La Loi sur l'assurance-emploi—Le Règlement sur l’assurance-emploi
Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Ajournement du débat
5 octobre 2022
Propose que le projet de loi S-236, Loi modifiant la Loi sur l’assurance-emploi et le Règlement sur l’assurance-emploi (Île-du-Prince-Édouard), tel que modifié, soit lu pour la troisième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui sur le territoire traditionnel de la nation algonquine anishinabe pour vous parler à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-236, Loi modifiant la Loi sur l’assurance-emploi et le Règlement sur l’assurance-emploi (Île-du-Prince-Édouard).
Ce projet de loi a été présenté par notre ancienne collègue, la sénatrice Diane Griffin, de l’Île-du-Prince-Édouard. J’ai proposé de prendre la relève comme marraine de ce projet de loi au Sénat après son départ à la retraite. Je tiens à remercier la sénatrice Griffin de m’avoir confié cette lourde responsabilité, ainsi que la sénatrice Poirier pour son travail en tant que porte-parole de ce projet de loi. Je tiens également à remercier tout particulièrement les membres du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts et son président, le sénateur Black, pour leur étude rapide du projet de loi, qui a donné lieu à un amendement.
Comme nous l’avons entendu durant le débat en deuxième lecture, l’Île-du-Prince-Édouard possède deux régions de l’assurance-emploi, ou AE, ce qui provoque un déséquilibre et des injustices pour les habitants de cette île.
Pour la période actuelle, soit du 25 septembre au 8 octobre, le taux de chômage dans la région de Charlottetown, qui englobe les villes de Cornwall et de Stratford, s’établit à 4,4 %. Cependant, le taux de chômage est plus du double, soit 9,1 %, pour le reste de la province, à l’exclusion de la région de Charlottetown.
Honorables sénateurs, le système qui comporte deux régions d’assurance-emploi entraîne les différences suivantes quant au nombre d’heures nécessaires pour être admissible et à la durée des prestations : à Charlottetown, une personne doit avoir travaillé 700 heures pour obtenir jusqu’à 36 semaines de prestations, alors qu’à l’extérieur de Charlottetown, une personne doit avoir travaillé 560 heures pour obtenir un maximum de 44 semaines de prestations. Je rappelle que le calcul est basé sur le lieu de résidence du demandeur, et non sur son lieu de travail.
Ainsi, deux employés d’un même lieu de travail saisonnier obtiendront des prestations très différentes en fonction de leur lieu de résidence. En pratique, les résidents de Charlottetown travaillent souvent à l’extérieur de la région où ils habitent. L’inverse s’avère également : des personnes peuvent travailler dans une certaine région économique et vivre dans une autre.
De plus, étant donné la façon dont la région de Charlottetown est délimitée, une personne vivant dans cette zone peut devoir parcourir un trajet plus long — parfois jusqu’à trois fois plus long — pour se rendre à un lieu de travail au centre-ville qu’une autre personne vivant dans la région de l’Île-du-Prince-Édouard.
Voilà la situation qui m’a amenée à me charger de ce projet de loi. Le versement des prestations d’assurance-emploi à l’Île-du-Prince-Édouard constitue une situation tout à fait injuste.
Honorables sénateurs, de telles divisions existent ailleurs au Canada, notamment au Yukon. Ce qui ressort en comparaison, c’est la taille de l’Île-du-Prince-Édouard du point de vue de sa superficie. Cette petite taille rend la délimitation actuelle complètement inéquitable.
Au Yukon, la capitale, Whitehorse, constitue une région tandis que le reste du territoire en constitue une seconde. C’est logique, car la majorité de la population est concentrée à Whitehorse. C’est là où se situent le siège du gouvernement territorial, les bureaux de l’administration municipale et ceux du Conseil des Premières Nations. C’est également là où se trouvent les bureaux de l’Assemblée législative du Yukon, de la Première Nation des Kwanlin Dün ainsi que du conseil des Ta’an Kwäch’än.
En plus d’être le siège de ces administrations, la ville de Whitehorse possède un aéroport international achalandé ainsi que le plus gros hôpital du Yukon, et elle est le lieu d’approvisionnement au détail pour tout le Yukon, le Sud-Est de l’Alaska et les localités les plus nordiques d’Inuvik et de Tuktoyaktuk dans les Territoires du Nord-Ouest.
Cette séparation des régions économiques est compréhensible au Yukon. Les possibilités d’emploi à Whitehorse sont très différentes de celles qui s’offrent à Carcross, ou encore à Teslin ou à Haines Junction, qui se trouvent respectivement à 170 kilomètres et à plus de 150 kilomètres de la capitale. Or, très peu d’endroits à l’Île‑du‑Prince-Édouard se trouvent à 100 kilomètres de Charlottetown.
Honorables sénateurs, lors de son témoignage au Comité de l’agriculture et des forêts, l’ancien député Wayne Easter, aujourd’hui agriculteur, a tiré parti de ses vastes connaissances sur la région pour décrire la région, ou zone, de Charlottetown. En lisant son témoignage, la plupart des gens qui ne connaissent pas bien la province pourraient trouver illogique que sa description se fonde sur des noms de rues et de régions locales. Or, si les honorables sénateurs consultent une carte, ils verront que les conclusions de M. Easter sont très éclairantes. Par exemple, il a dit ceci :
[...] la zone de Charlottetown n’est pas du tout la zone de Charlottetown [...]
Regardez la carte et demandez-vous qui diable a pu imaginer cette ligne et cette zone, et pourquoi?
Wayne Easter a décrit certains problèmes auxquels il a dû faire face en tant que député de Malpeque. Certaines parties de sa circonscription se trouvaient dans l’une ou l’autre des deux régions. Il a dit ceci :
C’est une petite province, et le tourisme saisonnier est la deuxième industrie en importance.
C’est du secteur de Riverdale Road que je recevais le plus grand nombre de plaintes. Riverdale Road est la ligne de démarcation entre les zones 1 et 2, qui part de la partie sud de la circonscription. Les voisins des deux côtés du chemin travaillent chez New Glasgow Lobster Suppers, mais à la fin de la saison, le travailleur de la zone 2 avait droit à l’assurance-emploi. Son voisin d’en face dans la zone 1 n’y avait pas droit. Certains ont dû se trouver un autre emploi pour accumuler les heures donnant droit à l’assurance-emploi.
C’était la même chose pour d’autres qui vivaient en ville et qui allaient travailler dans les entreprises touristiques. La situation a nui non seulement aux travailleurs, mais aussi aux exploitants d’entreprises touristiques, qui avaient du mal à attirer la main-d’œuvre nécessaire. En fin de compte, c’est injuste et inéquitable, et cela n’a pas de sens.
Fait intéressant, Pierre Laliberté, commissaire des travailleurs et travailleuses de la Commission de l’assurance-emploi du Canada, a souligné que la décision de créer deux zones d’assurance-emploi en 2014 n’avait pas été fondée sur l’examen mené par la commission. Comme l’a indiqué M. Laliberté au Comité de l’agriculture et des forêts :
Si nous avions suivi le processus habituel [...] ce n’est probablement pas ainsi que les choses se seraient passées.
Honorables sénateurs, le Comité de l’agriculture et des forêts a aussi entendu des représentants syndicaux et des représentants des chambres de commerce. Ils sont en faveur de ce projet de loi, car ils croient qu’il permettrait de corriger les injustices et les divisions que cette décision a créées au sein de la relativement petite population de l’Île-du-Prince-Édouard. Le système actuel crée aussi des pénuries de main-d’œuvre. Plusieurs témoins ont mentionné que les employeurs demandent aux candidats à des entrevues d’emploi où ils vivent. C’est un facteur qui influe sur les décisions d’embauche. On pourrait se demander s’il est vraiment avantageux de dire la vérité sur l’endroit où on habite.
Honorables sénateurs, il est clair que les deux régions de l’assurance-emploi à l’Île-du-Prince-Édouard provoquent des divisions réelles et profondes entre voisins et collectivités. Elles dressent les collectivités et les voisins les uns contre les autres. En ce moment, nous devons éviter les divisions dans tous les coins de notre grand pays.
Comme les sénateurs le savent, le projet de loi a été renvoyé par le comité avec un amendement, et j’aimerais expliquer brièvement l’objectif de cet amendement. Le sénateur Black, président du comité, a demandé au représentant du gouvernement s’il y aurait des difficultés à mettre en œuvre les mesures prévues dans le projet de loi si la mesure législative recevait la sanction royale. Pendant l’étude article par article, le sénateur Colin Deacon a souligné l’absence de réponse claire de la part du représentant. Il a réfléchi à ce qui pourrait empêcher ou décourager le gouvernement de mettre en œuvre cette mesure, d’autant plus que le gouvernement avait été réticent à faire quoi que ce soit à ce sujet jusqu’à présent.
Il a donc proposé, avec son élégance et son éloquence habituelles, un amendement qui retarderait la disposition d’entrée en vigueur du projet de loi. Au lieu de laisser le projet de loi entrer en vigueur le jour où il recevra la sanction royale, cet amendement donne à la fonction publique le temps d’apporter les modifications nécessaires à ses systèmes. Si la loi est adoptée par le Parlement, elle entrera désormais en vigueur le premier dimanche à survenir au moins 30 jours après la date de la sanction royale. Je remercie le sénateur Colin Deacon de cet amendement très judicieux, que j’appuie de tout cœur.
Honorables sénateurs, dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, j’ai mentionné que des comités des deux Chambres du Parlement ont recommandé de ramener l’Île-du-Prince-Édouard à une seule région d’assurance-emploi. Tous les témoins qui ont comparu devant le Comité de l’agriculture et des forêts appuyaient fermement le projet de loi, à l’exception de deux, quoiqu’ils ne s’y opposaient pas non plus. Je crois qu’il est temps que le Sénat fasse son travail et adopte ce projet de loi pour que la Chambre des communes puisse l’étudier.
Honorables sénateurs, permettez-moi de conclure en citant notre ancienne collègue de l’Île-du-Prince-Édouard la sénatrice Diane Griffin qui a présenté ce projet de loi au Sénat et qui a toujours défendu loyalement l’intérêt de sa province. Lorsqu’elle est venue témoigner devant le comité, elle a dit :
Bien qu’elle soit la plus petite province, l’Île-du-Prince-Édouard demeure un partenaire égal au sein de la Confédération. Le Sénat doit intervenir dans ce dossier, dans le but de renvoyer le projet de loi à la Chambre des communes. C’est une façon pour le Sénat de jouer un des rôles que lui reconnaît la Constitution, celui de donner une voix aux intérêts régionaux, surtout dans les régions de faible population.
Honorables sénateurs, je m’associe à ses paroles et vous exhorte à appuyer ce projet de loi à l’étape de la troisième lecture. Mähsi’cho, Gùnáłchîsh, merci.
La sénatrice Duncan accepterait-elle de répondre à quelques questions?
Oui, je veux bien essayer.
Le directeur parlementaire du budget a fait une étude sur le coût du projet de loi et il a établi que le programme fédéral réaliserait des économies de 76,6 millions de dollars. Ainsi, la somme versée aux chômeurs de l’Île-du-Prince-Édouard serait réduite de 76,6 millions de dollars sur cinq ans. C’est une donnée qui m’inquiète. Votre comité a-t-il reçu ou étudié le rapport du directeur parlementaire du budget?
Je vais tenter de répondre à la question, mais je dois dire que je ne suis pas la présidente du comité. Le Comité de l’agriculture et des forêts, qui est présidé par le sénateur Black, a étudié le projet de loi et l’amendement. Au sujet du rapport du directeur parlementaire du budget, je suis au courant et je sais qu’il a relevé cet écart. Pour les Prince-Édouardiens, la question a toujours porté sur l’équité, et le fait que les prestations soient différentes d’une région à l’autre est absolument préoccupant. Cependant, je souligne encore une fois l’appui envers l’idée de passer à une seule région.
Je comprends la logique de faire de l’Île-du-Prince-Édouard une seule région. C’est tout à fait logique. Toutefois, si l’étude sur le projet de loi n’a pas tenu compte du rapport du directeur parlementaire du budget et du fait que, sur une période de cinq ans, l’adoption de cette mesure législative réduirait la somme versée aux chômeurs de l’Île-du-Prince-Édouard de 76,6 millions de dollars, c’est contre-intuitif. Cette réduction est préoccupante. J’en suis convaincue. Si ce n’est pas déjà fait, cette question devrait être étudiée avant que nous passions à l’étape de la troisième lecture.
Par ailleurs, pour compenser la perte de revenus pour les chômeurs de l’Île-du-Prince-Édouard, le projet de loi devrait inclure des dispositions indiquant que le programme d’assurance-emploi pour cette région utilise le plus petit dénominateur en ce qui concerne l’accès aux prestations.
Sénatrice Duncan, j’espère que vous comprenez la portée de la question et ma préoccupation. En tant que Canadienne de l’Atlantique, je peux comprendre les citoyens qui bénéficient de l’assurance-emploi et à quel point cette situation est difficile. Je ne voudrais évidemment pas que cette institution adopte un projet de loi qui supprimerait une partie du revenu des citoyens de l’Île‑du‑Prince-Édouard au chômage.
Si vous pouvez me dire que cela a été corrigé, alors je dirai très bien. Mais si ce n’est pas le cas, je pense que nous devons procéder à un nouvel examen. Merci.
Merci de votre question. Je crois que je suis revenue à une ancienne habitude, on pourrait dire, de ne pas répondre à la question pendant la période des questions.
Le rapport du directeur parlementaire du budget auquel vous faites référence n’était pas disponible au moment de l’étude. L’autre point que vous soulevez est la crainte que parce que des Prince‑Édouardiens perçoivent en ce moment moins de prestations, il y ait moins de prestations versées du fait du passage à une seule région. Je crois comprendre qu’il serait possible, s’il n’y avait qu’une seule région, de recevoir les prestations de la région la plus élevée. N’est‑ce pas une possibilité? C’est justement la question que j’ai soulevée et je crois que ce serait le meilleur résultat.
Je suis désolée. Je comprends que je posais une question et que je demandais une réponse, mais, à ce que j’en sais, il n’y a rien dans le projet de loi qui dit que ce sera le plus petit dénominateur qui prévaudra dans la nouvelle région qui couvrira toute l’île. Malgré tout, j’espère que, en tant que marraine du projet de loi, vous pourrez obtenir des précisions au sujet de la question que j’ai posée. Merci de bien vouloir vous informer.
Je ne suis pas certain qu’il y avait une question dans l’intervention de la sénatrice, mais si vous le voulez, vous pouvez répondre, sénatrice Duncan.
Si cela vous convient, je pourrais vous donner une réponse plus détaillée par écrit, mais il n’y a rien qui empêche l’autre endroit d’étudier ces questions en particulier et d’y répondre. Ce qu’il faut, c’est renvoyer le projet de loi à l’autre endroit afin qu’il puisse y répondre.