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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture

15 juin 2023


L’honorable Ratna Omidvar [ + ]

Propose que le projet de loi C-41, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-41, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence. Le projet de loi C-41 créera un régime visant à faciliter la prestation de certains types d’aide internationale dans les zones géographiques contrôlées par des groupes terroristes. Je vais m’efforcer d’être brève, mais aussi exhaustive, car, pour beaucoup d’entre vous, c’est la première fois que vous entendez parler de ce projet de loi.

L’histoire du projet de loi C-41 commence en août 2021, avec la chute du régime afghan de Kaboul aux mains des talibans, laquelle a eu de nombreuses conséquences désastreuses qui ont été évoquées dans cette enceinte par mes collègues les sénatrices Jaffer, McPhedran et Ataullahjan.

Les conséquences ont été ressenties par la population afghane, notamment les jeunes et, plus particulièrement, les femmes et les jeunes filles. Il y a également eu un impact humanitaire, la mortalité infantile étant en hausse en raison du manque de médicaments, d’eau, de nourriture et d’autres interventions vitales. Des millions d’Afghans ont souffert de sécheresses, de tremblements de terre et d’autres catastrophes pour l’humanité et, bien entendu, de la répression exercée par les talibans.

Les talibans sont les parias de la planète. Le Canada a inscrit l’organisation sur la liste des entités terroristes il y a de nombreuses années. Maintenant que les talibans sont au pouvoir, la loi interdit aux Canadiens de payer des taxes ou des droits au gouvernement afghan. Cela a un impact direct sur l’aide envoyée en Afghanistan parce que, automatiquement, quand on envoie de l’aide, il faut accéder aux services et payer, directement ou indirectement, des droits et des taxes au gouvernement taliban, qui utilisera ensuite l’argent à des fins terroristes. Cela fait que les Canadiens ou les organisations canadiennes peuvent être poursuivis au criminel. L’aide envoyée du Canada en Afghanistan par des organismes de développement international, comme l’Organisation des femmes afghanes, qui tient un orphelinat dans la région de Helmand, a été bloquée.

Le projet de loi était attendu depuis longtemps, et, à mon avis, il a fallu un peu trop de temps avant qu’il soit présenté. La communauté canadienne de l’aide internationale avait cerné ce problème il y a plus d’un an et elle a formé une coalition humanitaire nommée Aid for Afghanistan. Il y a 13 organisations d’aide internationale qui collaborent en temps de crise et qui, ensemble, sont présentes dans 140 pays. Il s’agit de Vision mondiale, la Croix-Rouge, CARE, Action contre la faim, la Banque de céréales vivrières du Canada, le Canadian Lutheran World Relief, Médecins du monde, Humanité & Inclusion, Islamic Relief, Oxfam, Oxfam Québec, Plan International et Aide à l’enfance.

Je tiens à remercier le Comité sénatorial des droits de la personne, présidé par la sénatrice Ataullahjan, de s’être penché rapidement sur cette question. L’année dernière, le comité a produit un important rapport qui a fait état des préoccupations du milieu de l’aide humanitaire et qui a proposé des mesures concrètes à prendre. Certaines des principales recommandations du rapport ont été retenues dans le projet de loi C-41. Voilà un exemple de comité qui fonctionne comme il se doit.

Comme certains d’entre vous le savent peut-être, je m’occupe de la question de l’Afghanistan au Canada dans le cadre de mon travail auprès de Lifeline Afghanistan. Or, bien franchement, nous devons maintenant lancer une bouée de sauvetage à l’Afghanistan en raison du contexte que vous connaissez, mais que je vais tout de même vous décrire : Le peuple afghan vit des conflits depuis 40 ans, et il a tenté d’y survivre, tout en maintenant sa résilience face à de nombreuses catastrophes naturelles, comme la pauvreté généralisée, une migration sans précédent et, bien sûr, des séismes. Comme si ce n’était pas suffisant, c’est très compliqué de faire parvenir de l’aide à l’Afghanistan en raison de sa géographie.

Que cela nous plaise ou non, ceux qui détiennent l’autorité de facto en Afghanistan sont les talibans, et l’acheminement de l’aide, comme je l’ai souligné, d’une manière ou d’une autre, profitera par défaut à cette organisation terroriste. Par conséquent, les organisations d’aide canadiennes, y compris les ministères du gouvernement du Canada, risquent d’enfreindre la loi par inadvertance si elles tentent de fournir de l’aide en Afghanistan. En conséquence, les Afghans continuent de souffrir, leur vie est toujours menacée et ils ont besoin de notre aide, même pour les besoins les plus élémentaires à leur survie : la nourriture, le logement, la protection, l’éducation et les soins de santé. Nous devons être en mesure de leur apporter cette aide, ainsi qu’aux autres personnes se trouvant dans cette situation, sans faire de distinction quant à la région où ces vies sont menacées ou aux autorités dont elles relèvent.

C’est pourquoi les modifications proposées au Code criminel sont essentielles. En tant que marraine du projet de loi C-41, j’aimerais prendre quelques instants pour expliquer pourquoi et donner quelques détails. À l’heure actuelle, le Code criminel contient des dispositions très strictes sur la lutte contre le financement du terrorisme, et c’est bien ainsi. Plus précisément, en vertu de l’alinéa 83.03(b), il est interdit de fournir ou de rendre disponible, directement ou indirectement, des biens en sachant qu’ils pourraient être utilisés par un groupe terroriste ou qu’ils lui profiteraient. Comme je l’ai souligné, ces dispositions ont une incidence considérable sur la volonté du Canada de fournir de l’aide aux personnes dont la vie est menacée dans le monde entier.

Le projet de loi crée essentiellement deux voies d’accès, l’une pour l’aide humanitaire neutre et l’autre pour les mesures d’aide au développement à long terme dans les zones contrôlées par un régime terroriste.

La version d’origine du projet de loi, qui a été adoptée à l’étape de la deuxième lecture à la Chambre il y a quelques mois, ne comprenait pas l’exception relative à l’aide humanitaire. Après le tollé qu’a suscité le projet de loi dans le milieu des organismes d’aide internationale, dont Médecins sans frontières, les amendements que la Chambre des communes a adoptés modifieront le Code criminel de façon à ce que les infractions prévues à l’alinéa 83.03b) ne s’appliquent pas aux actes ayant pour unique but de participer à des activités d’aide humanitaire sous les auspices d’organisations humanitaires impartiales conformément au droit international, tout en déployant des efforts raisonnables pour minimiser tout avantage pour les groupes terroristes.

Voici ce que cela signifie : comme la représentante de la Croix‑Rouge canadienne l’a dit au Comité sénatorial permanent des droits de la personne lundi dernier, cette exemption permet aux organismes d’aide humanitaire canadiens d’effectuer leur travail en sachant que le droit canadien autorise, à l’instar du droit international, les activités d’aide humanitaire neutres et impartiales qui ne favorisent pas le terrorisme. Elle permet à cette aide essentielle de se rendre jusqu’aux personnes et aux collectivités les plus touchées sans que les organismes canadiens aient à obtenir d’autorisation.

Cette exception s’applique à différents types d’activités d’aide humanitaire permises par le droit international, et pas seulement aux mesures d’aide permettant de sauver des vies. Il s’agit d’activités essentielles qui donnent accès à des soins de santé, à de l’eau, à de la nourriture et à des installations sanitaires, qui protègent les détenus et qui permettent aux gens de préserver leur dignité humaine.

L’exception humanitaire s’applique dès le moment où le projet de loi obtient la sanction royale. C’est une exemption qu’on s’applique soi-même, c’est-à-dire qu’un organisme n’a besoin de faire aucune demande une fois qu’il a conclu, après sa propre évaluation du risque, qu’il est protégé en vertu de l’exception. La Coalition humanitaire du Canada, qui réunit la Croix-Rouge, Vision mondiale et d’autres organismes, me dit que lorsque le projet de loi deviendra loi, ces organismes seront prêts à partir. Ils attendent depuis longtemps de pouvoir passer à l’action, et ce projet de loi leur permettra d’agir et de soutenir les Afghans vulnérables sans craindre d’être inculpés.

Deuxièmement, le projet de loi établit, pour les activités de développement permises, que les personnes et les organisations admissibles pourraient se voir accorder par le gouvernement certaines autorisations qui les mettraient à l’abri de toute responsabilité criminelle liée à leurs activités dans une zone géographique contrôlée par un groupe terroriste.

J’ouvre une parenthèse. Le mot « personnes » dans ce contexte ne veut pas dire moi ou le sénateur Tony Dean. En réalité, cela veut dire les organismes d’aide internationale qui travailleraient probablement sur le terrain par l’entremise de personnes, d’où la nécessité de faire en sorte que la disposition s’applique aux personnes.

L’établissement de ce régime se fera par la prise de règlements. On me dit que ces règlements font l’objet d’intenses discussions, car le ministre a promis de faire en sorte que les formalités administratives ne retardent pas l’aide essentielle.

Les autorisations s’appliqueraient également aux partenaires de mise en œuvre ou aux fournisseurs de services qui participent à la prestation des activités permises. Cela inclut les activités visant à soutenir la viabilité à plus long terme des populations vulnérables, y compris le soutien nécessaire des femmes et des filles ainsi que de leur pleine participation dans la société, en toute sécurité.

Les activités permises comprennent également le soutien du traitement des demandes d’immigration d’Afghans qui cherchent à fuir une situation dangereuse. Les demandes d’autorisation dans le cadre de ce deuxième volet seraient acceptées de la part de personnes au Canada, de Canadiens à l’extérieur du Canada et d’organismes canadiens.

Dans le cadre de ce régime d’autorisation, le ministre de la Sécurité publique examinera les demandes transmises par le ministre des Affaires étrangères ou le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, qui devraient d’abord s’être assurés que certaines conditions ont été remplies.

Ces conditions sont les suivantes : premièrement, les activités proposées auront lieu dans une région contrôlée par un groupe terroriste; deuxièmement, elles viseront au moins l’une des fins prévues; troisièmement, elles répondront à un besoin réel et émergent. De plus, le ministre qui renvoie la demande — que ce soit le ministre des Affaires étrangères ou le ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté — devrait aussi s’assurer que le demandeur a la capacité de gérer des fonds dans des milieux à haut risque et de rendre des comptes à cet égard de manière efficace.

Une fois la demande reçue par le ministre de la Sécurité publique, l’appareil de sécurité nationale mènerait un examen de sécurité pour mesurer l’effet de la délivrance de l’autorisation sur le financement du terrorisme.

Honorables sénateurs, il s’agit d’une étape importante pour des raisons de sécurité. Nous devons savoir s’il y a des liens entre le demandeur, ou toute personne qui est appelée à participer à l’activité proposée, et des groupes terroristes. Nous devons savoir si ces personnes ont déjà fait l’objet d’une enquête pour avoir participé à des activités terroristes. Puis — et je tiens à être bien claire —, nous devons savoir que le financement d’activités terroristes est exclu pour toutes les personnes impliquées.

C’est exactement le critère auquel le ministre de la Sécurité publique doit se fier pour accorder une telle autorisation. Cependant, les organisations humanitaires qui essuient un refus, peu importe la raison, ont un recours important. Après un refus, le demandeur a 30 jours pour faire une nouvelle demande. Il peut également avoir recours à une révision judiciaire.

Les autorisations de cette catégorie — je rappelle qu’il est question du deuxième volet — seraient accordées pour une période maximale de cinq ans et s’appliqueraient à toute personne ou organisation qui mènent les activités autorisées. Les autorisations pourraient également être soumises à des examens de sécurité supplémentaires et pourraient être renouvelées. Les autorisations accordées ou renouvelées pourraient également être modifiées, révoquées, suspendues ou restreintes.

Par exemple, si le demandeur omet de se conformer aux exigences de l’autorisation, cette dernière pourrait faire l’objet d’un réexamen.

Chers collègues, permettez-moi de résumer le processus une dernière fois. Premièrement, une fois le projet de loi adopté, les activités liées à l’aide humanitaire seraient complètement exemptées et les organisations humanitaires impartiales n’auraient pas à demander une autorisation. Elles pourraient reprendre immédiatement leurs activités.

Deuxièmement, le ministre de la Sécurité publique indiquerait par écrit s’il faut obtenir une autorisation pour mener d’autres activités dans une région donnée.

Troisièmement, les demandeurs admissibles qui veulent mener les activités permises devraient présenter une demande complète au ministre des Affaires étrangères ou au ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté. Ces derniers évalueraient la conformité de la demande quant aux objectifs spécifiques, aux besoins et à la capacité du demandeur.

Si ces deux ministres estiment que leurs conditions sont remplies, ils transmettent la demande au ministre de la Sécurité publique, qui procède à un examen de sécurité. Le ministre de la Sécurité publique accorderait ou refuserait l’autorisation demandée en se fondant sur une évaluation des risques et des avantages. Les détenteurs d’une autorisation seraient soumis à des obligations en matière de rapports et à un contrôle de conformité.

Je dois souligner que, même si j’ai beaucoup parlé de l’Afghanistan, le projet de loi ne mentionne pas spécifiquement l’Afghanistan. Il s’applique aussi à d’autres contextes à d’autres régions qui pourraient, malheureusement, tomber elles aussi sous le contrôle d’un régime terroriste, une situation qui ne devrait pas empêcher les personnes qui souffrent — dont la vie est en danger — d’avoir accès à l’aide internationale.

Chers collègues, la version actuelle du projet de loi est très différente de celle que nous avons étudiée en deuxième lecture. Il a été amendé vigoureusement par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, avec la participation des parties prenantes.

À l’origine, le projet de loi prévoyait qu’il incomberait aux acteurs humanitaires de déterminer eux-mêmes quelles zones géographiques étaient contrôlées par un régime terroriste. Le projet de loi amendé prévoit désormais que c’est au ministre de le faire, ce qui réduira le fardeau imposé aux acteurs humanitaires.

Il incombe aussi au ministre de préciser par écrit si un régime d’autorisation est requis pour les activités permises. Dans le milieu, on parle de zones d’activités autorisées ou de zones d’activités interdites. Cet amendement tient compte de la nature dynamique du terrorisme et permet une évaluation actualisée des groupes terroristes et du contrôle qu’ils exercent sur des zones géographiques.

Honorables sénateurs, d’autres amendements adoptés à l’autre endroit renforcent également les mesures de protection des renseignements personnels en restreignant explicitement l’utilisation des renseignements inscrits sur une demande aux fins de la demande d’autorisation ou de son renouvellement. Par ailleurs, on a limité le pouvoir de partage d’information, qui permet aux ministères concernés de recueillir et de divulguer des renseignements, à l’administration et à la mise en œuvre du régime.

En outre, honorables sénateurs, le ministre de la Sécurité publique présentera un rapport annuel sur le fonctionnement de ce régime. Le premier rapport annuel sera déposé le 1er avril 2024, suivi d’un rapport chaque année, puis d’un examen parlementaire quinquennal.

Le rapport doit aussi inclure un plan et un échéancier pour remédier à toute lacune.

Comme Martin Fischer, de Vision mondiale, nous l’a dit au comité :

Compte tenu de la nécessité de trouver un équilibre entre l’urgence de la situation en Afghanistan et la compréhension des paramètres du Code criminel, je pense que ce projet de loi parvient à un juste équilibre. Tout ce que nous apprendrons — et nous apprendrons beaucoup au cours de la première année de mise en œuvre — nous permettra, je l’espère, d’aller jusqu’au bout du processus, et si nous découvrons que nous ne sommes pas d’accord avec certains points, nous pourrons demander des comptes au gouvernement et améliorer le projet de loi à ce moment-là.

Enfin, chers collègues — et c’est important —, le projet de loi C-41 nous permet de nous rapprocher des régimes d’autres pays qui font partie d’un ordre mondial, et je parle plus précisément des régimes des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Australie et de l’Union européenne.

L’approche du gouvernement est conçue pour le Canada, mais elle s’appuie également sur notre travail avec les ONG. Nous avons entendu au comité que le projet de loi C-41 constitue une étape vers l’harmonisation avec ce que font les autres pays. Le Dr Jason Nickerson, de Médecins sans frontières, a affirmé que plusieurs autres pays prévoient des exemptions humanitaires dans des parties semblables et, parfois, dans des parties légèrement différentes de leur code criminel. Comme je l’ai dit, de telles exemptions figurent  dans les lois de l’Australie, de l’Union européenne, de la Nouvelle‑Zélande, de la Suisse, du Royaume-Uni et des États-Unis d’Amérique. Les organisations non gouvernementales croient également qu’il s’agit d’une étape dans le long processus de réforme en profondeur de l’aide humanitaire et de l’aide au développement, et que les leçons tirées ici traceront la voie à suivre à l’avenir.

En conclusion, chers collègues, nous devons aider les personnes vulnérables dès maintenant. Nous savons à quel point les situations évoluent rapidement dans un environnement dangereux et contrôlé par les terroristes, et nous savons que nous devons cesser de parler et agir immédiatement.

Tous les témoins au comité nous ont dit qu’ils croient, grâce à l’exemption humanitaire, aux mesures renforcées de protection des renseignements personnels et à l’examen qui aura lieu un an après l’entrée en vigueur du projet de loi, que ce dernier est maintenant conforme à son objectif et devrait être adopté sans tarder.

L’honorable Marilou McPhedran [ + ]

J’ai une question. La sénatrice Omidvar acceptera-t-elle d’y répondre?

La sénatrice Omidvar [ + ]

Bien sûr.

La sénatrice McPhedran [ + ]

Je vous remercie beaucoup du travail que vous avez consacré à ce projet de loi.

Dans le cas où le projet de loi ne serait pas adopté rapidement, avant que nous ajournions pour l’été, quelles en seront les conséquences les plus évidentes, si le Sénat ne l’adopte pas?

La sénatrice Omidvar [ + ]

Je répète à nouveau — et je vous remercie, sénatrice McPhedran, de votre question —, des vies seront en péril. Des bébés mourront. Des femmes seront en danger. Des gens manqueront de nourriture, d’abri et de protection. Il est question aujourd’hui de sauver des vies ou de laisser des gens mourir.

L’honorable Leo Housakos [ + ]

La sénatrice Omidvar accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Omidvar [ + ]

Oui.

Le sénateur Housakos [ + ]

Merci de votre intervention, sénatrice Omidvar. De toute évidence, il s’agit d’un projet de loi qui doit être adopté sans tarder, et le temps presse. Puisqu’il a fait l’objet d’un vaste consensus à la Chambre et qu’il a été décortiqué par un de ses comités, pourquoi ne pas l’adopter dès maintenant? Pourquoi devrait-il être renvoyé à un comité sénatorial au lieu d’être adopté sur-le-champ?

La sénatrice Omidvar [ + ]

C’est le Sénat qui va en décider.

Honorables sénateurs, c’est sur les terres du peuple anishinabe algonguin que je prends aujourd’hui la parole pour appuyer le projet de loi C-41 qui, je l’espère, sera adopté rapidement. Ce projet de loi important doit entrer en vigueur rapidement afin que les extraordinaires organismes de bienfaisance canadiens puissent faire ce qu’ils font le mieux, c’est-à-dire fournir de manière efficace, efficiente et humaine le nécessaire — nourriture, eau, services de santé — aux personnes dans le besoin, quels que soient leur âge et l’endroit où elles vivent et sans craindre d’être poursuivis au criminel.

Il est déjà déplorable que les personnes à qui les organismes humanitaires canadiens offrent leurs services vivent dans la peur constante et que leurs employés de première ligne soient exposés à toutes sortes de dangers. Ces organismes ne devraient pas craindre en plus d’être poursuivis au Canada simplement parce que les personnes à qui elles offrent leurs services vivent sous le joug de terroristes, comme les talibans en Afghanistan.

Comme l’a expliqué en détail et de manière éloquente la sénatrice Omidvar, ce projet de loi offre une solution législative à ce problème en modifiant le Code criminel du Canada de manière à permettre la fourniture d’aide humanitaire dans les zones contrôlées par des groupes terroristes. C’est tout à fait logique, chers collègues, et c’est la voie à suivre.

Comme vous pouvez le voir, j’ai l’intention d’être très brève, honorables collègues. Il y a seulement un élément que j’estime avoir l’obligation d’aborder avec vous.

Lors de mon premier discours au Sénat, j’ai présenté à ceux d’entre vous qui étaient présents il y a cinq ans des personnes qui m’ont influencée tout au long de mon parcours. Permettez-moi de citer un court paragraphe de ce discours, dans lequel je présente l’une de ces personnes :

Jusqu’à tout récemment, Bibi Gul, une veuve afghane qui a un fils à sa charge, était une réfugiée en Iran. Je l’ai rencontrée dans les montagnes près de Kaboul, où elle avait littéralement creusé sa demeure [...]

 — à la main à l’aide d’une cuillère, d’un couteau et de tout outil simple qu’elle pouvait trouver —

[...] à flanc de montagne. Elle gagnait sa vie en brodant les badges des policiers et d’autres représentants de l’État. Elle se servait de microprêts pour acheter le matériel et les fils spécialisés qu’elle importait d’Iran. Bibi est une force da la nature et elle était fière de la demeure et de l’entreprise qu’elle avait bâties.

Bibi Gul m’a beaucoup appris sur le pouvoir de l’ingéniosité humaine. Je pense à elle aujourd’hui et je me demande comment elle et son fils s’en sortent dans la nouvelle réalité du régime taliban, dont elle et sa famille avaient fui les actes terroristes dans les années 1990.

Bibi Gul a réussi à obtenir les maigres capitaux dont elle avait besoin auprès de l’un des nombreux organismes de microfinancement soutenus par le Mécanisme de microfinancement et de soutien en Afghanistan, mieux connu sous le sigle anglais MISFA. Le MISFA offre des prêts et des services financiers à des centaines de milliers de personnes comme Bibi afin qu’elles puissent gagner leur vie. Il a aussi pour mandat de doter l’Afghanistan d’un secteur de la microfinance solide et durable, de coordonner les contributions des donateurs étrangers et de faire de l’économie afghane l’une des pierres d’assises d’une future démocratie stable et résiliente.

En 2007, notre collègue la sénatrice Verner, qui était alors ministre responsable de l’Agence canadienne du développement international, a annoncé que le Canada verserait 16 millions de dollars américains au MISFA. Son collègue de l’époque, le ministre Peter MacKay, m’a demandé de siéger au conseil d’administration du MISFA et d’y représenter le Canada et d’autres donateurs étrangers en Afghanistan. De 2007 à 2010, je me suis rendue régulièrement en Afghanistan pour assister aux réunions du conseil et aller voir divers endroits, comme l’entreprise que Bibi exploite à partir de chez elle, dans les montagnes près de Kaboul. L’année après la fin de mon mandat, notre collègue la sénatrice Rebecca Patterson a été postée dans ce pays par les Forces armées canadiennes.

Le Canada a commencé à fournir de l’aide humanitaire à l’Afghanistan au début des années 1960, initialement à la suite de catastrophes nationales. Il entretient des liens diplomatiques avec l’Afghanistan depuis 1968 et il a ouvert une ambassade à Kaboul en 2003, mais, comme chacun le sait, elle a dû fermer ses portes en août 2021 lorsque les talibans ont repris l’Afghanistan de force.

De 2001 à 2021, le Canada a fourni 3,9 milliards de dollars en aide internationale à l’Afghanistan. Honorables collègues, nous savons que 40 000 soldats canadiens ont courageusement pris part aux opérations des forces de l’OTAN dans ce pays, et que 158 d’entre eux — y compris la capitaine Nichola Goddard, originaire de ma ville, ainsi qu’un diplomate — y ont perdu la vie.

Avec l’aide du Canada et d’autres partenaires à l’échelle internationale, l’Afghanistan, avec ses nombreux leaders dévoués et compétents au sein du gouvernement et de la société civile, a fait des progrès considérables en ce qui concerne les droits des femmes, l’éducation, le développement économique — y compris à l’échelle communautaire, ce qui s’applique à Bibi et, bien honnêtement, à la plupart des Afghans —, de même que la santé, la paix et la sécurité et les premières étapes très délicates de l’établissement d’une démocratie stable.

Honorables collègues, ces gains ont été durement acquis, et en réalité, la situation en Afghanistan a toujours été précaire. Par moments, le simple fait d’assister à des réunions du conseil à Kaboul me terrifiait parce que la situation était encore instable à l’époque, et il y avait encore des attentats à la bombe qui se produisaient à tout moment, et souvent dans des endroits que je venais de visiter.

À vrai dire, honorables collègues, après tous ces efforts, ces investissements et ces espoirs, la situation actuelle en Afghanistan me désole.

Lors de la séance d’information initiale sur le projet de loi C-41, nous avons entendu des représentants de la Coalition humanitaire du Canada et de la coalition d’aide pour l’Afghanistan, dont notre collègue, la sénatrice Omidvar, vient de parler. L’un des leaders de la société civile canadienne présents à la séance d’information a dit quelque chose que j’ai trouvé profond et très pertinent pour la discussion et pour l’engagement du Canada envers le peuple afghan. Cette personne a dit : « Des gens en bonne santé et bien nourris sont une condition préalable à la voie politique nécessaire pour l’Afghanistan. » C’est évident, certes, mais ce n’est pas ce à quoi l’on pense d’emblée en pleine crise.

Chers collègues, lors de crises humanitaires comme celle que connaît l’Afghanistan, fournir aux gens les produits de première nécessité est en soi la chose la plus humaine, la plus cruciale et la plus urgente à faire.

Par ailleurs, il est essentiel de garder à l’esprit en ce moment ce rappel important à l’intention des dirigeants canadiens du secteur humanitaire international. Pour que le peuple afghan puisse retrouver une vie normale de même que ses droits et son pays, et pour qu’il puisse protéger et consolider certains de ses acquis, il devra faire preuve de force et de résilience.

Chers collègues, nous savons que le Canada fournit une certaine aide humanitaire aux Afghans depuis que les talibans ont repris le pays il y a près de deux ans, mais cette aide a été fournie par des organisations internationales, et non par notre propre secteur vigoureux.

Avec l’adoption du projet de loi C-41, les organisations canadiennes seront en mesure d’intensifier leur dispositif humanitaire, de mobiliser les Canadiens qui souhaitent soutenir les efforts déployés pour répondre à la crise humanitaire et d’aider immédiatement un plus grand nombre d’Afghans en leur allouant davantage de ressources.

Ce soutien important aidera les Afghans à surmonter ces temps difficiles. J’espère qu’il aidera Bibi Gul et les centaines, voire les milliers de femmes et d’hommes qui travaillaient fort pour créer leurs propres moyens de subsistance durables.

En outre, honorables sénateurs, j’espère qu’en ouvrant les vannes de ce soutien important, nous aiderons les Afghans comme Bibi à reprendre des forces pour les prochaines étapes de leur lutte pour la paix, les droits de la personne, le développement social et économique, ainsi que la démocratie.

Chers collègues, ne tardons pas. Honorables sénateurs, faisons avancer ce projet de loi plein de bon sens pour aider les Afghans d’aujourd’hui et ceux qui, à l’avenir, pourraient se trouver dans des situations de crise semblables ailleurs dans le monde.

Manana , tashakor, merci.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-41, loi modifiant le Code criminel en ce qui concerne l’aide humanitaire dans les pays que le Canada considère comme ayant un régime terroriste.

J’aimerais remercier le ministre Mendicino et la sénatrice Omidvar d’avoir parrainé ce projet de loi, de même que la sénatrice Ataullahjan de tous ses efforts en vue d’aider les gens de l’Afghanistan.

Le but du projet de loi C-41 est de remédier au fait que, à l’heure actuelle, le cadre juridique du Canada limite la capacité des organismes canadiens d’aide humanitaire de porter assistance au peuple de l’Afghanistan en raison du risque de responsabilité criminelle, puisque le Canada considère les talibans comme étant un régime terroriste.

Comme l’a dit la sénatrice Omidvar, en pratique, le projet de loi C-41 permettrait aux organismes canadiens d’aide humanitaire d’offrir leurs services par la voie de deux mécanismes distincts, l’un étant destiné à l’aide humanitaire et l’autre aux activités de développement.

J’aimerais vous raconter la triste histoire d’Aziz Gul.

De nombreuses familles prennent des décisions désespérées pour survivre en Afghanistan, y compris celle de vendre leurs enfants — en particulier les jeunes filles — en vue d’un mariage afin de recevoir une dot de la famille du marié et d’ainsi pouvoir acheter de la nourriture.

À l’âge de 16 ans, Aziz Gul a été vendue en mariage à un homme qui avait plus de deux fois son âge. Cinq mois plus tard, sa famille a reçu un appel l’informant que leur fille avait été tuée. Son corps nu avait été retrouvé dans une forêt juste en dehors du village où elle habitait avec sa belle-famille.

Aziz Gul a été battue et elle a reçu quatre balles dans le dos. Elle avait 17 ans et elle était enceinte de quatre mois. Lorsque ses parents éplorés ont entrepris de rapporter sa dépouille à la maison — un périple de plusieurs jours —, ils ont appris que le mari de leur fille avait tendance à faire des crises de rage et à se montrer agressif.

Il ne s’agit pas d’un incident isolé, honorables sénateurs. Si je vous en parle, c’est pour que vous saisissiez à quel point la situation en Afghanistan est déchirante, pour ne pas dire carrément tragique. Les problèmes d’aide humanitaire et d’aide au développement ne cessent d’ailleurs de prendre de l’ampleur et de s’intensifier.

Permettez-moi maintenant de vous donner quelques chiffres inquiétants au sujet de la crise. L’Afghanistan traverse actuellement la pire crise humanitaire du monde : 97 % des Afghans vivent dans la pauvreté, comparativement à 47 % en 2020.

Rien que cette année, les deux tiers de la population, soit 28 millions de personnes, auront besoin d’aide humanitaire pour survivre. Selon le Programme alimentaire mondial, près de 20 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire grave, et 6 millions sont à un cheveu de la famine. Cette crise humanitaire a été exacerbée par la sécheresse, les inondations, les tremblements de terre et autres catastrophes naturelles. De plus, 2,3 millions d’enfants risquent de souffrir de malnutrition grave seulement cette année, et quasiment 1 million d’entre eux pourraient en mourir s’ils ne sont pas traités.

Le directeur pour l’Afghanistan de Save the Children, Chris Nyamandi, a décrit dans ces mots l’effet que la crise a eu sur les enfants afghans :

Je n’ai jamais rien vu de tel que la situation désespérée que nous observons ici en Afghanistan. Chaque jour, nous soignons des enfants terriblement malades qui n’ont rien mangé d’autre que du pain depuis des mois. Les parents doivent prendre des décisions impossibles : lesquels de leurs enfants doivent-ils nourrir? Les envoient-ils travailler ou les laissent-ils mourir de faim? Ce sont des choix atroces qu’aucun parent ne devrait avoir à faire.

Comme vous le savez, les talibans sont revenus au pouvoir le 15 août 2021. Leur accession au pouvoir a plongé le pays dans une tourmente économique encore plus profonde et a exacerbé la pauvreté alors que l’aide essentielle cessait d’affluer dans le pays. Ils ont complètement bafoué les droits des femmes et des jeunes filles.

Chers collègues, tout au long de ma carrière de sénatrice, depuis 2001, date du début de la guerre en Afghanistan, j’ai travaillé avec M. Chrétien et de nombreuses femmes pour faire en sorte que des femmes accèdent à des postes de direction. M. Chrétien a personnellement assuré à ces femmes que des soldats canadiens les protégeraient. C’était en 2001. Aujourd’hui, en 2023, nous n’avons même pas de rôle en Afghanistan.

Cependant, depuis le 15 août 2021, date à laquelle les talibans ont pris le pouvoir, tout le soutien apporté par le Canada aux femmes, aux enfants et aux personnes marginalisées d’Afghanistan, comme je l’ai dit précédemment, s’est interrompu.

Le Canada a cessé de fournir une aide humanitaire et une aide au développement à l’Afghanistan en raison de certaines dispositions relatives au terrorisme dans notre Code criminel, notre gouvernement ayant déclaré que les talibans sont une organisation terroriste.

Cela m’attriste de vous le dire, mais le Canada a mis deux ans pour trouver le moyen d’envoyer de l’aide humanitaire en Afghanistan, alors que ses alliés, dont l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les États-Unis et le Royaume-Uni, ont vite trouvé une façon de recommencer à acheminer de l’aide humanitaire et de l’aide au développement et pour que les organismes d’aide continuent à recevoir du financement malgré les lois antiterroristes nationales.

Le Canada est le seul pays du G7 qui n’a pas encore trouvé le moyen de recommencer à acheminer l’aide humanitaire qui permettrait de sauver des vies afghanes. C’est tout à fait inacceptable, sénateurs. Le Canada devrait avoir honte de traîner les pieds de la sorte, alors qu’il y a d’autres façons d’aider les femmes et les enfants qui vivent dans le désespoir.

Le Canada a un rôle important à jouer là-bas, mais surtout, sénateurs, les Canadiens veulent que leur pays joue ce rôle important. Je ne vous dis pas le nombre de Canadiens qui m’appellent régulièrement pour me dire que le Canada devrait avoir honte d’être parti de l’Afghanistan. Ces deux ans ont fait en sorte que le Canada et l’aide canadienne ont disparu d’un pays qui en aurait cruellement besoin.

Quoi qu’il en soit, comme l’a dit la sénatrice Omidvar, le projet de loi C-41 va créer un système à deux volets : un premier pour l’aide humanitaire et un second pour l’aide au développement.

Du côté de l’aide humanitaire, le projet de loi prévoit une exception afin que les organismes puissent offrir des services humanitaires, comme l’alimentation, le logement, l’hygiène et la protection sur le terrain. Ces secours d’urgence sauvent des vies et ils sont offerts par les organismes humanitaires dont parlait la sénatrice Omidvar. Les organismes canadiens pourront donc continuer à faire ce qu’ils font sans crainte de s’exposer à des sanctions criminelles. Ce processus est clair et sans équivoque.

Sur le second volet, mon point de vue est légèrement différent de celui de la sénatrice Omidvar. Ce volet s’appliquera aux activités de développement. Le projet de loi propose l’établissement d’un régime d’autorisation qui permettra aux personnes et aux organisations canadiennes d’obtenir des autorisations qui les mettraient à l’abri de toute responsabilité criminelle. Plus précisément, il permettra aux organisations de fournir des services de santé, des services d’éducation, des services d’immigration, des programmes sur les droits de la personne et un soutien au revenu. Cependant, la procédure proposée par le gouvernement pour l’obtention de ces autorisations est complexe et obscure.

La première étape de la procédure exige que la personne ou l’organisation canadienne concernée présente une demande au ministère des Affaires étrangères ou au ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté. Ces ministères doivent ensuite s’assurer que certaines conditions sont remplies. Il faut notamment que l’activité proposée corresponde à un objectif autorisé et réponde à un besoin réel et important.

Les deux ministères transmettront ensuite la demande au ministère de la Sécurité publique. Une fois que ce dernier aura reçu la demande, il l’examinera, et il évaluera les répercussions qu’aurait son approbation.

Honorables sénateurs, les facteurs à étudier incluent notamment de vérifier s’il y a des liens entre les demandeurs, ou toute personne qui est appelée à participer à l’activité, et des groupes terroristes, et déterminer si ces personnes ont fait l’objet d’une enquête, d’une accusation ou d’une condamnation relativement à une infraction de terrorisme. Pourtant, nous n’avons pas obtenu de précisions sur ces processus. Nous n’avons reçu aucune réponse au sujet de la réglementation. La sénatrice Omidvar a posé une question très précise au ministre : quand la réglementation sera-t-elle mise en place? Au comité, le ministre n’a même pas répondu à la question. Par conséquent, nous ne savons même pas avec quelle rapidité la réglementation sera établie. Je trouve cet aspect très inquiétant : après deux ans d’attente, faudra-t-il une autre année pour mettre en place la réglementation?

Je vous signale que les demandes initiales doivent d’abord être approuvées par des ministères qui font partie des plus occupés de l’appareil gouvernemental avant même d’être envoyées au ministre de la Sécurité publique. Je peux vous garantir que ce processus entraînera de longs retards.

Honorables sénateurs, permettez-moi d’insister à nouveau sur la nécessité d’agir. De nombreux incidents dévastateurs illustrent les conditions désespérées qui règnent en Afghanistan, y compris de nombreux enfants qui souffrent. Je ne vais pas vous donner d’exemples. Des organisations canadiennes sont prêtes à fournir de l’aide aux groupes d’Afghans les plus vulnérables. Elles attendent de recevoir l’autorisation pour le faire.

Des conteneurs de fournitures essentielles se trouvent au port de Montréal, prêts à être envoyés en Afghanistan.

Michael Messenger, président de Vision mondiale Canada, a déclaré que le cœur du problème est simple :

Les Canadiens veulent aider l’Afghanistan au moment où il en a le plus besoin [...]. Notre gouvernement doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour permettre l’acheminement de l’aide humanitaire.

Comme ces organisations humanitaires ne peuvent pas poursuivre leur travail salvateur, si le gouvernement n’agit pas rapidement et n’apporte pas les précisions nécessaires par le biais de la réglementation, il faut garantir aux organisations humanitaires et de développement que leur travail salvateur ne sera pas pénalisé par le Code criminel du Canada.

Honorables sénateurs, rappelons que 167 enfants meurent chaque jour en Afghanistan de maladies évitables, de malnutrition et du manque d’eau potable.

J’ai entendu beaucoup de remue-ménage pendant que je parlais. Normalement, je me serais assise, je me serais dit que cela était très impoli et que tout le monde aurait dû être à sa place. J’espère seulement que c’était pour faire avancer ce projet de loi plus rapidement. Toutefois, il faut être prudent. Il ne faut pas se hâter tant que la réglementation n’est pas en place, car tout n’est pas très clair. Sans réglementation, ces deux grands navires ne quitteront pas le port de Montréal.

Merci.

L’honorable Salma Ataullahjan [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui sur le projet de loi C-41, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence, qui modifierait le Code criminel pour permettre la prestation d’aide internationale et la tenue d’activités liées à l’immigration dans des zones contrôlées par des groupes terroristes.

Sans ce projet de loi, les organismes d’aide humanitaire risqueraient d’enfreindre la loi en tentant de fournir de l’aide en Afghanistan. Le paragraphe 83.03(b) du Code criminel stipule qu’est coupable d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de 10 ans quiconque, directement ou indirectement, réunit ou fournit des biens, des services financiers ou d’autres services connexes en sachant qu’ils seront utilisés, en tout ou en partie, par un groupe terroriste.

La version révisée du projet de loi C-41 vise à permettre aux organismes d’aide humanitaire de fournir de la nourriture, des abris et des soins de santé vitaux dans toute zone géographique contrôlée par des groupes terroristes sans avoir recours à une équipe d’avocats.

Avant d’aller plus loin, j’aimerais prendre un moment pour remercier ma collègue la sénatrice Omidvar de ses efforts continus en vue d’aider les Afghans par l’entremise de Lifeline Afghanistan. Merci aussi à la sénatrice Jaffer de son engagement envers le peuple afghan, et merci à la sénatrice McPhedran.

J’aimerais aussi remercier mes collègues du Comité sénatorial des droits de la personne pour leur travail dans ce dossier. Comme la sénatrice Omidvar l’a indiqué, le comité a présenté un rapport opportun et pratique en décembre 2022, et bon nombre de ses recommandations se trouvent dans la version amendée du projet de loi C-41.

Aujourd’hui, j’aimerais me faire l’écho des paroles de la marraine du projet de loi C-41, en particulier en ce qui concerne les amendements. Nous avons perdu suffisamment de temps depuis que les talibans ont repris Kaboul par la force, et notre priorité devrait être de fournir une aide humanitaire vitale aux Afghans affamés. Comme on l’a déjà expliqué de manière très éloquente, les amendements au projet de loi sont essentiels afin de réduire le fardeau imposé aux intervenants du secteur humanitaire.

Chers collègues, comme vous êtes nombreux à le savoir, l’Afghanistan a toujours occupé une place spéciale dans mon cœur. Lorsque j’étais enfant, à Peshawar, au Pakistan, presque rien ne me faisait plus plaisir qu’une escapade à Kaboul. J’ai de doux souvenirs de ces étés passés en Afghanistan, où les gens étaient généreux, les paysages magnifiques et la nourriture incomparable. L’Afghanistan de ma jeunesse était une société décontractée et agréable où les hommes et les femmes étaient libres d’aller au restaurant, à la discothèque — comme on disait à l’époque — et dans les théâtres en plein air. Il y avait des jardins partout, fréquentés par de nombreuses familles qui s’y réunissaient pour passer du temps dans la nature. Les femmes avaient une présence très visible dans tous les domaines de la société et il était courant de les voir posséder des entreprises.

Mais l’invasion soviétique, en 1979, a changé la vie du peuple afghan. Depuis lors, l’Afghanistan n’a pas connu la paix. Des décennies de guerre ont fait des ravages.

À l’heure actuelle, le pays fait face à une crise humanitaire sans précédent. Les deux tiers de la population du pays auront besoin d’une aide humanitaire rien que cette année, et près de 95 % des Afghans souffrent de malnutrition. Selon Ramiz Alakbarov, représentant spécial adjoint des Nations unies, coordinateur résident et coordinateur humanitaire en Afghanistan, « le destin de toute une génération d’Afghans est en jeu ». Les femmes et les jeunes filles ont été complètement exclues de la société et privées d’éducation, d’emploi et de liberté de mouvement en raison de leur sexe.

Ce n’est pas la première fois que je prends la parole dans cette enceinte pour faire part de mes préoccupations concernant le peuple afghan. En février, j’ai exhorté le gouvernement à aider les Afghans qui mouraient de froid et de faim au cours de l’un des hivers les plus rudes que l’Afghanistan ait connus depuis des années. En mars de l’année dernière, j’ai parlé de la famine qui menaçait 24 millions d’Afghans, obligeant beaucoup d’entre eux à vendre un rein, ou pire, leurs filles, comme la sénatrice Jaffer vient de le mentionner. En novembre 2021, j’ai exprimé le déchirement que j’ai ressenti en constatant le désespoir des Afghans laissés pour compte et l’effacement total des femmes et des arts de la vie publique.

Déjà en tant que nouvelle sénatrice, j’ai proposé, en 2010, que l’on étudie le rôle que pourrait jouer le gouvernement du Canada pour promouvoir les droits des femmes après la fin des opérations de combat en Afghanistan. Le comité a recommandé des moyens concrets que pourrait prendre le Canada pour faire de l’avancement des droits des femmes un élément fondamental de son approche à l’égard de l’Afghanistan après 2011.

Plus récemment, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a présenté un rapport sur l’aide humanitaire à l’Afghanistan, plus précisément sur les conséquences qu’ont les lois canadiennes relatives au financement du terrorisme sur la prestation de l’aide aux personnes vulnérables en Afghanistan. Le comité a entendu des intervenants clés qui ont expliqué qu’en raison de l’article 83.03b) du Code criminel, des services cruciaux ont été mis en suspens. C’est notamment le cas des services de sages-femmes en régions éloignées. Des envois d’aide ont été suspendus et des stocks stagnent en entrepôt. Martin Fischer, de Vision mondiale, a expliqué au comité qu’une interprétation trop restrictive de l’article 83.03b) ne pénalisait en fin de compte que les personnes les plus vulnérables en Afghanistan, y compris les femmes et les filles que la Politique d’aide internationale féministe du Canada est censée protéger.

Le comité a formulé cinq recommandations, dont celle-ci : que le ministère de la Justice présente sans tarder un projet de loi afin de créer une exemption humanitaire explicite à l’alinéa 83.03b) du Code criminel, afin de préciser que cette disposition ne s’applique pas à l’aide humanitaire qui est fournie de manière légitime — sans dessein terroriste — mais qui bénéficie fortuitement à un groupe terroriste.

Chers collègues, je suis heureuse de constater que la version amendée du projet de loi C-41 inclut une exception humanitaire proposée par le NPD, mais je tiens à vous rappeler qu’il y a plus d’un an, les alliés du Canada, tels que les États-Unis, le Royaume‑Uni, l’Union européenne et l’Australie, avaient déjà prévu des exemptions générales pour les travailleurs humanitaires. Heather McPherson, porte-parole du NPD en matière d’affaires étrangères, a déclaré :

Le Canada est le seul à avoir érigé des barrières pour les organisations humanitaires, au lieu de faciliter leur présence sur le terrain pour aider les Afghans.

Bien que je soutienne pleinement le projet de loi C-41, je dois vous faire part de certaines de mes préoccupations concernant cette mesure législative. Heureusement, je pense qu’elles sont tout à fait surmontables si l’on fait preuve de suffisamment de préparation et de prévoyance. Comme vous le savez maintenant, le projet de loi C-41 offre deux possibilités aux organisations humanitaires de fournir de l’aide dans les zones contrôlées par des terroristes. L’exemption humanitaire protège les organisations humanitaires impartiales des lois antiterroristes canadiennes sans qu’elles aient à demander une autorisation au gouvernement. Pour les activités de développement admissibles, les personnes et organisations admissibles doivent demander une autorisation au gouvernement pour être à l’abri de toute responsabilité criminelle. À cette fin, le ministre de la Sécurité publique doit fournir, sur demande, des informations aux organisations et aux personnes qui se demandent si elles doivent obtenir une telle autorisation du gouvernement.

Toutefois, j’ai appris que certains détails administratifs n’ont pas encore été définis, parce qu’on ne sait pas encore comment les organisations devront communiquer avec le ministre. On a laissé entendre que ce pourrait être un processus similaire à celui pour demander la suppression d’un nom de la liste d’interdiction de vol : autrement dit, communiquer avec le bureau du ministre par courriel. Si les problèmes dont nous avons entendu parler au sujet de ce processus témoignent de son efficacité, je crois qu’on peut faire mieux. Pour ce qui est de la disponibilité des renseignements pour les demandeurs potentiels, Richard Bilodeau, directeur général de Sécurité publique Canada, a laissé entendre que l’information devrait éventuellement être affichée sur un site Web, mais rien n’est encore coulé dans le béton.

Je peux comprendre que les amendements apportés à ce projet de loi ont pris par surprise certaines équipes, mais je m’inquiète du fait que le personnel supplémentaire n’a pas encore été embauché pour analyser les demandes qui rentreront dès que le projet de loi C-41 aura reçu la sanction royale.

J’ai aussi questionné le ministre Mendicino sur l’échéancier prévu pour traiter et analyser les demandes. Il m’a répondu que ce serait déterminé au cas par cas, car les vérifications en matière de sécurité peuvent être plus longues pour les organisations moins connues. J’ai proposé au ministre de trouver une solution pour simplifier les vérifications de certaines organisations, par exemple la Croix-Rouge, Vision mondiale et Médecins sans frontières, afin d’accélérer le processus et faire en sorte que ces organisations humanitaires se rendent le plus rapidement possible en Afghanistan.

Encore une fois, je dois souligner qu’il est possible de résoudre ces problèmes, et que le dernier budget du gouvernement a prévu du financement pour doter les bureaux touchés. En fait, la version actuelle du projet de loi C-41 n’est peut-être pas parfaite, mais, comme l’a dit Me Erica See, conseillère juridique principale pour la Croix-Rouge, pendant l’étude préliminaire du projet de loi au Comité permanent des droits de la personne :

[...] c’est ce dont on a besoin pour donner au secteur humanitaire une voie à suivre — une porte d’entrée, si vous voulez — pour offrir une aide humanitaire dans des situations comme celle qui existe en Afghanistan.

Honorables sénateurs, cela fait chaud au cœur de savoir que tous les partis à l’autre endroit ont collaboré au comité pour améliorer la version initiale du projet de loi C-41, présentée lors de la première lecture. Chers collègues, à titre de porte-parole du projet de loi, je vous invite à l’adopter sans délai pour enfin donner une lueur d’espoir à de nombreux Afghans.

Comme l’a dit Me See au Comité permanent des droits de la personne, lundi : « Si le projet de loi n’est pas adopté maintenant, une autre année passera sans aide humanitaire en Afghanistan, alors qu’elle en a grandement besoin. »

Comme l’a dit la sénatrice Coyle, manana, tashakor, merci.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) [ + ]

Tout d’abord, permettez-moi de remercier sincèrement la sénatrice Omidvar pour avoir fait avancer ce projet de loi, ainsi que la sénatrice Ataullahjan pour le travail qu’elle y a consacré.

Votre Honneur, ce projet de loi a fait l’objet d’une étude préalable et a donc été étudié par un comité. Il y a eu des discussions entre les leaders — en vue d’accélérer le processus et dans l’espoir que le projet de loi reçoive la sanction royale le plus rapidement possible, ce que nous sommes portés à croire —, et les leaders ont accepté, Votre Honneur, de faire avancer ce projet de loi. Sur ce, avec le consentement du Sénat, je propose que le projet de loi soit maintenant lu une troisième fois.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Nous allons tout d’abord terminer la deuxième lecture, puis nous allons procéder à la troisième lecture.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

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