Le Sénat
Motion tendant à inviter le premier ministre à recommander à la gouverneure générale de révoquer le titre honorifique « honorable » de l’ancien sénateur Don Meredith--Débat
29 novembre 2022
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer la motion no 81. J’aimerais remercier la sénatrice Verner d’avoir eu le courage de dire la vérité sur les incidents de violence sexuelle qui ont eu lieu dans le milieu de travail du Sénat. Il ne s’agit pas d’une question de race. Il ne s’agit pas d’une question de religion. Il s’agit d’une question de violence contre les employés, et plus particulièrement contre les femmes, au Sénat.
Je voudrais rendre hommage aux survivantes qui ont persévéré pendant plus de 10 ans, et qui ont vécu d’importants traumatismes à cause des défaillances au sein de notre lieu de travail. Je tiens à m’excuser que vous ayez dû fonctionner en mode survie pendant si longtemps. Le fait que le traumatisme que vous avez subi ait eu lieu publiquement et dans un endroit comme le Sénat est inadmissible.
En tant que sénateurs, nous ne pouvons pas continuer à être complices en restant muets, et nous ne devrions pas non plus être confortés dans notre silence par des outils procéduraux comme le privilège parlementaire, car c’est exactement ce privilège qui a permis de dissimuler au public le premier rapport critique sur cette question, le rapport Quintet de 2016.
Je comprends que comme l’affaire judiciaire est en cours, nous ne pouvons pas aborder certaines de ces questions. Cependant, nous devons reconnaître que nous pouvons aborder d’autres questions, y compris celle qui nous est soumise par l’entremise de la motion no 81. Le déroulement de la procédure judiciaire est entièrement indépendant et séparé de ce qui se passe au Sénat. Cette capacité d’agir nous est accordée en tant qu’arbitres de nos propres affaires.
Honorables sénateurs, les tribunaux ne traitent pas de la question de la révocation du titre honorifique. Le Sénat ne s’immisce donc aucunement dans une affaire judiciaire en instance. Comme l’indique l’article du 6 octobre 2022 de la CBC, le Service de police d’Ottawa a porté trois chefs d’accusation pour agression sexuelle ainsi qu’un chef d’accusation pour harcèlement criminel contre Don Meredith. Comme nous pouvons le constater, il existe une différence inhérente entre ce que la cour examine et la motion à l’étude aujourd’hui.
Puisque, tout comme moi, une bonne partie des sénateurs présents aujourd’hui n’avaient pas encore été nommés au Sénat à l’époque où ont été commis ces actes scandaleux, j’aimerais passer en revue certains des comportements de Don Meredith. Le même article de la CBC daté du 6 octobre fait la lumière sur ces accusations. On peut y lire ceci :
Six anciens employés du Sénat ainsi qu’un agent du Service de protection parlementaire affirment également que Don Meredith a agi de façon inappropriée à leur endroit lorsqu’il était sénateur.
Les comportements allégués comprennent des baisers indésirés et l’exhibition de son pénis, de même que des cris et des comportements agressifs au bureau.
Honorables sénateurs, il est accepté depuis longtemps que le Sénat jouit du privilège d’être maître de sa propre Chambre. Ce privilège inhérent et reconnu comprend le « pouvoir disciplinaire sur ses membres ». Ces pouvoirs lui sont conférés par l’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 et l’article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada. Vous vous souviendrez que j’avais soulevé cela dans ma motion visant à expulser un sénateur.
Dans Parliamentary Privilege, the Canadian Constitution and the Courts, le Tribunal canadien des droits de la personne soutient que :
[...] il est inconcevable que le Parlement puisse chercher à priver ses employés des protections existantes en matière de relations de travail et de droits de la personne, auxquelles il a lui-même assujetti tous les autres employeurs fédéraux.
En ce qui a trait au privilège, un rapport provisoire du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement présenté en 2015 précisait que le Sénat et la Chambre des communes ont des droits collectifs pour ce qui est de sanctionner ou de prendre des mesures disciplinaires en cas d’atteinte au privilège ou d’outrage.
En outre, dans le rapport produit en 2015 par le Comité du Règlement et intitulé Une question de privilège : Document de travail sur le privilège parlementaire au Canada au XXIe siècle, le comité avait écrit ceci :
[...] c’est au Parlement, et non aux tribunaux, qu’il revient de déterminer si l’exercice de ce privilège est nécessaire ou approprié dans un cas particulier. En d’autres termes, à l’intérieur d’une catégorie de privilège, le Parlement est seul juge de l’opportunité et des modalités de son exercice, qui échappe à tout contrôle judiciaire.
Est-ce que l’exercice de ces droits est approprié dans le cas présent? Je dirais qu’il y a eu atteinte au privilège et à l’éthique lorsque Don Meredith a posé des gestes de violence en milieu de travail — il s’agit de faits qui ont été corroborés. Le Sénat doit agir en conséquence et retirer à Don Meredith le droit de porter le titre « honorable ». L’adoption de la motion à l’étude demanderait au premier ministre de lancer le plus tôt possible ce processus en conseillant à la gouverneure générale de prendre cette décision.
Ce qui est essentiel, c’est que le Sénat soit perçu comme une institution qui exerce un second examen objectif, qui défend ce qui est juste et qui appuie nos collègues dans leur lutte incessante en faveur de la justice en votant pour retirer à Don Meredith le droit de porter le titre d’« honorable ».
J’aimerais également citer l’article de la CBC à ce sujet :
L’octroi de titres tels que celui d’« honorable » est une prérogative royale qui revient à la gouverneure générale, qui agit généralement sur les conseils du premier ministre.
Plus loin, cet article cite l’ancien sénateur Serge Joyal, qui a déclaré :
Si nous décidons de retirer le titre d’un sénateur, nous ne pouvons pas le faire parce que nous sommes motivés par la fureur ou par la colère, parce que nous voulons prouver que nous avions raison ou, dans des cas extrêmes, parce que nous n’aimons pas une personne en particulier.
Chers collègues, nous suivons ce conseil et ne prenons pas cette décision par fureur. Nous la prenons plutôt pour manifester notre appui et notre solidarité à nos collègues qui ont été victimes de Don Meredith.
Employé pour désigner les sénateurs, le titre « honorable » évoque l’autorité et la distinction. C’est un terme qui désigne une personne digne d’être honorée et qui fait preuve de probité, de moralité, d’éthique et de principes. Il ne peut donc être employé dans un contexte où des actes de violence sexuelle et institutionnelle, une forme de violence familiale en milieu de travail, ont été commis.
N’avons-nous pas la responsabilité de faire du Canada et de notre institution même un endroit meilleur et plus sûr pour tous et pas seulement pour nous, les sénateurs privilégiés? N’avons-nous pas la responsabilité particulière de servir l’intérêt public en tant que sénateurs et de préserver la dignité, l’honneur et l’intégrité de notre fonction et du Parlement?
Nous jouons un rôle particulier en tant que législateurs nommés, et non élus. Nos privilèges sont accompagnés d’obligations, y compris celles liées au décorum et à l’éthique. En tant que sénateurs, nous devons nous abstenir d’agir d’une manière qui pourrait porter atteinte à la fonction de sénateur ou à l’institution du Sénat, notamment en ce qui concerne la violence et le harcèlement.
Je ne saurais trop insister sur l’importance de la perception et de la confiance du public. Nous avons vu à quel point les perceptions négatives sur la conduite d’un sénateur peuvent nuire à la confiance du public dans les sénateurs individuels. Tous les sénateurs sont mis dans le même panier.
Pour ma part, je suis indignée que mon travail soit examiné à la lumière du comportement méprisable de Don Meredith. En tant que sénateurs, nous comprenons l’importance de maintenir les plus hautes normes de dignité, tant en ce qui concerne l’intégrité de notre fonction qu’en ce qui concerne la confiance du public.
Honorables sénateurs, nous avons entendu la souffrance et les dommages qu’ont causés à nos collègues la conduite personnelle de Don Meredith pendant une longue période et son refus d’assumer la responsabilité de ses actes. La violence sexuelle n’a pas sa place au sein de l’institution parlementaire. Ce n’est qu’en reconnaissant que cela a duré trop longtemps et en offrant cette réparation attendue depuis longtemps que nous pourrons progresser vers la modernisation.
La suppression du titre « honorable » enverrait un message à notre institution, une institution où Don Meredith a occupé un poste de sénateur pendant trop longtemps à la lumière des gestes choquants qu’il a posés. Cette décision enverrait à tous les sénateurs le message que nous devons, dans le cadre de la modernisation, revoir le fonctionnement même du Sénat en tant qu’institution et qu’un comportement comme le sien est clairement inacceptable en 2022.
Chers collègues, cette motion représente un pas vers le rétablissement des liens, la responsabilisation, la vérité, la confiance et la transparence entre les sénateurs et leurs employés, entre les hommes et les femmes. C’est le moins que nous puissions offrir à nos collègues en reconnaissant les effets complexes des abus prolongés et répétés du prétendument honorable Don Meredith. Après 10 ans de tergiversations, cela doit être fait.
En adoptant cette motion, nous soutenons les survivantes et transformons toute cette histoire en un événement positif qui pourra servir de tremplin au changement dans notre comportement et notre décorum collectifs. Nous ne pouvons laisser les survivantes figées dans le temps, victimes de ce traumatisme non résolu. Ces incidents ont été rendus publics et ne devraient jamais sombrer dans l’oubli, au risque qu’ils se reproduisent. Si le titre demeure, nous ne pourrons aller de l’avant en tant qu’institution.
Meredith a fui comme un lâche avant qu’on ne puisse l’expulser. Faisons un peu tard ce qui est juste en lui retirant le titre « honorable » afin que ce titre ne continue pas à nous entacher tous.
Nous ne pouvons plus protéger les sénateurs aux dépens des membres de notre personnel, qui sont vulnérables simplement parce que l’on considère les sénateurs comme le summum de cette institution. Cette protection unilatérale est inéquitable et ne devrait plus exister aujourd’hui. Les membres du personnel ont besoin d’être protégés. Ils n’ont pas besoin qu’on leur dise, comme cela a été le cas dans le passé, que les employés vont et viennent, mais que les sénateurs restent. Une telle réflexion n’a pas sa place dans cette institution.
Chers collègues, le Sénat a laissé tomber nos employés, mais nos employés ne nous ont pas laissés tomber. Cela fait maintenant 10 ans et nous en parlons toujours. Le moment est venu d’agir.
J’aimerais proposer que cette motion soit soumise à un vote par appel nominal. Agissons honorablement et rendons justice à nos collègues. Merci, kinanâskomitin.
Je remercie la sénatrice Verner d’avoir présenté cette motion, de même que la sénatrice Miville‑Dechêne et les autres pour leur appui.