La justice
La Loi sur l'abrogation des lois--Adoption de la motion tendant à faire opposition à l'abrogation de la loi et de dispositions d'autres lois
7 décembre 2022
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour parler de la motion no 72 du gouvernement, qui propose de reporter l’abrogation de certaines lois au titre de la Loi sur l’abrogation des lois.
Comme nous le savons, il s’agit d’un exercice annuel, et je tiens à dire quelques mots, surtout en ce qui concerne les articles se rapportant au Yukon. Les sénateurs doivent savoir que j’appuie l’adoption immédiate de la motion et que mes remarques seront brèves.
Honorables sénateurs, je suis vraiment reconnaissante envers la coordinatrice législative du représentant du gouvernement d’avoir distribué un document comprenant les recommandations et les explications des ministres responsables quant aux raisons pour lesquelles les diverses dispositions devraient être maintenues dans les Lois du Canada, même si elles ne sont pas encore en vigueur.
Honorables sénateurs, hier, j’ai interrogé le représentant du gouvernement sur la modernisation de l’assurance-emploi au Canada. Je constate que trois dispositions de la Loi sur la modernisation de certains régimes d’avantages et d’obligations sont incluses dans la motion qui nous occupe. Elles le sont depuis 2011. L’article porte sur l’élargissement des catégories de parents admissibles à des prestations parentales dans le cadre du régime d’assurance-emploi dans les situations où la filiation juridique pourrait être refusée en vertu du droit provincial ou territorial.
Soit dit en passant, une autre situation où des changements s’imposent est celle des travailleurs autonomes qui doivent cotiser à l’assurance-emploi. Cela concerne les chauffeurs de taxi ainsi que les coiffeurs et les barbiers qui louent une chaise dans un salon. J’ai entendu parler, comme d’autres d’ailleurs, des obstacles auxquels se heurtent ces travailleurs autonomes lorsqu’ils tentent de réclamer des prestations d’assurance-emploi telles que des prestations parentales. Il faut moderniser le régime d’assurance-emploi, notamment en le simplifiant et en établissant des lignes directrices claires. C’est un problème parmi tant d’autres qui montre l’urgence de réformer complètement le régime. Honorables sénateurs, les Canadiens sont anxieux et attendent avec impatience les résultats des efforts déployés par le gouvernement pour moderniser le régime. C’est un dossier très important.
Honorables sénateurs, passons de mesures nationales à des mesures concernant précisément le Yukon. Il y a plusieurs articles de diverses lois dont l’abrogation doit être reportée. Certaines dispositions de la Loi sur le Yukon sont des modifications connexes à d’autres lois qui entreront en vigueur lorsque la Loi sur l’Office des droits de surface du Yukon sera abrogée et que l’assemblée législative du territoire édictera sa propre loi pour la remplacer.
J’aimerais expliquer le contexte de cet élément précis de la motion à l’étude. J’aimerais expliquer pourquoi il n’est toujours pas entré en vigueur.
En 1998, le Canada, le Yukon, le grand chef du Conseil des Premières Nations du Yukon, au nom de 11 des 14 Premières Nations du Yukon, et des représentants des trois Premières Nations du Yukon qui n’avaient pas signé d’accord sur les revendications territoriales signaient le Protocole d’entente sur le transfert d’attributions au Yukon. Cet accord établissait un cadre pour les négociations sur le transfert et pour la négociation simultanée de règlements territoriaux. Le 29 octobre 2001, ce processus conduisait à la signature par le Canada et le Yukon de l’Accord de transfert au Yukon d’attributions relevant du Programme des affaires du Nord. J’ai moi-même signé ce document.
Je dois expliquer aux sénateurs qui ne connaissent pas le processus de transfert d’attributions à quel point ce dernier est important pour les trois territoires. C’est un peu comme leur Constitution. C’est ce qui leur a conféré des pouvoirs comparables à ceux des provinces en ce qui concerne le territoire et les ressources. Je dois, une fois de plus, mettre l’accent sur l’accord de consultation et mentionner que ce document a été produit en consultation avec les Premières Nations du Yukon et avec leur appui entier.
Comme je l’ai dit, le cadre a été établi en 1998 à la suite d’un processus de consultation. Ces consultations se poursuivent à ce jour, tout comme le dialogue entre les gouvernements du Canada et du Yukon et les dirigeants des Premières Nations. Elles mèneront à une solution et feront en sorte que la Loi sur l’Office des droits de surface du Yukon soit adéquate.
Honorables sénateurs, la Loi sur le Yukon comprend également des dispositions relatives à un vérificateur général du Yukon. À l’heure actuelle, la vérificatrice générale du Canada est responsable de vérifier toutes les dépenses des gouvernements territoriaux. Les compétences uniques nécessaires à un vérificateur général, comme celles que possède notre collègue, la sénatrice Elizabeth Marshall, ne sont pas monnaie courante. Le bassin de candidats en mesure de s’acquitter avec excellence de cette tâche colossale est limité, comme en témoigne la rareté des sénatrices Marshall. Par conséquent, il est difficile de trouver la bonne personne et le processus de recrutement exige des ressources considérables, tout comme la mise en place de toute la structure de soutien nécessaire. Il est beaucoup plus logique de mettre nos ressources en commun et d’avoir recours à l’actuelle vérificatrice générale du Canada plutôt qu’à des vérificateurs distincts pour chaque territoire du Nord, dont la population et les ressources sont limitées.
Honorables sénateurs, le Yukon, grâce à la Loi sur la protection des contribuables du Yukon, offre un cadre favorable au contrôle des dépenses publiques. La loi indique notamment — puisque vous êtes friands de lectures législatives :
3(1) Il est interdit de créer un déficit accumulé ou de l’augmenter.
(2) Il est interdit de demander à l’Assemblée législative de voter un crédit qui aurait pour résultat de créer un déficit accumulé ou de l’augmenter.
(4) Un mandat spécial ne peut être établi, s’il en résulte un déficit accumulé ou une augmentation de ce déficit.
Plus loin, la loi indique :
6(1) Si les comptes publics non consolidés déposés devant l’Assemblée législative ou distribués aux députés révèlent qu’un déficit accumulé a été créé ou qu’il a augmenté […] le chef du gouvernement est alors tenu
a) de demander, avant le 1er février de l’année suivante, la dissolution de l’Assemblée;
b) s’il y a dissolution de l’Assemblée, de demander dès lors la délivrance de brefs d’élection.
Autrement dit, honorables sénateurs, si le premier ministre — qui est généralement aussi ministre des Finances — souhaite endetter le territoire, il doit en demander l’autorisation à la population dans le cadre d’élections. Cette façon de procéder assure que le gouvernement gère les fonds publics de façon responsable.
Lors de son témoignage cette semaine devant le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants, l’honorable Sandy Silver, premier ministre du Yukon, a déclaré :
Nous avons présenté un budget excédentaire chaque année depuis six ans [...]
L’Institut C.D. Howe a souligné l’ouverture et la transparence de notre administration au Canada en matière de finances. Nous nous classons au deuxième rang sur la scène nationale pour ce qui est de l’établissement des budgets.
Dans cet extrait, « Nous » désigne le gouvernement du Yukon.
Ce témoignage confirme le solide appui que reçoit le Yukon du Bureau du vérificateur général et la nécessité de ne rien modifier dans la loi. J’espère qu’il convainc mes collègues d’adopter la motion concernant le recours aux services du Bureau du vérificateur général du Canada.
Honorables sénateurs, il va sans dire que j’appuie l’adoption de cette motion. J’ose espérer que les explications que j’ai données concernant les dispositions sur le Yukon justifient en partie la nécessité de les conserver dans la loi. Je vous remercie de votre compréhension et du temps et de l’attention que vous m’avez accordés. Je suis impatient de voir l’adoption de cette motion.
Merci. Mahsi’cho. Gùnáłchîsh.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au nom du Groupe des sénateurs canadiens, dont je fais partie. Nous avons, au sujet de la motion annuelle concernant la Loi sur l’abrogation des lois, plusieurs préoccupations qui touchent, selon nous, au fondement même de notre devoir de sénateurs, selon lequel il nous incombe de protéger les droits du Parlement et de voir à ce que le gouvernement rende des comptes au pouvoir législatif.
La Loi sur l’abrogation des lois est une initiative du Sénat. Le regretté Tommy Banks, alors sénateur, dirigeait cette initiative à l’origine. Chaque année, le Parlement adopte des mesures législatives dont la date d’entrée en vigueur est laissée à la discrétion du gouvernement. On procède ainsi parce que, comme on le sait, le gouvernement doit parfois élaborer des règlements connexes ou terminer les consultations auprès des intervenants. Qu’arrive-t-il, toutefois, si un gouvernement ne fait pas entrer en vigueur une loi ou certaines dispositions?
Quand le Parlement adopte une loi, ce n’est pas une simple suggestion. Les gouvernements ne peuvent pas décider quelles parties des lois faire entrer en vigueur ni les laisser de côté complètement et indéfiniment. Toutes les mesures législatives qui reçoivent la sanction royale doivent, tôt ou tard, entrer en vigueur ou être abrogées.
C’est là que la Loi sur l’abrogation des lois entre en jeu. Elle constitue, selon nous, un important mécanisme de reddition de comptes qui permet de s’assurer que la volonté du Parlement est respectée et qu’aucun gouvernement actuel ou futur ne fera fi de mesures législatives qui ont été dûment adoptées à l’issue de notre processus législatif rigoureux. La loi exige que le gouvernement dépose, chaque année, un rapport au Parlement dans lequel il dresse la liste de toutes les dispositions législatives qui ne sont toujours pas en vigueur neuf ans après leur édiction.
Le rapport préparé cette année en application de la Loi sur l’abrogation des lois, dont traite cette motion, est le 12e rapport annuel. On y retrouve bon nombre des mêmes dispositions qui figuraient dans le premier rapport annuel, présenté il y a plus d’une décennie. Nous devons donc nous demander ce qu’a fait le gouvernement au cours des 12 dernières années pour assurer l’entrée en vigueur de ces dispositions. Dans certains cas, des décennies ont passé, alors que s’empoussièrent des parties de lois adoptées par le Parlement. Dans la plupart des cas, nous ne savons pas ce que fait le gouvernement, le cas échéant, pour les faire entrer en vigueur. Lorsque la motion sur la Loi sur l’abrogation des lois a été présentée au Sénat l’an dernier, le sénateur Downe a posé une question à la sénatrice Gagné au sujet des dispositions reportées liées aux prestations pour les Forces armées canadiennes, qui ont été adoptées en 2003. Nous sommes à nouveau saisis de cette disposition cette année, mais nous n’en savons pas plus sur ce qui a été fait pour compléter le règlement nécessaire.
Il y a d’autres dispositions qu’on nous demande de reporter d’une autre année et qui ont été adoptées il y a encore plus longtemps. La partie II de la Loi sur les relations de travail au Parlement a été promulguée en 1985. Le gouvernement a demandé de reporter son entrée en vigueur une fois de plus parce qu’il doit — tenez-vous bien — réaliser « un travail stratégique convenable et une consultation appropriée auprès des parties prenantes parlementaires ». Après 37 ans, on commence à se demander si ce travail d’élaboration des politiques a déjà été entamé ou si le gouvernement ne fait que remettre les choses à plus tard, si j’ose dire.
On pourrait en dire autant de beaucoup d’autres lois dont on nous demande de reporter la date d’entrée en vigueur d’une année supplémentaire au moyen de cette motion. Par exemple, si nous lisons les explications du gouvernement pour les reports demandés dans la motion, nous constatons qu’il faut encore élaborer un règlement pour qu’une modification à la Loi sur les banques, qui a été adoptée par le Parlement en 2005, puisse entrer en vigueur. En outre, il faut apparemment mener plus de consultations auprès des intervenants de l’industrie concernant une modification importante de la Loi canadienne anti-pourriel, qui a été adoptée par le Parlement en 2010.
Nous craignons que cet important exercice de reddition de comptes ne devienne une routine parlementaire automatisée si nous n’exerçons pas un rôle de surveillance plus rigoureux. Si le gouvernement a l’intention de continuer à ne pas exercer la volonté du Parlement année après année, il doit fournir de meilleures explications.
Je souligne que le Règlement du Sénat australien oblige le gouvernement à ne pas se contenter d’indiquer au Parlement les lois qui ne sont pas entrées en vigueur, mais à inclure également un exposé des motifs de leur non-proclamation et un calendrier de mise en application. En d’autres termes, le gouvernement ne peut pas se contenter de dire que certaines lois ne sont pas encore entrées en vigueur. Il doit aussi indiquer quand la volonté du Parlement sera respectée.
Honorables sénateurs, lorsque nous serons saisis à nouveau de la motion à propos de la Loi sur l’abrogation des lois l’an prochain — ce qui ne manquera pas d’arriver —, nous verrons probablement plusieurs des projets de loi énumérés dans la motion de cette année être reportés de nouveau. Je suggère qu’avant de l’approuver, nous prenions le temps d’obtenir des réponses du gouvernement sur l’état des consultations ou de la rédaction des règlements. Nous pourrions renvoyer la motion à un comité pour obtenir directement ces réponses. Pour que la Loi sur l’abrogation des lois fonctionne comme il était prévu lors de son adoption par le Sénat, nous devons garder un œil sur l’état des lois non appliquées que nous avons accepté de reporter année après année.
Comme l’a dit notre cher ancien collègue, le regretté sénateur Tommy Banks, lorsqu’il a présenté le projet de loi :
[L]e Parlement n’est pas une fonction accessoire du gouvernement [...] Lorsque le Parlement exprime sa volonté, cela constitue une forme de directive [...] à l’endroit du Cabinet : il lui dit ce qu’il veut que le Cabinet fasse et il incombe au pouvoir exécutif d’obtempérer.
Honorables sénateurs, à l’avenir, faisons preuve de diligence raisonnable pour faire en sorte que la volonté du Parlement soit respectée. Merci.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)