Projet de loi sur la diffusion continue en ligne
Rejet de la motion d'amendement
2 février 2023
Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :
Que le projet de loi C-11, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à nouveau :
a) à l’article 3 (dans sa version modifiée par décision du Sénat le 14 décembre 2022), à la page 8, par substitution, à la ligne 32, de ce qui suit :
« (i) permettre la découvrabilité des services de pro- »;
b) à l’article 10 (dans sa version modifiée par décision du Sénat le 14 décembre 2022), à la page 14, par substitution, aux lignes 27 à 31, de ce qui suit :
« programmation que peut sélectionner le public; ».
Honorables sénateurs, je vous remercie de votre attention.
Y a‑t‑il des questions?
Sénateur Housakos, il vous reste quatre minutes et plusieurs sénateurs veulent poser des questions. Nous surveillerons le temps.
Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre discours exhaustif. Je voulais vous rappeler que le projet de loi C-11 comprend déjà une exclusion concernant l’utilisation d’algorithmes. Quoi que le président, qui est maintenant l’ancien président, ait pu dire — et il a bel et bien, comme vous l’avez cité correctement, fait ces déclarations au comité —, vous savez que le paragraphe 9.1(8) stipule ce qui suit :
L’alinéa (1)e) [...]
— que vous proposez de modifier —
[...] n’autorise pas le Conseil à prendre une ordonnance qui exige l’utilisation d’un algorithme informatique ou d’un code source particulier.
Le projet de loi, dans sa forme actuelle, dit donc qu’aucune modification d’algorithme ne sera autorisée sous les ordres du CRTC.
Je pense que votre préoccupation concernant les algorithmes est un peu déplacée, car le CRTC ne peut pas se prononcer sur les algorithmes.
Merci d’avoir apporté de l’eau à mon moulin, sénatrice Dasko. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC, prend bel et bien des décisions liées à ces questions.
Tout d’abord, comme nous le savons, le projet de loi le dit clairement et le président du CRTC a reconnu ce langage dans le libellé. Il a aussi reconnu que le projet de loi lui donne le pouvoir d’exiger certains résultats, c’est-à-dire d’obliger les plateformes à en arriver à un certain résultat. Comme je l’ai souligné dans mon discours, on a constaté à plusieurs reprises que des fonctionnaires et des représentants du CRTC essayaient d’expliquer au comité comment on pouvait créer un résultat en particulier sans manipuler les algorithmes. Il n’y a qu’un seul moyen d’en arriver à un résultat. Si le résultat recherché par le CRTC est, par exemple, une liste de critères auxquels il veut que les plateformes donnent la priorité, à part la manipulation des algorithmes, que pourront faire les plateformes au juste pour arriver aux résultats qu’il exige? Vous avez peut-être une réponse.
Comme vous le savez, sénateur, il existe de nombreuses autres façons de promouvoir et de mettre en valeur le contenu canadien. C’est un sujet qui a souvent été abordé par notre comité. Les plateformes ont différentes façons de faire de la promotion, que ce soit au moyen de la publicité, de catégories de présentation, de fenêtres contextuelles — elles disposent de toutes sortes de méthodes pour mettre en valeur le contenu canadien.
Lorsque l’on tient compte de ces possibilités, en plus de ce que je viens de lire — et qui indique très clairement que l’on ne peut pas imposer la manipulation des algorithmes —, lorsque l’on réunit toutes ces possibilités, il est facile de se faire une idée de la façon dont les plateformes peuvent assurer la découvrabilité. Cela me semble très raisonnable et me semble répondre à vos préoccupations. Merci.
Cela ne répond pas à mes préoccupations ni à celles de tous les producteurs de contenu numérique qui ont comparu devant le comité. Vous avez participé avec diligence à ce processus.
Avec tout le respect que je vous dois, les fenêtres contextuelles et les bandes publicitaires n’alimentent pas le contenu. Ce point a été confirmé par les plateformes elles-mêmes lorsqu’elles se sont présentées devant le comité. Il a toujours été clairement établi qu’il n’y a qu’un seul moyen de générer des résultats, et c’est la manipulation algorithmique. Le rapport le dit clairement. Aucun témoin n’a remis cela en question — ni les plateformes ni les dirigeants du CRTC.
De plus, le problème ici, comme nous l’avons vu par le passé, c’est que le CRTC jouit d’une discrétion absolue dans l’ancienne Loi sur la radiodiffusion et c’est encore le cas avec ce texte. Le président du CRTC a admis qu’il avait les pleins pouvoirs pour appliquer la Loi sur la radiodiffusion. Nous en avons eu l’exemple l’an dernier, lorsque le CRTC a censuré une émission et un journaliste de Radio-Canada en raison de l’utilisation d’un mot jugé inapproprié par le CRTC. L’ancienne Loi sur la radiodiffusion lui donnait le pouvoir de censurer ce journaliste. Je n’entrerai pas dans les détails et je n’utiliserai pas le mot parce qu’il est inapproprié, mais cela illustre bien le pouvoir de censure du CRTC. Nous devons être très prudents. D’ailleurs, de quoi avons-nous peur?
Sénateur Housakos, votre temps de parole est écoulé. Il y a encore plusieurs sénateurs désireux de poser une question. Souhaitez-vous demander cinq minutes de plus?
Oui.
Est-ce d’accord?
Sénateur Housakos, acceptez-vous de répondre à une question?
Avec plaisir.
Votre amendement se décline en deux parties. Je veux d’abord vous parler de la deuxième partie. Ce que vous voulez supprimer, notamment, c’est le fait que des émissions de langue originale française doivent faire partie de ce que les plateformes et les radiodiffuseurs privilégient. Vous voulez faire sauter cette partie du texte de loi. Cela signifie, j’imagine, que vous jugez que les émissions de langue originale française ne sont pas suffisamment importantes pour avoir droit à une certaine protection. Comme vous le savez, et vous l’avez bien expliqué dans votre présentation, le français reste une langue minoritaire au Canada et en Amérique du Nord, même si elle est majoritaire au Québec.
En général, quand je vois que vous cherchez à affaiblir la portée de la découvrabilité — qui reste une notion à définir, j’en conviens —, je reviens à cette comparaison que vous faites toujours entre le secteur privé et le secteur public, comme si la culture était une marchandise comme les autres. Je suis absolument d’accord avec vous pour dire que les entreprises privées peuvent faire toutes sortes de choses extraordinaires dans la mise au point de produits et en fonction de ce que recherche le consommateur. Cependant, pour des raisons très évidentes, la culture n’a jamais été perçue comme une marchandise pour les autres. C’est pour cela, notamment, que les gouvernements sont chargés de s’assurer d’un certain bien commun.
Bref, laissez-vous tomber les émissions de langue originale française, car cela ne vous intéresse pas? Ensuite, croyez-vous vraiment que la culture soit une marchandise comme les autres?
Oui, je crois profondément que la culture est une marchandise comme les autres. Il est important de mettre de l’avant les meilleurs produits, les meilleurs artistes et les meilleures personnes dans ce domaine, qui auront pour effet d’attirer le plus d’intérêt, ce qui permettra de transformer le tout en une façon de faire de l’argent. Nous avons les mêmes objectifs. J’aimerais protéger la culture québécoise francophone. Je suis fier d’être Québécois et je suis très fier de l’importance de promouvoir la culture québécoise, mais nous avons une approche très différente.
Vous avez une obsession de protectionnisme en essayant de limiter la promotion de la culture française dans un marché restreint qui compte seulement quelques millions de francophones au Québec et au Canada. J’aimerais tirer profit de la plateforme que nous avons devant nous et je me bats pour tous les Québécois et Québécoises qui m’appellent tous les jours, qui m’envoient des courriels et qui me donnent le courage de continuer mon combat ici, en leur nom, parce que depuis quelques années, grâce à cette plateforme, ils ont la chance d’exporter leur culture française à des centaines de millions de francophones partout dans le monde.
Vous semblez maintenant convaincue que le protectionnisme, qu’une approche de fermeture qui limite les occasions pour ces gens et les oblige à travailler dans un plus petit marché représente une meilleure option pour eux que de mettre le monde francophone en entier à leur disposition. Je me bats pour ces gens. Je ne comprends pas que vous ne soyez pas aussi enthousiaste que moi à l’idée de garder et de protéger la richesse qui s’est développée depuis 15 ou 20 ans grâce à différentes plateformes internationales.
Sénateur Housakos, acceptez-vous de répondre à une question de ma part? Votre discours m’a permis de comprendre ce qui vous préoccupe. J’avais moi-même des doutes à ce sujet. Je crois que vous avez vraiment clarifié les choses dans mon esprit.
D’un côté, je pense que vous considérez que les algorithmes sont blancs comme neige et qu’un organe gouvernemental nommé par un gouvernement élu est le diable incarné. J’ai une vision légèrement différente des algorithmes. Nous avons entendu parler de la haine, de la misogynie et de l’antisémitisme féroces qui ont été promus et qui ont joui d’un degré élevé d’attention grâce à ces algorithmes. La controverse est le moteur des algorithmes.
Sénateur Housakos, votre temps de parole est écoulé. Souhaitez-vous demander cinq minutes de plus?
Si la Chambre me le permet.
Est-ce d’accord, honorables sénateurs?
Ma question est la suivante : ne pensez-vous pas que le projet de loi permettra d’augmenter le montant d’argent consacré à la production de contenu canadien, que ce soit sur Internet ou dans d’autres médias, et que cela vaudra mieux qu’un système non contrôlé qui ne fait qu’accroître la capacité de propager la haine, la misogynie, la division et tout le reste?
Je vous remercie de la question, sénateur. En fait, j’y vois deux questions.
À l’heure actuelle, le processus algorithmique employé par ces plateformes est géré de façon naturelle. Il est contrôlé par n’importe qui, par des gens comme vous et moi. Si on possède un téléphone ou un iPad et qu’on se trouve sur ces plateformes, on détermine ce qui sera prioritaire.
Ces plateformes offrent une grande quantité de choix. Elles donnent aux consommateurs ce qu’ils veulent. C’est pour cela que je me bats. J’essaie tout simplement de dire que ce n’est pas à vous ou à moi de déterminer ce qui devrait être ou non censuré.
J’ai confiance en la population canadienne. Je ne crois pas que la majorité des Canadiens soient misogynes, racistes ou islamophobes. Je crois qu’ils feront les bons choix au bout du compte.
Quand nous voyons des choses déplorables sur le Web, nous tous, en tant que Canadiens, les dénonçons. Si nous désirons vraiment promouvoir quelque chose, c’est ce que nous ferons sans entrave ou intervention de la part de ministres ou de politiciens, qu’ils soient conservateurs, libéraux ou communistes, tant qu’à faire.
Pour répondre à votre deuxième question, lors de la dernière décennie — et je l’ai mentionné brièvement dans mon intervention, tout comme l’a fait le sénateur Plett —, 5 milliards de dollars ont été investis dans le secteur des arts et de la culture en 2021. Je sais que vous avez de nombreuses années d’expérience au CRTC dans ce secteur. Vous pouvez donc me dire en quelle année le gouvernement canadien a pu injecter une telle somme dans le secteur canadien des arts et de la culture.
Nous continuons d’investir 1,4 milliard de dollars dans CBC/Radio-Canada, même si personne ne regarde ses émissions, et Dieu sait que nous n’avons pas été consultés à ce sujet. Les cotes d’écoute ne cessent de chuter. Tout le monde se tourne vers la diffusion en continu et toutes ces plateformes qu’on s’efforce de diaboliser, alors qu’elles ont permis d’investir plus que jamais auparavant dans les arts et la culture au Canada.
Comme je l’ai dit dans mon discours, et comme nous l’avons entendu dans les témoignages, il y a actuellement non pas une pénurie, mais une abondance de contenus d’artistes canadiens qui créent plus de films, de documentaires, de chansons, de spectacles et d’autres contenus artistiques que jamais auparavant. Laissons libre cours à la culture canadienne. Le Canada se distingue nettement, partout dans le monde. Donnons au Canada la possibilité de rayonner encore plus dans le monde entier au lieu de limiter son rayonnement en fermant ses frontières.
La sénatrice Simons a la parole.
Je serai brève, car je ne veux pas retarder votre repas.
Le sénateur Housakos soulève un point totalement valable. Je suis d’accord avec lui; le projet de loi laisse place à beaucoup trop de latitude pour la manipulation des algorithmes et l’édition du contenu visible pour les Canadiens. Cependant, ce que je n’aime pas de cet amendement, c’est qu’il ne prévoit rien pour corriger ce problème.
Dans le premier article que le sénateur Housakos propose d’amender, on veut changer le mot « assurer » par « permettre » pour que l’article se lise comme suit : « permettre la découvrabilité des services de programmation canadienne [...] notamment les émissions de langue originale française, dans une proportion équitable ». Je ne vois pas en quoi cela règle un quelconque aspect que ce soit du problème des algorithmes.
La deuxième question porte sur l’article à la page 14, à propos de la présentation de la programmation. L’amendement proposé par le sénateur Housakos vise simplement à couper la phrase au milieu, de manière à ce qu’elle se lise comme suit : « la présentation des émissions et des services de programmation que peut sélectionner le public [...] » Cela donne un segment de phrase qui n’a aucun sens et qui ne fait strictement rien pour apaiser mon inquiétude concernant le truquage des algorithmes.
Bien que je partage entièrement les préoccupations du sénateur — elles sont véritablement fondées et pas du tout démesurées —, je considère que son amendement ne contribue pas du tout à y remédier. Par conséquent, j’ai le regret de vous annoncer que je n’appuie pas cet amendement.
Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
À mon avis, les non l’emportent.
Je vois deux sénateurs se lever. Y a‑t‑il entente au sujet de la sonnerie?
Le vote aura lieu à 18 h 54. Convoquez les sénateurs.
La motion d’amendement de l’honorable sénateur Housakos, mise aux voix, est rejetée :
POUR
Les honorables sénateurs
CONTRE
Les honorables sénateurs
ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs
Honorables sénateurs, vous plaît-il de faire abstraction de l’heure?