La Loi sur le casier judiciaire
Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Débat
21 mai 2024
Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer nos collègues du Comité des affaires juridiques, qui ont travaillé avec diligence afin d’étudier le projet de loi S-212 sur l’expiration automatisée du casier judiciaire. Ils ont présenté leur rapport il y a presque sept mois. Je suis heureuse que le Sénat ait finalement adopté ce rapport et que nous en soyons maintenant à l’étape de la troisième lecture.
Chers collègues, il est maintenant temps d’aller de l’avant avec ce projet de loi.
Lorsque nous avons lancé le Groupe canado-africain du Sénat en décembre 2021, mes collègues et moi avons désigné le projet de loi S-212 comme une priorité liée à toute collaboration avec les membres de la communauté pour faire progresser les questions de justice, de santé et d’équité économique.
Au comité, les témoins — notamment l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, l’Association du Barreau canadien, l’Association des avocats noirs du Canada, Aboriginal Legal Services et même l’Association canadienne des chefs de police — ont tous souligné que les Noirs, les Autochtones et les personnes racialisées sont systématiquement surreprésentés dans le système de justice pénale et désavantagés systématiquement par le système actuel de suspension des casiers, qui est injuste et inaccessible.
Le projet de loi S-212 permet l’expiration des casiers judiciaires sans qu’il y ait de processus de demande, à condition que la personne dont le casier expire ne fasse l’objet d’aucune accusation ni condamnation subséquente avant une période pouvant aller de deux à cinq ans. Ce projet de loi aiderait les gens à surmonter les obstacles qui découlent de la vérification du casier judiciaire, qui les empêche d’accéder à des choses comme le logement, l’emploi, l’éducation, le bénévolat et d’autres nécessités pour s’intégrer en toute sécurité et avec succès dans leur collectivité.
Parallèlement, afin de répondre aux préoccupations soulevées par certains services de police, la sénatrice Pate a amendé le projet de loi au comité pour que la police puisse continuer à utiliser les informations contenues dans les casiers expirés dans le cadre d’un travail d’enquête légitime.
Les données transmises au comité et les témoignages que ce dernier a entendus montrent clairement que le projet de loi S-212 renforcera la sécurité publique. Il permettra aux gens de ne plus être piégés dans les mêmes situations de pauvreté, d’isolement et de marginalisation qui les ont menés sur la voie de la criminalité. Il constituera un petit pas vers la correction des échecs passés pour que justice soit rendue et vers l’équité pour les communautés autochtones, noires et de couleur. Il suscitera l’espoir et fournira des pistes pour l’avenir. Chers collègues, ce projet de loi devrait être une priorité urgente pour nous tous ici.
Grâce aux mesures du projet de loi C-5 visant à éradiquer le racisme systémique, le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre d’ici l’automne l’expiration automatique des casiers judiciaires pour possession de drogue. Il s’agit d’un premier pas important pour rendre justice à certaines personnes. Le projet de loi S-212 facilitera l’accès à ces mesures indispensables.
En demandant que nous agissions rapidement, je veux surtout mettre l’accent sur les conséquences des casiers judiciaires pour les enfants et leurs familles.
La majorité des femmes autochtones, noires et de couleur en prison sont des mères. La majorité de leurs enfants leur ont été retirés pour être pris en charge par l’État à la suite de leur incarcération, ce qui signifie que la séparation des enfants est une tragédie déchirante et cachée, ainsi qu’une punition supplémentaire non seulement pour les mères, mais aussi pour leurs enfants.
L’expiration du casier est essentielle pour les femmes qui ont un casier judiciaire et qui luttent pour retrouver leurs enfants ou pour empêcher qu’ils soient placés, pour celles qui cherchent un emploi afin de tenter de sortir leurs enfants et elles-mêmes de la pauvreté, ou pour celles qui ont besoin d’un logement sûr pour assurer la stabilité de leur famille.
Le projet de loi S-212 est une étape indispensable pour que la stigmatisation, l’injustice et la marginalisation associées aux casiers judiciaires ne durent pas toute la vie et ne se transmettent pas d’une génération à l’autre.
La sénatrice Pate a déjà raconté l’histoire d’un enfant qui a été exclu des sorties scolaires et des activités spéciales parce que personne ne pouvait lui apporter le soutien parental supplémentaire dont il avait besoin pour y participer. Sa mère aurait pu le faire — elle était présente et avait les capacités requises — mais, bien qu’elle ne présente aucun risque pour la sécurité publique, elle ne pouvait pas être bénévole dans une école parce qu’elle avait un casier judiciaire. Son enfant a souffert de cette situation, d’autres enfants aussi. Le système actuel exige que les personnes dans sa situation attendent dix ans avant que leur casier soit suspendu. Les enfants grandissent vite et leur jeunesse passe à toute vitesse; 10 ans, c’est long dans la vie d’un enfant.
Pendant sept mois, ce projet de loi a été en attente à l’étape du rapport. Sa première version a été présentée au Sénat il y a plus de cinq ans. Cette longue attente a nui à combien de parents qui s’efforcent de faire de leur mieux pour leurs enfants? Elle a privé combien d’enfants d’une meilleure vie?
Chers collègues, je vous exhorte à appuyer ce projet de loi.
Honorables sénateurs, j’aimerais proposer un amendement à la portion de l’article 5 du projet de loi S-212 qui traite du délai. Cet amendement vise à rétablir les délais tels qu’ils sont prévus à l’heure actuelle dans la Loi sur le casier judiciaire.
Plus précisément, nous proposons les changements suivants : premièrement, remplacer le délai de cinq ans pour les infractions punissables par mise en accusation par un délai de 10 ans; deuxièmement, remplacer le délai de deux ans pour les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire par un délai de cinq ans. Nous estimons que les délais actuellement proposés dans le projet de loi S-212 — cinq ans et deux ans, respectivement — sont trop courts. En effet, ces périodes sont insuffisantes pour permettre la réadaptation d’une personne reconnue coupable.
La réadaptation personnelle et la réinsertion sociale prennent du temps et sont essentielles pour donner aux personnes suffisamment de temps pour manifester un changement durable dans leur comportement et leur mode de vie. En prolongeant les délais à 10 ans et cinq ans, nous encourageons une réadaptation plus complète et donnons à ces personnes l’occasion de prouver qu’elles sont prêtes à être pleinement réinsérées dans la société.
Cela protège également la sécurité publique en veillant à ce que seules les personnes qui ont véritablement changé leur comportement puissent profiter de l’expiration de leur casier judiciaire. L’expiration du casier judiciaire concerne également l’annexe 1 de l’actuelle Loi sur le casier judiciaire, qui comprend des infractions graves. Ces infractions comprennent les contacts sexuels avec un mineur, la bestialité en présence d’un enfant de moins de 16 ans, l’incitation d’un enfant de moins de 16 ans à commettre un acte de bestialité, la corruption d’enfants, la pornographie juvénile et la traite de personnes âgées de moins de 18 ans. Ces deux derniers crimes, soit la pornographie juvénile et la traite de personnes de moins de 18 ans, sont ceux qui connaissent actuellement la plus forte augmentation au Canada.
N’oublions pas que, dans le contexte de ce projet de loi, nous ne parlons plus de suspension, où le contrevenant doit présenter une demande à la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Il s’agit maintenant d’une expiration automatique du casier judiciaire. Par conséquent, pour des crimes aussi graves que ceux que je viens d’énumérer, il ne semble pas prudent de permettre l’expiration d’un casier judiciaire après seulement cinq ans.
Comme l’a dit Dave Blackburn, ancien commissaire de la Commission des libérations conditionnelles du Canada, au comité lors de l’étude du projet de loi :
À mon humble point de vue, la suspension automatique des casiers judiciaires après deux ou cinq ans m’apparaît problématique et contribuera directement à affaiblir le filet de protection et à préconiser une approche universelle. Il vient contrecarrer deux notions essentielles dans le processus d’une réintégration sociale réussie et durable, c’est-à-dire l’autonomisation et la responsabilisation des personnes.
La réintégration sociale est un processus d’adaptation individuel, multidimensionnel et à long terme. Dans tous les cas, ce processus ne se termine pas à la fin d’une sentence et ne devient pas de facto pleinement réalisé deux ou cinq ans plus tard. La commission d’un acte criminel est le résultat d’une multitude de facteurs contributifs sur lesquels la personne doit cheminer et s’accomplir. Ce cheminement et cet accomplissement peuvent prendre du temps en fonction des personnes et sont directement influencés par le degré d’autonomisation et de responsabilisation.
En proposant l’expiration automatique du casier judiciaire, ce projet de loi élimine cette dernière étape d’autonomisation et de responsabilisation pour les personnes qui ont commis des actes criminels. Pire encore, le projet de loi transfère la responsabilité et le fardeau de la preuve de l’individu, qui devait auparavant faire la démonstration qu’il est un citoyen respectueux des lois, vers la Commission des libérations conditionnelles du Canada, qui en a déjà plein les bras avec les dossiers de libération sous condition. D’un point de vue mécanique et opérationnel, il est déjà prévisible que l’adoption de ce projet de loi mettra du sable dans l’engrenage.
J’ai entendu nos collègues qui sont en faveur du projet de loi parler longuement des droits des criminels, des droits des personnes qui ont violé le code de conduite de notre société. Cependant, il a été très peu question de la défense des victimes et de l’empathie que l’on devrait manifester envers elles — envers les enfants, envers leurs familles et envers ceux qui subissent des comportements odieux. Nous sommes tous des êtres humains empathiques qui veulent voir les gens s’amender et assumer la responsabilité de leurs actes, mais nous devons également faire preuve d’empathie pour ceux dont la vie a été détruite et qui dans certains cas — malgré la thérapie et malgré le soutien émotionnel — ne se relèveront jamais.
Certes, notre société est fondée sur des droits et des privilèges inhérents, mais il existe également des responsabilités inhérentes que chacun doit respecter. C’est pourquoi on nous enseigne dès le plus jeune âge — indépendamment de la race, de la couleur, de l’origine, du statut économique — qu’il faut travailler dur, respecter les règles et s’efforcer d’être un citoyen respectueux de la loi et de faire de bonnes choses dans la société, faute de quoi il doit y avoir des conséquences. Si ces conséquences peuvent être effacées en 24 mois, trois ans ou cinq ans, je suis d’avis que c’est insuffisant. Je ne pense pas qu’il y ait assez de preuves cliniques montrant que c’est même possible avec les personnes qui enfreignent les lois de la manière la plus horrible qui soit.
Nous vous exhortons à examiner sérieusement cet amendement visant à assurer une meilleure sécurité publique et une réadaptation plus efficace des personnes qui ont commis des infractions graves.