Énergie, environnement et ressources naturelles
Motion tendant à autoriser le comité à examiner les effets cumulatifs de l’extraction et du développement des ressources--Ajournement du débat
27 octobre 2020
Conformément au préavis donné le 30 septembre 2020, propose :
Que le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles soit autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, les effets cumulatifs de l’extraction et du développement des ressources, et ses effets sur les considérations environnementales, économiques et sociales, dès que le comité sera formé, le cas échéant;
Que le comité soumette son rapport final au plus tard le 31 décembre 2021.
— Honorables sénateurs, je prends de nouveau la parole aujourd’hui afin de parler de ma motion, qui constitue un ordre de renvoi au Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Comme le dit la motion, je souhaite que le comité examine les effets cumulatifs de l’extraction et du développement des ressources ainsi que leurs effets sur les considérations environnementales, économiques et sociales.
L’intérêt que je porte à l’étude en profondeur de cette question vient de l’examen précédent du comité, qui a porté sur le très controversé projet de loi C-69, connu sous le nom de Loi sur l’évaluation d’impact. Grâce à l’étude du projet de loi, qui a duré plusieurs mois au cours de la dernière législature, nous avons pu entendre, de façon très limitée, diverses parties intéressées et membres de la collectivité parler des effets de l’extraction et du développement des ressources. Il a été question des effets positifs et négatifs.
Cependant, puisque l’objet de l’étude du comité était le projet de loi C-69, la discussion est demeurée très technique et elle s’est limitée à la portée dudit projet de loi. Par conséquent, j’espère que le comité profitera du temps dont il dispose pour étudier la question plus large, soit les effets de l’extraction et du développement des ressources, et en faire rapport.
Chers collègues, à cause du projet de loi C-69, beaucoup de Canadiens au pays ont l’impression que la nation a atteint un point de rupture. C’est évident lorsqu’on entend parler du WEXIT et que l’on constate la division et le fossé évidents qui existent entre l’Ouest et le reste du Canada. Compte tenu de l’importance capitale de cet enjeu de société, il nous appartient, en tant que sénateurs, de jeter un regard neutre et sans contrainte sur cet énorme problème pour essayer de lui donner un sens.
Comme tous mes collègues, je sais qu’il est pratiquement impossible d’étudier une question aussi litigieuse en faisant totalement fi de ses préjugés ou de ses opinions préconçues. Or, je pense que ces points de vue sont une bonne chose, car ils découlent en grande partie de nos liens avec les régions que nous représentons et les gens que nous servons. Ces points de vue — ceux qui reflètent ce que pensent les Canadiens — sont nécessaires pour comprendre, au moyen d’un second examen objectif, ce problème complexe, qui continue de s’aggraver comme une plaie ouverte et qui nuit à l’unité de notre grand pays.
À mon avis, il est important que je fasse preuve d’une transparence, d’une ouverture et d’une honnêteté totales lorsque je m’exprime sur un sujet à l’étude au Sénat, que ce soit en comité ou dans cette enceinte. Je vais donc expliquer rapidement mon point de vue sur cette question.
En ce qui concerne ma région et les gens que je sers, cette étude nous permettra d’examiner de plus près les impacts de l’extraction et du développement des ressources sur les localités situées en milieu rural et dans le Nord. Naturellement, je m’intéresse avant tout aux collectivités autochtones et aux gens du Manitoba. J’ai travaillé pendant plusieurs décennies comme professionnelle de la santé dans les communautés rurales et éloignées du Manitoba, et j’avais toujours conscience des conséquences qu’avaient le développement et l’extraction des ressources sur ces régions et sur les gens qui y vivent. Une grande partie du travail que je fais depuis mon arrivée au Sénat touche aussi à cet enjeu, directement ou indirectement.
À titre de sénatrice, j’ai eu la chance d’aller dans plusieurs communautés qui sont confrontées aux répercussions du développement et de l’extraction des ressources. Les communautés que j’ai explorées et avec lesquelles je continue de travailler ne se trouvent pas seulement au Manitoba, mais dans tout le pays.
Sans entrer dans les détails, j’ai vu et entendu des communautés d’un bout à l’autre du pays qui sont aux prises avec des problèmes de santé graves causés par la dégradation de la terre, de l’eau et de l’air. Elles sont aussi confrontées à des problèmes de santé causés par les toxines qui sont libérées par le développement et l’extraction et se retrouvent inévitablement dans les écosystèmes. On trouve dans certaines communautés des taux élevés de cancers rares, dûment documentés, parce qu’elles sont situées à proximité de sables bitumineux, de mines d’uranium ou d’usines de pâte à papier. Il s’agit notamment de cancers du sang, de cancers du système lymphatique, de cancers des voies biliaires et de sarcomes des tissus mous. Par ailleurs, la nourriture peut se faire plus rare quand la flore et la faune locales meurent ou que les animaux quittent la région. La sécurité physique des gens peut aussi être menacée par l’arrivée de nombreux travailleurs de l’extérieur et l’établissement de camps de travailleurs.
Il y a une corrélation indéniable entre la présence de ces camps de travailleurs et l’augmentation de la violence, des agressions sexuelles, de la prostitution, de la traite des personnes à des fins sexuelles, de l’alcoolisme, de la toxicomanie et des attitudes purement racistes et sexistes qui se reflètent dans le comportement de certains travailleurs et même dans les politiques des entreprises.
Il y a ensuite des inquiétudes liées à la logistique. L’afflux de travailleurs dans un milieu exerce des pressions sur les infrastructures et les ressources locales, qui n’ont d’autre choix que de fonctionner au-delà de leurs capacités. Cette situation est exacerbée par la population fantôme, un sous-groupe de gens qui avaient quitté la région à la recherche d’un emploi, mais qui reviennent en bloc pour profiter de ces nouveaux débouchés. Ainsi, les services de santé et les services sociaux déjà déficients dans la plupart des communautés autochtones se détériorent encore plus pour atteindre de nouveaux niveaux d’inégalité.
Cela dit, à mon avis, ces inquiétudes sont en partie contrebalancées par les problèmes dont m’ont parlé les gens de l’Alberta, des problèmes que j’aimerais aborder. Les Albertains sont, avec raison, très préoccupés par le taux d’emploi en dents de scie et la présence de puits abandonnés de plus en plus nombreux, y compris les énormes coûts qu’ils devront assumer afin de récupérer et restaurer ces sites.
Honorables sénateurs, par l’entremise de cette étude, il me semble utile de chercher à mieux comprendre les obstacles politiques et techniques qui compliquent l’application de solutions axées sur la nature à un grand nombre de ces problèmes importants. La Société pour la nature et les parcs du Canada parle de ces obstacles à la page 6 de son rapport intitulé Des « solutions nature » pour le climat.
Parmi ces obstacles, il y a : l’absence de politiques qui reconnaissent et responsabilisent les principaux acteurs responsables des émissions écosystémiques de gaz à effet de serre; les difficultés qui se présentent aux décideurs lorsqu’ils envisagent des solutions nature pour le climat comme mesures d’atténuation; les lacunes dans les méthodes de comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre, qui sous-estiment le potentiel de ces solutions en matière de réduction de gaz à effet de serre.
J’espère sincèrement, chers collègues, que tous les groupes touchés pourront être traités sur un pied d’égalité dans le cadre de l’étude proposée. C’est pour cette raison que je compte sur votre apport pour concrétiser cet espoir grâce à cette étude en comité. Quant à moi, j’aimerais que les voix des peuples autochtones, des groupes environnementaux et de l’industrie aient le même poids.
Pour expliquer pourquoi j’insiste sur ce point, je vais attirer votre attention sur les statistiques relatives aux lobbyistes pour la mesure législative environnementale que j’ai mentionnée plus tôt, le projet de loi C-69. On rapporte que plus de 80 % des lobbyistes pour le projet de loi au Sénat représentaient l’industrie. En revanche, 13 % des lobbyistes représentaient des groupes environnementaux, et seulement 4 % représentaient les voix des Autochtones. Qui plus est, ce dernier groupe de lobbyistes venait d’une seule communauté très déterminée, à savoir la nation crie de Fox Lake.
La raison de cet écart dans la représentation est assez simple. Sur le plan des infrastructures et des fonds, l’industrie a une plus grande capacité de se mobiliser pour communiquer efficacement son message à Ottawa, et elle a parfaitement le droit de le faire. Cependant, de nombreuses communautés autochtones n’ont pas les capitaux requis pour venir ici facilement, mais elles devraient pouvoir être entendues de façon équitable.
Chers collègues, c’est dans cet esprit que j’espère que l’équilibre, la neutralité et le respect mutuel régneront au cours de l’examen de cet ordre de renvoi. Comme je l’ai indiqué, j’ai des préoccupations et des opinions sur la question. J’imagine que c’est aussi le cas de chacun d’entre vous. J’aimerais faire remarquer que j’accueille et respecte vos préoccupations et vos points de vue, qu’ils fassent écho aux miens ou qu’ils illustrent le revers de la médaille. J’espère que cet équilibre, tant dans l’avis des sénateurs que celui des témoins entendus par le comité dans le cadre de l’étude, nous permettra de brosser pour tous les Canadiens un tableau complet du climat actuel entourant cette question litigieuse.
De plus, j’espère que le rapport final tiendra pleinement compte de tous les points de vue. Cela permettra à tous les Canadiens de voir leurs opinions dans le rapport ainsi que les opinions divergentes qu’ils pourraient ne pas être enclins à reconnaître autrement. Après la publication d’un rapport final équilibré et de toutes les recommandations qui en découlent, mon dernier espoir serait de voir la politique publique évoluer de manière équilibrée, équitable et compréhensible. En outre, je pense que cette étude pourrait également contribuer à éclairer le prochain examen qui doit être fait du projet de loi C‑69.
Honorables sénateurs, le dernier point que j’aimerais aborder est la raison pour laquelle je présente cet ordre de renvoi maintenant, avant même que le comité soit reconstitué. Ma raison est purement pragmatique. Comme nous l’avons tous observé au cours de notre carrière sénatoriale, lorsqu’un comité se met à étudier les projets de loi du gouvernement, les choses ont tendance à se précipiter. Une journée, on nous renvoie un projet de loi du gouvernement, puis, quatre mois plus tard, le Parlement fait relâche, juste comme le comité fait enfin rapport du projet de loi. Ce tourbillon laisse souvent dans son sillage les squelettes de projets de loi d’initiative parlementaire et les ordres de renvoi qui avaient été mis de côté pour accorder la priorité aux projets de loi du gouvernement.
Chers collègues, notre Feuilleton est, pour le moment, relativement dégarni, ce qui est plutôt rare. De plus, lorsqu’ils seront reconstitués, nos comités feront table rase, comme il est prévu lorsque le Parlement est dissout. Plutôt que de perdre un temps précieux en annulant des réunions parce que rien ne figure à l’ordre du jour, je crois que nous devrions faire preuve d’opportunisme et préparer cet ordre de renvoi de sorte que le comité, s’il est formé de nouveau, puisse immédiatement s’atteler à la tâche. J’estime qu’une question ayant une telle importance pour notre pays à l’heure actuelle mérite que les nombreux esprits du Sénat l’étudient et en débattent.
Nous continuons de le constater, les problèmes liés aux ressources naturelles et aux territoires demeurent le principal point d’achoppement entre les groupes et les peuples autochtones et non autochtones et mènent à des confrontations et à un effritement des relations. Si nous, qui sommes ici pour représenter nos régions respectives et les gens qui y habitent, n’entreprenons pas une étude équilibrée et approfondie de cette question, qui le fera?
On dit que seul, on peut aller vite, mais que, ensemble, on peut aller loin. C’est sur cette pensée que j’invite tous les sénateurs à choisir d’aller loin dans notre second examen objectif et de le faire ensemble sur cette question d’intérêt national. Merci.