Sécurité nationale et défense
Motion tendant à autoriser le comité à examiner la possibilité de permettre à Huawei Technologies Co., Ltd. de faire partie du réseau 5G du Canada--Débat
19 novembre 2020
Honorables sénateurs, je souhaite intervenir dans le débat sur une motion que j’estime être d’une importance capitale et qui a trait aux difficultés que nous éprouvons dans notre relation avec la République populaire de Chine. Les sénateurs se rappelleront peut-être que, lors de la dernière législature, j’ai présenté une motion semblable qu’on a laissé dormir jusqu’à ce qu’elle meure au Feuilleton en raison de la prorogation. Depuis, la situation s’est certainement beaucoup aggravée à bien des égards, et c’est pour cela que j’estime qu’il est urgent d’adopter cette motion.
Premièrement, nous devons reconnaître qu’il est de plus en plus évident que la République populaire de Chine et le Parti communiste chinois représentent une menace pour les intérêts nationaux et les valeurs du Canada, et même pour les Canadiens d’origine chinoise au Canada.
Je pense que les sénateurs sont de plus en plus conscients des gestes posés par la Chine qui menacent la sécurité mondiale. Je n’ai qu’à mentionner certaines pressions militaires récemment exercées par le régime chinois.
Premièrement, il y a les vastes revendications territoriales de la Chine dans la mer de Chine méridionale, qui font fi de la décision rendue en 2016 par le tribunal de La Haye et qui s’accompagnent d’une campagne de fortification et de militarisation sur certaines îles.
Deuxièmement, la Chine exerce simultanément des pressions militaires constantes dans la mer de Chine orientale dans le cadre d’une campagne visant à revendiquer sa souveraineté sur des îles détenues par le Japon dans ces eaux.
L’été dernier, il a été rapporté que les incursions militaires chinoises dans les îles Senkaku se produisaient de façon continue. Vous vous rappellerez que le Japon est un pays qui, dans sa propre constitution, a renoncé à la guerre. Or, il se voit maintenant obligé d’accorder une attention sans précédent à la modernisation de ses capacités militaires.
Troisièmement, le renouvellement des pressions militaires exercées par la Chine sur l’Inde a mené à des confrontations directes entre des troupes chinoises et indiennes le long de la frontière contestée entre les deux pays.
Ce qui est le plus inquiétant, c’est la pression militaire sans précédent exercée contre Taïwan. Pas plus tard que le mois dernier, le ministre de la Défense de Taïwan a rapporté qu’en 2020, la force aérienne du pays a dû déployer à la hâte ses avions de chasse contre des incursions militaires chinoises à 2 972 reprises. L’étendue de ces activités militaires est, pour le moins, alarmante, comme le sont les déclarations récentes du président chinois Xi Jinping, selon lesquelles les forces militaires chinoises doivent se préparer à la guerre.
Ces développements représentent à eux seuls une menace importante à la stabilité mondiale et donc, aux intérêts canadiens dans la région du Pacifique. Cependant, en même temps, nous sommes confrontés au spectre d’activités clandestines au sein de notre pays. En 2019, le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, un comité non partisan, a conclu que :
La [République populaire de Chine] utilise sa richesse économique croissante pour mobiliser des opérations d’ingérence : « Grâce à ses coffres bien garnis et à l’aide de facilitateurs occidentaux, le Parti communiste de Chine utilise l’argent, plutôt que l’idéologie communiste, comme une source puissante d’influence, pour créer des relations parasitaires de dépendance à long terme. »
Nous avons des preuves que la Chine exerce des pressions sur des Canadiens potentiellement vulnérables aux tactiques du régime. Anastasia Lin, actrice sino-canadienne, a parlé de son expérience liée à l’utilisation par la Chine de réseaux d’influence à l’étranger. Je la cite :
Pékin appuie de nombreux organismes de façade et groupes de la société civile dans les sociétés occidentales, notamment des associations étudiantes et professionnelles chinoises. Ces groupes agissent comme un prolongement de l’État et un appareil du Parti. Ils sont mobilisés pour influencer les résultats des élections locales ainsi que les politiques gouvernementales en occident.
Mme Lin a subi des conséquences personnelles immédiates à cause de ses déclarations. Sa mère l’a informé que des agents du service de sécurité nationale chinois ont posé des questions sur l’entreprise de la famille en Chine. Je la cite :
Ma mère m’a indiqué que son collègue a reçu la visite de la police secrète chinoise et que celle-ci a posé des questions sur ma vie ces dernières années.
À ce stade-ci, les sénateurs sont au courant des violations des droits de la personne commis par l’État chinois à Hong Kong ainsi que contre la population minoritaire ouïghoure et d’autres dissidents. Or, le fait de se livrer à de tels actes contre des communautés au sein de notre pays ne devrait pas et ne peut pas être toléré. Il ne devrait subsister aucun doute dans notre esprit quant à la portée planétaire des activités de l’État chinois.
Plus tôt cette année, j’ai attiré l’attention du Sénat sur un atelier qui a été organisé en 2018 par le Service canadien du renseignement de sécurité et qui s’inspirait de l’analyse menée par plusieurs spécialistes internationaux sur les objectifs et les intentions stratégiques de la Chine.
Selon un vaste rapport portant sur le sujet, plusieurs conclusions s’imposent : le régime chinois s’est doté d’une stratégie multidimensionnelle pour placer la Chine en position de domination mondiale. Cette stratégie mise sur la conclusion d’accords diplomatiques et économiques asymétriques, sur l’innovation technologique et sur la croissance des dépenses militaires. Les partenaires commerciaux de la Chine constatent que celle-ci utilise son statut commercial et ses réseaux d’influence pour faire avancer les objectifs du régime. Toutes les entreprises chinoises, qu’elles appartiennent à l’État ou non, ont des liens de plus en plus ostentatoires avec le Parti communiste chinois. La Chine se sert de sa position économique pour accéder aux entreprises, aux technologies et aux infrastructures dont elle peut tirer des renseignements exploitables ou qui peuvent lui servir à compromettre les mécanismes de sécurité de ses partenaires. Le monde entier constate que la Chine a de plus en plus recours à une forme agressive de diplomatie et que ses réseaux d’influence sont de plus en plus présents. Les diplomates chinois n’hésitent pas à brandir la menace de représailles au visage des gouvernements étrangers qui résistent aux visées et aux initiatives de l’État chinois.
Les ambassadeurs chinois du Danemark et de l’Allemagne ont prévenu les autorités de ces deux pays des « conséquences » qu’il pourrait y avoir s’ils devaient exclure Huawei de leur réseau 5G. Les déclarations de ce genre ont pour but de faire reculer les gouvernements démocratiques, et le pire, c’est que cela fonctionne parfois. On pourrait même dire que c’est ce qui est arrivé au nôtre, chers collègues.
L’an dernier, peu après son arrivée au Canada, l’ambassadeur de la Chine avait menacé le Sénat en raison de la motion qui exhortait le gouvernement du Canada à imposer des sanctions, conformément à la loi de Magnitski, contre les autorités chinoises. Il y a à peine quelques semaines, ce même ambassadeur a menacé la sécurité de 300 000 Canadiens vivant à Hong Kong. La semaine dernière, il a récidivé : il a déclaré aux médias que les Canadiens avaient manqué de respect envers le Parti communiste chinois et qu’ils devraient faire attention lorsqu’ils parlent de la République populaire de Chine. Est-ce là un comportement acceptable de la part d’un ambassadeur, chers collègues? Pourquoi représente-t-il toujours la Chine dans notre pays?
Je peux vous dire que la coercition n’a pas porté ses fruits en Australie. Les Australiens ne l’ont pas pris. L’Australie est d’ailleurs le premier pays à avoir interdit à Huawei de développer son réseau 5G. Ce pays s’est en outre montré de plus en plus disposé à s’attaquer aux activités politiques et du renseignement que mène la Chine à l’intérieur de ses frontières. Chers collègues, je peux vous assurer que les échanges commerciaux de l’Australie avec la Chine sont beaucoup plus importants que les nôtres et que les Australiens ont beaucoup plus à perdre que nous, et, pourtant, ils se battent pour leurs principes.
Sans grande surprise, la Chine a exercé des représailles. Il ne fait aucun doute que les journalistes australiens en Chine risquent d’être expulsés et de faire l’objet d’une enquête. Comme la sénatrice Frum pourra vous le confirmer, elle qui a travaillé comme journaliste en Chine, c’est la moindre des conséquences à laquelle un journaliste peut s’attendre lorsqu’il rapporte des faits que les Chinois souhaitent voir passer sous silence.
Plus tôt ce mois-ci, la Chine a interdit l’importation de sept catégories de denrées australiennes, une tactique semblable à celle qu’elle a déjà fait subir au Canada. Les fonctionnaires chinois ont soudainement trouvé des « problèmes de qualité » concernant l’orge, le bœuf, le charbon, le coton, le homard, le bois et le vin provenant d’Australie. Pour ma part, je trouve les vins australiens plutôt bons. Par ailleurs, les produits australiens ont été soumis à des mesures antisubventions et antidumping, ou les livraisons ont été retardées.
De toute évidence, le régime chinois accepte mal qu’on le critique et qu’on dénonce ses activités, et il ne mène décidément pas ses affaires comme nous. Cela dit, nous ne devons pas nous laisser décourager par ces comportements de voyous. Je crois qu’il faut plutôt s’inspirer de l’Australie et élaborer une approche ferme et réfléchie pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés. Dans cette optique, nous devons tout d’abord, chers collègues, adopter une position ferme au sujet de la participation de l’État chinois au réseau 5G du Canada.
Comme je l’ai déjà signalé ici, la 5G représente la prochaine génération de réseau mobile à large bande. Elle sera intégrée à toutes les industries du pays, les anciennes comme les nouvelles. À la lumière de l’évaluation des objectifs de l’État chinois faite par le SCRS, il est absolument essentiel que le gouvernement prenne enfin position à propos de l’intégration de Huawei à notre réseau 5G.
L’Australie a pris sa décision sur cette question il y a plus de deux ans. Il n’y a tout simplement rien qui puisse justifier l’indécision continue de notre gouvernement dans ce dossier, alors que les enjeux sont tellement importants. À mon avis, il est également essentiel que, à l’instar de celui de l’Australie, notre gouvernement présente un plan robuste pour combattre la croissance des opérations étrangères de la Chine ici, au Canada, ainsi que l’intimidation accrue des Canadiens et des Sino-Canadiens qui résident dans notre merveilleux pays.
D’autres pays prennent très au sérieux les activités internationales et domestiques de l’État chinois, car leurs conséquences sont vastes et lourdes. Le premier ministre australien, Scott Morrison, soutient que la période que nous vivons actuellement représente l’époque la plus dangereuse depuis les années 1930.
Ce qui m’inquiète, c’est que notre propre gouvernement est incroyablement peu enclin à réagir à la réalité à laquelle nous sommes confrontés. Il ne la nie pas, mais il reste là à ne rien faire. Avant les élections de 2015, le premier ministre a dit que la Chine était le pays qu’il admirait le plus. Il admirait la Chine, disait-il, parce que, et je cite, « [sa] dictature [lui] permet de faire un virage économique soudain ».
La naïveté de ces propos, chers collègues, est stupéfiante. Au moins, dans certaines de ses affirmations plus récentes, il a commencé à reconnaître que l’État chinois n’est peut-être pas ce qu’il croyait. Cela dit, les ministres au sein du gouvernement refusent toujours de répondre avec vigueur à la provocation de l’État chinois. Certains dépendent même d’hypothèques accordées par la Chine.
Plus récemment, le ministre des Affaires étrangères a refusé d’utiliser le mot « génocide » pour qualifier ce que subissent les Ouïghours en Chine. Chers collègues, il est odieux de ne pas reconnaître la situation et de ne pas l’appeler par son nom, et ce, malgré le fait que le Sous-comité des droits internationaux de la personne de la Chambre des communes a établi que c’est bel et bien ce qui se passe là-bas : un génocide. Nous ne pouvons plus jouer à l’autruche.
Certaines des déclarations qu’ont faites les ministres sur l’accueil d’opposants politiques de Hong Kong sont tout aussi floues. Récemment, le ministre de l’Immigration a refusé de confirmer si les résidants de Hong Kong qui auraient pu être reconnus coupables d’une infraction, par exemple un attroupement illégal ou l’exercice de leur liberté d’expression, seraient accueillis au Canada.
Même au Sénat, des sénateurs veulent laisser la Chine s’en tirer à bon compte en choisissant plutôt de blâmer les autres et en encourageant les Canadiens et le gouvernement à jouer le jeu et à s’entendre avec ce pays. Par exemple, mardi prochain, le sénateur Woo participera à un webinaire intitulé « Repenser les relations sino-canadiennes ». À première vue, on dirait que le sénateur Woo et moi sommes d’accord dans la mesure où il est nécessaire de repenser notre relation avec la Chine, mais je crois que nos opinions divergent quant à l’objectif de cet exercice. Par exemple, le sénateur Woo a déclaré ceci :
Ces dernières années, les relations sino-canadiennes ont été indûment façonnées par la concurrence stratégique entre les États-Unis et la Chine, ce qui a causé des différends entre Ottawa et Pékin, qui concernent davantage une rivalité entre deux grandes puissances que notre intérêt national.
Qu’est-ce que cela signifie exactement, chers collègues? Rien ne prouve que le déclin de nos relations avec la Chine ait été indûment influencé par la concurrence stratégique entre les États-Unis et la Chine. Il a eu lieu en raison de la nature simple de la politique chinoise, qui est impérialiste, coercitive et en conflit avec nos intérêts et nos valeurs fondamentales.
Je mets mes collègues au défi de remettre en question le manque de concordance entre nos valeurs en tant que démocratie et celles du régime chinois. Je peux vous dire que je suis profondément troublé par ce qui semble être une tentative du sénateur Woo d’écarter ou de minimiser les actions du régime chinois, des actions qui incluent la détention arbitraire de deux de nos citoyens depuis maintenant plus de deux ans et des menaces contre la sécurité d’autres citoyens. De plus, ces personnes n’ont toujours pas été traduites devant un tribunal.
Qui plus est, en ce qui concerne notre intérêt national, j’ai hâte d’entendre l’opinion du sénateur Woo, car il doit s’exprimer clairement. En ce qui a trait à notre intérêt national et aux États-Unis, 75 % de nos échanges se font avec les États-Unis d’Amérique — soit dit en passant, une des grandes démocraties de ce monde. Notre sécurité et notre défense dépendent directement des États-Unis. Nos cultures, nos façons de penser et nos valeurs sont semblables. Nous sommes des alliés de longue date qui ont en commun des valeurs démocratiques fondées sur la liberté et la primauté du droit. Chose certaine, ni les États-Unis ni le Canada ne jettent des journalistes en prison parce qu’ils ne sont pas d’accord avec le gouvernement ou le critiquent. Les sociétés canadienne et américaine sont interreliées à presque tous les niveaux. Bref, nos deux pays se comprennent vraiment. L’idée qu’il y ait une solution qui permette de faire un équilibre entre les États-Unis et la Chine est complètement ridicule.
Je crains que ce que le sénateur Woo et, probablement, bien d’autres ne veulent pas accepter est le fait que, indépendamment de ce qui arrivera dans le dossier de Mme Meng, les choses ne peuvent pas revenir comme avant. Nous amorçons un tournant, les régimes totalitaires comme celui de la Chine vont commencer à devoir rendre des comptes.
En réalité, la politique de la République populaire de Chine évolue dans une direction fortement impérialiste et agressive. Plus vite nous le reconnaîtrons, plus vite nous ferons face à la réalité du régime chinois, plus vite nous pourrons formuler une approche plus réaliste qui défend nos intérêts et ceux de nos alliés démocratiques.
L’histoire montre qu’une approche incertaine et molle ne découragera pas le totalitarisme. Nous avons déjà essayé la conciliation...
Sénateur Housakos, je suis désolé de vous interrompre, mais votre temps est écoulé. Voulez-vous demander cinq minutes de plus?
Oui, j’aimerais obtenir cinq minutes de plus, mais je constate que même la démocratie du Sénat à ses limites.
Si un sénateur s’y oppose, qu’il veuille bien dire non.
Je suis désolé, sénateur.