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Projet de loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées

Projet de loi modificatif--Troisième lecture

18 mai 2023


L’honorable Kim Pate [ + ]

Chers collègues, comme je l’ai mentionné hier, la consultation des personnes handicapées ne signifie pas que les protections qu’elles préconisent seront inscrites dans la loi. Au cours de son témoignage devant le Comité des affaires sociales, Margaret Eaton, cheffe de la direction nationale de l’Association canadienne pour la santé mentale, a clairement dit que, s’il est vrai que l’Association canadienne pour la santé mentale félicite le gouvernement d’avoir élaboré le projet de loi C-22 :

[...] nous avons aussi de réelles préoccupations à son sujet, car de nombreux aspects cruciaux de la prestation passeront par la réglementation et non par la loi. Les règlements peuvent dépendre de l’évolution des priorités politiques, et si cela ne passe pas par la loi, cela signifie que les gouvernements ultérieurs pourraient apporter des modifications unilatérales sans avoir à passer par le Parlement.

C’est précisément pour éviter que le fond du projet de loi ne soit déterminé par le processus réglementaire que l’Association canadienne pour la santé mentale a insisté sur le fait que les principales recommandations de la communauté des personnes handicapées doivent être « intégrées à la loi ».

Les pressions exercées pour qu’on adopte rapidement le projet de loi C-22 se sont butées à l’importance de veiller à ce que le projet de loi soit adapté à son objectif. Ce choix inconciliable illustre un besoin très réel et urgent de réduire les taux de pauvreté disproportionnés et honteux chez les personnes handicapées au Canada. Étant donné ce tiraillement, beaucoup des groupes qui nous exhortent à travailler rapidement reconnaissent également le besoin urgent de modifier le projet de loi C-22 et d’en concevoir les règlements. Trop de personnes handicapées se trouvent dans une situation désespérée.

Comme je l’ai dit au comité et aux défenseurs des droits des personnes handicapées, j’ai consacré ma vie à collaborer et à former des coalitions avec bon nombre de ces personnes et de ces groupes. Je suis donc consciente de la pression et des responsabilités qui pèsent sur eux. Lorsque j’étais à leur place, on me disait fréquemment : « C’est le mieux que nous puissions obtenir. Si vous demandez plus, vous n’obtiendrez probablement rien. Le temps nous manque. Nous devons nous faire réélire, puis nous pourrons en faire plus. »

Ma préférée était : « Faites-nous confiance. »

Aujourd’hui, toutefois, je n’occupe plus la position difficile de représentante de groupes non gouvernementaux n’offrant qu’une seule option. Ici, honorables sénateurs, nous partageons tous ensemble la responsabilité d’examiner la pertinence des mesures prévues dans le projet de loi C-22 et nous avons l’occasion de proposer une réponse plus complète. C’est dans cet esprit que j’appuie totalement les amendements adoptés au comité, et je suis vraiment heureuse de vous voir si nombreux à avoir manifesté votre soutien. Je nous exhorte donc à poursuivre la mise en œuvre de cette mesure législative et à continuer de réclamer toute autre amélioration nécessaire.

Linda Bartram, première vice-présidente, Alliance pour l’égalité des personnes aveugles du Canada, a déclaré ceci au Comité des affaires sociales. À son avis, ce projet de loi :

[...] exclut un segment complet de la communauté des personnes handicapées en ce sens qu’elle se limite aux personnes handicapées en âge de travailler, excluant donc vraisemblablement les personnes âgées.

L’alliance a souligné que le taux de chômage des personnes aveugles est de 75 %. Ils n’ont pas d’autre choix que de subsister avec la pension de la sécurité de la vieillesse et le supplément de revenu garanti, lorsqu’ils atteignent les 65 ans. L’étude d’impact a montré que ces personnes vivent bien en deçà du seuil de la pauvreté.

Par exemple, en Ontario, une personne seule qui est admissible au Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées reçoit au maximum 1 228 $ par mois. C’est bien en deçà du seuil de la pauvreté officiel. De plus, de 2002 à 2021, le soutien offert à une personne seule qui vit avec un handicap a été réduit, plongeant les personnes handicapées de 18 points de pourcentage de plus sous le seuil de la pauvreté.

Chers collègues, dans la plupart des provinces, la majorité des gens qui reçoivent l’aide sociale sont des personnes handicapées. Ce projet de loi, avec ses amendements, pourrait changer la donne et permettre de faire un grand pas vers l’élimination de la pauvreté au Canada.

La ministre Qualtrough a qualifié le projet de loi C-22 de mesure législative qui n’arrive qu’une fois par génération. Je suis entièrement d’accord avec elle. Si nous n’avons qu’une seule occasion tout au long de notre carrière d’adopter une telle mesure, nous devons bien faire les choses. C’est d’autant plus important compte tenu de notre rôle et de nos responsabilités en tant que sénateurs.

Lors des discussions à l’étape de l’étude en comité au Sénat et à l’autre endroit, on a reconnu l’importance de prévoir dans le projet de loi C-22 le principe fondamental du caractère suffisant de la Prestation canadienne pour les personnes handicapées afin qu’elle contribue réellement à aider toutes les personnes handicapées à vivre dans la dignité. Si le gouvernement planifie de tenir cette promesse, pourquoi ne pas prévoir le principe du caractère suffisant dès le départ? Quelle serait l’utilité de ne pas tenir compte de cette omission?

Ensemble, nous pouvons réaliser notre mandat, c’est-à-dire défendre les intérêts des Canadiens les plus démunis, les plus désavantagés sur le plan économique, ceux qui sont marginalisés et abandonnés depuis toujours à leur sort et nous attaquer aux problèmes auxquels ces personnes sont confrontées.

Selon les experts en contentieux dans le domaine des droits de la personne et de l’égalité, le libellé d’origine du projet de loi C-22 procurerait de l’aide aux personnes handicapées de la classe moyenne. Les provinces pourraient y voir une véritable aubaine pour renflouer leurs coffres — comme plusieurs d’entre elles l’ont fait avec les prestations liées à la pandémie — en récupérant l’aide financière qu’elles versent, tout en abandonnant à leur sort les plus démunis. Il faut prévoir des lignes directrices nationales quant au caractère suffisant des versements, faute de quoi les plus démunis continueront d’être négligés. Pire encore, ils sombreront encore plus profondément dans la pauvreté.

On voit qu’un nombre croissant de personnes ne disposant pas de ressources économiques, sociales et médicales suffisantes pour pouvoir vivre au sein de la société envisagent des options de fin de vie, qui leur semblent préférables au désespoir de vivre dans l’indigence, ce qui rend cette question encore plus urgente.

Les groupes de défense des personnes handicapées ont montré qu’ils sont non seulement prêts à contribuer à un réel travail de conception conjointe, mais aussi impatients de le faire dans le but d’élaborer la réglementation qui fera de la prestation canadienne pour les personnes handicapées une réalité.

Il est temps de nous assurer que le cadre proposé par le projet de loi C-22 est assez solide pour atteindre les objectifs ambitieux visés, et que les communautés de personnes handicapées n’auront pas à subir les conséquences des failles que pourrait contenir cette mesure.

Nos collègues ont fait un travail remarquable au comité. J’espère que l’autre endroit donnera bientôt son accord unanime, afin que les personnes qui ont le plus besoin de cette prestation aient enfin accès à un soutien qui leur permettra de vivre dans la dignité et de faire des choix. Nous avons la capacité et le devoir de faire le nécessaire. Le temps des belles intentions qui laissent délibérément de côté les besoins et les intérêts des personnes les plus marginalisées est révolu.

Il est temps de nous acquitter de notre tâche et de faire de la prestation canadienne pour les personnes handicapées une réalité.

Meegwetch, merci.

J’interviens brièvement en faveur de tous les amendements au projet de loi. On m’a demandé de vous transmettre un bref message de la part d’experts en droits des personnes handicapées et de certains des leaders communautaires qui ont témoigné devant le Comité des affaires sociales, de la science et de la technologie. Ils vous demandent d’appuyer le projet de loi C-22, tel qu’amendé, et, ce faisant, de veiller à ce qu’aucune compagnie d’assurance privée ne puisse récupérer la prestation d’invalidité du Canada auprès des personnes handicapées démunies.

Je me permets d’offrir un point de vue différent de celui du sénateur Cotter sur l’amendement en vous faisant part du fait que la Cour suprême du Canada a confirmé la validité d’une disposition de la Loi sur la non-discrimination génétique, qui interdit aux compagnies d’assurance privées, en tant que condition de leurs contrats, de prendre certaines mesures. L’amendement au projet de loi est une limitation comparable.

N’oubliez pas non plus que les compagnies d’assurance privées stipulent dans leurs contrats et leurs plans qu’elles peuvent déduire toute prestation gouvernementale, et que les règlements pris au titre de la loi ne peuvent rien y changer. Il faut inscrire dans la loi la protection des prestations d’invalidité du Canada pour qu’elles atteignent les bénéficiaires prévus. C’est l’élément clé de l’amendement apporté au projet de loi par la majorité des membres du Comité des affaires sociales.

J’aimerais offrir un autre exemple rassurant.

Adoptée il y a plus de 40 ans, la Loi sur l’indemnisation des marins marchands contient un article très semblable à celui que notre comité a ajouté au projet de loi C-22. Cette disposition de la Loi sur l’indemnisation des marins marchands protège les bénéficiaires de l’indemnisation contre les compensations ou les récupérations des assurances privées depuis des décennies, sans contestation judiciaire.

Il peut également être utile de partager avec vous cette interprétation claire de l’autorité fédérale par une sommité du droit constitutionnel canadien, le regretté professeur Peter Hogg :

[...] que le Parlement fédéral peut dépenser ou prêter ses fonds à n’importe quel gouvernement, institution ou particulier et à n’importe quelle fin, et qu’il peut assortir ses subventions ou ses prêts de n’importe quelles conditions, y compris des conditions qu’il ne pourrait pas imposer par voie législative.

Les experts des droits des personnes handicapées vous demandent d’adopter le projet de loi C-22 sous sa forme amendée et, ce faisant, de défendre le fait que le Cabinet dispose d’un délai raisonnable pour prendre les règlements nécessaires à l’octroi de la Prestation canadienne pour les personnes handicapées aux personnes handicapées les plus démunies.

Défendons le droit de faire appel qui figure désormais dans ce projet de loi et prenons note du fait que l’amendement garantit les possibilités d’appel à l’égard des deux aspects les plus cruciaux de la prise de décision : l’admissibilité et le montant.

Notons que la préoccupation du sénateur Cotter est résolue par le fait que cet amendement n’entrave en rien l’élaboration de règlements en consultation avec les défenseurs des droits des personnes handicapées, ce qui pourrait permettre d’élargir les catégories d’appel.

Veillez à ce que le Cabinet prenne en considération les coûts supplémentaires associés au fait de vivre avec un handicap ainsi que les besoins intersectionnels des groupes désavantagés au moment de fixer le montant de la prestation canadienne pour les personnes handicapées.

Honorables sénateurs, les sénateurs ont démontré qu’ils sont conscients de l’importance de la prestation canadienne pour les personnes handicapées, et ils ont fait un travail remarquable pour faire les choses de manière rigoureuse et efficace. Cette mesure a été promise par le gouvernement en 2020, mais ce projet de loi a été présenté à l’autre endroit près de deux ans plus tard, puis il n’a pas été débattu de nouveau pendant plus de trois mois. L’étude en comité a été menée en temps opportun et de façon ciblée. Le projet de loi a été adopté à l’étape de la troisième lecture le 2 février dernier.

En tout, le projet de loi C-22 est resté huit mois à l’autre endroit. Quant au Sénat, il a mené sa propre étude approfondie, a réservé plus de jours de débat à l’étape de la deuxième lecture et a consacré presque deux fois plus de temps à l’étude en comité en un peu plus de trois mois. De toute évidence, le Sénat a répondu à ceux qui nous ont demandé d’agir de toute urgence. Aujourd’hui, nous pouvons veiller à ce que ce projet de loi soit renvoyé à l’autre endroit et amendé pour qu’il soit meilleur et plus clair.

Honorables sénateurs, je vous prie de voter pour l’adoption du projet de loi C-22 et des amendements très efficaces et moins intrusifs que le Comité des affaires sociales a inclus dans son rapport en se fondant sur les données probantes substantielles qui ont été fournies par des spécialistes des droits des personnes handicapées.

En conclusion, je remercie la ministre Qualtrough de son dévouement et de son savoir-faire en tant que spécialiste des droits des personnes handicapées et parlementaire, le sénateur Cotter de son engagement en tant que parrain du projet de loi, la sénatrice Seidman de sa contribution éclairée en tant que porte-parole officielle pour le projet de loi, la présidente du Comité des affaires sociales, la sénatrice Ratna Omidvar, de sa capacité à orienter les travaux avec doigté, le personnel du Sénat et de la Bibliothèque du Parlement de leur soutien spécialisé et, bien sûr, les membres du comité. Cela dit, je remercie surtout les témoins et les personnes qui ont communiqué avec les sénateurs dans le cadre de l’étude de cette initiative législative cruciale. Nous avons maintenant l’honneur et la responsabilité de renvoyer un projet de loi amélioré à l’autre endroit, où tous les partis ont reconnu l’urgence d’adopter le projet de loi C-22.

Merci. Meegwetch.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi modifié, lu pour la troisième fois, est adopté.)

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