - OPTIONS DE POLITIQUE PUBLIQUE
CHAPITRE 19 - LE CONTEXTE JURIDIQUE INTERNATIONAL
ÉLÉMENTS DE GÉNÉALOGIE
La Conférence de Shanghai (1909)
La Convention internationale de l'opium de 1912 (La Haye)
Les Conventions de l'opium de Genève (1925)
La Convention de Genève pour limiter la fabrication et réglementer la distribution
des stupéfiants (1931) / Accord de Bangkok sur la consommation d'opium (1931)
La Convention pour la répression du trafic illicite des drogues nuisibles (Genève, 1936)
La Deuxième Guerre mondiale
Le Protocole de LakeSuccess (1946)
Le Protocole de Paris (1948)
Le Protocole de l'opium de New York (1953)
LES TROIS CONVENTIONS ACTUELLES
La Convention unique sur les stupéfiants de 1961
Convention sur les substances psychotropes
Protocole portant amendement à la Convention unique sur les stupéfiants de 1961
Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes
UNE MARGE DE MANŒUVRE ?
CONCLUSIONS
CHAPITRE 20 - POLITIQUES PUBLIQUES DANS D'AUTRES PAYS
FRANCE
Des logiques distinctives
Une politique publique intégrée
Cadre législatif
Quelques rapports clés
Statistiques sur l'usage et la répression
Coûts
PAYS-BAS
Le pragmatisme néerlandais?
Des rapports d'experts fondateurs
La législation
Le régime des coffee shops
Données sur l'usage
ROYAUME-UNI
Stratégie décennale de lutte contre la toxicomanie
Cadre législatif
Autres lois pertinentes au domaine de la toxicomanie
Débats au RU
Études et rapports récents
Administration
Coûts
Statistiques
LA SUÈDE
Stratégie nationale
Cadre législatif
Le débat en Suède
Rapports récents
Coûts
Administration
Statistiques
LA SUISSE
Une politique de réduction des risques
Évolution du régime juridique
Un projet de dépénalisation du cannabis
Administration de la politique suisse en matière de drogue
Statistiques sur l'usage de stupéfiants et les infractions à la LStup
L'AUSTRALIE
Stratégie nationale sur les drogues
Le cadre législatif
Décriminalisation du cannabis
Administration
Statistiques
LES ÉTATS-UNIS
Le cadre législatif de l'administration fédérale et des États
La législation actuelle et son application
Buts et objectifs de la politique fédérale de lutte contre les stupéfiants
Administration de la politique
Sujets d'actualité et débats
Statistiques
CHAPITRE 21 - OPTIONS DE POLITIQUE PUBLIQUE
L'INEFFICACITÉ DES POLITIQUES PÉNALES
Des impacts sur la consommation?
Des impacts sur l'offre?
Conclusion
ÉCONOMIE GÉNÉRALE D'UNE POLITIQUE PUBLIQUE SUR LE CANNABIS
COMPOSANTES D'UNE POLITIQUE PUBLIQUE
Un centre de responsabilité fort
Interconnexion
Élaboration en commun d'objectifs partagés
Des outils de connaissance
OPTIONS LÉGISLATIVES
Clarifications terminologiques
Critères pour une politique juridique sur le cannabis
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
IL Y A TRENTE ANS, LE DAIN
L'INEFFICACITÉ DES PRATIQUES ACTUELLES
UNE POLITIQUE PUBLIQUE BASÉE SUR DES PRINCIPES DIRECTEURS
UNE STRATÉGIE FÉDÉRALE CLAIRE ET COHÉRENTE
UNE STRATÉGIE NATIONALE SOUTENUE PAR DES MOYENS ET DES OUTILS
UNE POLITIQUE DE SANTÉ PUBLIQUE
UNE APPROCHE RÉGLEMENTAIRE SUR LE CANNABIS
UNE APPROCHE DE COMPASSION POUR LES USAGES THÉRAPEUTIQUES
DISPOSITIONS SUR LA CONDUITE SOUS L'INFLUENCE DU CANNABIS
POURSUIVRE LA RECHERCHE
POSITIONNEMENT INTERNATIONAL DU CANADA
PROPOSITIONS DE MISE EN ŒUVRE DE LA RÉGLEMENTATION DU CANNABIS AUX FINS THÉRAPEUTIQUES ET RÉCRÉATIONNELLES
BIBLIOGRAPHIE
Glossaire des principaux termes
Abus
Terme
vague qui reçoit une grande variété de significations, selon les contextes
sociaux, médicaux, et juridiques. Selon
certains, tout usage de drogues illicites est un abus : ainsi, les
conventions internationales considèrent l’usage de toute substance prohibée
pour des fins autres que médicales ou scientifiques comme un abus.
Le Manuel diagnostic de l’Association américaine de psychiatrie définit
l’abus comme un mode d’utilisation inadéquat d’une substance conduisant
à une altération du
fonctionnement ou à une souffrance cliniquement significative, et suggère
4 critères (voir le chapitre 7 du rapport).
Nous lui préférons le concept d’usage excessif (ou usage nocif).
Accoutumance
(de l’anglais addiction)
Terme
général renvoyant aux phénomènes de tolérance et de pharmacodépendance. Le terme accoutumance est rarement utilisé en français qui
utilise plutôt le terme toxicomanie.
Addiction
Certains
auteurs utilisent ce terme issu de l’anglais pour désigner le processus par
lequel un comportement, pouvant permettre une production de plaisir et d’écarter
une sensation de malaise interne, est employé de façon caractérisée par
l’impossibilité répétée de contrôler ce comportement et sa poursuite en dépit
de la connaissance de ses conséquences négatives. Ces auteurs le préfèrent au concept de dépendance,
celui-ci ne permettant pas de travailler sur la période qui précède la dépendance.
Nous lui préférons le terme dépendance.
Agoniste
Se dit entre autres d’une substance qui agit sur un récepteur pour
produire certaines réponses.
Anandamide
Neurotransmetteur agoniste du système cannabinoïde endogène.
Bien que les rôles spécifiques de ces neurotransmetteurs ne soient pas
encore définis, ils semblent agir comme des neuromodulateurs ; en effet,
le THC augmente la libération de dopamine du noyau accumbens et du cortex préfrontal.
Cannabinoïdes
Récepteurs endogènes des molécules actives du
cannabis, notamment le THC. Deux récepteurs
endogènes ont été identifiés : CB1 existent en grande densité
dans l’hippocampe, le ganglion basal, les corps cérébelleux, et le cortex cérébral
et CB2, ils sont particulièrement abondants dans le système
immunitaire Les effets centraux du cannabis semblent être exclusivement reliés
aux récepteurs CB1 .
Cannabis
Il existe trois variétés de plantes de cannabis, le cannabis
sativa, le cannabis indica, et le cannabis
ruredalis. La plante de la variété
cannabis sativa est la plus répandue poussant dans presque tous les
sols. La plante de cannabis est
connue en Chine depuis environ 6 000 ans.
À partir des sommités florifères de la plante de cannabis, mais aussi
parfois des feuilles, on obtient le tabac à fumer. Sous cette forme, l’appellation la plus courante est le
pot, mais on le désigne aussi sous le nom de mari, herbe, dope, ganja.
La résine extraite de la plante sert à fabriquer le haschich.
Généralement classifié sous les psychotropes, le cannabis est un
perturbateur du système nerveux central. Le cannabis contient plus de 460 produits chimiques connus, dont plus de
60 sont désignés sous le nom de cannabinoïdes.
Le principal ingrédient actif du cannabis est le delta-9-tétrahydrocannabinol,
communément appelé THC.
D’autres
cannabinoïdes présents incluent le delta-8-tétrahydrocannabinol, le
cannabinol et le cannabidiol mais ils sont présents en faibles quantités et
n’exercent pas d’effets significatifs sur le comportement des individus,
comparativement au THC. Ils peuvent
cependant contribuer à moduler l’effet global du produit.
Dans le rapport, nous utilisons le terme cannabis pour désigner
l’ensemble des produits, et n’utilisons marijuana ou haschich que lorsque
nous désignons ces dérivés spécifiquement.
Commission
sur les drogues
(CND)
La Commission sur les narcotiques a été créé en 1946 par le Conseil économique
et social des Nations Unies. La
Commission est le principal organisme d’élaboration de politiques sur les
drogues au sein du système onusien. Elle
examine la situation mondiale relativement à l’abus de drogues et fait des
propositions pour renforcer le contrôle international des drogues.
Conduite
(ou usage) à risque
Comportement
d’usage qui met la personne à risque de développer des problèmes de dépendance
à la substance. La conduite à risque se compose de l’interaction complexe
entre au moins quatre facteurs : le contexte d’usage, la quantité
consommée, la fréquence de la consommation et la durée et l’intensité de
la consommation. (Nous proposons
des critères à la conclusion du rapport).
Conventions
internationales
Sous
l’égide de la Société des Nations en 1908 puis des Nations Unies, diverses
conventions internationales réglementent la possession, l’usage, la
fabrication, la distribution, le commerce, etc., des substances psychotropes.
Les trois principales conventions sont celles de 1961, 1971 et 1988.
Le Canada a ratifié ces trois conventions.
Ces conventions, dont l’application est assujettie aux lois
constitutionnelles des signataires, établissent un système de réglementation
où seuls les usages aux fins médicales et scientifiques sont permis.
Ce système est axé sur la prohibition des plantes source (coca, opium
et cannabis) et sur le contrôle des dérivés synthétiques fabriqués par les
compagnies pharmaceutiques.
Décriminalisation
Opération consistant à retirer un comportement de
la « compétence » du système de justice criminelle.
On distingue habituellement entre décriminalisation
de droit (ou de jure) impliquant une modification législative du Code criminel (ou de toute loi de nature
criminelle)et décriminalisation de fait
(ou de facto) où il s’agit d’une décision administrative de ne pas
poursuivre le comportement qui demeure cependant illégal.
La décriminalisation ne concerne que le Code criminel (ou toute loi de
nature criminelle), et ne signifie pas que l’on retire la compétence du système
juridique dans son ensemble. D’autres lois non criminelles peuvent réguler et contrôler
le comportement qui a été décriminalisé (infractions civiles, réglementaires,
etc.).
Déjudiciarisation
Réfère aux mesures alternatives à la poursuite ou
à la condamnation pénale d’un acte qui demeure par ailleurs prohibé.
La déjudiciarisation peut se faire avant la mise en accusation, par
exemple si la personne inculpée consent à suivre un traitement. Elle peut aussi se faire au moment de la sanction, et prend
alors la forme de sanctions de travail communautaire ou de traitement.
Demi-vie
Temps requis pour la diminution de moitié de la
concentration d’une drogue dans le sang.
La demi-vie d’élimination du THC est en moyenne de 4,3 jours. Suite
au phénomène de tolérance métabolique, les consommateurs réguliers métabolisent
et excrètent le produit plus rapidement que les usagers occasionnels.
D’autre part, à cause de sa très grande liposolubilité,
l’administration répétée du THC provoque son accumulation dans les
graisses. Du fait de ce stockage
graisseux, la demi-vie d’élimination tissulaire du THC peut atteindre 7 à 12
jours chez les consommateurs réguliers. La
consommation prolongée du cannabis se traduit donc par une période d’élimination
plus longue du THC. Ainsi, même
après une semaine, 20 à 30 % du THC administré et ses métabolites
demeurent dans l’organisme. Le
THC et ses métabolites sont graduellement excrétés dans l’urine (environ un
tiers) et dans les matières fécales (environ deux tiers).
Des traces de THC ou de ses métabolites peuvent être détectées dans
l’urine jusqu’à 30 jours après sa consommation
Dépénalisation
Opération
consistant à modifier les peines (sanctions) associées à un acte dans le Code
criminel. La dépénalisation
signifie la plupart du temps le fait d’abroger les dispositions permettant une
sanction d’incarcération.
Dépendance
État
où l’usager de drogue continue de consommer même si l’usage entraîne des
problèmes qui peuvent être d’ordre physique, psychologique, relationnel,
familial, ou social. La dépendance
est un phénomène complexe qui peut avoir des composantes génétiques.
La dépendance psychologique renvoie aux effets psychiques caractérisés
par le désir insistant et persistant de consommer la drogue.
La dépendance physique renvoie aux mécanismes d’adaptation de
l’organisme à la consommation prolongée et peut s’accompagner d’une tolérance
acquise. L’Association
psychiatrique américaine propose 7 critères (voir chapitre 7).
Dopamine
Neuromédiateur
impliqué notamment dans les mécanismes de perception du plaisir.
Drogue
Terme
qui renvoie généralement aux substances illicites par opposition à d’autres
substances telles l’alcool, la nicotine ou des médicaments psychotropes.
En pharmacologie, le terme réfère à tout agent chimique qui modifie
les processus biochimiques ou physiologiques des tissus ou de l’organisme.
En ce sens, le terme drogue s’applique à toute substance qui est
consommée principalement pour ses effets psychoactifs.
Effets aigus
Se dit des effets résultant de l’action ponctuelle
d’un médicament et généralement des effets à court terme.
Ces effets peuvent être centraux (sur les fonctions cérébrales) ou périphériques
(sur le système nerveux).
Effets chroniques
Se
dit des effets qui se développent avec le temps, à la suite de la prise ou de
l’administration régulière d’une substance.
Dans le rapport, nous avons préféré parler des conséquences de
l’usage prolongé plutôt que d’effets chroniques.
Escalade
(théorie de)
Théorie
qui suggère une séquence progressive dans l’utilisation des drogues,
nicotine, alcool, cannabis, puis les drogues « dures ». Elle repose sur une association statistique entre l’usage
de drogues dures et le fait que ces personnes aient d’abord consommé du
cannabis. Cette théorie n’a reçu
aucune validation empirique et est tombée en désuétude.
Haschic
Résine issue de la plante de cannabis et transformée en pâte.
Intoxication
Perturbations
qu’exerce une substance sur l’organisme.
On distingue généralement quatre niveaux d’intoxication : légère,
modérée, grave et mortelle.
Joint
Cigarette
de marijuana, avec ou sans tabac. Le
fait que deux cigarettes ne soient jamais identiques
rend difficile l’analyse scientifique des effets du principe actif,
notamment pour les études sur le cannabis thérapeutique.
Légalisation
Système
de réglementation permettant la culture, production, fabrication,
commercialisation, vente et usage de substances.
Un système de légalisation peut être avec (réglementation) ou sans
(libre marché) contrôles de l’État.
Liposolubilité
Propriété
biophysique d’une substance de se répandre et se dissoudre plus ou moins
facilement dans les graisses de l’organisme.
Le THC est très liposoluble.
Marijuana
Nom
mexicain qui désigne initialement une cigarette de mauvaise qualité. Par extension est devenu un équivalent pour désigner le
cannabis.
Narcotique
Substance
provoquant un état de torpeur ou un sommeil artificiel.
Observatoire européen des drogues et des
toxicomanies (OEDT)
L’OEDT
a été créé en 1993 pour apporter à la Communauté européenne et à ses États
membres "des informations objectives, fiables et comparables au niveau
européen sur le phénomène des drogues et des toxicomanies et leurs conséquences".
Les informations statistiques, documentaires et techniques traitées ou
produites par l'Observatoire fournissent à son audience une image d'ensemble
sur le phénomène des drogues en Europe. L'Observatoire
travaille uniquement dans le domaine de l'information.
Il est composé d’un réseau de correspondants nationaux dans chacun
des pays de l’Union.
Organe
international de contrôle des stupéfiants (OICS)
L'Organe
international de contrôle des stupéfiants (OICS ou Organe) est un organisme de
contrôle indépendant et quasi-judiciaire chargé de l'application des
conventions des Nations Unies sur les drogues; il a été créé en 1968 par la
Convention unique sur les stupéfiants de 1961.
Il a eu des prédécesseurs créés par les précédentes conventions sur
les drogues, dès l'époque de la Société des Nations.
L’organe est maintenant chargé de faire des recommandation à la
Commission sur les narcotiques relativement aux substances à placer dans les
annexes des conventions.
Organisation mondiale de la santé (OMS)
Créée
en 1948, l’OMS est l’agence des Nations Unis spécialisée dans les
questions de santé. Son mandat est
de favoriser le plus haut degré de santé possible.
La santé est définie comme un état global de bien-être physique,
psychologique et social et non seulement comme l’absence de maladie ou
d’infirmité.
Office of national drug
control policy (ONDCP) USA
Office
national sur la politique de contrôle des drogues.
Créé en 1984 sous la présidence Reagan, l’Office relève de la
Maison Blanche. L’Office
coordonne la politique américaine sur les drogues et gère un budget
d’environ 18 milliards $ US par année.
Opiacé
Substance contenant de l’opium ou exerçant une action comparable à
celle de l’opium.
Pharmacodépendance
Voir dépendance.
Porte
d’entrée (théorie de la)
Aussi
nommée théorie de l’introduction. Semblable
à la théorie de l’escalade mais renvoie plus spécifiquement au fait que les
personnes qui se procurent du cannabis viennent en contact avec des milieux
potentiellement criminogènes du fait que le cannabis soit illégal.
Programme
des Nations Unies pour le contrôle international des drogues (PNUCID)
Mieux
connu sous l’acronyme anglais UNDCP. Fondé
en 1991, le Programme a pour objectif d’informer le monde sur les dangers de
l’abus de drogues. Le programme
vise à renforcer l’action internationale contre la production, le trafic et
la criminalité reliée aux drogues en proposant des programmes de développement
alternatif, de monitoring des cultures et de lutte au blanchiment d’argent.
Le programme d’évaluation globale veut aussi fournir des données
fiables et le programme d’assistance juridique aide les pays à rédiger des
lois adéquates ainsi qu’à former le personnel du système de justice.
Le PNUCID relève du Bureau des Nations Unies pour le contrôle des
drogues et la prévention du crime.
Prohibition
Terme
issu historiquement de la prohibition de l’alcool aux États-Unis entre 1919
et 1933. Par extension, ce terme
renvoie aux politiques poursuivies par les États et par les Nations Unies qui
visent une société sans drogue. La
prohibition est un système fondé sur l’interdiction de la fabrication et de
l’usage de drogues à l’exception des usages scientifiques et médicaux.
Psychotrope
Substance
qui agit sur le psychisme en modifiant le fonctionnement mental, entraînant des
changements dans les perceptions, l’humeur, la conscience, le comportement et
diverses fonctions psychologiques et organiques.
De manière spécifique réfère aux médicaments utilisés dans le
traitement de désordres mentaux, tels les neuroleptiques, les anxiolytiques,
etc. Renvoie aux médicaments
couverts par la Convention de 1971.
Réglementation
Système
de contrôle qui précise les conditions sous lesquelles il est permis de
fabriquer, produire, commercialiser, prescrire, vendre ou acheter une substance.
La réglementation peut être axée sur la prohibition (comme c’est le
cas actuellement pour les drogues illicites) ou sur l’accès contrôlé (comme
pour les médicaments psychotropes et l’alcool). Notre proposition de régime
d’exemption sous conditions repose sur une approche réglementaire.
Société
des Nations (SDN)
Prédécesseur de l’ONU, la SDN était l’organisation internationale
des états jusqu’en 1938.
Stupéfiant
Se
dit souvent des substances dont les effets psychoactifs peuvent entraîner des
effets de tolérance et de dépendance. Plus
correctement, ce terme ne devrait s’utiliser que pour désigner les dépresseurs
du système nerveux central tels les opiacés.
Substance
psychoactive
Substance
qui modifie les processus mentaux tels la pensée ou les émotions. Terme plus neutre que drogue, et qui ne distingue pas les
substances selon leur statut juridique (licites, illicites) c’est celui que
nous préférons utiliser dans le rapport.
Tétrahydrocannabinol
(D9-THC)
Principal
composant actif du cannabis, le D9-THC
est très liposoluble, a une demi-vie d’élimination très longue, et ses
effets psychoactifs sont modulés par les autres cannabinoïdes du cannabis.
À l’état naturel, le cannabis contient entre 0,5 % et 5 %
de concentration en THC. Les modes de culture sophistiqués, la sélection des
plants, le choix entre des plants femelles, permettent d’atteindre des
concentrations plus élevées, pouvant dans certains cas aller jusqu’à 30 %.
Tolérance
État
induit par la consommation chronique d’une substance menant à une diminution
de la réponse de l’organisme et
une capacité plus grande de supporter ses effets.
Toxicité
Qualité
spécifique à une substance d’entraîner l’intoxication.
Le cannabis a une toxicité très faible et ne présente à peu près
aucun risque de surdose.
Toxicomanie
Terme
le plus fréquemment utilisé en langue française pour désigner les phénomènes
que l’anglais désigne sous le terme addiction.
Usage répété d’une ou plusieurs substances de telle sorte que
l’usager (alors désigné sous le terme « toxicomane ») est en état
régulier ou chronique d’intoxication, ressent le besoin de consommer, a de la
difficulté à cesser la prise, et cherche à se procurer la substance.
Cet état est généralement caractérisé par la tolérance et la dépendance
à la substance ainsi que par un usage compulsif.
Malgré son usage répandu, l’OMS a recommandé dès 1960 d’en
abandonner l’usage pour cause d’imprécision, et de lui préférer le terme
de dépendance.
Partie IV
Options de politique publique
Chapitre 19
Le contexte juridique international
Ce chapitre pourrait commencer et se terminer sur une phrase : l’architecture des conventions internationales sur les drogues est un carcan qui, en ce qui concerne du moins le cannabis, est tout à fait irrationnel et n’a rien à voir avec des considérations scientifiques ni de santé publique.
Un carcan fort utile par ailleurs pour poursuivre une politique de prohibition, car lorsqu’à bout d’arguments scientifiques et de santé publique, les tenants de l’approche prohibitionniste ont beau jeu de s’en remettre aux conventions que le Canada a signées. Plus que signées en fait puisque grâce à certains hommes, policiers et fonctionnaires fédéraux, il en a été l’un des principaux protagonistes.
Il existe actuellement trois conventions qui régissent toutes les phases de la vie des drogues, depuis la culture des plantes jusqu’à la consommation personnelle. Ce sont la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 (Convention unique)[1], la Convention sur les substances psychotropes de 1971 (Convention sur les psychotropes)[2], et la Convention contre le trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes de 1988[3] (Convention sur le trafic illicite). En plus de créer un droit international sur les drogues, elles créent aussi des organes et des modes de contrôle, soit politique soit bureaucratique.
Mais ces conventions ont une histoire qui a commencé bien avant la Convention unique. Histoire qui permet de mieux saisir les enjeux qui ont présidé à leur élaboration et de saisir le sens de ce qu’elles sont aujourd’hui ; c’est l’objet de la première section. Ces conventions créent des obligations, comme le suggère la deuxième section, des obligations détaillées mais qui n’en sont pas moins des obligations morales plutôt que des obligations en droit interne. Et ces conventions sont un patchwork de compromis laissant aux États une certaine marge de manœuvre que nous explorons à la troisième section.
ÉlÉments de gÉnÉalogie
L’architecture des conventions internationales qui régissent la production et le commerce des drogues est fascinante et unique. Tout commence au milieu du XIXe siècle alors que Royaume-Uni et la Chine se sont livrées deux guerres, rapidement gagnées par les Britanniques, au sujet du commerce de l’opium. Et dans cette partie de l’histoire, les rôles sont inversés : les Britanniques qui détiennent le monopole de l’opium de la Compagnie des Indes refusent d’abandonner ce commerce lucratif, alors que la Chine tente, depuis plusieurs décennies, de mettre fin à l’usage de l’opium, non pas tant pour des raisons sanitaires que pour des raisons économiques car ce trafic lui coûte cher.
[Traduction]
« La
Chine avait longtemps dominé les relations commerciales avec l’Occident,
exportant soieries, poteries fines, thés et autres produits, tandis qu’elle
attendait peu de l’extérieur. (…)
L’exportation d’opium vers la Chine devenait ainsi, pour les gouvernements
coloniaux, une manière de résoudre leur déficit commercial avec la Chine.
La production d’opium était un gagne-pain pour de nombreux paysans,
marchands, banquiers et fonctionnaires de l’état.
Les exportations vers la Chine étaient une source de monnaie forte, réduisant
ainsi les flux sorties de capitaux. » [4]
Alors que Royaume-Uni regimbe à instaurer des mécanismes de contrôle qui la priveraient de cette rentrée de devises fortes, les États-Unis comprennent, au début du siècle, qu’il s’agit là d’une occasion rêvée pour s’imposer sur la scène internationale.
À ces éléments de géopolitique des drogues avant l’heure, se mélangent en un savant cocktail des attitudes racistes, des intérêts économiques et des intérêts de politique intérieure bien compris. Nous avons déjà fait mention, aux chapitres 10 et 12 de certains aspects du racisme antichinois qui ont marqué le début du siècle au Canada. La même chose se vérifiait aux États-Unis.
« Les États-Unis ont plusieurs raisons de donner suite à cette proposition. La raison officielle est d’ordre moral : à une époque où les ligues de tempérance et les églises réclament la Prohibition, l’Amérique puritaine décide de prendre la tête de la croisade mondiale de la civilisation. Elle prétend protéger les races non civilisées des méfaits de l’opium et des boissons alcooliques. Mais elle a également d’autres raisons moins avouables. Sous la pression des syndicats qui redoutent la concurrence de la main‑d’œuvre d’origine chinoise, elle vote les Exclusion Laws, textes ouvertement xénophobes, destinés à contenir le péril jaune. Elle répand alors le mythe de « l’immonde opiomane chinois », adonné à son vice et prêt à contaminer la jeunesse américaine. » [5]
Le gouvernement chinois a évidemment protesté fortement contre ces lois, mais l’Empire du Milieu, victime de ses conflits et de sa désorganisation interne, avait peu de moyens de s’imposer sur la scène internationale. Tout en continuant sa lutte contre la consommation d’opium sur son territoire, la Chine s’est donc mise elle-même à favoriser la production locale du pavot.
Par ailleurs, l’industrie pharmaceutique, qui était en pleine croissance depuis le milieu du XIXe siècle, pouvait produire de plus en plus de médicaments à faible prix, dont plusieurs contenaient des extraits de coca ou d’opium.
[Traduction]
« Au milieu des
années 1880, la réaction euphorique à la découverte de la cocaïne fit boule
de neige. Les compagnies
pharmaceutiques s’empressèrent de passer des commandes, mais comme la quantité
de feuilles de coca fraîches était insuffisante, les prix ont explosé.
Pour satisfaire à la demande et participer à la manne, certaines
puissances impériales augmentèrent leurs efforts afin de développer le
commerce de la coca. (…) En
quelques années, la production augmenta significativement, la production de pâte
de coca se répandait, tandis que les feuilles de coca étaient une marchandise
négociée sur les places financières et que les compagnies pharmaceutiques se
faisaient la lutte pour les meilleurs prix, la disponibilité et la qualité du
produit. Encore peu disponible en
1885, la cocaïne devint bientôt l’emblème de l’économie politique
internationale, moderne et technologique. (…)
Au début du XXe siècle, la cocaïne était en troisième place en terme
de valeur parmi toutes les drogues, la popularité encore plus grande de la
morphine et de la quinine résultant de la même constellation de facteurs –
un complexe pharmaceutico-industriel en pleine expansion. »
[6]
Troisième élément, la professionnalisation et le pouvoir social croissants du corps médical. Il s’agissait en quelque sorte de lutter contre une médecine populaire, réputée génératrice d’abus et de charlatanisme, mais surtout exercée en marge des corporations de médecins et donc moins contrôlée par « l’autorité » médicale savante. Sûr de sa science, le puissant lobby médical allait rapidement s’imposer pour demander une réglementation des drogues et le pouvoir unique de diagnostic et de prescription.
Enfin, quatrième élément et non le moindre, s’ajoutent les considérations morales. Les mouvements de tempérance luttant contre les « vices » moraux et sociaux que représentaient l’alcool et les drogues étaient en pleine expansion et portaient un pouvoir politique important que les prohibitionnistes ont su utiliser brillamment.
Le coup de pouce final viendra de la décision, en 1906, du nouveau
gouvernement britannique libéral de s’opposer au commerce de l’opium imposé
entre l’Inde et la Chine, si bien que le gouvernement chinois a pu amorcer une
vaste campagne contre la consommation et la production de l’opium.
La Grande-Bretagne a convenu, en 1907, de réduire de 10 % par
année les exportations d’opium indien vers la Chine, tant que cette dernière
permettrait une vérification indépendante des réductions apportées à sa
propre production. L’accord
s’est avéré plus efficace que ne l’avaient prévu les deux pays, jusqu’à
la chute de la dynastie Manchu (Ch’ing) en 1911, après laquelle les
seigneurs de guerre chinois ont commencé à encourager la production de
l’opium sur une grande échelle en vue de financer leurs dépenses militaires.
Néanmoins, les futurs tenants de la prohibition devaient considérer
l’« accord de dix ans » de 1907 comme le premier « traité »
de l’opium couronné de succès ; pendant les 60 prochaines années,
cet accord allait donner le ton aux négociations relatives au contrôle
international des stupéfiants[7].
La table était mise pour la première d’une longue suite de conférences
internationales et de traités et conventions qui en ressortiraient, comme le démontre
le tableau suivant.[8]
Accords multilatéraux sur les stupéfiants et les
substances psychotropes[9]
Date et lieu de la
signature |
Titre de l’accord |
Date d’entrée en vigueur |
26 février 1909 Shanghai, Chine |
Résolutions finales de la Commission internationale de l’opium 1
|
Sans
objet |
23 janvier 1912 La Haye, Pays
Bas |
Convention internationale de l’opium |
11
février 1915 / 28
juin 1919 2 |
11 février 1925 Genève, Suisse |
Accord concernant la fabrication, le commerce intérieur et l’usage
de l’opium préparé |
28
juillet 1926 |
19 février 1925 Genève, Suisse |
Convention internationale de l’opium |
25
septembre 1928 |
13 juillet 1931 Genève, Suisse |
Convention pour limiter la fabrication et réglementer la distribution
des stupéfiants 3 |
9
juillet 1933 |
27 novembre 1931 Bangkok, Thaïlande |
Accord sur le contrôle de la consommation d’opium dans l’Extrême-Orient |
22
avril 1937 |
26 juin 1936 Genève, Suisse |
Convention pour la répression du trafic illicite des drogues nuisibles |
26
octobre 1939 |
11 décembre 1946 Lake Success, New
York, É.‑U. |
Protocole portant amendement aux Accords, Conventions et Protocoles sur
les stupéfiants, conclus à La Haye le 23 janvier 1912, à
Genève le 11 février 1925, le 19 février 1925 et le 13 juillet
1931, à Bangkok le 27 novembre 1931, et à Genève le 26 juin
1936 |
11
décembre 1946 |
19 novembre 1948 Paris, France |
Protocole plaçant sous contrôle international certaines drogues non
visées par la Convention du 13 juillet 1931 pour limiter la
fabrication et réglementer la distribution des stupéfiants, amendé
par le Protocole signé à Lake Success, New York, le 11 décembre
1946 |
1er
décembre 1949 |
23 juin 1953 New York, É.-U. |
Protocole visant à limiter et à réglementer la culture du pavot,
ainsi que la production, le commerce international, le commerce de gros
et l’emploi de l’opium |
8
mars 1963 |
30 mars 1961 New York, É.-U. |
Convention unique sur les stupéfiants de 1961 |
13
décembre 1964 |
21 février 1971 Vienne, Autriche |
Convention sur les substances psychotropes |
16
août 1976 |
25 mars 1972 Genève, Suisse |
Protocole portant amendement à la Convention unique sur les stupéfiants
de 1961 |
8
août 1975 |
20 décembre 1988 Vienne, Autriche |
Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants
et de substances psychotropes |
11
novembre 1990 |
1 Il s’agit de l’unique
document du Tableau qui n’est pas un traité multilatéral exécutoire.
Nous l’avons inclus parce qu’il marque le début d’une importante
collaboration internationale en matière de contrôle de stupéfiants.
2 La Chine, les Pays Bas et
les États-Unis ont mis en application la Convention en 1915 (le Honduras et la
Norvège ont emboîté le pas la même année).
C’est uniquement à l’intégration de la Convention dans le Traité
de Versailles en 1919 qu’elle est entrée en vigueur à l’échelle mondiale.
3 Modifiée par le Protocole
signé à Lake Success, New York, le 11 décembre 1946.
La Conférence de
Shanghai (1909)
L’intérêt des États-Unis à l’égard du contrôle international
des stupéfiants s’est considérablement accru à la suite de la Guerre
hispano-américaine, qui a mené à l’acquisition des Philippines par l’Amérique
en 1898.[10]
Avec cette acquisition, l’administration américaine héritait en effet
d’une situation qui, à ses yeux, constituait un problème sérieux : un
monopole étatique de l’approvisionnement en opium.
Sous la direction du nouvel évêque épiscopal des Philippines, Charles
Henry Brent, le monopole a été aboli, mais la contrebande continuait ;
Brent, qui percevait le problème de l’opium comme une question morale et
l’usage de stupéfiants comme un « vice
social… un crime » a convaincu le président Theodore Roosevelt
d’appuyer l’organisation d’une réunion internationale à Shanghai afin de
corriger ce qui était manifestement un problème régional.[11]
En février 1909, la Commission internationale de l’opium[12]
s’est réunie à Shanghai, et Brent en était le président.
Toutefois, parce que les participants ne disposaient pas des pouvoirs plénipotentiaires
requis pour conclure un traité, le résultat de la réunion a été simplement
une compilation de faits et un ensemble de recommandations non contraignantes. Durant les discussions au sujet du mandat de la Commission,
on s’est demandé si cette dernière devait tenir compte de questions de
nature médicale associées aux drogues, telles que la toxicomanie et son
traitement ; la proposition a été rejetée (par une majorité d’une
voix) parce qu’on croyait que la représentation de l’expertise médicale était
inadéquate à la réunion.[13]
Il s’agissait d’un précédent lourd de conséquences : à la
plupart des réunions futures, il y aurait surtout des diplomates et des
fonctionnaires, et une contribution peu importante des experts en médecine.
Les négociations menées durant les réunions de la Commission ont préparé
le terrain pour les conférences subséquentes.
Les États-Unis, représentés de manière agressive par Hamilton Wright,
ont tenté de convaincre les puissances coloniales d’appuyer une définition
étroite de l’« usage légitime » de l’opium, selon laquelle
tout usage non médical ou non scientifique – à la lumière des normes médicales
et scientifiques occidentales – serait jugé illicite. Les puissances coloniales ont défendu une approche moins
rigoureuse, qui permettrait un « usage quasi-médical ».
Dans la formulation finale de la Résolution 3, la Commission
concluait que [Traduction]
« l’usage de l’opium à toute fin autre que des fins médicales est
considéré par presque tous
les pays participants comme étant sujet à la prohibition ou à une réglementation
prudente ; et chaque pays, dans le
cadre de l’administration de son système ou de sa réglementation, vise dans
la mesure du possible une rigueur de plus en plus grande » [soulignés
dans le texte original].
La Commission était, dans les faits, très peu « internationale ».
On a ciblé principalement les problèmes liés à l’opium en Chine –
cinq des neuf résolutions désignaient la Chine explicitement – et les États-Unis
et la Grande-Bretagne ont dominé les discussions.
Les États-Unis voulaient imposer la prohibition et estimaient que la
Chine avait besoin d’aide pour venir à bout des problèmes liés à l’opium
à l’intérieur de ses frontières. La
Grande-Bretagne tentait de protéger son lucratif commerce d’opium indien,
avançant que l’interruption de ce commerce serait inutile tant que la Chine
ne maîtriserait pas sa production nationale.[14]
Il convient de signaler les objectifs politiques et économiques
nationaux qui sous‑tendaient la position rigoureuse de la délégation américaine
à la réunion de Shanghai et qui devaient avoir une incidence sur les négociations
ultérieures. On présumait que si
les autres pays réglementaient leur production et leurs exportations d’opium,
les États-Unis n’auraient pas à assumer cette tâche, puisque le pavot et la
feuille de coca n’avaient jamais poussé en quantités importantes en Amérique
du Nord. De plus, les accords
internationaux poussant les pays à adopter des mesures internes drastiques
renforçaient la position de Brent et de Wright, qui pressaient le gouvernement
américain d’élaborer des lois rigoureuses en matière de contrôle des stupéfiants.[15]
La Convention
internationale de l’opium de 1912 (La Haye)
À la réunion de Shanghai, les Américains avaient proposé la tenue
d’une conférence pour élaborer un traité de contrôle international des
stupéfiants qui inclurait les résolutions de Shanghai, mais dans une
formulation élargie et plus rigoureuse. D’autres
pays ont contesté cette proposition, si bien qu’elle est restée lettre
morte. Cependant, au cours des années
suivantes, les États-Unis ont fait campagne continuellement et vigoureusement
partout dans le monde en vue d’une nouvelle conférence.
S’attaquer au problème de l’opium directement, publiquement et à
l’échelle internationale était pour les États-Unis un moyen de réaliser
leurs objectifs nationaux en matière de contrôle des stupéfiants, soit mettre
un terme au lucratif commerce de stupéfiants dominé par les puissances
coloniales et, gagnant la faveur des Chinois, améliorer ainsi les relations économiques
sino-américaines.[16]
Douze pays ont accepté de se réunir à La Haye, le 1er décembre 1911,
afin d’élaborer un traité.[17]
Encore une fois, Brent présidait la réunion et Wright dirigeait la délégation
américaine. La plupart des pays
avaient exigé des modifications au programme proposé par les États-Unis, qui
visait principalement un contrôle rigoureux de la production, de la fabrication
et de la distribution de l’opium en Asie.
Par exemple, la Grande-Bretagne insistait pour que les drogues de synthèse
– telles que la morphine, l’héroïne et la cocaïne – soient incluses
dans les débats. Il s’agissait
d’une tentative de diluer le programme axé sur l’opium et de détourner
l’attention de la production d’opium indien.
La Grande-Bretagne espérait aussi qu’un traité équitable entraînerait
des règles de jeu uniformes permettant aux sociétés pharmaceutiques
britanniques de rivaliser avec l’industrie allemande, qui dominait alors le
secteur des drogues de synthèse.[18]
Les chapitres I et II de la Convention
internationale de l’opium de 1912[19]
(Convention de La Haye de 1912) visaient l’opium brut et traité.
Par exemple, l’article 1 exigeait que les parties [Traduction]
« adoptent des lois et règlements efficaces visant à contrôler la
production et la distribution de l’opium brut », à moins que de
telles lois ne soient déjà en vigueur. La
Convention reconnaissait aussi le principe (proposé par la délégation américaine)
que l’usage de l’opium soit restreint aux fins médicales et scientifiques.
Le chapitre IV visait à réduire le trafic de stupéfiants en
Chine.
La chapitre III portait sur le contrôle de l’autorisation, de la
fabrication et de la distribution des drogues de synthèse, mais l’Allemagne a
veillé à ce que les dispositions soient faibles et vagues.
L’article 10 permettait aux pays de déployer leurs « meilleurs
efforts » en vue de mettre en oeuvre ces contrôles.
De plus, l’Allemagne a refusé de signer le traité avant qu’on ne
convienne que tous les pays devaient ratifier[20] la Convention pour
qu’elle entre en vigueur. Il
s’agissait d’une tactique efficace pour retarder les mesures de contrôle,
puisqu’il a fallu près d’une décennie avant que tous les pays aient ratifié
le traité – l’Allemagne elle-même a procédé à la ratification
uniquement parce qu’il s’agissait d’une des conditions du Traité de
Versailles de 1919 mettant un terme à la Première Guerre mondiale.[21]
Wright s’est servi de la Convention de La Haye de 1912 dans sa
campagne en faveur d’une loi antidrogue américaine : selon lui, il
fallait une loi fédérale pour que les États-Unis s’acquittent de
leurs obligations dans le cadre de la Convention.
En 1916, la Cour suprême des États-Unis a tranché dans le sens
contraire, mais entre-temps la Harrison
Narcotics Act of 1914 était devenue la première loi fédérale sur le
contrôle des stupéfiants aux Etats-Unis ; elle allait demeurer un pilier
de la politique américaine en matière de lutte antidrogue pour les décennies
à venir.[22]
La création de la Société des Nations (SDN) en 1919, à la suite
de la Première Guerre mondiale, dotait la collectivité internationale d’un
organisme central pour l’administration du contrôle des stupéfiants.
En 1920, la SDN a mis sur pied le Comité consultatif sur le trafic
de l’opium et d’autres drogues nuisibles – connu sous le nom du Comité
consultatif de l’opium (CCO), le précurseur de la Commission des stupéfiants
des Nations Unies. L’Organisation
d’hygiène de la Société des Nations – précurseur de l’Organisation
mondiale de la santé des Nations Unies – a également été créée.
L’administration de la Convention de La Haye de 1912 relevait
initialement des Pays-Bas, mais a été transférée à la Commission de contrôle
de l’opium par le CCO. La mise en
application de la Convention était peu étendue, car les pays siégeant à la
Commission de contrôle de l’opium étaient ceux qui profitaient le plus du
commerce des stupéfiants.[23]
La SDN s’est mise à examiner les questions sociomédicales (les enjeux
liés à la « demande »), telles que les raisons qui poussent les
gens à consommer de la drogue, les comportements qui constituent un usage
abusif et les facteurs sociaux qui ont une incidence sur l’usage abusif.
Cependant, la prohibition et les enjeux liés à l’« offre »
ont rapidement repris la préséance, avec les préparatifs et les pourparlers
– encore une fois lancés par les États-Unis – en vue d’un nouveau traité
au milieu des années 1920. De
manière générale, le régime international tendait à séparer l’étude des
problèmes médicaux et sociaux associés aux drogues – y compris les
questions étiologiques – des problèmes associés au contrôle antidrogue.[24]
Les Conventions de
l’opium de Genève (1925)
Même si les États-Unis avaient choisi de ne pas se joindre à la SDN,
l’influence américaine sur les questions relatives au contrôle international
des stupéfiants ne s’est pas estompée.
Inquiets de l’effet limité de la Convention de La Haye de 1912
sur la contrebande de l’opium et, de plus en plus, sur celle des drogues
fabriquées dans l’Asie de l’Est, les États-Unis ont pressé la SDN de
convoquer une nouvelle conférence. La
SDN craignait que si elle n’obtempérait pas, les États-Unis pourraient
intervenir indépendamment.[25]
Entre novembre 1924 et février 1925, deux conférences ont été
tenues successivement et deux traités distincts ont été conclus.
La première Convention de Genève[26]
visait les nations productrices d’opium ; les signataires pouvaient
vendre de l’opium uniquement par l’entremise de monopoles gouvernementaux et
étaient tenus de mettre fin au commerce entièrement dans un délai de 15 ans.
La deuxième Convention de Genève, la Convention
internationale de l’opium[27]
(Convention de Genève de 1925), avait pour but d’assujettir à des contrôles
mondiaux une gamme élargie de drogues, y
compris, pour la première fois, le cannabis – désigné sous le nom de
« Indian hemp » (marijuana) à l’article 11 de la Convention.
Les articles 21 à 23 exigeaient que les parties soumettent des données
statistiques annuelles sur : les stocks et la consommation de drogues, la
production d’opium et de coca brut, ainsi que la fabrication et la
distribution d’héroïne, de morphine et de cocaïne.
Le chapitre VI substituait à la Commission de contrôle de
l’opium un Comité central permanent de l’opium (CCPO)[28]
comportant huit membres. Le
chapitre V de la seconde Convention établissait un régime de
certification des importations, supervisé par le CCPO, afin de contrôler le
commerce international de la drogue en limitant les quantités que chaque pays
pouvait importer légalement.
Alors que la Convention de La Haye de 1912 avait mis l’accent sur
les contrôles nationaux, les Conventions de Genève tentaient d’améliorer le
contrôle transnational. Les États-Unis
avaient proposé une adhésion stricte au principe de l’usage exclusivement médical
et scientifique de la drogue, ainsi que des contrôles rigoureux sur la
production des drogues à la source. Lorsque
ces propositions ont essuyé un rejet catégorique à la seconde conférence, la
délégation américaine a quitté la conférence et n’a jamais signé les
traités. De plus, la délégation
chinoise s’est retirée parce qu’aucun accord sur la suppression de la
consommation de l’opium n’a pu être conclu.[29]
Les deux pays se sont plutôt concentrés sur la mise en application de
la Convention de La Haye de 1912.
La Convention de Genève
pour limiter la fabrication et réglementer la distribution des stupéfiants
(1931) / Accord de Bangkok sur la consommation d’opium (1931)
Le système de contrôle des importations mis en place à la suite de la
Convention de Genève de 1925 ne s’est avéré efficace qu’en partie, car il
suffisait d’acheminer les drogues par des pays non-signataires.
En 1931, la Société des Nations a convoqué une nouvelle conférence
à Genève afin d’imposer des limites à la fabrication de la cocaïne, de
l’héroïne et de la morphine, et de contrôler leur distribution.
Le résultat de cette conférence a été la Convention
pour limiter la fabrication et réglementer la distribution des stupéfiants[30]
(La Convention de limitation de 1931).
À compter de 1931, le Canada – qui s’était contenté de réagir
aux efforts en matière de contrôle international des stupéfiants – a
commencé à jouer un rôle actif en appuyant les efforts américains visant à
élargir le contrôle à la source. Le
colonel Charles Henry Ludovic Sharman, chef de la Division des stupéfiants –
au sein du ministère des Pensions et de la Santé nationale – est devenu le
maître d’oeuvre de la politique nationale et internationale du Canada en matière
de drogues jusqu’aux années 1960. Le
Canada, par l’entremise de Sharman, a grandement contribué aux négociations
menant à la Convention de limitation de 1931.[31]
Il y avait aussi un nouvel acteur au sein de la délégation américaine :
Harry J. Anslinger, premier Commissaire du nouveau Federal
Bureau of Narcotics – il occuperait ce poste pendant 33 ans.
Entièrement dévoué à la prohibition et au contrôle des stupéfiants
à la source, Anslinger figure, de l’avis de nombreux observateurs, parmi ceux
qui ont le plus grandement influencé l’élaboration de la politique américaine
en matière de lutte antidrogues et, par conséquent, le contrôle international
des stupéfiants jusqu’au début des années 1970.[32]
L’élément central de la Convention de limitation de 1931 était
le régime de limitation de la fabrication exposé dans les chapitres II et
III. Les parties étaient tenues de
soumettre au CCPO des estimations de leurs besoins nationaux en matière de
drogues à des fins médicales et scientifiques ; à la lumière de ces
estimations, le CCPO devait calculer les plafonds de fabrication pour chacun des
pays signataires. Un Organe de
contrôle des stupéfiants (OCS) a été mis sur pied pour administrer le régime.
L’article 26 réduisait considérablement l’efficacité de la
Convention : les États n’assumaient aucune responsabilité découlant de
la Convention en ce qui a trait à leurs colonies.
L’article 15 obligeait les États à mettre sur pied une « administration
spéciale » de contrôle national des stupéfiants, modelée dans une
certaine mesure sur l’appareil de contrôle national américain.[33]
La Convention est entrée en vigueur rapidement parce que plusieurs pays
et la SDN croyaient qu’elle pourrait servir de modèle aux négociations sur
le contrôle des armements. La SDN
a même préparé un rapport visant à expliquer comment les principes établis
dans la Convention de Genève de 1925 et la Convention de limitation pouvaient
s’appliquer aux questions de désarmement.[34]
À la fin de 1931, une nouvelle conférence a été organisée au
sujet de la consommation d’opium en Extrême-Orient.
Le traité[35]
conclu était faible,
principalement parce que les États-Unis ont assisté à la conférence à titre
d’observateur et que les puissances coloniales européennes n’étaient pas
disposées à mettre en place des moyens efficaces pour contrôler l’usage de
l’opium pendant une période où la surproduction et la contrebande étaient
importantes. Le fait que la stratégie
américaine axée sur la prohibition totale avait peu d’effet sur la
contrebande et la consommation d’opium dans les Philippines ne facilitait pas
la tâche des États-Unis, qui proposaient l’élimination de la culture du
pavot. La principale conséquence de la conférence de Bangkok a été
de convaincre les États-Unis de la nécessité d’une approche plus ferme pour
lutter contre la production des matières premières et la contrebande de
drogues illicites.[36]
La Convention pour la répression
du trafic illicite des drogues nuisibles (Genève, 1936)
Prenant appui sur des initiatives menées par la Commission
internationale de police criminelle – le précurseur de l’Organisation
internationale de police criminelle (INTERPOL) – on a amorcé des négociations
en 1930 en vue d’élaborer un traité pour contrer le trafic illicite de
drogues et punir sévèrement les trafiquants au moyen de sanctions criminelles.[37]
En 1936, on a conclu la Convention
pour la répression du trafic illicite des drogues nuisibles[38]
(Convention pour la répression
du trafic de 1936) à Genève. Les
États-Unis, menés par Anslinger, avaient tenté d’inclure dans le traité la
criminalisation de toutes les activités – la culture, la production, la
fabrication et la distribution – liées à l’usage de l’opium, du coca (et
de ses dérivés) et du cannabis à des fins autres que médicales et
scientifiques. De nombreux pays se
sont opposés à cette proposition et le trafic illicite est demeuré au cœur
des débats.[39]
L’article 2 de la Convention encourageait les pays signataires à
utiliser leur système national de droit criminel afin de réprimer [Traduction]
« sévèrement », « en
particulier au moyen de l’incarcération ou d’autres sanctions de privation
de la liberté », les actes directement liés au trafic de stupéfiants.
Les États-Unis ont refusé de signer la version finale de la Convention,
qu’ils jugeaient trop faible, particulièrement en ce qui a trait à
l’extradition, à l’extraterritorialité et à la confiscation des recettes
du trafic. Les Américains
craignaient aussi que, en signant le traité, ils aient à assouplir leur régime
national de contrôle criminel afin de se conformer à la Convention.
En fait, la Convention n’a jamais bénéficié d’une acceptation générale,
puisque la plupart des pays intéressés à cibler les trafiquants ont conclu
leurs propres traités bilatéraux.
Malgré la faiblesse de son impact général, la Convention pour la répression
du trafic de 1936 marquait un point tournant : tous les traités antérieurs
avaient porté sur la réglementation d’activités « licites » liées
aux drogues, tandis que la Convention pour la répression du trafic de 1936
faisait de ces activités un crime international passible de sanctions pénales.
La Deuxième Guerre
mondiale
À la fin des années 1930, le Comité consultatif de l’Opium
(CCO) de la SDN a commencé à remettre en question le fait que le régime de
contrôle international des stupéfiants soit axé sur la prohibition et la répression
criminelle. Certains pays
proposaient de contrer la toxicomanie au moyen d’approches liées à la santé
publique, notamment le traitement psychologique, les centres de santé et les
programmes de sensibilisation. Faisant
valoir l’opinion américaine que seule l’institutionnalisation permettait de
guérir les toxicomanes, Anslinger, appuyé par Sharman, a réussi à bloquer
tous les efforts du CCO visant à envisager des approches sociales et étiologiques
aux problèmes causés par la drogue. Sur
l’insistance d’Anslinger, on a plutôt continué de mettre l’accent sur
l’élaboration d’un nouveau traité pour imposer la prohibition et le contrôle
de l’approvisionnement à l’échelle mondiale.[40]
Ironiquement, en prévision de la guerre, de nombreux pays (en
particulier les États-Unis) ont amassé des réserves d’opium et de produits
de l’opium destinés à un usage médical.[41]
La Deuxième Guerre mondiale a mis en veilleuse le développement plus
poussé de l’appareil de contrôle international des stupéfiants.
Le Protocole de Lake
Success (1946)
Après la guerre, on a intégré les organismes et fonctions de contrôle
des stupéfiants de la SDN au sein de la nouvelle Organisation des Nations
Unies.[42]
Le Conseil économique et social des Nations Unies a assumé la
principale responsabilité, par l’entremise de sa Commission des stupéfiants,
qui remplaçait le CCO. Sous la
direction de la Commission des stupéfiants, la Division des stupéfiants était
chargée des travaux préparatoires aux conférences.
Le CCPO et l’OCS ont poursuivi leurs activités sous la Commission des
stupéfiants, assumant leurs rôles respectifs de compilation de statistiques
pour les estimations nationales et d’administration des traités antérieurs.
Le Canadien Sharman est devenu le premier président de la Commission des
stupéfiants et il a siégé à l’OCS.
Tous ces changements sur le plan des responsabilités et de
l’organisation nécessitaient des amendements aux traités de contrôle
international des stupéfiants. On
a convenu de ces amendements dans un Protocole[43]
signé à Lake
Success, New York, le 11 décembre 1946.
Le Protocole de Paris
(1948)
Anslinger et Sharman ont déployé de nombreux efforts pour faire en
sorte que la Commission des stupéfiants relève directement du Conseil économique
et social, à titre d’organisation indépendante.
Ils craignaient que, si le principal appareil de contrôle des stupéfiants
était une plus vaste organisation chargée de la santé ou des enjeux sociaux
– telle que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ou l’Organisation
des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) – les
questions liées à l’étiologie et au traitement puissent l’emporter sur la
prohibition. En particulier, ils
voulaient s’assurer que les gouvernements seraient représentés par des
agents responsables de l’application des lois, plutôt que par des médecins
ou d’autres intervenants des domaines de la sociologie ou de la santé
publique. De plus, l’URSS disait
vouloir considérer les facteurs sociaux qui sous-tendent l’abus des drogues.
Pour les puissances occidentales, être d’accord avec l’Union soviétique
aurait miné leur position inébranlable à l’égard de Moscou et du
communisme dans le cadre de la Guerre froide qui se dessinait.
Bien que le Conseil économique et social ait conservé la responsabilité
principale, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) – et en particulier
son comité d’experts des drogues engendrant la toxicomanie – a été chargée
de déterminer quelles substances devaient être soumises à la réglementation.[44]
Ce pouvoir a été attribué à l’OMS dans un Protocole international[45]
signé à Paris en 1948. L’article
premier prévoyait que si l’OMS constatait qu’une drogue [Traduction]
« est apte à engendrer la toxicomanie ou peut être convertie en un
produit apte à engendrer la toxicomanie », l’OMS déterminerait sa
classification au sein de la structure de contrôle international des stupéfiants.
Le Protocole plaçait également sous contrôle international certains
opiacés synthétiques qui n’étaient pas visés par les traités antérieurs.
Le Protocole de l’opium
de New York (1953)
À la fin des années 1940, il était clair que le nombre élevé de
traités, comportant différents types et niveaux de contrôle, était une
source de confusion et de complexité. Anslinger,
Sharman et leurs alliés ont veillé à ce que la Commission des stupéfiants
recommande au Conseil économique et social de réunir tous les traités
existants en un seul document – ce qui serait également l’occasion de
mettre en place des contrôles prohibitionnistes plus rigoureux.[46]
Il a fallu mettre ce plan en veilleuse pendant une décennie lorsque le
directeur de la Division des stupéfiants, Leon Steinig, a proposé la création
d’un « monopole international de l’opium » en vue de mettre fin
au trafic illicite et de garantir un approvisionnement de gros en opium licite.
Au long des années 1950, les tensions de la Guerre froide ont poussé
Anslinger à reconstituer la réserve américaine d’opium et de dérivés de
l’opium, souvent en effectuant des achats importants auprès de l’Iran par
l’entremise d’entreprises pharmaceutiques américaines.
De nombreux pays européens se constituaient aussi une réserve.
Les entreprises pharmaceutiques multinationales dans ces pays et aux États-Unis
craignaient qu’un monopole similaire à celui que proposait Steinig entraîne
des restrictions et une hausse des prix. Anslinger
et Sharman ainsi que les Britanniques, les Hollandais et les Français, ont mis
fin aux discussions sur le monopole au sein de la Commission des stupéfiants.
Le représentant français auprès de la Commission des stupéfiants,
Charles Vaille, a suggéré un nouveau protocole de l’opium à titre de
solution provisoire, en attendant le regroupement des traités.
Le Conseil économique et social a approuvé une conférence de plénipotentiaires
et Anslinger s’est servi de l’établissement de ce nouveau protocole pour
imposer des contrôles mondiaux sévères de la production d’opium.[47]
On a mis la dernière main au Protocole[48]
(Protocole de
l’opium de 1953) à New York en 1953.
L’article 2 disposait carrément que les parties étaient tenues
de « restreindre l’emploi de l’opium exclusivement aux besoins médicaux
et scientifiques ». Le
Protocole comportait diverses dispositions visant la culture du pavot, de même
que la production et la distribution de l’opium.
L’article 6 limitait la production de l’opium à sept pays, et
les parties pouvaient importer ou exporter seulement l’opium produit dans un
de ces pays.[49]
Le Protocole de l’opium de 1953 comportait les dispositions de contrôle
international les plus rigoureuses de l’histoire, mais n’a jamais obtenu le
soutien qu’Anslinger avait souhaité. Ce
n’est qu’en 1963 qu’il a atteint le nombre de ratifications requis pour sa
mise en œuvre ; toutefois, à cette date, la Convention unique de 1961
avait déjà remplacé le Protocole.
Les trois conventions
actuelles
La Convention unique sur
les stupéfiants de 1961
La
Convention unique a joué un rôle central dans la création du système moderne
de contrôle international des stupéfiants axé sur la prohibition.
Il s’agit d’un prolongement et d’un élargissement de
l’infrastructure juridique élaboré entre 1909 et 1953.
Le regroupement des traités sur le contrôle international des stupéfiants
en un seul instrument s’est amorcé en 1948, mais ce n’est qu’en 1961
qu’on a disposé d’une troisième version préliminaire acceptable qu’on
pouvait présenter à une conférence de plénipotentiaires.[50]
La conférence a débuté le 24 janvier 1961 à New York
et 73 pays y étaient représentés, chacun ayant [Traduction]
« un programme fondé sur ses propres priorités nationales ».[51]
William
B. McAllister a réparti les États participants en cinq catégories distinctes,
selon leur position et leurs objectifs en matière de contrôle des stupéfiants :
·
Groupe des États producteurs de matière première :
À titre de producteurs de la matière première organique pour la plus grande
partie de l’approvisionnement mondial en drogues, ces pays avaient été le
point de mire traditionnel des efforts de contrôle international des stupéfiants. Ils étaient disposés à accepter un usage socioculturel de
la drogue, puisqu’ils avaient connu un tel usage durant des siècles.
Bien que l’Inde, la Turquie, le Pakistan et la Birmanie en aient été
les chefs de file, le groupe comptait aussi les États producteurs de coca de
l’Indonésie et de la région andine de l’Amérique du Sud, les pays
producteurs d’opium et de cannabis de l’Asie du Sud et du Sud-Est, ainsi que
les États producteurs de cannabis de la Corne de l’Afrique.
Ils étaient en faveur de contrôles souples parce que les restrictions
existantes à la production et à l’exportation avaient directement touché
d’importantes sections de leur population et de leur industrie nationale.
Ils appuyaient des efforts de contrôle nationaux tenant compte de leur
situation nationale et se méfiaient des puissants organismes de contrôle
international sous l’égide des Nations Unies.
Bien qu’essentiellement impuissants à s’opposer à la philosophie
prohibitionniste, ils ont, de fait, imposé un compromis en se concertant pour
diluer la formulation du traité au moyen d’exceptions, d’échappatoires et
de reports. Ils ont également demandé des aides au développement pour
contrebalancer les pertes causées par les contrôles rigoureux.
·
Groupes des États fabricants :
Ce groupe comptait principalement des pays industrialisés occidentaux, dont les
intervenants clés étaient les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada, la
Suisse, les Pays-Bas, l’Allemagne de l’Ouest et le Japon.
Sans affinité culturelle à l’égard de la consommation des drogues
d’origine végétale et confrontés aux effets de la toxicomanie chez leurs
citoyens, ils préconisaient un contrôle très rigoureux de la production des
matières premières brutes et du trafic illicite.
En tant que principaux fabricants des psychotropes synthétiques (et
appuyés par un lobby industriel déterminé), ils se sont fortement opposés
aux restrictions injustifiées à la recherche médicale ou à la production et
à la distribution des drogues de synthèse.
Ces pays étaient en faveur de puissants organismes de contrôle
supranational dans la mesure où ils conserveraient la direction de facto de ces organismes. Leur
stratégie consistait essentiellement à [Traduction]
« déplacer dans la mesure du possible le fardeau réglementaire vers les
États producteurs des matières premières, tout en conservant la plus grande
liberté possible dans leurs activités ».
·
Groupe du contrôle rigoureux :
Il s’agissait essentiellement des pays non-producteurs et non-fabricants qui
n’avaient aucun intérêt économique dans le commerce de la drogue.
Les principaux intervenants étaient la France, la Suède, le Brésil et
la Chine nationaliste. La plupart
des États de ce groupe s’opposaient pour des raisons culturelles à l’usage
de stupéfiants et souffraient de problèmes de toxicomanie.
Ils étaient en faveur d’un usage exclusivement médical et
scientifique, et étaient disposés à sacrifier une certaine mesure de leur
souveraineté nationale pour garantir l’efficacité des organismes de contrôle
supranational. Ils ont dû atténuer
leurs exigences pour obtenir l’accord le plus général possible.
·
Groupe du contrôle faible :
Ce groupe était mené par l’Union soviétique et comptait souvent ses
alliés en Europe, en Asie et en Afrique. Ces
pays considéraient le contrôle des stupéfiants comme une question purement
interne et ils s’opposaient de manière véhémente à toute ingérence dans
la souveraineté nationale, telle que les inspections indépendantes.
Ayant peu d’intérêts dans le commerce de la drogue et souffrant peu
de problèmes de toxicomanie, ils refusaient d’accorder à tout organisme
supranational des pouvoirs excessifs, particulièrement des pouvoirs sur la
prise de décisions interne.
·
Groupe neutre : Ce
groupe diversifié comptait la plupart des pays africains, l’Amérique
centrale, l’Amérique du Sud subandine, le Luxembourg et le Vatican.
La question ne comportait aucun intérêt important pour eux, sauf
l’accès garanti à un approvisionnement suffisant en médicaments.
Certains ont voté en se ralliant à des blocs politiques, d’autres étaient
prêts à échanger leurs votes, et d’autres encore étaient véritablement
neutres, si bien que leurs votes dépendaient de la force persuasive des
arguments présentés. En général,
ils appuyaient le compromis visant à obtenir l’accord maximal.
Le résultat de tous ces intérêts rivaux a été un document qui
symbolisait le compromis : la Convention unique maintenait et élargissait
clairement les contrôles existants et, compte tenu de sa portée, constituait
le document le plus prohibitionniste jamais adopté, même si elle était moins
rigoureuse qu’elle aurait pu l’être. Elle
omettait les aspects coûteux du Protocole de l’opium de 1953, tels que la
disposition limitant la production de l’opium aux sept pays énumérés.
Sharman ne négociait plus pour le Canada et Anslinger avait joué un rôle
mineur à la conférence en raison de conflits avec le State
Department des États-Unis. Ce
dernier était satisfait de la Convention puisque l’influence américaine était
garantie au sein des organismes de supervision des Nations Unies et que le cadre
de prohibition avait été élargi de manière à inclure des contrôles serrés
sur le coca et le cannabis. Étant
donné que la Convention unique était une initiative lancée par les États-Unis,
les Américains auraient perdu du respect au sein de l’ONU s’ils s’étaient
retirés de la conférence et auraient en outre donné une impression de
faiblesse devant l’Union soviétique durant une période tendue de la Guerre
froide.[52]
Les principaux fondements des traités antérieurs sont demeurés en
place dans la Convention unique.[53]
Les parties étaient encore tenues de soumettre des estimations de leurs
besoins en drogues et de fournir des rapports statistiques sur la production, la
fabrication, l’usage, la consommation, l’importation, l’exportation et la
constitution de réserves de drogues.[54]
On maintenait le régime de certification des importations créé dans le
cadre de la Convention de Genève de 1925, les parties devaient attribuer des
permis à tous les fabricants, commerçants et distributeurs, et toutes les
transactions relatives aux drogues devaient être documentées.[55]
La Convention unique maintenait la tendance à exiger des parties
qu’elles élaborent des lois criminelles de plus en plus punitives.
Sous réserve de leurs restrictions constitutionnelles, les parties
devaient adopter des infractions criminelles distinctes (punissables préférablement
au moyen de l’incarcération) pour chacune des activités suivantes liées aux
drogues et contrevenant à la Convention : la culture, la production, la
fabrication, l’extraction, la préparation, la détention, l’offre, la mise
en vente, la distribution, l’achat, la vente, la livraison (quelles qu’en
soient les modalités), la facilitation de transactions, l’expédition,
l’expédition en transit, le transport, l’importation et l’exportation.[56]
De plus, l’approbation de l’extradition était jugée « souhaitable ».[57]
La Convention classait les substances dans quatre tableaux, selon le
niveau de contrôle. Les tableaux I
et IV comptaient les substances soumises au contrôle le plus rigoureux,
principalement les matières organiques brutes (l’opium, le coca, le cannabis)
et leurs dérivés, tels que l’héroïne et la cocaïne. Les tableaux II et III comptaient les substances
soumises à des contrôles plus souples, principalement les drogues de synthèse
à base de codéine. Sur
l’insistance des États-Unis, on a placé le cannabis sous le régime de contrôle
le plus sévère, celui du tableau IV.
Ce régime englobait des drogues comme l’héroïne (selon l’OMS,
toute application médicale de l’héroïne était « désuète »).
L’argument justifiant l’insertion du cannabis dans cette catégorie
était son usage répandu. L’OMS
a découvert plus tard que le cannabis pouvait avoir des applications médicales,
mais la structure était déjà en place et aucune mesure internationale n’a
été prise pour corriger cette anomalie.
Les États-Unis étaient satisfaits de la Convention unique, qui élargissait
le contrôle de la culture du pavot d’opium, du coca et du chanvre, même si
ce contrôle était moins sévère que les mesures négociées par Anslinger
dans le cadre du Protocole de l’opium de 1953.[58]
Les articles 23 et 24 de la Convention établissaient des monopoles
d’opium nationaux et imposaient des restrictions très strictes au commerce
international de l’opium.
L’article 49 de la Convention exigeait que les parties abolissent
entièrement, dans un délai maximal de 25 ans après l’entrée en
vigueur de la Convention, tous les usages quasi-médicaux de l’opium,[59]
la consommation d’opium, la mastication de la feuille de coca et l’usage non
médical du cannabis. Toute
production ou fabrication de ces drogues devait également être abolie à
l’intérieur du même délai. Seules
les parties pour lesquelles de tels usages étaient « traditionnels »
pouvaient se prévaloir de la mise en oeuvre reportée ; pour les autres,
la prohibition entrait en vigueur immédiatement.
Puisque le délai maximal s’est écoulé en 1989, ces pratiques
sont aujourd’hui entièrement interdites et les drogues peuvent servir
uniquement à des fins médicales et scientifiques réglementées.
En plus de consolider les traités antérieurs et d’élargir les
dispositions de contrôle, la Convention unique rationalisait les organismes des
Nations Unies chargés de la lutte antidrogues.
Le CCOP et l’OCS furent combinés en un nouvel organe, l’Organe
international de contrôle des stupéfiants (OICS), responsable de surveiller
l’application de la Convention et d’administrer le régime des estimations
et des rapports statistiques soumis annuellement par les parties.[60]
L’OICS devait compter onze membres, trois désignés par l’OMS et
huit par les parties à la Convention et les membres de l’ONU.
L’efficacité du lobby des fabricants durant les négociations était
reflétée dans les connaissances requises des candidats de l’OMS : [Traduction]
« une expérience de la médecine, de la pharmacologie ou de la pharmacie ».[61]
L’OICS détenait un pouvoir limité de décréter des embargos qui
lui permettait de recommander aux parties d’interrompre le commerce
international de drogues avec tout État signataire qui ne se conformait pas aux
dispositions de la Convention.[62]
Le peu d’attention consacrée aux problèmes de la toxicomanie reflétait
à quel point la Convention était axée sur la prohibition.
Seul l’article 38 abordait l’aspect social (l’élément « demande »)
du problème, en exigeant que les parties [Traduction]
« accordent une attention spéciale à la mise en place d’établissements
pour le traitement médical, les soins et la réadaptation des toxicomanes ».
De plus, on jugeait « souhaitable » que les parties [Traduction]
« mettent sur pied des installations adéquates pour le traitement
efficace des toxicomanes », mais seulement si le pays était aux
prises avec [Traduction]
« un problème sérieux de toxicomanie et si ses ressources économiques
le permett[ai]ent ».
La reconnaissance inadéquate des approches visant à réduire la demande
et les effets nocifs, telles que la prévention au moyen de la sensibilisation,
est un des principaux reproches faits à la Convention unique et, de manière générale,
aux traités sur le contrôle international des stupéfiants.[63]
La
Convention unique regroupait efficacement divers mécanismes de contrôle des
stupéfiants, élaborés sur plusieurs décennies, en un seul document central
administré par une organisation centrale – les Nations Unies.
Convention sur les
substances psychotropes
Au cours des années 1960, après la signature de la Convention unique,
il y a eu explosion de la consommation de drogues et de la toxicomanie partout
dans le monde, notamment dans les pays occidentaux industrialisés.[64]
Cette croissance se reflétait particulièrement dans l’usage et la
disponibilité très répandus de substances psychotropes synthétiques créées
depuis la Deuxième Guerre mondiale, telles que les amphétamines, les
barbituriques et le LSD. La plupart
de ces drogues n’étaient pas assujetties au contrôle international et, comme
les systèmes de réglementation nationaux variaient énormément, le trafic et
la contrebande prospéraient.[65]
Tout le long des années 1960, la Commission des stupéfiants et l’OMS
ont discuté du contrôle des drogues psychotropes à leurs réunions régulières
et ont présenté diverses recommandations aux pays membres concernant le contrôle
national de substances précises, notamment les stimulants, les sédatifs et le
LSD. En janvier 1970, la Commission
des stupéfiants a discuté d’un traité préliminaire sur le contrôle
international des drogues psychotropes, préparé par la Division des stupéfiants
des Nations Unies. À la suite de
quelques modifications apportées par la Commission des stupéfiants, ce
document a servi de point de départ aux négociations de la conférence des plénipotentiaires
qui a eu lieu à Vienne le 11 juillet 1971 – la conférence qui a
mené à la Convention sur les psychotropes.[66]
La Convention unique de 1961 avait servi de modèle à la version préliminaire
de la Convention sur les psychotropes, si bien que de nombreuses caractéristiques
de la première se retrouvent dans la seconde : l’autorité
administrative de la Commission des stupéfiants/OICS, les tableaux établissant
les différents niveaux de contrôle imposés aux différentes drogues, la
documentation et la réglementation (au moyen de permis) obligatoires des
transactions, un régime de contrôle des importations/exportations, ainsi que
des dispositions touchant le trafic illicite et les sanctions criminelles.
Une lecture superficielle pourrait laisser croire qu’il y a peu de différences
entre les deux Conventions, mais elles sont en fait extrêmement différentes.
La Convention sur les psychotropes impose des contrôles beaucoup
plus souples. La raison de cet
assouplissement devient évidente lorsqu’on prend connaissance des positions
des intervenants négociateurs et qu’on compare attentivement certaines
sections des deux traités.[67]
L’influence dominante de l’industrie pharmaceutique multinationale
sur la Convention des psychotropes était particulièrement perceptible.[68]
Alors que cinq groupes de négociation avaient été recensés par
McAllister à la Convention unique, il y avait à la conférence de Vienne deux
groupes distincts prônant des positions contraires. Le premier comptait surtout des pays industrialisés possédant
de puissantes industries pharmaceutiques et des marchés actifs pour les
substances psychotropes – il correspondait essentiellement au « groupe
des fabricants ». Le second
groupe était constitué de pays en voie de développement, appuyés par les
pays socialistes, possédant peu d’usines de fabrication de substances
psychotropes – il s’agissait dans une large mesure du « groupe des
producteurs de la matière première organique ».
Toutefois, aux négociations de 1971, les positions de ces deux groupes
étaient entièrement inversées.
Le groupe des fabricants a adopté les arguments traditionnels du groupe
des producteurs organiques : des contrôles souples ; des contrôles
nationaux (plutôt qu’internationaux) ; la préséance de la souveraineté
nationale sur un organe supranational des Nations Unies.
On justifiait ces positions en avançant que des contrôles stricts
seraient difficiles à appliquer et entraîneraient des pertes financières.
De son côté, le groupe des producteurs de matières premières
organiques exerçait de fortes pressions en faveur de l’adoption de contrôles
semblables à ceux qu’il avait dû accepter dans le cadre de la Convention
unique.[69]
Une
comparaison des préambules des deux conventions est révélatrice.
Bien que le préambule ne comporte pas de mesures exécutoires, il donne
un aperçu de l’esprit du traité. Dans
la Convention unique, la toxicomanie est décrite comme [Traduction]
« un fléau pour l’individu […] un danger économique et social pour l’humanité ». On reconnaît toutefois que [Traduction]
« l’usage de stupéfiants à des fins médicales demeure indispensable
pour soulager la douleur et que les mesures voulues doivent être prises pour
faire en sorte que les stupéfiants soient disponibles à cette fin ».
Par contraste, la Convention sur les psychotropes n’évoque pas
« le fléau » de la toxicomanie, mais signale plutôt [Traduction]
« avec préoccupation les problèmes sociaux et de santé publique découlant
de l’abus de certaines substances psychotropes ».
De plus, on reconnaît que [Traduction]
« l’usage de substances psychotropes à des fins médicales et
scientifiques est indispensable et leur disponibilité à ces fins ne devrait
pas faire l’objet d’une restriction injustifiée ».
Le ton général du préambule de la Convention sur les psychotropes est
moins dur et laisse sous-entendre que l’abus de certains psychotropes (mais
pas tous) n’est pas un problème aussi sérieux que l’accoutumance aux stupéfiants
en général.
Il y a également des différences entre les deux conventions dans
l’approche de la classification des drogues (qui se fait au moyen de tableaux
associés à des niveaux de contrôle). Durant
les négociations de la Convention unique de 1961, s’il y avait un désaccord
relativement au placement d’une drogue dans un tableau particulier, cette
drogue figurait presque toujours dans le tableau contesté par le groupe des
producteurs des matières premières – par exemple, le placement du cannabis
dans le tableau IV. Pour imposer
ces assignations, le groupe des fabricants s’appuyait sur le principe suivant :
il faut supposer qu’un stupéfiant est dangereux jusqu’à preuve du
contraire. Toutefois, ce même
principe ne s’appliquait pas lorsque les intérêts économiques des États-Unis
étaient en jeu : en 1971, la délégation américaine a fait valoir avec
force (et souvent avec succès) que les matières premières organiques devaient
être assignées aux tableaux comportant les contrôles les plus sévères,
tandis que leurs dérivés de synthèse devaient être placés dans les tableaux
à réglementation souple.
La Convention sur les psychotropes comporte aussi quatre tableaux de
contrôle, mais ils diffèrent considérablement des tableaux de la Convention
unique en ce qui a trait à leur nature et à leur organisation.
Par exemple, dans la Convention unique, le tableau comportant les contrôles
les plus rigoureux est le tableau IV,[70]
qui est équivalent au tableau I[71]de
la Convention des psychotropes. Dans
les deux cas, l’usage des drogues visées est restreint à des personnes
autorisées au sein d’établissements médicaux ou scientifiques
gouvernementaux, et leur fabrication, leur importation et leur exportation sont
strictement contrôlées. Dans la
Convention sur les psychotropes, le tableau comportant les contrôles les plus
faibles est le tableau IV, qui comprend les tranquillisants. Certains États fabricants ont tenté d’abolir le tableau IV,
en faisant valoir que les contrôles nationaux assuraient une réglementation adéquate
de ces drogues, si bien que le contrôle international était inutile.
En fin de compte, le tableau IV a été maintenu, mais avec une
liste de drogues beaucoup plus courte ; le principe fondamental utilisé en 1961
pour assigner les drogues aux tableaux avait été complètement inversé,
particulièrement chez les Américains : [Traduction]
« à moins de preuves convaincantes qu’une substance était nocive, elle
ne devait être pas soumise à la réglementation ».[72]
Une comparaison attentive des tableaux met en lumière une autre différence
centrale entre les deux conventions. Les traités antérieurs, y compris la Convention unique, ne
consignaient pas seulement les substances de base, mais élargissaient le contrôle
de manière à inclure aussi leurs sels, leurs esters, leurs éthers et leurs
isomères – autrement dit, leurs dérivés.
Cependant, les dérivés sont complètement
absents des tableaux de la Convention sur les psychotropes.
Par conséquent, chaque substance visée par le régime de contrôle du
traité doit être nommée explicitement. Sur
le plan pratique, une telle énumération est impossible, car de nouveaux dérivés
sont créés régulièrement et ils représentent 95 % des substances créées
par les entreprises pharmaceutiques. Une
inclusion générale des dérivés aurait eu pour effet d’inclure
automatiquement les nouvelles substances. Il
semble que cette omission était le fruit d’une entente entre les représentants
politiques, à un moment où les spécialistes techniques étaient absents –
il fallait sacrifier les dérivés pour que les pays fabricants acceptent de
signer le traité.[73]
L’article 19 de la Convention unique établit le système des
estimations. Ce système oblige les
parties à soumettre à l’OICS un rapport annuel signalant la quantité de
chaque substance réglementée dont elles auront besoin au cours de l’année
à venir. Ce système est un des
piliers du régime de contrôle international des stupéfiants et remonte à la
deuxième conférence de Genève, qui a mené à la Convention
internationale de l’opium de 1925.
Ce système a été complètement
exclu de la Convention sur les psychotropes. Comme le souligne McAllister : [Traduction]
« cette omission était nettement avantageuse pour les pays fabricants,
puisqu’en l’absence de prévisions des besoins, il est impossible de déterminer
si on fabrique une quantité supérieure aux applications prévues ».[74]
Cela a permis aux multinationales de produire des quantités illimitées
de substances psychotropes sans avoir à tenir compte de limites de production
annuelles fondées sur les besoins licites.
Au cours des années 1970 et 1980, la Division des stupéfiants et
l’OICS ont dans une large mesure corrigé les omissions touchant les dérivés
et les estimations, en ayant recours discrètement au droit international
coutumier. La Division des stupéfiants
et l’OICS ont demandé aux parties de soumettre de l’information et des
statistiques dont la divulgation n’était pas requise par la Convention. Les réponses positives reçues des pays producteurs de matières
premières organiques ont servi à convaincre les autres pays d’emboîter le
pas. De même, la Commission des
stupéfiants et l’OMS ont simplement annoncé que les dérivés seraient
inclus dans les tableaux. Certains
gouvernements se sont conformés à la mesure et les autres, en raison de la
pression internationale, ont dû s’y plier à leur tour.
En vertu de l’article 3 de la Convention unique, il incombe
principalement à l’OMS de déterminer si, à la lumière d’une analyse médicale
ou scientifique, une nouvelle drogue devrait être ajoutée à un tableau et,
par conséquent, soumise au contrôle international.
La recommandation de l’OMS est présentée à la Commission des stupéfiants,
qui prend la décision finale. Toutefois,
toute partie peut porter en appel la décision de la Commission des stupéfiants
auprès du Conseil économique et social dans un délai de 90 jours.
La décision du Conseil économique et social est finale.
Pendant qu’une décision est portée en appel, la Commission des stupéfiants
peut tout de même imposer des mesures de contrôle relatives à la substance
concernée.
En vertu de la Convention sur les psychotropes, l’OMS formule encore
des recommandations en se fondant sur des critères médicaux et scientifiques.
Toutefois, le paragraphe 2(5) demande explicitement à la Commission
des stupéfiants de garder à l’esprit les facteurs économiques, sociaux,
juridiques, administratifs et autres qu’elle pourrait juger pertinents en
prenant une décision. De plus, le
paragraphe 17(2) dispose que la décision de la Commission des stupéfiants
est assujettie à l’approbation d’une majorité des deux tiers de ses
membres.[75]
Il est encore possible de porter la décision de la Commission en appel
auprès du Conseil économique et social, et les parties disposent d’un délai
de 180 jours pour déposer l’appel.
En outre, la décision du Conseil économique et social n’est pas nécessairement
finale – il y a la possibilité d’appels continuels.
Enfin, pendant qu’une décision est portée en appel, le paragraphe 2(7)
permet à une partie d’adopter une « mesure exceptionnelle » et de
s’exempter de certaines mesures de contrôle imposées par la Commission des
stupéfiants, en attendant le résultat de l’appel.
L’effet cumulatif de tous ces ajouts à la Convention sur les
psychotropes est qu’il peut être beaucoup plus difficile pour l’OMS
d’assujettir une nouvelle drogue psychotrope au système de contrôle que
d’ajouter un nouveau stupéfiant à la Convention unique.
Les deux conventions divergent aussi pour ce qui est des critères régissant
l’inscription d’une nouvelle drogue au régime de contrôle.
Selon l’article 3 de la Convention unique, un stupéfiant est
soumis au régime de contrôle s’il est [Traduction]
« susceptible de donner lieu à des abus analogues et de produire des
effets nocifs analogues à ceux des stupéfiants » des tableaux
pertinents. Les critères requis en
vertu du paragraphe 2(4) de la Convention sur les psychotropes sont considérablement
plus rigoureux. L’OMS doit
constater :
[Traduction]
(a)
que la substance est apte à engendrer :
(i)
(1) un état de dépendance,
(2) et une stimulation
ou une dépression du système nerveux central, entraînant des hallucinations
ou des perturbations de la fonction motrice ou de la réflexion ou du
comportement ou de la perception ou de l’humeur,
(ii) ou un abus analogue ou des effets nocifs analogues à ceux d’une substance inscrite au Tableau I, II, III ou IV,
et
qu’il y a suffisamment de preuves que la substance fait l’objet d’un abus
ou fera probablement l’objet d’un abus, au point de constituer un problème
social ou de santé publique justifiant que la substance soit placée sous contrôle
international.
Assumant
un rôle de premier plan pour le groupe des fabricants sur ce point, les États-Unis
et la Grande-Bretagne ont été les plus ardents défenseurs de ces critères très
restrictifs.[76]
En ce
qui concerne l’élément « demande » des problèmes liés aux
drogues, la Convention sur les psychotropes devance nettement la Convention
unique, qui abordait la question de manière superficielle (l’article 38 décrit
ci-dessus). L’article 20 du
traité de 1971 marque un tournant puisqu’il introduit le principe de la
sensibilisation publique et de la prévention de la toxicomanie dans
l’infrastructure juridique du contrôle international des stupéfiants.
En particulier, on demande aux parties [Traduction]
« de mettre en place toutes les mesures pratiques possibles pour la prévention
de l’abus des substances psychotropes et pour le dépistage précoce, le
traitement, la sensibilisation, l’aide postpénale, la réadaptation et la réintégration
sociale des personnes concernées, et de coordonner leurs efforts à ces fins ».
On exige de favoriser « dans la mesure du possible » la
formation du personnel chargé de mener à bien ces tâches et on encourage également
l’étude des questions étiologiques liées à la toxicomanie et la
sensibilisation publique à ces questions.
Bien que ces dispositions accordent une grande marge de manœuvre aux
pays qui voudraient éviter de telles mesures, elles constituent une nette amélioration
par rapport à la Convention unique.
Les
dispositions pénales exposées à l’article 22 de la Convention sur les
psychotropes permettent aux États de recourir au traitement, à la
sensibilisation, à l’aide postpénale, à la réadaptation et à la réintégration
sociale au lieu de s’en tenir uniquement à la condamnation ou à la punition
à l’endroit des toxicomanes qui commettent des infractions à la Convention.
Bien que la reconnaissance du traitement et de la réadaptation soit une
amélioration par rapport aux dispositions strictement pénales des traités antérieurs,
il s’agit avant tout de mesures complémentaires – et non de solutions de
rechange – à l’incarcération.[77]
Dans
l’ensemble, les négociations de 1971 ont mené à un traité considérablement
plus faible que la Convention unique. De
plus, un réexamen des dispositions de la Convention sur les psychotropes n’était
pas réaliste au début des années 1970, car un nouveau chapitre la
« war on drugs » – la
lutte antidrogues américaine – s’amorçait.[78]
Protocole portant
amendement à la Convention unique sur les stupéfiants de 1961
Au début des années 1970, le président américain Richard Nixon a
déclaré officiellement une « guerre contre les drogues » en réaction
à l’ampleur de l’abus des drogues aux États-Unis et aux dommages sociaux
qui en découlaient. Cette annonce
a eu des répercussions mondiales.[79]
En 1971, dans le cadre de la campagne internationale de
l’administration Nixon contre les stupéfiants, les représentants américains
ont suggéré la création d’un fonds, administré par l’ONU et financé par
les gouvernements, pour lutter contre l’abus des drogues.[80]
Le Fonds des Nations Unies pour la lutte contre l’abus des drogues
(FNULAD) a vu le jour en 1971, grâce à un don de 2 millions $ des
Etats-Unis ; les autres gouvernements hésitaient à contribuer à leur
tour, en raison des motifs qui sous-tendaient la création du Fonds.
Leur réticence s’est avérée fondée, car le FNULAD est devenu
essentiellement un outil américain. L’accent
était mis sur la répression criminelle et la substitution des récoltes –
plutôt que sur la toxicomanie et les stratégies axées sur la demande.
L’argent était attribué avant tout aux projets auxquels participaient
les alliés américains et qui ciblaient des pays où les États-Unis
n’avaient pas réussi à arrêter la production d’opium.[81]
Le Fonds a également fait l’objet de sérieuses critiques pour avoir
succombé à l’inefficacité de la machinerie bureaucratique des Nations Unies :
[Traduction]
« Une grande proportion des sommes allouées aux divers programmes du
Fonds sert en fait à soutenir la bureaucratie en croissance permanente chargée
d’administrer les programmes. De
nombreux programmes semblent avoir pour unique fin de donner de l’ouvrage aux
secrétariats élargis ».[82]
On a également avancé qu’il fallait transférer le FNULAD à des
organes de contrôle des stupéfiants relevant du Conseil économique et social
au Programme de développement des Nations Unies – un organisme mieux en
mesure d’évaluer les besoins en matière de développement et d’aide des
pays bénéficiaires.[83]
Une autre initiative clé de l’administration Nixon a été de
renforcer la Convention unique. Un
lobbying pressant des États-Unis a mené à la convocation d’une conférence
de plénipotentiaires en mars 1972 en vue de modifier la Convention.[84]
Le résultat de cette conférence a été le Protocole sur la Convention
unique. L’objectif principal des
modifications était d’élargir le rôle de l’OICS pour ce qui est du contrôle
de la production licite et illicite d’opium et du trafic illicite des drogues
en général. Les États-Unis
voulaient remettre en place certains aspects du Protocole de l’opium de 1953
en tentant de réduire la production licite de l’opium.
Toutefois, en 1972, la production licite répondait de manière assez
juste à la demande licite, si bien que peu de pays étaient disposés à
risquer une pénurie mondiale de l’opium destiné à des fins médicales.[85]
Ainsi, on a considérablement atténué les propositions américaines.
Les dispositions centrales du Protocole sur la Convention unique sont
celles qui augmentent les pouvoirs de l’OICS, particulièrement en ce qui a
trait au trafic illicite. À
l’article 2 de la Convention unique, la définition des fonctions de
l’OICS comporte maintenant un renvoi explicite à la prévention de [Traduction]
« la culture, la production et la fabrication illicites ainsi que du
trafic et de l’usage illicites de drogues ». L’article 35 encourage les parties à soumettre à
l’OICS et à la Commission des stupéfiants de l’information sur les activités
liées aux drogues illicites à l’intérieur de leur territoire ; de
plus, l’OICS est autorisé à conseiller les parties au sujet de leurs efforts
en matière de réduction du trafic illicite de drogues.
Lorsque les parties concluent des traités d’extradition entre elles,
on considère que ces accords incluent automatiquement les infractions liées
aux drogues – notamment le trafic – exposées dans la Convention unique.[86]
Au paragraphe 22(2) de la Convention sur les psychotropes, il est
seulement « souhaitable » que de telles infractions deviennent
passibles d’extradition.
Le Protocole modifie les dispositions de la Convention unique portant sur
la prévention de la toxicomanie, de manière à ce qu’elles reflètent les
dispositions à l’article 20 de la Convention sur les psychotropes.[87]
La version modifiée de la Convention unique reflète aussi la Convention
sur les psychotropes en ce qu’elle permet désormais aux pays d’utiliser [Traduction]
« le traitement, la sensibilisation, l’aide postpénale, la réadaptation
et la réintégration sociale », soit à titre de solutions de
rechange, soit à titre de mesures complémentaires à la condamnation ou à la
punition.[88]
Bien que moins rigoureux qu’initialement prévu par les États-Unis, le
Protocole sur la Convention unique maintenait la tradition prohibitionniste du régime
de contrôle international des stupéfiants – particulièrement en ce qui a
trait à l’opium – et intensifiait une fois de plus la lutte contre le
trafic illicite.
Convention contre le
trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes
De nombreuses initiatives nationales et régionales de contrôle des stupéfiants
ont débuté au cours des années 1970 et 1980.[89]
En Europe, on a mis sur pied le Groupe de coopération en matière de
lutte contre l’abus et le trafic illicite de stupéfiants, connu sous le nom
de « Groupe Pompidou », qui était chargé de faciliter les
discussions entre pays. De plus, les chefs d’organismes nationaux de répression
des toxicomanies se sont réunis au palier régional – en Asie et dans le
Pacifique, dans les années 1970, puis en Afrique, en Amérique latine et
en Europe, dans les années 1980 – afin d’améliorer la coopération en
matière de services policiers et de contrôle antidrogue aux douanes.
INTERPOL a élargi ses activités et est devenue [Traduction]
« un important centre d’échange
d’information et un parrain des réunions locales, régionales et mondiales
consacrées à la lutte antidrogue ».[90]
Pendant ce temps, au sein de l’ONU et chez ses principaux membres
partisans du contrôle, on craignait que les efforts du régime de contrôle
international des stupéfiants en vue de combattre le trafic illicite soient
compromis du fait que certains États n’avaient pas adhéré aux Conventions
ou n’avaient pas de système national de répression criminelle leur
permettant de combattre adéquatement le trafic illicite des drogues.[91]
En 1984, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution 39/141,
appelant le Conseil économique et social à demander à la Commission des stupéfiants
de préparer « à titre de priorité »
une convention préliminaire envisageant [Traduction]
« les diverses facettes du problème [du trafic illicite des drogues] dans
sa totalité et, en particulier, les facettes qui ne sont pas abordées dans les
instruments internationaux existants ». Ainsi, l’objectif était d’ajouter une dimension
additionnelle, propre à la lutte contre le trafic, au régime de contrôle des
stupéfiants, de manière à compléter les deux conventions existantes.
On a mis la dernière main au traité préliminaire durant la Conférence
de 1987 des Nations Unies sur l’abus et le trafic illicite de drogue.
Durant cette conférence, on a également adopté un Schéma
multidisciplinaire complet pour les activités futures de lutte contre l’abus
des drogues[92]
(SMC), afin d’encourager les États à respecter leurs obligations en vertu
des traités existants. Le SMC
ciblait quatre secteurs : (1) la prévention et la réduction de
la demande illicite ; (2) le contrôle de l’offre ; (3) la suppression
du trafic illicite ; et (4) le traitement et la réadaptation.
Bon nombre des objectifs exposés dans le SMC ont été repris dans le
traité préliminaire. Entre le 25 novembre
et le 20 décembre 1988, les représentants de 106 États se sont réunis
à Vienne pour négocier un texte final. Le
résultat a été la Convention contre le trafic illicite.
La Convention contre le trafic illicite est essentiellement un instrument
de droit criminel international. Elle
a pour objectif d’harmoniser les lois criminelles et les mesures de répression
criminelle à l’échelle mondiale afin de réduire le trafic illicite de
drogues grâce au recours à la criminalisation et aux sanctions.
En vertu de la Convention, les parties sont tenues de créer et de mettre
en oeuvre des lois criminelles très précises visant à supprimer le trafic
illicite. Ces lois abordent des
aspects du problème tels que le blanchiment de fonds, la confiscation de biens,
l’extradition, l’assistance judiciaire réciproque, la culture illicite
ainsi que le commerce des produits chimiques, matériaux et équipements servant
à la fabrication de substances réglementées.
Comme dans le cas des autres conventions, la Division des stupéfiants et
l’OICS sont chargés de l’administration de la Convention.
De plus, la Convention sur le trafic illicite permet l’utilisation de
mesures associées à la « demande » – pour les infractions
mineures – à titre de solution de rechange à la condamnation ou aux
sanctions.[93]
Le préambule décrit le trafic illicite comme [Traduction]
« une activité criminelle internationale » et souligne « les
liens entre le trafic illicite et d’autres activités criminelles organisées
connexes qui minent les économies légitimes et menacent la stabilité, la sécurité
et la souveraineté des États ». Il met l’accent sur [Traduction]
« l’importance de renforcer et d’améliorer les moyens juridiques de
coopération internationale dans le domaine criminel, en vue de réprimer les
activités criminelles internationales liées au trafic illicite ».
Même l’unique renvoi à l’intérieur du préambule aux questions
associées à la « demande » est formulé en termes propres au droit
criminel : [Traduction]
« Désirant éliminer les causes profondes du problème de l’abus des
stupéfiants et des substances psychotropes, y compris la demande illicite de
ces stupéfiants et substances de même que les profits énormes découlant du
trafic illicite .» Par
implication, les usagers de drogue doivent aussi être perçus comme des
criminels. Le préambule reflète
clairement ses racines prohibitionnistes – et même de manière explicite
lorsqu’on y confirme [Traduction]
« les principes directeurs des traités existants visant les stupéfiants
et les substances psychotropes, ainsi que le système de contrôle que ces traités
concrétisent ».
Ainsi, la pierre d’angle de la Convention contre le trafic illicite est
l’article 3 : « Infractions
et sanctions ». Ici, le traité
innove en exigeant que les parties [Traduction]
« légifèrent, s’il y a lieu, en vue de mettre en place un code moderne
d’infractions criminelles se rapportant aux diverses facettes du trafic
illicite et d’assurer que de telles activités illicites seront traitées
comme des infractions sérieuses par les autorités judiciaires ».[94]
Le paragraphe 3(1) expose les infractions obligatoires, notamment :
·
La production,
la fabrication, la distribution ou la vente de tout stupéfiant ou de toute
substance psychotrope, en violation des dispositions de la Convention unique ou
de la Convention sur les psychotropes ;
·
La culture du
pavot à opium, du coca ou du chanvre, en violation des Conventions ci-dessus ;
·
La possession
ou l’achat de tout stupéfiant ou de toute substance psychotrope pour le
trafic illicite ;
·
La fabrication,
le transport ou la distribution de matériaux, d’équipement et de substances
pour la culture, la production ou la fabrication illicites de stupéfiants ou de
substances psychotropes ;
·
L’organisation,
la gestion ou le financement d’une des infractions ci-dessus.[95]
De plus, le paragraphe 3(2) de la Convention sur le trafic illicite
exige que chaque partie – sous réserve de ses principes constitutionnels et
des principes fondamentaux de son système juridique – crée des infractions
criminelles pour la possession, l’achat ou la culture de drogues pour la
consommation personnelle.
Une Marge de manœuvre ?
Posons d’abord quelques constats sur la substance des conventions en
vigueur.
Le premier a trait à l’absence de définitions. Les termes drogues, stupéfiants, ou psychotropes ne sont pas
définis sinon que par des listes de produits classés en tableaux.
Il s’ensuit que « est stupéfiant au sens du droit international, toute substance
naturelle ou synthétique figurant sur la liste des stupéfiants », de
même que « la notion de psychotrope
est définie en droit international par l’appartenance à la liste des
psychotropes ».[96]
La seule chose que nous révèle la Convention de 1961 des substances visées
c’est qu’elles peuvent faire l’objet d’abus.
La Convention de 1971 sur les psychotropes, dont on se souviendra
qu’elle avait inversé les rôles puisque les pays fabricants des drogues
synthétiques voulaient des critères moins englobant, indique que les
substances visées peuvent provoquer la dépendance, la stimulation ou la dépression
du système nerveux central, et qu’elles peuvent donner lieu à des abus
« tels qu’elle(s) constitue(nt) un
problème de santé publique ou un problème social justifiant qu’elle(s)
soi(en)t placé(es) sous contrôle international ».
Le second, découlant du premier, souligne l’arbitraire des
classifications. Stupéfiant
figurant, en compagnie de l’héroïne et de la cocaïne, aux Tableaux I et IV
– qui appellent les contrôles les plus sévères – de la Convention de
1961, le cannabis ne figure pas en soi à la Convention de 1971 mais le THC est
un psychotrope qui figure au Tableau I en compagnie de la mescaline, du
LSD, etc. Le seul critère apparent
de distinction est celui de l’usage médical et scientifique, expliquant
pourquoi les barbituriques se retrouvent au Tableau III de la Convention de
1971, soumis à des contrôles moins sévères que les hallucinogènes
naturels… Non seulement ces
classifications sont-elles arbitraires, mais de surcroît elles ne reflètent ni
les classifications pharmacologiques des substances ni leur dangerosité
sociale.
Troisième constat, si l’on s’était préoccupé des questions de
santé publique en fonction de la dangerosité des « drogues », on
doit se demander pourquoi le tabac et l’alcool ne figurent pas parmi les
substances contrôlées.
De ces constats, nous émettons l’observation que le régime
international de contrôle des substances psychoactives, au delà les fondements
moraux et parfois racistes qui ont pu l’animer à ses débuts, est surtout un système reflétant la géopolitique des relations
Nord-Sud au cours du XXe siècle : ce sont en effet les substances
organiques – coca, pavot et cannabis – faisant souvent partie des traditions
ancestrales des pays d’où originent ces plantes, qui ont fait l’objet des
contrôles les plus sévères, tandis que les productions culturelles du Nord,
tabac et alcool, ne s’y retrouvaient pas et que les substances synthétiques
produites par les industries pharmaceutiques du Nord étaient, elles, l’objet
d’un régime réglementaire et non d’un régime d’interdiction.
Il faut bien comprendre en ce sens l’exigence du Mexique, au nom d’un
groupe de pays latino-américains, à faire interdire l’usage lors des négociations
de la Convention de 1988, exigence qui permettait de rétablir un certain équilibre,
les pays du Sud ayant dû porter, depuis les débuts de la prohibition, tout le
poids des contrôles et de leurs effets sur leurs
populations. Le résultat est peut-être
malheureux, puisqu’il renforce un régime prohibitionniste dont le XXe siècle
a amplement démontré l’échec ; mais c’était peut-être le seul
moyen, tenant compte de l’État d’esprit des principales puissances
occidentales, de démontrer à plus long terme l’irrationalité de tout le
système. En tout état de cause, il n’y aurait qu’un pas à faire
pour interroger la légitimité d’instruments qui contribuent à entretenir
les inégalités Nord-Sud sans pour autant avoir réussi – loin de là – à
réduire ni l’offre ni la demande de drogues.
Au delà de ce questionnement de fond, quelle est, à l’intérieur des
conventions en place actuellement, la marge de manœuvre des pays pour adopter
des politiques moins prohibitionnistes ?
Plusieurs États ont adapté leurs systèmes de répression criminelle de
manière à permettre la possession de
facto de faibles quantités de certaines drogues mineures – telles que le
cannabis et ses dérivés – pour la consommation personnelle, tout en
respectant les limites juridiques des conventions.[97]
Bien que les conventions ne permettent pas la légalisation ou même la décriminalisation
d’une telle possession, ces pays ont contourné les restrictions en
criminalisant la possession (comme l’exigent les traités) mais en
n’appliquant pas la loi de manière rigoureuse, ou encore ils ont « dépénalisé »
les infractions en les exemptant des sanctions.[98]
Selon certains observateurs, de telles approches vont à l’encontre de
l’esprit des conventions, particulièrement la Convention contre le trafic
illicite, qui semble utiliser le terme « trafic » dans un sens très
large englobant les activités liées à la « demande » à l’intérieur
d’un régime de contrôle axé sur l’offre.
Pourtant, il y a un fondement juridique sur lequel les approches plus
souples pourraient prendre appui, car les traités ne les interdisent pas de
manière explicite.
L’approche rigoureuse misant sur le droit criminel adoptée par le régime
de contrôle international des stupéfiants a suscité des critiques chez les défenseurs
des droits de la personne. Certains
avancent que les sanctions d’emprisonnement sont disproportionnées quand il
s’agit d’infractions liées aux drogues mineures, telles que la possession
d’une faible quantité de cannabis pour la consommation personnelle.[99]
Dans un tel contexte, l’incarcération serait une sanction démesurée
par rapport à l’infraction commise et, par conséquent, constituerait une
violation de la dignité inhérente des personnes, du droit de ne pas subir des
peines cruelles et dégradantes, et du droit à la liberté, tels qu’exposés
dans des instruments internationaux comme la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques et la Convention
contre la torture et autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants.[100]
Certains ont aussi avancé que l’usage de drogues est un droit de la
personne et qu’il faudrait l’inscrire dans la Déclaration
universelle des droits de l’homme.[101]
La Convention contre le trafic illicite est la seule des trois
conventions à aborder les droits de la personne. Le paragraphe 14(2) de la Convention contre le trafic
illicite oblige explicitement les parties à « respecter les droits
fondamentaux de l’homme » lorsqu’elles adoptent des mesures en vue de
prévenir et d’éliminer la culture illicite de plantes contenant des
substances narcotiques ou psychotropes, telles que le pavot, le cannabis et le
coca. La même disposition oblige
les États à tenir compte des usages licites traditionnels – lorsqu’il
existe des preuves historiques de tels usages – et de la protection de
l’environnement.
Soulignons trois éléments qui donnent aux États, au Canada inclus, une
certaine marge de manœuvre. Le
premier est que les conventions reconnaissent la primauté des systèmes
juridiques nationaux. En fait, les
conventions internationales sur les stupéfiants n’ont pas d’application
directe en droit national. Pour
leur donner force sur le territoire national, l’État doit adopter une loi, au
Canada la Loi sur les drogues et autres substances contrôlées.
Spécifiquement, les conventions stipulent diversement que les mesures
proposées de pénalisation sont faites « sous réserves des dispositions
constitutionnelles » ou « compte tenu des régimes constitutionnel,
juridique et administratif » des parties.
Au Canada, les dispositions de la Charte
canadienne des droits et libertés ainsi que les interprétations qu’en
donne la Cour suprême sont des pièces maîtresses à l’intérieur desquelles
le pays peut interpréter les conventions internationales sur les drogues.
Le second élément, un peu plus technique, suggère que la pénalisation
de la détention se limite à la détention en vue du trafic, notamment en vertu
du fait que cette disposition figure entre deux articles portant sur le trafic
et en raison d’une formulation antérieure de cette disposition.[102]
La non pénalisation de la détention (possession) aux fins d’usage
personnel ne serait donc pas, stricto sensu, interdite.
C’est là notamment l’avis juridique d’un expert préparé à la
demande de l’Office fédéral de la Santé publique de Suisse à l’occasion
de son projet de loi sur la « légalisation » du cannabis :
« une dépénalisation générale, prévue par la loi, de la consommation
et de la culture à petite échelle de cannabis serait compatible avec les
conventions »[103].
En ce qui concerne le commerce et l’approvisionnement, l’auteur écrit :
« Même si une réglementation du commerce du cannabis avec un régime de
licences ne semble pas exclue pour autant, des problèmes d’ordre pratique
demeurent : d’une part à cause des mécanismes de contrôle exigés par
la Convention de 1961 et, d’autre part, parce que la communauté
internationale interprète la convention de 1988 comme une obligation de punir
le commerce. »[104]
Enfin, le troisième élément est que ces conventions imposent des
obligations morales aux États, non des obligations juridiques ou moins encore
assorties de pénalités ou de sanctions en cas de contravention, et qu’elles
prévoient aussi des mécanismes de demande de révision ou de modification.
Conclusions
Le cannabis, dont nous avons vu aux chapitres 5, 6, et 7 qu’il est largement consommé par les populations de par le monde, qu’il n’a pas les effets nocifs qu’on lui prête, et qu’il présente peu de risques pour la santé publique, ne mérite certainement pas de figurer aux tableaux des conventions avec les substances dites les plus dangereuses. Le cannabis présente même des applications thérapeutiques que les tribunaux canadiens ont reconnues. C’est pourquoi nous recommandons que le Canada informe la communauté internationale d’une demande de déclassement du cannabis dans le cadre d’une approche de santé publique et qui s’accompagnerait de mesures rigoureuses de suivi et d’évaluation.
Conclusions du chapitre 19 |
|
|
Ø Les conventions internationales élaborées depuis 1912 n’ont pas permis de réduire l’offre de drogues alors qu’elles étaient soi-disant conçues dans cet esprit. Ø Les conventions internationales constituent un régime à deux vitesses réglementant les produits synthétiques produits par les pays du Nord et prohibant les substances organiques produites dans les pays du Sud, sans aucune considération pour les dangers réels que présentent ces substances pour la santé publique. Ø Le cannabis a été inclus dans les conventions internationales en 1925 sans aucune connaissance de ses effets. Ø Les classifications internationales des drogues sont arbitraires et ne reflètent pas la dangerosité des substances pour la santé ni pour la société Ø Le Canada devrait informer la communauté internationale des conclusions de notre rapport et demander officiellement le déclassement du cannabis et de ses dérivés. |
[1] Convention unique sur les stupéfiants de 1961 (RTC 1964/30), modifiée par le Protocole portant amendement de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 (RTC 1976/48). La Convention unique est entrée en vigueur au Canada en 1964 et le Protocole en 1976.
[2] Convention sur les substances psychotropes, RTC 1988/35. Cette Convention est entrée en vigueur au Canada en 1988.
[3] Convention contre le trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes, RTC 1990/42, entrée en vigueur au Canada en 1990.
[4]
McAllister, W.B., (1999) Drug
Diplomacy in the Twentieth Century. An
international history. Pages
10-11.
[5] Caballero, F. et Y. Bisiou (2000) Droit de la drogue. Paris : Dalloz, 2e édition, page 36.
[6] McAllister, op. cit., pages 15-16.
[7]
McAllister, op. cit., pages 24-27.
[8] Ce tableau, ainsi que le texte de cette section sont le fruit de l’excellent rapport préparé à la demande du Comité par la Bibliothèque du Parlement : Sinha, J. (2001) L’histoire et l’évolution des principales conventions internationales de contrôle des stupéfiants. Ottawa : Bibliothèque du Parlement, Direction de la recherche parlementaire, disponible sur le site Internet du Comité à www.parl.gc.ca/drogues-illicites.asp
[9]
Sources : Recueil des traités du Canada; Kettil Bruun, Lynn Pan et
Ingemar Rexed, (1975) The Gentlemen’s Club: International Control of Drugs and Alcohol,
Chicago : University of Chicago Press; États‑Unis, (1972) International
Narcotics Control: A Source Book of Conventions, Protocols, and Multilateral
Agreements, 1909-1971, Washington (D.C.), Bureau of Narcotics &
Dangerous Drugs.
[10] Lowes, P.D., (1966) The Genesis of International narcotics Control. Genève : Droz, page 102.
[11]
Bewley-Taylor, D.R., (1999) The
United States and International Drug Control., page 19.
[12] La Commission réunissait toutes les puissances coloniales de la région – la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, le Japon, les Pays-Bas, le Portugal et la Russie – ainsi que la Chine, le Siam [aujourd’hui la Thaïlande], la Perse [aujourd’hui l’Iran], l’Italie et l’Autriche-Hongrie (McAllister (2000)) op. cit., page 28).
[13]
Bruun et
coll., (1975), op. cit., page
11; Lowes (1966), op. cit., page 187-188.
[14]
Walker III, W. O., (1991) Opium and
Foreign Policy: The Anglo-American Search for Order in Asia, 1912-1954,
Chapel Hill (C. du N.) : University of North Carolina Press, pages
16-17; Lowes (1966), op. cit., pages 152-153.
[15]
Musto, D.F., (1999) The
American Disease: Origins of Narcotic Control. 3e édition,
Oxford : Oxford University Press, pages 36-37.
[16]
McAllister, W.B., (1992) « Conflicts of Interest in the International
Drug Control System », dans Walker III, W.O., (ed.) Drug
Control Policy: Essays in Historical and Comparative Perspective,
University Park (Pennsylvanie) : Pennsylvania State University Press,
page 145.
[17] Ces pays étaient l’Allemagne, la Chine, les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, l’Italie, le Japon, la Perse [aujourd’hui l’Iran], le Portugal, la Russie et le Siam [aujourd’hui la Thaïlande].
[18] McAllister (2000), op. cit., pages 32-33; Bruun et coll., (1975), op. cit., pages 11-12.
[19] Conclue le 23 janvier 1912, entrée en vigueur le 28 juin 1919.
[20] La ratification est le processus par lequel chaque pays promulgue une loi nationale de mise en oeuvre – à moins que des lois internes répondent déjà aux nouvelles obligations internationales – et, ainsi, consent à l’application du traité à l’intérieur de son territoire.
[21]
McAllister (2000),
op. cit., pages 36-37; Bruun et
coll., (1975), op. cit., page
12; Lowes (1966), op. cit., pages
182-186
[22] Musto (1999), op. cit., pages 59-63. Étant donné que la constitution américaine ne permettait pas un rôle fédéral direct dans la criminalisation de l’usage de drogues, Wright a élaboré la Harrison Act sous la forme d’un règlement fiscal – les médecins, pharmaciens, grossistes et détaillants devaient obtenir un timbre-taxe pour distribuer des drogues – et la mise en application de ce règlement relevait du ministère du Trésor. Ainsi, on a limité l’usage en restreignant l’accès. (McAllister (2000), op. cit., page 35).
[23] McAllister (1992), op. cit., pages 145-146.
[24] McAllister (2000), op. cit., pages 46-50; Lowes (1966), op. cit., page 188.
[25] McAllister (2000), op. cit., pages 50-51.
[26] Accord concernant la fabrication, le commerce intérieur et l’usage de l’opium préparé, conclu le 11 février 1925, entré en vigueur le 28 juillet 1926.
[27] Conclue le 19 février 1925, entrée en vigueur le 25 septembre 1928.
[28] Le CCPO devait être impartial et dépourvu de parti pris politique, mais son fonctionnement demeure extrêmement politique encore aujourd’hui (il existe toujours). Depuis sa création, il a toujours compté un représentant de la Grande-Bretagne, des États-Unis et de la France (McAllister (2000), op. cit., page 83).
[29] Bruun et coll., (1975), op. cit., page 14.
[30] Conclue le 13 juillet 1931, entrée en vigueur le 9 juillet 1933.
[31] Giffen et coll., (2000), Panic and Indifference. The Politics of Canada’s Drug Laws. Ottawa : Centre canadien du lutte contre l’alcoolisme et les toxicomanies, page 483.
[32]
Voir, par exemple,
McAllister (2000), op. cit., pages
89-90; Bewley-Taylor (1999), op. cit.,
pages 102‑164; Bruun et coll.,
(1975) op.
cit., pages 137-141; Inglis, B. (1975) The
Forbidden Game: A Social History of Drugs.
Londres :
Hodder & Stoughton, pages 181-190.
Voir aussi Harry J. Anslinger et Will Oursler, « The War
against the Murderers », dans Walker III, W.O. (1996)
(ed.)., Drugs in the Western
Hemisphere: An Odyssey of
Cultures in Conflict, Wilmington (Delaware), Scholarly Resources Inc.,
1996.
[33] Par la suite, Anslinger a régulièrement eu recours à cette disposition pour protéger sa position et éviter que le Federal Bureau of Narcotics soit modifié au moyen d’une réorganisation (McAllister (2000), op. cit., pages 98 et 108-109).
[34] Ibid., pages 110-111.
[35] Accord sur le contrôle de la consommation d’opium dans l’Extrême-Orient, conclu le 27 novembre 1931, entré en vigueur le 22 avril 1937.
[36]
Taylor, A.C., (1969) American
Diplomacy and the Narcotics Traffic, 1900-1939: A Study in International
Humanitarian Reform Durham (N.C.) : Duke University Press, pages
275-279; McAllister (2000), op. cit., page
106.
[37] Taylor (1969) op. cit., pages 288-298
[38] Conclue le 26 juin 1936, entrée en vigueur le 26 octobre 1939
[39]
Taylor (1969) op. cit., pages
293-295.
[40]
McAllister (2000), op.
cit., pages 126-127.
[41] La possibilité d’une guerre a accentué l’hypocrisie et le caractère opportuniste de la position américaine en matière de prohibition. En 1939, Anslinger [Traduction] « tentait simultanément de réaliser un traité sous l’égide de la Société des Nations visant à réduire la production agricole dans les pays lointains, un accord régional qui lui permettrait de commencer la culture du pavot aux États-Unis, ainsi qu’un programme mondial d’acquisition qui a amassé la plus grande réserve d’opium licite jamais rassemblée » (McAllister (2000), op. cit., page 133).
[42] Voir Bewley-Taylor (1999), op. cit., pages 54-59; Bruun et al. (1975) op. cit., pages 54-65
[43] Protocole portant amendement aux Accords, Conventions et Protocoles sur les stupéfiants conclus à La Haye le 23 janvier 1912, à Genève le 11 février 1925 et le 19 février 1925 et le 13 juillet 1931, à Bangkok le 27 novembre 1931, et à Genève le 26 juin 1936, conclu le 11 décembre 1946, entré en vigueur le 1er décembre 1946.
[44] Bruun et al. (1975), op. cit., page 70.
[45] Protocole plaçant sous contrôle international certaines drogues non visées par la Convention du 13 juillet 1931 pour limiter la fabrication et réglementer la distribution des stupéfiants, amendé par le Protocole signé à Lake Success, le 11 décembre 1946, conclu le 19 novembre 1948, entré en vigueur le 1er décembre 1949
[46] Le Conseil économique et social (ECOSOC) a approuvé la recommandation au moyen de deux résolutions : 159 II D (VII) du 3 août 1948, et 246 D (IX) du 6 juillet 1949. Voir aussi McAllister (2000), op. cit., page 172; Bewley-Taylor (1999) op. cit., page 137.
[47] McAllister (2000) op. cit., pages 172-179.
[48] Protocole visant à limiter et à réglementer la culture du pavot, ainsi que la production, le commerce international, le commerce de gros et l’emploi de l’opium, conclu le 23 juin 1953, entré en vigueur le 8 mars 1963.
[49] Les sept pays producteurs étaient : la Bulgarie, la Grèce, l’Inde, l’Iran, la Turquie, l’URSS et la Yougoslavie.
[50] Délégué canadien auprès de la Commission des stupéfiants, Robert Curran, un agent du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, a joué le rôle le plus important dans la formulation d’un document qui serait acceptable pour tous les pays à titre de point de départ des négociations (McAllister (2000) op. cit., page 205). Pour une analyse de cette troisième version préliminaire, voir Leland M. Goodrich, (1960) « New Trends in Narcotics Control », International Conciliation, no 530, novembre.
[51] McAllister (1992) op. cit., page 148.
[52] Anslinger était extrêmement déçu de la Convention unique parce qu’il croyait que les dispositions sur le contrôle de l’opium n’étaient pas suffisamment rigoureuses (p. ex. l’article 25 permettait encore à tout pays de produire jusqu’à cinq tonnes d’opium annuellement, bien que cette production soit assujettie à des mesures de contrôle strictes). Il a tenté de faire dérailler la Convention en pressant des pays de ratifier le Protocole de l’opium de 1953, espérant ainsi obtenir le nombre requis pour assurer son entrée en vigueur. Il n’a pas réussi et, par la suite, son influence s’est atténuée (Bewley-Taylor (1999) op. cit., page 136‑161).
[53] Seule la Convention pour la répression du trafic (1936) n’a pas été incluse dans la Convention unique et est demeurée en vigueur de manière autonome parce qu’on n’a pu s’entendre sur les dispositions à inclure dans la Convention unique (McAllister (2000) op. cit., pages 207-208). L’article 35 de la Convention unique encourageait simplement la coopération entre les pays pour contrer le trafic illicite.
[54] Convention unique, articles 19 et 20.
[55] Ibid., articles 21, 29-32
[56] Ibid., article 36
[57] Ibid., paragraphe 36(2).
[58] Convention unique, articles 22-28.
[59] La limite était de 15 ans pour les usages quasi-médicaux de l’opium.
[60] Convention unique, articles 5, 9-16.
[61]
Ibid., alinéa 9(1)a).
[62]
Ibid., paragraphe 14(2).
[63]
Voir, par exemple, Report of
the International Working Group on the Single Convention on Narcotic Drugs,
1961, Toronto, Fondation de la recherche sur la toxicomanie, 1983, pages
10-11; recommandations 4, 5, 15, 19, 20.
[64]
Voir, par exemple, Kušević, V., (1977) « Drug Abuse
Control and International Treaties », Journal
of Drug Issues, vol. 7, no 1, pages 35-53.
Voir aussi McAllister (2000) op.
cit., pages 218-220; Musto (1999) op.
cit., ch. 11; McAllister (1992) op.
cit., pages 153-162; Bruun et
coll., (1975) op. cit., ch.
16; Inglis (1975) op. cit., ch.
13.
[65] Les États-Unis ont tenté de réglementer les substances psychotropes par l’entremise du Bureau of Drug Abuse Control, créé par la Drug Abuse Control Act of 1965. Cette loi marquait aussi un virage sur le plan du fondement constitutionnel de la lutte antidrogues : on passait du pouvoir de taxation aux pouvoirs inter-états et commerciaux – un changement qui a entraîné l’abolition du Federal Bureau of Narcotics d’Anslinger et la création du Bureau of Narcotics and Dangerous Drugs (BNDD), relevant du ministère fédéral de la Justice (Musto (1999) op. cit., pages 239-240).
[66] Kušević (1975) op. cit., page 38.
[67] McAllister (1992) op. cit., pages 154-162; Kušević (1975) op. cit., pages 38-41. La comparaison de McAllister est très détaillée et nous la recommandons; Kušević ajoute une mise en contexte et des commentaires utiles. Voir aussi S.K. Chatterjee, (1988) A Guide to the International Drugs Conventions, Londres, Commonwealth Secretariat, p. 15-33, pour une comparaison plus technique et de base des deux Conventions.
[68] L’auteur principal de la version préliminaire, Arthur Lande, avait mis fin à sa carrière à l’ONU peu avant la conférence de Vienne. Il a assisté à la conférence à titre de représentant de la Pharmaceutical Manufacturer’s Association des États-Unis, un des nombreux observateurs associés à l’industrie. Voici un autre exemple de l’influence non équivoque de l’industrie : un groupe de six petits pays de l’Amérique latine ont appuyé, contrairement à leurs positions habituelles, l’affaiblissement du traité; ces pays étaient tous représentés par un Suisse qui maîtrisait mal l’espagnol et n’était ni agent gouvernemental, ni diplomate, ni spécialiste technique des stupéfiants. Il était au service du géant pharmaceutique européen Hoffmann-LaRoche (McAllister (2000) op. cit., page 232; Kušević (1975) op. cit., page 39).
[69]
McAllister (1992) op. cit.,
page 154; Kušević (1975) op.
cit., page 39.
[70] Qui inclut le cannabis et l’héroïne, par exemple.
[71] Qui inclut les hallucinogènes, tels que le LSD.
[72] McAllister (1992) op. cit., page 158.
[73] McAllister (2000) op. cit., page 233.
[74] McAllister (1992) op. cit., page 157.
[75] Les États-Unis ont tenté d’augmenter cette majorité aux trois quarts (McAllister, (2000) op. cit., page 161).
[76]
Ibid., page 159.
[77]
Nations Unies, Commentary on the United Nations Convention Against
Illicit Traffic in Narcotic Drugs and Psychotropic Substances, Done at
Vienna on 20 December 1988, New York, Nations Unies, 1976, pages 353-354.
[78]
On considère que
la lutte antidrogues américaine a commencé avec l’adoption d’une loi
antidrogues fédérale, la Harrison
Narcotics Act of 1914, et qu’elle s’est poursuivie jusqu’à ce
jour, à divers degrés d’intensité.
Parmi les plus récents adeptes de cette lutte, mentionnons le président
Nixon à la fin des années 1960 et au début des années 1970, le président
Ronald Reagan durant les années 1980, le président George Bush à la fin
des années 1980 et au début des années 1990, le président Bill Clinton
durant les années 1990, et maintenant le président George W. Bush.
La documentation sur la « war on drugs » est volumineuse.
Voir, par exemple, Belenko, S.R. (éd.) (2000)
Drugs and Drug Policy in America: A
Documentary History, Westport (Connecticut) : Greenwood Press; Friman,
H.R. (1996) NarcoDiplomacy:
Exporting the U.S. War on Drugs, Ithaca (N.Y.) : Cornell
University Press; Inciardi, J.A. (1986) The War on Drugs: Heroin, Cocaine, Crime, and Public Policy, Palo
Alto (Californie) : Mayfield Publishing Company; Meier, K.J. (1994) The
Politics of Sin: Drugs, Alcohol and Public Policy, Armonk (New York) :
M.E. Sharpe; Musto (1999) op. cit.,;
Walker III, W.O. (1989) Drug Control
in the Americas, édition révisée, Albuquerque (Nouveau‑Mexique)
: University of New Mexico Press; Wisotsky, S., (1990) Beyond
the War on Drugs: Overcoming a
Failed Public Policy, Buffalo (New York) : Prometheus Books.
[79] Musto (1999) op. cit., pages 248-259; Bruun et coll., (1975) op. cit., ch. 10.
[80] La campagne américaine comportait un financement international massif pour la substitution des cultures, l’aide technique pour améliorer l’administration et l’application des lois, des initiatives anticontrebande, ainsi que la coordination des programmes d’éducation. Toutefois, de nombreux pays en voie de développement se méfiaient des fonds américains auxquels des conditions étaient rattachées. Aux yeux des Américains, le Fonds était un moyen de contourner cette réticence (McAllister (2000) op. cit., pages 236-237).
[81] Ibid., page 238.
[82]
Bruun et
coll., (1975) op. cit., page
281.
[83]
Ibid., p. 282; Kušević
(1975) op. cit., page 51
[84] Le choix des ambassadeurs américains s’est fait en fonction de la mission de se rendre dans les pays signataires pour convaincre leurs dirigeants d’appuyer les modifications proposées par les États-Unis. De l’avis général, la conférence était dans une large mesure un instrument dont Nixon prévoyait se servir dans les prochaines élections présidentielles (Kušević (1975) op. cit., page 47).
[85] Kušević (1975) op. cit., page 48. Selon Kušević, il aurait été plus utile de chercher à réduire le détournement de la demande licite vers le marché illicite.
[86] Convention unique, article 36, modifié par le Protocole sur la Convention unique, article 14.
[87] Ibid., article 38, modifié par le Protocole sur la Convention unique, article 15
[88] Ibid., article 36, modifié par le Protocole sur la Convention unique, article 14
[89] Aux États-Unis, la lutte antidrogues a perdu de son intensité dans les années 1970 durant les mandats des présidents Gerald Ford et Jimmy Carter. Onze États américains ont décriminalisé certains aspects de la réglementation visant la marijuana ; ils ont obtenu l’appui d’organisations bien connues, notamment la American Medical Association, la American Bar Association, la American Public Health Association et le National Council of Churches. Le président Ronald Reagan a renversé cette tendance au début des années 1980 (Wisotsky (1990), op. cit., page xviii).
[90]
McAllister (2000) op. cit.,
pages 242-243.
[91]
Bewley-Taylor (1999) op. cit.,
page 167; Stewart, D.P., (1990) « Internationalizing The War on Drugs:
The UN Convention Against Illicit Traffic in Narcotic Drugs and Psychotropic
Substances », Denver Journal of
International Law and Policy, vol. 18, no 3, printemps,
pages 387-404.
[92] Déclaration de la Conférence sur l’abus et le trafic illicite de drogues et Schéma multidisciplinaire complet pour les activités futures de lutte contre les drogues, doc. de l’ONU ST/NAR/14, 1988.
[93] Pour une description détaillée des dispositions de la Convention contre le trafic illicite, voir Gilmore, W. (1990) Combating International Drugs Trafficking: The 1988 United Nations Convention Against Illicit Traffic in Narcotic Drugs and Psychotropic Substances, Londres : Secrétariat du Commonwealth; Stewart (1990) op. cit.,. Étant donné que Stewart était membre de la délégation américaine qui a participé aux négociations, son article présente la perspective américaine sur le traité.
[94]
Nations Unies, Commentary on
the United Nations Convention Against Illicit Traffic in Narcotic Drugs and
Psychotropic Substances, Done at Vienna on 20 December 1988, New York,
Nations Unies, 1976, page 48.
[95]
Voir Stewart (1990) op. cit.,
page 392; Gilmore (1991) op. cit.,
page 5.
[96] Caballero et Bisiou, op. cit., : page 26.
[97] Par exemple, la Belgique, le Danemark, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Pologne, et certains états de l’Australie. La Suisse considère actuellement un projet de « légalisation » du cannabis. Le chapitre suivant présente plus en détail les approches australienne, néerlandaise et suisse notamment.
[98] Voir Krajewski, K., (1999) « How flexible are the United Nations drug conventions? », International Journal of Drug Policy, no 10, pages 329-338. Krajewski présente un excellent survol des limites juridiques des conventions en ce qui a trait à la légalisation et à la prohibition. Il tire la conclusion que la légalisation ou la décriminalisation nécessiterait probablement la modification du paragraphe 3(2) de la Convention sur le trafic illicite. Voir aussi la discussion au sujet de la légalisation dans Dupras (1998) op. cit., pages 24-33; et Noll, A., (1977) « Drug abuse and penal provisions of the international drug control treaties », Bulletin on Narcotics, vol. XXIX, no 4, octobre/décembre, pages 41-57.
[99] Voir, par exemple, les pages suivantes du site Web de Human Rights Watch, une organisation non gouvernementale de défense des droits de la personne : http://www.hrw.org/campaigns/drugs/ et http://www.hrw.org/worldreport99/special/drugs.html
[100] Le texte intégral de ces instruments internationaux est disponible à la page suivante du site Web du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme : http://www.unhchr.ch/html/intlinst.htm
[101] Voir Van Ree, E., (1999) « Drugs as a Human Right », International Journal of Drug Policy, vol. 10, pages 89-98. Van Ree propose un nouvel article 31 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Chacun a le droit d’utiliser les substances psychotropes de son choix ».
[102] Là dessus, voir Dupras, D., (1998) op. cit.
[103] Peith, M., (2001) « Compatibilité de différents modèles de dépénalisation partielle du cannabis avec les conventions internationales sur les stupéfiants. » Avis juridique soumis à la demande de l’Office fédéral de la santé publique de la Confédération helvétique, page 14.
[104] Ibid., page 15.
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