Projet de loi de Jane Goodall
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture
8 juin 2023
Chers collègues, j’aurai le plaisir aujourd’hui de parler du projet de loi S-241, mieux connu sous le nom de Loi de Jane Goodall, qui est son titre abrégé.
Je dois dire que, pour un projet de loi d’intérêt public du Sénat, ce texte a beaucoup fait parler de lui. J’imagine que c’est dû en partie au fait que Jane Goodall elle-même l’a appuyé et qu’elle a accepté de lui prêter son nom, mais aussi au fait que le public s’intéresse de plus en plus au bien-être des animaux qui sont sous la garde d’êtres humains.
D’aucuns ont qualifié cette mesure législative d’historique et de modèle pour le reste de la planète. Selon la Humane Society International, il s’agit d’une des lois les plus restrictives pour les animaux sauvages gardés en captivité et pour la protection de la faune partout dans le monde.
Même si vous en connaissez probablement très bien le contenu, permettez-moi de vous résumer ce que fait le projet de loi S-241 : il modifie divers articles du Code criminel de manière à créer des infractions concernant la propriété et la reproduction d’animaux exotiques, dont les grands singes, les éléphants et diverses espèces non domestiquées, qu’on regroupe sous le vocable d’« animaux désignés », de même que la possession de matériel servant à la reproduction de ces animaux.
Le projet de loi S-241 modifie également la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international de manière à exiger une licence pour l’importation, l’exportation, l’acheminement interprovincial et la reproduction en captivité des grands singes, des éléphants et des animaux désignés.
En outre, le projet de loi crée un cadre législatif pour la reconnaissance des organismes animaliers, c’est-à-dire des organismes qui respectent certaines normes en matière de soins animaliers et qui seront exemptés des interdictions prévues par le projet de loi.
Le projet de loi crée également une capacité juridique limitée pour les animaux en autorisant la désignation d’un défenseur des animaux pour représenter les intérêts de l’animal lors de la phase de détermination de la peine d’un procès.
Honorables sénateurs, je tiens à préciser d’emblée que je soutiens l’intention de ce projet de loi, qui vise à renforcer la protection des animaux détenus en captivité au Canada. À l’heure actuelle, il existe un ensemble disparate de lois et de règlements fédéraux, provinciaux et municipaux qui régissent l’industrie zoologique et la possession privée d’animaux exotiques. De plus, dans de nombreux cas, le cadre existant laisse beaucoup à désirer.
Je soutiens également l’objectif du projet de loi visant à lutter contre le commerce illégal d’animaux sauvages et de parties de leur corps, qui conduit certaines espèces au bord de l’extinction. La nécessité de mettre un terme au trafic illégal d’espèces menacées fait consensus.
Cependant, bien que je soutienne l’intention du projet de loi, je crains qu’il ne s’agisse d’un effort maladroit pour une noble cause, qui aura plus d’effets négatifs que positifs. Je pense que nous pouvons et nous devons faire mieux.
Pour comprendre la portée de ce projet de loi, il faut savoir que les propriétaires d’animaux sauvages exotiques au Canada se répartissent en trois catégories : les zoos accrédités, les zoos non accrédités et les propriétaires privés.
Au Canada, les zoos sont accrédités soit par Aquariums et zoos accrédités du Canada, connu sous le nom AZAC, soit par son homologue étatsunien, l’Association of Zoos and Aquariums, connu sous le nom AZA.
Ces associations d’accréditation à but non lucratif dirigées par l’industrie fixent des normes minimales pour le bien-être des animaux et s’efforcent de promouvoir les zoos en tant qu’agences de conservation, de science et d’éducation.
Selon certaines estimations, il existe actuellement une centaine de zoos, d’aquariums, d’expositions d’animaux sauvages et d’expositions de type zoologique au Canada. Il peut s’agir de petites expositions dans des magasins de détail comme de grandes institutions comme le zoo de Calgary et le zoo du parc Assiniboine à Winnipeg.
Pourtant, seuls 27 de ces 100 zoos ou expositions sont accrédités, dont 24 par Aquariums et zoos accrédités du Canada, 3 par l’Association of Zoos and Aquariums et 4 par ces deux organismes.
Les 75 zoos restants appartiennent à la catégorie très vaste des zoos non accrédités.
Parmi les zoos non accrédités du Canada, la qualité des soins prodigués aux animaux varie beaucoup. Certains d’entre eux pourraient d’ailleurs être admissibles à l’accréditation, mais ils n’ont tout simplement pas cherché à l’obtenir. D’autres devraient apporter des améliorations majeures à leurs installations, à leur personnel et à leurs activités pour pouvoir prétendre à l’accréditation. Or, sans accréditation, les normes et les règles existantes sont insuffisantes pour que les Canadiens aient la certitude que tous les animaux gardés dans ces zoos reçoivent les soins appropriés.
La catégorie des zoos non accrédités comprend ceux qui sont communément appelés les « petits zoos privés ». Il en a été souvent question pendant les débats au Sénat sur le projet de loi S-241. Afin que nous nous entendions tous sur ce dont il s’agit, permettez-moi de lire la définition des petits zoos privés selon la Société mondiale pour la protection des animaux :
Les petits zoos privés sont des installations grandement inférieures aux normes, généralement non gérées par des professionnels. Ils n’ont pas de personnel animalier formé et expérimenté, manquent de fonds et présentent des lacunes de sécurité. Les animaux sont confinés dans de petites cages dégarnies et souvent très sales, et n’ont pratiquement rien à faire jour après jour.
D’abord, ce n’est pas toujours le cas, mais, chers collègues, permettez-moi d’être absolument clair : il n’est nullement question de défendre l’existence des petits zoos inférieurs aux normes. Il s’agit plutôt de déterminer l’approche qui devrait être adoptée et l’ordre de gouvernement qui devrait en être responsable.
Par ailleurs, en dehors des zoos accrédités et des zoos non accrédités, la propriété privée d’animaux exotiques est également autorisée au Canada. On ne dispose pas de chiffres exacts, mais les résultats d’une enquête menée par Protection mondiale des animaux ont été extrapolés pour estimer qu’il y a environ 1,4 million d’animaux de compagnie exotiques appartenant à des particuliers au Canada. Ce chiffre comprend près de 500 000 reptiles, 500 000 oiseaux exotiques et plus de 300 000 mammifères exotiques tels que des tigres, des lions, des léopards, des renards, des singes, et ainsi de suite.
Comme l’a souligné le sénateur Klyne, on estime à plus de 4 000 le nombre de grands félins appartenant à des particuliers au Canada. Précisons que le terme « grand félin » est généralement utilisé pour désigner les tigres, les lions, les jaguars, les léopards, les guépards et les cougars. L’organisation Protection mondiale des animaux estime à plus de 7 000 le nombre de grands félins au Canada. Ce chiffre n’inclut pas les grands félins qui se trouvent dans les zoos et les réserves naturelles; il s’agit uniquement du nombre estimé de grands félins considérés comme des animaux de compagnie. Pour ma part, je trouve cela, chers collègues, inacceptable.
Cependant, j’ai l’intention de vous montrer que le projet de loi S-241 n’est pas la voie à suivre. Il est aussi précis qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine ou qu’un tigre dans un poulailler. Il ne permettra pas de résoudre le problème, et il créera un énorme chaos en essayant d’y parvenir.
Pour expliquer cela, je dois revenir sur la question des zoos accrédités. Les zoos accrédités ne sont probablement pas les zoos que vous vous rappelez avoir visités dans votre enfance, dont les pratiques se rapprochaient probablement davantage de celles des petits zoos privés d’aujourd’hui, d’où émanent la plupart des problèmes dans le secteur à l’heure actuelle. Contrairement aux petits zoos privés, les zoos accrédités manifestent un profond engagement en matière d’éducation, de conservation, de sciences et de recherche. Or, le projet de loi S-241 menace cela.
Dans le cadre de mes fonctions de porte-parole au sujet de ce projet de loi, j’ai réussi à visiter, jusqu’à présent, 10 des 27 zoos accrédités du Canada et constaté de mes propres yeux une partie de l’excellent travail qu’ils font. Honnêtement, c’est très inspirant.
Permettez-moi de commencer par le zoo du parc Assiniboine, à Winnipeg, où j’ai rencontré Grant Furniss, directeur principal de l’Assiniboine Park Conservancy, de même que le Dr Clément Lanthier, président et chef de la direction du zoo de Calgary, et Len Wolstenholme, conseiller principal du zoo de Calgary.
Le zoo du parc Assiniboine est une installation impressionnante. Cette société sans but lucratif est la propriété de la Ville de Winnipeg, réunit plus de 150 espèces animales et s’étend sur plus de 80 acres. Le zoo est membre accrédité de l’Association of Zoos and Aquariums, ou AZA, d’Aquariums et zoos accrédités du Canada, ou AZAC, et de l’Association mondiale des zoos et des aquariums, plus connue sous son acronyme anglais, WAZA. Dans ses propres mots :
Le parc zoologique Assiniboine déploie tous les efforts possibles pour atteindre et dépasser les normes de plus en plus sévères en matière de soin, de bien-être et de sécurité pour les animaux, sans compter celles des programmes vétérinaires, en plus de faire la preuve de son engagement envers la sensibilisation, la conservation et la recherche.
Il y a beaucoup de choses dans cet énoncé. J’ai cependant entendu la même chose dans tous les zoos accrédités que j’ai visités : partout dans le monde, les animaux subissent des pressions de plus en plus grandes à cause de la disparition des habitats et des impacts des changements climatiques. Les zoos accrédités et les réserves fauniques jouent un rôle crucial pour la sensibilisation de la population à ces enjeux en donnant aux gens l’occasion de se sentir près de ces animaux et en veillant à la conservation des espèces en péril.
Le deuxième zoo que j’ai visité est le zoo de Calgary. Comme je l’ai mentionné, j’avais rencontré Clément Lanthier et Len Wolstenholme du zoo de Calgary lorsque j’étais à Winnipeg. C’était l’occasion d’aller voir le fonctionnement des coulisses de leur zoo, puisque M. Wolstenholme m’a fait visiter les excellentes installations du zoo.
Le zoo de Calgary appartient à la ville de Calgary et est géré par la Calgary Zoological Society, un organisme sans but lucratif indépendant. L’an dernier, ce zoo a accueilli plus de 1,2 million de visiteurs. Comptant plus de 4 000 animaux répartis sur 125 acres, il est tout simplement impossible de tout voir en une journée. C’est sans doute la raison pour laquelle de nombreux visiteurs achètent des abonnements de saison, ce qui leur permet d’apprécier les animaux et le cadre du zoo toute l’année. J’ai eu l’occasion de passer un après-midi au zoo de Calgary. Bien que je n’ai pas pu tout y voir, ce que j’y ai vu était remarquable.
Après avoir visité le zoo de Calgary, mon équipe s’est rendue au zoo de Toronto. Là encore, il s’agit d’un établissement de classe mondiale, qui accomplit un travail remarquable dans les domaines de la recherche, de la conservation et de l’éducation à l’égard des espèces animales. C’est là que nous avons appris que les animaux pris en charge par l’homme et qui reçoivent des soins adaptés vivent 30 % plus longtemps — ce n’est pas rien, chers collègues —, qu’à l’état sauvage. Disposant de leur propre centre de nutrition pour les animaux sauvages, le centre de santé de la faune et le zoo de Toronto prodiguent des soins de classe mondiale aux animaux dont ils ont la responsabilité.
Après le zoo de Toronto, j’ai visité l’African Lion Safari, qui se trouve près d’Hamilton, en Ontario. C’est un site que j’avais visité avec toute ma famille quelques années auparavant. Contrairement aux zoos de Toronto, de Calgary et du parc d’Assiniboine, cet établissement n’appartient pas à une municipalité, mais à une entreprise privée. Toutefois, si vous vous attendez à un établissement de moindre qualité, vous serez déçu. Les efforts de conservation, de recherche et d’éducation qui y sont déployés sont tout aussi impressionnants, surtout si l’on considère que rien de tout cela n’est fait avec l’argent des contribuables.
African Lion Safari s’étend sur plus de 750 acres, dont 250 offrent aux animaux de vastes zones de brousse, de prairies et de forêts dans lesquelles ils peuvent interagir naturellement avec d’autres animaux. Cette superficie de 250 acres où les animaux peuvent errer est deux fois plus grande que celle du zoo de Calgary et trois fois plus grande que celle du zoo du parc d’Assiniboine. Près de 30 acres de la superficie totale de 750 acres ont été aménagés pour faire place à des sentiers et des expositions. Le reste de la propriété compte des fermes, des zones de brousse et d’autres habitats, y compris 40 acres de zones humides d’importance provinciale qu’African Lion Safari entretient et surveille. C’est le rêve des défenseurs de l’environnement.
Dans plusieurs de leurs réserves fauniques, des espèces mélangées se déplacent et interagissent comme elles le feraient dans la nature. Cependant, dans la totalité des sept réserves, ce sont les gens qui sont gardés en cage, et non les animaux — les animaux se déplacent librement dans de grands enclos, tandis que les visiteurs traversent le parc et observent les animaux, en sécurité dans leur véhicule. Le parc accueille 500 000 visiteurs par an au cours des six mois pendant lesquels il est ouvert au public. Il emploie 50 personnes à temps plein et recrute 300 employés saisonniers.
Comme les autres zoos accrédités que j’ai déjà mentionnés, African Lion Safari a un palmarès impressionnant en matière de conservation. Il compte plus de 1 000 animaux appartenant à plus de 100 espèces. Comme au zoo de Calgary, le tiers des animaux sont des espèces en péril. Le parc a réussi à élever 30 espèces considérées comme en péril et 20 espèces considérées comme menacées. Ce n’est pas un mince exploit, chers collègues, et cela s’inscrit dans leur vision de contribuer à maintenir des populations autonomes d’espèces en déclin, un service incroyable pour les générations futures.
La réserve naturelle est également réputée pour ses efforts de recherche et de conservation concernant la girafe, l’éléphant d’Asie, l’ara canindé, la pie-grièche migratrice de l’Est, l’effraie des clochers, le pygargue à tête blanche et le rhinocéros.
Dans le cadre de ses recherches, elle a collaboré avec des universités de prestige, comme l’Université McGill, l’Université Queen’s, l’Université de l’Indiana à Bloomington, l’Université Cornell, l’Université Auburn, l’Université Baylor, l’Université d’agriculture et de technologie de Tokyo, l’University College de Londres, l’Université de la Floride, l’Université de Guelph, l’Université de Melbourne, l’Université de Pennsylvanie, l’Université de Pretoria, l’Université Western Kentucky, et bien d’autres encore.
Pourtant, chers collègues, ce boulet de démolition qu’est le projet de loi S-241 menace de détruire le magnifique travail de cette institution.
Tandis que les zoos de Toronto, de Calgary et du parc Assiniboine sont protégés par cette mesure législative, l’African Lion Safari ne l’est pas, même s’il s’agit d’un zoo pleinement accrédité.
Permettez-moi de vous expliquer. Le projet de loi S-241 érige en infraction criminelle le fait d’être propriétaire, d’avoir la garde ou d’assurer la surveillance d’un grand singe, d’un éléphant ou d’un animal désigné vivant en captivité; de faire se reproduire ou de féconder un grand singe, un éléphant ou un animal désigné ou d’omettre de prendre des précautions raisonnables pour en empêcher la reproduction ou la fécondation; ou de posséder ou de tenter d’obtenir du matériel reproductif de grands singes, d’éléphants ou d’animaux désignés.
Le projet de loi énonce ensuite les exceptions à cette infraction. Par exemple, si l’animal est en captivité le jour où la loi prend effet, on ne considère pas comme une infraction le fait de le garder en captivité. Essentiellement, la loi maintient les droits acquis en ce qui concerne les éléphants, les grands singes, les grands félins ou les autres animaux désignés qui sont déjà en captivité. Ces animaux peuvent continuer à être gardés légalement, mais non pour en faire l’élevage, jusqu’à leur mort, tant et aussi longtemps que leur captivité n’est pas interrompue.
Le projet de loi prévoit également une exception si l’animal est gardé en captivité à des fins de recherches scientifiques non dommageables ou dans l’intérêt de cet animal, considération faite du bien-être de l’individu et de la conservation de l’espèce, à condition que la personne qui garde l’animal ait une licence délivrée par le gouvernement fédéral ou par un gouvernement provincial.
En outre, un éléphant, un grand singe ou un animal désigné peut être gardé en captivité par son propriétaire ou par un employé qui en a la garde ou qui en assure la surveillance et qui est à l’emploi d’une province ou d’une municipalité, ou par une personne ou un employé nommé par un organisme provincial ou municipal, ou par un employé d’une entité fédérale inscrite à l’une ou l’autre des annexes I à V de la Loi sur la gestion des finances publiques. Essentiellement, cela signifie que la loi ne s’applique pas aux employés de quelque ordre de gouvernement que ce soit lorsque la garde de l’animal fait partie de leurs tâches ou fonctions.
Une grande incertitude règne au sein de l’industrie quant à la signification réelle de certaines de ces exemptions, car le projet de loi n’est pas très clair. Par exemple, la référence aux licences provinciales concerne-t-elle les licences existantes ou les provinces devront-elles créer une autorité chargée de délivrer les licences pour appliquer ce projet de loi? Que se passe-t-il si le ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Affaires rurales de l’Ontario reconnaît déjà un zoo de la province comme entité qui mène des recherches? Cette licence sera-t-elle suffisante ou en faudra-t-il une autre?
Chaque province dispose déjà de son propre système de protection du bien-être des animaux, et certaines provinces, par exemple la Colombie-Britannique et le Québec, ont déjà une réglementation bien établie en ce qui concerne les zoos. La manière dont ce projet de loi s’ajouterait à tout cela n’est pas claire.
Toutefois, il existe une exception importante aux normes énoncées dans ce projet de loi. Outre les exceptions déjà mentionnées, les infractions ne s’appliqueraient pas à toute entité désignée par le ministre de l’Environnement et du Changement climatique à titre d’organisme animalier admissible. Il faut satisfaire à une longue liste d’exigences pour obtenir la désignation d’organisme animalier admissible. Toutefois, si toutes ces conditions sont remplies et que l’entité reçoit la désignation, elle conserve la capacité de garder et d’élever des éléphants, des grands singes et certaines autres espèces désignées d’animaux.
Au fond, l’organisme échappe aux dispositions de cette mesure législative.
Cela dit, sur les 27 zoos et aquariums accrédités, sept n’ont pas à franchir ces obstacles. Ils peuvent contourner toutes les étapes requises, puisqu’ils sont nommés directement dans le projet de loi, ce qui leur donne, en quelque sorte, un passe-droit perpétuel. Ces sept institutions sont énumérées au paragraphe 19(1) et comprennent l’Assiniboine Park Zoo, la Calgary Zoological Society, le Zoo de Granby, le Biodôme de Montréal, le Ripley’s Aquarium of Canada, le Conseil de gestion du zoo de Toronto et le Vancouver Aquarium.
Vous remarquerez, chers collègues, que le parc African Lion Safari ne figure pas dans cette liste. Cela signifie que, même s’il est accrédité par l’organisme Aquariums et zoos accrédités du Canada, AZAC, il devra passer par un processus qui pourrait être long, ardu et incertain pour savoir s’il sera autorisé à poursuivre l’excellent travail qu’il accomplit depuis plus de 50 ans.
Outre le parc African Lion Safari, 18 autres zoos déjà accrédités par AZAC n’ont pas été inclus dans la liste des zoos exemptés. Ils pourraient tous être confrontés à une crise existentielle concernant l’avenir de leur travail, de leurs moyens de subsistance et de leurs efforts de conservation, et ce, pour une simple raison : ils sont membres de l’association Aquariums et zoos accrédités du Canada, AZAC, mais ils ne sont pas membres de l’Association of Zoos and Aquariums, l’AZA, établie aux États-Unis.
Chers collègues, nous devons nous arrêter quelques instants pour réfléchir aux implications du projet de loi. Le projet de loi S-241 confie essentiellement les normes d’accréditation des zoos canadiens à un organisme d’accréditation américain. Je trouve cela très troublant. Comme me l’ont dit à maintes reprises les zoos qui n’ont pas été retenus dans la liste restreinte du projet de loi : « Pourquoi voudrions-nous confier nos normes d’accréditation à un organisme américain? »
Chers collègues, si vous interrogez le sénateur Klyne à ce sujet, il affirmera que l’Association of Zoos and Aquariums, ou l’AZA, est un organisme d’accréditation international actif dans 13 pays. Ce n’est vrai qu’en partie. L’AZA est peut-être active dans 13 pays, mais le conseil d’administration de cette société américaine à but non lucratif est entièrement composé de citoyens américains. L’AZA est peut-être active dans 13 pays, mais elle est établie, dirigée et contrôlée par des Américains. Le Canada n’est pas représenté au sein de son conseil d’administration.
Le sénateur Klyne vous dira également que les normes de l’AZA sont plus strictes que celles de l’organisme Aquariums et zoos accrédités du Canada et que c’est pour cette raison qu’elles ont été choisies. Mais j’ai interrogé tous les zoos que j’ai visités à ce sujet, même ceux qui sont déjà accrédités par l’AZA, et j’ai constaté que le point de vue du sénateur Klyne est minoritaire. Les zoos accrédités ne s’entendent pas pour dire quelle est la meilleure accréditation. En fait, dans de nombreux cas, les normes d’Aquariums et zoos accrédités du Canada sont manifestement plus élevées que celles de l’AZA.
Il y a un aspect qui a vraiment attiré mon attention. L’été dernier, la Chambre des représentants des États-Unis a été saisie d’un projet de loi visant à mettre en place la SWIMS Act. Il s’agit de modifier la U.S. Marine Mammal Protection Act de 1972 et l’Animal Welfare Act afin d’interdire la prise, l’importation, l’exportation et l’élevage de certains cétacés à des fins d’exposition publique et à d’autres fins. Cela peut ne pas sembler très scandaleux pour les Canadiens, puisque c’est déjà prévu dans la loi au Canada. Or, aux États-Unis, l’Association of Zoos and Aquariums, ou AZA, s’est opposée à ce projet de loi, honorables collègues. Vous pouvez vérifier cette information sur le site Web de l’AZA. Vous pouvez aller à la section qu’elle appelle le Legislative Education Centre et chercher l’information sur la SWIMS Act. Vous y verrez ce qui suit :
La [...] (SWIMS) Act vise à interdire l’élevage, l’importation et l’exportation d’épaulards, de bélugas, de faux-orques et de globicéphales. Cela établirait un dangereux précédent en limitant la capacité du personnel hautement qualifié des établissements comme les aquariums et les zoos accrédités par l’AZA de prendre des décisions concernant les animaux et les soins qui leur sont prodigués.
Honorables collègues, l’AZA autorise les zoos canadiens à suivre ses normes, mais elle s’oppose à des mesures législatives sur le bien-être des animaux qui sont déjà en place au Canada.
Ce n’est pas tout.
Le 22 septembre 2022, le président et chef de direction de l’AZA a envoyé une lettre aux membres de l’organisme. Voici ce qu’il a dit en partie :
Il est essentiel que nous soyons unis et que nous parlions d’une seule voix contre ce projet de loi. Il n’est pas seulement question du béluga ou de l’épaulard. Des arguments identiques sont actuellement avancés au sujet des éléphants, des grands singes, des girafes, des grands félins et d’autres espèces. Nous devons agir maintenant pour faire savoir au Congrès que ce projet de loi crée un dangereux précédent en compromettant la capacité du personnel hautement qualifié des aquariums et des zoos accrédités par l’AZA à prendre des décisions concernant les animaux dont il a la charge.
Chers collègues, je ne veux pas me montrer partisan, mais cela ressemble à un gouvernement libéral.
Honorables sénateurs, ce n’est pas la position des gens l’AZA que je conteste. Je pense en fait qu’ils ont de très bons arguments, qu’on peut lire dans leur lettre intégrale. C’est leur hypocrisie que je conteste. Apparemment, si ce projet de loi est présenté aux États‑Unis, l’AZA le considère comme un dangereux précédent, mais s’il est présenté dans notre pays, tout va bien. Je ne pense pas que l’on puisse être plus hypocrite que cela. Il s’agit d’une organisation qui ne soutient même pas les normes canadiennes actuelles, et le sénateur Klyne veut en faire la référence pour des normes encore plus élevées, normes qu’elle n’approuve pas non plus et qu’elle ne respecte pas elle-même.
Honorables sénateurs, je tiens à répéter que je ne m’oppose pas à des critères réglementaires et législatifs plus stricts pour les zoos, mais je trouve très insultant qu’on donne un passe-droit à une poignée de zoos canadiens parce qu’ils relèvent d’un organisme américain qui n’appuie même pas les normes canadiennes actuelles, encore moins celles que le projet de loi propose.
Lorsque j’ai visité des zoos accrédités par Aquariums et zoos accrédités du Canada, et non pas par son pendant américain, l’AZA, je leur ai demandé : « Pourquoi n’avez-vous pas tenté d’obtenir l’accréditation de l’AZA? »
Trish Gerth, la directrice générale de l’African Lion Safari, m’a dit que le parc avait en fait envisagé d’obtenir l’accréditation de l’AZA à un certain moment. Un représentant de l’AZA est venu des États-Unis pour effectuer un examen initial du parc. Il a dit qu’il croyait que le parc n’aurait aucun mal à obtenir l’accréditation. Cependant, l’African Lion Safari a décidé de ne pas poursuivre les démarches parce qu’il était d’avis qu’il fallait un organisme canadien solide axé exclusivement sur le cadre législatif et réglementaire de notre pays.
J’ai entendu des avis similaires de la part d’autres zoos accrédités par Aquariums et zoos accrédités du Canada : « Pourquoi un organisme américain imposerait-il au Canada les normes à appliquer ici? » Je suis d’accord.
Chers collègues, dans son discours à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi, le sénateur Klyne a mentionné l’African Lion Safari à quelques reprises. Chaque fois, ses déclarations contenaient de la mésinformation à propos de cette réserve faunique. Voici sa première déclaration, chers collègues :
En outre, la Loi de Jane Goodall interdit l’utilisation des espèces concernées dans les spectacles de divertissement ainsi que les promenades à dos d’éléphant, à moins qu’elles ne soient autorisées par un gouvernement provincial. Cela s’applique aux lions de mer et aux morses de Marineland à Niagara Falls et aux éléphants de l’African Lion Safari près d’Hamilton.
Il a poursuivi en disant :
[…] les 16 éléphants du parc African Lion Safari faisaient partie de spectacles et les visiteurs pouvaient faire une balade sur leur dos, ce qui s’est traduit par une attaque en 2019. L’Association des zoos et aquariums du Canada a interdit les tours d’éléphant l’année dernière.
Permettez-moi de vous exposer les faits relatifs à cette information inexacte, chers collègues. Premièrement, l’insinuation selon laquelle ce projet de loi va en quelque sorte forcer le parc African Lion Safari à annuler les promenades à dos d’éléphant est complètement fausse. Pour commencer, ce parc a commencé à supprimer progressivement les promenades à dos d’éléphant de ses présentations et de ses programmes animaliers bien avant que l’Association des zoos et aquariums du Canada ne les interdise. Lorsque cette association a pris la décision d’interdire les promenades, elle l’a fait avec le soutien du parc African Lion Safari. Ne vous y trompez pas, il n’y a plus de promenades à dos d’éléphant dans le parc African Lion Safari que ce projet de loi pourrait supprimer.
Deuxièmement, le sénateur Klyne a dit que les promenades à dos d’éléphant et l’utilisation d’éléphants à des fins de divertissement avaient donné lieu à une attaque en 2019. Cette affirmation est aussi fausse, chers collègues. Il y a effectivement eu un incident, mais ce dernier n’avait rien à voir avec les spectacles et les promenades à dos d’éléphant. Le ministère du Travail de l’Ontario a mené une enquête approfondie sur l’incident, et le parc African Lion Safari n’a jamais été accusé ou reconnu coupable de n’importe quel type d’inconduite ou de mauvais traitement envers un animal.
Le sénateur Klyne a également affirmé :
[…] la Loi de Jane Goodall mettrait progressivement fin à la tenue en captivité d’éléphants au Canada, comme cela a été le cas pour les baleines et les dauphins quand nous avons adopté des lois fédérales à cette fin. Pourquoi? C’est principalement parce que notre climat ne leur convient pas, ce qui force ces créatures énormes, intelligentes et sociales, à vaste répartition, à passer l’hiver à l’intérieur.
Il est regrettable que le sénateur Klyne n’ait pas visité la réserve faunique — la réserve possédant le plus grand troupeau d’éléphants au pays — avant de faire cette déclaration et de tirer ses conclusions sur le parc et sur le sort des éléphants au Canada.
Le parc African Lion Safari est reconnu dans le monde entier pour son expertise en matière de bien-être des éléphants. Les organismes de conservation partout dans le monde consultent régulièrement ses professionnels des soins aux éléphants pour obtenir leur avis sur les questions relatives au bien-être des éléphants, à la gestion de leurs soins de santé et à leur conservation.
En 1998, en collaboration avec plusieurs partenaires internationaux, l’African Lion Safari a fondé l’International Elephant Foundation, qui se consacre à la conservation des éléphants d’Afrique et d’Asie. En 2021, cette fondation a appuyé 20 projets dans 13 pays répartis sur trois continents visant à investir dans le bien-être des éléphants à des endroits comme le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda, la Zambie, la Namibie, la Tanzanie, le Népal, l’Inde et l’Indonésie.
L’African Lion Safari participe activement au comité consultatif de l’Association of Zoos and Aquariums depuis plus de 30 ans. Il conseille la fondation Asian Elephant Support, est partenaire du volet dédié aux éléphants d’Asie du programme Saving Animals From Extinction de l’Association of Zoos and Aquariums et est un partenaire donateur du Groupe de spécialistes de l’éléphant d’Asie de la Commission pour la sauvegarde des espèces de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Autrement dit, c’est un organisme expert. Il désapprouve fortement la façon dont le sénateur Klyne décrit comment se portent les éléphants en captivité au Canada.
Charlie Gray est le responsable des éléphants de l’African Lion Safari. Il s’occupe directement des éléphants depuis 1982, et il a accédé au poste de gérant de la section des éléphants à l’African Lion Safari en 1987. Charlie est membre fondateur de l’Elephant Managers Association et membre du conseil d’administration de l’International Elephant Foundation. Il a siégé au comité consultatif de l’American Association of Zoos and Aquariums mis sur pied pour examiner le programme de survie de l’éléphant d’Asie, et ce, de 1988 à 2019. Il est un expert mondialement reconnu pour son savoir sur les éléphants.
Charlie nous a dit que, contrairement à ce que le sénateur Klyne et d’autres prétendus experts essaient de vous faire croire, les éléphants dont ils prennent soin sont très heureux pendant toutes les saisons de l’année. C’est principalement attribuable au fait que la majorité des individus de ce troupeau d’éléphants d’Asie est née et a grandi au Canada et qu’ils sont acclimatés aux hivers canadiens. En fait, Charlie a affirmé que leurs éléphants préfèrent le froid à la chaleur parce qu’ils ne sont pas incommodés par les insectes. Ils aiment aussi courir et jouer dans la neige, briser la glace à la surface du lac et y nager.
Chers collègues, je crois que vous avez tous reçu une courte vidéo de ces éléphants qui s’amusent. Si vous ne l’avez pas encore regardée ou si vous l’avez supprimée, faites-le-moi savoir. Je vous l’enverrai de nouveau avec plaisir. On voit les éléphants briser la glace, courir et nager dans le froid. Ils habitent dans des enclos chauffés pendant l’hiver et ils peuvent y entrer et en sortir à leur guise et ils n’hésitent pas à aller dehors pour profiter de l’hiver.
African Lion Safari a mené des recherches fascinantes sur la capacité des éléphants d’Asie de s’adapter au froid. Grâce à des recherches en thermographie, l’organisme a découvert que cette espèce a la capacité, inconnue jusqu’alors, d’envoyer du sang chaud vers les extrémités de son organisme lorsqu’il fait froid, ce qui explique en partie pourquoi elle aime nos hivers.
J’ai également été quelque peu étonné d’apprendre que l’AZA permet aux éléphants d’être gardés en captivité aux États-Unis, mais pas au Canada. Elle prétend que c’est à cause du climat; pourtant, certains des sites où se trouvent des troupeaux d’éléphants dans le Sud du Canada, comme African Lion Safari, connaissent des températures beaucoup plus chaudes que de nombreux sites américains qui prennent soin d’éléphants.
Chers collègues, l’affirmation selon laquelle les éléphants ne peuvent pas s’épanouir en captivité au Canada est tout simplement fausse et trompeuse. Cela revient à fermer les yeux sur la multitude de données qui prouvent le contraire et à se fier à ses émotions plutôt qu’à sa raison.
Ensuite, chers collègues, j’ai visité un zoo, le Parc Safari, qui se trouve à Hemmingford, au Québec. Tout comme l’African Lion Safari, le Parc Safari va au-delà de l’idée que l’on se fait normalement d’un zoo. Il s’agit plutôt d’une réserve naturelle. D’une superficie de 152 hectares, soit 375 acres ou 1 million et demi de pieds carrés, le parc abrite plus de 500 animaux appartenant à 97 espèces. Il abrite et élève des espèces menacées en collaboration avec des établissements zoologiques d’Asie, d’Afrique, d’Europe et d’Amérique. Contrairement aux animaux des petits zoos privés, tous les animaux du Parc Safari ont accès à de grands espaces.
Le Parc Safari n’est pas un refuge pour les animaux. Il ne s’occupe pas de sauver ni de soigner des animaux blessés. Ce n’est pas sa spécialité. Il se concentre plutôt sur la conservation des espèces en péril par la reproduction et, lorsque c’est possible, sur la réinsertion des animaux dans leur environnement naturel. Par exemple, le Parc Safari a réussi la réinsertion en Afrique de guépards nés dans ses installations.
Dans une entrevue accordée aux médias, Jean-Pierre Ranger, propriétaire du Parc Safari, a déclaré ce qui suit :
Il ne reste plus que 2 000 à 3 000 guépards à l’état sauvage en Afrique. Si les choses vont un peu mieux aujourd’hui, c’est grâce aux établissements comme le mien, qui font de la reproduction, de la sensibilisation, et la réinsertion d’animaux dans leur milieu naturel.
Quand on lui a demandé ce qu’il pensait du projet de loi S-241, M. Ranger n’a pas mâché ses mots. Il l’a qualifié de cheval de Troie et de premier pas vers la fin de tous les établissements zoologiques. Vous pouvez être d’accord ou non avec M. Ranger, mais la vérité est qu’il a saisi les sentiments précis des participants au mouvement de défense des droits des animaux, qui sont les grands défenseurs de ce projet de loi.
Ils n’hésitent même pas à le dire. Un titre d’une publication végétalienne se lit comme suit : « A Proposed Federal Bill in Canada Could Be the First Step to Phasing Out the Zoo Industry. » L’article dit :
Le projet de loi a été présenté en 2020 par l’ancien sénateur Murray Sinclair, et il est maintenant de retour au Sénat après avoir été mis de côté en raison des élections fédérales de septembre 2021. Il contient de nombreuses nouvelles politiques importantes qui pourraient constituer la première étape de l’élimination progressive de l’industrie zoologique dans le pays.
Victoria Shroff, une avocate bien connue de la Colombie-Britannique qui défend les droits des animaux, a écrit ce qui suit dans le magazine Canadian Lawyer :
En 2019, j’ai posé une question dans ces pages : l’heure des droits des animaux a-t-elle sonné au Canada? La réponse a été apportée sous la forme d’un projet de loi révolutionnaire sur les droits des animaux présenté en novembre par le sénateur Murray Sinclair.
Elle a également écrit ceci :
Le projet de loi S-218 est conforme à mon opinion selon laquelle les animaux doivent avoir accès à la justice. S’il est adopté, ce projet de loi aura des répercussions importantes sur le bien-être des animaux dans tout le Canada, car il propose les lois les plus strictes en matière de protection des animaux jamais adoptées dans ce pays.
Parlant d’accès à la justice, je ne serais pas surprise si certains de mes anciens étudiants universitaires en droit animal — maintenant cliniciens à notre nouvelle clinique juridique bénévole pour animaux gérée par le programme de conseils juridiques des étudiants en droit — et moi nous retrouvions devant de nouveaux types d’affaires de droit animal si ce projet de loi est adopté.
Votre chien va vous poursuivre devant les tribunaux, chers collègues.
Autrement dit, si ce projet de loi est adopté, vous pouvez vous attendre à ce que les zoos exemptés et les zoos non exemptés fassent l’objet d’une pluie de poursuites de la part des groupes de défense des droits des animaux.
Ce n’est pas une théorie du complot, chers collègues. Ils sont transparents au sujet de leurs plans. Ils prévoient utiliser le système juridique pour faire valoir leurs intérêts.
Dans un article intitulé « Êtes-vous prêts à ce que votre animal de compagnie vous traîne devant les tribunaux? » paru dans le Vancouver Sun, Victoria Shroff a admis que les groupes de défense des droits des animaux adoptent une approche progressive pour faire valoir leurs intérêts. Elle reconnaît que ce ne sont pas tous les défenseurs des droits des animaux qui sont en faveur d’accorder davantage de droits à certains animaux, car :
Ils croient que cela crée une sorte d’exceptionnalisme ou de spécisme, ce qui ferait en sorte que certaines espèces plus reconnues et appréciées se retrouveraient au sommet de la chaîne, tandis que celles considérées comme ayant moins de valeur, comme les rats ou les poulets, resteraient pour ainsi dire de la chair à pâté. [...] Les éléphants et les dauphins, des espèces qui ont un langage, où tirer la ligne? Je crois que nous entrebâillons la porte des tribunaux afin de laisser entrer qui le pourra, et les autres suivront.
Que vous croyiez ou non que ce projet de loi ouvrira la voie à l’avancement des visées extrêmes des groupes de défense des droits des animaux, vous devez réaliser que ces militants sont convaincus que ce sera le cas. Ils sont presque étourdis par l’enthousiasme qu’ils éprouvent en pensant aux possibilités que ce projet de loi leur offrira s’il est adopté.
Chers collègues, tout le monde est favorable au bien-être des animaux, mais les droits des animaux sont une toute autre question. Les militants ne s’arrêteront pas tant que tous les animaux n’auront pas les mêmes droits que les humains, et c’est dans cette direction, chers collègues, que le projet de loi S-241 nous oriente.
Le sénateur Klyne n’a cessé de souligner que ce projet de loi « accorde [...] un statut légal restreint aux espèces visées [...] » C’est sans précédent dans le droit au Canada et cela est rendu possible par la création du rôle de défenseur des droits des animaux. Même si le rôle du défenseur des animaux n’interviendra qu’au moment de la détermination de la peine, cela nous engage manifestement sur une pente glissante, et les groupes de défense des animaux s’en réjouissent au plus haut point.
L’organisation Animal Justice a déclaré ceci :
Outre les protections élargies pour un grand nombre d’espèces d’animaux sauvages, Animal Justice se réjouit de constater la présence de dispositions qui accordent un statut légal restreint aux animaux lorsqu’ils sont maintenus en captivité de façon illégale. L’un des principaux défis pour les animaux est de faire reconnaître leurs intérêts par les tribunaux [...].
Écoutez bien ceci, chers collègues :
Mais grâce à la nouvelle loi proposée, les défenseurs des animaux pourront plus facilement donner aux animaux une voix bien nécessaire devant les tribunaux et lutter pour les protéger contre la cruauté. En vertu de cette loi, dans le cadre d’une poursuite pour détention ou élevage illégal d’un animal en captivité, un juge pourrait entendre les arguments juridiques d’un particulier ou d’un groupe de défense des animaux désigné. Cette personne ou cette organisation pourrait demander au juge de prendre des mesures pour protéger les intérêts supérieurs de l’animal, par exemple d’envoyer l’animal dans un sanctuaire et d’améliorer ses conditions de vie.
Ne vous y trompez pas, chers collègues. Accorder un statut juridique limité aux animaux nous engagera sur une pente glissante qui finira par avoir des répercussions non seulement sur les zoos, mais aussi sur l’agriculture. Des représentants de nombreuses organisations agricoles m’ont rencontré pour me faire part de leurs préoccupations concernant cette partie du projet de loi, car leurs conseillers juridiques les ont avertis qu’elle ouvrait la voie à la possibilité d’étendre le même statut juridique aux animaux non domestiqués.
En termes simples, chers collègues, le mouvement de défense des animaux ne cible pas seulement les zoos, mais aussi les fermes. Martin Rowe, de la Culture & Animals Foundation, l’a exprimé ainsi :
Je crois que, pour le mouvement de protection des animaux, le moment pourrait être bien choisi pour parler de la fin de l’agriculture industrielle et de la fin d’une utilisation industrielle des animaux et des cultures qui servent à les nourrir, dans le but de restaurer les bassins hydrographiques et de remettre de grands pans de territoire à l’état sauvage.
Jane Goodall, dont le nom figure dans le titre du projet de loi, a elle-même déclaré :
Il semble évident que les fermes industrielles devraient être progressivement éliminées et que si des animaux sont élevés, ils devraient pouvoir sortir dans les champs lorsque le temps le permet.
Mme Goodall a ensuite appelé à l’abandon progressif de l’agriculture intensive, des monocultures et des produits chimiques agricoles. Elle estime qu’il faut revenir à une « agriculture familiale à petite échelle ».
Chers collègues, le Canada est actuellement le cinquième exportateur mondial de produits agricoles et agroalimentaires, avec des exportations de 82,2 milliards de dollars par an. Nous avons la chance de jouir de conditions favorables à une production alimentaire qui dépasse largement les besoins de notre population, ce qui nous donne la possibilité et la responsabilité de nourrir le monde. Suivre les conseils de Jane Goodall mettrait fin à tout cela.
Ne vous y trompez pas. Ce projet de loi viendrait porter un autre coup dur au secteur agricole canadien. L’objectif des défenseurs des droits des animaux n’est pas seulement de mettre fin à l’utilisation des animaux dans les zoos, mais aussi d’étendre cette pratique à l’agriculture. Je reconnais que ce projet de loi ne va pas directement dans ce sens, mais, en franchissant la ligne qui donne aux animaux un statut juridique devant les tribunaux, il renforce ce mouvement et nous pousse indéniablement dans cette direction.
Tous les représentants des dix zoos que j’ai visités ont exprimé des inquiétudes concernant cette partie du projet de loi, même ceux qui sont exemptés du projet de loi en raison de leur accréditation par l’Association of Zoos and Aquariums. Jean-Pierre Ranger avait raison : ce projet de loi est un cheval de Troie. Comme je l’ai dit plus tôt, il s’agit d’un effort maladroit pour une noble cause, qui entraînera plus d’effets négatifs que positifs.
Après le Parc Safari, j’ai visité le Zoo de Granby, le Zoo Ecomuseum de Montréal et le Parc Oméga. Tous ces zoos sont situés au Québec et tous font un travail remarquable en matière de conservation et d’éducation. Pourtant, un seul d’entre eux bénéficie d’une exemption : le Zoo de Granby. Les autres devront se plier aux exigences de ce projet de loi pour savoir s’ils seront désignés comme « organisme animalier admissible ».
Paradoxalement, sur les trois zoos, le Zoo de Granby est le seul qui possède des éléphants, de grands singes ou de grands félins et on lui a accordé l’exemption. C’est le seul zoo québécois qui bénéficie d’une exemption automatique dans le projet de loi. Ni le Zoo Ecomuseum ni le Parc Oméga ne possèdent ces animaux; pourtant, c’est au Zoo de Granby que l’exemption a été accordée. Le Zoo Ecomuseum est situé à 30 minutes du centre-ville de Montréal. C’est le seul et unique zoo de l’île de Montréal et, comme me l’a expliqué le directeur général David Rodrigue, ce zoo abrite uniquement des animaux du Québec. Il n’y a pas de lions, de tigres, de guépards, d’éléphants ou de gorilles. Il y a toutefois des lynx, des loups et des ours. Pour une raison quelconque, tous ces animaux sont couverts par le projet de loi, même s’ils sont originaires du Québec et ne viennent pas d’un autre pays ou d’une autre province.
Cela nous amène à la question de la compétence. Le projet de loi S-241 tente de légiférer dans deux domaines de compétence fédérale : l’exercice du pouvoir fédéral en matière de commerce international et interprovincial et l’exercice du pouvoir fédéral en matière de cruauté envers les animaux et de sécurité publique dans des affaires criminelles. Il est toutefois difficile de comprendre ce que cela a à voir avec les espèces domestiques originaires du Québec.
Le Parc Oméga m’a fait part des mêmes préoccupations à propos des compétences. Le Parc Omega est un zoo de type safari avec de grands espaces naturels qui s’étendent sur une superficie de 2 000 acres et qui abritent plus de 20 espèces animales qui vivent dans leur habitat naturel. Dans la plus grande partie du parc, les visiteurs peuvent conduire dans les enclos et observer les animaux en toute sécurité dans leur voiture. Le parc veut amener les gens à renouer avec la nature, notre histoire et les coutumes et croyances des peuples autochtones du Québec.
Les meutes de loups font partie des principaux attraits du parc. On y trouve 5 meutes comprenant chacune 5 à 13 loups, donc environ 60 loups en tout. Tous ces loups appartiennent à l’espèce Canis lupus, qui serait protégée au titre du projet de loi S-241. Le parc a un programme appelé « Dormir avec les loups ». On peut louer une cabane, un chalet ou un gîte pour la nuit. Nous n’avons pas passé la nuit là-bas, mais nous avons passé une heure dans l’un de ces lieux d’hébergement dotés de fenêtres offrant une vue panoramique. Grâce à cette vue panoramique, on peut observer une meute de loups dans son habitat naturel sous tous les angles. Les loups viennent jusqu’à la chambre. On a l’impression de pouvoir les caresser de l’autre côté de la vitre. Le programme est tellement populaire qu’il faut actuellement attendre un an pour pouvoir réserver une place.
Lorsque Alain Massie, le directeur général du parc, et Serge Lussier, le directeur technique et porte-parole, m’ont fait visiter les installations, il n’y avait pas de loups en vue. Cependant, lorsque M. Lussier a ouvert une porte et a appelé les loups, nous avons commencé à voir leurs ombres d’abord dans la forêt puis nous les avons clairement vus, tout près des fenêtres de la cabane. C’était saisissant. Je comprends pourquoi les gens veulent s’approcher de ces animaux majestueux.
Toutefois, le loup relève de la compétence des provinces comme l’indique Environnement et Changement climatique Canada : « Les gouvernements provinciaux et territoriaux sont responsables de la gestion des espèces sauvages terrestres [...] »
Environnement et Changement climatique Canada ajoute également ceci :
[...] le loup est protégé par diverses lois provinciales et territoriales sur les espèces sauvages. Des règlements précis, adoptés en vertu de ces lois, permettent certaines utilisations des espèces sauvages au Canada sous réserve de l’obtention de licences ou de permis.
Ces licences ou permis portent sur la chasse et la prise des loups. Environnement Canada précise :
Dans la plupart de ces territoires de compétence, le loup gris est considéré à la fois comme animal à fourrure et gibier. Les peuples autochtones peuvent, en vertu de la Constitution canadienne, prélever des espèces sauvages pour leurs utilisations traditionnelles.
En d’autres mots, alors que le projet de loi S-241 vise à ériger en infraction criminelle le fait de détenir ces animaux en captivité, il serait toujours parfaitement légal de les chasser lorsqu’ils ne sont pas en captivité. Dès qu’ils sortent du Parc Oméga, ils peuvent être chassés. Le décalage est plutôt ahurissant. On en vient à se demander comment exactement les 800 espèces — j’ai bien dit 800 espèces, chers collègues — ont été ajoutées à la liste du projet de loi S-241.
Je ne suis pas certain de l’auteur de la liste. Le gouvernement ne l’a pas établie. Je doute que le sénateur Klyne l’ait fait par lui-même. Le projet de loi du sénateur Sinclair n’avait pas cette liste, mais 800 espèces ont maintenant été inscrites à la liste du projet de loi S-241.
Le projet de loi S-218 n’avait inscrit que les éléphants et les grands singes à la liste. Toutes les autres espèces devaient être ajoutées par le Cabinet :
[...] après avoir consulté des experts en science animale, en médecine vétérinaire ou en soins animaliers ainsi que des représentants de groupes voués au bien-être des animaux sur la capacité de telle ou telle espèce à vivre en captivité et sur la question de savoir si les conditions de la captivité sont adaptées aux besoins biologiques et écologiques des individus de l’espèce et leur permettent de vivre convenablement [...]
Cette disposition se trouvait dans le projet de loi S-218, mais le projet de loi S-241 a ensuite été présenté avec une liste de 800 espèces déjà incluses.
Chers collègues, comment ces espèces ont-elles pu être ajoutées à la liste? Sommes-nous censés appuyer un projet de loi auquel on a ajouté 800 espèces sans que nous ayons pu mener les consultations que le Cabinet sera tenu de mener? Sommes-nous censés croire que ces consultations ont été menées par le sénateur Klyne? Devrions‑nous le croire sur parole quand il dit que toutes ces espèces devraient être ajoutées à la liste? Passerons-nous en revue chacune de ces espèces en comité, ou adopterons-nous plutôt une mesure législative qui n’a pas été étudiée en bonne et due forme?
Je vais être franc : ajouter 800 espèces à un projet de loi qui ne devait à l’origine en contenir que deux me semble un peu effronté. Si nous adoptions ce projet de loi sans avoir d’abord vérifié que chacune des espèces qui figurent sur la liste répond aux critères définis, nous renoncerions au second examen objectif qu’il nous incombe de faire en tant que législateurs.
L’inclusion du loup gris dans ce projet de loi illustre parfaitement les dangers de ne pas faire notre travail. Il ne s’agit ni d’une espèce menacée ni d’une espèce en voie de disparition. Dans le rapport Espèces sauvages : la situation générale des espèces au Canada, le loup gris est désigné comme étant « en sécurité ». Les provinces et les territoires font état de populations stables ou croissantes et ne signalent aucune menace aiguë généralisée. Pourtant, pour une raison que nous ignorons pour l’instant, le sénateur Klyne a inclus cette espèce dans le projet de loi. Y a-t-il eu des pressions de la part d’un groupe de défense des animaux? L’organisation Animal Justice a-t-elle insisté pour que le loup gris soit inclus dans le projet de loi afin que le sénateur Klyne obtienne son soutien? Nous n’en avons aucune idée, car le Sénat n’a reçu aucune information de base, aucune étude scientifique, aucun rapport vétérinaire et aucun compte rendu des consultations. Cette opacité est inacceptable.
Chers collègues, croyez-le ou non, la première version de ce discours était beaucoup plus longue — je ne mens pas —, car il y a beaucoup plus de choses qui peuvent être et, en fait, qui devraient être dites. Je regrette de ne pas avoir pu visiter plus de zoos, mais vous êtes probablement soulagés que je n’en aie visité que 10.
Permettez-moi de conclure. Ce projet de loi prétend aider les animaux, mais il fera le contraire. Alors que le parrain du projet de loi nous dit régulièrement qu’il est « urgent » d’adopter ce projet de loi — nous l’avons entendu ici dire : « Le sénateur Plett bloque le projet de loi; il est urgent que nous adoptions ce projet de loi » —, le jour où il sera adopté, pas un seul petit zoo privé ne fermera ses portes pour cette raison, pas un seul. Les zoos qui ne répondent pas aux normes sont protégés par des droits acquis et chaque animal lui appartenant devra vivre dans ces conditions jusqu’à la fin de sa vie.
Je précise que la durée de vie moyenne d’un tigre en captivité est de 22 ans. Les lions vivent environ 25 ans et les éléphants 60 à 70 ans. Ce projet de loi laissera pour compte les animaux qui souffrent dans les petits zoos privés, tout en menaçant immédiatement l’avenir de grands parcs comme African Lion Safari, le Parc Oméga et bien d’autres encore, qui œuvrent pour la conservation des espèces.
Combien de fois avons-nous entendu que les éléphants sont des animaux sociaux et que les animaux ont besoin d’amis, de partenaires et d’amour? Ces animaux périront lentement jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’un seul animal, isolé et sans partenaire.
Pire, en plus de ne rien faire pour soulager les animaux qui souffrent réellement, le projet de loi ajoutera à leur souffrance en exigeant qu’ils soient castrés ou qu’il leur soit impossible de se reproduire, ce qui leur causera encore plus de tort et qui les privera encore plus de leur dignité.
En outre, en plus de ne rien faire pour venir en aide aux animaux dans les petits zoos, le projet de loi aura assurément un impact sur l’excellent travail de conservation effectué par les 18 zoos accrédités par l’AZAC, qui n’ont pas été consultés pendant la conception du projet de loi et qui n’ont pas obtenu d’exemption. Au lieu de soutenir les efforts de conservation, le projet de loi refroidira les ardeurs de ces grands établissements, qui craindront maintenant pour leur viabilité à long terme et leur capacité à poursuivre leur travail de conservation vital.
Chers collègues, Jane Goodall elle-même considérait que les zoos étaient importants pour la conservation. Elle a dit :
[...] certains croient à tort que, par définition, les animaux sont mieux dans leur habitat naturel. Malheureusement, ce n’est pas nécessairement le cas. Les animaux sauvages subissent des pressions sans précédent de nos jours, par exemple à cause de la disparition ou de la fragmentation des habitats et des changements climatiques.
La conservation est essentielle pour que les prochaines générations puissent avoir accès aux espèces sauvages que nous tenons aujourd’hui pour acquises. Le projet de loi menace les efforts de conservation parce qu’il ne reconnaît pas la valeur de l’accréditation canadienne et qu’il impose les normes américaines aux zoos du Canada, même si, dans bien des cas, ces normes sont moins sévères que les nôtres.
Chers collègues, bien que des mesures soient nécessaires, le projet de loi S-241 n’est pas la solution. Comme je l’ai indiqué, ce projet de loi est aussi précis qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine ou qu’un renard dans un poulailler. Non seulement il ne permettra pas d’atteindre les objectifs visés, mais il sèmera également le désordre.
Nous devons rejeter ce projet de loi. J’invite le gouvernement à présenter une mesure législative équilibrée, efficace et adaptée à la réalité des zoos accrédités au Canada.
Au nom du bien-être des animaux de notre pays et au nom des incroyables efforts de conservation déployés, je vous exhorte à voter contre ce projet de loi en deuxième lecture.
À contrecœur, je ne demanderai pas de vote par appel nominal. Je permettrai à ce projet de loi d’être adopté en deuxième lecture, avec dissidence, afin que les trois comités indiqués précédemment puissent commencer leurs travaux dans le but de présenter un projet de loi adapté à la réalité de notre pays. Chers collègues, je vous remercie.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Une voix : Avec dissidence.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois, avec dissidence.)